Introduction - BIU Montpellier

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Introduction - BIU Montpellier
Introduction :
De tous les travaux d’Emmanuel, il semblerait que le roman
« Saison Violente » est celui où s’affirme avec le plus de netteté la
dimension de l’hispanité.
Aussi nous-a-t-il semblé pertinent d’explorer la question en
tentant une incursion dans cette ambiance hispanique que nous donne à
voir Emmanuel Roblès dans « Saison Violente ».
Sur le plan méthodologique, la démarche que nous avons
choisi d’adopter et que nous proposons est axée sur la présentation du
roman d’abord avant de poursuivre avec les perspectives onomastiques
et toponymiques pour arriver à la langue espagnole elle-même dont le
narrateur emprunte quelques mots et expressions en plus de la
référence aux us et coutumes.
Il nous a semblé également utile de nous attarder sur le fait
de l’attachement du jeune narrateur à l’hispanité et de la revendication
de cette appartenance comme élément essentiel de son identité. Il en
tire même une certaine fierté. Non pas seulement lorsqu’il est interpellé
sur la question comme c’est souvent le cas mais en d’autres occasions
également où rien ni personne ne l’oblige.
C’est dire à quel point il vit pleinement et intensément son
hispanité.
Présentation du roman :
Dans ce roman
Emmanuel Roblés relate, à la faveur de
repérages spatio-temporels précis, d’une radioscopie sans complaisance
de la ville et de la société oranaise du début du XXe siècle et enfin d’un
regard non moins complaisant posé sur les communautés qui y vivaient,
le vécu quotidien d’un jeune adolescent de 14 ans soumis aux multiples
vicissitudes de la vie. Une vie rendue pénible par l’absence du père, par
des conditions d’existence très précaires et par la proximité avec des
personnes dont le jeune adolescent réprouve et se révolte contre leur
attitude à son égard.
Les moments assez fréquents de semblant de bonheur
personnel que procurent de menues jouissances de la vie quotidienne
ainsi que les quelques contacts avec des êtres présentés comme
proches alternent allègrement avec d’autres moments d’extrême
détresse née de situations et de rapports très tendus sur le double plan
psychologique et social.
Dans ce texte, le narrateur parle de sa vie de façon
rétrospective en ayant recours de manière récurrente à des expressions
telle que : « je me souviens », « à cette époque » etc…..
Cette distanciation lui donne le savoir nécessaire pour rendre
compte de sa vie d’adolescent dans un univers décrit, de façon
ambivalente, tantôt comme convivial, tantôt comme hostile voire violent.
Aussi, dans sa démarche dominée par le souci manifeste de
laisser transparaitre la violence sous ses multiples aspects, Emmanuel
Roblés ne s’embarrasse pas de transgressions.
Le lecteur est souvent en présence d’une subversion du code
clairement affichée.
C’est le cas, par exemple, dans les monologues intérieurs du
narrateur ou dans le discours des autres personnages. La langue dans
laquelle ils s’expriment est reproduite avec ses imperfections, ses écarts.
Apparemment le souci de l’auteur était de retranscrire les états d’âme,
les événements, les situations sans souci d’embellissement de la langue
quitte à choquer parfois.
Le cas le plus frappant, dans ce contexte-là est celui des
injures et autres obscénités proférées par le narrateur dans des
moments de grande colère. Et comme pour accentuer la transgression,
ces injures sont rapportées dans une langue autre que celle du texte,
l’espagnol en l’occurrence.
En faisant le choix de ne pas traduire, l’auteur prend
délibérément le parti du désordre dans le discours. Le lecteur est en
définitive mis devant un état manifeste de subversion
du code
linguistique et de violence contre le code moral.
Ce texte est avant tout l’histoire d’amitiés fécondes (les
Mousquetaires, Paco Péres, la famille Fernadez, Sarcos ) de rapports
sentimentaux et passionnels (Véronique) mais il est aussi l’histoire de
relation tumultueuses, controversées, d’inimitiés (Mme Quinson, l’oncle
Antoine, l’agent Ortéga, l’homme-au-cannotier) de malentendus et
d’incompréhension (la mère), de frustrations (l’absence du père,
l’indigence, le départ de Véronique) et de fracture sociale .
« Saison Violente » est également un texte qui donne à lire
une dénonciation claire et parfois violente d’un ordre régi par l’arbitraire,
la ségrégation, la négation de l’autre, le déni de justice, le refus du
dialogue, le mépris.
Il se trouve donc que c’est un ordre social, politique,
économique et culturel qui favorise immanquablement la réaction
violente du dominé contre le dominant et inversement et qui contrarie
inéluctablement toute tentative ou tout espoir de construction d’une
société intercommunautaire multiraciale et multiconfessionnelle qui est
rejeté.
Né dans un tel environnement où le « vivre ensemble » lui
parait possible, le personnage principal d’Emmanuel Roblés dans
« Saison violente » se trouve face à la désillusion et la déception. Dans
sa vie de tous les jours, il côtoie les deux franges de cette société qui, au
lieu de s’écouter, se tournent le dos. Cela fait naître et développer chez
lui une espèce de caractère ambivalent. A peine âge de 14 ans, il
semble déjà avoir compris les enjeux d’une société de contradictions.
Pour lui cet espace vital qu’est sa ville natale pourrait être convivial si
une certaine frange de la société ne s’était pas opposée à la
cohabitation.
Intolérante, celle-ci ne donne pas toute sa chance à la
construction d’un modèle social où les différences ethniques, culturelles,
raciales et confessionnelles sont acceptées. C’est donc dans ce
contexte-là que se meut le personnage central du roman, par ailleurs
narrateur.
Tout en se révoltant contre cet ordre par le biais du rejet de
certaines conventions, du désir affiché de son insoumission, du mépris
de l’autorité, il semble se complaire dans son entourage immédiat où la
vie lui parait tout de même agréable.
Le texte donne ainsi à découvrir un être aigri mais n’en
aimant pas mois la vie. Une vie qu’il semble ne pas tout à fait haïr car
elle lui procure apparemment un certain bonheur parmi les siens.
L’ambivalence
parait
donc
être
la
caractéristique
fondamentale dans « Saison violente » d’Emmanuelle Roblès.
Pour en rendre compte, l’auteur choisit de ne pas privilégier
la difficulté.
Aussi est-il facile de constater que les conventions
romanesques sont battues en brèche. Le narrateur ne semble pas
privilégier une histoire mais plutôt des scènes de vie quotidiennes
séparées avec cependant, les mêmes acteurs. IL s’écarte de la
pédagogie, bien connue et qui consiste à donner à lire des savoirs
essentiels de type conventionnel de lecture d’une histoire.
Voici, classés ci-après, les multiples niveaux où se manifeste la
dimension espagnole :
1- Les noms et/ou les prénoms :
S’il fallait recenser les personnages du roman, il n’y aurait aucune
difficulté à remarquer que bon nombre d’entre eux sont porteurs de
noms et/ou de prénoms à consonance espagnole. Citons d’abord les
adolescents,
petits
amis
du
narrateur
et
qu’il
nomme
‘’
Les
Mousquetaires’’. On y trouve ainsi Marco et Toni. Du coté des adultes, le
narrateur est lié d’amitié avec trois hommes dont deux étaient amis de
son défunt père. Là aussi ce sont des patronymes espagnols : Francisco
Pérez dit Paco et Cammillo Fernandez en plus de Sarcos, vieux militant
communiste, buraliste de son état. Il y a également l’abbé Porteno,
l’agent Ortéga le professeur de Géographie au collège M.Gallazzo , la
coja (la boiteuse) professeur de Lettres
enfin Dolorès, la femme de
chambre de Madame Quinson.
Pour clore ce volet lié à la référence onomastique, rappelons que
le père disparu du narrateur s’appelait Manuel, un prénom auquel les
intimes accolaient le sobriquet Rojo .
2- Les lieux :
Dans « Saison Violente », le narrateur évoque des lieux à Oran
connus pour être des sanctuaires ou des endroits forts réputés, témoins
de la présence espagnole dans cette ville. IL y est ainsi fait référence à
Santa Gruz, à la Gueva de Agua, les murailles du Rozalcazar, un for
espagnol.
3- La langue :
Dans « Saison Violente », le narrateur a quelques fois recours à la
langue espagnole lui empruntant tantôt un mot, tantôt une expression
qu’il juge plus adaptés au contexte.
Il en est ainsi du mot « Aguantar » dont il fait usage à plusieurs
reprises et qu’il traduit par « devoir de patience ». Et parfois
pour
signifier la même chose, il a recours à l’expression « Es necesario
aguantar » qui veut dire « devoir de réserve » ou « devoir de patience » .
Par ailleurs, et quand il fallait exprimer sa colère, le narrateur a
recours à des gros mots et des propos obscènes dans la langue
espagnole.
Notons enfin que beaucoup de titre de films, de pièces de théâtre
et autres affiches murales rapportés par l’auteur sont également en
espagnol. Comme : « Commediante » « Los condores » « No se puede
vivir sin Amor».
4- Les us et coutumes :
Le narrateur dont l’origine est espagnole s’évertue à le montrer.
C’est le cas lorsqu’il évoque les us et coutumes qui sont celles de sa
famille et de sa communauté. Il parle par exemple de nourriture :
« caracoles » et « migas ». Des noms d’origine espagnole qui sont
utilisés parfois à des fins vexatoires contre le narrateur par des
personnages appartenant à une autre communauté.
Dans un autre contexte, le narrateur parle de friandises en
évoquant l’Espagne également.
« Impossible d’acheter ces dragées aux amandes et ce nougat
d’Espagne que proposaient des magasins ornés de sapins …. » (P81).
De même lorsqu’il parle de médecine traditionnelle le
narrateur fait référence aux traditions espagnoles.
« Ma grand-mère, originaire d’Andalousie nous avait légué toute une
pharmacopée à base de plantes, d’insectes et de certains organes
d’animaux »(P19).
5- L’appartenance à la culture hispanique :
Tout en reconnaissant qu’il est « à la frontière des deux mondes »,
le narrateur n’en affirme pas moins son attachement à l’Espagne.
« Tout l’Orient vivait dans mon sang andalou »(P89).
6- Le refus de l’exclusion et l’affirmation de l’identité :
Le narrateur ne semble nullement souffrir du fait d’être traité de
« cinquante-cinquante » faisant allusion à un certain discours que lui
tiennent quelques personnages par rapport à sa double appartenance.
Pour lui, au contraire, c’est un motif de fierté.
« Comme si, en dix semaines, les résultats de ses soins et de son
système d'éducation l'avaient profondément déçue, Mme Quinson se mit à
me reprocher mon accent, à singer ma manière de prononcer certains mots
et elle alla jusqu'à dire : «On aura beau faire, tu es et tu resteras toujours
un cinquante pour cent.» On nous appelait aussi « caracoles ?» ou
« migas », du nom de nos nourritures de pauvres mais, pour méprisants
qu'ils fussent, ces termes m'égratignaient à peine le cuir. Au contraire, «
cinquante pour-cent » m'atteignait au vif tant, à mes yeux, cette expression
marquait la volonté de me laisser à la porte, de m'empêcher d'entrer dans
le royaume.
Certes, j'avais une conscience très claire de ma double appartenance,
toutefois, sur cette rive, l'Espagne n'était qu'un surgeon sans fleurs.
Subsistaient des traditions plus ou moins abâtardies, sauf en matière
religieuse, mais la langue elle-même se corrompait, contaminée par le
français et l'arabe, et l'absence de livres, l'impossibilité d'échanges et
même, à un certain degré, l'interdiction à l'école primaire de parler
l'espagnol me coupaient, au fur et à mesure que j'avançais en âge, de
certaines racines. Ces facteurs, en revanche, me laissaient ouvert,
disponible, réceptif; j'assimilais tout, Louis XIV et Robespierre, Racine et
Michelet, la Loire et la Beauce, Molière, Balzac, Hugo ! Le supplice de
Jeanne d'Arc me révoltait et les adieux de Fontainebleau m'embuaient les
yeux de larmes. Moi, un « cinquante-pour-cent ? » Moi, une moitié
d'étranger ? Comment était-ce concevable ? Si je savais ma différence, je
connaissais tout aussi bien la profondeur de ma communion. Je n'étais pas
à la porte, mais à l'intérieur, non aux frontières, mais sur le territoire même
de cette patrie culturelle
à laquelle j'adhérais de toute mon intelligence et de toute ma
sensibilité. Cinq ans plus tard je me mettrais à l'étude systématique de la
langue, de la littérature et de l'histoire hispaniques, poussé dans cette
période tourmentée de mon adolescence par le besoin de recouvrer ma
complète identité, d'atténuer certaines inhibitions, de construire mon unité
intérieure » (PP114-115)
Il déclare par ailleurs ne pas aimer son propre oncle parce que
celui-ci ne s’enorgueillit pas de son appartenance à l’identité espagnole
qui est la leur.
« Je n’aime pas l’oncle Antoine. Ce que je lui reproche ? D’être
trop respectueux de l’autorité, trop soumis à tout ce qui commande,
ordonne, représente à ses yeux la sacro-sante administration.
D’origine espagnole, comme moi, comme nous tous dans cette
communauté, il en souffre, il en a presque honte. Il se désespère qu’on
nous appelle par dérision les « cinquante pour cent... »(P72)
Conclusion :
A la lumière de ce qui a été présenté, il est permis d’avancer
qu’Emmanuel Robles s’emploie à inscrire « Saison Violente » dans une
perspective de valorisation de son identité espagnole en en rappelant
perpétuellement les référents culturels. Même en se situant au carrefour
de plusieurs « Mondes » par le biais de son attachement à la
méditeraneité, il n’en affiche pas moins, dans ce roman du moins, ses
racines espagnoles à travers ce qu’il qualifie d’héritage légué par ses
ancêtres andalous.

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