Intro-_du_con_au_fA_minisme_ge... - UPEC-UPEM

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La poésie de Marı́a Castrejón : du con au féminisme
genderqueer
Claire Laguian
To cite this version:
Claire Laguian. La poésie de Marı́a Castrejón : du con au féminisme genderqueer. 2012.
<hal-00747889>
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Submitted on 2 Nov 2012
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Introduction à l’œuvre de maríacastrejón : du con au féminisme genderqueer.
Claire Laguian, Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, LISAA (EA 4120)
La première de couverture1 du recueil volverémuchomás tarde de las doce2 (je
rentrerai beaucoup plus tard que minuit3), provocatricetout comme le premier vers « No
me sale delcoño »(« Ça ne me vient pas du con »), donne immédiatement le ton de la
poésie de maríacastrejón4 : une poésie écrite par une femme fière de l’être, une poésie
dont les mots – souvent noirs – restent gravés dans nos corps en jouant subtilement
avec le genre. Cela n’est donc pas anodin que l’auteur madrilène d’un essai sur le
roman lesbien en Espagne5 et d’une thèse (en cours) sur le transgenre littéraire, ait
choisi pour la couverture de son premier recueil poétique de recouvrir son corps nu
de mots utilisés par les romancières espagnoles pour symboliser l’organe sexuel
féminin de manière métaphorique.
Il n’y a rien de métaphysiquedans cette poésie du quotidien,mais des
enchaînements de négations nous font oublier si nous sommes homme ou femme(et
si nous aimons femme ouhomme ?).Une rébellion permanente synthétisée dans le
seul titre du recueil, une ode à la « nocturnité » et à une « bizzarattitude »souvent à la
limite du destroy et du trash.Une déferlante de versdans un rythme saccadé nous
présente donc une contre-poétique provocatrice et sans ornements6, qui réussit à être
en même temps un symbole de littérature féministe7 et queeren déconstruisant les
catégories, les étiquettes et en criant la colère de la poète : une écorchée vive au
milieu de cette société (de consommation) qu’elle dénoncenotamment pour sa haute
dose de superficialité8.
Cette poésie souvent polysémique et saphique, fantasmant sur les femmes
d’âge mûr9 ou les infirmières10, s’affirme volontairement contre les poèmes d’amour
sentimentaux. Cependant, la sensualité n’est pas exclue, notamment par l’obsession
de la sueur et des aisselles féminines11 ou par une tentative érotique de déjouer la
servitude animale des femmes dans les mariages forcés12.Le mélange des genres est
particulièrement efficace dans « hadès » et
« Fille n°6 », où la voix poétique
s’assimile au dieu grec maître des Enfersou à un individu de sexe masculin13 :
« comme si je soulevais ta jupe », « Je suis la fille qui veut juste te baiser », « et je te
dis que c’est beau que tu me la suces lentement / que tu entrouvres tes jambes pour
moi dans mon château ». La poète va même jusqu’au refus d’avoir un corps tout
court (« anti corps »), ou un corps marqué par un genre14malgré les tentatives
deréconciliation avec son corps grâce à des jeux de mots ou de sonorités qui
fonctionnent particulièrement bien15.
Nous ne pouvons conclure sans évoquer la musicalité de cette écriture, qui
reste ancrée dans le rythme naturel de l’alexandrin espagnol (14 pieds) et du
dodécasyllabe16, et quiapparaît également dans l’unique rime assonante en –a- que
l’on retrouve tout au long des poèmes: ce n’est bien sûr pas un hasard puisque la
voyelle A est la marque du genre féminin en espagnol… Le seul poème où le son -o-,
celui de la masculinité, est prépondérant est le premier texte où il est justement
question de « coño », c’est-à-dire du« con », pourtant marque biologique du
féminin… Ou quand les genres ne sont plus ce qu’ils croient être…
1Cf.
la photo de la première page du texte « Yo, yomisma y mi musa » (« Moi, moi-même et ma
muse », notre traduction) appartenant au même dossier.
2 Recueil vainqueur du prix de littérature LGBT de poésie « Desayuno en Urano » en 2011 (après Juan
Antonio González Iglesias en 2010) et publié chez Egales.
3 Notre traduction (ici, toutes les occurrences poétiques et les titres en français sont de notre fait).
4Sans majuscules, volonté de la poète dans le but de « déhiérarchiser ».
5 Castrejón, María, …que me estoy muriendo de agua. Guía de narrativa lésbica española, Egales, BarceloneMadrid, 2008.
6Sur ses divers blogs, la poète lutte fermement pour la « dépathologisation » de la poésie
(http://porladespatologizaciondelapoesia.blogspot.fr/) afin que cet art soit mieux diffusé et à la
portée de tous. Elle revendique la poésie comme une arme politique en temps de crise
(http://periododereflexion.blogspot.fr/) et s’évertue à organiser des lectures poétiques ou
performances, sans oublier de diversifier son activité par descollages ou des romans graphiques.
7 La poète essaye même d’approcher les hommes au féminisme avec son annexe découpable « offres
non-cumulables ». Il s’agit d’une nouvelle forme provocatrice de marketing pour que les hommes
soient sensibilisés à ces revendications : « Les femmes peuvent lire gratuitement ce poème, / et pour
les hommes ça leur coûtera moitié-prix / s’ils le lisent avec l’une d’entre elles ».
8Cf. la forme particulière du « poème à deux voix » qui illustre à merveille les problèmes de
communication et le non-sens de nombreux échanges humains.
9 « s’assied la femme / que réellement / tu désires et elle donne à manger / à son fils des croquettes
de / jambon ibérique » (« poème à deux voix »).
10 « je déchire les pantalons des infirmières / (elles ont des culottes de gaze verte / et une épilation
brésilienne). » (« le centre hospitalier »).
11« Lèche la sueur des aisselles […] / Une femme nettoie les boîtes aux lettres / en traçant des cercles
avec ses doigts. / Je ne suis pas capable de m’approcher / pour vérifier ce que ça sent. » (« voix ou
tape ») ; « je me plonge dans le fond de tes aisselles pour les fuir. »(« je n’écris pas de poèmes
d’amour »).
12 « Effleurez vos seins avec leur peau », « effleurez avec elles votre entrejambe », « Votre fils a besoin
de bottes / et vous d’une jeune fille / qui vous accompagne, / Mary Jones / quand les hommes
abandonneront / le tapis. (« Mary Jones »).
Alors que parfois elle rejette violemment les hommes : « Je suis dégoûtée par les chauffeurs de taxi
qui / sans le vouloir embrassent / leurs femmes / sur les commissures des lèvres » (« Je suis le pôle
opposé »).
14 « Je ne veux pas de corps / de stigmates de talons / ni de bite ni de con » (« anti corps »).
15 « Me con-bocas » : ici le verbe « convocar » signifie « convoquer », mais en espagnol, les lettres –B- et
–V- se prononcent souvent de la même manière, ce qui permet à la poète d’introduire le mot « boca »
signifiant bouche (d’où notre traduction « tu m’inter-pelles », jouant avec le terme de « pelles » lié aux
baisers).
16 Que nous avons systématiquement traduits par des alexandrins français, parfois avec l’aide du –emuet prôné par Jacques Réda pour sa capacité de « tension-détente » qui fait que l’on peut ou non le
compter.
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