Son amie d`enfance - La Web TV de l`Afpa

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Son amie d`enfance - La Web TV de l`Afpa
Deux vies, une rencontre
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Français l’Atelier
TFS : DT 02-1321.00
Son amie d’enfance
... “ Nous faisions l’école buissonnière. Au lieu de nous rendre chaque matin à l’école, nous nous rendions
près de la rivière. Là, au moins, il n’y avait personne pour nous dire, “fais ceci, fais cela”. Il disait qu’on faisait partie de la même galaxie tous les deux...
Près de la rivière, nous étions au calme à regarder les grenouilles sauter, les libellules voler autour de nous,
les poissons qui faisaient une apparition furtive. Plus nous marchions le long de la rivière, plus les pêcheurs
vus au loin, se rapprochaient. En passant près des premiers, nous nous apercevions que les poissons n’avaient pas trop mordu. Des fois, on rencontrait Bébert, qui était là, comme nous, à regarder les poissons,
on s’asseyait près de lui et on lui demandait ce qu’il faisait. Il nous regardait en nous disant sur un ton
coléreux que ce qu’il faisait là, ne nous regardait pas. On repartait tout penaud sans rien dire, rien faire.
Ah Bébert ! un sacré numéro lui aussi. Tiens, tenez, regardez, c’est sa photo ça, oui, la première photo de
Bébert le tatoué.
Il est de ceux que l’on appellait méchamment idiot du village.
C’est vrai qu’il a toujours été attiré par les armes et quand il jouait aux gendarmes et aux voleurs, il était
toujours du mauvais côté. Son premier larcin il l’a fait à 10 ans à la boulangerie du village voisin : butin 15
F de bonbons. Son premier vrai casse il l’a fait à 22 ans. Ce braquage, il avait été étudié, planifié, réfléchi.
Tout était prêt pour le vol du vélo, car Bébert n’avait pas le permis, la cagoule, un pistolet en plastique qu’il
avait customisé, pour faire plus vrai. Bébert allait attaquer la Caisse d’Epargne, il l’avait choisi pour son
emblème l’écureuil. Bébert aimait les animaux. Ce premier hold-up lui a rapporté peu : 6700 F. Avec cela
il s’est acheté une mobylette, car il avait prévu d’autres casses. C’est après ce premier casse que Bébert s’est
fait tatouer le portrait de son meilleur ami : Firmin l’eau froide. Ils s’étaient rencontrés quelques années
auparavant, peut-être bien au bord de cette rivière quand il faisait l’école buissonnière, ça c’est bien possible ! Une amitié sincère les réunissait. Firmin l’eau froide avait toujours à ses côtés cette photo. Il pouvait
la contempler. Oui cette amitié était forte et très originale : Firmin l’eau froide était un poisson... Mais bien
sûr, je m’égare. D’ailleurs Toto et Bébert n’ont jamais été amis, eux. Mais ils aimaient faire l’école buissonnière et se rendre près de la rivière. Peut-être que ça, ça les rapprochait quand même un peu...
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Bon, on faisait l’école buissonnière... Seulement, un jour, le directeur de l’école, a téléphoné à nos parents.
Au bout de trois bonnes heures de promenade, quand Toto a décidé de rentrer à la maison, il m’a raconté
que son père était là, sur le pas de la porte, les bras croisés, les yeux rouges de colère. Il l’attendait. Il s’est
bien douté que c’était pour lui. Cela faisait un moment déjà que nous avions commencé l’école buissonnière. Moi, mes parents n’ont rien dit mais le père de Toto l’a pris à part, dans le salon, pour lui expliquer
les vertus de l’éducation, ce que lui apporterait l’école. Bien sûr que Toto, lui, il s’en foutait, il n’aimait pas
l’école et il avait décidé de ne plus jamais y retourner. Pour terminer leur conversation son père a dit :
“Si tu ne t’améliores pas et si tu n’arrêtes pas de faire l’école buissonnière ; tu iras en pension et ne reviendras qu’une seule fois par mois !”
Et voilà, après, on n’est plus allé au bord de la rivière. C’est alors qu’il a commencé à trainer sur le port.
Après, il ne jouait plus jamais avec moi, il m’a oublié quoi... ”
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Un copain d’adolescence
... “ Je me souviens, que si on cherchait Toto, il fallait se rendre sur le port.
Le port était toujours en mouvement, ne serait-ce que par le balancement des bateaux restés à quai. Les marins
partaient tôt le matin, et on entendait les moteurs s’éloigner vers le large. Lorsque le monde sortait de son endormissement, les moteurs s’approchaient du rivage
Tout d’un coup, le port s’animait. Les femmes venaient faire leur marché aux poissons. Ce poisson tout juste pêché
par les hommes de Brest. Toto partait quelquefois avec eux. Il se faisait la main.
Il disait qu’un jour il partirait sur le “Vas-y mollo” et ferait sa propre pêche. Sérieusement. Pour gagner sa vie. Car les
pêches que nous faisions ensemble, c’était de l’argent de poche. Il joignait l’utile à l’agréable. Lorsque nous étions à
quelques milles, nous mettions au point notre plan. Jamais nous ne serions prêts. Il faudrait partir plus souvent pour
arriver à nos fins.
Mais le temps passait, et nous n’étions pas toujours d’accord. Et Toto s’impatientait. Ce jour-là, je me suis rendu sur
le port. Parmi les bateaux à quai, je ne voyais pas le “Vas-y mollo”.
Jusqu’à présent, Toto n’était jamais parti seul. Il connaissait trop les dangers de la mer. Sans m’en rendre compte, je
scrutais l’horizon, mais à quoi bon ! Ses parents pourraient mieux me renseigner.
Je me souviens comme je réfléchissais en marchant vers la forge. Le vieil homme était affairé dans la remise, et sa
femme ramassait des poires dans le verger. Parmi les pommiers qui donnaient un excellent cidre, le forgeron avait
planté des poiriers pour Toto. Il ne se lassait pas des tartes de sa mère. C’est vrai qu’elles étaient bonnes ! Mais où
était-il passé ?
Ses parents étaient inquiets après ma visite. Je m’en voulais de les avoir perturbés.
A son retour, tous les regards étaient tournés vers lui. Tous étaient heureux de la voir revenir, mais tous exprimaient de
la colère en voyant avec quelle désinvolture, avant même d’être accusé, il toisait ses juges. Aucune explication. Toto
était comme ça. Cet esprit d’indépendance l’a certainement aidé, lorsqu’il s’est engagé.
Et moi, avec mon état d’esprit à moi, plus respectueux des autres (c’est ce que je pense !), je suis resté à quai ; ma
petite vie est tranquille au milieu de ceux que j’aime.
Oui, Toto a bourlingué, et moi je suis resté à l’abri des risques et des tracas”...