LE FAIT DU JOUR 59% - Retour vers le bahut

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LE FAIT DU JOUR 59% - Retour vers le bahut
02
LE FAIT DU JOUR
Le Parisien
Samedi 6 juin 2015
n L’ÉDITO
Avec
le temps…
Merci les profs !
I
ÉDUCATION. Les enseignants se jugent mal aimés, mais 2 Français sur 3 ont une
bonne image d’eux. Aujourd’hui, la première Fête des profs est l’occasion de le leur dire.
FRÉDÉRIC VÉZARD
[email protected]
Comment
participer
IL Y A MILLE FAÇONS de fêter
les profs et deux sites Internet
pour vous y aider.
n Retourverslebahut.fr recense
des initiatives organisées
aujourd’hui pour réunir anciens
élèves et enseignants et
retourner dans les collèges et
lycées de son adolescence. Près
d’une quarantaine de rencontres
sont affichées sur ce site avec
les adresses : verres de l’amitié,
dîners, visites et même des
concerts ou des expositions
comme par exemple au lycée
Molière à Paris ou au collège
Marcelin-Berthelot à Toulouse.
Retour vers le bahut permet
aussi de contacter les
associations d’anciens élèves…
voire d’en créer une, pour que
la fête soit encore plus belle
l’an prochain.
www.retourverslebahut.fr.
n Fetedesprofs.fr propose de
(re)créer des liens entre parents,
élèves et profs. Il invite lui aussi
à organiser des rencontres durant
tout le mois de juin et donne des
idées dans la rubrique Je
participe. On peut envoyer un email à [email protected]
afin que le site fasse connaître
son initiative via les réseaux
sociaux. Un #fetedesprofs a été
créé sur Twitter. Au-delà de ce
mois, on peut envoyer, toute
l’année, des cartes postales
virtuelles (ou classiques*) dans la
rubrique Je témoigne. Souvenirs
ou mots de remerciements émus
à un enseignant seront eux aussi
diffusés sur le site et via les
réseaux sociaux… Peut-être
retrouverez-vous ainsi ce prof
tant aimé. Des personnalités ont
déjà joué le jeu : on peut lire les
témoignages de Bernard Pivot,
Erik Orsenna, Claudie Haigneré
ou encore Ines de la Fressange.
* Fête des profs,
CRI, 10, rue Charles-V,
75004 Paris.
milibris_before_rename
Quelle image avez-vous des professeurs/enseignants
en général ?
NSP
Très positive
2%
7%
6 % Très négative
Plutôt
négative
Plutôt
positive
26 %
59 %
Sondage OpinionWay pour la Fête des profs réalisé les 22 et 23 avril 2015
auprès d’un échantillon de 1 010 personnes représentatif de la population
française âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas.
LP/Infographie.
ILS NE SONT PAS les suppôts du vous chaque année, un peu comme
ministère de l’Education nationale. la Fête de la musique ». Dans le
Ils ne sont pas non plus des fayots même temps, une autre association,
patentés, ex-grosses têtes fétichistes Synlab, sorte de think tank sur l’édude l’interro surprise. Eux aussi ont cation de demain, inaugure en ce
des mauvais souvenirs d’école. Mais mois de juin la Fête des profs, inspicomme tout le monde, ils en ont rée de manifestations implantées
aussi des bons, et comme personne depuis longtemps à l’étranger, noavant eux, en France, ils ont décidé tamment dans le monde anglod’en faire un événement.
saxon. A croire le sondage, commanAujourd’hui, à
dé pour l’occasion,
l’initiative d’une
deux initiatives
« Ils nous ont connus ces
poignée de resont tout pour plaire :
ponsables asso- ados, à une époque où
66 % des Français
ciatifs s’organise
on est insupportables, ont une bonne imaainsi le tout prege des enseignants,
parfois ridicules »
mier Retour vers
qui leur ont transmis
Clara, qui participe à Retour vers le bahut
le bahut. Une inl’amour d’une mavitation lancée à la cantonade, pour tière (59 %), le goût d’apprendre
« des rencontres dans les établisse- (41 %), une indispensable confiance
ments scolaires où se retrouveront en eux (31 %), voire, pour près d’un
les élèves et les profs de toutes géné- quart, une passion qui nourrit leur
rations », résume Stanislas Trinssou- vie d’adulte.
trop, patron d’une association d’an« Nos profs nous ont connus ados,
ciens lycéens parisiens qui rêve que à une époque où on est insupporta« les gens s’approprient ce rendez- bles, parfois ridicules, relève Clara,
ancienne élève parisienne qui participe à Retour vers le bahut. Je trouve
important de les remercier, maintenant qu’on réalise ce qu’on leur doit
et qu’on est nous-mêmes parents. »
Le message paraît d’autant plus important… que les profs semblent
l’ignorer. Les enseignants français,
selon les études internationales, se
sentent parmi les plus mal-aimés au
monde.
Dans un contexte où le système
scolaire est profondément remis en
cause, ballotté entre « égalitarisme »
et « élitisme », entre les réformes et
les manifs, le numérique qui change
« En France, ils se sentent abandonnés »
Eric Charbonnier, expert pour les questions d’éducation à l’OCDE
ÉRIC CHARBONNIER est spécialiste
des questions d’éducation à l’OCDE. Cet
organisme international publie tous les
trois ans l’étude Pisa,
qui évalue les performances scolaires des
pays les plus développés. Un classement
dans lequel la France
a reculé au 25e rang
en 2012.
(DR.)
ls ne travaillent pas
assez, ils refusent
toute réforme, ils font
passer la défense de leurs
privilèges avant l’intérêt
de leurs élèves. Voici, en
vrac, quelques-unes des
critiques qui font
régulièrement siffler les
oreilles des enseignants.
Lesquels, en retour, se
sentent mal aimés par
leurs concitoyens. Il
s’agit d’un triste
malentendu, notre
sondage du jour le
prouve. Avec le temps qui
passe, une grande
majorité des adultes se
délecte de l’heureux
souvenir d’un professeur
qui, en leur ouvrant de
nouveaux horizons, a su
influer sur le cours de
leur existence. Comme
l’agriculteur, le bon
enseignant doit être
patient pour récolter les
fruits de son travail.
La place des profs
dans la société est-elle différente
en France par rapport
aux autres pays ?
ÉRIC CHARBONNIER. Il y a en
France un sentiment de dévalorisation du métier d’enseignant très
marqué, plus qu’ailleurs. Selon nos
études, seulement 5 % des professeurs au collège s’estiment valorisés, alors que la moyenne des pays
de l’OCDE est de 31 %.
Comment expliquez-vous
un tel écart ?
Les conditions de travail des enseignants se sont dégradées depuis
dix ans. L’indiscipline a augmenté,
tout comme le décrochage, et on
sent des tensions plus fortes avec
les parents… On a les parents ont plutôt une vision
l’impression que les positive des enseignants. Ils ne sont
enseignants en Fran- pas si dévalorisés qu’ils le pensent.
ce se sentent aban- Revaloriser les profs
donnés. Abandonnés peut-il améliorer les résultats
dans leur établisse- de leurs élèves ?
ment, parce qu’il y a C’est un tout. Nous avons été frappeu de travail collec- pés, à l’OCDE, de constater qu’il
tif, abandonnés par existe une relation forte entre le
les décideurs, parce sentiment de valorisation des proque leurs salaires évo- fesseurs d’un pays et la performanluent peu et qu’ils ce de son système éducatif. Les
n’ont pas assez accès pays les plus performants ont su
à la formation profes- créer une synergie entre parents et
sionnelle, abandon- enseignants. C’est le cas en Finlannés parce que leur cursus initial ne de, par exemple. La Fête des profs
les prépare pas à
existe d’ailleurs
exercer dans des « Les parents ont plutôt depuis longtemps
établissements
à l’étranger, dans
une vision positive
difficiles.
une centaine de
des enseignants. Ils ne pays. En France
Des initiatives
comme la Fête
sont pas si dévalorisés aussi, des initiatides profs
ves donnent de
qu’ils le pensent »
peuvent-elles
très bons résulvraiment changer la donne,
tats, par exemple quand les misou relèvent-elles juste
sions locales travaillent avec l’école
des bons sentiments ?
pour tisser des liens dans les quarMettre en avant des bonnes prati- tiers difficiles. Dans les milieux très
ques, raconter le bon souvenir défavorisés, il existe une peur des
qu’on a de ses professeurs est im- parents d’entrer dans les écoles ; il
portant pour recréer le climat de faut des intermédiaires pour créer
confiance qui s’est dégradé entre un lien.
les familles et l’école. D’autant que
Propos recueillis par CH.B.
le rapport au savoir et le chômage
qui dramatise la course au diplôme,
cet élan de gratitude revient aussi à
remettre à l’heure les pendules de
l’école. « Il ne s’agit pas de distribuer
des mercis de politesse ! C’est une
occasion de prendre le temps de
s’interroger sur ce qui nous a aidés à
nous construire et la place qu’ont
tenue les enseignants là-dedans,
suggère Florence Rizzo, créatrice de
la Fête des profs. Nous devons reconnaître ce qu’il y a de positif dans
notre système, si on veut assumer sa
mutation. »
CHRISTEL BRIGAUDEAU
n CLÉS
839 000 enseignants étaient
recensés en France en 2013
(public et privé confondus),
dont 366 000 professeurs des
écoles et instituteurs, et
473 000 professeurs du second
degré.
44 h 7. C’est le temps de
travail hebdomadaire déclaré par
les enseignants des écoles
publiques (pour 25 h 30 passées
devant les élèves), tandis que
ceux des collèges et lycées
estiment qu’ils travaillent 41 h 17
chaque semaine (pour 20 heures
passées devant les élèves).
82,2 % des professeurs des
écoles sont des femmes
(dans le public).
Le nombre d’enseignantes
diminue dans le second degré,
mais elles restent majoritaires
(58 % des profs).
5 % seulement des enseignants
français pensent que leur métier
est valorisé dans la société,
selon une étude de l’OCDE de
2012. Il n’y a que les Slovaques
qui sont plus pessimistes.
L’étude montre aussi que le
salaire des profs français est
inférieur à la moyenne des pays
de l’OCDE, à l’exception de ceux
qui ont plus de vingt-neuf ans
d’ancienneté.
LE FAIT DU JOUR
Le Parisien
Samedi 6 juin 2015
03
Paris, le 30 mai. Plus d’une centaine des anciens élèves de Pierre Bugnon, 80 ans, professeur de musique à la retraite, lui ont fait la surprise d’un spectacle musical comme il en montait avec eux autrefois. (LP/Philippe Lavieille.)
« Pour ses cours, on séchait la récréation »
Julia, 31 ans, ancienne élève de Pierre Bugnon, venue exprès d’Autriche pour la fête
ENFANT, CLARA ne tenait pas les
rôles titres dans les spectacles de
fin d’année. Petite 6e noyée dans la
masse, elle était de ceux qui « bougent de droite à gauche accroupis
sous un voile bleu pour mimer les
vagues », un souvenir de gosse,
presque rien, et pourtant… Ce spectacle et la chorale du collège-lycée
Voltaire, à Paris, l’ont marquée
pour la vie. Derrière ces émotions,
il y avait toujours le même visage,
celui du prof de musique, Pierre
Bugnon. Un pilier de l’établisse-
ment, qui a fait danser et chanter
trois générations d’élèves, de 1969
jusqu’à sa retraite, en 1999.
Il a aujourd’hui 80 ans, qu’il porte beau, dans un costume toujours
impeccable, les cheveux blancs soigneusement peignés en arrière. Samedi dernier, plus d’une centaine
de ses anciens élèves, comme Clara, lui ont offert une surprise rarissime : un spectacle en son honneur,
dans l’établissement privatisé pour
l’occasion, joué par ses anciens élèves, âgés de 30 à 60 ans.
Ils sont devenus pharmaciens, 31 ans, venue d’Autriche spécialecommunicants, secrétaires, et ont ment pour la fête. Dans ses cours, il
g ard é un g oût
nous transmettait
pour la musique
tant de passion
et des chants
qu’on séchait la
« Avec des gens qui
qu’ils connaissent
ne connaissaient rien, récréation. »
encore par cœur.
D’autres dans
il montait un spectacle et l’assistance
Les grands jours,
lui
il y avait jusqu’à déplaçait des montagnes » doivent beaucoup
Aurélie, devenue choriste
140 volontaires,
plus que des soudans la Maîtrise de Radio France
dans la chorale
venirs : ils ont fait
pendant la pause déjeuner. « J’at- de la scène leur métier, musiciens,
tends ces retrouvailles depuis que danseurs, chanteurs classiques ou
j’ai quitté le collège ! souffle Julia, de variété, comme Julie Zenatti —
n VOIX EXPRESS
Propos reccueillis par JOANNA THÉVENOT
(LP/Eméline Boutry.)
Quel prof aimeriez-vous fêter ?
Chakib Chadda
Evelyne Tranlé
Angélique Prévot
Jacques Foissard
Isabelle Salmon
24 ans, informaticien
Saint-Maur-des-Fossés (94)
75 ans, retraitée
Saint-Mandé (94)
35 ans, militaire
Saint-Dizier (52)
65 ans, ingénieur
Cormeilles-en-Parisis (95)
54 ans, consultante
Metz (57)
« Mon professeur de maths
du lycée. Il était super
sévère, mais c’était pour la
bonne cause. Grâce à lui,
j’ai pu repousser mes
limites. J’aimais les maths,
mais il m’a donné envie
d’approfondir. Avec lui, j’ai
progressé rapidement. Il
était rigoureux. Et puis j’ai
eu des bonnes notes !
J’aimerais le revoir pour le
remercier. Alors organiser
des fêtes avec les anciens
profs, c’est vraiment une
bonne idée. »
« Aucun ne m’a marquée.
Ma scolarité a été très
faible. Et à mon époque,
les professeurs étaient
extrêmement sévères… Il y
avait un problème de
transmission du savoir. Les
élèves ne parlaient pas aux
enseignants : ceux-ci
représentaient la figure
d’autorité. En tout cas, ils
ne m’ont pas donné envie
de continuer l’école.
J’apprends beaucoup plus
avec les gens que je
rencontre au quotidien. »
« Ma prof d’allemand, au
collège. Elle était très
humaine, gentille mais
aussi assez stricte. Elle m’a
fait aimer la langue et le
pays. Elle nous y a
emmenés deux fois.
J’aimerais la voir à
nouveau, je ne sais pas ce
qu’elle devient. Les bases
acquises avec elle, j’ai pu
les réutiliser quand je suis
retournée en Allemagne.
Et dans mon travail, je me
sers encore de ce que j’ai
appris dans ses cours. »
« Deux professeurs ont
enrichi mon parcours
scolaire. Le premier, c’est
mon prof de français et de
philo, au lycée : il vivait
complètement son cours !
Plus tard, cela m’a incité à
reprendre des études de
philosophie à la Sorbonne.
Le deuxième m’enseigne
actuellement la
musicologie, car j’ai repris
des études. Ses cours sont
passionnants, on a envie
d’y retourner dès qu’ils
sont terminés. »
« Ma prof de français en
première. Elle m’a fait
aimer la littérature alors
que j’étais une scientifique.
J’ai découvert des auteurs
que je ne connaissais pas
et que j’apprécie encore
maintenant. J’étais fière
d’avoir une enseignante
comme elle. C’était l’année
du bac, peut-être que c’est
pour cela que ça a compté,
j’ai eu de très bonnes
notes. Et j’ai passé le bac
de français avec la passion
qu’elle m’avait transmise. »
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la plus célèbre de ses anciens élèves. « J’aurais fait de la musique de
toute façon, mais ce prof nous a
donné l’envie d’y aller, confie Aurélie, choriste dans la Maîtrise de Radio France. Avec des gens qui ne
connaissaient rien, il montait un
spectacle et déplaçait des montagnes. Nous, on prenait ça très au
sérieux. » « On se sentait privilégiés », souffle un autre.
Cette fois aussi, les ex-jeunes ont
bossé dur, pendant huit mois, en
secret. Pierre Bugnon, dont on voit
bien qu’il s’était promis de ne pas
flancher malgré la surprise, écrase
comme tout le monde une larme
quand s’élève dans le grand escalier
une mélodie portée par cent voix et
un violoncelle. Il y a du Barbara
dans l’air : « Ma plus belle histoire
d’amour, c’est vous ! » chantent-ils,
et on sort les mouchoirs.
« Je n’ai pas eu d’enfants. Vous
avez été mes enfants, vous êtes toute ma vie », dira un peu plus tard
Pierre Bugnon, devant le buffet
d’après spectacle. « J’ai passé ici les
plus beaux moments, encore aujourd’hui, je rêve de spectacles que
je pourrais mettre en scène ! » Sept
jours sur sept et même la nuit, dans
sa salle de musique, Pierre Bugnon
préparait le show, réglait la musique, les costumes, « avec toute une
équipe formidable de collègues »,
insiste-t-il. C’était du bénévolat,
payé de sourires et de quelques lettres bouleversantes.
« Il y en a d’autres, des profs comme lui, qui se donnent et apprennent la tolérance », aime à penser
Cécile, ex-élève, aujourd’hui chef
de cabinet dans un rectorat. Pierre
Bugnon a été pour elle un déclic,
dit-elle. « C’est comme ça que je
suis entrée dans l’Education nationale. Grâce à lui, je me suis dit que
le lycée était ma maison. »
CHRISTEL BRIGAUDEAU