Septembre `09 - Mathieu Laflamme
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Septembre `09 - Mathieu Laflamme
Vous avez les id ées, nous avons l’o util! Septembre ‘09 Vol. 7 no 1 e i e d L P Le journal du département des littératures de langue française Table des matières Éditorial De la justesse de se remettre en question ou un exercice de masturbation intellectuelle Marie-Hélène Constant p. 1 Critique À la rentrée on me sert du yoddle, une pipe sur un pré-ado, un juge saoul, un viol insurmontable et l’amour atemporel. Jean-Michel Philippon p. 1 Actualités Sans titre, parce qu’il n’y a rien à dire François Jardon-Gomez p. 4 Création littéraire Cuir rose Jessica Morissette p. 5 Création littéraire Couleur papier Marc Babin p. 5 Création littéraire Du bout des doigts Anne-Marie Benoît p. 6 Création littéraire L’ignorance de l’esthétisme Charles Dionne p. 7 Création littéraire Manouche Caroline Therrien p. 8 Critique Un exotisme en location Alice Michaud p. 10 Création littéraire Vœux. Chloé Savoie-Bernard p. 12 Critique Le clown incorrigible Alix Dufresne p. 12 Chronique Au-delà de l’assiette Croquembouche p. 13 ou un exercice de masturbation intellectuelle M arie -H élène Constant Aujourd’hui, je n’ai pas publié un texte. Rien à voir avec la gravité des actualités : dans l’histoire de cet accrochage, il n’y a pas de décès, pas l’ombre de l’autofiction ou de reliquats du « Salut pourriture », pas de scandale financier à l’UdeM, ni même d’élections et d’aqueducs. Au terme — je dois le dire — d’un exercice de masturbation intellectuelle, durant lequel les explications du comité de lecture se sont multipliées et où des réponses pas toujours chics nous ont été envoyées, la décision a été prise. Pas que le texte était mauvais, au contraire, mais simplement parce que l’On a refusé de participer au processus de révision, parce que nous avions tord (sic). Nous avons reçu à la figure cette manifestation d’indépendance lancée sans argumentation, comme ça, appuyée peut-être par le poids des années universitaires ou des diplômes. Je ne crois pas aux représailles publiques; ce n’est pas ma visée éditoriale. Je n’en ai rien à faire. Cependant, cette mise au point s’impose. Le mécanisme d’édition du Pied se veut d’abord et avant tout collaboratif, ce qui implique un travail avec l’auteur quand nécessaire. Notre comité de lecture assure un épluchage des écrits reçus, une réelle communication avec les collaborateurs, une approche formatrice et ce, toujours dans l’optique du maintien d’une qualité optimale. Nous n’imposons aucune contrainte de rédaction préétablie; nous menons un processus vers l’intelligible. modifications mises en commun, décide de la pertinence d’une rencontre plus approfondie avec ledit auteur afin d’effectuer un travail qui respecte maximalement le sens, le ton, le propos et l’intention. Je ne crois pas que nous démontrions un excès de sérieux — sans doute un peu de zèle, mais c’est un autre débat — dans notre travail et nos prises de décision. Mais suite à ce premier accroc, le seul sur trois parutions depuis l’instauration du présent système, nous avons remis en question tout le fonctionnement de la machine. Au final, il me semble en bonne santé, fonctionnel, clair, aidant, participatif, juste. Et nous ne sommes pas méchants, alors imaginez... bienvenue dans le monde de l’édition! Vous saurez donc à quoi vous en tenir : vous envoyez un texte, nous le soumettons anonymement à notre équipe compétente de correcteurs qui, une fois les suggestions de Aujourd’hui, je n’ai pas publié un texte. Et nous ne sommes pas coupables. Point barre. Critique Le Pied De la justesse de se remettre en question septembre2009 Éditorial À la rentrée on me sert du yoddle, une pipe sur un pré-ado, un juge saoul, un viol insurmontable et l’amour atemporel. J ean -M ichel P hilippon L’association entre la mort de la belle saison et la renaissance du théâtre m’arrache chaque année un sourire. Comme si la Bouche ne s’exprimait que face à la chute. Qu’en réponse à l’amorce de cette chute. La morsure du froid est encore faible, l’hiver n’a pas fait ses dents mais on sait déjà, dans ce frisson qui nous parcourt lors du retour à pied vers le domicile, que c’est inéluctable, qu’il faudra se réfugier dans le pétillement de l’art et l’onctuosité du chocolat chaud pour garder le moral. Les vêtements coupent du froid mais aussi du monde : il faudra parler plus fort, — sur la scène surélevée — pour arriver à se toucher un peu, à poursuivre l’étreinte vitale que l’été facilitait. Pour ma part, j’ai répondu à l’appel, aux dépens de mon petit budget. J’ai traîné mon oreille chaque semaine dans un cube noir, cinq semaines de rentrée pour cinq pièces de théâtre. Pour cinq pièces, cinq salles; pièce après tout c’est aussi un lieu. Sainte Gloria de la Main Au Monument national d’abord, fin août, le jeune et endiablé Simon Boulerice se collait à un morceau fort dit de notre jeune dramaturgie : Sainte Carmen de la Main (1976). Pourquoi pas? Il faut bien se mesurer aux déjà-écrits, savoir si notre urgence de l’art sait se canaliser en un redire, et Michel Tremblay est une bonne façon de commencer. Son théâtre est chaleureux, exalté et lyrique, il s’ouvre tout grand, il se laisse habiter. La Main de Tremblay comme on l’aime, pleine de putes et de durs, qui s’excite et se pâme lorsque son enfant chéri, sa chanteuse-soleil Carmen (Elizabeth Anne) revient des States où elle est 1 allée se perfectionner le yoddle. La salle était transformée en cabaret, des écrans disposés dans les coins nous permettaient de participer au chœur de façon dynamique, style karaoké. Le tout était bien intentionné; le résultat, assez tiède. Heureusement, une scène magistrale de Sophie Vajda en Gloria a fait toute ma soirée : elle a transformé l’interminable monologue de la chanteuse déchue en pur délice de comique, faisant oublier pour un instant la triste performance, menue et décalée, de l’interprète de Carmen. Le « Soleil! » n’était pas là où on l’attendait. Pour le reste, la mise en scène s’enfargeait trop souvent dans ses propres idées pour vraiment convaincre. J’en suis de plus en plus sûr : pour bien monter Tremblay, il faut couper. J’ai parlé d’espace il y a un instant, eh bien qu’on en profite, qu’on emménage, qu’on perce des murs, qu’on pose des fenêtres, voyons : il faut justifier la relecture! Donne-moi ta bouche… 2 Qu’à cela ne tienne, j’ai trimbalé yeux et oreilles dans la pièce – ici au sens de salle — suivante : La Petite Licorne. Toute petite, celle-là, mais, surprise, encore habitée par Simon Boulerice, au texte et à la mise en scène! Très actif, cet auteur de la relève sera également au Théâtre d’Aujourd’hui plus tard dans l’année, pour présenter à nouveau son monologue Simon a toujours aimé danser, en plus de faire paraître un roman. Pour ma part, j’ai eu la chance de me percher sur une des chaises hautes du comptoir de la plus petite salle d’un des plus petits théâtres montréalais, début septembre, pour vivre les mots de Qu’est-ce qui reste de Marie-Stella? (2008) Cour d’école, vers la fin des années d’école primaire. La pièce débute dans une présentation de trois personnages des plus stéréotypés, qui seront fort heureusement tirés de leurs niches par un texte habile et une interprétation à la hauteur : la jeune fille très sexuée, snobinarde, maquillée jusqu’au clownesque, le jeune garçon sportif, peu dégourdi face à son corps et ses sentiments, et la marginale du titre, un peu artiste et très décalée. Le tout parle d’hypersexualisation, recycle l’imagerie des vidéoclips, secoue l’image des jeunes et progresse, avec beaucoup d’humour, jusqu’à la tragédie. Je le dis d’emblée : ici aussi c’est trop long, ça perd son souffle; dans une si petite salle, il n’y a pourtant pas la place pour un marathon. Tout un pan de la structure narrative, empruntant au docu, se trouve à être plus encombrant que solide. Malgré ce handicap, la Bouche y dit bien le mal d’une génération d’apprentis sorciers, encombrés d’images sexuelles dont ils ne comprennent pas les codes : on en ressort avec des sujets de discussion pour la soirée, sinon la semaine. Bravo pour l’utilisation judicieuse du grand mur fenestré qui fait la personnalité de cette salle : l’évolution que lui imprime la mise en scène au fil des scènes dynamise l’espace minuscule. Coup de chapeau — pas encore une tuque heureusement — aux interprètes, tout particulièrement à Sophie Desmarais en Marie-Clown, que j’ai déjà hâte de revoir au TNM dans le Shakespeare du mois prochain. Un Brecht rythmé? Changement dramatique d’espace, descente du Plateau vers Hochelaga pour aller s’installer au Prospero, qui ne présente rien moins qu’un Bertold Brecht pour ouvrir la saison. Brecht! La Bouche hésite, elle pince les lèvres. Dur, dur de se mettre en état, d’accepter que ce sera bien du théâtre mais qu’il faudra combattre l’identification, ou qu’on nous l’interdira d’emblée. Qu’il faudra élargir nos horizons, plutôt que d’accepter celui en papier peint, derrière les protagonistes. Heureusement, la troupe des finissants 2008 de l’école de théâtre du cégep de SaintHyacinthe, baptisée Sortie 123, y a mis beaucoup de cœur, et finalement assez peu de distanciation — je veux dire mise à part celle qui est déjà dans le texte. Dans Le Cercle de Craie Caucasien (1945), la servante Groucha (digne et touchante Émilie Lévesque) se sauve du château où ses maîtres ont été victime d’un putsch, emmenant avec elle le bébé au sang royal qui avait été abandonné par sa mère. La pièce en cinq chapitres mouvementés suit les péripéties qui résulteront en une victoire du courage et du don de soi contre la puissance de la naissance et l’avarice. Quelle facilité, bonté divine! direz-vous tout en rayant Brecht de votre liste de priorités. C’est qu’il faut prendre le tout sous un autre angle, il faut s’imaginer qu’il s’agit d’une langue étrangère. Se laisser porter par les excellents chœurs mis en musique par Louis-Charles Sylvestre et MarcAndré Poliquin. Il faut apprécier le rythme, le Théâtre mobile et vif qui marche, court, grimpe, saute, crie, et rit jusqu’à se permettre un chapitre complet de digression grotesque et rigolote. Dommage qu’elle survienne si tard : c’est cette quatrième partie qui permet enfin au public de saisir cet étrange rapport brechtien entre légèreté du fil et capacité de survoler de vastes contrées. Mention pour Jean-François Guilbeault dont le jeu habile dessine clairement les contradictions de cet épatant juge Azdak. Côté coupures, presque essentielles lors de la production d’un Brecht, le travail a été fait avec un bon flair. La mise en scène de Luce Pelletier, face à ce grand défi de monter puis défaire les mille et un lieux de l’action, ne s’est pas encombrée d’effets techniques inutiles. Ses clins d’œil à la troupe nomade, vestiaires sur scène et côté prêt-à-emporter du décor, sont charmants. Au point de nous faire regretter qu’elle ne soit pas allée plus loin dans le dépouillement. Le juste jeu Quatrième mouvement : Blackbird (2005). Ouverture de saison au TNM. Parcours du spectacle : reprise du Prospero qui l’an dernier reprenait lui-même la pièce d’outre-mer, de France. Un texte de l’Écossais David Harrower, déjà récompensé, que j’abordais toutefois avec le doute que m’inspiraient le thème et ma complète méconnaissance de sa metteure en scène, Claudia Staviski. Facile de tomber Qui sont ces gais gars? On change de côté de rue. Cinquième et ultime épisode de ce qui aura été comme une progression dans la grandeur des salles : Fragments de mensonges inutiles (2009) chez Duceppe. Le nouveau texte de Tremblay. Critiques et spectateurs s’emballent mutuellement dans une nouvelle adoration de notre vieil enfant prodige, défend l’orientation sexuelle avec une telle pléthore de bons sentiments et d’attaques contre les ratés de la société qu’il ne reste plus d’espace pour découvrir leur intériorité et leur spécificité : ils sont, comme le Psy et l’Aumônier, simplifiés – et sacrifiés — à n’exister qu’en réaction à leur contexte. Il y a eu pour moi court-circuit entre le langage résolument réaliste des personnages et le didactisme de leurs révélations systématiques. Les grands gagnants de ce texte qui continue à faire beaucoup parler, ce sont probablement les parents de 1959. Ils ont droit à l’amour, la finesse et la connaissance de cause de l’auteur, et, belle coïncidence, auront de la résonnance chez le public type de Duceppe. Mais ce n’est pas, ce n’est plus cette Bouche-là qui actualisera l’homosexualité au théâtre : j’ose prédire qu’au contraire de Sainte Carmen de la Main, cette pièce n’aura pas une grande valeur de relecture dans trente ans. Fascinant comme le théâtre me fait parler, moi que le soleil d’été avait tenu coi dans les derniers mois. « … mais un roman n’exige pas une réponse comme une pièce. » écrivait Brandès au début du siècle dernier. Je le crois, et je remercie cette piqûre du dit sur l’épiderme, cette force du théâtre de survenir sans cesse et de ne pas nous laisser en paix. Osez réagir à cette combustion du sens, parce que la scène vivra à nouveau demain, parce qu’elle trouvera toujours la force de vous répondre. Et, je vous en fais la demande, osez me répondre aussi, que je sache si je dois remettre mon oreille en boîte, si vous trouvez un intérêt à me voir titiller la Bouche. Si vous me faites confiance, j’embrasserai quand vous voudrez. Le Pied portés à la fois par le plaisir de saluer le théâtre dechénous et la satisfaction morale de supporter un texte qui met à l’avant-plan la question homosexuelle. J’ose croire qu’une partie de cette troublante excitation vienne de la délicieuse mise en scène de Serge Denoncourt, simple et d’une grande intelligence. Qu’on salue une utilisation judicieuse et féconde de procédés dangereux ou archétypaux comme le nu, l’opposition du noir et du blanc et le symbole du crucifix, je le conçois. Que l’impeccable interprétation de la pièce en ait soufflé plus d’un — Denoncourt avoue avoir voulu faire une pièce d’acteurs —, là aussi je ne suis pas surpris. Maude Guérin y brille tout particulièrement, dans ce qui est probablement le passage le mieux écrit du texte. Vous me voyez venir… Le bémol, en fait la mesure complète de silence que je pose, c’est au niveau du texte. Deux adolescents de quinze ans partagent un grand amour passionné jusqu’à la souffrance, malgré les cinquante ans qui séparent leurs vies respectives, l’un dans le Québec silencieux de 1959 et l’autre dans son pendant déphasé de 2009. Tremblay nous sert à nouveau tout ce qu’on attend de lui, et il fait très bien : l’utilisation du télescopage temporel facilitant à la fois le propos social par la comparaison et l’effet musical par l’enchevêtrement, le dévoilement des personnages par une alternance de monologues et de dialogues témoignant des difficultés de traduire sa propre pensée et de la faire comprendre à l’autre. Mais le problème réside justement dans cette question de la structure si figée, si préoccupée de sa musicalité et de son parallélisme qu’elle semble avoir imposé l’évolution de l’histoire et le dévoilement des personnages à leur détriment. Certains d’entre eux, inutiles et sans valeur dramatique, ont droit à leur (long) tour à l’avant-scène, et ceux qui ont à en pâtir sont justement les deux jeunes premiers (je parle évidemment des personnages et non des acteurs Olivier Morin et Gabriel Lessard qui offrent de sensuelles et dynamiques incarnations), dont on septembre2009 dans l’anecdotique en côtoyant les histoires de viol, facile de s’imbiber de drame huileux. Or Léa Druher et Maurice Bénichou nous donnent à savourer des performances si précises que l’acte terrible à la lumière duquel nous venions juger leur cas retrouve son état de simple (!) pierre sur le chemin d’une relation fascinante, hors-norme. Et terrible, tant l’alchimie du texte et du jeu nous la rend plausible. Quinze ans après la condamnation, Una retourne voir son aîné pour la première fois depuis le fameux jour, sur son lieu de travail, sans l’avoir prévenu. S’ensuit un huis clos dans un décor à la limite du cinématographique (des ombres de passants traversent la fenêtre, la lumière évolue à travers la nuit), où les mouvements assez limités émeuvent d’autant plus qu’ils bousculent comme une tension dans l’air de cette salle grise. Encore ici le texte est trop long et certaines des dénivellations menant au cœur de la discussion sont superflues : comme si l’auteur n’avait pas pu prévoir que les acteurs nous feraient comprendre si vite l’hésitation, la retenue de ces retrouvailles. À la fin, également, l’apparition vaine et mal assortie d’une enfant témoigne à nouveau d’un manque de confiance de l’auteur : il aura voulu jusqu’au bout, parfois trop, que son spectateur ne départage pas victime et coupable. Mais là réside quand même la force de ce texte. J’ajouterais, parce qu’une écriture si agile me fascine, qu’il faut entendre ce passage à propos du short de Ray, dans lequel tient tout entier le ridicule des rapports humains, même au cœur du drame. Une scène qui rappelle et accote le meilleur de Kundera. Palmarès, première mouture : Lèvres d’or à Sophie Vajda, pour sa Gloria dans Sainte Carmen de la Main. Coup de langue à David Harrower et Claudia Stavisky, pour Blackbird. 3 Actualités Sans titre, parce qu’il n’y a rien à dire François Jardon -G omez Ophélie ne pourra plus être séduite par un recueil de poétrie, elle ne sera pas mère porteuse, ne fera jamais de muffins aux bleuets et ne rencontrera jamais Martine à la plage. Vers la fin du mois d’août, un poète est mort. Quelques jours avant le début de la session collégiale, à Longueuil – morne ville en cette grise journée de fin d’été – le corps (mou) de Réjean Thomas (pas celui-ci, mais l’autre) a été retrouvé sans vie dans son appartement. La poésie québécoise venait de s’éteindre; l’œuvre (molle) de Réjean Thomas (pas celui-ci, mais l’autre), auteur prolifique de deux ouvrages, dernier — et premier — héraut d’une véritable manifestation poétique québécoise (pourvu que ceci puisse exister) est un électrochoc brut dans nos petites vies moribondes de pauvres salopards institutionnalisés; elle nous enfonce le visage dans notre quotidienneté — dans ce qu’elle a de plus insidieux et pernicieux. Pour tout dire, cette œuvre est, pour reprendre les mots d’un autre illustre poète longueuillois, la dernière littérature que le Québec produira. dernier métro (correspondance)1 ... métropolitaine! si je prends le métro sans toi: écartement une rame plantée dans la poitrine! un compas lancé vers le ciel! 4 Arlequin débraillé, dernier reste d’une idée évanescente de ce que pouvait être un « poète maudit », Baudelaire en veste de cuir, dandy d’une autre époque, animateur de soirées de poésie, professeur atypique de cégep — ne demandant à ses élèves que de lire, rien d’autre, c’pas comme si c’était compliqué — jouisseur de tout et de rien, déstabilisateur en chef, Réjean Thomas (pas celuici, mais l’autre) n’ira plus à SaintHyacinthe (surtout quand on sait que Saint-Hyacinthe c’est loin très loin) ou sur le bord de la Yamaska, emportant avec lui toute l’œuvre de Bécassine. Le toujours éloquent Jean-Marc Desgents, dans la préface — écrite en août et septembre 2011 — d’Œuvre complète (déjanté et halluciné pastiche des éditions NRF de Gallimard) n’aura jamais aussi bien dit : « Lisez, vous verrez, il ne vous en restera rien, sauf l’essentiel sur nos dérisoires passages sur terre, comme l’écrivait en son temps le grand saint Augustin. » à celle qui a une petite robe verte (tu es tout de même plus grande que le nain de ton jardin)2 il y a plus petit que toi: la tête de l’épingle la mousse de nombril le spermatozoïde (le mien) le pingle de l’épingle le brin de la brindille le dille de la brindille le petit marseillais le froissement d’un effleurement et le grain de ris de veau il y a plus petit que toi enfin... je crois 1 THOMAS, Réjean. Œuvre complète, Montréal, Éditions Poètes de brousse, 2008. 2 Ibid. Le site web du Pied vous ouvre ses portes! Faites-en votre espace interactif : des textes inédits y seront publiés chaque mois. lepied.wordpress.com Visitez aussi la face du Pied sur Facebook. Cuir rose J essica M orisset te Lentement, elle enfile ses chaussons de ballet comme s’il s’agissait de la toute première fois. Ses pieds appréhendent la douleur restée gravée en eux au fil de ces longues années de répétitions. Ils hésitent, ils se tendent, s’agitent, se contractent, se détraquent. Ses orteils s’écartent, ils s’allongent. Ils s’étirent pour profiter de cet instant de liberté qui les sépare encore de leur mince prison de cuir rose. Malgré cette résistance, déjà un pied est mis à l’étroit. Il n’a ni les épines d’une rose ni le piquant du hérisson pour détruire son ennemi, alors il capitule. Quant à l’autre pied, il tente en vain de combattre son adversaire. Il se fait l’allier de la cheville, du genou et de la hanche qui se tortillent dans toutes les directions en espérant retarder le supplice, mais les mains redoublent d’ardeur, elles s’acharnent et réussissent. Une fois chaussée, la ballerine doit se relever. Elle regarde le sol, pensive. Elle craint une nouvelle tragédie car, ayant survécu une fois, elle s’inquiète de ne pas passer au travers d’un nouvel incident. Elle ose quand même. Elle rassemble son courage et se demande à quoi il peut bien lui être utile. Le doute l’envahit, la passion la conduit. Son corps se lève. Ses vertèbres se déroulent une à une, mais sa tête demeure pendante et ses yeux fixent encore les lames du plancher. Elle ne peut toutefois refuser la main que lui tend son partenaire. Elle respire donc profondément et tente tant bien que mal de chasser les souvenirs récurrents de cette pénible chute. Il lui soulève le visage, et elle lui répond par un sourire docile. Toute la magie qu’avait dissipée l’incident est délicieusement retrouvée et la ballerine danse comme jamais. Son corps n’est pas tout à fait remis, mais son âme flotte, telle une brise légère. La plus infime trace de peur s’évapore sous le charme de la musique et du doux parfum de son partenaire. Confiante, elle se laisse transporter par ces bras solides. Elle tourne et saute au rythme de la mélodie, puis une image lui revient, la transcende, la terrorise et l’anéantit. Elle s’écroule sur le sol. Sa fine jambe plâtrée allongée sur le canapé, elle se répète ces mots cent fois dits et redits : plus jamais. Ce n’est pas la première fois qu’elle tente de s’en convaincre mais à présent, ni elle ni ses pieds ne veulent de cette mince prison de cuir rose. Elle s’arme de ses béquilles pour aligner quelques pas et, sur le clou inutilisé au centre du vaste mur de sa chambre, accroche ses chaussons. Elle cligne des yeux pour mieux regarder ce souvenir précieux; elle ne peut subitement s’empêcher de l’arracher. Elle lance ses chaussons le plus loin qu’elle peut, va les chercher, puis les serre contre son cœur. Le renoncement lui paraît insupportable. Elle sait bien qu’elle les portera à nouveau. Création littéraire Couleur papier M arc Babin Quelqu’un distribue le texte à ceux qui ne l’ont pas. Les rideaux se lèvent. À droite, côté cour, un lit. Tu est assis à gauche, côté jardin. Tu a la tête entre les mains. Les coudes sur le bureau. Au centre, une feuille. Tu se gratte la tête. Tu se masse le front. Et Tu sourit parce qu’il sait qu’On a pensé : « Il ne sait pas écrire. » Et On aura même rougi de joie en croyant trouver une faute d’orthographe. On, c’est le spectateur. Côté cour, Il entre sur scène. Pas le spectateur – lui, il est assis –, mais Il. Il est vêtu d’un costard noir couleur crayon mine. Il est marié à Elle. Elle entre aussi, en robe blanche couleur papier, se place près d’Il. Tu se lève d’un bond, par politesse. La chaise tombe derrière lui. Tu crie qu’Il a une idée. D’un mouvement de tête, Il fait signe à Elle de ramasser la chaise. Elle la ramasse. Tu se rassoit et Elle s’avance vers lui, l’embrasse, mais Tu s’étouffe. Alors On prend la feuille, sur le bureau, et la déchire. Tu crie. Blasphème. Tape du poing. On entend, en boucle, un enregistrement disant « pour le meilleur et pour le pire », tandis que Tu tape encore du poing, répète qu’Il a une idée. L’enregistrement est remplacé par celui d’une chasse d’eau qu’On tire. Tu crie « Merde! Merde! » et le silence revient. Un temps. Tout le monde est en position. Il et Elle se mettent à rire. Elle se ravise, rougit, comme Emma Bovary après l’amour. Il se rapproche d’Elle, la courtise à nouveau, chuchote des mots à son oreille. On n’entend pas ce que le couple se dit. Tandis qu’Il et Elle se séduisent, Tu écrit sur sa feuille, réfléchit parfois d’un air serein. Tout d’un coup, Tu s’arrête et prend sa feuille, la lit. Tu tape du poing et crie qu’Il s’est trompé! Trompé! Trompé! et au même moment, Elle gifle Il, trois fois. Tu fait une boule de papier avec sa feuille et la lance vers le public; en même temps, Il pousse Elle méchamment. Le synchronisme est très, très important pour qu’On comprenne et qu’On réagisse (des « Oh! » et des « Ah! » dans la salle). Si l’effet est raté, tant pis, On entend l’enregistrement, en boucle, « pour le meilleur et pour le pire ». Mais On tire la chasse d’eau. Tu crie « Merde! Merde!» et le silence revient. septembre2009 Création littéraire Quelques notes de piano suffisent pour l’enchanter à nouveau. 5 Un temps. Tout le monde est en position. Il et Elle sont immobiles. Tu sort une flasque de son veston, boit une grosse lampée d’un alcool quelconque. Tu sourit, lève la tête, expire bruyamment. Tu répète la manœuvre quelques fois, puis saisit son crayon et se met à écrire; aussitôt Il et Elle recommencent à se courtiser. Le synchronisme est très, très important pour qu’On comprenne. Tu scande parfois qu’Il a une idée, alors Il embrasse Elle et Elle se laisse prendre au jeu. Tu écrit de plus en plus vite. Plus Tu boit, plus Tu écrit. Alors Il déshabille Elle. Leurs mouvements s’accélèrent. Il et Elle s’enlacent, se lèchent le visage. Il jette Elle sur le lit et se jette sur Elle, tous deux nus. Tu lance sa flasque sur la scène et sort une bouteille d’alcool du bureau, boit à grosses lampées, à même le goulot, et écrit en se pinçant la poitrine, tandis que les fantasmes d’Il et Elle se multiplient. Soudain, Tu a un haut-le-cœur, dépose son crayon. En même temps, Il et Elle s’immobilisent sur le lit, dans une position très, très inconfortable. Tu prend quelques feuilles au hasard, les lit. Un temps. Son visage se durcit. Tu tape du poing, plusieurs fois. Au même moment, Il et Elle se lèvent d’un bond, saisissent leurs vêtements et courent sur la scène en cherchant à s’enfuir. Mais Tu les tient en laisse. Tu se lève tandis qu’Il et Elle s’immobilisent soudain, les vêtements collés contre leur corps. Tu s’avance jusqu’au bord de la scène, au centre. Certainement, On tire la chasse d’eau. Alors Tu lance son crayon dans la salle; Il tombe. Puis Tu lève ses feuilles, le public aussi, et tout le monde les déchire; Elle tombe. On entend, en boucle, l’enregistrement « pour le meilleur et pour le pire » tandis que Tu quitte la scène, en prenant la bouteille d’alcool sur le bureau. 6 Un temps. Les rideaux se baissent. Plus de position. FIN. Création littéraire Du bout des doigts A nne -M arie B enoît Je serre sa main contre mon cœur. Elle est douce et chaude, les ongles bien soignés. Elles sont tout le contraire des miennes, calleuses et grossières, usées par le travail, les ongles et la peau rongés au sang. Elle sent sûrement mon pouls battre contre sa paume et les frissons que son contact a provoqués sur ma peau, mes tétons durcis. Son souffle chatouille ma nuque, son corps nu collé contre mon dos provoque une douleur lancinante dans mon bas-ventre. Je rêve de la posséder tout entière, encore une fois. Elle s’étire avec langueur et s’éloigne de moi, s’assoit. Elle cherche ses cigarettes du regard. Je n’ai pas besoin de tourner la tête pour le voir; l’amour lui donne le besoin de mourir à petit feu. J’entends le bruissement des couvertures, le lit qui craque, délivré de son poids. Je me retourne vers elle. Ses fesses rondes et son petit sexe me regardent; elle est penchée et fouille dans le tas de vêtements. Le crac d’une allumette, le soupir de la première bouffée. Un nuage de fumée s’élève en même temps qu’elle se relève, que les lignes de son dos se dessinent à la verticale. Sa nuque s’allonge et une légère inclinaison de la tête vers l’arrière m’indique qu’elle est satisfaite. Sexe et cigarette. Les choses sont si simples pour elle. Elle me regarde enfin, elle me sourit. Ses seins lourds, ses larges auréoles. J’ai le cœur qui crève. Je ne peux m’empêcher de murmurer : « Ne pars pas ». Elle me sourit tendrement, s’assoit à peine sur le lit, une jambe en dehors de notre nid, elle est prête à partir. Je ne la reverrai plus. Elle sait que mes paroles sont inutiles, que je le sais également. Elle ne dit rien, souffle des ronds de fumée qui s’élèvent au plafond. Au moment où je m’étonne qu’elle n’ait pas encore fait de geste pour se rhabiller, elle s’étire pour attraper sa camisole. Je peste contre mes pensées, comme si elles avaient précipité ses mouvements. Mais elle est tout de même belle. Ses seins moulés dans le blanc du tissu. J’imprègne mon esprit de ce moment, de tous ces détails. Ce sont les derniers. Elle a une morsure à l’épaule, mes dents ont marqué sa peau. Je ne dis rien. Son mari sait de toute façon. Toutes ces années à l’attendre pour ce moment. Il l’emmène loin de moi, prend le prétexte d’un nouveau départ. Il ne veut plus me la partager, il ne veut plus sentir mon odeur sur sa peau, ne plus savoir qu’il y a une autre femme, qu’il n’arrive pas à la satisfaire complètement. Au moins, sans moi, il aura l’illusion. Pauvre homme, qui ne vit que de mes restes. Je condamne ma pensée à peine formulée. Sophie est trop belle, trop douce. Elle a déjà remis ses pantalons et son pull. Je lui demande à quelle heure son avion décolle, elle ne répond pas. Je lui demande si elle va m’écrire; elle me le promet. Sa réponse est trop rapide. Elle ment. De toute façon, elle a froncé le nez. Je n’ajoute rien. Je la regarde rassembler ses effets. Je ne l’aide pas, je reste au milieu de nos odeurs, dans mon lit. Je sais que les draps ne garderont pas son souvenir éternellement et ça m’attriste. Je voudrais lui courir après dans les couloirs du bâtiment, nue s’il le faut. Lui crier qu’elle est bête, qu’elle ne peut pas fuir ce qui est à l’intérieur d’elle. Mais je sais qu’elle aurait ricané, reproduit le même discours lassant. « Ma belle, cesse de chercher en moi un reflet de toi. Tu le sais bien que ce n’est rien tout ça. Toi et moi, ça n’existe pas. La vie n’est pas comme ça. Je ne peux pas vivre comme toi. Tu choisis mal ta vie, tu t’attires du mauvais. Moi, je veux être heureuse. » Ses paroles font écho dans ma tête, encore et encore. Elles emplissent la pièce, saturent mon corps. Je sens encore ses doigts Création littéraire L’ignorance de l’esthétisme C harles D ionne Comme pour amender l’avantgardisme, pour s’affliger d’une l’aversion pour la liberté, mes pensées n’avancent qu’en attendrissant le mur. Pourtant l’azur semble affranchi et l’avenue interminable, infinie. Depuis quel défi échoué mes pensées sont-elles dépravées à ce point? Le délai est pourtant délébile et l’action, sans doléance divergente. L’inaction est sans dot et la déprime ne doit être qu’éphémère. Bravant la mer par de brefs bavardages, mon esprit n’est que burlesque et sans bonne parade. Ses bornes sont si proches qu’on s’y croit au balcon, ou emprisonné dans un boqueteau. Il se blottit en bouquet et attend l’inattendu. Encensé par quelques soudaines évasions cérébrales, quelquefois mon esprit fait un exploit de son exil et s’expatrie hors de son évangile habituel. Étourdi par cette étiquette étrangère, il s’éteint lentement par cet émerveillement. Car mes songes caressent le calme d’un été croupissant sous les heures! La culture de la cupidité lui semble inefficace face aux carnages de la paresse et au carnaval du désenchantement. Le festin fugace de fantaisies qui habite mon esprit ainsi fragile semble rendre fertile un quelconque fantasme, passionnel et passionné. Le flegme de ma folie détruit cependant la fortune de la en moi, j’entends encore ses soupirs. Je me fonds dans les couvertures, me cale dans son odeur. Ma tête cherche les plis que son visage a formés sur mes coussins. Je consume tout ce qui me reste d’elle. Mais sa présence s’effrite, s’évapore. Demain, il n’y aura plus rien. Je pourrais crier… Je ne la sens déjà plus, j’ai son odeur partout sur moi. J’étire la main pour ouvrir la lampe, la brunante a envahi la pièce. Mes yeux s’ajustent péniblement. Puis, je la vois. Son alliance est là, sur ma table de chevet, brillante sous la lumière. Mon cœur fait un bond, je la fixe quelques instants. Mais je n’hésite pas plus longtemps et la glisse à mon annuaire. Sophie ne reviendra pas la chercher. foudre qui l’avait sauvé de cette fourberie. Glacé par la grâce qui me glisse de la tête, je gâche le moment pour galvauder mon avenir sans cesse garant de son vide grandissant, gisant dans ma gloire de goulet, redevenant la gangrène du monde. Le Pied rapidement, je n’ai pas le temps de saisir une dernière image. Elle s’est sauvée. Elle m’a glissé entre les mains. septembre2009 La facilité de son départ m’étonne. Elle ne montre aucune émotion. Elle doit être soulagée, elle ne s’est jamais acceptée, n’a jamais assumé. Ne plus m’avoir dans sa vie, c’est faire un trait sur les femmes; enfin, c’est ce qu’elle croit. Mais je sais qu’elle y retournera, là-bas, dans sa nouvelle ville, avec une femme autre que moi. Elle est ainsi. Elle n’en veut pas, mais elle est incapable de s’en passer. Elle boutonne son manteau, me regarde. Ses yeux se voilent l’espace d’un moment. J’ai raison. Je la connais trop, peut-être plus qu’elle-même. Enfin… j’aime le croire. Elle attrape sa valise, se penche au-dessus du lit pour me donner un dernier baiser. Je l’enveloppe de mon mieux, tente de lui faire regretter une dernière fois tous nos moments. Ça ne semble pas fonctionner. Elle s’éloigne déjà. La porte se referme sur elle trop Hanté par ma vie insignifiante, j’hâble ma hiérarchie dans l’histoire, j’homélise sur les vilains, hormis moi-même. Mais ma vie est hagarde et sans intérêt, mes discours hypothèquent mon avenir déjà humilié. Inconditionnellement, je poursuis mes inventions impossibles. L’imprévu est ignoble tant qu’il n’est pas l’icône de mon image idéaliste, l’idylle de mes rêves. Mon ignorance se cache derrière mon infaillible inoculation de mensonges dans une vie imaginaire. Jusqu’où irai-je dans ce jeu, dans ces jacassements jaloux de la juste vie des autres, plus jolie que la 7 mienne? Jouerai-je encore longtemps dans cette jungle juvénile? Écrirai-je encore mes journées oniriques dans ce journal? Kidnappant les pages de l’existence d’un autre, je suis la tumeur kystique, le kleptomane d’une vie inexistante. Quand viendra le jour où mon kiosque sera pris de kérosène pour brûler mes mensonges? La logique limpide qui pousse ma langueur devient le labyrinthe dans lequel je me perds. Si toutefois je lésinais, j’aurais là quelque chose à tirer de ma lâcheté. Ma liturgie sera mon linceul, elle luxera mon livre sans lustre. Mais marauder en ma mansarde ne me met que dans une plus grande méconnaissance de moimême. Macérer mes fautes est inutile car je mutile déjà ma misanthropie, mon minable mythe. Il est minuit, mais il semble que je viens tout juste de m’éveiller. Naguère je voulais étouffer ma nostalgie, naviguer ailleurs et m’inventer novembre. J’aurais voulu nuancer ma nature avec un peu de ma véritable naissance. Néanmoins, ma nymphe m’a semblé néfaste, brûlant certains espoirs de novation. Ô illusions, quand êtes-vous devenues mon ombre? Mon obédience est odieuse, mon œuvre me rend orphelin. Mais aujourd’hui, l’otage deviendra l’outil, l’ouvrier de son orgueil. Mon oreille effrayera les ordres, l’offense sera derrière; je serai sur la rive d’un océan nouveau. Pourtant, les pierres qui pèsent sur mes épaules sont toujours profondément à leur place. Perfide prompteur, qui me fait perdre un peu de ma passion virulente. Pâle, je suis pourtant vivant. Ma paille ne prendra feu, je suis le prélude de ma providence. 8 Quitter devant la question de l’abandon serait bien facile quoiqu’inacceptable. Devenant le quiproquo de mon quotidien, je saurai être moi-même d’une quelconque manière. Le quorum accostera à un quai unique. Rien ne servira à la ruse, la guerre est en ma rhétorique seule. Je sens que revivre de cette révolte me revigore soudain, ressuscite des émotions disparues. Religieuse rééducation, le risque de m’y perdre ne m’effraie plus. Les ravages deviendront réversibles. Saboterai-je ma propre sauvagerie? Oui, je n’y sais aucune autre sortie. Sans y sentir de quelconque syllogisme, je me lance pourtant, oubliant le spectre de mes jours anciens, me proclamant souverain de mes gestes et pensées. Tant bien que mal, mon tableau s’illumine. Le temps est ma truelle, dispersant maintenant mes tumultes de naguère. Ma torture fléchie, je n’y sens plus tentation ni tourments. Les tenaillements me prennent. Seulement, toutes les ténèbres finissent à l’aube. Uniformisant la plaie, j’ai enfin détruit mon ubiquité pour me conformer au caractère unique que je dois apprendre à respecter. Le vaste vestibule de mes pensées vacille, il vient trouver sa couleur vermeille, vociférant la douleur vagabonde d’un vague souvenir trop peu amarré à l’avenir. Le vilain s’en émiette, la violence s’émousse enfin. Je suis le wharf qui s’avance. Le xénophobe qui s’oublie. Yeux ouverts. L’ypérite disparaît. Zélateur, maintenant. Le zénith ne me semble plus si loin. Création littéraire Manouche C aroline Therrien I’ll tell you all my secrets, but I lie about my past. — Tom Waits J’avais rencontré Manouche il y a longtemps déjà. C’était un coup du destin des plus anonymes, telle une jolie fille ignorée au coin d’une rue. Le vendeur m’avait souri, me disant qu’elle incarnait sans doute tout ce dont je rêvais. Il l’avait dénichée un soir sans lune, derrière un restaurant chinois où elle dormait parmi les gros rats gris. « Elle vaut sans doute très cher », m’avait-il avoué, « Mais qu’est-ce que j’en sais? Pour trente dollars, on n’en parle plus. » Il devait y avoir du soleil ce jour-là, car je me souviens de Manouche dont la peinture rouge scintillait au soleil, son siège luisant offert aux garçons de passage. Le vendeur dut sentir mon hésitation, car il tira sur sa cigarette : « Bon d’accord... Vingt dollars. » C’est ainsi que je ramenai mon premier amour chez moi. À l’époque, je partageais un appartement sur la septième avec trois arsouilles. Ils se moquèrent de Manouche, si frêle, si timide; un vélo contre trois motos, un chat de ruelle face à trois panthères. Avec le temps, ils finirent par cesser leurs moqueries, la baptisèrent d’un coup de bouteille de vodka vide et lui firent une place au fond de la cuisine, à l’abri de la pluie et des voleurs de ferraille. Manouche avait la fâcheuse habitude de dérailler lorsqu’elle traversait la rue. Trop de fois, nous avions failli nous retrouver écrasés sous les roues d’un taxi. Néanmoins, elle J’étais encore jeune à l’époque, toujours un peu convaincu que le monde pouvait être bien. Les filles? J’avais essayé. Elles me faisaient encore peur. Manouche était mieux que tout le reste. Les soirs où la ville semblait tranquille, Vladimir et moi enfourchions nos vélos pour aller fumer, bien au chaud, sur les bancs d’une église vide. Sous le regard moribond de Jésus, nous nous racontions tout ce que les garçons peuvent se raconter, violant le silence sacré de l’endroit de nos jurons. Nous prenions le pouls d’une cité qui tardait à vieillir. Nous savions que nous étions ses pionniers. La ville n’était qu’un grand terrain vierge s’offrant à nous, chevaliers des temps modernes, gamins ignorés du monde. Les matins de septembre, je m’amusais à conduire Manouche devant ceux dont la vie rangée prenait le chemin de l’école. On me jetait des regards un peu jaloux, leurs rêveries matinales évoquant des images de randonnée à travers des forêts couleur de feu. Au fond, moi aussi j’étais jaloux d’eux, de leurs vestons en tweed et de leurs foulards tout frais sortis de la naphtaline. Frissonnant dans ma veste du surplus de l’armée, j’avais parfois envie de troquer ma liberté contre quelques stylos et une pile de volumes neufs; un petit bonheur au parfum de pommes trop mûres. Les étudiants adoraient Manouche. Son charme rétro et sa gueule de naufragée avaient tout pour plaire. Une fille, étudiante en littérature, éprise d’elle, avait gravé un vers de Baudelaire sur son flanc. Malgré les moqueries de mes camarades de misère, je commençai à fréquenter les cafés du campus. Je revis un peu l’étudiante en littérature, je bus du café plus noir que le fond d’un œil, j’attrapai quelques vers au passage et réchauffai un peu mon cœur. Pendant quelques heures, je m’imaginais être quelqu’un d’autre. Les étudiants, eux, me voyaient comme un drôle de petit voyou, un marginal sans importance, de ceux qu’on croise à tous les coins de rue, les yeux rouges, les poumons noircis. Au fond, je crois qu’ils m’aimaient bien. Parfois, la vie peut paraître belle. Puis, ce qui devait arriver arriva. Manouche fut volée. C’était l’hiver. Vladimir accepta de m’aider à la retrouver. Nous passâmes toute une nuit, les pieds dans la neige fondante, à la chercher. Nous fîmes toutes les ruelles, tous les magasins chinois et toutes les cours où de gros cerbères noirs ronflaient. Rien. Bredouille, j’allai rejoindre mon ami à l’église où il m’attendait déjà avec des cigarettes et deux bouteilles de bière. C’était le matin et le regard de Jésus paraissait morne. Vladimir tenta de me remonter le moral en me racontant ses histoires de peines d’amour. Comment comparer une fille à un vélo? Sans roues, un cœur ne dérive plus assez loin. Manouche disparue, je fus contraint à traîner mes semelles à travers les rues. Plus jamais je n’allai voir les étudiants. Je restai les deux pieds dans mon petit monde de misère, à racler les fentes des trottoirs pour quelques sous, histoire de me payer un café. Les jours passaient, je vieillis, le ronron des moteurs tournant dans ma tête. Mes colocataires acceptèrent de m’aider à voler une voiture. Fidèles à leur poésie de rue, ils choisirent une vieille Hyundai. Ce fut ma nouvelle amie. Le soir venu, nous roulions loin de la ville, au creux de la campagne, pour aller regarder les étoiles. Le monde était différent, Manouche était morte. Un jour, je devins un homme et commençai à faire ma vie avec un Smith & Wesson dans les poches. Je troquai mes vieux idéaux contre une cravate noire et ma Hyundai pour une Buick neuve. Mes amis avaient tous grandi, et, comme nous l’avions prophétisé, nous étions devenus les rois de la ville. Nous avions peint ses murs en gris en guise de vengeance, comme nous l’avions juré depuis l’enfance. Nous étions adultes, les poumons cancéreux et le cœur enfoui sous des cendres froides. Plus de place pour les vélos et les matins d’automne. Nous avions sculpté la ville comme un rêve d’acier et la ville était moche. Un matin, je retrouvai Manouche. Sur son flanc se voyait encore le fantôme de quelques vers que j’avais depuis longtemps oubliés. Son corps gisait sur l’herbe morte. Elle avait été jetée au milieu d’un parc, parmi les feuilles jaunes et le chiendent. Ce n’était même pas un beau parc; rien qu’un fade morceau de verdure coincé entre un dépanneur indien et une librairie pornographique. Le cœur serré, je la portai jusqu’au fleuve; elle le méritait bien. L’eau d’octobre était noire et glacée. Manouche est morte rouillée. Lorsque, certains soirs comme celui-ci, on me demande de raconter l’histoire de Manouche en échange d’un verre, d’accord, je veux bien. Mais lorsqu’on me dit que c’est une histoire triste, je fais toujours la même chose : je souris, j’allume une cigarette et je dis : « Vous savez, c’est juste l’histoire d’un vélo volé. » Le Pied Ainsi, Manouche portait en elle la fierté des grands albatros. septembre2009 m’était fidèle. À cheval sur sa selle, je volais des fruits aux devantures des épiceries et m’enfuyais, plus vif qu’un vent de novembre. Ni chien ni vendeur n’étaient assez rapides. Nous nous échappions toujours, riant bien fort, des pommes dégringolant du panier pour aller s’écraser sur le trottoir. 9 Critique Un exotisme en location A lice M ichaud Les cahiers Hilroy, les recueils de textes tout nouvellement jaunes, les muscles de la main que l’été a engourdis. Les files d’attente interminables à la librairie, les commandes chez Olivieri, les piles de nouveaux livres, usagés ou neufs, dont on attend impatiemment la lecture. Le café universitaire retrouvé, les trouvailles littéraires estivales qui nous ont changés et cette saison déjà lointaine dont nous sommes nostalgiques. Le début du mois de septembre, relié depuis la tendre enfance au retour en classe, est un paradoxe de sensations : • • 10 Le 31 août : moment un petit peu dramatique. C’est la fin bien palpable d’une saison d’abus, de sensations et d’expériences… mais trop, c’est comme pas assez. Le 1er septembre : c’est l’excitation malgré nous, les nouvelles résolutions, la curiosité de tout reconnaître ou de savoir qu’on a encore tout à découvrir, c’est selon. Mais, sans que nous nous en rendions compte, le tic tac universitaire fait son chemin en nous telle la tortue de la Fontaine. Et nous, pauvres lièvres, nous nous laissons dépasser. L’agenda nous donne sa petite gifle au visage dès les premières semaines d’octobre, nous rappelant péniblement l’arrivée imminente des premiers examens. Alors, avant ce moment fatidique, pourquoi ne pas adhérer à la théorie de la plupart des étudiants, à savoir que la procrastination est un art? Si, tout comme moi, vous avez besoin de votre dose régulière de cinéma, succomber à tentation sera facile, car de nombreux films étrangers, arrivés fin août/début septembre sur un rayon de vidéoclub près de chez vous, peuvent aisément donner l’envie de repousser Balzac ou Pascal au lendemain. Voici quelques suggestions : Kirschblüten - Hanami [Cherry Blossoms : Un rêve japonais] : (Allemagne, 127 min.) réalisé par Dorris Dörrie. comédie dramatique. Lorsque Trudi apprend que son époux Rudi est atteint d’une maladie incurable, elle lui propose d’entamer un voyage à Berlin pour aller visiter leurs enfants, avec qui ils ont perdu contact. Ceux-ci n’étant visiblement pas très enclins à les recevoir, Rudi et Trudi partent rapidement de Berlin et poursuivent leur voyage avec un séjour au bord de la mer baltique. Il se produit alors un incident tragique qui amènera Rudi jusqu’au Japon, d’où il verra la vie sous un œil différent. Cherry Blossoms est un film empreint d’une sagesse et d’une poésie comme on en voit rarement au cinéma de nos jours. Le ton est donné dès le générique appuyé d’esquisses d’Hiroshige. La mort est souvent considérée au Japon comme le commencement d’une nouvelle vie, et c’est dans cette perspective que Dörrie aborde ce sujet, notamment grâce au personnage de Rudi, qui apprivoise ce nouveau pays par amour pour sa femme. Certaines métaphores, dont celle du « rouleau » et celle de la jeune fille dansant le bûto avec son téléphone, sont particulièrement touchantes. Les dialogues se font rares, mais sont très justes, surtout lorsqu’ils témoignent de l’incompréhension et de l’impossibilité de communication régnant entre le père (Elmar Wepper, dont le jeu est presque irréprochable) et ses enfants. Le film met un peu trop de temps à entrer en matière, mais tout cela s’oublie dès que l’on arrive à Tokyo. Pour ceux qui ont aimé Lost in Translation de Sofia Coppola, qui rêvent de visiter le mont Fugi ou qui voient toute la simple poésie résidant dans un cerisier japonais en fleurs. Aanrijding in Moscou [Moscow, Belgium] : (Belgique, 102 min.) réalisé par Christophe Van Rompaey, comédie romantique. Une mère de famille, Matty, 41 ans, en procédure de divorce, rencontre Johnny, 29 ans, camionneur et romantique. Au supermarché, leurs deux voitures entrent en collision. De là s’ensuit une relation amour/haine qui les mènera, dans leur vie respective, à un tournant. Les clichés se font rares, et les dialogues sont souvent cyniques. Notons particulièrement ceux de la dispute au supermarché, première scène du film, où les insultes fusent : « Madame a ses ragnagnas? » demande Johnny, et Matty qui répond plus tard : « Gros camion! Petite bougie! ». Grâce à ce franc-parler très amusant, les personnages sont tout à fait crédibles et attachants. Johnny « Camione l’amoroso » est un personnage à la fois pathétique et sympathique, et la chimie avec l’actrice incarnant Matty, sa « Mona Lisa », se voit à l’écran dès les premières minutes. La fin est un peu convenue et le film ne renouvelle rien en tant que tel, mais on passe un moment très agréable. Christophe Van Rompaey remodèle avec brio l’image préconstruite des tristes paysages de Gand pour nous montrer un aspect beaucoup plus chaleureux de la ville où il a grandi. Vals Im Bashir [Valse avec Bachir] : (Israël, France, Allemagne, 90 min.) réalisé par Ari Folman, drame d’animation autobiographique, guerre, documentaire. Mêlant plusieurs genres, Valse avec Bachir est le récit autobiographique d’Ari Folman, centré particulièrement sur l’intervention militaire libanaise, survenue en 1982, durant Valse avec Bachir surprend par son originalité : il a été présenté par plusieurs comme le premier long-métrage documentaire d’animation. La qualité étonnante des dessins (faits un par un) suit, à sa façon, la vague lancée par Marjane Satrapi avec Persépolis. La bande sonore, diversifiée et percutante, va de Public Image Limited à Franz Schubert. Ce film d’Ari Folman remet courageusement en question un moment d’histoire troublant, la responsabilité du massacre n’étant pas clairement déterminée. En effet, Valse avec Bachir en a scandalisé plus d’un : interdit dans les cinémas libanais à sa sortie, il a aussi choqué bon nombre de Palestiniens qui ne souhaitaient pas revoir des images leur rappelant une page aussi noire de leur histoire. Mais Ari Folman, tout en abordant un sujet très difficile, réussit grâce à certains passages oniriques à créer une atmosphère empreinte de poésie, d’où l’étrange beauté de ce titre qui emmêle l’horreur à la danse. Tokyo! : (France, Japon, Allemangne, 112 min.) réalisé par Joon-ho Bong, Leos Carax et Michel Gondry, triptyque sur Tokyo, drame. Tokyo!, c’est trois moyens-métrages à propos de cette même ville : d’abord, une femme qui se transforme en chaise. Puis un être vivant dans les souterrains de Tokyo, qu’on appelle MERDE et qui mange de la chlorophylle en claudiquant. Également, un hikikomori qui vit depuis plus de dix ans enfermé dans son appartement, sans presque aucun contact avec le monde extérieur. Voilà quelques rapides exemples de ce qu’on retrouve dans Tokyo! Reprenant le concept de New York Stories (triptyque de Scorsese, de Ford Coppola et d’Allen) et de Tickets (Ken Loach, Abbas Kiarostami et Ermano Olmi), Bong, Carax et Gondry donnent une image de Tokyo des plus éclatées, chacun à leur façon. Leur imagination débridée ne souffre d’aucune retenue et le résultat est toujours surprenant. Étrange et déjanté, certes, mais très original. Gondry, Carax et Bong examinent chacun à leur façon cette métropole si dense, moderne, vertigineuse, où l’évolution semble ne jamais arrêter. Les récits sont quelque peu inégaux (celui de Bong diffère de ton d’avec les deux autres), mais cela est attendu lorsqu’il y a collaboration entre plusieurs réalisateurs sur un même film. Tokyo! est à conseiller à ceux qui n’ont pas peur de repousser les limites de la fiction et de se laisser transporter par des imaginaires curieux. Le Pied laquelle des soldats israéliens furent confrontés au massacre de Sabra et Chatila (des milices chrétiennes libanaises y ont massacré des Palestiniens). Ari Folman était de ces soldats, mais il ne se souvient plus de rien. Il se met alors à enquêter et à récolter des témoignages afin de démystifier ce qui s’est réellement passé en 1982. Les thèmes de l’oubli, de la culpabilité, du questionnement et de la mémoire sont présents tout au long du film. septembre2009 Une comédie romantique intelligente et drôle, particulièrement grâce à Barbara Sarafian, l’interprète principale. Bien que le titre puisse nous induire en erreur, il n’y a rien de russe dans ce film : Moscou est une banlieue ouvrière de la ville flamande de Gand. 11 Création littéraire kitsch de Kundera, c’est un peu similaire; j’aurais voulu lui expliquer cela et la manière dont je ressentais les choses. C hloé Savoie -B ernard Ce qui est malheureux, c’est que j’avais dépensé tant d’argent en alcool sans pourtant être assez saoule pour avoir l’énergie qu’il faut pour ces discussions-là et, surtout, que parmi tous ces gens autour de nous, j’ignorais lesquels étaient des petits garçons semblables à celui de Salinger et lesquels n’étaient que des vieillardes insensibles. Vœux. Hier, c’était le Nouvel An, mais le Nouvel An c’est comme Noël, j’espère une magie qui ne vient pas. Je n’arrive pas à me dire que c’est une date comme les autres, je n’arrive pas à m’en foutre, alors j’ai accepté l’invitation de A. d’aller dans une fête quelconque où je l’ai perdue de vue dès que nous sommes entrées. Je me suis dit que peutêtre j’allais tomber amoureuse de quelqu’un là-bas, que peut-être ce Nouvel An serait décisif dans ma vie. Un point tournant. J’ai fait comme si ma vie se trouvait à la page soixante-dix-huit d’un magazine féminin quelconque, à la ligne quarante du deuxième paragraphe, vous voyez celle qui dit : « Aujourd’hui, prenez des risques, aujourd’hui est le prochain jour du reste de votre vie. » 12 J’ai parlé toute la soirée avec un Turc, en anglais. Quand tous les gens se sont pris dans leurs bras, après le décompte, se souhaitant tour à tour la même litanie de voeux identiques, amour, bonheur, prospérité, je me suis tournée vers lui et je lui ai dit : « I really don’t like emotions ». Il m’a dit que finalement, je n’aimais pas grand-chose, puisque je lui avais déjà dit plus tôt que je n’aimais pas Jeunet, ni Burton, que je n’aimais pas non plus no really not, décidément vraiment pas, les Nouvels Ans. Que je n’aimais pas les gens, you know, que je les trouvais phony. J’aurais voulu lui dire phony comme dans The Catcher in the rye, tu sais, quand le narrateur est dans un cinéma et qu’il voit cette vieille pleurer à côté de lui alors que l’enfant qui est avec elle la supplie, au bord des larmes, de l’accompagner aux toilettes, et qu’elle s’en fout parce qu’elle est trop prise avec les émotions que le film guimauve lui fait vivre pour s’occuper un instant de lui. Le phony de Salinger et le J’aurais pu lui expliquer qu’en fait j’aimais plein de choses dépendamment des moments et que celui-ci en était un creux, de ceux qui balancent les autres, comme pour assurer un certain équilibre entre un bonheur absolu et une détresse plus ou moins totale, mais je me sentais lasse alors je suis restée silencieuse. Je sentais qu’il me trouvait jolie, j’étais désolée pour lui parce qu’il ne me faisait pas grand-chose à l’intérieur, malgré ses beaux grands yeux aux cils très longs. Si j’avais été dans un meilleur état peut-être que je me serais laissée avoir, il me donnait des Winston en me parlant d’art visuel. Il aurait fallu qu’on s’embrasse, j’imagine, ou quelque chose du genre, ç’aurait été tout à fait de mise pour le Nouvel An et aurait répondu aux scénarios universels, mais nous n’avons, la soirée durant, parlé qu’à bâtons rompus dans cette langue empruntée. À un moment, je me suis levée, je lui ai souhaité une really good night et je suis partie sans chercher mon amie pour lui dire au revoir. La fête était à St-Henri et j’ai été dormir dans l’appartement de ma soeur, à Pointe-St-Charles, pour économiser le montant d’une course de taxi. Le matin, j’ai paressé tard dans un lit sans drap. Le grand appartement était vide; ma soeur dormait chez son copain et ses colocataires devaient avoir fêté ailleurs. Je me suis levée vers midi, et je me suis rappelé que je m’étais couchée sans me déshabiller. Mes vêtements de la veille sentaient fort les cigarettes que j’avais fumées coup sur coup et dans la vitre sale du miroir de la salle de bain, mon t-shirt blanc portait deux petites taches de vin rouge. Je me suis aperçue que sur mes paupières, la ligne de mon eye-liner était toujours aussi intacte que la veille, et je me suis dit qu’il fallait que j’arrête d’être aussi pessimiste. Si Lancôme tenait ses promesses probablement que la vie le pouvait aussi; si Lancôme ne me décevait pas, peut-être que rien ne devrait me décevoir. Pas même – surtout pas — moi. Je me suis souri dans le miroir, et j’ai goûté mon haleine de bière et de cigarette. J’ai cherché le dentifrice sur le lavabo encombré, j’en ai déposé un peu sur mon doigt et je me suis regardée me laver les dents, en me souhaitant vraiment tout un tas de choses, pour l’année à venir. Tout un tas de choses. Critique Le clown incorrigible A lix D ufresne C’est dans un costume de cowgirl délavé, avec perruque et chapeau, que Stéphane Crête amorce ce qui sera une heure de spectacle délirant où s’entremêlent danse, mime, clowneries, chansons et théâtre. On entre dans l’univers déjanté d’Esteban, qui a plus d’un tour dans son chapeau (et plus d’un costume dans son sac). Le spectacle se divise en effet en plusieurs parties, plus ou moins reliées entre elles où l’on voit tour à tour Esteban se transformer tour à tour en mime pornographe (un de ses meilleurs sketches), en chanteur sanglotant, en amoureux de quatorze ans, en chanteur gore en string à paillettes, etc. On Esteban Texte, mise en scène et interprétation Stéphane Crête Musique Stéfan Boucher, Stéphane Lafontaine Lumière et homme de main David Poulin En spectacle à La Chapelle les 15 et 19 septembre 2009. Au-delà de l’assiette C roquembouche Le Pied Chronique Première chronique de l’année, mais également première expérience d’écrits mensuels dans un journal. Un défi? Certainement. J’adorais l’émission de Grégory Charles sur Radio-Canada, le samedi soir (oui, j’adorais, car vous savez… chuchotement, les coupures). J’ai toujours admiré son travail radiophonique, ce monologue extrêmement chaleureux qu’il nous servait, accompagné de son piano. Quant j’écris monologue je pense à un discours qui, au premier abord, semble sans interlocuteur, mais qui engendre discussions, réflexions, rires. Pourquoi je vous parle de lui? Eh bien, je me suis souvent demandé si j’étais dingue de parler seule, d’étudier en discourant, de me raconter ma propre journée. Depuis que j’ai découvert ce que se permettait Grégory, je me sens nettement mieux : il s’ensuit donc cette chronique. J’espère susciter chez vous quelque chose, peu en importe la nature. Mon crayon se nommera Croquembouche. Cherchez dans le dictionnaire si l’envie vous en prend, sinon laissez aller votre imagination. Croquembouche parce que manger, c’est être, au sens le plus essentiel. (Ma vérité est noir sur blanc, gardez toutefois la vôtre en tête.) Vous définissez-vous à travers vos aliments? Regardez votre lunch et voyez ce qu’il en ressort. Moi? Potage aux carottes, fougasse aux olives et jambon fumé. Alors, brune, blonde ou rousse? Je suis fada d’alimentation. Toute petite je cuisinais déjà des huîtres au champagne avec mon grandpère en regardant de travers mon frère qui optait pour des pâtes nature. Manger est au cœur de notre quotidien : « Tu viens souper ce soir? », « On brunche ensemble dimanche? ». Ce qui me braque, ce qui soulève chez moi maintes questions, ce qui avive mon intérêt, c’est le bombardement publicitaire, les discours alimentaires changeant chaque semaine, la surabondance de variété dans les épiceries. En gros, ce qu’on nomme la modernité alimentaire. Je reviendrai là-dessus en une autre occasion. Aujourd’hui, quand vient le moment des courses, deux choix s’offrent à nous : opter pour le rapide, ou décortiquer, choisir, lire. Que faites-vous? Aimez-vous manger? Je sais, je pose beaucoup de questions. Vous posez-vous des questions? Pour structurer cette publication, je vais suivre la tradition universitaire. Je vous fournis une sorte de syllabus; la prochaine fois, on entre dans la matière. septembre2009 note d’ailleurs une franche inégalité entre les parties; certains numéros manquent de punch et d’intérêt (autre que l’effet comique du costume) et dissonent avec les scènes plus travaillées, comme la lecture du poème final. Les transitions sont assurées par les créations musicales très réussies de Stéphane Boucher et de Stéphane Lafontaine (on peut d’ailleurs se demander si s’appeler Stéphane était un pré requis pour travailler sur le spectacle). Bien que les liaisons entre les scènes soient définies clairement, il aurait été intéressant de les solidifier, peut-être en définissant mieux le personnage d’Esteban. Après tout, nous sommes dans son univers, mais nous ne connaissons rien de lui, mise à part sa solitude : il aurait été intéressant de connaître les raisons qui l’ont poussé à se travestir et à exprimer certaines obsessions. On dirait que Crête s’est servi du personnage principal comme prétexte pour faire des sketches, sans toutefois en approfondir le caractère. Il faut toutefois souligner le travail et l’engagement du comédien sur le plan de l’interprétation. Pas une seule seconde nous n’avons senti d’essoufflement dans la passion qu’il mettait à mimer, à raconter, à chanter et à danser. Le spectacle aurait cependant gagné à avoir un fil conducteur plus fort, ce qui le place au rang d’exercice de laboratoire et de recherche libre plutôt qu’au rang de spectacle abouti. Bon début de session! 13 LL’équipe ePied Marie-Hélène Constant (Rédac’ chef) Mathieu Laflamme Prochaine date de tombée Le Lundi 26 OCTOBRE 21 H (Bas droit et table à dessin électronique) Jean-Michel Théroux (Ministre du comité de lecture) Émile Dupré (Charmant bédéiste) Comité de lecture Anne-Marie Benoît Soumettez vos textes à l’adresse suivante : Marie-Eve Dionne lepied @ littfra . com Maude Larente Jessica Morisette [email protected]