Le « look » numérique des magazines de mode féminins canadiens

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Le « look » numérique des magazines de mode féminins canadiens
Research-in-Brief
Le « look » numérique des magazines de mode
féminins canadiens de langue française
Pierre C. Bélanger & Véronique Desjardins
Université d’Ottawa
Abstract: This article examines the move of French-Canadian fashion magazines
towards digital platforms. It focuses on a “logic of cohabitation” between the
print and web versions. The magazine’s presence on different mobile devices has
also been observed. The results of the analysis reveal that contents developed for
digital versions of the analyzed magazines fill a utilitarian function and tend to be
complementary to the print version. The latter is appreciated for its tactile properties and is perceived as a reference in terms of information. As for the mobile
magazine, it acts as a provider of instantly available bite-sized content.
Keywords: Magazines; Marketing; Digital media; Internet
Résumé : Cet article porte sur la migration des magazines de mode féminins
canadiens de langue française vers les plateformes numériques. Il s’intéresse à
la logique de cohabitation des supports imprimés et web. La présence du
magazine sur les dispositifs portables est également observée. Les résultats de
l’analyse révèlent que les contenus développés pour les versions électroniques
des magazines recensés remplissent une fonction utilitaire et tendent à être
complémentaires à la version imprimée. Cette dernière est appréciée pour ses
propriétés tactiles et représente une référence en tant que source d’information.
Quant au magazine mobile, il sert à fournir des contenus courts et instantanés.
Mots clés : Magazines; Marketing; Digital media; Internet
Objectifs de la recherche
Depuis son émergence publique au début des années 1990, Internet n’a cessé de
provoquer des transformations au sein de l’environnement médiatique. À ce jour,
Pierre C. Bélanger is a Professor in the Department of Communication, University of Ottawa, 554 King
Edward Avenue, Room 104, Ottawa ON Canada K1N 6N5. Email : pierre.belanger@ uottawa.ca.
Véronique Desjardins détient un baccalauréat en Histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal
et une maîtrise en Communication de l’Université d’Ottawa. Sa thèse porte sur la migration des magazines imprimés vers les supports web et mobiles. Elle travaille maintenant au sein de l’équipe politique
de l'édition des périodiques au ministère du patrimoine canadien. Email : [email protected].
Canadian Journal of Communication, Vol 34 (2009) 509-524
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la croissance du haut débit et l’efficacité des moteurs de recherche modifient
substantiellement aussi bien les rapports qu’entretiennent les internautes entre
eux que ceux qu’ils ont avec les médias. Une nouvelle forme de participation des
usagers modifie la façon dont les biens et services sont produits, mis en marché
et distribués. Ainsi, l’évolution constante de l’environnement numérique entraîne
plusieurs médias traditionnels vers des applications intrinsèquement associées au
web. Les journaux, les films et la musique notamment ont connu le double effet
de l’hybridation des modes de production de leur contenu – on n’a qu’à penser à
l’engouement que suscitent les contenus générés par les usagers auprès de
certains publics – et de la métamorphose de leur support de diffusion. En ce sens,
les nouveaux dispositifs et applications technologiques participeraient à créer une
véritable « net-amorphose » des médias traditionnels. Loin de demeurer en reste,
les magazines sont aspirés à leur tour dans cette irréversible mouvance.
La recherche que nous avons menée consistait à identifier et à analyser dans
le discours des trois principaux éditeurs canadiens, les conceptions sous-jacentes
à la migration des magazines de langue française vers les supports numériques.
Plus spécifiquement, nous avons voulu comprendre la logique de cohabitation
vers laquelle évoluent les versions imprimées et en ligne de trois magazines de
mode féminins canadiens. Quels sont les éléments distinctifs du magazine sur
chacun de ces deux modes de diffusion? Sont-ils complémentaires? Comment les
divers canaux de diffusion du magazine mettent-ils en valeur son image de
marque? Nous avons également voulu connaître les intentions associées à
l’émergence du magazine mobile sur divers dispositifs portables, ainsi que les
besoins auxquels il répond. Bien que le magazine mobile soit au stade
embryonnaire au Canada, le volume des initiatives américaines en ce domaine
donne à penser que plusieurs grands éditeurs croient au potentiel du quatrième
écran et souhaitent en tester les fonctionnalités. Nos données ont été recueillies
auprès des éditeurs de trois magazines, soit Loulou (propriété du groupe Rogers),
Clin d’œil (propriété du groupe Quebecor : TVA Publications/Canoë) et Elle
Québec (propriété du groupe Transcontinental), et nous avons procédé à l’analyse
descriptive des sites web de chacune de ces publications. Compte tenu de
l’étroitesse relative du marché canadien francophone dans le secteur du magazine
de mode, notre recherche permet d’apporter une lecture ponctuelle des principaux
enjeux auxquels est confrontée cette industrie de même que des stratégies
déployées pour moderniser son image et l’adapter aux possibilités qu’offre
désormais le numérique.
À l’instar du sociologue Brian Moeran (2006), nous croyons que le magazine
opère une fonction essentielle à l’intérieur de l’univers de la mode en agissant à
titre d’intermédiaire entre les producteurs et le lectorat. Le magazine de mode
féminin existe pour confirmer au public l’importance de la mode dans leur vie,
pour expliquer les dernières tendances ainsi que faire connaître les grands noms
qui y sont rattachés. En d’autres termes, il légitime le monde de la mode. Cette
industrie est marquée de changements continus et le magazine a comme tâche de
rendre compte de son évolution, de repérer les nouveaux styles et de faire valoir
la contribution des principaux artisans du domaine. En raison de sa position
privilégiée dans ce système, le magazine de mode découvre, évalue et oriente les
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styles pour le public. Il agit à titre de pivot et rassemble une panoplie d’acteurs,
dont les éditeurs, stylistes, photographes, mannequins, artistes maquilleurs et
coiffeurs, de même que les grandes compagnies de vêtements, de produits de
beauté et de luxe (Birks, Holt Renfrew, Tiffany and Co.).
Le paysage actuel des magazines
Le secteur du magazine vit actuellement une crise identitaire provoquée par les
tendances lourdes de l’heure en matière de consommation et de distribution de
contenu. Bien que l’industrie du magazine continue d’accorder une place
importante au papier comme support de présentation, l’érosion graduelle de son
modèle d’affaires traditionnel fait en sorte que la distribution numérique se
présente comme un passage obligé. Il faut savoir que le lectorat des magazines
imprimés au Canada français est en décroissance continue depuis 2003. De
manière générale, les données du PMB (Print Measurement Bureau) publiées en
mars 2007 révèlent que, des 46 publications recensées, les trois quarts d’entre
elles (34) ont connu des baisses de lectorat variant entre 0,70% et 26,2%, ce qui
équivaut à une réduction moyenne de 11,8% par magazine (Varin, 2007a). De
manière spécifique, cela se traduit par une baisse de 11,1% chez Clin d’œil (797
000 lectrices) alors que Elle Québec a régressé de 15,6% (744 000 lectrices)
(Varin, 2007a). Le PMB ne possède pas de données au sujet de Loulou, dont le
tirage est estimé à quelque 210 000 lectrices selon son propriétaire, les Éditions
Rogers. Cependant il est peu probable que ce magazine ne suive une courbe
similaire à celle de ses compétiteurs.
Les spécialistes médias sont partagés quant à l’interprétation de ces résultats.
Thierry Gamelin, de l’agence en e-marketing Carat Expert, note que cette chute
est plus prononcée chez les titres destinés aux 18 à 34 ans. François Vary,
spécialiste en médias et représentant de PMB (http://www.pmb.ca) au Québec,
indique qu’aucun facteur précis ne peut expliquer les baisses de lectorat : « On en
saura davantage dans l’avenir : PMB commence à mesurer le lectorat des sites
web des publications l’an prochain (2008). Mais je serais porté à dire que les
magazines sont en compétition avec plein d’aspects de la vie moderne »
(Lachapelle, 2007). D’aucuns s’entendent pour reconnaître que l’engouement
croissant envers le web est l’une des causes de cette baisse de popularité puisque
les internautes y trouvent des contenus qui sont non seulement similaires à ceux
des magazines, mais ont de plus l’avantage concurrentiel d’être offerts sans frais
directs. Fait à signaler, l’association nord-américaine Magazine Publishers of
America rapporte une augmentation des initiatives en ligne de l’ordre de 33,5%
pour 2007, comparativement à l’année précédente (Nelson, 2008).
Par ailleurs, on constate une érosion graduelle des assiettes publicitaires au
profit des vitrines numériques. En effet, les annonceurs sont de plus en plus
motivés à explorer les fonctionnalités de la plateforme web, ce qui du coup
complexifie la rentabilité du modèle d’affaires des magazines imprimés. Sur ce
plan, la firme PricewaterhouseCoopers (PwC) prévoit que le Canada connaîtra le
plus important taux de croissance des revenus publicitaires au monde au cours
des cinq prochaines années : « We have had higher broadband penetration rates
than other countries around the world and we’re now seeing a bigger shift in
advertising revenue » explique Tracey Jennings, responsable du secteur du
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divertissement et des médias pour le Canada. PwC entrevoit donc une
augmentation annuelle de 23,5% au pays, un rendement qui surpasse les
prévisions pour les marchés américain et mondial de quelque 7,4% et 10,1%
respectivement (Robertson, 2007).
Un rapport publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada (IAB)
indique d’ailleurs que les revenus publicitaires en ligne ont atteint en 2006 un
nouveau sommet de 1,01 milliard $, soit une augmentation de 80% par rapport
aux résultats de 2005. L’IAB prévoit que les revenus générés par la publicité en
ligne atteindront 1,337 milliards $ en 2007, soit 32% de plus qu’en 2006 (IAB,
2007). Le commentaire de Paula Gignac, présidente de l’IAB, témoigne de
l’ampleur du phénomène : « Il aura fallu attendre 13 ans entre le moment où la
première bannière publicitaire est apparue dans Internet et le moment où nous
franchissons le cap du milliard $; mais nous devrons sans doute compter à peine
deux ou trois ans avant de franchir celui des deux milliards $ » (Varin, 2007b).
Parmi les raisons qui expliquent la progression de ce secteur, l’IAB estime qu’un
plus large éventail de choix publicitaires, ainsi que l’ajout de bandes-annonces
vidéo au choix d’outils publicitaires en ligne, sont parmi les plus influentes (IAB,
2007, p. 7). Ce type de données met en relief la grande importance pour les
gestionnaires de magazines de développer des stratégies qui tirent profit du fort
attrait qu’exercent les plateformes numériques.
Quelques grands joueurs internationaux dont Condé Nast, Time et Hachette
Filipacchi ont conclu des ententes avec des partenaires du monde des
télécommunications afin de distribuer leurs contenus sur les dispositifs mobiles.
Aux États-Unis, certains éditeurs ont commencé à introduire des « Mobizines »,
ces revues disponibles gratuitement sur le téléphone cellulaire et qui présentent
des contenus mis à jour régulièrement tels nouvelles, potins, critiques et
entrevues. L’usager n’a qu’à « texter » le titre du magazine pour que ce dernier
se télécharge directement dans l’appareil. Une fois enregistré, il peut être consulté
à plusieurs reprises sans que l’utilisateur n’ait à débourser de frais de connexion.
À ce jour, une cinquantaine de titres ont emprunté le virage de la mobilité dont
les plus populaires sont aux États-Unis. Zinio, une compagnie qui se spécialise
dans la numérisation des magazines imprimés pour les convertir en version
électronique, a lancé plusieurs versions mobiles de magazines téléchargeables
gratuitement sur les iPod d’Apple.
L’accroissement du parc des appareils de téléphonie mobile au Canada atteint
aujourd’hui des niveaux qui laissent présager un potentiel d’affaires non
négligeable aussi bien pour les éditeurs de magazines que pour les publicitaires.
Selon l’Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), le
Canada comptait, en septembre 2007, plus de 19,3 millions d’abonnés au service
de téléphonie mobile, soit près de deux citoyens sur trois (64%). Ceci correspond
à une augmentation de quelques 2,5 millions d’abonnés par rapport à la fin du
premier trimestre de 2006 (Industrie Canada, 2007). L’ACTS précise que le taux
de pénétration surpasse maintenant 70% dans les grandes villes et frôle 80% dans
certaines régions métropolitaines. Peter Barnes, président et chef de la direction
de l’ACTS, indique que la forte croissance du nombre de clients se fait au même
rythme que l’adoption des services de transmission de données sans fil tels que la
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messagerie instantanée, le courriel, de même que la navigation sur Internet
(ACTS, 2007).
L’univers du magazine de mode
La diversification des magazines vers de nouveaux canaux de distribution
soulève plusieurs questionnements autant au niveau des effets de
complémentarité que des dangers de cannibalisation résultant de la cohabitation
des différentes déclinaisons d’un même magazine. Plusieurs chercheurs et
analystes se sont penchés sur des questions similaires à la nôtre.
Simon et Kadiyali (2007) ont mesuré l’impact de la mise en ligne d’un
magazine sur la demande de sa version imprimée en analysant un échantillon de
556 magazines de consommation américains entre 1996 et 2001. Ils constatent
que le seul fait de créer un site web pour le magazine engendre une baisse des
ventes de la version imprimée de l’ordre de 3 à 4%. Ils précisent que ce
pourcentage est appelé à augmenter en fonction du type de contenu mis en ligne :
« We find that allowing readers to read the entire contents of the current issue
online reduces print sales by more than twice as much (10%) » (2007 p. 349). À
terme, ils vont jusqu’à craindre le danger de cannibalisation du magazine
imprimé par le magazine électronique puisque, selon eux, les gens qui opteront
pour la version numérique gratuite auront tôt fait de discontinuer leur
abonnement à la publication imprimée.
Dans la même lignée, Kaiser (2006) étudie le phénomène de mise en ligne
des magazines auprès de 41 titres féminins allemands entre 1996 et la fin de 2004.
Dans son étude, il constate que la mise en ligne d’un magazine peut au bout du
compte entraîner un risque quant au tirage de sa version imprimée. Selon Kaiser,
les magazines ayant une initiative en ligne perdent en moyenne 4,2% de leurs
clients potentiels au profit du web (2006 p. 13). Kaiser précise toutefois que les
dangers de cannibalisation se sont atténués à partir de 2001 et qu’une logique de
complémentarité s’installe dès 2004.
Kaiser et son collègue Kongsted ont poursuivi leurs recherches au sujet du
magazine en ligne (« companion website » en anglais) dans le but d’examiner son
effet sur 1) le tirage, 2) les abonnements et 3) les ventes en kiosque de sa
contrepartie imprimée. Les résultats de leur étude révèlent que la consultation d’un
magazine en ligne engendre un effet favorable sur les abonnements de la version
imprimée, mais que les ventes en kiosque en sont affectées négativement. Les
chercheurs parviennent à démontrer l’aspect complémentaire des différentes
déclinaisons du magazine, notamment du point de vue promotionnel : « The cross
advertising works both ways, since the print editions also advertise the online
companion and many articles in the print versions provide URLs that lead to
further information on the companion website » (2007 p. 2). Ils font également
ressortir les principaux attributs du site web au nombre desquels on retrouve
l’abonnement en ligne, l’accès aux articles archivés, le renouvellement fréquent des
informations affichées ainsi que la possibilité de discuter avec d’autres usagers.
Kaiser et Kongsted précisent enfin que la version électronique d’un magazine est
susceptible d’attirer un lectorat différent, davantage intéressé par la technologie. Ils
sont d’avis que le contenu gratuit du magazine en ligne attire un type de client qui
n’achète généralement pas la version imprimée (Kaiser et Kongsted, 2007 p. 8).
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Plus près de chez nous, la firme Léger Marketing a réalisé un rapport suite à
la tenue de groupes de discussion au printemps 2007. Cette étude avait pour but
de comprendre la relation qui unit le lecteur à son magazine et de déterminer les
motivations de celui-ci à l’égard des magazines sur le web. On y apprend que les
répondants associent la consultation d’un magazine imprimé à la réception d’un
cadeau ou à un moment de détente. Ce geste remplit aussi une fonction
éducative : « Il permet de faire des découvertes, d’être informé sans
nécessairement activement rechercher l’information » (Léger Marketing, 2007),
car le magazine trie et hiérarchise l’information. Léger Marketing ne craint
aucunement la mort du magazine imprimé car il comble un besoin que le web ne
peut pas remplir. Les répondants semblent moins attirés par le magazine en ligne
parce qu’ils associent Internet au travail. Certains sont intéressés par l’aspect
interactif qu’offre ce média. Il leur paraît plus difficile cependant de se détendre
devant l’écran puisqu’on leur demande d’être constamment actifs. Léger
Marketing conclut avec ce postulat : on consulte le web, on lit un magazine. De
manière générale, les résultats mettent l’accent sur les particularités des deux
principales manifestations du magazine et recommandent que les magazines
misent sur les forces de chacune des versions afin d’optimiser leur
complémentarité.
De nombreux articles au sujet de l’industrie du magazine américain insistent
sur la volonté des éditeurs de développer une logique de complémentarité, voire
de complicité, entre l’imprimé et le numérique. Lors de la dernière conférence
« American Magazine » tenue en octobre 2007 en Floride, David Zinczenko,
président de l’événement, a déclaré : « The Web has turned out to be a great thing.
We’ve gone beyond the printed page and into outer space » (Quintanilla, 2007).
L’industrie semble désormais reconnaître la contribution du magazine en ligne et
une majorité de maisons d’édition investissent dorénavant dans les diverses
formes de distribution numérique. Nous constatons aujourd’hui que les éditeurs
ont tendance à transférer de moins en moins de contenu de leur magazine
imprimé vers sa contrepartie en ligne. De plus, ils se tournent vers des
applications propres au web : « We’re seeing more and more magazines using
their digital platforms to provide fresh content between print issues, offering a
forum for their communities, and adding more and more interactive features »
(Huffington, 2006). Le web devient ainsi le « collaborateur » indispensable de
l’imprimé, car il permet autant d’élargir le public du magazine que de fidéliser les
abonnés actuels en leur offrant une autre dimension de leur magazine. Voyons
maintenant comment ce phénomène se transpose du côté des magazines de mode
féminins canadiens de langue française.
Démarche de recherche utilisée
Nous avons mené une série d’entrevues semi-dirigées auprès de dix gestionnaires
de trois magazines de mode canadiens de langue française, soit Loulou, Clin d’œil
et Elle Québec. Nous avons également effectué une analyse descriptive des sites
web correspondants, ce qui nous a permis de recenser les applications et services
offerts. Chaque section des sites web des trois magazines sélectionnés a fait l’objet
d’une évaluation entre les mois de janvier et d’avril 2007. Après cette période,
nous sommes retournés observer les sites plusieurs fois afin de prendre les
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changements en note. Nous avons réalisé un examen des diverses composantes des
sites web pour ensuite créer des catégories et classifier l’information.
L’entrevue semi-dirigée nous a permis dans un premier temps de comprendre
l’univers dans lequel évolue le magazine de mode féminin d’aujourd’hui et, dans
un deuxième temps, de procéder à une analyse comparative des discours des trois
éditeurs quant à la cohabitation des différentes variantes du magazine. Les
catégories que nous avions établies lors de l’étude des sites web nous ont servi de
point de départ pour l’analyse des entretiens. Pour ce faire, nous avons procédé
selon deux niveaux : soit le déchiffrage structurel, c’est-à-dire l’analyse de
chaque entrevue de manière individuelle, et la transversalité thématique. Cette
étape nous a permis de repérer les similitudes et les différences dans les discours
et de relier certaines séquences intercalées, soit parce que le thème disparaissait
et réapparaissait ou encore parce que les manières de dire imposaient un
rapprochement.
Les fonctions du magazine
Une des craintes fondamentales que ressentent présentement les gestionnaires du
secteur des magazines est la disparition éventuelle des publications imprimées.
Non seulement le volume de parution de nouveaux titres est en décroissance,
mais les nouvelles au sujet de l’industrie du magazine en général semblent mettre
l’accent sur leur migration vers les plateformes numériques. Bien que le web
connaisse un succès indéniable, les résultats de notre étude indiquent que le
magazine imprimé conserve toujours de solides assises. La raison principale du
maintien de cet intérêt tient au fait que chaque déclinaison du magazine exerce un
rôle qui lui est propre. Afin de maximiser le rayonnement du magazine et d’ainsi
rejoindre une clientèle plus large, les éditeurs devront à l’avenir miser sur les
forces de chaque mode de distribution.
Le magazine imprimé : un plaisir à s’offrir
Nos entretiens nous ont permis de constater que les dirigeants de chez
Transcontinental, Rogers et Quebecor sont préoccupés par l’érosion graduelle du
modèle d’affaires traditionnel du magazine de mode féminin imprimé. Ils se
disent néanmoins confiants quant à l’avenir de celui-ci, d’abord parce qu’il est un
produit de niche, mais aussi parce que ce médium a des qualités particulières que
les usagers ne retrouvent nulle part ailleurs. Les propos de Jocelyne Morissette,
rédactrice en chef des sites web féminins chez Transcontinental (dont Elle
Québec) fait la synthèse de l’ensemble des réponses obtenues : « La mode va
demeurer un plaisir sur papier glacé. Actuellement, le fait d’avoir une photo de
mode sur un papier glacé, c’est encore un plaisir, c’est beaucoup plus beau que
ce que le web peut montrer […]. Dans le cas d’un magazine de mode, pour
l’instant en tout cas, le papier glacé a toujours sa place, et surtout dans le cas du
Elle où la photo de mode est une œuvre d’art en soi ».
Les données obtenues par Léger Marketing (2007) auprès des lecteurs de
magazines corroborent les propos des gestionnaires interrogés. Les répondants à
cette étude ont notamment évoqué le caractère sensuel du magazine imprimé, son
rôle de dispensateur d’information et de figure d’autorité. Dans la même veine,
une autre enquête, menée par Deloitte et Touche aux États-Unis en 2007, révèle
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que les trois quarts des répondants préfèrent lire l’information dans une
publication imprimée même si ce contenu est disponible en ligne (Steinberg,
2007). Ce constat nous amène à nuancer les propos tenus par Bruno Gauthier, du
quotidien Infopresse, qui avance que les gens n’attendent plus la parution des
magazines et se tournent dorénavant vers le web pour obtenir l’information dont
ils ont besoin (Cauchon, 2007a). Nous croyons plutôt que ce type d’habitude
n’est le propre que d’une partie négligeable de la population. Les différentes
études auxquelles nous venons de faire référence confirment que le magazine
imprimé conserve toujours sa place dans le secteur médiatique.
Le magazine en ligne : un service pratique
Lorsque mis en ligne, les magazines de mode féminins canadiens de langue
française exercent, autant pour les usagers que pour les dirigeants de l’industrie,
une fonction utilitaire (Léger Marketing, 2007). Les archives, les guides
shopping, les moteurs de recherche ainsi que les vidéos sont autant de
commodités offertes dans le but d’aider l’internaute à accéder facilement à de
l’information pratique. Ce type de stratégie reflète celle initiée par plusieurs
grands joueurs américains de l’industrie, dont Condé Nast, Hearst, Meredith et
Hachette Filipacchi, à savoir qu’il est préférable de ne pas transférer
intégralement l’information sur la Toile, mais plutôt de miser sur des applications
et des services que le magazine imprimé ne peut offrir (Steinberg, 2006).
Certaines de ces applications favorisent le dialogue entre l’usager et le magazine.
La participation des utilisateurs au site et l’aspect personnalisé de celui-ci sont
également au centre des réflexions que mènent actuellement plusieurs éditeurs.
Jocelyne Morissette explique sa vision d’avenir des sites web de consommation
féminins : « Ça pourrait être un plus grand lieu d’échange entre les internautes et
les producteurs de contenu […], sûrement un espace plus personnel par rapport à
l’internaute. Je pense que l’internaute va vouloir et on devrait pouvoir offrir la
possibilité à nos internautes de sélectionner les contenus qui les intéressent
davantage […]. Je dirais un lieu d’échange et un rendez-vous plus personnalisé
avec la marque. »
Les forums, les blogues et les espaces réservés aux commentaires sont
quelques exemples d’applications qui encouragent et valorisent
l’expérience de l’internaute, contrairement au magazine imprimé où le
point de vue éditorial prime avant tout. L’interaction en temps réel est un
autre aspect avec lequel le magazine ne peut rivaliser. Pour reprendre les
propos de Françoise Genest (2007), directrice générale web édition
grand public chez Rogers, le web est le seul média qui a l’avantage d’être
à la fois instantané et en mémoire. Contrairement au magazine imprimé
qui est produit chaque mois, le contenu du site peut être modifié en tout
temps pour demeurer à la fine pointe de l’actualité, tout en offrant les
archives des parutions passées.
Le magazine mobile : un fournisseur de contenu instantané
Malgré l’ampleur que prend l’utilisation du mobile à travers le monde, les
magazines de mode féminins de langue française demeurent timides face à ce
type d’initiative. Des trois magazines à l’étude, Loulou Web est le seul à
Bélanger et Desjardins / Le look numérique des magazines de mode
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transmettre à partir d’une liste d’abonnés des messages textes sur les appareils
mobiles pour des concours. Chez Transcontinental, on se dit attiré par cette
plateforme de distribution de contenu : « Oui, demain matin, ça nous intéresse de
pouvoir envoyer sur les téléphones cellulaires l’achat du jour, ou la
recommandation mode du jour du Elle Québec » (Morissette, 2007). Cependant,
ni Elle Québec ni Clin d’œil n’ont indiqué avoir un plan de développement de ce
côté. Diane Brosseau (2007), directrice des nouveaux médias chez TVA
Publications, estime que les coûts reliés à ce type de déploiement n’en valent pas
la peine et elle ne voit pas encore la pertinence de lire un article de mode sur un
écran d’appareil mobile.
Pourquoi alors ces magazines devraient-ils investir dans ce créneau? Nous
croyons que cette nouvelle plateforme aurait intérêt à être développée, car elle
s’acquitte d’un rôle différent de l’imprimé et du web. Si l’information sur le web
doit être fragmentée pour en faciliter la lecture, elle doit pouvoir être consommée
rapidement sur le mobile, estime Boris Fridman, directeur chez Crisp Wireless,
une compagnie américaine qui se spécialise en marketing mobile : « You have to
think about how to deliver millions of pages of content in small, timely doses.
Basically, when I access content on my mobile, I want something that’s a timekiller » (Kaplan, 2007). La popularité du magazine américain InStyle Mobile
témoigne de la forte expansion des services en mobilité. Une abondance de
contenus (nouvelles photos de célébrités et de vêtements, adresses de shopping et
nouvelles tendances) est consommée chaque jour sur des dispositifs mobiles
(Smith, 2007). Si elle est bien développée, la fenêtre mobile du magazine a le
potentiel de rejoindre un autre type de clientèle, tout en générant des revenus
publicitaires additionnels.
La mise en valeur de la marque par la voie du multiplateforme
Lors d’une de ses conférences, Chris Anderson, rédacteur en chef au magazine
Wired, mettait en relief une réalité du paysage actuel : « We now live in a “one
size fits one” culture » (2007). Cette assertion reprend la thèse principale de son
ouvrage The Long Tail (2006), à savoir que l’environnement médiatique actuel
permet à l’usager de consommer des contenus très pointus par le biais de divers
canaux de distribution, et ce, à n’importe quel moment. Avec le web, la réussite
d’un marchand ne se limite plus à la vente de quelques articles populaires.
L’accès en ligne à d’autres produits dits de créneau peut générer dans certains cas
jusqu’à 98% du chiffre d’affaires. Selon Anderson, les biens qui font l’objet d’une
faible demande, ou qui n’ont qu’un faible volume de vente peuvent, lorsque
regroupés, atteindre une part de marché comparable à celle des blockbusters. En
effet, lorsque cumulés, ces produits de créneau constituent au moins la moitié
des ventes d’un site comme Amazon ou Netflix. Ces commerces en ligne génèrent
des profits plus que satisfaisants vu le faible coût de stockage et de distribution
des produits. Dans cet environnement fragmenté, « mainstream media has to find
a way to compete », indique Anderson (2007).
Les répondants à notre étude reconnaissent que le magazine de mode féminin
a intérêt à diversifier ses formes de diffusion afin de satisfaire aux besoins de
chacun. À cet effet, Pierre Dion, président et chef de la direction de Groupe TVA,
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a d’ailleurs annoncé lors de l’assemblée annuelle de la compagnie en mai 2007,
que le secteur du magazine chez TVA Publications :
Ira de l’avant avec son modèle d’affaires marqué par l’exploitation
multiplateforme. Comme les auditoires sont de plus en plus fragmentés
et l’assiette publicitaire de plus en plus dispersée, il faut créer, produire
et distribuer des contenus sur l’ensemble des fenêtres de diffusion où se
trouvent les consommateurs et y amener avec nous les annonceurs
(Cauchon, 2007b).
Dans l’esprit d’augmenter la visibilité de leurs magazines et par conséquent
leur part de marché, les éditeurs des trois magazines que nous avons analysés
disent réfléchir à la possibilité d’accentuer trois principes liés au marketing, soit
la logique de complémentarité, la promotion croisée et la circulation de la marque
à travers les différents canaux de diffusion.
Une logique de complémentarité favorisée
Trois des personnes que nous avons interrogées [Morissette (Elle Québec.com),
Chaumont (Loulou Web) et Desmarais (Loulou)] appuient les principes de Kaiser
et Kongsted (2007) selon lesquels le magazine en ligne doit être un complément
à sa version imprimée. Les répondantes nous indiquent que le magazine en ligne,
bien qu’il fasse la promotion du magazine imprimé, tend à se détacher de celuici pour devenir une entité propre. C’est surtout le cas pour Loulou qui devient
Loulou Web une fois en ligne, et de Elle Québec, qui se mue en Elle Québec.com.
Leurs efforts sont concentrés à développer des contenus complémentaires, voire
même parfois exclusifs au web. En ce qui a trait à la crainte des répondants de
voir leur clientèle migrer de l’imprimé vers le web, les propos de Françoise
Genest de chez Rogers rejoignent ceux des chercheurs Oberholzer-Gee et
Strumpf (Kaiser et Kongsted, 2007 p. 8), à savoir que le contenu gratuit du
magazine en ligne attire un type de client qui n’achète généralement pas la
version imprimée. Une étude américaine publiée en août 2007 par
Nielsen/NetRating confirme d’ailleurs cette affirmation : « An average 83% of all
visitors to 23 large-circulation monthly magazines were consuming the magazine
content just online » (Sass, 2007).
Les dirigeantes chez Clin d’œil (Brosseau et Tardif) semblent beaucoup plus
réticentes à adopter le concept de complémentarité des deux médias. Contrairement
à ses concurrents, la stratégie de renvoi d’une version à l’autre chez Clin d’œil
s’opère plus difficilement. Nous expliquons cette attitude de deux façons : 1) le
contenu du site est sensiblement le même dans le magazine et 2) les éditeurs
n’attendent que deux semaines après la sortie de la version imprimée pour
transférer le contenu en ligne. Face à cette approche, nous adhérons au point de vue
des chercheurs Simon et Kadiyali (2007) au sujet du transfert intégral des articles
d’un magazine vers son pendant web. En suivant leur logique, les ventes en kiosque
du magazine seront inévitablement affectées puisque l’usager accède gratuitement
à plus de la moitié du contenu du Clin d’œil imprimé au moment même où celui-ci
est vendu en kiosque. Afin de tirer profit des deux déclinaisons, Jason Brightman,
directeur web chez Harris Publishing, suggère d’emprunter la stratégie mise en
œuvre par Loulou Web et ElleQuébec.com : « The more separate the content is, the
Bélanger et Desjardins / Le look numérique des magazines de mode
519
more reasons you’re giving people to get both » (Kinsman, 2007). Dans cet esprit,
les gestionnaires des magazines canadiens de mode féminine de langue française en
ligne devraient offrir des contenus réservés exclusivement à la plateforme web.
La promotion croisée : une stratégie à renforcer
Les répondants de deux des trois magazines à l’étude ont indiqué diverses
stratégies de renvoi promotionnel entre les versions web et imprimée du
magazine. Clin d’œil est le seul des trois magazines à concevoir son site web
uniquement comme le support promotionnel de sa version imprimée. Les
gestionnaires de ce magazine ne font pas appel à la stratégie de promotion
croisée puisqu’aucun effort n’est déployé pour que la version imprimée
publicise et mette en valeur le site web. Nous croyons que cette attitude vient du
fait que l’équipe craint de voir migrer son lectorat vers le site web qui, en plus
d’être accessible gratuitement, affiche presque la moitié du contenu que l’on
retrouve dans la version imprimée. Nous sommes enclins à adopter le point de
vue de Jocelyne Morissette, rédactrice en chef des sites web féminins chez
Transcontinental, quant à l’importance de considérer le numérique et l’imprimé
comme des partenaires : « On tend à voir que plus les sites web sont développés,
plus il y a un contact quotidien avec les communautés d’internautes. Ça a un
impact sur les abonnements du magazine et sur la notoriété du magazine. Donc
plus la marque est vue partout, plus la marque va avoir une grande notoriété »
(2007).
Parmi les initiatives à considérer, les magazines gagneraient à insister
davantage sur la stratégie de publicité croisée afin d’assurer la promotion des
différentes déclinaisons du magazine. Dans le cas de Clin d’œil, cette stratégie
sera applicable seulement si l’équipe décide d’abord de développer des contenus
distincts de leur version imprimée. On pourrait également ajouter l’hyperlien de
l’abonnement en ligne sur les cartes d’abonnement (« blow-in cards ») insérées
dans la version imprimée du magazine. Ceci aurait pour effet de stimuler une
augmentation de l’achalandage sur le site, en plus de promouvoir un moyen
pratique d’abonnement pour les consommateurs. Jusqu’à présent, Loulou est le
seul des trois magazines à avoir recours à cette stratégie. Les magazines imprimés
font souvent appel à des canaux promotionnels traditionnels tels que la télévision
ou la radio pour annoncer la sortie en kiosque de leur nouvelle parution. Il serait
fructueux de prendre quelques secondes supplémentaires pour communiquer
l’adresse du site web lors de ces réclames publicitaires.
Les gestionnaires pourraient également accentuer la visibilité de la version
imprimée du magazine en numérisant certaines pages et en les présentant sur leur
site web. Certaines compagnies comme Zinio ou iPagez se spécialisent dans la
numérisation de publications imprimées qui sont ensuite distribuées par courriel
à une liste d’abonnés. Dans ces cas de figure, les pages tournent d’elles-mêmes
ou sont activées par un clic de souris pendant qu’une musique se fait entendre à
l’arrière-plan. Une fonction permet au lecteur d’agrandir des images pour mieux
en apprécier les détails. La majorité des images que ces magazines contiennent,
qu’elles soient publicitaires ou non, sont des hyperliens qui conduisent vers les
sites web de compagnies. Nous croyons que l’utilisation de cette technologie
pour donner un avant-goût de la version imprimée ne peut que stimuler les ventes
520
Canadian Journal of Communication, Vol 34 (3)
L’image de la marque prédomine
de celle-ci. Loulou Web est encore une fois en avance sur ses concurrents et
propose un échantillon de sa publication imprimée en quelques pages, y compris
un sommaire et une table des matières du dernier numéro.
Pour les éditeurs canadiens, l’exploitation concurrente de différentes
plateformes s’avère une occasion idéale pour développer l’image du magazine et
augmenter sa part de marché. Françoise Genest de chez Rogers a d’ailleurs
souligné que son magazine est beaucoup plus qu’une simple publication : il est
un produit, une identité, une image, une réputation. Des trois magazines que nous
avons étudiés, nous estimons que Loulou est celui qui fait valoir le plus
efficacement son image de marque, en raison de la multiplicité de ses canaux de
distribution, sa présence lors d’événements shopping ou de beauté, de même que
ses produits griffés à l’effigie du magazine. Cette stratégie reflète d’ailleurs celle
proposée par différents éditeurs lors de l’événement annuel « American Magazine
Conference » de 2007. En effet, plusieurs conférenciers font mention du tout
nouveau terme « MagaBrand » pour désigner l’importance de l’image de marque
d’un magazine ainsi que de sa diffusion :
Magazines must expand the power of their brand into all corners of the
target audience’s consciousness […], into realms like “old” media
(books, television, radio); “new” media (podcasts, webcasts, cellcasts, enewsletters); even non-media (nightclubs, restaurants, fashion lines,
retail products) (Zinczenko, 2007).
Elle Québec accorde également beaucoup d’attention à son image, d’autant
plus qu’Elle est une marque forte, positionnée à l’échelle internationale dans une
trentaine de pays. L’équipe de Elle Québec.com a dernièrement redoublé d’efforts
pour mettre en valeur sa marque en s’associant à divers événements mode, ces
derniers étant filmés et intégrés au site web du magazine. Jocelyne Morissette
affirme qu’il faut développer davantage le lien d’appartenance des
lecteurs/internautes à la marque par la mise sur pied éventuelle d’une
communauté Elle.
Clin d’œil quant à lui semble se fondre dans un océan de marques créées par
Quebecor. Malgré le fait que ce nom soit établi depuis plus de 25 ans, son
potentiel de rayonnement est considérablement diminué une fois en ligne,
Bélanger et Desjardins / Le look numérique des magazines de mode
521
puisque, selon Danielle Tardif (2007), rédactrice en chef des magazines Canoë,
Clin d’œil doit répondre au gabarit de la marque Canoë en plus de se retrouver
sous l’étiquette Art de vivre, un portail qui regroupe plusieurs magazines féminins
de consommation. Contrairement à ce que pense sa collègue Danielle Tardif,
Diane Brosseau serait plutôt disposée à développer la marque Clin d’œil sur la
Toile : « Je pense que Clin d’œil va se détacher d’Art de vivre [...] , va devenir
un site en lui-même avec un branding beaucoup plus fort. Tu n’auras pas besoin
de passer par Art de vivre pour aller sur Clin d’œil, parce que Clin d’œil c’est une
marque forte, puis on ne mise pas dessus du tout pour l’instant au point de vue du
web. »
Le fait de retrouver les noms Clin d’œil, Art de vivre et Canoë dans un seul
et même site peut avoir comme conséquence de diluer les valeurs reliées à chacun
et ainsi déstabiliser l’usager quant à son rapport d’identification avec ces
différentes marques. De plus, bien que la stratégie « produce once, distribute
many » semble sourire aux éditeurs de chez TVA Publications, nous demeurons
perplexes quant au choix du contenu affiché sur le site de Clin d’œil. Comment
Clin d’œil se différencie-t-il de Fa ou de Femme + si les mêmes informations
sont accessibles à partir des trois sites? Les versions papier de ces magazines
visent non seulement des clientèles différentes, mais se démarquent également
par leur présentation, leur ton, leur format et surtout leur contenu. Nous
partageons donc le point de vue de Diane Brosseau (2007) selon lequel Clin d’œil
aurait avantage à redéfinir les paramètres de sa marque en ligne et à exploiter
celle-ci dans un site qui lui serait propre.
Conclusion
Les résultats de notre étude mettent en lumière l’idée selon laquelle chaque
version des magazines de mode féminins canadiens de langue française exerce un
rôle qui lui est propre. En raison de la « net-amorphose » (Bélanger, 2008) que
vit le magazine traditionnel, leurs gestionnaires sont appelés à diversifier leur
offre par l’exploitation synergétique de deux versions du magazine, soit :
• imprimé, qui est consulté pour ses propriétés tactiles et qui représente une
référence en tant que source d’information;
• en ligne, qui remplit une fonction utilitaire et présente des applications
interactives qui incitent à la conversation.
Suite à l’observation des initiatives de magazines mobiles mises en place aux
États-Unis et aux commentaires des analystes en regard de ce secteur en
effervescence, nous remarquons que le magazine mobile commence à se
développer à titre de fournisseur de contenu instantané. Les abonnés à ce service
sont susceptibles d’en faire l’usage pour consulter de petits articles ou encore
pour télécharger des vidéos de courte durée.
Nos entrevues révèlent également que les gestionnaires des magazines Elle
Québec et Loulou tentent de contrer le danger de cannibalisation de la version
imprimée par la présence du site web. Ils disent vouloir adopter une stratégie de
complémentarité non seulement au niveau de la distribution du contenu, mais
également en ce qui a trait à la promotion des différentes déclinaisons offertes.
522
Canadian Journal of Communication, Vol 34 (3)
Clin d’œil demeure quant à lui réticent face à l’adoption d’une telle approche. Les
réponses obtenues nous indiquent que les répondants en sont à leurs premières
expériences relativement à la diversification du contenu et de la promotion
croisée. Ils misent de plus en plus sur l’exploitation multiplateforme dans le but
de distribuer largement leur contenu et par la même occasion de faire rayonner
l’image de la marque de leur magazine.
En terminant, il nous apparaît pertinent, dans une recherche future,
d’interroger des professionnels de l’industrie pour connaître les stratégies qu’ils
comptent mettre en œuvre afin de demeurer compétitifs dans le milieu de
l’édition. Les données que nous avons incluses dans cette recherche nous
indiquent que ce secteur aura à trouver des moyens pour pallier à la fois
l’effritement du lectorat des magazines imprimés et la migration des revenus
publicitaires vers le Web.
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524
Canadian Journal of Communication, Vol 34 (3)
Annexe 1: Magazines a l’etude
Page
couverture
de la version
imprimée
Magazine
Loulou
Elle Québec
Clin d’Oeil
Éditeur
Rogers
Media Inc.
Transcontinental
Media Inc.
Quebecor
(TVA Publications/
Canoë)
Année de
lancement
(papier)
2004
1989
1980
Mise en
ligne
2004
2002
1999
Fréquence
10 numéros
par année
12 numéros
par année
12 numéros
par année
Cible
principale
Femmes de
18 à 35 ans
Femmes de
18 à 49 ans
Femmes de
18 à 49 ans
Cible
secondaire
Femmes de
14 à 49 ans
Femmes de
18 à 34 ans
Femmes de
18 à 34 ans
Revenu
familial
36% des lectrices
disposent d’un
revenu supérieur
à 30 000$
75 000$
et plus
53% des lectrices
disposent d’un
revenu supérieur
à 50 000$

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