Waffen-SS, maquisard puis engagé volontaire - Malgré-Nous

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Waffen-SS, maquisard puis engagé volontaire - Malgré-Nous
COLMAR ET SA RÉGION
Q JEUDI 31 JANVIER 2013
COLMAR Incorporation de force
Waffen-SS, maquisard
puis engagé volontaire
Albert Baradel appartient à cette maudite classe 26, en grande partie versée dans la Waffen-SS. Cet habitant du Bonhomme
a réussi à s’évader alors qu’il se trouvait en Italie puis à rejoindre les troupes alliées. Récit.
50 %
DE LA CLASSE 26
Au total, 21 classes ont été
mobilisées en Alsace contre 14
en Moselle ou huit au Luxembourg. Environ la moitié des
incorporés de la classe 26, celle
d’Albert Baradel, a été mobilisée
dans la Waffen-SS tout comme
une partie des classes 1908
à 1910 et 1924. Selon l’historien
Nicolas Mengus, « environ 2000
Alsaciens de la classe 26 ont été
versés dans la Waffen-SS, mais
ce ne furent pas les premiers
puisque des hommes de classes
bien plus anciennes, déjà soldats français en 39-40, ont été
incorporés de force dès 43. En
fait, faute de recensement, on
n’a que des “estimations” ».
Il y a également eu des volontaires. Albert Baradel évoque dans
son récit ce Lorrain, devenu
instructeur après avoir été engagé dans la division SS Totenkopf.
« Ce caporal-chef nous expliquait les ordres en français et
nous commandait en allemand ! » Cet homme s’était fait
passer pour un incorporé de
force auprès des autorités françaises et avait réussi à intégrer
une unité française à Blida, en
Algérie. Et c’est justement Albert
Baradel qui l’a confondu, un peu
par hasard. « Je l’ai reconnu à
Blida et je l’ai dénoncé au 2e
bureau [services de renseignement] ».
Lorsque Albert Baradel se trouvait, au printemps 44, au camp
de rassemblement de la division
Totenkopf, à l’est de Tarnopol, il
a croisé un volontaire français de
la division Charlemagne, portant
l’uniforme des Waffen-SS avec
un écusson bleu-blanc-rouge à
l’épaule. « De quoi nous
écœurer, nous, incorporés de
force ! »
Cérémonies samedi
et dimanche
Une cérémonie à la mémoire
du chef d’escadron Joseph de
Préval se déroulera samedi à
11h30, devant la plaque
commémorative, à l’entrée
de la place du CapitaineDreyfus à Colmar. L’actuel
chef de corps du 152e régiment d’infanterie, le colonel
de Préval, rendra hommage à
son grand-oncle, grièvement
blessé au cours des combats
lors de l’entrée dans Colmar,
le 2 février 1945. Le commandant de Préval commandait alors une unité du Combat Command n°4, au sein
de la 2e division blindée. Le
patron des Diables Rouges
déposera une gerbe, accompagné d’un représentant de
la ville de Colmar. Le lendemain auront lieu les cérémonies commémoratives du 68e
anniversaire de la Libération,
à 9h45, au mur du souvenir,
place du 2-Février à Colmar.
A 10 h30, un office religieux
se déroulera à la collégiale
Saint-Martin. La nécropole de
Sigolsheim accueillera élus
et anciens combattants, à
11h30.
! Dans le cadre de ce 68e
anniversaire, les DNA publient une série de trois
portraits. A lire demain, le
témoignage de Joseph-Jean
Naviner, ancien du RMT,
régiment de marche du
Tchad et après-demain, celui
de Nicolas Torregrossa, artilleur durant la dernière guerre.
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M
arqué à jamais. Par
la perte de ses copains durant son incroyable épopée en
1944 ; marqué aussi par ce
sous-officier allemand, prisonnier comme lui des Américains,
à qui il ose dire : « Leck mich
am arsch ! (*) » « Ce gros boche,
un colosse, m’a donné une telle
gifle ! J’ai l’impression que ça
résonne encore dans ma tête. Je
lui avais balancé cette phrase
qui venait du fond du cœur. Je
détestais tellement les Allemands… »
Marqué enfin par cet uniforme
de Waffen-SS qu’il a porté en
1944 avant de pouvoir se faire
la belle malgré les risques encourus. « Tous les jours, je revois les images de cette guerre », lâche Albert Baradel, 87
ans cette année, le bras droit
tremblant, séquelle de son malheureux baptême du feu, en
mai 1944, bombardé par des
P47 américains.
« On nous avait
dit qu’il s’agissait
de troupes d’élite,
fanatisées »
Ce Welche du Bonhomme, qui
réside dans la région de SaintDié (Vosges), avait été élevé
dans la haine de l’occupant.
« C’était l’état d’esprit de la famille. On disait souvent que le
meilleur d’eux ne valait rien ! »
Alors, lorsque le 12 avril 1944,
il reçoit l’ordre de se rendre à la
gare de Mulhouse pour son incorporation dans la Waffen-SS,
c’est l’effondrement chez les
Baradel.
De cette unité de l’armée nazie,
il ne sait rien ou presque. « On
nous avait dit qu’il s’agissait de
troupes d’élite, fanatisées ». Albert Baradel ne portera cet uniforme honni que 52 jours.
Après un voyage qui le mène de
l’Alsace à l’Italie en passant par
la Pologne puis la Hongrie, l’Alsacien se pose en Toscane où
son régiment est en réserve, à
une cinquantaine de kilomètres du front. Mi-juin, simulant
une blessure à un pied, il est
autorisé à se rendre à l’infirmerie située à l’extérieur du cantonnement.
Sur la route, il croise le regard
d’un Italien, francophone, à qui
il explique son état d’incorporé
de force. Son destin bascule
Albert Baradel : « Au moment de mon incorporation, j’ignorais ce dont étaient capables les Waffen-SS ».
PHOTO DNA-JULIEN KAUFFMANN
alors. L’homme en question est
en lien avec la résistance italienne. Il lui indique l’endroit
où il peut se réfugier s’il compte s’évader. Ce que Albert Baradel fait avec un camarade. « Je
n’en tire aucune gloire. Il n’y
avait pas de fusil derrière
moi ! »
« Sans le savoir, on s’est
retrouvé en plein no man’s
land, bombardé par
les artilleries allemande
et américaine »
Le déserteur sera pourtant
pourchassé. Après trois semaines passées avec les maquisards, où il perd deux camarades comme lui évadés, Albert et
un autre déserteur décident de
rejoindre les lignes américaines. Mais le chemin qui y mène
est parsemé d’embûches. « On
a été pris entre deux feux ! Sans
le savoir, on s’est retrouvé en
plein no man’s land, bombardé
par les artilleries allemande et
américaine. En plus, on ne pouvait pas se protéger. Je crois que
je n’ai jamais autant récité mon
chapelet qu’à ce moment-là ! »
Et quand ils arrivent à difficilement poursuivre leur marche
vers les Alliés, ils tombent dans
Albert (à gauche) et trois autres incorporés, déserteurs comme
lui et réfugiés dans le maquis italien. DOCUMENT REMIS
Albert (à droite sur la photo) sur un chantier de terrassement dans le Palatinat.
un terrible champ de bataille.
« Ça puait le sang, la chair humaine ».
Arrivés à destination, ils sont
désarmés et faits prisonniers.
« Au PC, on nous a mis torse nu
car ils voulaient vérifier que
l’on ne portait pas de tatouages
comme les SS ».
Après 14 jours de captivité, les
deux Alsaciens sont remis aux
autorités françaises, à Naples.
Albert signe alors un engagement dans les troupes françaises et se retrouve dans l’armée
de l’air, à Blida en Algérie. Il est
démobilisé à Nancy en novembre 45.
Son histoire, il l’a écrite en
2008 pour sa famille, ses petits-enfants surtout, toujours
désireux d’en savoir plus sur la
guerre de leur grand-père. Et
son incorporation de force dans
la Waffen-SS, c’est un poids
qu’il a longtemps porté. « Depuis quelques années, je le dis
à qui veut bien l’entendre »,
affirme-t-il. Celui qui habite
dans les Vosges depuis 1949, se
rappelle avoir été traité de « bo-
che » à Saint-Dié. « Mais combien de gens, même dans un
département limitrophe de l’Alsace, n’ont pas entendu parler
de l’incorporation de force ! »
NICOLAS ROQUEJEOFFRE
R
Q (*): «Lèche-moi le cul ! »
DOCUMENT REMIS
Q Le témoignage exhaustif de M.
Baradel est à retrouver dans
l’ouvrage cosigné par Nicolas
Mengus et André Hugel : Entre
deux fronts, les incorporés de force
Alsaciens dans la Waffen-SS, aux
éditions Pierron (volume 2).
BARBARIE NAZIE
Lorsque Albert Baradel cite les scènes qui restent gravées dans sa
mémoire, il évoque cet épisode vécu dans le camp de regroupement
de la division Totenkopf au Heidelager à Debica en Pologne. « Dans
une gare toute proche, alors que nous attendions la mise en place
d’un train, nous avons pu observer un groupe d’ouvriers, en uniforme
rayé, sous la surveillance d’un soldat. S’apercevant qu’on regardait
ces hommes, le sous-officier qui nous accompagnait nous a ordonné
de faire demi-tour afin de ne plus les regarder. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris qu’il s’agissait d’un commando de
déportés ».
Autre terrible rencontre, celle avec un ancien rescapé des camps de
concentration, en juin 45, dans la gare de Lyon. « Une assistante
sociale recherchait de quoi ficeler les bagages d’une personne qu’elle accompagnait. Je lui ai donné une cordelette et l’homme à qui
j’avais rendu service est venu me remercier. Il avait un bras en écharpe et un gros pansement à la main. Il m’a confié qu’on lui avait
arraché les ongles. Et puis, de son autre main, il a tiré sur sa langue
qui ressemblait à une passoire. Elle avait été perforée de coups de
couteaux… »

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