Les points de L`Observatoire #17

Transcription

Les points de L`Observatoire #17
De l’Holocène à l’Anthropocène, une histoire française
Qui a suivi le sommet mondial des géologues, le 30 août dernier à Capetown ?
Si votre réponse est non, vous auriez dû. Lors de ce sommet, les géologues présents sont
tombés d’accord : la plupart des changements de la planète sont désormais principalement
causés par l’action humaine. Certains se souviennent du Pliocène, du Crétacé, du Jurassique,
etc. Eh bien, nous voilà entrés pour de bon dans l’Anthropocène ; l’ère où l’homme façonne le
monde. Les effets des activités humaines – transport, urbanisation, chauffage et climatisation,
agriculture industrielle, déforestation et artificialisation des sols, énergie nucléaire, exploitation
minière, etc. – sont devenus déterminants dans l’évolution du climat, des espèces animales et
végétales, et de la géologie elle-même.
Bonne ou mauvaise nouvelle ? Défi certainement, pour ceux qui ont confondu la croissance avec
le progrès et continuent d’évaluer celui-ci selon des modèles et des systèmes comptables qui
considèrent toujours les ressources naturelles comme surabondantes, inépuisables et donc
gratuites, et les services de la nature comme un acquis dont il est superflu de se préoccuper. Défi,
et opportunité pour les pays qui, comme la France, ont joué un rôle pionnier dans la
reconnaissance de l’interdépendance homme-nature, dans la protection de l’environnement et
dans l’exploration des systèmes vivants complexes qui permettent la vie humaine sur cette
planète. Ils ont accumulé un capital de connaissance, de savoir être et de savoir-faire, qui
s’annonce essentiel pour ce siècle engagé ; sauront-ils le mobiliser à bon escient ?
Il y a plus de deux siècles, ce sont les poètes, les peintres et les écrivains qui ont éveillé dans la
conscience européenne le sentiment de la nature et, déjà, de la responsabilité humaine dans
l’évolution de l’environnement. Le sentiment de la nature vient aux Anglais avec le poète
Wordsworth, le premier à célébrer la beauté de la campagne anglaise et des solitudes écossaises
; au même moment, en France, c’est Jean-Jacques Rousseau qui invente la beauté des
montagnes, des forêts, des étangs, jusqu’alors qualifiés d’horribles accidents de la nature. Le
souci de maîtriser l’action humaine sur la biodiversité et les paysages naturels suit ; dès 1853, est
fondée à Paris la Société Impériale Zoologique d’acclimatation. Elle deviendra la Société
Nationale de Protection de la Nature et portera avec le Touring Club de France la première loi sur
la protection des sites et paysages de France (1906), juste avant que soit créée la Ligue de
Protection des Oiseaux. Aux Etats-Unis, le Président Théodore Roosevelt a déjà créé le premier
parc national, le célèbre Yellowstone. Poursuivant une grande tradition, les sciences de la nature,
comme les sciences humaines, sont un domaine d’excellence des chercheurs français ; Claude
Lévi Strauss invente l’écologie humaine avant la lettre, en défendant les peuples dits « sauvages
» contre l’uniformisation de la modernité industrielle, et ce n’est pas par hasard que les
glaciologues français, comme Claude Lorius et Jean Jouzel, sont les premiers à produire les
preuves d’un changement du climat, en étudiant des carottes glaciaires sur des dizaines de
milliers d’années dans les années 1980… La France est le premier pays au monde à se doter
d’un Ministère de l’environnement, en 1971, et à fédérer les associations de protection de la
nature dans une fédération nationale unique, France Nature Environnement, qui sera l’acteur
structurant du Grenelle de l’Environnement (2008). Cette initiative française réunissant les acteurs
sociétaux de l’environnement a fait école dans le monde, jusqu’au Brésil et aux Etats-Unis. Elle
consacrait la vitalité des associations de protection de la nature, qui remplissent de par la loi des
missions de service public et sont les interlocuteurs permanents des pouvoirs publics et des
entreprises dans les instances de concertation.
Sur le plan international, c’est encore la France qui a été à l’origine de l’Union internationale de
Conservation de la Nature, fondée en 1958, et basée en Suisse, Union qui restera longtemps de
gouvernance française, avant que la Fondation créée pour financer ses actions, le World Wildlife
Fund, ne fasse sécession avec les fonds collectés et n’adopte une logique anglo-américaine en
confiant sa gouvernance aux grandes entreprises privées.
Au moment où les Etats Unis prétendent être les pionniers de la lutte contre le dérèglement
climatique, font la leçon au reste du monde, acclimatent des indicateurs et des classements, des
obligations de reporting et de conformité et même des produits financiers qui font de la nature un
business comme un autre, il vaut la peine de rappeler le capital français dans ce domaine
d’avenir, le potentiel d’emplois et d’activité qu’il représente … et cette curieuse aptitude française
à gâcher ses meilleurs atouts. Nombreux sont les candidats à la présidentielle qui semblent
considérer que croissance et qualité environnementale s’opposent, et que pour quelques points
de croissance en plus, il est bien possible de sacrifier la qualité de la terre, de l’air et de l’eau.
Sans doute, mais attention au prix à payer ! Une chose est certaine ; une population de mieux en
mieux informée, exigeante et consciente des risques sanitaires, biologiques et environnementaux
qui globalement augmentent, est de moins en moins prête à sacrifier son espérance de vie pour
la croissance, et saura désigner les responsables d’une dégradation de la santé publique, de la
qualité des aliments, de la fécondité des eaux et des terres, de la biodiversité animale et végétale.
Et elle va le dire de plus en plus fort ; toute politique au temps de l’Anthropocène sera une
politique de la vie, c’est-à-dire une politique qui subordonne l’économie, la justice et le droit, au
maintien d’un environnement sain et bienveillant à l’aventure humaine.
A lire :
Jean-Michel Valentin, Red Team Analysis, « anthropocene era economic insecurity-1 », 2016
Baudouin de Bodinat, « La vie sur Terre – réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où
nous sommes », Edition de l’Encyclopédie des nuisances, 2008
Paolo Servigne et Raphaël Stevens, « Comment tout peut s’effondrer », Seuil, 2015
Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, « L’événement Anthropocène – La Terre, l’histoire
et nous », Seuil, 2013
L’Observatoire Eurogroup Consulting réunit un ensemble d’experts, professionnels confirmés des
domaines concernés ou chercheurs associés, pour vous faire bénéficier du dernier état de la recherche et
des orientations internationales.
L'Observatoire Eurogroup Consulting vous propose :
- Des séminaires à destination de Conseils d’Administration ou de Comités de direction :
" Géopolitique d’après la mondialisation "
" Intelligence concurrentielle et gestion du risque "
" Penser l’entreprise à vingt ans "
- Des notes de réflexions stratégiques, des études sur les sujets de transformation de l’entreprise
- Des conférences, pour aider à penser autrement et à désirer l’avenir
Copyright © 2016 L'Observatoire Eurogroup Consulting, All rights reserved.
Vous recevez cet email parce que vous faites partie de la communauté Eurogroup Consulting
Directeur de la publication: Hervé Juvin
L'Observatoire Eurogroup Consulting - Tour Vista - 52/54 Quai de Dion Bouton - 92806 Puteaux Cedex
SAS au capital de 40 000 euros - RCS Nanterre 804 867 588
Mail: [email protected]
Se désinscrire de la liste