Télécharger en PDF

Transcription

Télécharger en PDF
supplément
Portrait d’artiste
Julien Marinetti
L’artiste se veut d’abord
artisan. Ses sculptures
figuratives, Julien
Marinetti les façonne
dans la terre, les moule,
puis les transforme en
bronzes, une matière
essentielle, choisie pour
sa beauté intrinsèque.
Par Thomas Jean
Comme un chien fou
Itinéraire d’un peintre et sculpteur qui s’invente et se renouvelle sans cesse
sous l’œil de Doggy John, cet ami d’enfance aux mille costumes qui l’a propulsé sur le devant de la scène.
Doggy John – No Dog
Doggy John – Bad Dog
Doggy John – No Gain
Doggy John – sans titre
Doggy john. 2009, bronze, acrylique et laque, pièceS uniqueS, 36 cm.
130
Beaux Arts
Beaux Arts
131
supplément Portrait d’artiste Julien Marinetti
Le parcours d’un outsider
«Je n’avais pas d’argent
pour payer un modèle.
Alors j’ai peint mon propre
bouledogue !»
C
es bouledogues-là frayent dans le grand luxe. Le Plaza Athénée, mythique palace
parisien, en accueillait l’an dernier quelques spécimens dans sa cour intérieure, pour
une exposition temporaire. C’est au tour du New York Palace, sis au 455, Madison
Avenue, d’exposer une vingtaine de ces «Doggy John» – c’est leur nom – ainsi qu’une
sculpture monumentale jusqu’à la fin septembre 2011. Derrière ces chiens de bronze,
peints et laqués, un outsider français : l’artiste Julien Marinetti.
Voilà pour les paillettes. Mais en amont de ce succès plutôt tardif – l’artiste a 44 ans – se cache une
vie heurtée, secouée de cahots, qui a trouvé dans la création sa seule bouée. Il faut dire que l’amour
de l’art, on l’a dans le sang chez les Marinetti. Un grand-père peintre à ses heures perdues. Un
parent éloigné, Filippo Tommaso Marinetti, fer de lance du futurisme en Italie. Un père reporterphotographe et une mère directrice d’école de théâtre qui élèvent le jeune Julien dans le culte des
beaux-arts. Giverny, 1974 : révélation. «C’est en admirant Monet que j’ai su que je ne lirais plus
jamais, raconte-t-il. Je me contenterais de regarder les images.» Alors il fuit l’école, lui préférant
la contemplation. Celle des chefs-d’œuvre du Louvre, juste en face de l’appartement familial. Celle
des sculptures de Paul Belmondo, dont il fréquente l’atelier en voisin. Dès l’adolescence, il peint, sculpte,
dessine sans relâche. Conviction : elle est pour lui, la vie d’artiste. Mais elle est bien ingrate.
Un chien devenu icône planétaire
Popy. 2009, bronze, techniques mixtes
acrylique, collage et laques 13 kg , 39 cm.
KWAK - MOSCOW - 2009
Bronze - 50 cm - Acrylique et laque - Pièce unique
Bronze - 19,68 in - Acrylic and laquer - Unique piece
Kwak – Moscow. bronze, acrylique et
laque, pièce unique, 50 cm.
132
Beaux Arts
Pendant des années, les jobs alimentaires se succèdent, toujours un peu romanesques. «Vendeur
de livres dans les îles grecques, prof de dessin pour un cours de bande dessinée, directeur d’une
école de danse, énumère-t-il. Et j’en passe !» Malgré tout, obsédé par la peinture, il produit tableau
sur tableau quand ses finances lui permettent d’acheter l’huile, les toiles et les pinceaux. «Mais quand
on crée viscéralement, sept jours sur sept, tout en étant persuadé d’être nul, on tombe en perpétuelle dépression.» Car la reconnaissance se fait attendre. De cette période de vaches maigres,
Julien Marinetti a gardé ce spleen qui vient poindre sous des dehors fanfarons : «J’évite de me
rendre à mes vernissages, tellement j’ai parfois honte de moi», avoue-t-il. Sa fierté, il la retrouve
dès qu’il parle de son Doggy John. Car c’est ce chien qui l’a sorti de l’anonymat. Un motif canin qui
apparaît d’abord sur toile, en 1998, un peu par hasard. «Je n’avais pas d’argent pour me payer un
modèle. Alors j’ai peint mon propre bouledogue !» s’amuse-t-il. Puis le chien devient sculpture, pour
plus de réalisme. Il le baptisera John, référence sibylline à Tom Ford et Richard Buckley : il croise
POPY - POPY’S FRIENDS - 2009
les etdeux
de la fashion, en promenade avec leur cabot, un fox-terrier dénommé John.
Bronze souvent
- 60 cm - Acrylique
laque -stars
Pièce unique
Bronze - 23,62 in - Acrylic and laquer - Unique piece
Et rêve d’une même aura glam pour son chien sculpté.
La voilà qui se dessine. Sur ses John de bronze, Julien Marinetti a l’idée d’apposer une peinture
au style violemment coloré, comme une mise en 3D de ses tableaux. Le galeriste parisien Laurent
Coquant est séduit. Bien avisé, il flaire dans ces «peintures-sculptures» un vrai potentiel et décide
de l’intégrer à son catalogue. «Il a été pour
moi un vrai guide, commente l’artiste. Il m’a
diffusé partout. Mais il m’a fait mener un
rythme d’enfer.» Le prix à payer pour inonder
le monde d’une meute plutôt rentable de
Doggy John. Depuis, Julien Marinetti fait
cavalier seul, n’accordant plus d’exclusivité :
des galeries de Genève, New York ou Paris le
représentent. Car la machine est lancée ; son
principe de peinture-sculpture, il l’a désormais
élargi à Popy l’ours, Kwak le canard et Skull
le crâne. Des effigies naïves et acidulées dont
raffolent quelques collectionneurs fortunés.
Mais ne comptons pas sur ces succès pour
apaiser l’artiste : il sculpte, polit, laque, jour et
nuit. Frénétique, il s’adonne aujourd’hui de
nouveau à la peinture et exécute à toute vitesse
de grands tableaux ni abstraits ni figuratifs, au
trait sauvage. Julien Marinetti, c’est un chien
fou de l’art, dont l’appétit ne sera jamais
rassasié.
Skull – Hard life. 2009, bronze, acrylique et laque, pièce unique, 42 cm.
POPY – FINGERS. 2009, Bronze,
Acrylique et laque, Pièce unique, 60 cm.
KWAK – THE DAY AFTER. 2009, Bronze,
Acrylique et laque, Pièce unique, 50 cm.
POPY - 2009, Bronze, Acrylique
et laque, Pièce unique, 60 cm.
Beaux Arts
133
supplément Portrait d’artiste Julien Marinetti
supplément Portrait d’artiste Julien Marinetti
Décryptage
Le primat de la forme
Le discours, la politique, les concepts, très peu pour Julien Marinetti. L’objectif qu’il
s’assigne: servir la beauté dans le plus grand respect de la forme et des techniques. Pour
cela, deux médiums : la peinture et la «peinture-sculpture». La première, il l’exerce
depuis toujours, et après quelques flottements, semble avoir trouvé son langage : de
grandes toiles vives où les motifs abstraits s’entrechoquent. Même style pictural dans
ses peintures-sculptures. Il se sert de sculptures figuratives – chiens, ours, canards et
crânes, donc – comme de toiles en 3D. Avant cela, il les façonne dans la terre, puis les
moule. Une fonderie les transforme en bronzes, une matière essentielle pour l’artiste,
qui déclare comme une sentence : «Plus on s’éloigne de la beauté intrinsèque du bronze,
plus on s’éloigne de l’art.» Goût de la belle ouvrage et des méthodes séculaires, Julien
Marinetti assume ses traditionalismes.
Les outrances de la couleur
La couleur est incontournable pour cet artiste dont les toiles et peintures-sculptures
explosent en gerbes chromatiques. Difficile de croire que ses premiers Doggy John, au
début des années 2000, n’étaient que retenue – des chiens monochromes. Mais bien vite,
une évidence : le foisonnement de couleurs donne un coup de fouet à ces à-plats et ces
peintures-sculptures qu’il qualifie d’«hypnotiques». Un adjectif que sa peinture pure ne
renierait pas. Elle se déploie en entrelacs acidulés, un orange fluo qui jouxte un rose vif,
un vert pomme dégorgeant sur un bleu pâle. Julien Marinetti, c’est la couleur qui aboie.
sans titre. mars 2011, acrylique, 150 x 150 cm.
Les influences sublimées
On décèle du Basquiat chez Julien Marinetti : ces chocs de couleur, ces réminiscences
tribales. Du Wifredo Lam, aussi, pour ces silhouettes s’esquissant dans un chaos organisé.
Mais Julien Marinetti préfère revendiquer d’autres influences. Celle des arts océaniens,
par-dessus tout, dont il admire la violence. On la retrouve dans ces visages, masques
terribles qui ornent ses toiles et ses sculptures. Il en appelle encore à d’autres magiciens
de la couleur : Pablo Picasso, Henri Matisse, Fernand Léger, Karel Appel. Ou au
Caravage et à Francis Bacon pour leur traitement des corps et silhouettes. «Ils sont tous
dans mon inconscient, affirme-t-il. Car moi qui suis myope, j’aime à penser que je ne
peins qu’avec mon surmoi.» Une peinture qui vient des tréfonds de l’esprit. Où les visions
de Julien Marinetti, hantées ou enchantées, dialoguent avec les grands maîtres.
JM IS CRYING. 2009, Acrylique et laque 130 x 97 cm.
Beaux Arts
135
supplément Portrait d’artiste Julien Marinetti
supplément Portrait d’artiste Julien Marinetti
Dans l’antre de l’artiste
C’
«L’an dernier j’ai vendu
autour de 400 œuvres
mais j’ai dû en produire
plus de 600... Si je ne peins
pas, je suis bon pour
l’hôpital psychiatrique.»
est dans une ancienne triperie industrielle d’Ivry-sur-Seine que Julien Marinetti a
installé son atelier. De cette bâtisse grisâtre sortent chaque année des centaines de
Doggy John et autres œuvres multicolores. Alors on imagine l’artiste encerclé de
sbires, produisant ses chiens à la chaîne, façon usine de l’art. On se trompe. Ici, il
travaille en quasi solitaire. Seul un assistant chargé de l’intendance passe de temps
à autre. On entre. Partout des toiles, posées contre les murs ou sur le sol de béton brut. Omni­
présentes, ses sculptures fétiches, Doggy John et autres ours Popy, format poche ou bien king size.
Et puis des pots de peinture par dizaines, des pinceaux toutes catégories. Le fantasme littéraire et
bohème de «l’atelier d’artiste» émerge sous nos yeux.
Dans un recoin, une incongruité cependant : un banc de musculation aux complexes rouages.
Il n’est pas là pour la frime. C’est qu’il faut s’entretenir pour manipuler des pièces en bronze
de plusieurs kilos et tenir la cadence d’un grand tableau par jour. «L’année dernière, j’ai vendu
autour de 400 œuvres, confie-t-il. Mais j’ai dû en produire plus de 600.» Un stakhanoviste qui,
sans ce rythme effréné, se perdrait. «Si je ne peins pas, je suis bon pour l’hôpital psychiatrique»,
ajoute-t-il. Et il parle comme il peint : vite et beaucoup. Avec cette volubilité qui lui fait oublier
les sonneries fébriles du portable. «Oh, peut-être un marchand ou un gros acheteur, rigole-t-il.
Mais peu importe, continuons.» On passe à l’étage. C’est là qu’il entrepose ses toiles de jeunesse.
Il en déplie une bonne cinquantaine et s’amuse : «Quand je vois ce que je faisais, je trouve ça
parfois si moche !» De fait, entre tentatives néocubistes et tâtonnements pop, son style s’est
longtemps cherché. Sa première œuvre à base de bouledogue, sur toile, n’affiche d’ailleurs
qu’une lointaine parenté avec les Doggy John
d’aujourd’hui ; c’est une silhouette canine, grise,
peinte à l’huile sur fond blanc. Une toile de 1998
qui gît parmi des centaines d’autres. On y voit des
nus, des autoportraits qui reflètent un goût certain
pour les corps noueux et la peinture académique.
En explorant cette profusion, c’est la genèse de
son univers que nous conte Julien Marinetti. Un
catalogue grandeur nature qui met à jour ses doutes,
ses errements et ses flamboiements.
expositions
> «Julien Marinetti – Doggy John».
Du 9 mai à fin septembre 2011.
Une sculpture monumentale et une vingtaine
de Doggy John exposés au New York Palace,
455, Madison Avenue, New York.
> «Julien Marinetti – œuvres picturales».
Du 18 au 25 mai à l’espace GenevArtspace.
Puis à Los Angeles et Singapour.
136
Beaux Arts
Beaux Arts
137

Documents pareils