"Ma fille est morte ?" : 20 ans après l`attentat du RER B à Saint
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"Ma fille est morte ?" : 20 ans après l`attentat du RER B à Saint
"Ma fille est morte ?" : 20 ans après l'attentat du RER B à Saint-Michel, je n'oublie rien Publié le 25-07-2015 à 09h37 - Modifié à 17h25 Par Richard Girier-Dufournier Père d'une victime LE PLUS. Le 25 juillet 1995, vers 17h30, une bombe explose à bord d’une rame de la ligne du RER B au niveau de la station Saint-Michel à Paris. L’attentat, revendiqué par le Groupe islamique armé (GIA), fait 8 morts et 117 blessés. La fille de Richard Girier-Dufournier, ex-policier, était assise en face de la bombe et a succombé à ses blessures. Vingt ans après les faits, son père se souvient. Édité et parrainé par Louise Auvitu L’attentat de la station Saint-Michel du 25 juillet 1995 a fait 8 morts et 117 blessés (V. AMALVY/AFP) Vingt ans se sont écoulés, mais je n’oublie pas. Ce 25 juillet 1995, aux alentours de 17h30, ma fille Sandrine, 23 ans, rentrait de son travail situé à Roissy. Elle était hôtesse d’accueil à l’aéroport et rêvait de travailler dans la mode ou le mannequinat. Sur le chemin, elle a croisé mon autre fille, Nadège, qui est descendue à la station précédente. Quand la bombe d’une charge de 6 ou 8 kg a explosé, ma fille était juste en face. Brûlée, ses membres arrachés, souffrant de multiples fractures, elle a été dirigée vers l’Hôpital-Dieu. Elle est morte durant le trajet. "Ils ont retrouvé sa carte d’identité" À cette époque, j’étais capitaine de police et je travaillais à l’aéroport d’Orly. Mais ce jour-là, j’étais en mission pour le ministère de l’Intérieur au Maroc. Vers 20 heures, l’un de mes collègues m’a téléphoné. Il m’a demandé si j’avais vu ce qui s’était produit à Paris. L’attentat, la bombe, les blessés, je n’étais au courant de rien. J’ai allumé précipitamment ma télévision et j’ai vu les images. Mon collègue m’a alors dit : "Tu sais, il y a des morts… Ils ont retrouvé la carte d’identité de ta fille Sandrine sur place." Sur le coup, je n’ai pas réalisé. Je lui ai demandé ce que cela voulait dire. Qu’est-ce qu’une pièce d’identité venait faire dans cette histoire ? Au bout de quelques secondes, je lui ai demandé si ma fille était blessée. Silence. J’ai compris : "Tu es en train de me dire que ma fille est morte ?" Il a acquiescé. Sous le choc, je n’ai pas vraiment réagi. Je me souviens que je me disais simplement qu’au moins, elle n’avait pas dû souffrir. Mécaniquement, sans réfléchir, j’ai pris un billet d’avion pour rentrer à Paris dès le lendemain. J’ai dû identifier son corps En arrivant à Orly, j’ai été accueilli par l’ensemble de mes collègues. On m’a alors emmené à l’Institut médico-légal de Paris pour que j’identifie le corps. Je me souviens du médecin légiste et de son dossier d’autopsie de 25 centimètres d’épaisseur concernant toutes les victimes de ce terrible attentat. Sandrine avait été préparée. En la voyant, inerte sur cette table, j’ai vraiment compris la situation. Ma fille était morte et je ne la reverrais jamais. Ma femme et moi étions déjà séparés depuis déjà quelques années, mais nous avons fait face ensemble. Notre priorité : récupérer la dépouille de ma fille et l’enterrer. Les funérailles se sont tenues le samedi suivant, quatre jours seulement après l’attentat. Plus de 10 ans de procédure et aucun soulagement Par ma profession et mes contacts, j’ai été régulièrement informé de l’enquête. Les jours qui ont suivi, le GIA a revendiqué l’attentat. Soit. Mais pourquoi s’en prendre à des civils, à de parfaits inconnus, pour des raisons politiques ? Ma fille n’avait rien fait, elle aurait dû vivre, elle avait des projets, et tout s’est arrêté en quelques secondes. C’était ma fille et je l’ai récupéré en morceaux. Quelle personne peut être capable d’une telle cruauté ? Les arrestations des auteurs de l’attentat ne m’ont pas apporté un vrai soulagement. Oui, nous les avions, oui, ils allaient être jugés, mais il fallait déterminer leur rôle. Comme d’autres proches des victimes, je me suis porté partie civile et j’ai assisté à tous les procès qui ont eu lieu pendant près de dix ans. S’il fallait parler à la barre, je le faisais. S’il fallait affronter le regard d’un accusé, je ne me gênais pas. Aux audiences, les familles se munissaient souvent d’une photo de leur proche disparu. La plupart des accusés n’osaient même pas nous regarder. Même en face d’eux, je n’arrivais toujours pas à comprendre leurs actes. Aucun n’a demandé "pardon", tout simplement parce qu’ils s’en foutaient. J’ai besoin de parler de Sandrine Rachid Ramda, qui faisait partie du réseau terroriste, a été arrêté en 1995 au Royaume-Uni. Nous avons demandé à ce qu’il soit extradé pour être jugé en France. J’ai même adressé un courrier au ministre de l’Intérieur anglais de l’époque. Cela nous a pris dix ans pour avoir gain de cause. Rachid Ramda a finalement été condamné le 26 octobre 2007 à la réclusion criminelle à perpétuité. Tant que je serais en vie, je lutterai pour qu’il ne soit jamais remis en liberté. Vingt ans après l’attentat, des doutes subsistent. Je ne pense pas que nous ayons mis la main sur le vrai commanditaire de ces attentats. J’aurais voulu avoir toute la vérité, mais je ne désespère pas. Qui sait, peut-être qu’un jour… Ces années de procédure n’ont pas fait revenir ma fille. Aujourd’hui, il ne se passe pas un jour sans que je parle d’elle, sans que j’y pense. J’ai besoin de parler de Sandrine car elle restera toujours vivante pour moi, elle fait partie intégrante de ma vie. Je me rends souvent à la station Saint-Michel Encore aujourd’hui, j’évite de prendre le métro, je m’inquiète de voir un colis abandonné. Non pas parce que j’ai peur de mourir mais parce que je connais le malheur qu’une bombe peut provoquer. Comme pour les attentats de "Charlie Hebdo", je ne comprendrai jamais comment des gens peuvent faire preuve d’autant de violence. Aujourd’hui, je vis à Agadir. Là-bas, il y a un cimetière français. Ma fille n’y est pas enterrée et pourtant, je m’y rends très régulièrement pour lui allumer un cierge. Quand je vais à Paris, je me rends toujours dans la station de RER Saint-Michel, au deuxième sous-sol, au bout du quai pour apercevoir la plaque commémorative, puis je ressors du métro pour marcher jusqu’à l’Hôtel-Dieu. C’était son dernier trajet. Propos recueillis par Louise Auvitu