Document - Crans Montana Forum

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Document - Crans Montana Forum
AQMI, SHEBAB, BOKO HARAM... le triangle africain.
L'exécution d'otages européens, un britannique et un italien, par Boko Haram, groupe
jihadiste nigérian qui jusque là ne s'était pas engagé dans l'enlèvement d'Occidentaux,
reflète l'évolution du péril terroriste en Afrique. La même semaine, les shebab du Nigéria
sont accusés d'un attentat à la grenade à Nairobi, et Al Qaïda au Maghreb Islamique réalise
un coup médiatique en relâchant ostensiblement un gendarme mauritanien ce qui n'entame
guère son "stock" d'otages. Et ce ne sont que des symptômes.
Triple violence
En effet, le danger jihadiste s'articule autour de trois pôles.
- AQMI né en Algérie (de l'ancien Groupe Salafiste de Prédication et de Combat) et
"rayonnant" via l'immense espace Sahara-Sahel au Niger, au Mali et en Mauritanie, avec ses
"katibas", ses unités mobiles. Aqmi est combattue par une force internationale dans le cadre
du Trans-Sahara Counterterrorism Partnership puis de l'opération Enduring Freedom TransSahara avec une importante assistance américaine. Tandis que la présence d'un mouvement
touareg le Mouvement National de Libération de l'Azawad dans la zone malienne en accroît
l'instabilité.
- Boko Haram au Nigéria mène le jihad contre les forces armées du pays. L'organisation de
son vrai nom "disciples du Prophète pour la propagation de l'islam et de la guerre sainte"
(Boko Haram étant un surnom qui signifie quelque chose comme "contre la culture
occidentale") est capable de mener de véritables batailles rangées et se spécialise dans les
attentats anti-chrétiens dans ce pays partagé entre deux religions.
- Enfin, les Shebab en Somalie, officiellement ralliés à Al Qaïda en Février. Ils combattent sur
place, outre l'armée somalienne des forces de l’Ouganda, du Burundi, de l’Ethiopie et du
Kenya venues porter secours au pays frère dans le cadre de la Mission de l'Union Africaine
en Somalie (AMISOM). Les shebab semblent également capables de mener des actions sur
les pays proches comme le montre un récent attentat au Kenya.
Les liens entre les trois organisations sont tenus pour avérés aussi bien par les autorités
locales, au Niger, au Nigéria, en Algérie.., que par les États-Unis et l'Onu. Boko Haram qui se
professionnalise rapidement envoie ses membres se former auprès d'Aqmi et les shebab
coopèrent avec les deux autres groupes.
Ces organisations vivent de trafics divers dont la drogue (avec un "couloir" permettant aux
trafiquants latino-américains d'approvisionner l'Europe via le Sahel) et, bien sûr, les armes,
dont les fameux missiles de Kadhafi disparus de Libye, et qui passent sans doute de main en
main en ce moment.
Leur synergie comprend l'assistance classique entre groupes de guérilla ou criminels, mais
repose aussi sur une commune référence au courant jihadiste salafiste. Cela ne signifie pas
qu'al Zawahiri, successeur de ben Laden, les contrôle ou leur donne des instructions. Il ne
dirige probablement plus grand chose et se contente de communiqués que les médias ne
reprennent plus guère sur une actualité qui lui échappe. C'est le principe "puisque les
événements nous dépassent, feignons de les organiser".
Simplement, al Qaïda, et ceci vaut pour ses branches au Yemen, en Irak etc, est devenue une
référence symbolique quasi nostalgique pour des groupes disparates, enracinés, et en pleine
évolution.
Les nouvelles synergies
L'idéologie des groupes africains - dont les puriste pourraient dire qu'elle se rapproche plus
de celle des Talibans que de l'internationale Salafiste et que leur wahabisme est assez
douteux- tient en un programme simple :
- lutte armée contre leurs gouvernements nationaux
- imposition de la charia
- refus de toute forme de "sécularisme", et notamment toute constitution ou institution se
réclamant la volonté du peuple et non de Dieu. D'où leur haine de toute forme d'influence
culturelle occidentale.
En plus de leur dérive criminelle liée aux multiples trafics et de leur propension
complémentaire à fonctionner en chefferies parfois rivales, les trois groupes ont en commun
leur ambition régionale. Certes, il leur arrive, outre les enlèvements d'Occidentaux, de s'en
prendre à des organisations internationales ou, comme les shebab, d'interdire l'action de la
Croix Rouge dans les zones qu'ils contrôlent. Globalement, ces jihadistes africains ne
rentrent guère dans la logique de guerre à "l'ennemi lointain", ni ne suivent la stratégie qui
en découle : des attentats sur toutes les cibles occidentales dans le monde.
Surtout, le trait commun le plus inquiétant des trois groupes est leur capacité de mener
simultanément (chacun dans une proportion différente) des activités complémentaires :
- attentats suicide comme en pratiquent les groupes clandestins jihadistes
- action ouverte de commandos en arme contre des policiers et des militaires, attaques de
bâtiments officiels, de casernes et de prisons, prise en main de zones entières, le tout dans
une logique de guérilla
- enlèvements d'Occidentaux qui servent à financer leurs activités et témoignent d'une
compréhension de l'impact des médias internationaux (avec une présence sur Internet, par
exemple)
- alliances avec le crime organisé international, suivant une dérive mafieuse.
Ce nouveau terrorisme qui fait des centaines de morts autant dans l'Ouest africain que dans
la zone hypersensible du golfe d'Aden est une préoccupation majeure pour les pays africains
qui en soulignent la dimension internationale. Lors des dernières rencontres Sud/Sud
organisées par le forum Crans Montana en Mars, les interlocuteurs étaient unanimes à ce
sujet.
Mais même si la volonté ou la capacité de frapper hors de la zone africaine des trois
organisations est pour le moment très théorique, ce terrorisme mutant et "toutes
compétences" a un potentiel de déstabilisation énorme dont la communauté internationale
aura de plus en plus à se préoccuper.