RACINES245 - juillet 2013

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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
Par Catherine Baty
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“Je pe
Isabelle Souchet était une voyageuse heureuse de partager
ses périples à travers ses livres. Sa vie s’est assombrie en croisant le
chemin de celui qu’elle surnomme “Patraque” dans son dernier ouvrage.
endroit est calme. Le jardin
fleurit librement. On entre
par devant. On peut
s’échapper par derrière. “C’est aussi
pour cette raison que j’ai choisi cette
maison.” Isabelle se cache, se reconstruit. Aujourd’hui, elle accepte cette
photo au milieu des herbes colorées.
Elle est même heureuse de jouer à
ce jeu-là. Aujourd’hui, elle n’a plus
peur de dire que c’est elle, Isabelle
Souchet, qui a vécu tout ça. Ce cauchemar. Mais on ne dira pas où elle
accepte cette rencontre car elle doit
“encore se protéger”.
Avant cette tourmente qui va
l’anéantir à petit feu, elle était devenue une aventureuse, une téméraire
L’
convertie à l’écriture pour mieux partager ses périples à pied : Compostelle, l’Inde du Sud, la Bulgarie, puis
la Macédoine(1). Des destinations sac
au dos, curieuse de comprendre le
monde et de mieux se découvrir.
“J’avais toujours eu envie de ça…
Un été, de retour d’Espagne en famille
nous avions croisé des pèlerins courbés sous la pluie sous leur grand poncho. J’avais pensé : un jour moi aussi !
Là, sous ce ciel épouvantable je les
trouvais magnifiques, assumant leur
choix.” Quinze ans plus tard, en
2005, vient le moment de relever le
défi. Isabelle a 54 ans. Sa vie de couple s’éteint, ses conditions de travail
deviennent difficiles. Isabelle a besoin
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de largeur les amarres. D’un ressourcement. C’est ainsi qu’elle entame
sa première expédition en solo. 53
jours vers Santiago, vers l’émotion.
Elle est transformée. Les proches insistent : “il faut que tu écrives tout ça !”
Ses sœurs lui donneront un coup de
main. Isabelle n’aime pas vraiment
le clavier mais prendre la plume est
dans sa nature. Elle publie Le Camino
d’Isouf. Isouf, c’était déjà le nom
qu’elle avait donné à son blog sur
internet(2) pour raconter son chemin,
celui-ci et les prochains. Famille,
amis, curieux accompagnent ainsi à
distance cette baroudeuse sur le tard.
Puis il y aura Le Tamil Nadu en 2007.
“Ado, je voulais partir en Inde ou au
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Brésil comme Marbela, l’héroïne des je le trouve chez moi.” Il l’envahit, la au travail, dans leur vie de couple”.
bidonvilles de mes livres d’enfants.” culpabilise. Il raconte tout et rien, s’in- À ceux-là elle peut dire : “il faut parDans la région de Madras, Pondi- vente une carrière dorée. Ses mots ler dès que la situation dérape, exprisont agressifs et menaçants. mer ses doutes et ses peurs. C’est cette
chery, cette zone tamoule
De quelques paroles échan- parole qui éclaire la situation. J’ai
instable, l’expérience est
gées autour d’un café, pensé que seule je pourrais m’en sorforte : “j’ai enfin eu l’impres“Jamais
Patraque a tissé sa toile pour tir. Se sentir coupable et responsable,
sion d’être chez moi…” Isaje n’ai
piéger. Pas une gifle, pas un c’est insoutenable. C’est pour cela
belle travaillera auprès
pensé
coup. La violence de qu’il faut se faire accompagner par
d’enfants polyhandicapés.
qu’il pouPatraque est complexe. “Il me un professionnel qui vous aide à forÀ son retour, encore une
vait
disait : moi je ne laisse pas muler les bonnes questions”. Encore
fois, on lui demande de
m’arriver
de trace !”, confie Isabelle aujourd’hui, Isabelle se sent dépostémoigner par un livre. C’est
quelque
dont le regard s’assombrit à séder. “Face à une difficulté, je
d’ailleurs le navigateur
chose de
chaque évocation. “Mais panique quand autrefois j’aurais relaJean-Luc Van Den Heede
terrible !”
madame, quand on héberge tivisé”.
qui acceptera de le préfaIsabelle a changé d’existence. Elle
un homme chez soi, on a forcer après une brève renconcément une relation amoureuse !”. La n’enseigne plus le yoga. Évite de tistre amicale.
Faute de pouvoir partir pour le Sri justice, la police ne comprennent pas. ser des liens autour d’elle de crainte
Lanka en pleine instabilité en 2008, “Je n’ai jamais été attirée par lui !”, de revivre dans l’étau. ProgressiveIsabelle s’envole finalement pour la insiste-t-elle. Elle exagère. Forcément. ment elle retrouve son aplomb, “se
Isabelle n’a plus la force. Elle a cache moins”. “J’ai appris à dire
Bulgarie, simplement parce qu’elle
“adore les voix d’hommes des chœurs perdu beaucoup de poids. Isabelle non…”, résume-t-elle.
orthodoxes” ! Plus tard, elle retour- s’isole, ne décroche plus son télé- (1) Quatre livre édités à compte d’auteur : Le
nera en Macédoine. Les rencontres phone. Trop peur que ce soit encore Camino d’Isouf. A pied de Vendée à
sont belles. Parfois périlleuses. Mais lui. Il l’inonde de messages. Ses Compostelle ; Au fil des Jours. En Inde du Sud,
“jamais je n’ai pensé qu’il pouvait enfants devinent que quelque chose sac au dos ; La Bulgarie, les pieds dans l’eau,
la tête sur les sommets ; Pas à pas en
m’arriver quelque chose de terrible !” de grave ronge leur maman. “Je me Macédoine (dans le même ouvrage : La
Il faudra une matinée banale à croyais forte”, reconnaît-elle avec le Bulgarie, 2e séjour). En vente sur
quelques mètres d’où elle vit pour recul et l’aide d’un psychologue. Son www.isouf.com.
que cette spontanéité, cette généro- livre, elle le veut comme un moyen (2) www.isouf.com
de prévention. “J’ai découvert que (3) Dis non. Tu as le Choix. Consultez aussi
sité soient abîmées.
Avril 2008. Isabelle habite aux beaucoup vivaient la même chose : http://harcelement-perversion.blogspot.fr
Sables-d’Olonne. Elle donne des
cours de yoga et a déjà écrit quatre
Compostelle, l’Inde du Sud, la Bulgarie et la Macédoine :
de ses périples à pied, Isabelle a publié des livres
récits de voyage. Comme souvent,
et des blogs sur internet.
elle se baigne en profitant de la sérénité de l’océan. Il est là. Il l’interpelle
banalement : “Elle doit être froide !”.
Elle répond sans rien attendre de cet
inconnu : “Oui pour ceux qui ne se
baignent jamais !”. Il lui offre un café.
Elle accepte. Bien plus tard, Isabelle
devine qu’il devait la guetter, l’observer. Pendant cinq mois, cet homme
qu’elle surnommera “Patraque”, va
démolir son univers. Sournoisement,
par un jeu de manipulations, en jonglant avec sa personnalité intime.
Cette fois les pages d’Isabelle ne
seront plus des cartes postales. Cette
fois, le livre est un appel au “non”.
“Dis non. Tu as le choix”(3), clame-telle sous le pseudonyme de Paula
Josyo en 2011. Une centaine de
pages où l’on vit le harcèlement à
chacune d’elles. Nuit et jour, Patraque
est là. Isabelle a toujours su tendre
la main. Elle l’écoute, elle accepte sa
présence. “Il disparait deux jours, et
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