Le Web de l`Humanité: Herta Müller, du Banat roumain à

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Le Web de l’Humanité: Herta Müller, du Banat roumain à Hambourg
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Journal l'Humanité
RUBRIQUE CULTURES
Article paru dans l'édition du 15 mars 2001.
Herta Müller, du Banat roumain à
Hambourg
" Nous sommes partis de chez nous avec notre tête, mais avec nos pieds nous
sommes encore dans un autre village. " Un art de la fugue.
À sa parution en français (1988), juste après l’arrivée d’Herta Müller en
Allemagne (mars 1987), l’Homme est un grand faisan sur terre avait été pour le
public français une révélation. Celui-ci découvrait des vérités cachées sur une
minorité allemande, les Souabes de la Roumanie " communiste ", et un auteur
doué d’un style incomparable, qui creusait toutes les possibilités d’expression
d’une naïveté acide. Six ans auparavant, Herta Müller avait déchaîné les colères
et les tracasseries de la Securitate et de ses instruments en publiant
Niederungen, une chronique impitoyable d’un village, d’une famille, d’une
enfance traumatisée du Banat, province roumaine peuplée d’Allemands installés
dans cette région danubienne depuis sa reconquête au XVIIIe siècle par le
régime habsbourgeois ; la chronique d’un monde marqué par la peur et la
haine, l’intolérance et la violence, d’un monde retardataire, rétrograde, muselé
par un catholicisme putride et superstitieux, sur fond de gestion politique et
économique calamiteuse pratiquée par un régime " communiste " corrompu ;
de répressions et de survivance d’un passé fasciste à peine déguisé. Si la
presse de langue allemande locale imprimée à Timisoara cria à la diffamation, la
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critique occidentale (ouest-allemande) chanta les mérites d’un écrivain qui
faisait sortir sa province de son localisme étroit.
Installée en Allemagne, à Berlin-Ouest puis à Hambourg, Herta Müller avait
emporté sa mère patrie à la semelle de ses chaussures et, s’il lui est arrivé
depuis d’ouvrir les yeux sur son univers actuel - dans Reisende auf einem Bein
(1989), elle raconte sa découverte de Berlin-Ouest (un choc) ou, dans Eine
warme Kartoffel ist ein warmes Bett (1992), elle évoque pour s’indigner
d’événements politiques immédiats tels les persécutions des Kurdes ou
l’attentat fasciste d’Hoyerswerda contre des immigrés -, elle revient toujours
dans son Banat natal et à son cruel dilemme : " rester / partir ". Dans Herztier
(1994), elle fait dire à l’un de ses personnages : " Nous sommes partis de chez
nous avec notre tête, mais avec les pieds nous sommes encore dans un autre
village. "
Dans la Convocation - un roman récent (1997) - Herta Müller évoque aussi le "
partir ", mais l’idée en est vague, les motifs et moyens du départ puérils,
légers : la narratrice ne rêve pas, n’imagine pas un lendemain ailleurs ; tout
juste pense-t-elle au " besoin d’un ailleurs ", si bien que " tôt ou tard, d’une
manière ou d’une autre, on tente le coup ". En revanche, c’est le " rester " qui a
de l’épaisseur, celle de la peur, de l’angoisse, de l’humiliation. Ouvrière dans une
usine de confection, où l’on fabrique des vêtements dernier chic pour l’Italie, elle
- narratrice sans identité - est convoquée à la Securitate. Dans le tramway qui
la conduit inexorablement vers celui qui va l’humilier, elle lutte contre l’angoisse.
À cet endroit, impossible de ne pas évoquer la technique exemplaire du récit.
Dans cet espace clos (le tramway), trois grands moments se succèdent,
s’entremêlent par morceaux : le regard sur le conducteur et d’autres passagers
(toujours les mêmes) et le retour sur les épisodes marquants de sa propre
biographie (métaphorique de celle de l’auteur) ; mais la réalité imminente est
forte et s’impose par intermittence : la narratrice se voit devant son inquisiteur
(" L’humiliation, comment appeler cela autrement lorsque tout le corps se sent
pieds nus "). Ce faisant, elle peint un tableau qui oscille entre l’indulgence et
l’usage du vitriol. Son crime ? Elle a glissé dix bouts de papier dans dix poches
de pantalon avec les mots " ti aspetto ", son nom et son adresse, et comme elle
s’est refusée à son chef, celui-ci en a écrit d’autres pour mieux la charger. Lilli,
sa meilleure amie a fini en charpie lors d’une tentative d’" évasion " (la narratrice
a revêtu aujourd’hui le corsage de Lilli pour). On vole du matériel à l’usine, mais
comme celle-ci " appartient au peuple ", dont on fait partie, on prend
directement " sa part de la propriété du peuple ". Les tracasseries sont
quotidiennes et peuvent être souvent prises au sérieux ; il n’empêche que cette
mécanique, mise en place par un ersatz de père Ubu et ses courtisans de
province, tombe facilement dans le dérisoire, le burlesque : au voisin chargé de
l’espionner, la narratrice offre un cahier d’arithmétique, " moitié par malignité
parce qu’il notait mes allées et venues et sans doute encore bien d’autres
choses, moitié par gratitude parce qu’il m’avait mise dans la confidence " ;
cahier qui se révèle aux yeux du mouchard trop grand, car il n’entre pas " dans
une poche de veste ". Donc depuis, elle y note. ce que lui dit son inquisiteur en
lui " baisant la main ".
Revenir sans cesse sur son vécu pourrait apparaître comme une manie qui
épuise le sujet, l’use jusqu’à la corde. L’art d’Herta Müller est au contraire de le
fouiller sans cesse pour l’enrichir. Je ne crois pas que l’on se lasse de l’art de la
fugue.
François Mathieu
Herta Müller : la Convocation, trad. de Claire de Oliveira, Métailié, Bibliothèque
allemande, 208 pages, 120 francs.
Page imprimée sur http://www.humanite.fr
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