Les Associations pour le droit de mourir dans la dignité. Revue
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Les Associations pour le droit de mourir dans la dignité. Revue
KENIS Y. Revue médicale de Liège, 1986, 41 (18) : 708-709. Journée liégeoise d’oncologie – Sart Tilman, 1er juin 1985 : « Cancers et qualité de vie ». Les Associations pour le droit de mourir dans la dignité. « Qualité de la vie, qualité de la mort ? », « Bien vivre, bien mourir », « Droit de mourir dans la dignité », tous ces termes et le fait que les organisateurs de cette journée, consacrée au thème « Cancers et qualité de vie », m’aient demandé – ce dont je les remercie – de parler des associations pour le Droit de mourir dans la dignité et de présider une table ronde sur les « initiatives en matière de soutien du patient cancéreux : qualité de vie du patient terminal, choix philosophique », montrent que la mort a cessé d’être un sujet tabou – même pour les médecins – et que la période historique d’évacuation de la mort, que nous connaissons depuis un siècle, est peut-être en train de s’achever. Cela signifie-t-il que nous rentrons dans cette très longue histoire de la familiarité de l’homme avec la mort ? Les préhistoriens, les paléontologues, les anthropologues nous disent que la conscience de la mort, attestée par les premières sépultures, par le souci des dépouilles, constitue le passage à l’hominisation. Depuis lors, l’homme a eu peur de la mort et il a rusé avec elle. Toutes les philosophies ont voulu nous « apprendre à mourir », les épicuriens comme les stoïciens, les chrétiens comme les païens. La médecine, depuis qu’elle dispose de quelques moyens, a tenté de s’opposer à cette tendance. Les premiers signes de ce changement d’attitude apparaissent au siècle des lumières. Rousseau en a été conscient, d’ailleurs pour s’y opposer au nom de la philosophie, mais Jean-Jacques n’a pas arrêté les progrès de la médecine, et les succès thérapeutiques de plus en plus évidents ont amené petit à petit le corps médical, et le corps social tout entier, à considérer la mort – quel qu’en soit le moment ou la cause – comme un échec intolérable. Elle n’est plus, comme jadis, une étape ou un passage, mais un accident. Elle est la conséquence d’une maladie. Les progrès de la science médicale doivent non seulement en reculer l’heure, mais la mettre en fuite. L’inaction humaine en face d’elle est inacceptable : il faut faire quelque chose à tout prix, parfois jusqu’à l’absurde. D’autre part, dans notre société, depuis le milieu ou le dernier tiers du 19e siècle, la mort est refoulée, escamotée, comme l’ont bien montré au cours de la dernière décennie, les historiens, les sociologues et les philosophes. Lutter pour maintenir en vie – ou plutôt pour maintenir un organisme en état de fonctionnement – c’est encore une façon de nier la mort. Une autre raison de cette attitude médicale, que le Professeur Debray a appelé l’acharnement thérapeutique, est l’incertitude du pronostic. Peut-on jamais être absolument sûr qu’un état pathologique est irréversible ? Une dernière raison – heureusement encore exceptionnelle chez nous, mais qui existe dans d’autres pays – est la crainte de poursuites, sur le plan pénal ou civil, pour abandon de soins. Depuis quelques années, on assiste à un changement d’attitude. La mort, d’escamotée, d’occultée, est devenue bavarde. Outre les historiens et les sociologues cités plus haut, les anthropologues, les psychologues, les moralistes, les journalistes, les politiciens en parlent, répondent à des interviews, écrivent des articles ou de gros ouvrages, rédigent des propositions de loi. L’excès même du déni de la mort a amené une réaction à laquelle les médecins ne sont pas restés étrangers. Les agonies sinistrement caricaturales d’hommes d’Etat comme Tito, Franco ou Boumedienne, ont par la publicité qui leur a été faite, secoué l’opinion publique. Cet acharnement thérapeutique a été perçu comme un abus, comme une prolongation intolérable du processus de mourir, comme une atteinte à la dignité de l’homme à la dernière heure. Dans plusieurs pays et dans un grand nombre d’institutions de soins, des comités d’éthique, réunissant médecins, juristes, moralistes, ministres du culte ont été constitués et ont essayé de définir les conditions dans lesquelles il était préférable d’abandonner ou de ne pas entreprendre un traitement actif, une réanimation. Des associations se sont créées, qui regroupent les nombreuses personnes qui se sentent concernées par ces problèmes. L’ADMD, que je préside, Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, en est un exemple. Le nom choisi n’est peut-être pas tout à fait adéquat, parce que ce que nous voulons, c’est aider les hommes à vivre dignement jusqu’à leurs derniers instants. Nous voulons que chaque être humain, conscient et responsable, garde jusqu’au bout le droit de choisir la fin de sa vie, son ultime liberté. Nous soutenons toutes les recherches sur les moyens de soulager les souffrances en fin de vie – que ces recherches se fassent dans le domaine de la pharmacologie ou dans le domaine de la psychologie. Nous approuvons les programmes d’accompagnement et de soutien des mourants et de leurs proches. Nous sommes favorables à la création d’unités de soins palliatifs. Nous appuyons les initiatives législatives parlementaires qui ont pour but de lutter contre l’acharnement thérapeutique. Mais est-ce aller assez loin ? L’absence de souffrance, un entourage aimant et chaleureux représentent sans doute, pour la majorité des humains, des conditions suffisantes pour accepter, sans révolte, une fin naturelle. Cela nous autorise-t-il à refuser à d’autres un autre choix ? N’avons-nous pas au contraire le devoir d’aider ceux qui ont fait cet autre choix et qui ne peuvent le réaliser seul ? Un sujet comme celui que j’ai choisi pour cet exposé doit se terminer par un point d’interrogation, mais permettez-moi de conclure par une citation littéraire. C’est une page tirée du dernier roman de Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être : « Par rapport à l’homme, le chien n’a guère de privilège, mais il en a un qui est appréciable : dans son cas, l’euthanasie n’est pas interdite par la loi ; l’animal a droit à une mort miséricordieuse. Karénine marchait sur trois pattes et passait de plus en plus de temps couché dans un coin. Il gémissait. Tereza et Tomas étaient tout à fait d’accord : ils n’avaient pas le droit de le laisser souffrir inutilement. Mais leur accord sur ce principe ne leur épargnait pas une angoissante incertitude. Comment savoir à quel moment la souffrance devient inutile ? Comment déterminer l’instant où ça ne vaut plus la peine de vivre ? Si seulement Tomas n’avait pas été médecin ! Il aurait alors été possible de se cacher derrière un tiers. Il aurait alors été possible d’aller trouver le vétérinaire et de lui demander de piquer le chien. Il est si dur d’assumer soi-même le rôle de la mort ! Longtemps, Tomas avait énergiquement déclaré qu’il ne lui ferait jamais de piqûre lui-même et qu’il appellerait le vétérinaire. Mais il finit par comprendre qu’il pouvait au moins lui accorder un privilège qui n’est à la portée d’aucun être humain : la mort viendrait à lui sous le masque de ceux qu’il aimait ».