Those Who Go Those Who Stay – Poésie

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Those Who Go Those Who Stay – Poésie
Those Who Go Those Who Stay – Poésie
filmique et textile
Après le succès de son film American Passages, saisissant tableau des
États-Unis à travers une série de portraits hauts en couleurs, la réalisatrice
autrichienne Ruth Beckermann a fait le choix de se consacrer à un projet
plus personnel, à la fois intimiste, par les références à sa propre biographie
ou à ses précédents films, poétique et original, par le choix de la forme de
narration, mais aussi engagé car le thème récurrent nʼest autre que le conflit
entre lʼOccident et le reste du monde à travers les phénomènes de migration
et de globalisation.
Sans la moindre information préalable sur ce film, le spectateur peut être
dérouté, voire se sentir désarçonné. Il sʼagit dʼune douzaine de saynètes
sans rapport évident les unes avec les autres et brisant quelques tabous du
film documentaire. Certains personnages regardent la caméra et sʼadressent
à la réalisatrice, on ne sait pas toujours précisément où les séquences ont
été tournées (il sʼagit dʼailleurs parfois de plans filmés il y a vingt ans), il y a
des plans flous et des cadrages hésitants, des propos parfois décousus,
mais celui ou celle qui se laissera prendre dans le flux dʼimages, entraîné
par la superbe bande son (Atanas Tcholakov et Gerhard Daurer), vivra une
expérience de cinéma assez unique.
La poésie du film sʼexprime dʼabord par la musique, parfois explicitement
lorsquʼil sʼagit dʼun dialogue sur les rythmes caractéristiques de différents
pays du monde arabe, et parfois de façon plus implicite. Ruth Beckermann
repousse à la fois le modèle du film militant et les techniques du cinéma
direct. Lorsquʼelle sʼentretient avec des réfugiés nigériens en Sicile (après
quelques plans à Lampedusa), ce nʼest pas le récit de lʼexil qui lʼintéresse –
comme on lʼaurait découvert dans un reportage télévisé – mais lʼaspiration
de ces jeunes, leur projet de vie. En hommage à son père qui travaillait dans
le textile, elle se rend non seulement en Italie où son père avait des contacts
professionnels – montrant comment lʼindustrie chinoise du textile a
profondément marqué le paysage urbain – mais cʼest la texture même de
son film qui rappelle le tissage, certaines coutures apparaissent alors que
dʼautres sont plus discrètes et lʼensemble se prête à voir avec plaisir.
Chacun trouvera dans la matière utilisée le moment qui le touchera le plus,
quʼil sʼagisse de la scène tournée par la réalisatrice avec sa mère, évoquant
le départ dʼAutriche de la famille par Brindisi, ou les plans particulièrement
réussis, tournés pendant un meeting du FPÖ (principal parti dʼextrême
droite) à Vienne. Cʼest sans doute le dernier plan, avec un enfant dans le
tram stambouliote qui relie Taksim à Tünel par Istikal Caddesi, qui devrait
faire lʼunanimité. Sur un fond sonore de musique grecque, on assiste à un
échange de regard entre un enfant assis sur la plateforme à la manière dʼun
petit parigot photographié par Doisneau, et la réalisatrice. Bien quʼaucune
parole ne soit échangée, après un moment dʼinterrogation de la part de
lʼenfant, on voit naître une véritable complicité, les deux sʼapprivoisent
comme dans Le petit Prince. Le choix du lieu, entre Europe et Asie, de la
musique, alors que la Turquie et la Grèce ont été des ennemis pendant des
siècles, laisse le spectateur sur une lieur dʼespoir.
Le film sort en Autriche le 21 mars.
(Jérome Segal)