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L’analyse d’une photographie : Alexandra Boulat
Alexandra Boulat est née à Paris en 1962, fille
du grand photographe Pierre Boulat et de la
fondatrice de l’agence Cosmos, Annie Boulat.
En 1980, le bac en poche à 18 ans tout juste,
elle rêve déjà de marcher dans les traces de
son père… En 2001, elle devient co-fondatrice
de l'agence photo VII, constituée comme son
nom l’indique, de sept représentants de l’élite
du métier, parmi lesquels l’ancien photographe
de Magnum James Nachtwey. Cette agence est
dest i n ée
à
doc u m ent e r
le
c o nf l i t
environnemental, social et politique. Elle a
également publié deux livres, le premier
intitulé « Paris » et le second « Éclats de
Guerre » en 2002. La centaine de photos
sélectionnées
A collection of bullets and a paper tulip decorate a government office in Quetta, Pakistan 2001 © Alexandra Boulat
pour
ce
dernier
ouvrage
constitue une sélection d’élite de dix ans d’un
parcours d’exception. Elle s’installe à Ramallah en 2006 où elle couvre la situation dans la bande de Gaza et le conflit inter-palestinien. En
juin 2007, alors qu’elle était en reportage pour Paris-Match en Cisjordanie, elle est victime d’une rupture d’anévrisme. Rapatriée à Paris,
elle meurt en octobre alors qu’elle n’avait que 45 ans.
Voici aujourd’hui l’analyse d’une photographie d’Alexandra Boulat présentant une rose entourée de munitions intitulée « A collection of
bullets and a paper tulip decorate a government office in Quetta, Pakistan 2001 ».
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L’analyse d’une photographie : Alexandra Boulat
Sujet :
Cette nature morte est un moyen métaphorique de
présenter la situation au Pakistan en 2001, en sortant
des clichés classiques. Cette image suggère comme
message que la population baignée dans la violence
tente de garder espoir et de maintenir, au moins en
apparence, une vie normale.
Impressions :
Les munitions alignées ont un impact fort, elles agissent
comme une menace envers l’observateur, ce qui crée
une ambiance lourde et souligne la violence sans la
montrer directement. On ressent d’une certaine façon la
terreur
que
connaissent
les
oppressés.
Cette
photographie dégage une impression paradoxale. On a
Présentation décroissante en ligne © Alexandra Boulat
tendance à se demander ce qu’une fleur fait au milieu de ces munitions ? Sans connaître le contexte historique et politique sous-jacent, il
serait difficile de comprendre l’importance de la présence de cette rose. En effet, le message renvoyé par cette fleur en apparence anodine
est porteur de sens. Cette dernière apporte-elle l’idée de la mort dans l’esprit d’une couronne mortuaire, ou celle de l’espoir de survie d’un
peuple ? Ce qui est certain, c’est que la mort plane et rode non loin…
Format :
Le format horizontal renforce l’effet d’enfilade d’objets présentés en ligne et en ordre globalement décroissant. La seule irrégularité de
cette décroissance étant ce cadre « fait maison » en papier agrémenté d’une rose qui interpelle dans la vision globale.
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L’analyse d’une photographie : Alexandra Boulat
Contexte :
Les munitions placées sur ce rebord soulignent que la violence est une composante permanente de la vie quotidienne de la population jusque
dans la décoration des intérieurs. Le lieu où a été réalisé cette prise de vue est le bureau du gouvernement situé à Quetta, au Pakistan.
Quetta est la capitale de la province du Balouchistan au Pakistan. Située au sud-ouest du pays, près de la frontière avec l'Afghanistan, dans
une zone relativement peuplée, c'est une ville de près d'un million d'habitants dont une majorité est Pachtoune, Baloutche et Hazara. La ville
est un pôle important de transit entre l'Afghanistan et le Pakistan. En 2011, les pros talibans manifestent leur soutien à Ben Laden lors de
grands rassemblements anti-américains qui interviennent en Afghanistan et au Pakistan. Le président du Pakistan de l’époque, Pervez
Musharraf, est aussi la cible du courroux de la population de Quetta, son mandat coïncidant avec un rapprochement entre son pays et les
États-Unis. Cette photo a une dimension universelle
parce qu’elle aurait pu être prise dans beaucoup
d’autres zones de combat.
Cadrage :
Cette photographie est une nature morte dont la
composition met en avant la géométrie d’une bande. Il y
a une notion d’esthétisme dans ces objets associés et
alignés
consciencieusement,
et
qui
pourtant
pris
individuellement n’ont rien d’esthétique.
Lumière :
La lumière semble naturelle, elle suit aussi une logique
croissante du sombre, en bas à gauche, vers le plus
clair, en haut à droite.
Sens de la lumière © Alexandra Boulat
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L’analyse d’une photographie : Alexandra Boulat
Angle de vue :
La prise de vue est frontale, et très légèrement réalisée en plongée. Cet angle livre une image en gros plan assez brutal, il souligne le côté
brut de la guerre et des objets qui sont utiles à la faire, exception faite de la rose.
Couleur :
La fleur apporte le seul élément chromatique positif de la photographie avec sa couleur rose. C’est peut-être un message d’espoir ? Les
contrastes de couleurs appuient l’idée du jeu entre le clair et l’obscur, entre le rose et le gris, entre la fleur et les balles. Ces mêmes
tonalités sont également retranscrites sur le rideau. Enfin le parti pris d’une réalisation en couleurs a son importance, même si l’on sait
qu’Alexandra travaillait surtout en couleurs, le noir et
blanc n’aurait pas eu le même impact visuel.
Profondeur :
L’absence presque totale de profondeur fait ressortir
l’objet phare de l’image : la rose. On peut penser qu’au
lieu d’utiliser la profondeur, la photographe a joué avec
le relief, celui de la fleur notamment qui ressort bien de
la platitude de l’image globale.
Composition :
Dans la composition, les lignes de tiers mettent en
valeur le point de force : la fleur collée sur un papier.
Une image délicate et douce entourée d’objets incarnant
la guerre et la violence.
Point de force © Alexandra Boulat
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L’analyse d’une photographie : Alexandra Boulat
Notion de mondes opposés :
Les obus et les balles représentent le monde masculin, et la rose et le rideau, le monde féminin. Hommes et femmes sont au centre de cette
tragédie et au coeur de l’esprit de l’image. Pourtant il s’agit bien là de deux mondes opposés.
Connotations et extrapolations :
C’est une photo qui nous touche d’autant plus qu’en y regardant de plus près, la fleur n’est pas naturelle. Il n’y a donc aucun signe de vie
apparent sur cette photo, la vie est représentée artificiellement car cette rose n’est qu’une fleur en plastique délavé. C’est l’élément décalé
qui montre que la vie résiste dans un univers de guerre. Cette fleur permet de s’interroger sur la cohabitation entre la violence et l’espoir de
paix qui persiste malgré tout au sein des foyers.
Squal
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