Le Concept De L es De Nathacha Appanah

Transcription

Le Concept De L es De Nathacha Appanah
LE CONCEPT DE LA QUÊTE DANS LES
OEUVRES DE NATHACHA APPANAH
Thesis submitted to the
PONDICHERRY UNIVERSITY
in partial fulfillment of the requirements
for the award of the degree of
DOCTOR OF PHILOSOPHY
BY
JAYAPAL SHARMILI
Under the guidance of
Dr. Nalini J. Thampi, Professor & Head, Department of French
PONDICHERRY UNIVERSITY
June 2012
CERTIFICATE
This is to certify that the Thesis titled “ Le Concept de la quête dans les oeuvres de
Nathacha Appanah ” is a bonafide record of research done by JAYAPAL
SHARMILI, a full time student of Ph.D. in the Department of French , Pondicherry
University, Pondicherry.
The subject on which the thesis has been prepared is her original work under my
guidance and has not previously formed the basis for the award of any degree to any
candidate.
Dr. NALINI J. THAMPI
( Supervisor )
Professor and Head, Department of French
Pondicherry University
Date :
Station : Puducherry
DECLARATION
I hereby declare that the Thesis titled “ Le concept de la quête dans les oeuvres de
Nathacha Appanah ” submitted by me for the award of the degree of Doctor of
Philosophy of the Pondicherry University, is a record of research done by me under
the guidance of Dr. Nalini J. Thampi, Professor & Head, Department of French,
Pondicherry University.
I further submit that this thesis has not been previously submitted to the Pondicherry
University or any other University for any other degree.
NAME OF THE CANDIDATE
Date :
Station : Puducherry
REMERCIEMENTS
La réalisation de cette thèse n‟aurait pas vu le jour sans la présence de plusieurs
personnes, qui ont joué un rôle primordial durant mon parcours doctoral.
Je tiens tout d‟abord à remercier, ma directrice de thèse, Dr. NALINI J. THAMPI,
qui a bien voulu m‟accepter sous sa tutelle et me faire bénéficier de son expérience
pour me permettre de mener à bien cette thèse. Ses suggestions m‟ont été d‟une grande
utilité, puisqu‟elles m‟ont aidé à choisir le sujet de ma recherche. Ses conseils
constructifs ainsi que sa disponibilité sont les éléments fondamentaux qui ont permis
l‟élaboration de cette dissertation. Je lui en suis très reconnaissante.
J‟exprime ma reconnaissance au « comité doctoral » constitué du Dr.
R.Venguattaramane, professeur de français et doyen de « School of Humanities » et
du Dr. Sujatha ViM. Mathialagan , Professeur d‟anglais pour leurs critiques et leurs
suggestions.
Je voudrais également remercier le Professeur Emeritus Dr. R. Krichenamourthy pour
son soutien et pour toujours être une grande source d‟inspiration pour les chercheurs
comme moi.
Je voudrais témoigner toute ma gratitude à Mme Nathacha Appanah, l‟écrivaine
francophone d‟origine mauricienne, dont les romans forment l‟étude de ma recherche.
Elle a eu la patience et la gentillesse de répondre à mes mails, qui m‟ont aidée à
rajouter des références bibliographiques pertinentes.
Mes remerciements s‟adressent également à tous mes collègues du Département de
Français pour leurs encouragements, ainsi qu‟à mes amis, qui ont pris la peine de me
faire parvenir certains documents nécessaires à ma recherche, et qui n‟ont jamais cessé
de me motiver durant ces dernières années.
Je tiens à remercier plus particulièrement Arunkumar Santhalingam, qui était mon
soutien moral tout au long de ces années. Je saisis également cette occasion pour
exprimer ma reconnaissance envers Dr. Santhalingam, pour m‟avoir procuré des
documents de références.
Enfin, ce travail n‟aurait certainement pas abouti sans le soutien de ma mère : Mme J.
Susila.
S‟il m‟arrive de ne pas pouvoir citer d‟autres noms, je saisis cette occasion pour
exprimer ma gratitude envers tous ceux qui, de loin ou de près, m‟ont aidé à la
réalisation de cette thèse.
Dédiée à mon père le Dr. SRINIVASAN JAYAPAL
Introduction
1. Contexte francophone et mauricien
Cette Thèse envisage d‟aborder un segment bien défini de cet immense
ensemble qu‟est la littérature francophone, un domaine qui continue de susciter le vif
intérêt des chercheurs. Avant d‟entamer cette étude, il serait indispensable de se
pencher sur la notion de « francophonie » et ses récentes connotations. Employé pour
la première fois par le géographe Onésime Reclus en 1880, au sujet des colonies
françaises, la Francophonie s‟est affirmée en tant qu‟un véritable mouvement
rassemblant diverses communautés sous le même « toit » de la langue française. A la
suite de la première conférence, en 1986, des chefs d‟Etats et des gouvernements de
pays ayant en commun l‟utilisation du français, le terme franco a fait son entrée dans
le langage à travers les médias. Il serait nécessaire d‟expliciter les différentes nuances
rattachées à la notion de « francophonie ». Le terme „francophonie‟, avec « f »
minuscule, renvoie à l‟ensemble des locuteurs utilisant la langue française dans leur
vie quotidienne, tandis que le terme „Francophonie‟, avec un « f » majuscule, désigne
les gouvernements des pays qui ont en commun l‟usage du français dans leurs travaux
ou leurs échanges. Il existe, en outre, ce qu‟on appelle „l‟espace francophone‟, faisant
référence au regroupement de toux ceux qui éprouvent une certaine appartenance à la
langue française ou aux cultures francophones, sans nécessairement utiliser le français
dans leur vie quotidienne. Revenons à présent au concept de littérature francophone,
ou plutôt serait-il préférable de parler de littératures francophones, la langue française
n‟étant plus le monopole d‟un territoire unique ; ainsi, nous ne pouvons plus parler
d‟une seule littérature française, mais d‟une multiplicité de littératures de langue
française, ou plus précisément, de littératures francophones. Depuis une vingtaine
d‟années, ce terme a été vulgarisé pour prendre la place des autres notions, telles que
« littératures de langue française hors de France » ou « littératures d‟expression
française ». La francophonie, qui n‟a jamais cessé de se développer dans les dernières
années, a favorisé la création littéraire, élargissant ainsi les barrières de la littérature
française, dont les frontières ne peuvent arrêter les influences provenant de l‟extérieur.
En fait, il serait plus juste de dire que cette dernière fait partie de ce grand ensemble
francophone, qui englobe des auteurs appartenant à différentes races, et parlant
1
diverses langues, mais qui, néanmoins, contribuent sans cesse à enrichir et à rehausser
la langue française. Jamais la langue ne fut tellement diversifiée et vivante, regorgeant
de mondes insolites, caractérisés par des lieux, des parlers et des coutumes inconnus au
public français. D‟où une vive curiosité de découvrir ces horizons hétéroclites. A ce
titre, citons quelques propos révélant les caractéristiques des littératures francophones
contemporaines : « on peut conclure à l‟émergence d‟une littérature francophone
pluricentrale dans laquelle les frontières entre les différentes littératures de langue
française s‟accommodent de leur diversité et de leur hétérogénéité. […] On voit donc
apparaître une littérature francophone pluricentrale qui articule ses identités à travers la
multiplicité, la pluralité, la diversité, la différence et l‟unité dans la diversité. […] La
littérature francophone repose alors sur un dialogue entre des littératures qui sont
différentes, mais qui interagissent les unes sur les autres, sur la base de leur altérité
réciproque. »1 Par conséquent, les écrits francophones ne cessent de se renouveler et de
renaître sous l‟influence de nouvelles personnalités littéraires, apportant avec elles des
bagages culturels et linguistiques variés.
Nous viserons à aborder l‟une des facettes de cette littérature foisonnante, dont
l‟une des « branches » s‟est fortement implantée dans les rivages de l‟Océan Indien,
qui a produit des ouvrages littéraires remarquables. Néanmoins, pour reprendre les
mots de Jacques Bourgeacq, il est à remarquer que « les littératures francophones de
l‟Océan Indien n‟ont pas reçu jusqu‟ici l‟attention qu‟elles méritent. »2 En tant qu‟un
pays insulaire de l‟Océan Indien, l‟Île Maurice a appartenu à une puissance coloniale
et a été marquée par le système de plantations. Au même titre que d‟autres anciennes
colonies ou anciens protectorats français, l‟Île Maurice a maintenu des liens culturels
très puissants avec la France. Pour ce qui est de cette île, ce sont des raisons d‟ordre
historique qui expliquent son intégration dans la Francophonie, d‟où l‟émergence
d‟une importante création littéraire d‟origine insulaire. L‟Île Maurice possède la
double caractéristique d‟avoir été successivement une ancienne colonie française et
1
Jean-Frédéric Hennuy, Des iconoclastes heureux et sans complexe, Volume 20 de Belgian francophone
library, 2007, p. 6.
2
Jacques Bourgeacq, Singularité du discours identitaires chez le poète mauricien Emmanuel Juste, édité
par Francophonie et identités culturelles, Karthala, 1999, p. 75.
2
britannique. Toutefois, il est intéressant de remarquer que c‟est la langue de Molière,
considérée comme la langue littéraire par excellence, qui l‟emporte sur l‟anglais. Dans
le cas de cette étude, nous nous pencherons sur un segment de cette littérature
francophone insulaire. A ce stade, nous sommes amenés à nous poser la question de
savoir la date d‟émergence de cette littérature. Il existe différents avis quant à la
première œuvre littéraire inaugurant cette littérature insulaire. Selon Yussuf Kadel,
poète mauricien, « L‟histoire littéraire mauricienne, quant à elle, débute il y a un peu
moins de deux siècles et demi, avec deux ouvrages signés Bernardin de Saint-Pierre :
Voyage à l’Isle de France (1773) et, surtout, Paul et Virginie (1788). Mais Bernardin
de Saint-Pierre n‟étant pas un natif de Maurice, le rattachement de ces œuvres à la
littérature mauricienne ne fait guère l‟unanimité. La littérature de l‟Île commence
véritablement avec un certain Tomi Pitot, qui publie à la fin du XVIIIe siècle une
Réfutation du Voyage à l’Isle de France de Bernardin de Saint-Pierre. »3 D‟autres
ouvrages ont également le mérite d‟avoir évoqué l‟Île Maurice, parmi lesquels on peut
citer quatre poèmes figurant dans les Fleurs du mal, Georges écrit par Alexandre
Dumas (père), ainsi que les expériences de voyages publiées par Paul-Jean Toulet. Si
l‟on exclut les ouvrages, à visée non littéraires, tels que les encyclopédies
géographiques ou les relations de voyages, certains considèrent que la naissance
officielle de la littérature mauricienne est marquée par la première œuvre de fiction
publiée à Maurice, alors connue comme Île-de-France, en 1803, c'est-à-dire quelques
années après le livre de Tomi Pitot. Il s‟agit de « Sidner ou les dangers de
l’imagination », roman épistolaire écrit par Barthélemy Huet de Froberville, et
considéré par les chercheurs comme le premier « classique » de la littérature
mauricienne. Toutefois, l‟on ne peut manquer de citer le rôle du roman français
célèbre, étant à l‟origine de la popularisation de l‟Île Maurice à travers l‟Occident. En
effet, Paul et Virginie a longtemps été une source d‟inspiration pour les éventuels
écrivains francophones de l‟île. Même si la littérature mauricienne francophone semble
influencée par l‟approche romantique de cet ouvrage écrit par Bernardin de SaintPierre, elle sera également déterminée par les divers courants de pensées qui ont
3
Vide Patrimages, Yussuf KADEL et Umar TIMOL : conférence de Limoges sur la littérature mauricienne
(fin 2010). Disponible sur : < http://patrimages.over-blog.com/article-yussuf-kadel-et-umar-timolconference-de-limoges-sur-la-litterature-mauricienne-fin-2010-65094995.html>
3
marqué l‟île, exposée à une constante mutation. En ce qui concerne les romans
mauriciens francophones, l‟on remarque qu‟à part les influences de Bernardin de
Saint-Pierre, ils portent également les traces de la décolonisation tout en mettant
l‟accent sur les tensions ethniques. Ce n‟est qu‟à partir des années 90, que la littérature
francophone de l‟Île Maurice semble se détacher des modèles occidentaux, pour créer
une poétique nouvelle et émerger en tant qu‟un domaine de création littéraire à part
entière. A guise d‟exemple, notre étude se consacrera à l‟œuvre romanesque d‟une
écrivaine d‟origine mauricienne, Nathacha Appanah, qui commence peu à peu à se
faire connaitre dans le cercle littéraire francophone et est considérée comme
une « étoile montante de la littérature mauricienne actuelle »4.
L‟intérêt de cette recherche réside dans la contemporanéité de l‟auteure et de sa
popularité au sein du milieu francophone contemporain. Notre choix s‟est porté sur
une écrivaine dont l‟œuvre littéraire est empreinte des caractéristiques d‟une littérature
mauricienne francophone contemporaine. Notre étude se propose d‟explorer l‟œuvre
romanesque de Nathacha Appanah, femme de lettres du XXIème siècle ayant quatre
romans à son actif. En effet, en tant qu‟auteure mauricienne, d‟origine indienne,
Nathacha Appanah appartient non seulement à la nouvelle génération d‟écrivains de
langue française, mais elle fait également partie des auteurs francophones à succès.
Une double caractéristique qui ne peut que renforcer l‟intérêt de ce sujet. Dans le cadre
d‟une recherche doctorale, l‟étude dont il s‟agira dans cette Thèse, permettra aux
intéressés des littératures francophones de découvrir le nouveau style de cette auteure
d‟origine mauricienne, ainsi que d‟explorer une des facettes des littératures
francophones, celle de la littérature mauricienne. Il s‟agit d‟une littérature, une des
plus vieilles littératures francophones, qui s‟est longtemps imprimée et diffusée sur
l‟île, expliquant ainsi qu‟elle soit mal connue à l‟extérieur, mais qui a beaucoup évolué
au fil du temps. Cette recherche vise à analyser les œuvres à succès d‟une auteure, qui
est notamment l‟une des représentantes de la littérature mauricienne d‟expression
française, et à examiner les divers aspects de ses ouvrages. Ceci étant dit, nous
4
Vide Patrimages, Littérature mauricienne (comptes-rendus) 2. Disponible sur : < http://patrimages.overblog.com/article-22423401.html>
4
sommes amenés à nous poser quelques questions : existe-t-il un élément qui relie les
romans de Nathacha Appanah ? Dans quelle mesure l‟Ile Maurice est-elle présente de
manière implicite ou explicite dans ces romans ? Quelle place y détient l‟Histoire ?
Comment cette jeune auteure mauricienne a-t-elle, à sa manière, contribué au
renouveau de la littérature mauricienne francophone qui semble avoir pénétré une ère
nouvelle ? Autant de questions à approfondir, et auxquelles notre Thèse tentera
d‟apporter des réponses. Partant de là, nous nous poserons la question de savoir s‟il
existe un fil conducteur pouvant relier les romans de Nathacha Appanah, apparemment
différents l‟un de l‟autre. Cette étude tentera de reconstituer ce fil conducteur, en
choisissant d‟analyser la place et l‟importance du thème de la quête à travers les quatre
romans de cette auteure francophone. En tant que thème littéraire, il ne s‟agit
nullement d‟une nouveauté, les écrivains étant constamment à la recherche de ce qui
pourrait combler leur manque. Plus que la quête en elle-même, c‟est sa nature et son
impact qui attirera notre attention. Dans cette étude, ce concept nous semblait
pertinent, car plus appropriée à la littérature mauricienne, qui est un champ littéraire en
train d‟émerger, où se mêlent plusieurs langues, parmi lesquelles la langue française
est amenée à trouver sa place. A ce stade, il reste à se poser une question
fondamentale : de quel genre de quête s‟agit-il ? Notre thèse tentera d‟y répondre. À
vrai dire, depuis l‟apparition de l‟humanité, les Hommes ont sans cesse été mus par des
quêtes, de formes variées, qui sont devenus de plus en plus complexes avec le temps.
L‟intérêt même de l‟existence humaine réside dans la quête, qui peut revêtir des
formes diverses. Sa nature ainsi que son objectif restent des terrains d‟exploration
passionnants, mettant en relief une certaine évolution de ce thème, sous l‟influence de
divers facteurs, tels que les circonstances, les croyances, les désenchantements, et ainsi
de suite.
Cette recherche portant sur le concept de la quête, notre étude envisagera de
traiter ce thème, non seulement à travers les ouvrages de Nathacha Appanah, mais
aussi à travers des facteurs pertinents et révélateurs de l‟Île Maurice et de la littérature
mauricienne. Notre recherche ne tend pas à explorer la littérature mauricienne
d‟expression française de manière exhaustive, mais se propose d‟examiner ses
nouvelles orientations à travers l‟analyse des ouvrages d‟un écrivain francophone
5
contemporain. Notre problématique sera centrée sur l‟œuvre intégrale de Nathacha
Appanah, romancière indo-mauricienne, dont les écrits reflètent certaines tendances
propres à la littérature de l‟île, tout en mettant l‟accent sur l‟émergence d‟éléments
nouveaux, contribuant à une réelle mutation du champ littéraire mauricien de langue
française, qui a trouvé sa juste place dans l‟horizon francophone. La présente étude
n‟est qu‟une esquisse, permettant de mettre à jour certaines caractéristiques d‟une
littérature insulaire, qui commence à se faire valoir depuis quelques siècles. Nous
espérons que cette initiative servira d‟exemple dans le domaine de la francophonie en
montrant la voie à des recherches plus approfondies sur les écrivains mauriciens
contemporains et leurs chefs d‟œuvre.
2. Méthodologie et plan succinct de la thèse
Nous opterons pour une approche thématique mettant en évidence l‟intérêt
conféré au concept même de la quête, qui n‟apparaît pas uniquement en tant qu‟un
simple motif, mais qui se révèle par son étendue à deux plans, celui de la fiction, ainsi
que celui de la réalité. Notre dessein sera d‟entreprendre l‟étude de l‟œuvre
romanesque de Nathacha Appanah, afin d‟analyser la question de la quête, thème de
plus en plus récurrent dans la littérature mauricienne depuis la période coloniale.
Cette étude est divisée en cinq parties. Le Premier Chapitre sera consacré à
une étude élaborée des diverses représentations de l‟île, en rapport plus ou moins étroit
avec le travail romanesque de Nathacha Appanah. Dans ce Chapitre, nous ferons un
survol des aspects caractérisant l‟Île Maurice, qui nous permettra de mieux cerner la
place occupée par l‟œuvre de Nathacha Appanah ; étant donnée le fait que tous les
romans du corpus parlent de manière explicite ou implicite de l‟Île Maurice, il s‟agira
d‟étudier l‟importance de l‟espace spatio-temporel insulaire, pour ensuite retracer la
chronologie de l‟île, depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Puis, notre attention se
portera sur l‟aspect multiculturel de cette nation, expliquant sans doute l‟intérêt
grandissant par rapport au thème de la quête identitaire. Nous tenterons ensuite de faire
une esquisse des circonstances entourant l‟émergence d‟une littérature propre à l‟Île
6
Maurice, afin de se concentrer sur la littérature mauricienne d‟expression française et
son évolution récente.
Dans le Deuxième Chapitre, nous examinerons l‟auteure dont il est question
dans cette recherche, à savoir Nathacha Appanah, tout en parcourant son œuvre
littéraire, en présentant une synthèse de chacun de ses romans, pour ensuite
s‟interroger sur les thèmes communs aux quatre récits.
Dans le Troisième Chapitre, nous insisterons sur le rapport que le thème de la
quête entretient avec le fond historique. A partir de là, nous procéderons à une analyse
du contexte historique, relié à la quête, dans lequel sont ancrés deux de ces romans. Il
s‟agira d‟entreprendre un examen détaillé des faits historiques en rapport à ces romans,
pour ensuite analyser l‟intérêt du contexte historique au niveau fictionnel. Il s‟agira
également de démontrer que la quête dépasse le domaine fictionnel, pour pénétrer le
monde réel.
Le Quatrième Chapitre est une partie cruciale, car elle s‟efforcera d‟examiner
le thème central de cette recherche, c‟est-à-dire, la quête des personnages dans chacun
des romans mis à l‟étude. Vu sous l‟angle fictionnel, ce Chapitre dévoilera l‟évolution
de cette quête, à commencer par sa source, son déroulement, ainsi que son
aboutissement. Ce chapitre cernera la notion de quête sous ses diverses manifestations,
et sondera les facteurs influençants.
Finalement, le Dernier Chapitre sera consacré à examiner l‟originalité de
Nathacha Appanah, en étudiant la manière dont laquelle ses œuvres déconstruisent des
mythes entourant les espaces insulaires en général et l‟Île Maurice en particulier, tout en
faisant ressortir sa contribution par rapport à la littérature mauricienne de langue
française, évoquant ainsi sa place parmi les écrivains d‟origine mauricienne, appartenant à
sa génération. Allant de pair avec d‟autres jeunes auteurs mauriciens, ayant imprégné le
monde francophone de leurs écrits enrichissants, nous verrons comment l‟écriture
romanesque de Nathacha Appanah fascine tant par son non-dit qu‟à travers des lignes
7
chargées d‟émotions qui nous questionnent, éveillant souvent notre sensibilité, tout en
s‟éloignant des stéréotypes iliens. Nous terminerons par une conclusion générale qui
sera axée sur le renouvellement du champ littéraire francophone de l‟Île Maurice, postindépendance, ainsi que les perspectives pour des recherches futures. L‟élargissement
de la zone francophone permet de créer de nouvelles perspectives, tout en ouvrant de
nouveaux horizons d‟exploration pour les amoureux de la littérature d‟expression
française.
8
Chapitre I
Les multiples facettes de l’Île Maurice
9
CHAPITRE I
Les multiples facettes de l‟Île Maurice
Notre problématique porte sur les ouvrages d‟une femme de lettres d‟origine
mauricienne, d‟où l‟intérêt d‟explorer l‟espace spatio-temporel dont il est question
dans les romans étudiés. En effet, chacun des ouvrages de Nathacha Appanah fait
référence, d‟une manière ou d‟une autre, à l‟Île Maurice qui est présente soit en tant
que cadre spatial, cadre historique spécifique ou bien sous forme de souvenirs du pays
natal. Ainsi, une introduction sur la littérature mauricienne ne serait pas complète sans
présenter le pays en question. En effet, ce Premier Chapitre envisage d‟explorer l‟Île
Maurice, sous différentes facettes, à commencer par sa géographie, passant ensuite par
son histoire, pour aborder ultérieurement sa vie culturelle. Ce Chapitre se terminera par
une exploration de la littérature mauricienne, à travers sa genèse jusqu‟à son état
actuel.
I.1 Le facteur géographique
5
5
Vide Skyreo-dz. Disponible sur : <http://skreo-dz.over-blog.com/article-ile-maurice-04-curepipe-florealmaquettes-47758394.html>
10
I.1.1. Localisation spatiale
Magnifique île localisée au milieu de l‟Océan Indien, connue entre autre sous le nom
de l'Etoile de l'Océan Indien ou bien la Perle de l’Océan Indien, l‟Île Maurice est
située à mi-parcours entre l'Afrique et l'Inde, au nord du tropique du Capricorne. « A
900 km de Madagascar, centrée par 20° 15‟ sud et 57° 35‟ est, l‟Île Maurice fait partie
avec l‟Île de la Réunion et l‟Île Rodrigues de l‟archipel volcanique des
Mascareignes. »6 Depuis le 12 mars 1992, Maurice forme avec l‟Île Rodrigues une
république appelée République de Maurice, après son indépendance en 1968. Le
territoire de Maurice comprend aussi officiellement deux archipels supplémentaires :
Saint Brandon et Agaléga. Ce sont des îles satellites de formation corallienne, qui sont
souvent oubliées, car elles sont peu ou pas peuplées. « L‟île mesure 65 km de long sur
48km de large pour une superficie de 1865 km2. La longueur totale de ses côtes est de
330km, dont plus de 100km de plages… La côte laisse apparaître des baies profondes
et de grandes bandes de sable fin et blanc. Des chemins de terre rouge orangé
zigzaguent travers le vert intense des champs de canne à sucre… Harmonieux paysage
de carte postale, Maurice correspond au cliché du pays de rêve sous les cocotiers.»7
L‟Île Maurice compte 1 268 835 habitants (au 1er juillet 2008)8, le rendant l‟un des
pays les plus peuplés de la région africaine.
On parlera tantôt de Maurice, tantôt de l‟Île Maurice. L‟île est née d‟éruptions d‟une
immense chaîne volcanique sous-marine, qui se sont produites il y a 3 millions
d'années. La dérive des continents l‟a éloignée de cette zone, maintenant centrée sur le
sud de la Réunion. Le sol de l‟Île Maurice est entièrement constitué de roches
volcaniques, même s‟il n‟existe plus de volcan en activité. L'on peut cependant
admirer plusieurs cratères éteints, dont le fameux "trou aux cerfs". Le terrain, mis à nu,
laisse trace des coulées de lave et de basalte. De ses origines volcaniques est resté un
large plateau central où se concentrent trois principaux massifs montagneux : celui de
6
J.Benoit, J.F Dupon et L. Favoreu, Encyclopedia Universalis, Corpus 11, Île Maurice, Paris, 10/03/1987.
Cathyline Dairin, Dominique Auzias, Jean-Paul Labourdette, MAURICE RODRIGUES, Petit Futé, 2009,
p. 82.
8
Vide Île Maurice, Wikipédia, l'encyclopédie libre. Disponible sur :
<http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Ele_Maurice>
7
11
Pieter Both, de Pouce, et celui du Piton de la Rivière Noire. La plus grande partie de
l‟île est recouverte d‟un plateau central, favorisant la culture extensive de la canne à
sucre et du thé. A part ses richesses minérales, l‟île se caractérise aussi par la richesse
agricole. On y trouve, à plaisir, tous les arbres tropicaux, tels que le cocotier, le
manguier, le papayer, le vacoa, etc... A ces arbres se mêlent diverses sortes de fleurs
multicolores, comme l‟hibiscus ou le rosier. La particularité de l‟île tient aussi à sa
barrière de corail, qui l‟entoure et qui permet de protéger les lagons et les plages
bordées de cocotiers et de filaos. Selon les données d‟un ouvrage : « ses 177km de côte
sont presque entièrement entourées de récifs coralliens, et l‟île dispose de nombreuses
baies naturellement abritées et d‟un relief globalement moins tourmentée que la
Réunion. »9 Malgré l‟étiquette « exotique » rattachée à l‟île, celle-ci a connu, ces
derniers temps, un déboisement important. La forêt primaire n‟existe que dans
certaines réserves montagneuses.
10
Port-Louis, qui est la capitale et la principale ville du pays (150 000 habitants), est
située au nord-ouest. Un important port maritime s‟y trouve aussi. Ce port en eau
9
Isabelle Widmer, La Réunion et Maurice : parcours de deux îles australes des origines au XXème siècle,
INED (Institut National d‟études démographiques), 2005, p. 7.
10
Vide http://www.americas-fr.com/tourisme/actualite/l‟île-maurice-attire-les-français-3089.html
12
profonde a été fondé par les Français en 1735. Il fut autrefois une escale importante
entre l‟Europe et l‟Asie, mais il perdit son attrait après l‟ouverture du canal de Suez en
1869. Aujourd‟hui, Port-Louis est un pôle commercial (industries du sucre, textiles,
produits de bois) et administratif. La zone franche manufacturière et douanière de PortLouis a fait la richesse de Maurice. Port-Louis abrite également l‟Institut de l‟Île
Maurice (1880), le Musée de Port-Louis (collection d‟histoire naturelle) et la Citadelle,
une forteresse construite en 1835. Les autres grandes villes, dépassant 70 000
habitants, sont : « Beau Bassin/Rose Hill (94 000), Vacoas/Phoenix (90 000), Curepipe
(74 000) et Quatre-Bornes (71 000), pour n‟en citer que les plus importantes.
L‟ensemble de ces cinq villes tend à former une seule conurbation. »11
12
Une île comme tant d‟autre, soit, l‟Île Maurice fait partie de l‟une des destinations
favorites des voyageurs, envoûtés par ses magnifiques attraits géographiques. Ayant
toujours fait figure d‟un endroit paradisiaque, Maurice est connue pour ses paysages de
rêves, formés par son bord de mer, ses plages exquises, ses massifs montagneux, sa
forêt peuplée d‟espèces les plus diverses de faune et flore, ses récifs coralliens, la liste
semble interminable, tellement l‟île conserve une place d‟honneur dans le monde
11
12
Vide http://www.mfe.org/index.php/Portails-Pays/Maurice/Presentation-du-pays/Villes-principales
Vide http://www.geo.fr/voyages/guides-de-voyage/afrique/ile-maurice
13
touristique. Divers éléments peuvent faire penser à Maurice, tels que la mer bleue, le
sable blanc, les cocotiers, les palaces, les touristes, bref, un pays plutôt paisible.
I.1.2. L‟Île Maurice, vue par Nathacha Appanah
La description de ce territoire insulaire ne pourrait guère se limiter à de simples motifs
pittoresques. Il serait ainsi intéressant de dépasser ces « clichés » d‟ordre exotique pour
mieux examiner les autres facettes de cette île. Nous tenterons de découvrir ce paysage
insulaire à travers les romans de Nathacha Appanah. Dans chacun de ses récits, la
romancière d‟origine mauricienne évoque des lieux différents tels que Poudre d‟Or,
Blue Bay, Fond du Sac, Port-Louis, Mahébourg, Mapou et Beau-Bassin, pour ne citer
que les plus importants. Il serait utile de noter qu‟hormis Port-Louis et Beau-Bassin,
les autres endroits ne sont pas tout particulièrement connus. En effet, Nathacha
Appanah semble délaisser l‟aspect exotique, pour représenter sa patrie à travers divers
panoramas réalistes, liés intimement à l‟existence des personnages. Loin d‟être un
simple « décor » pittoresque, le paysage mauricien évoqué par notre romancière
détient une valeur à part entière. Dans Les Rochers de Poudre d’Or, la représentation
de Maurice remonte à l‟année 1892, période durant laquelle les engagés indiens sont
amenés dans l‟île. L‟île Maurice est d‟abord considérée comme la « terre promise »13
peuplée d‟« arbres verts, de fleurs...de montagnes repues et fertiles... »14, où « les
cannes en fleurs bougeraient dans le vent »15 en guise de bienvenue. Il s‟agit
toutefois d‟une apparence trompeuse, surtout pour les Indiens engagés venus travailler
dans le camp de Poudre d‟Or. « Pas de soleil, pas d‟arbres, pas de montagnes, pas
de cannes à sucre en fleur,…pas de couleurs…Rien que le vent froid et les
ordres. »16 Alors qu‟ils s‟attendaient à une terre accueillante, chaleureuse, caractérisée
par sa verdure bienveillante, ils se retrouvent confrontés à une terre hostile, où même
la nature ne leur donne pas de répit tellement elle est rude et imprévisible.
13
Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’Or, Éditions Gallimard, Coll. Continents noirs, Paris,
2003, p. 130.
14
Ibid., p. 131.
15
Ibid., p. 131.
16
Ibid., p. 132.
14
Quand au deuxième roman, Blue Bay Palace, le paysage y est essentiellement dominé
par la Mer, donnant certes une impression exotique, au premier abord, qui semble être
remis en question dès les premières pages. En effet, la mer est évoquée à travers des
expressions originales : « La mer, à Blue Bay, se laisse désirer. »17, « vous la voyez
juste à l‟entrée du village, langue bleue qui rentre dans la terre et se meurt dans
une mare où des enfants pêchent. », « elle adore jouer à cache-cache. »18 Ainsi,
cette immense plaine bleue personnifiée, qu‟est la mer, apparaît être un personnage à
part entière, plutôt espiègle, mais également un refuge, un consolateur aux yeux de
Maya, l‟héroïne du roman.
Le troisième ouvrage, La noce d’Anna, se distingue des deux premiers non pas par
l‟absence totale de l‟île, mais par sa présence, en filigrane, à travers les souvenirs
d‟enfance de Sonia, écrivaine mauricienne installée à Lyon. Dans ce cas précis,
Maurice est évoquée, avec un certain recul, comme une nation que l‟on se doit de
quitter, afin de s‟élancer dans le vrai monde : « quitter mes parents, ma famille, mon
pays, mon si beau pays…partir, quitter tout cela me semblait normal, un acte
évident, un juste emboîtement des choses, de la vie, de ma vie. »19 Néanmoins, tout
souvenir du pays natal ne se fait sans aucune touche de nostalgie. « les fleurs de mon
pays sont les plus belles de la terre »20, « Quand j‟étais encore chez moi, là-bas, de
l‟autre côté de l‟Afrique, j‟aimais l‟odeur du jaquier »21, « je ne suis jamais
retournée à l‟Île Maurice. J‟en ai souvent eu envie »22.
Dans son dernier roman intitulé Le Dernier frère, Nathacha Appanah dévoile une
partie de l‟Île Maurice durant la Seconde Guerre Mondiale. Nation plutôt inaffectée
par l‟impact de la guerre, la nature y domine à travers sa forêt, sa rivière, ses
montagnes, ses champs de canne. Cependant, le récit en question révèle deux aspects
contradictoires de ce paysage. Tandis que le village de Mapou est couvert par « un
17
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace, Éditions Gallimard, Coll. Continents noirs, Paris, 2004, p. 11.
Ibid., p. 12.
19
Nathacha Appanah, La noce d’Anna, Éditions Gallimard, Coll. Continents noirs, Paris, 2005, p. 71.
20
Ibid., p. 75.
21
Ibid., p. 35.
22
Ibid., p. 73.
18
15
terrain où rien ne poussait, car des rochers endormis gisaient en dessous... », une
« terre qu‟on aurait pu croire assoiffée par tant de jours de soleil, rompue par le
vent, travaillée de l‟intérieur par les rochers brûlants, »23, Beau-Bassin regorge
d‟une terre « fertile, d‟une belle couleur marron. On pouvait y semer des légumes
et des fleurs, et les arbres qui y poussaient avaient leurs racines enfoncées
profondément, sans rochers noirs et affutés pour leur barrer leur passage.»24
En bref, chacun des romans de Nathacha Appanah représente l‟Île Maurice sous
différents angles, ayant cependant un point commun : aucune évocation n‟adhère
entièrement à la dimension exotique du paysage mauricien. Il ne s‟agit plus d‟évoquer
des plages de rêves près duquel vivent des personnages qui se rencontrent à l‟ombrage
des cocotiers, ni d‟illustrer simplement les beautés naturelles que cachent la faune et la
flore de l‟île. Cette dernière ne se détache pas du récit, mais semble se mêler à
l‟existence des personnages. L‟Île Maurice, en tant que toile de fond, semble exercer
une certaine influence, bienfaisante ou nuisible, sur l‟existence des personnages
concernés.
I.2 Le parcours historique
I.2.1. Une découverte mystérieuse
D‟après les historiens, les Phéniciens auraient visité l‟Île Maurice il y a plus de vingtneuf siècles. Des navigateurs dravidiens auraient également rencontré l‟île à leur retour
de Madagascar. Cependant, l‟île fut totalement inhabitée lorsqu‟elle fut découverte
vers le Xème siècle par des navigateurs arabes, qui se sont rendus maîtres de l‟Océan
Indien en l‟explorant à l‟aide de boutres (petits navires à voiles, à l‟arrière très élevé).
N‟ayant pas de nom à l‟époque, ces derniers la dénommèrent « Dina Harobi »,
signifiant « l‟île abandonnée ». Cette appellation fut vite déformée pour devenir
« Dinarobin », voulant dire « l‟île d‟Argent ». Ces deux noms trouvent leur origine
23
24
Nathacha Appanah, Le dernier frère, Éditions de l‟Olivier, Paris, 2007, p. 19.
Ibid., p. 39.
16
dans la manière dont les Arabes considérèrent l‟île. D‟après les historiens, il se
pourrait qu‟elle fut découverte à la suite d‟un puissant cyclone, ayant ravagé l‟endroit,
ce qui expliquerait que le lieu paraissait abandonné. La seconde appellation marquerait
plutôt l‟impression créée par l‟île, lorsqu‟elle fut aperçue pour la première fois, à
travers son éclat magnifique. Cependant, loin de vouloir la coloniser, les Arabes
laissèrent surtout des comptes-rendus de leurs découvertes, qui incluaient des cartes
rudimentaires de l‟île en question. Ensuite, durant les 500 années suivantes, l‟île fut
ignorée.
Finalement, ce sont les Portugais qui arrivèrent dans l‟île. En 1507, l‟explorateur
Diego Fernandes Pereira arriva sur l‟île, tout aussi par hasard, en voulant trouver une
voie menant vers l‟Inde. Il la dénomma alors « Isla de Cerne », qui devient Cirne,
c'est-à-dire « l‟île du cygne ». Cette appellation pourrait s‟expliquer par le fait que son
navire portait ce nom, mais certains pensent aussi que ce fut le résultat d‟une confusion
entre le dodo et le cygne. D‟après l‟historien mauricien Alfred North Coombes, vers
1509, ce fut l‟explorateur Diego Dias qui la redécouvrit, accidentellement, lorsqu‟il
tenta de rejoindre sa flotte, séparée par une grosse tempête. Vers 1528, Don Diego
Rodrigues donna le nom d‟îles Mascarenes à trois groupes d‟îles : Maurice, Réunion et
Rodrigues. Jusqu'en 1539, les Portugais occupèrent l‟Île Maurice, sans pourtant s‟y
installer définitivement. Ils ne voulaient guère coloniser l‟île, car ils avaient des projets
plus ambitieux. En effet, ils visaient surtout l‟Inde, afin de conquérir un puissant
empire oriental. Entre 1539 et 1598, l‟île fut de nouveau abandonnée. En bref, ni les
Arabes, ni les Portugais ne s‟emparèrent de l‟île, dont ils se servirent uniquement pour
y faire escale. Il est à remarquer que plusieurs hypothèses ont été avancées concernant
la présence des Arabes et des Portugais sur l‟île, mais cela ne reste que des hypothèses.
L‟on pourrait supposer qu‟ils n‟ont fait que traverser l‟île en laissant quelques notes et
les premières cartes scientifiques de l‟Océan Indien.
I.2.2. La période hollandaise
Ce n‟est que vers la fin du XVIe siècle que des marins hollandais commencèrent à
explorer l‟Océan Indien. Ils réalisèrent immédiatement l‟intérêt de cette île et
17
décidèrent de s‟y installer. En 1598, cinq vaisseaux hollandais, séparés des autres par
une tempête, accostèrent, par hasard, île. Commandés par le vice-amiral Wybrandt
Van Warwyck, les Hollandais tentèrent de s‟abriter dans la partie sud de l‟île. Le viceamiral conféra à l‟île le nom de « Mauritius » en l‟honneur du prince Maurice de
Nassau, le Stathouder de Hollande. Mais, ce n‟est que quarante ans plus tard, c‟est-àdire vers 1638, que les Hollandais prirent réellement possession de l‟île, craignant de
la voir tomber dans des mains ennemies. Profitant de ses ressources naturelles, ainsi
que de son emplacement stratégique, la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales
prit contrôle de l‟Île Maurice en 1638. En effet, cette occupation avait surtout des
raisons commerciales. Ainsi, les Hollandais introduisirent la culture de la canne à sucre
sur les zones forestières défrichées de l‟île. Des esclaves furent amenés pour travailler
dans ces champs. C‟est ainsi qu‟ils tentèrent une véritable colonisation de l‟île avec
quelques soldats et esclaves, afin d‟établir une installation permanente. Cependant, la
Compagnie hollandaise des Indes n‟accorda pas autant d‟intérêt à cette colonisation.
Par ailleurs, les pionniers butent sur des obstacles naturels, tels que les cyclones, les
incendies, sans compter l‟invasion de rats qui fit des ravages énormes. Entre 1658 et
1663, Maurice fut momentanément désertée par les Hollandais, à cause de son
isolement. En 1664, les Hollandais essayèrent de nouveau de marquer leur présence
sur l‟île en y introduisant le cerf de Java, tout en développant la culture de la canne à
sucre. Ils rénovèrent les routes, tout en construisant de nouvelles installations. Mais,
cette nouvelle tentative rencontra le même échec. Le 17 février 1710, après une
décennie d‟occupation, les Hollandais abandonnèrent définitivement l‟Île Maurice,
laissant derrière eux des forêts détruites, des champs négligés, ainsi que de furieux
esclaves. A leur départ, l‟île ne comprenait que dans les trois cents habitants, esclaves
compris. Du côté nature, certaines espèces animales purent proliférer, tandis que
d‟autres disparurent. Les raisons de leur départ demeurent encore aujourd‟hui un sujet
de discussion parmi les historiens.
I.2.3. La période française
A la suite du départ des Hollandais, la Compagnie des Indes Orientales prit possession
de Maurice en 1715 au nom du Roi de France. Contrairement aux Hollandais, les
18
Français avaient une raison de vouloir s‟approprier l‟ancienne possession batave, qui
leur servirait de base navale afin de marquer leur présence dans l‟Océan Indien. Par
ailleurs, ils voulaient contrer les Anglais qui cherchaient aussi à étendre leur empire
colonial. En 1715, l‟île fut rebaptisée Isle-de-France par le capitaine Dufresne d‟Arsel,
qui en prit possession, Réunion fut nommée Ile-Bourbon. En 1735, Bertrand François
Mahé de Labourdonnais fut nommé gouverneur de l‟île et il fut le véritable fondateur
de cette colonie. Grâce à ses initiatives, l‟île reprit un nouveau visage, tant sur le plan
économique que social. La France créa à l‟Île-de-France un port pouvant servir,
suivant les circonstances, de centre commercial et de base militaire. En effet, le port
fut reconstruit, des hôpitaux, des fortifications furent construits, la culture de la canne à
sucre fut étendue, avec l‟ouverture d‟une première usine sucrière, sans compter de
nouvelles denrées qui furent introduites telles que le riz et le coton; ensuite, les rats
furent éliminés. Une ville fut même nommée Mahébourg, en l‟honneur de
Labourdonnais. A cette époque, les autorités firent venir des esclaves, provenant du
Mozambique afin de travailler à l‟essor de l‟île. En 1764, après la défaite de la France
face à l‟Angleterre durant la Guerre de Sept Ans, le contrôle de l‟île passa de la
Compagnie des Indes Orientales au gouvernement, car cette guerre avait
considérablement réduit les finances de la Compagnie, qui fut ruinée. Cette nouvelle
administration marqua une période économique de reconstruction, de réorganisation
agraire ainsi que de reprise de la croissance. Pierre Poivre devint le nouveau
gouverneur de l‟île. Il fut à l‟origine de l‟introduction de nouvelles épices sur le sol
mauricien. Ce fut également durant cette période que la population commença à
s‟accroître pour atteindre environ 33539 habitants en 1776. Suite à la révolution
française de 1789, les relations entre la métropole et l‟Île-de-France furent
momentanément interrompues. Toutefois, en 1803, Napoléon Bonaparte décida de
prendre le contrôle de l‟île, pour des raisons d‟enjeux stratégiques. En 1810, sous le
commandement de Bonaparte, la France sortit vainqueur de la bataille du Grand-Port
contre les Anglais. Malheureusement, cela fut leur unique victoire navale.
19
I.2.4. La montée en puissance de l‟Empire britannique
Quelques mois après la bataille du Grand-Port, les Anglais étaient plus que déterminés
à prendre possession de l‟île par tous les moyens. Après plusieurs tentatives, ils
réussirent à occuper l‟île en 1810, après une bataille acharnée contre les troupes
françaises. En débarquant du côté Nord de l‟île, les troupes anglaises prirent les
Français au dépourvu. En 1814, le Traité de Paris proclama l‟Ile-de-France, Rodrigues
et Seychelles comme territoires britanniques. L‟ensemble des Mascareignes devint une
colonie de la couronne. Ainsi, l‟Ile-de-France redevint, à nouveau, l‟Île Maurice ou
Mauritius, reprenant son nom hollandais. Tout en gardant l‟île sous leur contrôle, les
Anglais ne souhaitèrent ni s‟y installer, ni y exercer leur influence, ce qui permit aux
colons français de continuer leur règne. Selon les accords de capitulation, les colons
eurent le droit de garder leurs coutumes, leurs traditions ainsi que leur langue. Durant
158 ans, l‟île fut administrée par les Anglais, qui cohabitèrent amicalement avec les
colons français. L‟année 1835 marqua l‟abolition de l‟esclavage dans les colonies, qui
en souffrirent énormément, à cause du manque de main-d‟œuvre. Pour remplacer les
esclaves enfin libérés, mais qui refusaient de travailler la terre, les planteurs
entreprirent, en 1835, d‟employer sous contrat des "coolies" de Chine et d‟Inde,
notamment de Bombay, Calcutta et Madras. Hélas, les dures conditions de vie et de
travail des premiers immigrés ne furent guère beaucoup mieux que celles des anciens
esclaves africains. Mais elles étaient sans doute moins mauvaises que celles dont ils
souffraient en Inde, puisque la plupart d‟entre eux ne retournèrent pas dans leur pays à
l‟expiration de leur contrat. En effet, sur 450,000 "coolies" arrivés à l‟Île Maurice entre
1835 et 1909, seulement 150,000 retourneront en Inde à la fin de leur contrat. En 1865,
les immigrants indiens et leur famille représentent le plus grand groupe racial de
Maurice. Il est à souligner que ce sont les Indiens qui contribuèrent immensément à la
croissance de l‟industrie sucrière et du pays durant le XIXème siècle, faisant de
Maurice le plus grand producteur de sucre de l‟empire britannique. « La perle sucrée
de l‟Océan Indien », telle qu‟elle fut désignée par un certain Joseph Conrad, capitaine
de navire, connut une forte expansion de l‟industrie sucrière, qui devint presque le
pilier de l‟économie mauricienne, entraînant en même temps le développement
20
d‟infrastructures diverse. Maurice, comme la Réunion, développa une économie de
plantation, sans que la colonisation anglaise ou française n‟apporte en apparence de
différences significatives dans ce domaine. Une période de crise affecta Maurice avec
l‟accroissement démographique qui fut à l‟origine de la pauvreté, due au déséquilibre
entre le nombre de chercheurs d‟emploi et les emplois disponibles. Cependant, les
colons français, qui ne furent nullement affectés par cette situation, continuèrent à
vivre aisément grâce à la main-d‟œuvre bon marché. Vers la fin du XIXème siècle, la
chute des débouchés de vente réduisit provisoirement l‟engouement des colons pour
l‟industrie sucrière. Les très difficiles conditions de vie des engagés indiens, ajoutées
aux épidémies de paludisme, les conduisirent à la révolte en 1871. C‟est la période où
les immigrés bénéficièrent du morcellement des terres.
I.2.5. Le XXème siècle
Les mouvements de révolte qui se développèrent en Inde au début du XXème siècle,
eurent des répercussions à Maurice. Ce n‟est qu‟en 1909 que cessera l‟importation de
la main-d‟œuvre "coolie". Et il faudra attendre 1920 pour voir une reprise des affaires
dans le monde sucrier. Malgré cette relance, les conditions ne s‟améliorent guère, les
immigrés continuent de se plaindre de leurs faibles salaires et la crise sociale est
latente. La date marquant l‟anniversaire de l‟arrivée des premiers « coolies » fut
propice à l‟émergence d‟une prise de conscience de l‟identité sociale et culturelle
hindoue. En 1936, la création du Parti Travailliste par le Dr. Maurice Curé, dans le but
de protéger les droits des ouvriers des plantations de canne à sucre, fut la première
étape vers le mouvement qui mènera l‟île vers son indépendance. De violentes grèves
paralysèrent l‟industrie sucrière en 1937 et 1943. En 1947, pour maîtriser la situation,
le "Colonial Office" prit la décision de réformer le suffrage censitaire de la
Constitution de 1885 et d‟introduire le droit de vote pour tout citoyen alphabète. Cette
mesure permit au Parti Travailliste de connaître le triomphe aux élections de 1948. Le
Dr. Seewoosagur Ramgoolam, dirigeant du Parti Travailliste, lutta pour l‟instauration
du suffrage universel en 1958. Le Parti Travailliste connut ainsi la victoire lors des
élections de cette même année et ne cessa de prendre de l‟ampleur tout au long des
années qui vont suivre. Toutefois, une période d‟instabilité régna dans l‟île, à cause des
21
tensions entre les partis politiques. Tandis que le Parti Travailliste luttait pour
l‟indépendance de l‟île, les partis minoritaires, tels que le Parti Mauricien Social
Démocrate (PMSD), souhaitaient rester attachés à l‟Angleterre. En août 1967, des
élections graves et décisives furent organisées offrant le choix aux citoyens entre le
rattachement avec l‟Angleterre ou l‟indépendance. Le parti de l‟indépendance, mené
par le Dr. Ramgoolam, remporta ces élections, tandis que le parti du rattachement avec
la Grande Bretagne, dirigé par Gaëtan Duval à la tête du PMSD (Parti Mauricien
Social Démocrate), dut s‟incliner. Sir Seewoosagur Ramgoolam devint Premier
Ministre, formant un gouvernement de coalition avec le PMSD. L‟indépendance de
l‟île sera officiellement proclamée le 12 mars 1968, et le 12 mars 1992, le pays
deviendra la République de Maurice que nous connaissons aujourd‟hui. Actuellement,
Navin Ramgoolam (le fils de Seewoosagur Ramgulam) en est le nouveau Premier
Ministre, à la suite de la victoire du Parti Travailliste au scrutin national de 2010.
I.3. L‟atout culturel
La beauté de l‟Île Maurice tient certes à son paysage naturel, mais également à sa
culture, ou serait-il plus juste de dire à ses cultures. En effet, Maurice est une nation où
des cultures uniques et distinctives s‟unissent pour former un tout. C‟est une île plutôt
petite, mais qui étonne par sa grande diversité culturelle. L‟origine de cette variété
provient des traces laissées par l‟Histoire du peuplement de Maurice, qui pourrait se
résumer, curieusement, par l‟expression suivante :
« sur cette île, déserte à l'origine, découverte par les Arabes, visitée par
les Portugais et les Hollandais, avec une phase durable de colonisation
française et anglaise, des Africains, emmenés comme esclaves, côtoyèrent
des coolies ou engagés indiens et chinois, surtout des commerçants. S'y
développa une population de métis ou mulâtres, issus principalement des
noirs, aussi appelés créoles, et des blancs, venus de France. »25
25
Vide http://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_mauricienne
22
La particularité culturelle de l‟île réside dans la formation de son peuplement. Faute de
population indigène, les ancêtres des Mauriciens vinrent tous d‟ailleurs. Maurice est
ainsi constitué de peuples venus de différents continents, professant une variété de
cultures. Une des plus grandes richesses de Maurice est incontestablement son peuple :
sa mixité ethnique lui confère une identité culturelle unique. A la suite d‟importants
mouvements de populations des siècles derniers, l‟île se compose aujourd‟hui de
quatre groupes ethniques :
1) les Indo-Mauriciens, dont les ancêtres vinrent de l‟Inde.
2) les Créoles, dont les ancêtres métis vinrent d‟Europe et d‟Afrique.
3) les Franco-Mauriciens, descendants blancs des colons français
4) les Sino-Mauriciens, dont les ancêtres arrivèrent de Chine.
Chacun de ces groupes est divisé à son tour selon les différentes cultures, religions et
langues, donnant ainsi naissance à une société multiraciale et multiculturelle. Parmi la
population mauricienne, plus de 50% sont Hindous, 30% sont Chrétiens, 17%
Musulmans et 3% de religions diverses telles que les Bouddhistes. Grâce à son
multiculturalisme, l‟île possède un patrimoine culturel, historique et naturel très riche,
qui en fait presque un « creuset » où se mêle diverses religions, cultures et coutumes.
Ainsi, l‟Île Maurice pourrait être assimilée à une sorte d‟immense puzzle, formé de
différentes pièces, représentant les diverses communautés, et dont la réunion aboutirait
à un remarquable résultat : une nation multiraciale. Toutes les fêtes religieuses y sont
célébrées avec le même enthousiasme : Diwali (fête de la lumière), Ganesh Chaturthi,
Eid-Ul-Fitr, Noël, Pâques, la fête du Printemps, la fête des lanternes ou la fête des
dragons. Maurice possède un patrimoine culturel d‟autant plus riche qu‟il s‟agit d‟un
amalgame harmonieux où règne une véritable entente entre les différents groupes
raciaux. Cette absence de rivalité renforce la valeur culturelle de Maurice, puisqu‟elle
révèle
la
tolérance
culturelle
et
sociale
qui
fait
de
cette
nation
une
terre « hospitalière ». Néanmoins, le système social de l‟île est souvent qualifié de
« communautaire », fortement influencée par le modèle dans les pays de tradition
anglo-saxonne. L‟arrivée des Indiens donna plus d‟ampleur à ce phénomène, puisque
23
ces derniers restèrent rattachés au système de „castes‟. Dès lors, Indiens et FrancoMauriciens semblent perpétuer cette pratique de cloisonnement, en faisant preuve
d‟une certaine réserve lorsqu‟il s‟agit de mariages inter-ethniques. Quant aux AfroMauriciens, descendants des esclaves, ils vivent souvent dans la pauvreté. Malgré cette
apparente mentalité communautaire, l‟Île Maurice demeure une terre de contact entre
diverses cultures. Nous pourrons ainsi être amenés à parler d‟une contradiction
mauricienne.
I.3.1. Vers une genèse de l‟identité culturelle
L‟Île Maurice a connu une évolution similaire à celle d‟autres nations des Caraïbes,
telles que la Guinée britannique et les îles Fiji, où la communauté indienne occupe une
place dominante. L‟évolution politique et sociale du pays est influencée par le système
esclavagiste ainsi que celui de la main-d‟œuvre engagée. Les lois ont également eu un
rôle primordial dans l‟ascension sociale des Indiens. En effet, l‟accès à l‟éducation
ainsi que l‟accès à la terre grâce au système du grand morcellement, autorisèrent les
engagés indiens à acheter de petits lopins de terre, souvent rocheux et défrichés. Leurs
efforts transformèrent ces terres incultes en terres fertiles qui marquèrent le début de
leur prospérité économique. Après l‟acquisition des terres, les Indiens s‟intéressèrent à
l‟éducation de leurs enfants.
L‟évolution historique de l‟île nous entraîne vers une notion indissociable des
Mauriciens : « la quête identitaire ». Pourtant, il est indispensable de souligner que les
cultures des différentes communautés ne se sont pas affirmées de la même manière
durant la période coloniale. Au contraire, il s‟avéra que les cultures traditionnelles des
peuples colonisés ou de la main-d‟œuvre contractuelle furent sérieusement déformées
et rendues quasiment méconnaissables. Durant la période post-coloniale, les
circonstances n‟étaient pas favorables à l‟affirmation des identités ethniques. Ainsi,
immédiatement après la disparition du colonialisme, les différentes communautés de
l‟île s‟engagèrent farouchement dans la conservation de leurs héritages culturels ou du
moins ce qui en restait. Ainsi, nous pouvons parler d‟une « conscience ethnique » qui
24
fut à l‟origine de la richesse culturelle de Maurice. Toutefois, certaines communautés
furent plus avantageuses que d‟autres. Ce fut le cas des Mauriciens d‟origine indienne
qui eurent une meilleure mobilité sociale et économique grâce au « grand
morcellement ». Contrairement aux descendants d‟esclaves africains, ils eurent la
possibilité de préserver leurs coutumes. Cela fut également facilité par le maintien du
contact avec l‟Inde. Selon Hugh Tinker, « le système de main-d‟œuvre engagée est une
nouvelle forme d‟esclavage, mais il n‟a pu avoir le même effet destructeur sur les
cultures traditionnelles que l‟esclavage. »26 S‟inspirant du modèle indien de la lutte
pour l‟indépendance, les Mauriciens d‟origine indienne prirent conscience de la
nécessité d‟établir une meilleure cohésion avec les autres membres de leur groupe
ethnique, afin de connaître une ascension tant politique que sociale. Cette conscience
d‟une renaissance culturelle indienne rassembla les Mauriciens d‟origine indienne,
hindoue et musulmane confondus. Cette recherche d‟une forte identité prit d‟autant
plus d‟ampleur grâce à une situation politique particulière. En effet, une bipolarisation
fut visible, avec d‟une part, les musulmans et les hindous, luttant pour l‟indépendance
de l‟île, d‟autre part, les Blancs franco-mauriciens et les Créoles, favorisant un
rattachement à la France. Néanmoins, seules les motivations politiques ne peuvent
expliquer cette recherche d‟une identité culturelle. La période de colonisation, arrivant
à sa fin, avait déformé la culture des groupes amenés à travailler sur les champs de
canne à sucre. Les gens furent fiers de représenter leurs traditions culturelles. Plusieurs
langues
représentatives
de
la
nation
mauricienne
furent
promues.
Avant
l‟indépendance, il est difficile de séparer les motivations d‟ordre politique de celle
entièrement culturelle. En effet, la dimension culturelle fut partie intégrale de
cette lutte destinée à libérer la société de plusieurs sortes de colonisation –
économique, sociale et culturelle. La recherche de sa culture et de ses racines révèle
une réelle renaissance ethnique. La mondialisation a entraîné deux tendances
culturelles contradictoires : d‟une part, est né un besoin plus grand d‟identités
culturelles afin de ne pas se perdre dans la collectivité ; d‟autre part, nous assistons à
26
Nababsing Vidula, Rencontre avec l’Inde, la diaspora indienne à Maurice, Vers une genèse de
l’identité culturelle, Conseil général pour les relations culturelles, Tome 28, numéro 1, 1999, p. 104.
25
une standardisation à travers les modèles de consommation mondiale, illustrée par
l‟émergence de marques, telles que KFC, Pizza Hut, Levi‟s, etc.…
« L‟unité dans la diversité », telle est la devise adoptée par l‟Île Maurice, depuis son
indépendance. L‟Etat cherche, par tous les moyens, à promouvoir le développement
des différences culturelles et linguistiques, à travers l‟établissement de centres
culturels. Cette tendance se reflète également dans la vie quotidienne des Mauriciens
qui se rassemblent pour célébrer les fêtes de Diwali, Eid et Noël, devenues fêtes
nationales. Cette favorisation de la pluralité culturelle a permis non seulement aux
différentes cultures de prospérer, mais elle a également instauré un sentiment de
tolérance envers autrui. Ce phénomène est surtout vrai pour les jeunes Mauriciens, qui
sont exposés à une ambiance multiculturelle et développent ainsi de multiples identités
culturelles. Toutefois, cette stratégie de pluralité culturelle présente aussi quelques
contraintes. A titre d‟exemple, nous pouvons citer la protestation de Mauriciens
d‟origine tamoule par rapport à la position de leur langue sur les billets de banque.
Ainsi, cet incident prouve que l‟ethnicité peut parfois amener certains groupes à
revendiquer des droits particuliers. Il est fondamental d‟accorder une égale importance
à l‟identité civique ainsi qu‟aux spécificités ethniques et culturelles. Le but est
d‟atteindre un certain équilibre entre les intérêts culturels particuliers et les intérêts de
la nation. En termes de bilan, l‟on constate que l‟Île Maurice a réussi à établir une
politique d‟équilibrage, à l‟origine de l‟harmonie et de la cohésion sociale. Malgré
l‟existence d‟inégalités et de tensions ethniques, cet équilibre fut mis en place grâce à
une philosophie centrée sur la tolérance et le respect d‟autrui. Cette pluralité des
cultures se reflète parfaitement à travers les ouvrages littéraires mauriciens,
caractérisées par leur diversité culturelle.
I.3.2. La diversité linguistique
La situation linguistique de l‟Île Maurice apparaît assez complexe, puisqu‟elle est le
résultat de ses divers peuplements. Parmi dix-sept ou dix-huit langues en usage sur
l‟île, dont certaines sont limitées à l‟intérieur de communautés restreintes, l‟on peut
citer huit langues qui jouent un rôle important dans la société mauricienne : il s‟agit du
26
français, de l‟anglais, du créole, de l‟hindi, du tamoul, de l‟urdu, du bhojpuri et du
chinois. Quant à l‟utilisation de ses langues dans l‟île, voila ce qu‟en dit Jean-Louis
Joubert dans son ouvrage, « Littérature de l’Océan Indien » :
« La plupart de ces langues sont réduites à un usage familial, intime,
identitaire : on s'en sert à l'intérieur de communautés de même origine
ethnique et culturelle. Mais la plupart, sinon la totalité des Mauriciens
sont bi- ou multi-lingues. Ils maîtrisent, outre leur langue maternelle,
une ou plusieurs des langues qui permettent la communication à travers
toute l'île, c'est-à-dire le créole, le français et l'anglais. Le créole, dans ses
emplois oraux (son écriture est un phénomène encore très récent), est
utilisé par plus de 95 % de la population : autant dire qu'il constitue la
langue majoritaire de Maurice, permettant l'intercompréhension et
l'intégration des diverses communautés insulaires. Le français et
l'anglais sont les langues de la vie moderne, du prestige social, de
l'ouverture sur l'extérieur. »27
Langue née des vicissitudes de l'Histoire, le créole demeure le lien entre les différents
groupes humains venus de plusieurs horizons. Elle est une co-création des colons, des
esclaves et, dans une moindre mesure, des peuplements ultérieurs à ces deux
composantes de la population. Ainsi, le créole est la véritable langue nationale et seul
produit culturel authentique des Mascareignes. Naguère considérée comme une langue
„vulgaire‟ des anciens esclaves, le créole est devenu une langue communément utilisée
par la majorité des Mauriciens, indépendamment de leur niveau éducatif. Certaines
organisations ont tenté de conférer au créole le statut de langue officielle de l‟Île
Maurice, cherchant aussi à en faire la langue d‟enseignement dans les écoles. Mais ces
tentatives n‟amènent pas les résultats voulus car ce projet s‟est buté à l‟opinion
publique. Beaucoup de Mauriciens considèrent encore le créole comme une langue
artificielle, une forme dégénérée du français, et donc inadapté aux exigences
éducatives. De plus, dans une nation multilinguistique telle que Maurice, cette
27
Jean-Louis Joubert, Littérature de l'Océan Indien, EDICEF, Vanves, 1991.
27
revendication pourrait créer des tensions parmi les autres communautés ethniques.
Ceci dit, sans être forcément rattaché à une communauté ethnique en particulier, le
créole reste la langue commune aux Mauriciens, une langue unifiante. En guise de
conclusion, nous pouvons citer ce qu‟affirme Atchia-Emmerich dans sa Thèse intitulée
„La situation linguistique à l’Île Maurice. Les développements récents à la lumière
d’une enquête empirique’, par rapport à la place des langues dans l‟île :
« Avec le créole, le français et l'anglais, les Mauriciens ont trois langues
importantes et supracommunautaires. D‟après l‟opinion publique, la
meilleure chose serait de laisser les choses comme elles sont, avec
l'anglais
comme
langue
du
commerce,
de
l'éducation
et
de
l'administration ; le français comme langue de prestige social et de
l'éducation (la langue des cours), tandis que le créole est la langue parlée
préférée de tous les jours et de tout le monde. »28
I.4. La littérature mauricienne
Dans cette section, nous ferons un survol de la littérature mauricienne, pour ensuite
nous intéresser aux écrivains francophones et à leurs chefs-d‟œuvre. En effet, une
étude sur la littérature mauricienne est indispensable, afin de repérer les tendances de
cette « jeune » littérature qui a vu le jour il y a presque deux siècles et demi. Lorsqu‟il
auteurs ont publié plus de huit cents ouvrages depuis 1803. »29 Née dans un pays
extrêmement petit, la littérature mauricienne n‟est pas minuscule. Elle se caractérise
par sa diversification et son multiculturalisme. A ce titre, citons Patricia Laranco, dans
son blog : « La richesse, le dynamisme de la littérature mauricienne sont, sans doute,
une illustration patente de l'effet enrichissant, dopeur de créativité, du métissage »30.
28
Bilkiss Atchia-Emmerich, La situation linguistique à l’Île Maurice. Les développements récents à la
lumière d’une enquête empirique, Université de Nuremberg, dissertation inaugurale à la Faculté de
Philosophie II (science de la langue et de la littérature), janvier 2005, p. 45.
29
Jean-Pierre Durand, L’Île Maurice aujourd’hui, les Éditions du Jaguar, Paris, 1999, p. 52.
30
Vide http://patrimages.over-blog.com/article-23307578.html
28
Les circonstances de la naissance d‟une littérature mauricienne et de son évolution sont
directement liées au parcours historique de l‟île. Parallèlement aux flux des différents
peuples arrivés sur l‟île, des usages linguistiques multiples s‟y sont imposés. La
république mauricienne possède effectivement une littérature en plusieurs langues,
dont principalement le français, l‟anglais, le créole et le hindi. Les deux colonisations
successives de l‟île, par les Français de 1713 à 1810, et par les Anglais de 1810 à 1968,
ainsi que le peuplement de l‟île par des Africains, des Européens, des Indiens et des
Chinois, sont à l‟origine du multiculturalisme littéraire. La littérature mauricienne est
née sous la colonisation britannique. En fait, l‟installation des colons français dans l‟île
en 1721 marqua la genèse de l‟expression française. Mais, pendant longtemps, cette
littérature fut réservée à une élite composée de colons blancs et de mulâtres. A ce
stade, il est essentiel de distinguer deux périodes littéraires, avant et après
l‟indépendance de l‟île. Au XIXème et jusqu'à la première moitié du XXème siècle, la
langue française était employée comme langue littéraire par excellence dans un but
précis : maintenir la suprématie de la culture française dans l‟île. C'est seulement au
tournant de la Seconde Guerre Mondiale que la pratique littéraire mauricienne s'est
démocratisée, avec l'entrée en scène de nouvelles générations d'écrivains issus de
classes sociales, de groupes ethniques et religieux divers. Cependant, l‟apparition
d‟ouvrages en anglais ou en hindi visait également à lutter contre cette hégémonie de
la culture française. Malgré l‟hégémonie française, les autre langues ont, elles aussi, pu
être employées à des fins littéraires. En dépit du fait qu‟ils soient marginaux, il existe
des ouvrages littéraires en anglais, en hindi, en tamoul et en créole. La littérature
anglophone semble occuper la deuxième position, compte tenu du volume de
production, qui n‟est pas comparable à la littérature d‟expression française, car
l‟anglais reste essentiellement la langue de l‟administration et du commerce. C‟est
seulement à partir de 1960, qu‟apparaît une littérature écrite en anglais et dont les
principaux représentants sont d‟origine indienne, tels que Azize Asgarally, Deepchand
Beharry et Anand Mullo. La formation d‟une littérature mauricienne en langue hindi
est née de la volonté des Indo-Mauriciens de vouloir conserver la civilisation indienne
sur l‟île. Les écrivains les plus renommés sont Somdath Bhuckory et Abhimanyu
Unnuth. La littérature de langue tamoule reste moins imposante, mais n‟est pas
29
inexistante. Quant à la littérature en créole, sa formation écrite est récente, marquée par
le premier roman publié en créole mauricien intitulé Quand montagne pren diflé, et
écrit par Renée Asgarally en 1979. Toutefois, la tradition orale demeure très
prédominante et très ancienne, puisqu‟elle remonte à l‟établissement de la colonisation
française.
I.4.1. La littérature mauricienne avant l‟indépendance
Après s‟être fait supplanter par les Anglais, les ex-colons français ne semblèrent pas
prêts à voir leur langue perdre son statut particulier. Afin de maintenir l‟hégémonie de
la langue française, les ouvrages littéraires sont tels qu‟ils représentent leur culture,
leur langue comme représentatif de la civilisation et de la modernité. En revanche, les
autres cultures et langues sont perçues comme barbares, inférieures. Possédant le
pouvoir économique, les ex-colons ont pu imposer leur culture, dévalorisant en même
temps celles des autres peuples. La littérature d‟expression française fut également un
moyen pour les ex-colons de combattre l‟influence de la culture et de la langue
anglaise. Jusqu'à l‟indépendance, le mode d‟expression littéraire diffère d‟un groupe
ethnique à l‟autre. Tandis que les écrivains blancs et ceux issus de la population de
colons ainsi que l‟élite créole, préféraient le français, les Indo-Mauriciens choisissaient
l‟anglais. Il s‟agit également d‟un choix politique. Entre la Seconde Guerre Mondiale
et l‟indépendance de Maurice en 1968, l‟anglais était d‟abord un outil puissant, afin de
faire obstacle à l‟expansion de la langue française sur l‟île. Ces adeptes de l‟anglais
étaient également en faveur de l‟indépendance, alors que les adeptes du français étaient
contre, tout en souhaitant le rattachement de l‟île à la France. En bref, jusqu‟en 1968,
chaque langue se trouve identifiée à un groupe ethnique en particulier.
Cependant, ce cloisonnement ne dura pas longtemps. À partir de la première moitié du
XXème siècle, le français cessa peu à peu d‟être le monopole d‟une communauté
unique : les Blancs. Cette période voit apparaître des ouvrages français écrits par des
auteurs d‟origine créole, chinoise, indienne et musulmane. Ce n‟est qu‟après
l‟indépendance que ce rapport entre les langues et les communautés commence à
30
s‟atténuer. Aujourd‟hui, même s‟il est rare de trouver des écrivains blancs écrire en
hindi ou en créole, la nouvelle génération d‟écrivains indo-mauriciens a choisi le
français comme moyen d‟expression littéraire. Parmi ces auteurs, on compte Ananda
Devi, Shenaz Patel, Barlen Pyamootoo, sans oublier Nathacha Appanah.
I.4.2. Le créole : un statut spécial
Le créole est né avec l‟arrivée des esclaves noirs venus d‟Afrique de l‟ouest. C‟est une
création des colons et des esclaves. Jusqu‟au XXème siècle, le créole était la seule
langue n‟ayant pas été reconnue à Maurice. Même si certains écrivains l‟employaient
comme moyen d‟expression littéraire, le créole était défavorisé, considéré comme un
patois, une langue d‟esclaves, par rapport aux langues prestigieuses telles que l‟anglais
et le français. Cependant, après 1968, cette vision changea. Certains commencèrent à
voir le créole comme la langue nationale des Mauriciens, capable de traduire leurs
sensibilités. S‟opposant à l‟anglais et au français, les adeptes du créole tentèrent de
l‟imposer à l‟île comme langue de culture, tout en lui enlevant son ethnicité.
Aujourd‟hui, le créole a acquis un statut particulier, ayant été officieusement reconnu
et caractérisée par une littérature créole, contribuant en même temps au développement
d‟une identité nationale. Après 1968, les écrivains, irrespectueux de leur langue,
tentèrent de collaborer pour mettre fin aux ségrégations linguistiques et surtout afin de
mettre en place la nouvelle idéologie en faveur du dialogue multiculturel : le
mauricianisme
ou la
mauricianité,
« c'est-à-dire
une
expression
littéraire
spécifiquement mauricienne qui ne serait le reflet exotique que d‟emprunts
extérieurs »31.
I.4.3. L‟évolution des thèmes dans les romans mauriciens
Durant le XIXème jusqu‟au début du XXème siècle, la littérature mauricienne fut
caractérisée par son ethnicité, dans le sens que les romans de l‟île évoquaient rarement
une société multiculturelle. En effet, chaque romancier ne situait son intrigue qu‟au
31
Jean-Pierre Durand, L’Île Maurice aujourd’hui, op. cit., p. 54-55.
31
sein de sa communauté, en évitant le plus possible de faire référence aux autres
groupes ethniques. Il en va de soi que les interactions sociales entre les différentes
communautés étaient rares. Par ailleurs, l‟écrivain blanc évoquait la plupart du temps
un milieu blanc, où les membres de sa communauté étaient décrits sous un jour
favorable, alors que les non-blancs étaient considérés sous un angle négatif. Cette
représentation de la société mauricienne, séparée entre diverses communautés, a
perduré pendant longtemps dans la littérature de l‟île, car la majorité des romans
étaient écrits du point de vue des Blancs. A part quelques exceptions, jusqu'à l‟aube du
XXème siècle, tous les romans mauriciens mettaient en avant une société sectaire, où
l‟harmonie régnait plus ou moins, sans néanmoins de contacts inter-ethniques. Durant
cette époque, les écrivains mauriciens étaient dans une contrainte littéraire qui les
forçait à ne produire des œuvres que selon des règles préétablies. Avant de parler des
œuvres insulaires, il faut remarquer la place qu'a occupée l'exotisme de quelques
contributions d'écrivains européens. En premier lieu, bien sûr, les romans de Bernardin
de Saint-Pierre qui, avec Voyage à l'Isle de France (1773) et surtout Paul et Virginie
(1788), ont fait connaître ce petit coin de terre dans l'hémisphère nord. Citons un
propos pris de l‟ouvrage, Monographie de l’Île Maurice, révélant la permanence de
cette œuvre dans la littérature mauricienne d‟expression française : « Pour le Français,
ça (l‟île Maurice) sera toujours la belle île de France, que le génie de Bernardin de
Saint-Pierre a immortalisée dans Paul et Virginie... »32 En effet, de nombreux romans
mauriciens contiennent les échos intertextuels de ce fameux ouvrage, dont l‟influence
fut considérable. Paul et Virginie, le premier roman exotique moderne, traite
essentiellement de thèmes tels que l‟amour, les contraintes sociales, la révolte, la mort
ainsi que l‟enfance. La narration suit une démarche rétrospective, en opérant un retour
vers le passé, mêlé de nostalgie. Comme c‟est le cas dans le roman de Bernardin de
Saint-Pierre, nombreux sont les romans mauriciens qui présentent la distance sociale
comme principal obstacle à l‟amour. Cet écart de classe ou de race constitue la cause
des échecs du héros qui est décrit comme vulnérable sans la bien-aimée. Face à cet
obstacle, les amants sont contraints de se révolter ou de choisir la mort, considérée
32
James Morris, Monographie de l’Île Maurice, mémoire présenté et lu à la Société des Arts de Londres,
Chaumas, Université d'Oxford, 1862, p. 3.
32
comme unique solution. En bref, l‟on ne peut négliger l‟impact de Paul et Virginie sur
la littérature mauricienne d‟expression française. Dès l‟aube du XXème siècle, la
langue française semble contaminée par l‟influence d‟autres langues, telles que le
créole, l‟anglais et le bhojpuri. Le contact des cultures a résulté ainsi en un contact des
langues. La littérature mauricienne s‟est vue enrichie à travers les mesures prises par
les écrivains contemporains qui ont essayé de dépasser les divergences ethniques, afin
de favoriser le dialogue interculturel. On remarque ainsi une véritable évolution de
cette littérature insulaire, qui est passée d‟un état de cloisonnement à un état
d‟ouverture, mettant en place une ambiance favorable à la création d‟une « nouvelle
langue littéraire », dénuée de préjugés ethniques.
L‟indépendance de l‟île a notamment marqué la fin des rivalités linguistiques dans le
domaine littéraire. Un thème privilégié de cette littérature est la recherche ou la quête
de l‟identité ou de ses origines. En tant que membre d‟une nation issue de la rencontre
féconde de peuples et de cultures variées, il semble légitime que le Mauricien soit à la
quête de ses racines. Les auteurs mauriciens écrivent en français, mais aussi en anglais,
en hindi, en chinois ou en créole, ce qui donna naissance à une littérature en mosaïque,
traversée par des influences qui proviennent autant de l'Europe que de l'Afrique proche
et de l'Inde lointaine. Cependant, la littérature francophone est sans doute la plus
ancienne et la plus riche. En effet, il s‟agit d‟une littérature biséculaire regroupant des
auteurs variés tels que Marcel Cabon, Malcolm de Chazal, Marie-Thérèse Humbert,
Carl de Souza, Khal Torabully, Barlen Pyamootoo, Ananda Devi, Shenaz Patel, Amal
Sewtohul et Nathacha Appanah, qui semble être la benjamine parmi la nouvelle
génération d‟écrivains francophones.
I.4.4. La littérature mauricienne de langue française par excellence
Commençons par une citation de Vicram Ramharai concernant le champ littéraire
mauricien : « Bien que le peuplement hétérogène ait apporté une pluralité de cultures
(donc de langues), le champ littéraire a toujours été dominé par la langue française.
Dès la fondation de ce champ au XVIIIème et son émergence au XIXème siècle, le
33
français s‟est réservé le monopole de la pratique littéraire. Si ce choix est lié à
l‟histoire de Maurice et à la culture dominante dans un premier temps,….après
l‟indépendance de Maurice, il devient plus esthétique qu‟idéologique… »33. Comme
l‟indique justement cette citation, bien que la littérature mauricienne reste un espace où
se côtoie plusieurs langues, le champ littéraire semble avoir toujours été dominé pas la
langue de Molière. En dépit du passage de l‟île sous le contrôle britannique en 1814,
les Anglais laissèrent aux Mauriciens l‟usage libre de la langue française, ce qui
explique le maintien de l'influence française, essentiellement grâce à la présence des
colons blancs, des descendants directs de Français, ainsi que des grands propriétaires
fonciers et hommes d‟affaires. En revanche, l‟anglais ne fut l‟affaire que de certains
fonctionnaires britanniques. Aujourd‟hui, l‟anglais est certes demeuré la langue
officielle du pays, néanmoins, les Mauriciens restent attachés à la langue française. Par
conséquent, il n‟y a rien d‟étonnant au prestige et à la richesse liée à la littérature
d‟expression française sur le territoire mauricien. Les traces d‟une activité littéraire
française à Maurice remontent vers la fin du XVIIIème. Ce phénomène fut favorisé par
la conjonction de circonstances favorables. D‟abord, l‟introduction de l‟imprimerie
dans l‟île en 1768 permit la création et la circulation de nombreux journaux
mauriciens. L‟île vit l‟arrivée d‟autres imprimeries, facilitant la circulation des
informations. Mais, elles ne sont employées au début que pour publier quelques
gazettes et des publications officielles. Ce fut l‟imprimerie de Cernée qui fut à
l‟origine de la publication d‟ouvrages littéraires.
Toutefois, l‟absence d‟une véritable maison d‟édition ne permit pas la circulation de
ces œuvres en dehors de l‟île et des pays voisins. L‟activité littéraire mauricienne a
longtemps été confinée à l‟intérieur du territoire colonial. Une autre raison pouvant
expliquer cet intérêt pour une littérature d‟expression française fut la présence de
cercles littéraires fondés à l‟origine pour des fins politiques. Ces cercles permettaient
aux instruits de se rassembler et partager leurs idées. On peut citer l‟exemple de la
Table Ovale, fondée en 1809, où l‟on se réunissait pour lire des poèmes, chanter des
33
Vicram Ramharai, Le champ littéraire mauricien, Revue de littérature comparée, n° 318, 2006/2, p. 173194.
34
chansons et faire la critique d‟ouvrages récemment publiés. Au XIXème siècle,
l‟apparition de clubs et de sociétés littéraire marqua le début d‟un engouement pour la
littérature. D‟autres cercles de ce genre furent par la suite crées, comme le Cercle
littéraire de Port-Louis en 1914 et la Société des écrivains mauriciens en 1938. Cet
intérêt pour la littérature fut soutenu par la presse, qui se plaisait volontiers à publier
les textes et points de vue culturels. En dernier lieu, nous ne pouvons manquer de citer
le rôle des rapports de voyage, qui permirent à l‟Île Maurice de devenir populaire dans
le monde occidental. Ces relations de passage publiées par les voyageurs qui ont visité
l‟île, en donnent une vision utopique, en mettant en valeur sa faune et sa flore. Parmi
ces relations de voyage, Voyage à l’Ile de France, écrit par Bernardin de Saint-Pierre,
s‟imposa comme un tableau coloré et poétique de Maurice. Du même auteur, c‟est le
roman intitulé Paul et Virginie qui fut à l‟origine de la soudaine popularité de l‟Ile
Maurice dans toute l‟Europe, qui découvrait un paysage exotique aux formes et aux
végétations inconnues. Ayant séjournée à l‟Île de France entre 1768 et 1770, cet auteur
eut le désir de renouveler le roman sentimental en lui donnant un cadre tropical. Ce
roman, qui marqua le début de l‟exotisme littéraire, évoqua notamment l‟insularité,
mais dénonça également implicitement l‟esclavage. En réponse à cet ouvrage, il y eut
d‟autres publications mettant en question ces affirmations. D‟une part, les voyageurs
racontèrent leurs impressions sur l‟île, de l‟autre, les colons blancs publièrent leur
version de cette description, tout en remettant en cause certaines opinions énoncées par
les voyageurs.
C‟est ainsi qu‟une littérature, marquée par la controverse, prit naissance sur l‟Île
Maurice. Les ouvrages en français commencèrent à paraître dès le XIXème, conférant
à la langue française une suprématie littéraire. Son utilisation symbolisait surtout une
volonté de résistance à la colonisation anglaise. En effet, l‟anglais étant perçu comme
un danger pour leur identité culturelle, l‟activité littéraire mauricienne en français
subsista essentiellement afin de défendre et maintenir la position linguistique du
français sur l‟île. Ainsi, écrire le moindre texte en français était considéré comme une
arme pouvant faire face à la domination anglaise. Le XIXème fut surtout une période
d‟affrontement entre les deux langues, tout en étant à l‟origine d‟une vitalité littéraire à
35
l‟Île Maurice. Le XIXème vit surtout le fleurissement des œuvres poétiques qui
dominèrent les ouvrages romanesques. Un des grands succès de la littérature
mauricienne de ce siècle fut un poème épique intitulé Napoléon, écrit par Hubert Louis
Lorquet. De nombreux poètes de la Table Ovale firent publier poèmes et chansons. Il
s‟agissait d‟œuvres conformistes, s‟inspirant du modèle occidental et respectant les
règles classiques de la versification. A la fin du XIXème siècle, le besoin de préserver
la culture et la tradition franco-créole se fit sentir à travers l‟œuvre de Léoville
L‟Homme, qui se montra le défendeur du Mauricien créole. Il fut également l‟un des
représentants du „francotropisme‟, c‟est-à-dire une admiration fervente pour tout ce qui
a trait à la culture française. Ce poète national de l‟Île Maurice tenta de glorifier le
paysage insulaire en l‟assimilant aux réalités du monde occidental. Au cours du
XIXème, aucun roman ne fut publiée, sauf un seul en 1803 : un roman épistolaire de
Barthélemy Froberville, intitulée „Sidner ou les dangers de l’imagination‟. A l‟aube
du XXème siècle, l‟apparition du roman mauricien marque une nouvelle sensibilité
littéraire, en s‟intéressant aux complexités de la société pluriculturelle. Il s‟agit, à
travers les récits, de révéler les tensions qui règnent dans les rapports de classe et de
race. Cela amena certains écrivains, comme Robert-Edward Hart, à considérer la
complexité culturelle de l‟île comme un atout, un enrichissement moderne. Jusqu'au
début du XXème siècle, la littérature mauricienne d‟expression française resta le
monopole d‟une élite, notamment celui des Blancs, toutefois, la situation changea
après l‟indépendance.
Après la Seconde Guerre Mondiale, le champ littéraire mauricien cessa d‟être le
domaine des Franco-Mauriciens et de quelques Créoles, pour s‟affirmer dans sa
dimension multiculturelle. La mentalité littéraire, jusqu'à présent tournée vers le
francotropisme, s‟est transformée, dû à l‟évolution démographique et sociale de l‟île.
D‟une part, l‟importance de la communauté indo-mauricienne a entraîné la nécessité
de réévaluer son influence culturelle ; d‟autre part, la décolonisation a amené les
auteurs à s‟interroger sur la notion de négritude. Par ailleurs, de plus en plus
d‟écrivains mauriciens choisissent de se faire publier à l‟étranger, ce qui entraîne la
constitution de la littérature des exilés, une des composantes essentielles de la
36
littérature mauricienne d‟expression française. Les écrivains insulaires sont pourtant
réhabilités à travers l‟inclusion de leurs œuvres dans les programmes d‟études
universitaires. Aujourd‟hui, la langue française exerce un certain pouvoir d‟attraction
sur des écrivains d‟origines diverses. En effet, le français est devenu le moyen
d‟expression d‟écrivains appartenant à des cultures diverses, notamment la culture
indienne. Ainsi, nous pouvons citer l‟exemple de Deepchand Beeharry, qui a choisi
d‟employer le français comme langue d‟expression littéraire, après avoir publié des
ouvrages en anglais et en hindi. Les écrivains mauriciens contemporains ont le mérite
de s‟être libérés des contraintes ethniques quant au choix de leur langue d‟expression.
Ainsi certains ont choisi d‟employer la langue des ex-colons. Les écrivains de l‟entredeux-guerres se tournèrent vers l‟évocation de la vie quotidienne de l‟Île Maurice, vue
dans ses moindres recoins avec un souci de réalisme. Les problèmes résultant des
contacts culturels différents forment l‟intrigue principale du récit. Ces ouvrages eurent
du succès, dans la mesure où ils reflétaient les mœurs de la société mauricienne en
tentant de sonder la psychologie des individus, prisonniers des contraintes de leur
communauté, mais ne pouvant refouler leur fascination envers l‟autre. Les ouvrages de
Marie-Thérèse Humbert, de Carl de Souza ainsi que d‟Ananda Devi, révèlent les
caractéristiques d‟un champ littéraire mauricien contemporain, remettant en question
les imitations ou les représentations stéréotypées, et qui devint le lieu d‟une
interrogation sur une identité multiple, complexe, et traversée de diverses tensions. Les
écrivains contemporains de langue française ont le mérite d‟avoir fait éclater les
mythes de l‟île paradisiaque et du métissage heureux, pour évoquer des rapports interethniques assez conflictuels qui règnent dans une société pluriculturelle. Actuellement,
la littérature mauricienne se caractérise par une production littéraire faite par deux
types d‟écrivains : d‟une part, ceux qui vivent ou ont vécu une grande partie de leur
existence à l‟étranger, particulièrement en France, d‟autre part, les auteurs qui sont
restés dans l‟ile.
I.4.5. Les écrivains francophones représentatifs de l‟Île Maurice
Dans cette section, nous allons nous limiter à quelques romanciers qui ont contribué à
la littérature mauricienne d‟expression française. Léoville L‟Homme, Marcel Cabon,
37
Malcom Shazal, Robert-Edward Hart, Ananda Devi, Marie-Thérèse Humbert, Shenaz
Patel, Carl de Souza, Barlen Pyamootoo, autant de noms ayant marqué le cercle
littéraire mauricien.
Léoville L‟Homme, d‟origine créole, est considéré comme le premier écrivain national
de l‟île. Jusqu‟au début du XXème siècle, un certain nombre de romanciers mauriciens
font paraître des ouvrages qui ne s‟éloignent pas du roman de type colonial, évoquant
sans cesse des scènes populaires de la vie créole, ainsi que des scènes de rencontre
entre Blancs et ouvriers indiens dans des immenses usines sucrières. D‟autres
communautés d‟écrivains se sont intéressées à la représentation de l‟île comme un
endroit paradisiaque, remettant en cause le souci d‟évocation réaliste. Arthur Martial,
Marcelle Lagesse ainsi que Bernardin de Saint-Pierre se sont souvent rattachés au
mythe de l‟ile heureuse.
Toutefois, la première moitié du XXème siècle voit apparaître une littérature plus
originale, à travers l‟œuvre de Robert-Edward Hart, qui tente d‟illustrer dans ses écrits,
la pluralité culturelle de l‟île. Il a régné sur la littérature mauricienne dans la première
moitié du XXème siècle, mais il reste essentiellement connu à l‟intérieur de l‟île et
parmi les cercles d‟admirateurs. Son œuvre révèle notamment sa fascination pour la
culture indienne. La notion de quête d‟identité n‟est pas étrangère à la littérature
mauricienne, qui a réuni dès le début du XXème siècle, des écrivains revendiquant la
„mauricianité‟.
Certains auteurs mauriciens comme Malcolm de Chazal ou encore Marcel Cabon
(connu pour son roman Namasté qui met en valeur la société pluri-culturelle de
Maurice) ont marqué l‟histoire de la littérature à Maurice par leurs œuvres qui parlent
de l‟identité mauricienne.
Un des plus grands écrivains mauriciens est Malcom de Chazal qui se définit comme le
plus grand hindou de l'île. Il est l‟auteur d‟œuvres surréalistes. Chazal est surtout
connu pour avoir transcendé les tabous et préjugés de la culture mauricienne de son
38
époque et pour pouvoir écrire librement, dans un style décidément avant-gardiste,
parfois mystique et surtout philosophique. Son œuvre, qui révolutionna le paysage
littéraire mauricien moderne, est marquée par la quête d‟une harmonie, d‟une
communication, d‟une correspondance qui existerait dans le monde, permettant à
l‟homme de vivre en accord avec la nature.
Quant à Marcel Cabon, il s'est affirmé comme l'un des rares auteurs insulaires réalistes.
A travers une puissante œuvre, il cherchait à constituer l‟identité culturelle
mauricienne, dont la richesse résulterait de la rencontre de diverses cultures sur une
même île. Il revendiquait une vie harmonieuse dans une société pluriculturelle. Avant
d‟aimer et de comprendre l‟Autre, il faut s‟accepter soi-même, c‟est-à-dire accepter ses
origines. Cette quête de soi, présente dans l‟œuvre de Cabon, l‟entraîna à rechercher
une identité plurielle. Son roman, Namasté, lui a conféré une renommée littéraire sans
précédent. En tant que Mauricien créole, il tenta de comprendre et sonder l‟univers des
Indo-Mauriciens, annonçant en même temps l‟unité culturelle mauricienne. Avant
d‟entrer dans le vif du sujet, il serait utile de découvrir quelques romanciers
francophones d‟origine mauricienne, qui dominent ce début du XXIème siècle, ainsi
que les thèmes présents dans leurs œuvres, à savoir la recherche de l‟identité, l‟exil,
l‟évolution des mœurs de la société mauricienne à travers les siècles, sans oublier le
rôle de la femme.
I.4.6. Un bref aperçu des romanciers mauriciens du XXIème siècle
a) Jean-Marie Gustave Le Clézio
L‟interculturalité fait la richesse de cette littérature « insulaire », couronnée entre
autres par l‟œuvre puissante de Jean-Marie Gustave Le Clézio, qui est d‟origine
franco-mauricienne et qu‟on ne peut manquer de mentionner lorsqu‟on parle de
littérature mauricienne. Ce lauréat du Prix Nobel de Littérature (2008) dédie une
œuvre littéraire abondante à l‟Île Maurice, avec laquelle il a tissé des liens forts, ses
parents étant originaires d‟une famille bretonne qui s‟était installée à Maurice au
39
XVIIIe siècle. Jean-Marie Le Clézio a toujours conservé une attirance affirmée pour la
terre de ses ancêtres, une sorte de quête des origines. Elle a été pour lui une source
importante d'inspiration, notamment avec Le Chercheur d’or, Voyage à Rodrigues et
La Quarantaine. Inaugurant une quête généalogique, Le Chercheur d’or marque la
réappropriation par l‟auteur d‟une identité mauricienne longtemps occultée [….], une
tentative pour reconstruire imaginairement une version insulaire de sa propre enfance à
travers une identification à la figure de l‟aïeul ».34
b) Ananda Dévi
Figure majeure parmi les écrivains de l‟Océan Indien, Ananda Dévi est l‟auteur de
romans, recueil de poèmes et divers nouvelles. Son œuvre révèle le charme et la
diversité humaine de l‟Île Maurice, qui n‟apparaît pas sous le même jour que dans les
cartes postales ou les dépliants touristiques, représentant souvent des clichés exotiques.
Tout en évoquant l‟espace insulaire déchiré par de multiples univers et en mettant en
scène des personnages étouffant sous l‟effet des cloisonnements, l‟écrivaine nous peint
la société mauricienne, formée de mythes et de réalités. Son œuvre met en avant la
femme, victime des traditions patriarcales, cherchant à se dégager de ce monde
opprimé. Privilégiant les thèmes sombres, cette écrivaine porte un regard implacable
sur la société mauricienne de son temps. Ses chefs-d‟œuvre incluent notamment Moi,
l'interdite, Ève de ses décombres, Indian tango ainsi que Le sari vert, pour n‟en
nommer que les plus reconnus et les plus appréciés par le public francophone.
c) Shenaz Patel
Exerçant le métier de journaliste depuis 1985, Shenaz Patel s‟est consacrée en même
temps à la création littéraire à travers quelques nouvelles, avant de s‟engager pour de
bon dans l‟écriture romanesque avec son premier roman intitulé Le Portrait Chamarel
( 2001). Sensitive et Le Silence des Chagos paraîtront ensuite en 2003 et 2005, c'est-à-
34
Jean-Michel Racault, Mémoires du grand océan : des relations de voyages aux littératures francophones
de l'Océan Indien, Presses Paris Sorbonne, 2007, p. 231.
40
dire contemporains des bouleversements sociaux dans l'Île. Dans chacun d'eux,
l'écriture littéraire retrace plus ou moins ouvertement une quête identitaire, soit à la
fois affirmée et contestée (Le Portrait Chamarel), bafouée et revendiquée (Le Silence
des Chagos), confuse et brouillée (Sensitive). Elle est également l‟auteur de deux
pièces de théâtre (La phobie du caméléon, Paradis blues). Depuis 2008, elle s‟est
lancée dans la réappropriation littéraire de la langue créole, à travers des projets de
publication dans cette langue.
d) Carl de Souza
Né à l‟Ile Maurice, Carl de Souza s‟engage assez tard dans la création littéraire, à
travers notamment des nouvelles. Son premier roman, Le Sang de l'Anglais, reçoit le
Prix de l'ACCT. Par la suite, il fait paraître quatre ouvrages, ayant pour intrigue
l‟actualité de son île, choisissant ainsi de former ses récits sur des événements qui ont
marqué la société mauricienne de son temps. Ainsi, La Maison qui marchait vers le
large est une pièce évoquant un glissement de terrain à Port-Louis, Les Jours Kaya
s‟appuient sur les émeutes de 1999, qui ont suivi la mort du chanteur Kaya, et Ceux
qu'on jette à la mer tente de reconstituer le sort d‟immigrants clandestins arrivés à
l‟Île Maurice.
e) Barlen Pyamootoo
C‟est à partir de 1995 que Barlen Pyamootoo se lance dans l‟écriture et l‟édition. Les
deux romans à son actif, qui ont été aussi traduits en anglais ( Bénarès, Le Tour de
Babylone) l‟ont fait connaître au public français. Alors que son premier roman, qui a
été adapté au cinéma, évoque la déception de la jeunesse mauricienne, son second
roman a pour cadre Bagdad après la guerre du Golfe.
Après ce bref aperçu sur les auteurs mauriciens contemporains, nous allons nous
intéresser sur un auteur en particulier : Nathacha Appanah. Cette écrivaine a su
marquer sa présence sur l‟horizon francophone, à travers ses quatre romans, qui lui ont
41
valu de nombreuses accolades, démontrant qu‟elle a su conquérir le cœur du public
francophone. La partie suivante envisagera de suivre le parcours de cette jeune
Mauricienne, tout en présentant les romans à l‟origine de sa renommée au sein du
monde francophone.
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Chapitre II
Nathacha Appanah, représentante de
l’Île Maurice
43
CHAPITRE II
Nathacha Appanah, représentante de l‟île Maurice
Nous avons jugé utile de présenter quelques grandes lignes qui décrivent la vie et
l‟œuvre de Nathacha Appanah. Une telle démarche vise un double objectif : saisir
l‟environnement social de l‟écrivaine qui semble rattachée à sa production littéraire, et
ensuite comprendre sa vision d‟écrivaine à travers un sommaire de ses romans.
II.1. Le parcours de Nathacha Appanah
35
Nathacha Appanah appartient à la nouvelle génération d‟écrivains francophones
mauriciens, parmi lesquels nous pouvons citer entre autres Ananda Devi et Shenaz
Patel. Nathacha Appanah est née le 24 Mai 1973 à Mahébourg, situé sur la côte sud-est
de l'Île Maurice. Elle descend d‟une famille d‟engagés indiens de la fin du XIXème
siècle, les Pathareddy-Appanah. Née d‟une mère enseignante et d‟un père consultant
dans l'industrie sucrière, elle a passé les cinq premières années de son enfance dans le
nord de l‟île. Ayant fait toute sa scolarité dans son pays natal, Nathacha Appanah se
passionne très vite pour la littérature ainsi que le journalisme et découvre l‟écriture à
l‟adolescence. Elle a 17 ans lorsqu‟elle gagne un concours littéraire organisé par le
35
Vide http://www.tabletmag.com/arts-and-culture/books/57014/cast-away-2/
44
quotidien l‟Express, qui lui offre la possibilité de publier ses articles dans ses colonnes.
Ainsi, elle collabore pendant quelques mois de façon prolifique à la page littéraire en
écrivant de nombreuses chroniques et nouvelles. Elle a écrit trois recueils sur l‟Île
Maurice. Elle a été lauréate du prix de l'Alliance Française en 1995. Passionnée par les
ouvrages d‟Albert Camus, elle s‟inscrit à la faculté de lettres, mais n‟y demeure pas
très longtemps. Nathacha se met vite à chercher du travail. Poussée par son intérêt pour
le journalisme, elle s'improvise concepteur- rédacteur dans une agence de publicité,
puis correctrice pour une maison d'édition spécialisée dans l'ésotérisme et enfin,
secrétaire de rédaction à l'hebdomadaire Week-end Scope. En 1997, Nathacha profite
d'un programme international du Centre de formation et de perfectionnement des
journalistes français. Ses qualités lui permettent de décrocher une bourse de trois mois,
pour un stage en France. Son arrivée en France marque non seulement le début de sa
carrière de journaliste, mais également la reprise de sa vocation d‟écrivain. Partie pour
un séjour de trois mois, Nathacha Appanah restera en France plus longtemps. Elle
intègre la rédaction d‟un hebdomadaire où elle travaille pendants trois ans.
Simultanément, elle collabore au Magazine Viva et à la Radio Suisse Romande. Les
premiers temps, elle séjourne à Grenoble. Puis, elle décide d'achever à Lyon sa
formation dans les domaines du journalisme et de l'édition. C‟est là qu‟elle
recommencera à écrire. En quatre romans, elle a su séduire le public ainsi que la
critique. Étant devenue une auteure à succès, Nathacha Appanah vit actuellement à
Paris et travaille à mi-temps pour Eurordis, une O.N.G. qui traite des maladies rares.
II.2. L‟œuvre de Nathacha Appanah
Depuis la publication de son premier roman en 2003 jusqu‟à celle de son dernier
roman en 2007, les livres de Nathacha Appanah ont été régulièrement appréciés par les
critiques et les lecteurs. Cet auteur à succès de la littérature francophone possède
quatre romans à son actif. Son premier roman, intitulé Les Rochers de Poudre d’Or,
publié en 2003 dans la collection Gallimard Continents Noirs, a reçu le Prix RFO
après avoir été choisi parmi treize romans de la littérature d‟outre-mer ainsi que le
45
Prix Rosine Perrier. L‟ouvrage en question, dont nous allons parler ultérieurement,
retrace le parcours douloureux d‟émigrés indiens, venus travailler sous contrat dans les
plantations de canne à sucre de l‟Île Maurice vers la fin du XIXème siècle, à la suite
des esclaves noirs. Ce roman fut aussi un "Coup de coeur" remarqué dans le cadre de
l'émission de TF1 Vol de Nuit (Patrick Poivre d'Arvor). Le deuxième roman de
Nathacha Appanah, intitulé Blue Bay Palace, publié en 2004, dans la même collection,
Gallimard « Continents noirs », a été récompensé par le Grand Prix littéraire des
Océans Indien et Pacifique. Ce roman, qui a également pour cadre l‟Île Maurice, se
distingue de son premier roman par le fait qu‟il évoque une histoire d‟amour qui tourne
au drame. La Noce d’Anna, le troisième roman de cette écrivaine d‟origine
mauricienne, a été publié en 2005 dans la même collection. Ce roman lui a valu le
Grand Prix du Salon du Livre de Paris, sans oublier le Prix des Lecteurs
d'Herblay et le Prix des Lecteurs de Critiques Libres. Délaissant cette fois l‟Île
Maurice, l‟ouvrage nous entraîne en France sur les rivages du mariage et de la relation
conflictuelle entre une mère et sa fille. Le quatrième roman de Nathacha Appanah,
intitulé Le Dernier Frère, publié en 2007 par les Editions de l’Olivier, vient de
recevoir le Prix du roman FNAC ainsi que le Prix Culture et Bibliothèques Pour
Tous et le Prix des Lecteurs de L'Express. Ce dernier roman de Nathacha Appanah
nous plonge dans une période méconnue de la Seconde Guerre Mondiale.
II.2.1. Les Rochers de Poudre d’Or
Le premier roman de Nathacha Appanah concerne l‟histoire des Indiens, qui ont
décidé de quitter leur patrie afin d‟aller travailler comme engagés sur l‟Île Maurice,
avec l‟espoir d‟être accueillis par cette nouvelle nation. La réalité à laquelle ils font
face dès qu‟ils y mettent pied forme la fin du récit. Le roman, dont l‟action se situe en
1892, est divisé en deux parties : la première évoque les circonstances du départ des
Indiens et décrit le trajet à bord de l‟Atlas, la deuxième partie décrit le sort qui leur est
réservé à l‟Île Maurice. Nous suivrons cette structure interne pour étudier ce roman.
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Le roman met en scène Badri, joueur de cartes, Chotty Lall, paysan endetté, Vythee,
jeune villageois, Ganga, une jeune veuve, et le Dr. Grant, médecin anglais.
Première partie :
Le récit s‟ouvre sur Badri, un jeune Indien vivant à Sampor Khiro, un village près
d‟Agra. Il est inséparable de son paquet de jeu de cartes dont il est passionné. La
pensée de pouvoir gagner quelques sous excitait l‟Indien qui nourrissait également un
autre désir : aller à Calcutta et se faire une petite fortune en travaillant pour les Blancs.
Son désir était tel qu‟un jour, il n‟hésita pas à miser l‟argent qu‟il avait volé de chez
lui. Malheureusement, il perdit tout ce qu‟il avait misé. Mort de honte et de peur, Badri
décida de s‟enfuir du village pour aller tout droit à Agra, où il se fit remarquer par
Lagoo un recruteur indien, chargé de trouver des personnes prêtes à travailler à l‟Île
Maurice. Son audacieuse allure et ses belles paroles charmèrent tellement Badri qu‟il
accepta sa proposition sans réfléchir. Sans même le lire, Badri signa le contrat de
travail, le cœur rempli d‟espoir. Il fut ensuite emmené dans un dépôt où d‟autres
comme lui attendaient le départ. C‟est durant la vérification du contrat que Badri apprit
la vérité : selon le contrat, il avait accepté de travailler à Maurice pendant cinq ans, en
tant que « coolie ». Le jeune Indien était sous le choc. Pourtant, il se ressaisit vite, avec
l‟espoir de pouvoir trouver d‟autres moyens de gagner sa vie à Maurice. Cet espoir le
fit embarquer sur l‟Atlas.
Chotty Lall était un paysan endetté sous l‟emprise d‟un « zamindar », un cruel patron.
Chotty, qui vivait à Raniraj avec sa femme et son fils, travaillait pour un moindre
salaire afin de rembourser la dette contractée par son père. Les conditions de travail
étaient pénibles. A travers un ami, il apprit l‟arrivée d‟un maistry (recruteur) au
village. Poussé par la curiosité, le pauvre paysan arriva à l‟endroit où le recruteur
annonça le recrutement par les autorités anglaises de personnes voulant travailler à
l‟Île Maurice. La nuit, Chotty en parla à son épouse Reshmee. Cette dernière lui
conseilla de donner son nom au maistry, car c‟était le seul moyen de rembourser ses
dettes. Le paysan avait fait son choix. Après avoir donné son nom, Chotty commença
47
son voyage vers Calcutta avec d‟autres Indiens. Durant le trajet, il apprit qu‟il
s‟agissait d‟un contrat de cinq ans. Bouleversé, il pensa à faire volte-face. Mais les
tortures du zamindar lui revinrent à l‟esprit. Il se consola en gardant l‟espoir de
rembourser sa dette et faire venir sa famille à Maurice. Arrivé à Calcutta, il rejoignit
d‟autres Indiens réunis dans un immense dépôt, où des officiers leur donnèrent quinze
roupies après leur avoir fait signer leur contrat de travail. Le cœur dévasté, Chotty
s‟apprêta à quitter son pays natal.
Vythee était un jeune homme vivant de sa terre dans son village natal. Les lettres qu‟il
recevait de son frère Jay, lui demandant de venir le rejoindre à Maurice, ne le laissait
pas indifférent. Hésitant d‟abord, Vythee se décida enfin à quitter son village. Après
avoir vendu toutes ses possessions, il se dirigea vers Madurai, pour prendre le train à
destination de Chennai. Dans le train en partance pour Chennai, le jeune homme se
remémora quelques souvenirs restant de son village.
A Chennai, nous faisons connaissance avec Roopaye, une recruteuse indienne, venue
rencontrer Oliver Radcliff, le chef du dépôt d‟émigrés indiens qui partaient pour
Maurice. Il était chargé d‟envoyer le plus grand nombre d‟Indiens à Maurice. Roopaye
était chargée de regrouper les Indiens ayant consenti à travailler à Maurice. Mais
depuis quelques temps, ce nombre avait considérablement diminué. Durant cette
rencontre secrète, Radcliff exprima son mécontentement face à cette baisse. Roopaye
rétorqua qu‟elle faisait son possible pour amadouer les gens. Radcliff avait aussi un
autre souci ; l‟existence de faux maistry à Chennai. Suite à l‟arrivée de l‟Atlas,
provenant de Calcutta, Roopaye était chargée d‟amener d‟autres Indiens. La recruteuse
se rendit ensuite chez elle, où attendaient déjà quelques Indiens, prêts à traverser le
kalapani, l‟eau noire. C‟est au sous-sol que des Indiens, dont Jay faisait partie,
s‟affairaient dans leur coin. Parmi les nouveaux venus, se trouvait Ganga, une jeune
femme à la tête rasée. Il s‟agissait du dernier jour passé chez la maistry, avant leur
embarquement sur l‟Atlas. La veille de l‟embarquement, Roopaye faisait les comptes,
avec l‟argent obtenu des travailleurs. Elle s‟était faite une petite fortune.
48
Ganga est l‟unique héritière du Rajah de Sira. Son destin semblait parfaitement
éblouissant jusqu'à la veille de ses noces avec le fils du Rajah de Bangalore. Ce jour-là,
la jeune princesse entendit des prédictions néfastes de la part d‟un sage. Mais Ganga
ne prit pas garde de ses propos et l‟expulsa du palais. La bravoure de la jeune héritière
était telle qu‟elle partait même à la chasse avec sa troupe royale. Ganga n‟était pas
disposée à croire à ses balivernes. Après le mariage, elle vécut dans le bonheur
extrême. Cependant, ce bonheur était trop beau pour être vrai. La prédiction du sage se
concrétisa lors d‟une fatale chasse au tigre durant laquelle le jeune prince fut tué par un
tigre. Du jour au lendemain, la vie de Ganga fut bouleversée. Elle devint une « veuve »
porteuse de malheur qui se devait de monter sur le bûcher avec son époux, selon le
rituel royal. N‟étant pas du genre à se laisser opprimer, Ganga prit la décision de
s‟enfuir du palais avec l‟aide de Tara, sa femme de chambre, afin d‟échapper au
bûcher. Accompagnée de Tara, elle quitta le palais en cachette, le crane rasé et vêtue
d‟un sari blanc, synonyme de veuvage. Arrivées à la gare, la jeune princesse monta
dans le train à destination de Madras, où elle comptait survivre grâce à Roopaye. Alors
qu‟elle s‟était cachée dans un compartiment, des hommes envoyés par le palais
surgirent brusquement de nulle part et se mirent à fouiller partout, afin de la retrouver.
Ganga fit de son mieux pour se couvrir et resta blottie dans un coin. Elle ne fut pas
reconnue. A mesure que le train s‟éloignait, la jeune femme se disait qu‟elle était
destinée à vivre et non à mourir.
Après l‟embarquement de ces personnages sur l‟Atlas, commence le récit de voyage,
qui est fait par le biais du journal de bord du Dr. Grant, le médecin désigné pour
assurer les soins médicaux tout au long de la traversée. Commence une narration faite
à la première personne, à travers le regard du Dr. Grant. Plusieurs pages de son journal
révèlent son dégoût et sa haine envers l‟Inde et les Indiens, mais elles nous informent
également de la montée des engagés à bord de l’Atlas, ainsi que des conditions de
voyage des premiers jours. C‟est le premier jour sur l‟Atlas. Le Dr. Grant dévoile son
aversion à l‟égard des Indiens. Contrairement aux autres médecins, le Dr. Grant
n‟aimait guère les longs trajets car il ne pouvait supporter d‟être en présence de ces
« Indiens ». Le voyage vers l‟Île Maurice, par contre, ne durait que quelques semaines.
49
Cependant, il ne cessait de se plaindre des gémissements et cris venant du sous-sol du
bateau où étaient entassés les Indiens. Le Dr. Grant se moquait de la croyance indienne
concernant la traversée du kalapani, c'est-à-dire, l‟océan. Selon des superstitions
indiennes, traverser l‟océan pouvait être néfaste. Le médecin se souvint d‟un incident
s‟étant déroulé sur le quai de Calcutta. Une femme ne voulait pas laisser son mari
embarquer à bord. Séparé de sa femme, l‟Indien se mit alors à chantonner un chant
religieux auquel se sont joints les autres. Le Capitaine William ordonna de les mener à
la cale. A ce moment-là, le Dr. Grant croisa le regard de chacun d‟eux. Pour la
première fois, leur regard lui inspira de la pitié. Dès qu‟ils furent dans la cale, il y eut
soudain un cri qui fit remonter tous les Indiens. Au même moment, le médecin vit un
vieil Indien se jeter dans la mer. Tout se déroula tellement vite que personne ne put
réagir. Entretemps, Devon, l‟assistant du Dr. Grant, sembla soupçonner le médecin de
n‟avoir pas réagi et sauvé une vie humaine. Cette insinuation le rendit si furieux que le
médecin se plongea dans l‟alcool.
Les Indiens se calmèrent et retournèrent dans la cale. Mais, ils avaient le droit de se
déplacer sur le pont. Cela irritait énormément le Dr. Grant qui ne pouvait tolérer leurs
regards languissants. Mais le regard des jeunes femmes ne le rendit point insensible.
L‟examen médical des Indiens devait bientôt commencer dès l‟arrivée du groupe
embarquant à Madras. Durant une conversation avec le Capitaine William, le Dr.
Grant fut choqué d‟apprendre qu‟il comptait s‟installer en Inde après sa retraite. Passer
ses derniers jours dans un pays où ne régnaient que la misère, la saleté et les
superstitions était inconcevable pour le médecin. Selon le médecin, les Indiens étaient
des esclaves, des barbares destinés à servir les Anglais, leurs maîtres suprêmes. Au
port de Madras, embarquèrent une quarantaine de travailleurs indiens. Parmi ce
groupe, il y avait trois femmes, dont l‟une au crâne rasé portant un sari crasseux. Elle
était accompagnée d‟un jeune homme, inscrit comme son mari, et d‟un vieillard. Le
Dr. Grant qui remarqua la condition déplorable de ce dernier et refusa de le laisser
embarquer. A ce moment-là, la femme se mit à lui parler en anglais, à la surprise de
tous. Elle tentait de le convaincre de laisser passer le vieillard, qui était un pêcheur. Le
50
médecin le laissa avancer. La vue de cette femme intrigua Devon, mais le Dr. Grant ne
partagea guère son avis.
Cent trente-huit Indiens étaient à présent réunis dans la cale. A la suite d‟une légère
altercation entre l‟assistant cuisinier, qui était un Indien, et le médecin, ce dernier
préféra s‟enfermer dans sa cabine. Le reste de l‟équipage, n‟ayant pas pris son parti, le
Dr. Grant eut l‟impression d‟avoir été trahi par les siens. Il fut aussi tourmenté par des
cauchemars terribles. Lorsqu‟il se réveilla, il décida que ce voyage serait son
« dernier ».L‟examen médical des Indiens venait de commencer. D‟abord, ce fut le
tour des enfants, ensuite, celui des hommes. Tandis que Devon les touchait en
échangeant des propos bienveillants, le Dr. Grant gardait toujours ses distances.
Soudain, un jeune Indien s‟évanouit durant l‟examen médical. Lorsqu‟il reprit
connaissance, il déclara avoir faim, et désira faire une partie de cartes avec les Blancs.
Il s‟appelait Badri. Cette idée amusa le médecin qui demanda qu‟on amène l‟Indien
dans leur salle après le dîner. Durant la partie de poker, Badri misa tout ce qu‟il
possédait. En échange, les Anglais furent d‟accord pour miser quelques shillings. En
peu de temps, le jeune Indien commença à mener la partie. Le Dr. Grant se retira du
jeu, qui se poursuivit avec énergie.
L‟examen des femmes était le plus dur car les Indiennes étaient d‟une extrême
réticence lorsqu‟il s‟agissait de révéler leur chair, même pour des raisons médicales.
Ce qui inquiétait le plus le Dr. Grant, c‟était l‟état pitoyable du vieux pêcheur indien.
Le regard du vieillard rappela au médecin le regard de celui qui s‟était jeté dans la mer
quelques jours auparavant. Pour combler le tout, le médecin avait un sommeil assez
troublé depuis quelques jours.
Comme prévu, le vieux pêcheur mourut la nuit même. La pluie s‟annonça les jours
suivants. Le Dr. Grant se rappela les circonstances dans lesquelles le pêcheur avait
rendu l‟âme. Cette mort le bouleversa tellement que sa vie ne fut plus la même après
cette terrible nuit. Apprenant que le pêcheur était dans un état grave, le médecin se
précipita dans la cale, où il entendit un cri horrible qui terrorisa tout le monde. Ce cri
51
venait du vieil homme qui mourrait lentement devant le regard effrayé de tous.
Quelques instants plus tard, le médecin ordonna qu‟on monte le pêcheur sur le pont.
N‟ayant pas le choix, le Dr. Grant jeta lui-même le corps dans la mer, avec l‟aide de
Devon. Pourtant, le cri strident du vieux pêcheur semblait résonner en lui à jamais.
D‟autres décès suivirent celui du pêcheur. Les nuits du médecin continuaient à être de
plus en plus troublées par ses cauchemars où apparaissaient les deux vieux Indiens
morts. Il avait hâte que ce voyage se termine. Il commença à se retirer dans sa cabine,
préférant éviter tout contact avec le reste de l‟équipage. De nombreux Indiens furent
soudain atteints par la diarrhée. Certains y succombèrent. Des mesures alimentaires
furent prises afin de contrôler l‟épidémie. Entre-temps, le Dr. Grant remarqua le regard
intrépide de Ganga. Son audace lui plaisait, malgré le fait qu‟il lui paraissait
invraisemblable qu‟elle et Vythee forment un couple. Sans trop s‟en soucier, le
médecin désirait qu‟elle partage son lit. Un travailleur dénommé Chotty Lall mourut
de diarrhée. A travers quelques rites, les autres Indiens voulurent lui rendre hommage.
Le pauvre paysan fut, à son tour, jeté à l‟eau, sous le regard accablé de Vythee, qui
gardait son baluchon. Lorsque le Dr. Grant s‟approcha du bord, sa main effleura
accidentellement le vermillon qui était tombé du front du mort. Depuis la mort de
Chotty Lall, la diarrhée semblait s‟être arrêtée, mais le Dr. Grant n‟était plus le même.
Ses sommeils devinrent de plus en plus tourmentés par des cauchemars incessants. De
plus, il semblait avoir des hallucinations depuis qu‟il avait touché cette marque rouge,
ce qui l‟effrayait. Il en voyait partout. Entretemps, Devon, son assistant, examinait les
femmes. Durant l‟examen médical, Ganga se présenta face au Dr. Grant. Elle se
plaignit d‟une douleur aux pieds. Cela surprit le médecin, qui comprit qu‟elle n‟était
pas comme les autres. L‟audace de cette Indienne l‟attirait de plus en plus. Cette
pensée l‟entraîna à boire d‟avantage. Il donnait l‟allure d‟un ivrogne devant le reste de
l‟équipage dont il le ne se souciait guère. L‟alcool rendait le médecin de plus en plus
brutal, surtout avec les Indiens. Le Dr. Grant avait besoin de boire afin de ne pas avoir
ces cauchemars, ces hallucinations qui le hantaient chaque nuit. Ne pouvant plus
supporter cet état de solitude, il éprouva le besoin d‟une présence féminine. Ainsi, le
médecin ordonna Badri, le joueur de cartes, d‟amener Ganga dans sa cabine en
échange d‟argent.
52
Lorsque Badri entra dans la cabine du Dr. Grant, suivi de Ganga, le médecin voulut se
jeter sur elle. Effrayée, la jeune veuve essaya de s‟échapper, mais le médecin
commença à l‟agresser afin de l‟empêcher de partir. Au même moment, Devon et
William, qui entendirent les cris de détresse de Ganga, intervinrent et la sauvèrent. Le
capitaine décida d‟enfermer le Docteur dans sa cabine. Ne pouvoir goûter même une
goutte d‟alcool le rendit fou furieux. Il fut mis sous surveillance. Depuis son
enfermement, le Dr. Grant voyait son état se dégrader jour après jour. Il était hanté par
ses cauchemars, ses hallucinations qui lui faisaient apparaître partout des mortsvivants. Ses comportements étranges semblaient incompréhensibles au reste de
l‟équipage. Le Dr. Grant était seul dans son combat face à ces esprits diaboliques. La
nuit, il avait des visions bizarres, il entendait des paroles étranges. Il n‟en pouvait plus.
Il fallait que ces cauchemars cessent. Le médecin ne trouva qu‟une seule issue, pour
échapper à cette torture : la mort. Il décida de se jeter dans la mer. Il pensait pouvoir
être en sécurité, avec la conviction que les Indiens ne reviendraient pas le chercher
dans l‟eau, le kalapani qui les effrayait à mort. C‟est sur cette note que s‟arrête le
journal de bord du Dr. Grant.
Deuxième partie :
L‟Atlas atteignit enfin l‟Île Maurice par une nuit. Après un si dur voyage, les Indiens
espéraient enfin voir une nouvelle terre accueillante et verdoyante et des gens de
couleurs les attendant sur le port. Mais, ils ne virent que l‟obscurité. Ils furent entassés
de nouveau dans un grand dépôt. A la tombée de la nuit, les officiers ainsi que certains
de l‟équipage de l‟Atlas s‟étaient réunis pour parler du compte-rendu du trajet. A part
la trentaine d‟Indiens qui étaient morts, ils remarquèrent le mystère entourant la
disparition du Dr. Grant, le médecin de bord. Il s‟était jeté dans la mer, au moment où
personne ne faisait attention. Personne ne le vit tomber, pourtant, il avait disparu du
bateau. Selon le rapport du Capitaine, la folie l‟avait entraîné vers sa fin. Lorsque la
discussion se termina, les officiers blancs regagnèrent leurs quartiers, pendant que les
Indiens dormaient de fatigue, sans avoir la moindre idée qu‟ils allaient être triés le
53
lendemain matin. Comme prévu, les propriétaires français étaient devant le dépôt afin
de choisir les meilleurs travailleurs. Avant d‟ouvrir le dépôt, George Pratt, le
Protecteur des immigrants, annonça aux Indiens ce qui les attendait, avec certaines
consignes à respecter. Enfin, il ajouta qu‟il serait à leur disposition, au cas où il y
aurait le moindre problème. Les portes du dépôt furent finalement ouvertes. Quelques
heures plus tard, Pratt était dans le bureau du magistrat pour lui faire un compte-rendu
de cette sélection, qui s‟était déroulée non sans trouble. Les propriétaires français ne
voulaient pas de vieux Indiens qu‟ils étaient pourtant obligés d‟accepter. De plus, un
dénommé Vythee refusa de partir avec son nouveau propriétaire, Hippolyte Rivière,
car il attendait d‟être engagé par Desvaux, chez qui son frère travaillait. Mais, Vythee,
accompagné de Ganga et d‟autres Indiens, fut forcé de partir avec Hippolyte. Un autre
incident concernait le cas d‟un petit garçon de quatre ans qui s‟était séparé de sa
famille lors de la sélection. Ne pouvant rien faire pour les aider, Pratt avait pourtant le
cœur un peu lourd, pensant à la misère de ces Indiens.
Une carriole transportant Ganga, Vythee, Badri, et d‟autres Indiens, se dirigea dans le
village de Poudre d‟Or vers la résidence d‟Hyppolite Rivière, leur nouveau
propriétaire. Tandis que Vythee et le pêcheur s‟attristaient sur leur sort, Ganga était
plutôt soulagée depuis la mort du Dr. Grant. Quant à Badri, il se sentait tout honteux
après l‟incident avec le Dr. Grant. Lorsque la carriole arriva à la propriété d‟Hyppolite,
ils virent leurs nouvelles demeures où d‟autres Indiens habitaient déjà. La vue de ces
compatriotes fut un certain soulagement pour les nouveaux venus de l‟Atlas. Arrivé sur
l‟Île Maurice, nous faisons connaissance avec d‟autres Indiens. Das et Roy
travaillaient déjà pour Hyppolite. Das était un enfant du caniveau. Il était né à
Bombay, alors que Roy venait du Bihar. Arrivés à Maurice très jeunes, ils espéraient
trouver de l‟or sous les rochers, selon certaines rumeurs. Sept années avaient passé. Ils
n‟avaient rien pu trouver. Depuis leur arrivée, leur travail consistait à couper la canne à
sucre. Selon eux, les nouveaux-venus finiraient bien par comprendre le sort qui leur
était réservé sur cette île paradisiaque. Le travail des Indiens commença avant même
que l‟aube n‟apparaisse. Les hommes furent réveillés brutalement. Les Indiens
montèrent dans une charrette, tirée par un bœuf, qui les mena vers un champ de canne
54
à sucre. Tandis que les anciens se mettaient à travailler, les nouveaux venus avaient du
mal à briser cette épaisse canne à sucre. Ce travail des champs fut suivi de celui à
l‟usine où le sucre était fabriqué. Leur travail continua jusqu'à la tombée de la nuit. Le
seul paysage qu‟ils pouvaient contempler à l‟aller et au retour était le ciel étoilé. Le
travail des femmes ne commença que le surlendemain. Mme Rivière, la mère du
propriétaire, leur assigna quelques corvées ménagères. Contrairement aux autres,
Ganga avait du mal à s‟habituer à ces corvées qu‟elle n‟avait jamais fait auparavant.
Elle supporta tout en silence, mais la jeune veuve supplia Mme Rivière de lui épargner
la corvée répugnante de laver l‟écurie. La vieille dame fut d‟abord furieuse mais
remarqua soudain la silhouette élégante de Ganga. Ainsi, elle eut l‟idée de tirer profit
de cette beauté.
Une semaine à peine avait passé depuis leur arrivée sur l‟île. Badri fut pourtant
incapable de travailler aussi vite que les autres. Alors qu‟il se lamentait sur son sort, il
profita d‟une occasion pour s‟enfuir, sans se faire remarquer. Après deux jours, il
arriva dans une forêt où il rencontra trois « hubshis », des anciens esclaves noirs. Leur
silhouette terrorisa Badri. Ils l‟emmenèrent dans leur village, où vivaient d‟anciens
esclaves. Dans son empressement de s‟échapper, Badri avait oublié son laissez-passer,
sans lequel il ne devait pas sortir. Dès que les hubshis apprirent la vérité, ils le
désignèrent comme « marron », c'est-à-dire toute personne s‟étant échappé
illégalement de sa propriété. Dans le village, Badri fut nourri et hébergé pour la nuit.
Le matin suivant, il fut brutalement réveillé par deux officiers blancs qui l‟arrêtèrent
pour non possession de son laissez-passer. Sous le regard silencieux des hubshis, Badri
fut arrêté par les officiers qui l‟emmenèrent vers la mer. Badri comprit vite qu‟un des
hubshis l‟avait dénoncé aux officiers blancs, en échange d‟un peu d‟argent. Badri fut
condamné à casser des pierres, peut-être pour le restant de ses jours. L‟évasion de
Badri avait provoquée un brouhaha dans le domaine. Les autres surent alors que Badri
serait vite retrouvé ou emprisonné. Dès qu‟Hyppolite apprit la fuite d‟un Indien, il
devint furieux. Il menaça le reste des travailleurs, en leur expliquant le sort qui les
attendait s‟ils essayaient d‟imiter Badri. Vythee profita de cette occasion pour tenter
d‟aborder son propriétaire et de le convaincre de le laisser rejoindre son frère. Mais, en
55
vain. Tout comme les autres Indiens, Vythee était condamné à rester dans ce domaine
pendant cinq ans. A l‟intérieur de la demeure, Ganga, devenue la nouvelle courtisane,
subissait les pires tortures, pendant qu‟Hyppolite la déflorait brutalement. Le roman se
clôt avec un retour en Inde, où l‟on voit la misère de l‟épouse de Chotty Lall, qui
attendait désespérément des nouvelles de son mari. Elle avait envoyé son fils travailler
sur les champs du zamindar.
Ainsi, ce roman décrit l‟aventure périlleuse d'une catégorie méconnue d‟esclaves, celle
des engagés indiens, qui constitue véritablement l‟une des plaies dans l‟histoire du
colonialisme. Peu de gens se doutent de la période ultérieure à l‟esclavage, ni des
atrocités commises durant cette époque-là. En évoquant l‟histoire de ces premiers
immigrants contractuels, cet ouvrage fait écho aux autres communautés de l‟Océan
Indien ayant subi le même sort.
II.2.2. Blue Bay Palace
Paru en 2004, ce deuxième roman de Nathacha Appanah est récompensé par le Grand
Prix Littéraire des Océans Indien et Pacifique. Elle y décrit l‟amour impossible
entre Maya et Dave. L‟intrigue de ce roman est centrée sur une relation amoureuse
vouée à l‟échec, pour des raisons culturelles. En effet, la hiérarchie des castes, qui est
une des caractéristiques de la culture indienne, est illustrée à travers ce roman où
coexistent deux univers : celui des riches patrons et celui des employés miséreux. En
fait, une double contrainte sépare le jeune couple qui appartient à des mondes
différents, tant économiquement que socialement : Dave est un riche Brahmane héritier
d‟une fortune considérable, alors que Maya est une simple employée vivant dans des
conditions banales. Par delà ces obstacles, un phénomène attire notre attention : il
s‟agit de l‟évolution de Maya tout au long de cette tragique période. Notre résumé va
tenter de mettre en relief cette évolution : d‟un état de désespoir et de désarroi, après
avoir ressenti le bonheur extrême, elle se transforme presque en une boule de feu, une
boule de fureur nourrie par son désir de vengeance qui l‟entraîne vers le fin fond du
drame.
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Le récit met en scène Maya, réceptionniste à l‟Hôtel Paradis, Dave, fils du patron de
l‟Hôtel Paradis, Kavi Hurry et Savitri, les parents de Maya.
Maya, narratrice et protagoniste de cette histoire, commence son récit avec une
évocation poétique, quasi-métaphorique de l‟Île Maurice, de sa naissance et de son
histoire, avant de se plonger sur Blue Bay, un village où dominait le tourisme de luxe.
A gauche du village se trouve le quartier des riches, à droite celui des miséreux. De là,
elle nous mène à l‟Hôtel, « Le Paradis », où elle travaillait comme réceptionniste, son
père y travaillait également en tant qu‟employé. Étant née après dix ans d‟attente, elle
se considère une enfant « in extremis ». Maya entretient un rapport spécial avec la mer,
qui était sa compagne, toujours prête à la consoler et à la réjouir durant les moments
durs. En dépit de son travail à la réception de l‟hôtel, la jeune fille rêvait de partir à
l‟étranger. Mais, tout changea à partir du jour où Dave Rajsing entra dans sa vie. Maya
retrace les événements qui se sont déroulés après sa rencontre avec Dave. Avant même
de savoir qu‟il était un riche héritier et le Directeur de l‟Hôtel Paradis, ce fut le coup de
foudre pour Maya, qui croyait avoir rencontré son prince charmant. Commence
l‟évocation d‟une passion amoureuse entre Maya et Dave. Pendant près de deux ans, la
jeune Mauricienne ne semblait vivre qu‟à travers ses premiers émois amoureux. Elle
était convaincue que leur amour serait vainqueur, puisqu‟ils s‟aimaient. C‟était
seulement après son dix-huitième anniversaire, qu‟elle remarqua des changements
chez Dave. Son bonheur fut anéanti lorsqu‟elle découvrit dans un journal, une annonce
de mariage entre Dave et une autre fille, richissime. Ce fut son dernier jour de paix.
Pendant une semaine entière, elle resta enfermée dans sa chambre, afin de « sombrer
dans l‟oubli ». Il lui fallut quelques jours pour se ressaisir et reprendre son travail.
N‟arrivant pas à détester Dave, elle avait besoin d‟explications. Un jour, elle revit
Dave à l‟entrée de l‟hôtel. Tandis qu‟il s‟approcha d‟elle, Maya laissa libre cours à sa
colère. Toutefois, sa rage se dissipa peu à peu à mesure que Dave commença à lui
raconter les circonstances de son mariage. Dave révéla à Maya qu‟il n‟avait pas eu le
courage de lui dire la vérité de crainte de la perdre. Il avait dû se soumettre à des
contraintes familiales. En tant que fils unique héritier de son père, il avait du céder aux
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supplications de sa mère, et d‟un vieux père terrassé par la maladie. Même après le
mariage, Dave n‟avait pas osé lui dire ce qui s‟était passé. Il l‟aimait toujours. Tout en
l‟écoutant, Maya vit sa colère s‟évanouir. Elle comprit qu‟effacer Dave de sa pensée
était impossible. Cependant, elle se rendit compte que rien ne serait plus comme avant
entre eux. Maya reprit son travail, prétendant que tout était rentré dans l‟ordre.
Toutefois, le chagrin d‟avoir perdu Dave et son bonheur à jamais devint de plus en
plus intense chaque jour. Ses rencontres cachées avec Dave, dans un hôtel à
Mahébourg, se poursuivaient, mais elle savait que leur rapport n‟aurait aucun
lendemain. Il semblait à Maya que leur rapport était plus porté vers le sexe que la
passion amoureuse. Un jour, Dave évoqua son dégoût, sa haine envers sa femme qui
lui empoisonnait l‟existence. De retour à Blue Bay, Maya commença à avoir des
cauchemars qui hanteraient désormais ses nuits.
Maya commençait à être obsédée par « l‟autre », celle qui lui avait tout dérobé, son
amour, son bonheur, sa joie de vivre, bref, sa raison d‟être. Un jour, la jeune fille eut
une envie soudaine d‟entendre la voix de l‟autre. Elle prit l‟interrupteur et composa le
numéro des Rajsingh. Dès que la voix résonna dans le téléphone, Maya éprouva une
impulsion soudaine de laisser sortir toute sa haine. Elle lui lança les pires injures avant
de raccrocher. Cela avait l‟air de tellement la soulager, qu‟elle continua de faire des
appels fréquents chez les Rajsingh, toujours pour injurier son ennemie jurée. Poussée
un jour par le désir de voir « l‟autre », Maya s‟embarqua dans le bus pour Mahébourg.
Arrivée devant la résidence des Rajsingh, Maya resta abasourdie par sa splendeur.
Lorsqu‟elle s‟apprêta à quitter l‟endroit, un homme apparut derrière les grilles de la
maison et se présenta comme le jardinier de la résidence. Il s‟appelait Julien. Il
semblait tellement impressionné par sa beauté que Maya décida de se donner à lui afin
de trouver des occasions d‟épier les jeunes mariés. Grâce à lui, elle put découvrir
l‟intérieur de cette magnifique résidence. Maya savait que ce qu‟elle voyait était le
bonheur qui lui avait échappé. Rentrée à Blue Bay, cette nuit-là, elle eut un rêve
« sanglant ». Dans son rêve, Maya se vit en train de courir sur une étendue de blé.
Soudain, le champ se transforma en une terre brûlée où se trouvaient des femmes.
Parmi tous ces visages, Maya la reconnut. L‟autre se mit alors à rire, ce qui enragea
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Maya, qui abattit une hache sur la tête de l‟autre. A ce moment-là, elle se réveilla
brusquement. Elle ressentit alors un extrême contentement. Durant ce qu‟elle pensait
être sa dernière rencontre avec Dave, ce dernier lui promit de quitter son épouse
définitivement après la mort de son père. Avant de partir, il lui révéla qu‟il désirait
parfois sa femme morte, tellement il ne pouvait supporter cette vie avec elle. Ces
propos de Dave s‟incrustèrent dans l‟esprit de Maya. Un mardi, lorsque Maya arriva
devant la résidence des Rajsingh, elle remarqua que tout le monde était sorti. Julien
l‟attendait près de la grille. À travers lui, elle savait tout sur les Rajsingh, leur vie, leurs
manières. Dans le salon, Maya vit de nombreuses photos de famille et de somptueux
meubles. Elle eut envie de tout toucher, mais Julien le lui défendit. Ensuite, il la mena
chez lui. Au milieu de la nuit, Maya vit une lumière au premier étage. Elle pensa alors
à Dave, qu‟elle n‟avait pas vu depuis un mois. Soudain, elle pensa à la mort, et à tous
les moyens qu‟elle aurait à sa disposition pour mourir. S‟ensuivit ensuite un sentiment
de tristesse, en pensant aux joies vécues, aux moments heureux qui ne reviendraient
plus jamais. A son réveil, Maya se décida à rentrer à Blue Bay. Cependant, ce qu‟elle
ne pouvait deviner, c‟était que Julien allait, ce jour-là, la suivre secrètement jusqu'à son
village. Comme à l‟usage, Maya était de nouveau, en face de la grille des Rajsingh, en
train d‟attendre l‟arrivée de Julien, mais ce dernier ne vint pas l‟accueillir comme de
coutume. Après avoir attendu quelque temps, Maya décida de rentrer. Pourtant, un mal
la rongeait peu à peu, un sentiment qui la torturait sans cesse. Lorsqu‟elle essaya
d‟appeler chez les Rajsingh pour entendre l‟autre, l‟appareil sonna dans le vide. Cette
impossibilité d‟entendre la voix de l‟autre commença à tourmenter Maya, qui craignit
de ne plus avoir l‟occasion de s‟approcher des Rajsingh. Rentrée chez elle, le même
rêve lui procurait un certain soulagement. Pourtant, l‟idée de vengeance l‟obsédait
tellement qu‟elle n‟arrivait à penser à rien d‟autre. Les images de la résidence lui
revenaient sans cesse à l‟esprit. Chaque minute la tourmentait. Cependant, Maya reprit
son travail à l‟Hôtel Blue Bay. Un jour, elle reçut un appel de Julien lui déclarant avoir
découvert la vérité sur sa vraie identité et ses intentions. Comprenant que Maya l‟avait
exploité afin de se venger de Dave, Julien lui annonça leur rupture ainsi que son
départ. Ses propos portèrent un coup final à l‟esprit de Maya, déjà emprise à la torture.
59
Après cet incident, elle se remit à la vie quotidienne, mais rien ne s‟arrangea. Son
travail, sa vie dans la case, tout ce qu‟elle voyait semblait tant l‟étouffer, la
tourmentait. Seul son rêve l‟apaisait. Le lendemain, Maya décida de repartir pour
Mahébourg. Une fois arrivée, Maya se dirigea vers la résidence des Rajsingh. Voyant
que les voitures n‟étaient pas là, elle décida de pénétrer à l‟intérieur. Tout en entrant
dans la demeure, elle éprouva une certaine agitation l‟envahir peu à peu. Après s‟être
confirmé l‟absence de Julien, Maya n‟était plus sûre de ce qu‟elle voulait. Elle se
décida à entrer dans la cuisine, qui se laissa ouvrir aisément, à sa grande surprise.
Arrivée dans la cuisine, Maya se mit à contempler les objets magnifiques, parmi
lesquels figuraient une photo de Dave et de sa femme, celle qui obsédait ses rêves. Elle
prit le cadre dans ses mains pour mieux scruter la photo, lorsqu‟elle entendit une voix
derrière elle. La femme de la photo apparut soudainement devant elle. La prenant pour
la nouvelle jardinière venue remplacer Julien, la femme de Dave se mit à parler à
Maya, qui ne le nia pas. Elle exprima son mécontentement face au départ soudain de
Julien. La voir parler mit Maya dans un état insupportable. Elle n‟en pouvait plus.
Soudain, Maya jeta le cadre sur la tête de l‟autre et s‟élança vers son ennemie jurée
avec furie. Après avoir déployé toute son énergie sur sa victime, elle s‟assura que cette
femme pousse son dernier souffle avant de quitter l‟endroit. Elle se changea et elle
laissa ses habits tâchés de sang dans une des chambres. Dès sa sortie de la résidence
des Rajsingh, Maya se sentit toute légère, comme si étant redevenu la petite fille
innocente qu‟elle avait toujours été, dynamique et pleine de vie. Son agitation laissa
peu à peu la place à un esprit paisible. Tout ce qu‟elle remarqua en chemin
l‟émerveilla. Maya semblait avoir retrouvée son bonheur. Arrivée à Blue Bay, elle se
précipita vers la mer et se souvint de tout ce qu‟elle a toujours aimé. Tout en se jetant
dans l‟eau, elle profita du calme qui l‟envahissait. Maya désirait se mêler à la mer une
toute dernière fois, avant que les autorités ne la retrouvent.
En bref, ce second ouvrage de Nathacha Appanah plonge dans les méandres de la
pensée, qui agit sous l‟effet d‟un drame passionnel, avec comme arrière-plan, une île
soi-disant paradisiaque, où règne des tensions entre des communautés, séparées à
jamais par des barrières socio économiques.
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II.2.3. La Noce d’Anna
Ce troisième roman de Nathacha Appanah nous plonge dans les rapports conflictuels
entre une mère et sa fille. Raconté à la première personne, le récit met en scène Sonia,
une mère célibataire, mais aussi la narratrice. À 42 ans, Sonia procède à ce que l‟on
pourrait appeler un examen rétrospectif de sa vie, notamment de sa relation vis-à-vis
de sa fille unique, Anna, durant une journée particulière : les noces de sa fille. Ce
retour en arrière, qui alterne tour à tour avec le moment présent, permet à Sonia
d‟établir un compte-rendu psychologique de ce qu‟elle a accompli en tant que mère.
L‟originalité de ce roman tient au personnage de la mère qui s‟éloigne largement de
l‟image stéréotypée de la mère typique, connue pour être généreuse, responsable,
affectueuse et prête à se sacrifier pour sa fille.
Le roman met en scène Sonia, mère célibataire, Anna, sa fille, Matthew, le père
d‟Anna, Yves, ami et collègue de Sonia, Alain, le fiancé d‟Anna, et Roman, le père
d‟Alain.
Le récit s‟étale sur la journée du 21 avril. La narration se caractérise par la description
de cette journée, qui alternait avec les pensées de Sonia du matin au soir. Au fur et à
mesure que le récit progresse, les traits de caractère de Sonia se révèlent, ainsi que le
jugement qu‟elle porte sur son entourage. Les premières pages même divulguent son
rapport singulier avec Anna. Cette mère célibataire, d‟origine mauricienne, avoue dès
le début qu‟elle n‟a jamais été une mère exemplaire, une mère poule à l‟égard de sa
fille. De plus, leurs traits de caractères se contredisaient souvent. Plus les années
passaient, plus l‟écart entre eux s‟élargissait. Alors que son métier concernait
l‟écriture, bref, l‟imagination, Anna s‟était intéressée à un monde totalement différent :
celui de la comptabilité. Le récit débute le matin du 21 Avril : le jour des noces
d‟Anna. Ainsi, elle comptait se conduire en une mère exemplaire, à l‟occasion de cette
journée importante. Soudain, ayant pris du recul par rapport à cette situation, elle
éprouve un certain malaise, pensant à sa propre vie. Elle n‟a jamais vécu la vie dont
61
elle avait rêvée : une vie sans regrets, accompagnée d‟un homme qui l‟aimerait, une
vie remplie de plénitude. Ce malaise l‟empêchait de se réjouir face aux choix faits par
Anna.
Alors qu‟Anna et Alain avaient décidé de se marier dans les mois qui suivirent leur
rencontre, Sonia pensa que c‟était une décision un peu hâtive. Pourtant, sa fille était
convaincue de son choix. Alors que les préparatifs du mariage étaient faits par une
agence, Sonia se désintéressait légèrement de ce sujet, pour se pencher sur ses livres.
Pour l‟instant, elle rédigeait un roman centré sur un enfant rongé par la culpabilité. Un
sentiment qu‟elle avait éprouvé elle-même à la pensée d‟avoir négligé sa fille à cause
de
ses
contraintes
professionnelles.
Sonia
avaient
souvent
des
pensées
contradictoires par rapport au mariage qui lui paraissait a la fois attirant et étouffant.
Parmi les souvenirs qui lui étaient chers, étaient ceux concernant l‟Île Maurice, mais
également les souvenirs de Matthew, le père d‟Anna. Ils s‟étaient rencontrés à
Londres. C‟était un étudiant en journalisme, d‟origine anglaise. Les deux éprouvèrent
tout de suite un penchant l‟un envers l‟autre. Pourtant, avant même qu‟elle ne puisse
nourrir le désir de faire sa vie avec lui, le jeune homme annonça son départ pour
l‟Afrique. Les deux jeunes amoureux se séparèrent sans aucun, regret ni promesse.
N‟ayant pas empêché Matthew de partir, elle se rendit compte qu‟elle attendait son
enfant. Arrivée en France, elle donna naissance à Anna. Elle apprit à trouver du plaisir
à élever sa chère fille, malgré les difficultés de mère célibataire. Tout en travaillant
comme correctrice dans un magazine, Sonia devint écrivaine lorsqu‟une maison
d‟édition dirigée par Yves accepta de publier son premier roman. La journée
commence avec une parfaite planification, comme le désirait Anna qui voulait que tout
soit parfait le jour de son mariage. Sonia est au courant du programme de la journée et
elle comptait bien le suivre à la lettre. Sonia sent soudain la tristesse l‟envahir, à l‟idée
de se retrouver seule désormais, sans sa fille. Après les derniers préparatifs, tout le
monde se dirigeait vers le château loué par Alain pour célébrer les noces. Durant le
trajet, Sonia se laissa emporter par ses pensées. Liée en partie à l‟Île Maurice et à
Lyon, elle comprit que les meilleurs moments de sa vie étaient ceux qu‟elle avait
passés avec Matthew. Plus tard, elle se rendit compte d‟avoir manqué l‟occasion de
62
vivre une existence sereine avec l‟homme de sa vie. Depuis sa séparation avec
Matthew, elle n‟a jamais eu de relation stable avec un homme, préférant rester seule
dans son monde. Toutes ces pensées commencent à attrister Sonia. Elle éprouve
subitement l‟envie d‟encourager Anna de profiter pleinement de la vie avant qu‟il ne
soit trop tard.
Durant le déjeuner. Sonia se sentit mal à l‟aise. Elle chercha à dire à sa fille de tout
annuler au dernier moment, mais c‟était impossible. Soudain, la conversation se tourna
vers le roman que Sonia était en train d‟écrire actuellement. C‟était un livre où elle
faisait référence à son pays natal. Les souvenirs de l‟Île Maurice lui faisaient penser à
son départ de sa nation, à l‟âge de dix-sept ans. Tellement excitée par sa nouvelle vie
en France, Sonia avoua n‟avoir eu aucun regret à quitter ses parents et son pays qu‟elle
ne revit plus jamais. Cette pensée la troublait énormément, non par culpabilité, mais
parce qu‟elle craignait d‟avoir à subir le même sort. Arrivée au château, tout le monde
se prépara à assister au mariage civil, suivi de la célébration officielle. Sonia eut une
soudaine pensée pour Matthew, et se demanda s‟il avait le moindre pressentiment de
cette journée importante qui allait se dérouler dans la vie de sa fille.
Le groupe se dirige vers la mairie se trouvant à Artemare, un village au bas de la côte.
Sonia est de plus en plus absorbée dans ses réflexions par rapport à ses relations avec
Anna. Sa séparation avec Matthew a eu des répercussions sur la vie de sa fille, qui n‟a
pas connu son père, ni eu de vraie famille. Après le déroulement du mariage civil, en
sortant de la mairie, Sonia aperçoit un homme descendre d‟une voiture et s‟approcher
d‟elle. Après avoir tout juste échangé quelques mots, l‟homme quitte l‟endroit. Elle
apprend plus tard qu‟il s‟agit de Roman, le père d‟Alain. La première rencontre ne lui
est pas désagréable. La vue d‟Anna en robe de mariée émeut Sonia, qui se rappelle un
incident intéressant. Jusqu'à sept ans, Anna était blonde. Mais après un incident
désagréable dans un supermarché, Sonia avait décidé de rendre les cheveux de sa
fillette foncés, afin qu‟elles n‟aient pas l‟air trop différentes l‟une de l‟autre.
Cependant, cette crainte était toujours quelque part dans l‟esprit de Sonia.
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Lorsque la cérémonie de mariage se termine, Sonia décide de rester dans la salle
tandis que le reste des invités décident de faire un petit tour en voiture. Soudain, elle
sent une présence derrière elle. C‟est le père d‟Alain. Ce dernier se met alors à la
complimenter sur sa beauté. L‟écouter lui procurait du plaisir, celui de paraître encore
séduisante devant un homme. Un désir s‟installe soudain en elle : faire l‟amour avec
cet homme. Elle avait la certitude que cela arriverait, en dépit de sa situation actuelle,
où rien ne lui paraissait certain. Sonia éprouve pour la première fois, le désir de vouloir
plaire à Roman. Après sa séparation avec Matthew, elle espérait retrouver cette
sérénité amoureuse à travers cette nouvelle rencontre.
Les mariés, accompagnés des autres invités, regagnèrent le château pour le buffet.
Sonia, qui vit la forêt devant elle, s‟esquiva de cet endroit pour s‟enfoncer petit à petit
dans l‟épaisseur de cette forêt qui côtoyait le château. En plein milieu des bois où le
calme régnait, Sonia se plongea de nouveau dans ses pensées. Une partie en elle
enviait Anna d‟avoir pris le risque de se marier avec l‟homme de sa vie, tandis qu‟elle
s‟était toujours retenue de prendre ce risque. Pourtant, avec Roman, son envie de
prendre ce risque commençait à surgir. Elle se dit alors qu‟elle pourrait refaire sa vie
avec un homme. Cependant, se connaissant trop bien, elle savait que ce choix ne
pourrait lui apporter le bonheur recherché. En effet, la peur de la monotonie aurait,
selon elle, gâché le plaisir de vivre ensemble. Elle désirait rester dans cette ombre,
dans ce silence que personne ne pourrait pénétrer. Pourtant, elle décida de se reprendre
et revint vers le château pour rejoindre les invités. Elle se décida à cacher tous ses
regrets, ses envies, au fond d‟elle.
Sonia était à table avec les autres, lorsqu‟Anna s‟approcha d‟elle et voulut savoir si
tout allait bien. Cette marque d‟amour toucha tellement Sonia, qui avait les larmes aux
yeux. Soudain, Anna lui avoua qu‟elle n‟était pas entièrement différente de sa mère.
Cette remarque sembla révélatrice à Sonia, qui réalisa soudain qu‟Anna n‟était, en fait,
qu‟une partie d‟elle qu‟elle n‟a jamais pu montrer au monde, à cause de certaines
circonstances. Durant le repas, Sonia et Roman se tenaient les mains croisées sous la
table, comme de jeunes amoureux, inconscients de leur entourage. Sonia s‟étonnait de
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tenir la main de cet homme, oubliant toutes les résolutions prises. Mais, son cœur
jouissait de ce moment intime qui lui permettait de revivre pleinement sans aucune
crainte. La journée allait bientôt toucher à sa fin. Sonia se retrouva avec Anna et Yves,
tout en pensant aux souvenirs qui resteraient de cette journée. La jeune mariée rejoignit
vite Alain. Sonia comprit que sa vie serait ainsi désormais une vie sans sa fille qui
n‟aurait plus besoin d‟elle. Alors que les festivités continuaient, Sonia entraîna Roman
vers sa chambre. Elle avait l‟intention de garder de bons souvenirs de cette nuit. En
présence de Roman, Sonia éprouvait la certitude d‟avoir suivi, pour la première fois,
son intuition. Elle semblait revivre pleinement, avec dans le cœur une certaine
assurance. Elle semblait ressentir une sérénité, une plénitude, qu‟elle garderait à jamais
dans sa vie. Toutefois, elle ne nourrissait aucune espérance, ni attente de cette nuit.
Elle avait l‟esprit tranquille et elle espérait que ce sentiment durerait. Le moment
partagé avec Roman lui permettait également de se consoler de la mélancolie éprouvée
à la pensée de sa séparation avec Anna. Mais lorsque cette dernière fut témoin de cette
scène entre sa mère et son beau-père, elle sortit rapidement de la chambre, l‟air
totalement choqué. Sonia comprit que le moment était venu de parler avec Anna en
tête-à-tête. Elle comprit qu‟il s‟agissait ainsi du moment idéal pour lui ouvrir son cœur.
Pour la première fois, Sonia raconta à Anna son histoire avec Matthew, son père,
depuis leur rencontre jusqu'à leur séparation, tout en lui expliquant son état d‟âme à
cette époque. Après l‟avoir calmement écoutée, Anna était très émue de découvrir
combien sa mère avait aimé son père, jusqu'à le laisser partir. Cette journée se termina
bien, pour mère et fille, qui ont enfin pu se retrouver après longtemps.
L‟originalité de ce roman réside dans le rôle de la mère, qui ne se conforme nullement
à l‟image stéréotypée de la femme dévouée, responsable et sachant se conduire comme
un modèle pour ses enfants. Sonia n‟est en rien la mère exemplaire ; toutefois, cela ne
la dénigre point et ne la rend pas inférieure aux autres images maternelles. En fait, elle
a le mérite d‟avoir vécu une existence sans artifices, mais non sans regret. La noce de
sa fille semble avoir libéré cette mère d‟un sentiment de culpabilité qu‟elle dissimulait
à l‟égard de son rôle de parent.
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II.2.4. Le Dernier Frère
La récente publication de Nathacha Appanah situe également le récit à l‟Île Maurice.
Mais cette fois-ci, la romancière tente d‟évoquer un période méconnue de l‟histoire de
l‟Île Maurice durant la Seconde Guerre Mondiale à travers les souvenirs d‟un
septuagénaire qui prennent deux dimensions : d‟une part, il s‟agit d‟une belle amitié
entre un petit Mauricien et un petit Juif ; d‟autre part, il s‟agit d‟y intégrer un élément
historique qui est en rapport avec l‟internement des Juifs à l‟Île Maurice durant une
période de guerre.
Le récit met en scène Raj, un jeune Mauricien, et David, un jeune Juif.
Après bien des années, Raj, un septuagénaire, revoit David, son ami d‟enfance, après
soixante ans, dans son rêve. David ressemblait toujours au petit gamin de dix ans qu‟il
avait connu en 1945. Sachant qu‟il s‟agissait bien d‟un songe, Raj ne voulait pas s‟en
libérer ; ainsi, il décida de rester allongé dans son lit afin de faire durer son rêve. Raj
attendait, avec impatience, que le garçon s‟approche de lui. Soudain, le rêve disparut,
le laissant seul dans sa chambre vide. Ce rêve bouleversa tellement Raj, que le
lendemain, le vieil homme décida de se rendre au cimetière Saint-Martin où reposait
David. Raj gardait dans sa main une boîte rouge qui contenait l‟étoile de David. Arrivé
devant sa tombe, il éprouva un grand malaise en voyant son ami dans cet état. Tout en
fermant les yeux, il se plongea dans ses souvenirs.
Jusqu'à l‟âge de huit ans, Raj vivait dans le village de Mapou, situé au nord de l‟Île
Maurice. Il habitait avec ses parents et ses deux frères, Anil et Vinod. Contrairement
aux villages, généralement caractérisés par leur verdure et leur fertilité, Mapou avait
un aspect rude et hostile qui y rendait les conditions de vie très dures. Le père de Raj
travaillait dans le champ de cannes de Mapou. Comme les autres hommes du camp, il
avait l‟habitude de rentrer saoul et de battre ses enfants et sa femme. Sa mère s‟y
connaissait dans les herbes nécessaires à la préparation des décoctions. Quand aux
enfants, ils avaient des tâches qui leur étaient assignées. Mais, les trois frères avaient
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leur corvée préférée : traverser le bois pour aller chercher de l‟eau dans la rivière qui
était à proximité du camp. La rivière représentait leur paradis, loin de l‟enfer dans
lequel ils vivaient. Cependant, ce bonheur ne dura pas longtemps, car Raj fut mis à
l‟école dès ses six ans, tandis que ses frères continuaient leurs tâches. Cette séparation
le culpabilisa énormément, car il ne pouvait supporter d‟avoir été plus chanceux que
ses deux frères. Toutefois, leur randonnée à travers le bois se poursuivait. L‟année
1944 bouleversa la vie de Raj, le seul survivant, d‟un cyclone qui emporta ses deux
frères. C‟est alors que la famille décida de quitter définitivement Mapou pour
s‟installer à Beau-Bassin.
Le père de Raj obtint un travail de gardien à la prison de Beau-Bassin. Malgré ce
changement d‟ambiance, le petit Raj avait du mal à accepter l‟absence de ses frères et
se plongeait dans sa solitude. A l‟école, malgré ses talents académiques, Raj restait
toujours seul, vivant dans un monde à part. Sa mère représentait son seul réconfort.
Entretemps, Raj nourrissait la curiosité de visiter la prison où travaillait son père. Un
après-midi, il eut l‟occasion inespérée de voir cette prison en cachette, malgré les
avertissements de son père.
Contrairement à ce qu‟il avait imaginé, la prison se présentait comme une cour où
régnait le silence complet. Raj comprit plus tard qu‟il s‟agissait d‟une illusion, d‟une
façade qui dissimulait les pires atrocités. Tandis qu‟il resta longtemps dans sa cachette,
il entendit soudain une sirène retentir. Il vit alors des policiers, suivis d‟un groupe
d‟hommes, de femmes et d‟enfants. Ces gens étaient des prisonniers qui paraissaient
épuisés. Tout à coup, Raj vit un petit garçon blond appartenant à ce groupe,
s‟approcher de sa cachette. Quelques instants plus tard, le garçon était en train de le
regarder. Ils s‟échangèrent un petit sourire avant de se séparer.
Le petit Raj se posait mille questions sur la scène vue à la prison et surtout sur ces gens
mystérieux. Il n‟osait rien demander à son père. Tout en faisant son travail, il
commença à aider sa mère, qui était devenue une aide couturière. Ensuite, il devait
aller emporter le déjeuner pour son père à la prison de Beau-Bassin. Puis, vint son
moment favori : il allait attendre dans sa cachette habituelle, près des grilles de la
prison, avec l‟espoir de pouvoir revoir le garçon blond. Un soir, son père, saoul,
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commença à le battre aveuglément, sous le regard horrifié de sa mère, à cause d‟une
question que l‟enfant lui avait posée. Ce jour-là, les coups reçus par Raj furent si
violents, qu‟il fallut l‟hospitaliser dans l‟hôpital de la prison de Beau-Bassin. Sans
avoir conscience de ce qui se passait autour de lui, Raj se retrouva sur un lit d‟hôpital,
entouré par d‟autres patients inconnus. Soudain, en ouvrant les yeux, Raj vit une
silhouette près de lui. C‟était le garçon blond qui lui avait souri l‟autre jour.
Pendant les premiers jours passés à l‟hôpital, Raj était étonné par des gens parlant une
langue inconnue et des patients agissant parfois violemment. Il ne regretta pas d‟être
dans cet endroit, car il eut enfin l‟occasion de revoir le garçon blond et lui parler.
Même s‟il parlait une langue étrangère, sa présence et sa gentillesse étaient d‟un grand
réconfort pour le petit Raj. Le garçon s‟appelait David. D‟après ce qu‟il avait compris,
David venait de Prague et il était orphelin. Les deux enfants se lièrent d‟une affection
particulière. Ils commencèrent à faire ensemble de petites escapades nocturnes, quand
tout le monde dormait. Durant son séjour à l‟hôpital, il apprit que les prisonniers de
Beau-Bassin attendaient un bateau. A cette époque-là, Raj ne savait quasiment rien à
propos de ce qui se passait dans le monde. Il avait trouvé un ami sous la forme de
David, c‟était tout ce qui comptait. Mais, son bonheur ne dura pas longtemps, car il dut
quitter l‟hôpital dès la fin de son traitement. Tout en étant soulagé de revoir sa mère,
Raj pensait surtout à revoir David par tous les moyens.
Dès son retour de l‟hôpital, rien n‟avait vraiment changé dans la vie de Raj, mais il
commença à délaisser sa peur. Depuis son arrivée à la maison, il essaya plusieurs fois
de rencontrer David, mais en vain. Son compagnon n‟apparut qu‟après des semaines
d‟attente. Mais son excitation se dissipa vite lorsque David dut retourner dans la
prison, surveillé de près par un policier. La tristesse submergea le garçon qui rentra
chez lui, le cœur lourd.
Le soir même, un cyclone s‟abattit sur Beau-Bassin. L‟orage dura quatre jours et fit
des dégâts énormes. Quelques jours plus tard, Raj s‟enfonça dans la forêt et put trouver
le chemin menant à la prison. Dès son arrivée, il vit que le paysage avait changé. Alors
que les prisonniers étaient tous réunis dans la cour, sous la surveillance des policiers,
David vint derrière lui et le toucha. Les deux enfants étaient remplis de joie d‟être
68
enfin réunis. Les policiers ordonnèrent aux prisonniers de regagner l‟intérieur de la
prison et employèrent même la force avec ceux qui protestaient. Cette scène horrible se
déroulait devant les regards terrorisés de Raj et David. Craignant que les policiers ne
ramènent son ami en prison, Raj décida de le faire échapper de cet endroit et rentra
chez lui. Raj décida de dissimuler à sa mère la vérité à propos de David. Pensant que le
nouveau venu était le camarade de son fils, elle l‟accueillit chaleureusement.
Cependant, la nuit, elle dut cacher le nouveau venu, craignant la furie de son mari. Le
lendemain, David lui montra le seul trésor qu‟il possédait : une médaille sous la forme
d‟une étoile. Raj comprit, plus tard, qu‟il s‟agissait du symbole des Juifs. Le lendemain
matin, Raj vit son père arriver avec un policier de la prison. David fut tout de suite
caché dans un débarras d‟objets divers. L‟homme en uniforme le questionna à propos
de la disparition du petit Juif, pour ensuite déclarer qu‟il avait besoin de traitement
médical pour sa malaria. Dès son départ, sa mère commença à l‟examiner et se mit à
préparer diverses concoctions pour apaiser son mal. Mais Raj avait pris sa décision :
s‟enfuir avec David au camp de Mapou, où personne ne pourrait les retrouver.
Les deux garçons s‟élancèrent donc dans une aventure périlleuse, car le chemin était
semé d‟embûches naturelles qu‟il fallait habilement surmonter. David suivit Raj sans
poser de questions. Ce dernier ne pouvait trahir son ami, qui avait entière confiance en
lui. Sachant seulement que le camp était situé au sud de Beau-Bassin, Raj décida de
continuer leur marche. Ils passèrent la nuit en discutant à propos des aventures vécues
à Mapou. Durant cette nuit, Raj eut subitement un nouvel espoir, grâce aux paroles de
David : rencontrer peut être son frère Anil, dont le corps ne fut pas retrouvé. Pour Raj,
c‟était une raison de plus qui justifiait son départ pour Mapou. Cette pensée le rendit
de nouveau enthousiaste.
Raj et David s‟enfoncèrent de plus en plus dans la forêt, et continuèrent à marcher très
longtemps. C‟est seulement plus tard que Raj réalisa que David n‟avait jamais eu de
désirs proprement à lui, son existence n‟ayant été remplie que d‟horreurs. La seule
chose qui lui conférait son identité était le yiddish, sa langue maternelle, celle dont il
se servait pour chanter la nuit. À un moment donné, Raj retrouva David fiévreux, il
69
avait l‟air épuisé. Pourtant, Raj garda espoir. Ils reprirent leur route. Ils arrivèrent enfin
près d‟une ville, ce qui leur redonna confiance. Raj nourrissait l‟illusion de vouloir
redevenir une famille de trois frères avec David. Malgré sa fatigue, David marchait
péniblement, en s‟appuyant sur son ami. A un moment donné, ils durent s‟arrêter pour
se reposer. Lorsque Raj s‟éveilla, il voulut réveiller David. Il l‟appela, le secoua, mais
le petit Juif ne bougea pas. Le petit mauricien comprit que David ne montrait aucun
signe de vie. Cela fendit le cœur de Raj, qui ne désirait qu‟une chose : ramener David à
la maison, espérant que sa mère saurait le réveiller. Cependant, il fut vite rattrapé par
les policiers, qui durent presque lui arracher son cher ami.
Raj fut ramené chez lui, dans un état lamentable, tandis que David fut enterré à SaintMartin. Grâce aux soins continuels de sa mère, le petit Mauricien se rétablit peu à peu.
Ensuite, Raj recommença à aller à l‟école, mais il passait son temps près de la prison
de Beau-Bassin, désormais vide. Sans vouloir se confier à quiconque, Raj semblait
vivre dans son monde imaginaire, au côté de ses frères, y compris David. Raj était
persuadé que David était, en quelque sorte, son ange gardien, essayant de le mener
dans le droit chemin. Bien des années plus tard, lorsque Raj fut devenu père de famille,
il apprit la vérité à propos de l‟arrivée des Juifs à l‟Île Maurice. Cette vérité le
bouleversa tellement qu‟il tenta de rassembler le plus d‟informations possible sur les
conditions de vie des Juifs, afin d‟entrevoir ce que son cher ami aurait pu ressentir
pendant ces moments terribles. Dans le but de vouloir perpétuer la mémoire de David,
Raj entreprit enfin de raconter à son fils l‟histoire de son ami juif.
Le dernier roman de Nathacha Appanah, à ce jour, traite d‟un thème assez délicat, tout
en le camouflant derrière l‟histoire d‟une amitié très particulière, qui transcende les
races, les religions et même les années. Tout en restant un concept qui date du siècle
dernier, l‟antisémitisme rejoint les autres formes de discrimination et de racisme qui
sont d‟actualité, ainsi que le déracinement auquel fait face tout peuple arraché à son
pays.
70
II.3. Les thèmes unificateurs
Les quatre ouvrages romanesques de Nathacha Appanah suivent chacun une trame
narrative unique, menée par des personnages, caractérisés par leur individualisme et
une sincérité remarquable. Toutefois, l‟on ne peut manquer de remarquer certains
motifs, voire des thèmes qui semblent réunir ces quatre romans. Nous tenterons de
procéder en fait à une étude thématique de l‟ensemble des romans.
II.3.1. L‟île Maurice : lieux symboliques
Comme nous l‟avons mentionné précédemment, l‟Île Maurice constitue un motif
évident, qui semble caractériser tous les romans de Nathacha Appanah, qui fait plus ou
moins référence à cet espace insulaire.
Alors que Blue Bay Palace et Le Dernier Frère situent l‟intrigue essentiellement à
Maurice, les deux autres romans évoquent partiellement le même espace. Les Rochers
de Poudre d’Or situe l‟action à mi cours entre l‟Inde et Maurice. Même si l‟évocation
de l‟île ne semble pas méticuleuse, elle est mise en relief à travers un jeu de contraste :
considérée d‟abord comme un eldorado où la richesse ne manquerait pas par la suite,
l‟île est représentée comme un endroit clos où règne désespoir et désillusion.
Blue Bay Palace a pour seul cadre l‟Île Maurice, décrite surtout à travers sa mer et ses
alentours. Le récit débute avec une description du village de Blue Bay, où la mer joue
un rôle essentiel. Elle est évoquée, non seulement comme faisant partie du cadre
spatial, mais surtout en tant qu‟un personnage à part entière, exerçant une certaine
influence sur ceux qui la côtoient. Il semble exister une certaine complicité entre Maya
et la mer. Cela se révèle dès les premières pages, mais aussi à la fin du récit, lorsque
l‟on voit Maya se mêler à la mer. Ainsi, dépassant le simple motif exotique, la mer qui
nous est présenté dans Blue Bay Palace détient un rôle bien particulier, celui d‟un
compagnon avec qui Maya entretient un rapport unique. On la nomme même « une
fille de l‟eau » à un moment donné. La mer est un endroit vers lequel elle se tourne
71
lorsque tout ne va pas bien dans sa vie. L‟océan est un consolateur dont la présence
réjouit Maya qui éprouve un réel plaisir à chaque fois que son corps ne fait qu‟un avec
l‟eau salée. Tout au long du roman, la mer est évoquée à plusieurs reprises. Dès les
premières pages, la narratrice évoque son île comme un pays de contraste, où des
quartiers chics et luxueux se côtoient avec des groupes de taudis. Néanmoins, l‟auteur
fait également référence à deux endroits spécifiques : le village de Blue Bay et la ville
de Mahébourg. Ces deux lieux semblent s‟opposer par leurs évocations. Blue Bay est
un village isolé, avec comme seul attrait touristique, l‟Hôtel Paradis, alors que
Mahébourg est une ville plus animée. Par ailleurs, ces deux endroits jouent des rôles
différents dans l‟existence de Maya. Alors que Blue Bay lui fait découvrir l‟amour de
sa vie, Mahébourg l‟éloigne de son bonheur, en lui faisant prendre conscience de son
échec. Ainsi, chaque lieu, même les plus anodins, évoque une valeur particulière aux
yeux de Maya. La mer est un facteur de soulagement et d‟excitation ; l‟Hôtel Paradis et
l‟Hôtel Rivage renvoient à l‟amour passionnel ; la case de Maya, non loin d‟être un
abri familial, se transforme en lieu de torture, en lui rappelant sous la forme de rêves
obsessionnels, le bonheur qui lui a échappée des mains. Enfin, la résidence des
Rajsingh représente l‟aboutissement de ses obsessions, car elle y trouve un moyen de
laisser libre cours à ses tentations. En bref, Blue Bay Palace tente de dévoiler le côté
symbolique des lieux, qui dépassent la simple fonction de cadre spatial.
La Noce d’Anna diffère des autres romans de Nathacha Appanah, dans la mesure où
l‟Île Maurice n‟est plus le cadre du récit ; pourtant, elle apparaît à travers les souvenirs
de Sonia, jeune mère célibataire ayant quitté sa patrie sans aucun regret. Même s‟ils
n‟occupent pas une place énorme dans le roman, les souvenirs du pays natal font
apparaître l‟île dans toute sa beauté et son innocence à travers des détails minimes, tels
que « l‟odeur douce-amère du jaquier […], l‟odeur de la poudre à visage […], la
gomme élastique à rayure qui sentait l‟orange »36. Mais ils démontrent le lien que
Sonia garde secrètement avec l‟île sans pourtant l‟admettre ouvertement. Il s‟agit ainsi
d‟une valeur sentimentale et nostalgique que le récit confère à l‟Île Maurice.
36
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 35-36.
72
Tout comme Blue Bay Palace, Le Dernier Frère situe également l‟histoire à Maurice.
Cette fois, il s‟agit d‟explorer l‟intérieur du pays et de la découvrir au dépourvu, sans
artifice, à travers sa sauvagerie et sa férocité. Le roman nous plonge tour à tour dans le
village de Mapou, marqué par la rudesse de sa terre et dans l‟immense forêt de Beau
Bassin, dévastée souvent par de puissants cyclones. Le récit nous entraîne également à
suivre le cours des rivières et des sentiers menant vers des emplacements secrets.
Ainsi, tout est décrit à travers le regard de Raj, un petit Mauricien de huit ans, pour qui
la nature reste parfois un mystère, tellement elle est imprévisible. Dans ce roman, elle
apparaît quelque peu ambivalente, tantôt destructrice, tantôt protectrice. Ses pluies et
ses effroyables cyclones marquent son côté destructeur. Néanmoins, c‟est la nature qui
offre à la mère de Raj les ressources naturelles lui permettant de préparer des remèdes
efficaces. En bref, dans tous les romans de Nathacha Appanah, Maurice constitue un
cadre spatial qui a le mérite d‟outrepasser le simple motif exotique.
II.3.2. Le trajet
Dans la plupart des romans de Nathacha Appanah, les personnages sont amenés à
effectuer des trajets, qui risquent de bouleverser leur existence.
Dans Les Rochers de Poudre d’Or, la description du voyage en mer de l‟Inde à
Maurice occupe presque la moitié du roman, tout en révélant les horreurs auxquelles
font face les Indiens à bord. Dans ce cas précis, traverser l‟océan équivaut pour
certains Indiens à aller en enfer, selon des superstitions.
Dans Blue Bay Palace, le trajet est évoqué au début du récit, lorsque Maya parle de
son désir de quitter son village, où l‟existence était confinée à quelques lieux, et de
partir explorer le monde. Avant de rencontrer l‟homme de sa vie, Maya était « plus que
jamais déterminée à quitter ce village où les seuls horizons étaient un hôtel et les
icebergs »37.
37
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace, op. cit., p. 20.
73
Quant à La Noce d’Anna, l‟on constate que le départ du pays natal ne semble pas
avoir été une épreuve douloureuse pour Sonia, qui a quitté l‟île, très jeune, remplie
d‟effervescence et de curiosité à la pensée de découvrir un monde complètement
différent de celui où elle a passé son enfance et d‟éprouver des sensations qu‟elle
n‟aurait jamais pu connaître si elle était restée dans son île. Curieusement, c‟est
également un voyage qui sépare Sonia de Matthew, son premier amour, qui a décidé de
partir en Afrique, laissant derrière lui une empreinte ineffaçable : leur enfant, Anna.
Passons à présent au dernier roman de notre écrivaine d‟origine mauricienne.
En ce qui concerne Le Dernier Frère, le motif du trajet joue également un rôle crucial,
car le voyage de Mapou à Beau Bassin bouleverse la vie du petit Raj qui va y retrouver
un nouveau frère sous la forme de David, un petit Juif. Malheureusement, c‟est
également dans le même lieu que Raj va perdre celui qu‟il considérait comme son
dernier frère. En bref, le motif du voyage semble avoir un impact assez puissant sur le
destin des personnages.
II.3.3. Le retour dans le temps
Une technique narrative communément utilisée dans les ouvrages romanesques, le
retour dans le temps permet souvent aux romanciers de construire leur récit par le biais
d‟une focalisation interne, c‟est-à-dire, racontée d‟après le point de vue d‟un seul
personnage. Il s‟agit surtout d‟une démarche rétrospective visant à nous entraîner dans
l‟univers du passé qui renferme des souvenirs poignants et ineffaçables qui semblent
hanter à jamais la vie des personnages. Il arrive aussi que ce retour en arrière leur
permette de revivre des expériences agréables et inoubliables. Pour certains, il s‟agit
surtout de souhaiter de rester lié au passé par crainte d‟affronter le présent ; pour
d‟autres, c‟est une occasion de prendre du recul par rapport au passé. Nathacha
Appanah fait usage de cette technique surtout dans ses deux derniers romans : La Noce
d’Anna et Le Dernier Frère.
74
Dans La Noce d’Anna, Sonia, le personnage principal, est amenée à revivre, par
intervalles, certains événements clés de son passé, à l‟occasion du mariage de sa fille,
Anna. Ainsi, elle se remémore les circonstances de sa rencontre et de sa séparation
avec Matthew, le père d‟Anna. Ensuite, il s‟agit de se souvenir du jour du départ de
son pays natal qu‟est l‟Île Maurice, afin de revivre les émotions ressenties ce jour-là.
Sonia se rappelle également quelques incidents qui s‟étaient déroulés durant l‟enfance
d‟Anna et qui l‟ont énormément affectée. La remémoration d‟incidents en rapport avec
Anna est en réalité une manière de porter un jugement sur son rapport avec sa fille,
afin de chercher à savoir ce qui l‟éloigne d‟elle.
Le récit du Dernier Frère est essentiellement constituée d‟un retour dans le temps
effectuée par Raj, un vieil homme accablé par la douleur de son passé. En effet, le
vieux Raj se remémore tous les événements qui se sont déroulés depuis son enfance
jusqu'à l‟âge adulte. Cependant, ses souvenirs sont surtout centrés sur les circonstances
de sa rencontre avec David, la naissance de leur amitié, ainsi que sur leur douloureuse
séparation. Cette remémoration des faits sera également pour le vieil homme
l‟occasion de rendre hommage à la mémoire de David.
II.3.4. L‟exil
La notion d‟exil est un sujet qui semble souvent revenir dans les romans de Nathacha
Appanah. Nous allons considérer cette notion en tant que synonyme d‟expulsion ou de
déportation, mais aussi dans le sens d‟éloignement et de séparation. Il peut aussi s‟agir
d‟un exil au niveau psychologique, dans la mesure où le personnage éprouve un
sentiment d‟étouffement, n‟étant pas à sa place dans la société.
Dans Les Rochers de Poudre d’Or, les Indiens sont contraints de quitter leur pays, afin
de vivre isolé dans une île lointaine, c'est-à-dire l‟Île Maurice. Chacun éprouve un
certain étouffement, une extrême angoisse, confronté à la désillusion lorsque les
engagés indiens voient leurs rêves se briser en mille morceaux. Poussés par la
pauvreté, les soucis familiaux ou même l‟ambition de s‟enrichir, ils sont prêts à se
75
séparer de leur environnement quotidien, afin de mener une nouvelle vie dans un pays
inconnu situé à l‟autre bout de la mer. Partant avec un certain regret, ils se consolent en
espérant pouvoir mener une existence bien meilleure que celle qu‟ils avaient en Inde.
Malheureusement, les circonstances ne leur sont pas vraiment favorables et ne font que
redoubler leur regret d‟avoir quitté leur patrie mère, intensifiant en même temps leur
sentiment d‟exil. Tel est le cas de Badri, le joueur de cartes qui se retrouve condamné à
casser des pierres en prison. Vythee qui a quitté l‟Inde dans le seul espoir de rejoindre
son frère, se retrouve finalement condamné à travailler dans un domaine différent de
celui de son frère. Quant à Ganga, la veuve de sang royal, elle est obligée de devenir la
maîtresse du propriétaire français. Si l‟on prend l‟exemple de Das et Roy, ils semblent
avoir été plus heureux dans leur nation, malgré la pauvreté. Après leur arrivée sur l‟île,
la plupart des personnages cités en haut mèneront une existence mêlée de désillusion et
de solitude, sentiments qui sont propres aux exilés.
A travers Blue Bay Palace, le récit nous présente Maya, une jeune Mauricienne vivant
à Blue Bay, un village plutôt isolé. Durant son enfance, Maya était persuadée qu‟elle
quitterait l‟île, où la vie apparaissait assez monotone, comme si l‟existence s‟était
immobilisée. Cependant, dans le cas de Maya, ce sentiment d‟exil ne durera guère
longtemps.
En ce qui concerne La Noce d’Anna, la notion d‟exil n‟existe pas en tant que telle,
puisque Sonia avoue avoir quitté l‟Île Maurice de son plein gré ; cependant, par
rapport à sa relation avec sa fille, cette mère célibataire ressent parfois le sentiment de
ne pouvoir s‟identifier avec sa propre fille qui n‟a pas les mêmes caractéristiques.
Cette dissemblance donne à Sonia l‟impression de la voir s‟éloigner d‟elle de plus en
plus, à mesure que le temps passe, tout en la laissant se morfondre dans sa solitude. De
plus, elle a souvent le sentiment d‟avoir manqué une occasion de vivre avec l‟homme
de sa vie. Sonia vit loin de son premier amour, Matthew, mais elle semble également
éloignée de sa fille ; dans ce dernier cas, il s‟agit d‟une sorte d‟exil psychologique qui
lui confère un sentiment de regret de ne pas pouvoir être entourée des siens.
76
Le Dernier Frère rejoint le thème des Rochers de Poudre d’Or, dans la mesure où les
deux romans évoquent un séjour obligé et pénible. Le Dernier Frère traite de l‟exil
forcé d‟un groupe de Juifs dans une prison de l‟Île Maurice. Cet internement leur est
encore plus pénible, car ils n‟étaient au courant ni des réelles causes de leur
déportation, ni de la durée exacte de leur exil. De plus, l‟exil signifiait également la
séparation de leurs siens et proches, ce qui fut terrible. Ils furent presque entièrement
isolés du reste du monde. Cet exil, qui dura cinq ans, ne prit fin qu‟à la cessation de la
Seconde Guerre Mondiale.
II.3.5. La société plurielle
Ce thème fait référence à la société mauricienne où se mêle des communautés
multiples qui fait partie des sujets caractéristiques de cette littérature insulaire. Il faut,
néanmoins, insister sur le fait que cette notion de pluralité ne signifie pas
nécessairement une harmonie parfaite entre les différents groupes ethniques. En ce qui
concerne les romans de Nathacha Appanah, le mélange des communautés est
représenté non sans certaines frictions, qui sont, la plupart du temps, dues à
l‟opposition des mentalités, ainsi qu‟a l‟incompréhension.
Si l‟on prend le cas des Rochers de Poudre d’Or, nous sommes confrontés
principalement à trois différentes communautés : les Indiens, les Blancs, ainsi que les
Nègres. Leur coexistence est surtout représentée sur des bases hiérarchiques. L‟Indien
illustre le travailleur opprimé, le paysan pauvre, l‟être dominé, tandis que le Blanc joue
le rôle du patron, du propriétaire jouissant de tous les privilèges que peut lui accorder
la vie. Ce rapport de dominant / dominé se révèle à plusieurs reprises dans le récit,
notamment durant le voyage à bord de l‟Atlas. Ce voyage est décrit par un Blanc, le
Dr. Grant, qui ne peut supporter la vue des Indiens qu‟il considère comme des
barbares, des esclaves destinées à servir les Blancs. Toutefois, il y a une évolution
psychologique qui se déroule chez le personnage du médecin, au fur et à mesure qu‟il
entre en contact avec les Indiens. En effet, à un moment donné, la vue des Indiens
apeurés sur le pont, fait naître en lui, pour la première fois, un sentiment de pitié
77
envers ces êtres malheureux. La rencontre avec Ganga va également le transformer, car
il lui arrive un phénomène bizarre. Pour la première fois dans sa vie, il est attiré par
une Indienne, une grande surprise pour lui. D‟autres incidents amènent un profond
changement dans l‟esprit du Dr. Grant. En effet, il est hanté par le suicide du vieil
Indien ainsi que par l‟image de la mort du vieux pêcheur. Tous ces évènements
viennent à bout du médecin, qui était dans son rôle d‟oppresseur au début de l‟histoire,
mais qui commence à changer jusqu‟au moment où il sera poussé au suicide. Un autre
personnage qui semble se détacher du stéréotype du maître sans pitié est Georges Pratt,
le protecteur des immigrants, car il n‟éprouve ni dégoût, ni indifférence face à la
souffrance des Indiens. Au contraire, il éprouve une certaine sympathie envers les
Indiens qu‟il souhaite aider, même s‟il n‟y arrive pas concrètement à cause de certaines
contraintes hiérarchiques. Ainsi, il exprime le souhait de vouloir aider Vythee à
rejoindre son frère, qui travaille dans un autre domaine sucrier. Cependant, il est tout
de suite découragé par l‟un de ses officiers.
L‟on doit également aborder le rapport Indien / Nègre, illustrée vers la fin du roman.
L‟opinion que chacun a de l‟autre paraît totalement contradictoire. Rappelons que le
Nègre est un esclave affranchi, jouissant de sa récente liberté. Son rapport avec
l‟engagé indien est complexe, car ce dernier est perçu avec méfiance. Même si le
nouveau venu n‟est arrivé sur l‟île uniquement pour remplacer les esclaves dans les
champs, il est surtout considéré comme un étranger, venu flatter le maître avec
servilité afin d‟en obtenir des gains économiques. L‟ancien esclave éprouve également
une certaine jalousie à l‟égard de l‟engagé indien, qui avait eu la chance de profiter de
certains avantages qu‟ils n‟avaient pas connus lorsqu‟ils faisaient la même tâche. Cette
jalousie et cette méfiance ne furent pas partagées par l‟Indien, qui, au contraire,
semblait terrorisé à la vue d‟un Nègre, qu‟il dénommait comme « hubshi ». Cette
crainte, qui peut s‟expliquer par l‟apparence intimidante du Nègre, trouve surtout son
origine dans des superstitions, des rumeurs que l‟Indien avait entendues\ et selon
lesquelles les Noirs étaient des cannibales, des mangeurs de chair humaine. Situant
l‟histoire vers la fin du XIXème siècle, le premier roman de Nathacha Appanah essaye
donc de témoigner des rapports tendus qui existaient alors entre les diverses
communautés ethniques.
78
Passons maintenant au deuxième roman de notre écrivaine. Blue Bay Palace présente
une histoire d‟amour impossible entre deux jeunes gens appartenant à des castes
différentes. Même si le récit ne nous met pas en présence de communautés variées, il
nous révèle néanmoins l‟existence de distinctions socio-économiques au sein même de
la société mauricienne, qui n‟admet pas la réunion des oppositions. Ce sont
effectivement des contraintes socio-économiques qui séparent Dave et Maya, étant le
patron et l‟employée respectivement. Ainsi, son appartenance à une basse caste et sa
misère, font que Maya est considérée comme ne méritant pas d‟entrer comme bellefille dans la résidence de son bien-aimé. Ici, il s‟agit bien d‟une société plurielle, dans
le sens d‟une société où existent des communautés ayant des statuts socioéconomiques différents, mais où il y a des réticences lorsqu‟il s‟agit d‟unions
intercommunautaires.
La Noce d’Anna ne situant pas le récit sur l‟île, mais en France, nous pouvons
cependant envisager les rapports qu‟entretiennent entre eux les personnages.
Commençons d‟abord par Sonia, le personnage principal. D‟origine mauricienne, elle
a quitté l‟île afin d‟explorer le monde. Tout en travaillant à Londres, elle tombe
amoureuse de Matthew, un étudiant anglais avec qui elle a un enfant. Après l‟avoir
laissé partir vers l‟Afrique poursuivre son ambition, Sonia décide d‟élever sa fille
seule. Venant d‟un espace où se côtoient des peuples variés, cela pourrait expliquer, en
partie, que Sonia entretienne de bons rapports avec ses collègues et ses amis en France,
même s‟ils sont peu nombreux. En effet, elle partage une forte amitié avec Yves, son
éditeur, ainsi qu‟avec sa femme. De la même manière, elle a eu une bonne entente avec
la famille Saltillo. Sonia semble attachée non pas à un seul endroit, mais à plusieurs,
tels que Maurice, Lyon et Londres, entre autres. Ainsi, la notion de pluralité semble
illustrée à travers le personnage de Sonia.
Dans le cas du roman intitulé Le Dernier Frère, la notion de société plurielle se révèle
à travers l‟amitié entre Raj, un petit Mauricien, et David, un petit Juif. Même si les
circonstances de la naissance de cette amitié n‟étaient nullement agréables, les deux
enfants se sont pris d‟une affection l‟un envers l‟autre, sans chercher à savoir d‟où
79
chacun venait. Rien ne semblait pourtant rapprocher ces deux enfants issus de deux
mondes totalement différents. L‟un est juif, l‟autre hindou. Leur amitié était telle que
chacun se plaisait à être en présence de l‟autre, tout en oubliant leurs malheurs. David
parlait une langue que le petit Mauricien n‟avait jamais entendue, car il s‟agit du
yiddish, néanmoins, ils ont réussi à se communiquer à travers les signes de la main et
les gestes. Finalement, c‟est le langage du cœur qui lia ces deux enfants dont les
destins n‟avaient presque rien en commun, sauf peut-être le malheur. Pareil à David,
qui était orphelin, Raj a aussi connu le même drame dans sa vie, lorsqu‟il vit périr ses
deux frères. Il s‟agit presque d‟une union dans le malheur. Dépassant les barrières du
langage, de la race et de la religion, ces deux enfants ont su tisser un rapport universel
mettant en avant une vision humaniste de l‟Homme. Leur amitié semble également
projeter une lumière d‟optimisme sur les rapports qu‟entretiendront les Mauriciens
avec les descendants des Juifs internés sur l‟île. En dépit du fait que leur rapport ne
dura que peu de temps, Raj portera à jamais dans son cœur le souvenir de son cher
compagnon dont il tente de reconstituer les différentes étapes durant les derniers jours
de sa vie. Le dernier roman de Nathacha Appanah rend compte d‟une société pluriethnique, non pas en représentant diverses communautés vivant cloisonnées, mais en
représentant la nature de l‟homme enclin à considérer l‟autre comme un frère, sans
tenir compte ni de ses origines, ni de ses croyances, une notion plutôt familière
rattachée à l‟Île Maurice où une multitude de groupes ethniques et religieux se côtoie
sans qu'il y ait de tensions raciales majeures et dramatiques.
A ce stade, il est intéressant de constater que « Les Rochers de Poudre d’Or » ainsi
que « Le Dernier Frère » se distinguent des deux autres ouvrages par l‟intérêt et la
place accordés à l‟arrière-plan historique dont l‟étude sera entreprise parallèlement au
thème de la quête. Cela nous amène à passer à la partie suivante qui vise à analyser les
évènements historiques, à l‟origine de ces deux ouvrages, tout en mettant en évidence
leur lien avec le concept de la quête, qui sera perçu sous l‟angle véridique, avant de
passer au domaine fictionnel.
80
Chapitre III
Le fond historique lié à la quête
81
CHAPITRE III
Le fond historique lié à la quête
III.1. Le système de l‟engagisme à l‟Île Maurice
Le premier roman de Nathacha Appanah pourrait être analysé sur deux plans, à savoir
par rapport à l‟Histoire collective et par rapport à l‟histoire individuelle, deux entités
qui forment un tout sans pourtant s‟entremêler. En fait, si on reprend les propos de la
romancière, l‟on remarque souvent que la « petite histoire » semble rehaussée par la
présence de la Grande Histoire. En ce qui concerne les Rochers de Poudre d’Or, on
suit le parcours de quelques Indiens en quête d‟un ailleurs censé être meilleur que la
réalité cruelle dans laquelle ils se trouvent. Cependant, cette quête revêt une dimension
particulière et prend plus d‟ampleur lorsqu‟elle se déroule à la lumière d‟un cadre
historique spécifique. Ainsi, il ne s‟agit pas d‟une simple histoire de quête, car les faits
se situent à une époque clé de l‟histoire mauricienne. L‟analyse historique des Rochers
de Poudre d’Or nous donnera l‟occasion de remonter dans le temps, vers une période
pas très éloignée de la nôtre, afin de découvrir l‟origine des liens entre l‟Inde et l‟Île
Maurice. Contrairement à une croyance générale selon laquelle la diaspora indienne se
serait implantée dans l‟île sous l‟occupation anglaise, il serait nécessaire de nuancer ce
propos. En effet, avant même l‟arrivée des immigrants indiens, Maurice avait des
rapports avec l‟Inde. La présence indienne remonte en fait à la période française
(1721-1810).
III.1.1. L‟arrivée « indienne »
Au début de la colonisation française, l‟administration se lança dans la reconstruction
de l‟île qui était presque un désert abandonné dans un état déplorable après le départ
des Hollandais. Les autorités firent venir des esclaves de Madagascar et de l‟Afrique,
ainsi que des artisans européens. Cependant, le manque d‟une main-d‟œuvre
nécessaire à la réalisation de divers projets se fit rapidement sentir. Afin de pallier à ce
82
manque, la Compagnie des Indes fit venir des travailleurs de l‟Inde, connus pour leur
docilité. En 1729, une centaine de travailleurs indiens foulèrent le sol mauricien,
participant à la reconstruction de l‟île. Cette tendance se poursuivit sous la
gouvernance de Mahé de Labourdonnais. Sous le gouvernement de Decaen, arriva la
seconde génération d‟Indiens. Ils étaient pour la plupart employés, notamment comme
artisans, travailleurs de pierre, maçons, charpentiers et marins, pour assister aux
travaux de reconstruction du port. Certains furent employés comme domestiques,
d‟autres furent nommés commis. D‟autres furent même recrutés pour servir dans la
garnison. A part ces artisans indiens, des esclaves indiens furent également amenés des
comptoirs français en Inde, comme Chandernagor, Bengale, Yanaon. Ces esclaves
furent surtout employés comme laboureurs, domestiques et cuisiniers. En effet, l‟Islede-France fut peuplée d‟esclaves, de forçats, mais aussi d‟artisans et de commerçants
venant principalement du Sud de l‟Inde, plus précisément des provinces françaises de
Pondichéry et Karikal. « D‟après les statistiques disponibles, entre 1729 et 1731,
quelques 300 artisans furent amenés pour la construction de l‟Isle-de-France. D‟après
les données de 1806, on recensait déjà 6162 Indiens sur une population servile de
60,646. »
38
. La communauté indienne se concentra surtout dans les faubourgs de
l‟ouest de Port-Louis, qui fut également connue comme le camp des Malabars. Les
Indiens étaient composés de 3 communautés principales : les Talingas, les Malabars et
les Bengalis. Il faudrait souligner que leurs capacités intellectuelles déterminaient aussi
leur recrutement. En ce qui concerne les ouvriers indiens, ils furent liés
à l‟administration française par un acte d‟engagement, selon lequel ils s‟engagèrent à
travailler pour la Compagnie des Indes pour une durée déterminée. Leur savoir-faire
contribua énormément à l‟architecture coloniale de l‟île. Au fil des années, certains
ouvriers indiens devinrent travailleurs libres et se lancèrent dans de petites affaires,
avec leurs esclaves. Au début de la période française, les Indiens n‟avaient pas le droit
d‟exercer certains métiers, tels le commerce, la tenue de cantine et le colportage. Ce
n‟est qu‟après la Révolution française (1789) qu‟ils entrèrent dans de nouveaux
secteurs de travail. Certains devinrent alors marchands ou négociants. Ainsi, la
38
Deerpalsingh Saloni, Esquisse historique : recrutement et implantation des engagés indiens à l’Île
Maurice, Cité comme référence dans Rencontre avec l’Inde, Tome XXVIII, n° 1, 1999, p. 12.
83
présence indienne s‟est fait sentir dans l‟île bien avant qu‟elle ne tombe sous l‟emprise
des Anglais. Les Indiens contribuèrent même au progrès de l‟économie coloniale. Il est
à remarquer qu‟étant peu nombreux à vivre dans une atmosphère complètement
occidentale, ces Indiens ne pouvaient former une société à part. Ils durent se mêler à la
population de couleur, tout en perdant leurs caractéristiques nationales.
III.1.2. Sous l‟occupation anglaise
A la suite de la défaite des troupes françaises, les autorités anglaises prirent possession
de l‟île en 1810. A ce niveau, il est intéressant de souligner que cette conquête de
Maurice par les Anglais fut aussi possible grâce à la participation des troupes
indiennes qui ont servi sous le drapeau anglais. Même si la Grande-Bretagne s‟empare
de l‟île, ce sont les Français, installés ici depuis deux siècles qui font marcher les
affaires. Cette cohabitation des deux colonisateurs est illustrée avec justesse à travers
cette citation du roman :
« Malgré la bataille de 1810 où les Français avaient dû céder l‟Île-deFrance aux Anglais, les établissements sucriers étaient toujours aux
mains des vaincus. Après l‟abolition de l‟esclavage, les Anglais leur
avaient fourni une main-d‟œuvre indienne peu chère et docile. Les
Français étaient là depuis deux générations parfois et l‟administration
anglaise s‟en arrangeait bien (…) Pour eux, Maurice n‟était qu‟une
colonie placée stratégiquement entre l‟Afrique, l‟Inde et pas très loin de
l‟Île Bourbon, qu‟ils lorgnaient en vain. Jamais ils n‟avaient voulu en
faire une petite Angleterre. » 39
La colonisation anglaise accentua surtout le rôle des Indiens dans l‟île, où ils
continuèrent d‟occuper différentes fonctions dans la société coloniale. Entre 1816 et
1820, avant que l‟abolition de l‟esclavage ne soit mise en vigueur, des prisonniers
indiens furent amenés, notamment du Bengale, pour travailler comme ouvriers dans la
39
Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’Or, op. cit., p. 145-146.
84
construction des routes. Alors que l‟émancipation progressive de l‟esclavage
transforma peu à peu les esclaves en apprentis, le besoin de main-d‟œuvre
supplémentaire se révéla un souci majeur pour les planteurs de canne à sucre. La
période 1815-1848 voit l‟arrivée des premiers travailleurs sous contrat, car l‟abolition
de l‟esclavage est pressentie. Leur libération est finalement proclamée en 1839.
L‟émancipation se fait dans le calme pour les esclaves, mais n‟est pas un défi pour les
propriétaires terriens, car des indemnisations sont prévues, de l‟ordre de deux millions
de livres sterling, destinés aux planteurs de Maurice ; de plus, l‟appel à des engagés est
rapidement organisé. Une fois libérés, les Noirs africains refusaient de labourer la
terre. L‟administration anglaise décida donc de faire recours à des travailleurs
immigrés dont la présence fut indispensable pour l‟expansion économique de l‟île qui
dépendait de l‟essor de l‟industrie sucrière. Le choix qui se porta vers l‟Inde, pourrait
s‟expliquer à travers diverses raisons. La première, de toute évidence, résidait dans le
fait qu‟il s‟agissait à l‟époque d‟une colonie britannique, mais les immigrants
européens ne pouvaient pas supporter les conditions tropicales. L‟importation des
travailleurs chinois n‟eut pas le succès attendu et le recrutement d‟une main-d‟œuvre
d‟Afrique pouvait être considéré comme un renouvellement de l‟esclavage.
Finalement, le fait que l‟importation de main-d‟œuvre indienne ne fut pas un
phénomène étranger à Maurice demeura probablement une des raisons qui orienta les
autorités coloniales à favoriser le recrutement d‟Indiens. L‟esclavage est finalement
aboli en 1833 dans les colonies, sauf à Maurice où il faut attendre 1835. A cette
époque, l‟industrie sucrière était en plein essor, suite à l‟harmonisation des prix du
sucre importé des Caraïbes et de Maurice par le marché londonien. Pour pallier au
manque de main-d‟œuvre provoqué par l‟abolition de l‟esclavage, le gouvernement
britannique met en place un nouveau procédé : l‟engagisme. Ce nouveau système est
d‟abord testé à Maurice à cause de sa position géographique et de l‟importance de la
canne dans l‟économie. Jusqu'à cette époque, le nombre d‟Indiens dans l‟île demeura
minoritaire. Mais, l‟engagisme, que l‟on pourrait désigner comme l‟immigration des
travailleurs sous contrat ou bien l‟immigration contractuelle, marqua une étape
fondamentale dans la restructuration de la société mauricienne et le développement
économique de l‟île. Grâce à l‟arrivée des engagés indiens entre 1830 à 1850, et
85
surtout durant les années 1850-1860, Maurice connaît une véritable prospérité.
L‟ensemble de l‟agriculture est tournée vers la canne à sucre, faisant du pays, un
adepte de la monoculture. En effet, « entre 1834 et 1920, environ 420,000 Indiens
furent introduits dans l‟île, et furent à la base même de la révolution sucrière du dixneuvième siècle »40.
L‟immigration contractuelle fut à l‟origine d‟une révolution non seulement
économique, mais aussi démographique. « En 1846 le nombre d‟Indiens dans l‟île était
d‟environ 56,246….en 1891, la population indienne était de 255,960 »41. La population
indienne s‟élève à plus du double du reste de la population en 1891.
III.1.3. Condition de recrutement et de voyage
Le recrutement des travailleurs se déroulait notamment par le biais de recruteurs
indiens, désignés comme « maistrys », qui se chargeaient d‟appâter leurs compatriotes
par de belles promesses. En effet, ces recruteurs vantaient les avantages du travail à
Maurice, évoquée comme un véritable eldorado. C‟est ce que fait Boodhoo Khan, l‟un
des recruteurs employés par les autorités britanniques, qui apparaît dans Les Rochers
de Poudre d’Or. Il ne se contente pas d‟aller parler aux gens, mais il les fait réfléchir à
travers la lecture d‟une lettre officielle, mentionnant la nature et les conditions de
travail. En voici quelques fragments :
« Dans cette colonie de Sa Majesté la Reine notre souveraine, ces
agriculteurs seront bien traités et seront protégés… Les émigrants
auront un billet gratuit de Calcutta à Maurice pour eux et pour leur
famille, avec nourritures, vêtements et assistance médicale durant le
voyage…ils seront placés dans des établissements propres….les
travailleurs seront logés et nourris gratuitement et il y a assez de champs
autour des maisons pour faire pousser grains, légumes et fruits…..Sur
40
S.J. Reddi, Le rôle des Indiens dans l’économie de Maurice, Cité comme référence dans Rencontre avec
L’Inde, Tome XXVIII, n° 1, 1999, p. 43.
41
Ibid., p. 43.
86
place, les émigrants peuvent communiquer avec leurs familles et amis
restés en Inde, par le biais du Protecteur des Travailleurs Immigrés » 42
Un des premiers contrats attestant l‟importation de 75 « Hill Coolies », et daté de
1834. « Les Indiens furent amenés principalement des états de Bengale, de Madras et
de Bombay. En ce qui concerne la partie nord de l‟Inde, les engagés étaient
principalement issus des provinces de l‟Uttar Pradesh et de Bihar. Le recrutement au
sud, fut effectué notamment dans les provinces de Chingleput, Tanjore, Trichinopoly,
Tinnevelly, Salem, Coimbatore, Arcoot, Vizagapatnam, Masulipatam, Guntoor,
Nellore et Cuddapah. […] Certains engagés vinrent de la partie ouest, surtout des
provinces de Ratnagiri, Savantvadi, Satara, Malvanand et Thane. »43
Avant leur embarcation, il y avait diverses formalités à remplir. Au port
d‟embarcation, le recrutement commençait avec un examen médical des Indiens qui
s‟étaient portés volontaires pour partir vers Maurice, qu‟ils désignaient également par
« Meurich », afin de vérifier leurs capacités physiques, et se poursuivait avec
l‟apposition de leur marque d‟identité sur le contrat. Ce dernier conférait un aspect
légal au recrutement et contenait les informations suivantes : le montant de la
rémunération, les horaires de travail, les conditions de logement, les examens
médicaux, la durée de leur contrat, etc.…Il s‟agissait d‟un contrat libre, en ce sens que
le travailleur indien acceptait les conditions et s‟engageait volontairement. Ce contrat
déterminait les heures de travail, les médicaments auxquels le travailleur a droit, le
salaire (qui débute avec Rs. 5 par mois), les conditions de logement, les vêtements
fournis sur place. En s‟engageant, le travailleur indien ne savait pas vers quel
établissement sucrier il serait dirigé.
A partir des années 1840-1850, débute un mouvement d‟immigration de main d‟œuvre
qui se prolonge pendant 50 ans, il est particulièrement intense à Maurice, transformant
42
Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’Or, op. cit., p. 36-37.
Deerpalsingh Saloni, Esquisse historique : recrutement et implantation des engagés indiens à l’Île
Maurice, Cité comme référence dans Rencontre avec l’Inde, Tome 28, op. cit., p. 15.
43
87
radicalement la composition de sa population, dépourvue d‟indigènes. Ce commerce
de bras au service de l‟industrie sucrière ne fut pas tout de suite considéré comme la
meilleure solution, mais les propriétaires français se satisfirent de ce salut inespéré que
représente le flux d‟immigration contractuelle, car il s‟agissait de remplacer près de 60
000 esclaves. La majorité des patrons fonciers ne purent concevoir l‟idée de devoir
rémunérer d‟anciens esclaves en les employant comme engagés. Le premier port de
débarquement des travailleurs engagés indiens est « Aapravasi Ghat », situé à PortLouis.
44
A ce titre, il est important de rappeler que l‟Aapravasi Ghat a été inscrit au sein du
Patrimoine mondial de l‟Unesco le 12 juillet 2006. En hindi, Aapravasi veut
dire « immigrés » et Ghat se traduit par « abri temporaire ». Entre 1834 et 1920,
presque un demi-million de travailleurs sous contrat arriva d‟Inde à l’Aapravasi Ghat
pour travailler dans les plantations sucrières de Maurice ou pour être transférés de là à
l‟Île de la Réunion, en Australie, en Afrique australe et orientale, dans les Caraïbes.
Les bâtiments de l‟Aapravasi Ghat sont l‟une des premières manifestations explicites
de ce qui devait devenir par la suite un système économique mondial et l‟une des plus
grandes vagues migratrices de l‟histoire.
44
Vide Convention du patrimoine mondial, Aapravasi Ghat. Disponible sur :
http://whc.unesco.org/fr/list/1227 (consulté le 28.06.2009).
88
Toutefois, entre 1838 et 1840, l‟immigration fut suspendue à cause de pratiques
frauduleuses ayant remis en cause le bien-fondé du système de recrutement. Afin de
mettre fin à cette situation et faire redémarrer le système d‟immigration, de nouvelles
clauses furent intégrées au contrat de travail, à la faveur des travailleurs engagés. Nous
citons ci-dessous quelques-unes de ces clauses : « la nomination par le gouvernement
indien d‟officiers à chaque port d‟embarcation, celle d‟un Protecteur des Immigrants
pour un meilleur contrôle de l‟émigration dans la colonie, un certificat
d‟embarquement aux émigrés et un voyage de retour, frais payés, puisés des fonds
d‟une caisse au service des immigrants qui voudraient rentrer à l‟expiration du contrat
de cinq ans,…, un système de courrier gratuit pour permettre des échanges entre les
immigrants et leurs familles en Inde. » 45. Cependant, ces efforts ne purent empêcher le
système de recrutement de se heurter à divers obstacles. L‟attention se porta alors au
niveau des recrutements, dont il fallait maintenir un certain contrôle. A l‟époque, le
recrutement se déroulait suivant le « Bounty system », il s‟agissait de « la prime reçue
par tête d‟immigrant lors du recrutement ». A la suite des failles perçues dans ce
système, il fut remplacé par le « Contingent system », qui visait à « la réglementation
du nombre d‟immigrants par bateau qui se situait entre 300 à 375. »46
Après 1838, le contrôle devint plus rigide lors du débarquement, afin d‟éviter les
risques d‟épidémie dont les immigrants pourraient être porteurs. Ainsi, un service
médical était indispensable, afin d‟examiner l‟état de santé des engagés, et aussi pour
inspecter leurs provisions et leur « lotissement ». L‟objectif des mesures prises étaient
d‟améliorer les conditions de voyage des contractuels en abaissant le taux de mortalité
durant le voyage. Pourtant, les services et les soins fournis à bord par les membres
d‟équipage et l‟infirmerie laissaient à désirer. En 1866, le gouvernement colonial
apporta plusieurs changements aux règlements concernant l‟embarquement, ainsi que
le débarquement. Au départ, les autorités s‟assurèrent de la présence de médecins à
bord, tout en limitant le nombre d‟individus à transporter, qui devait être en rapport
45
Deerpalsingh Saloni, Esquisse historique : recrutement et implantation des engagés indiens à l’Île
Maurice, cité comme référence dans Rencontre avec l’Inde, Tome 28, op. cit., p. 15.
46
Ibid., p. 28.
89
avec la capacité du bateau. A l‟arrivée, des mesures d‟ordre sanitaire furent appliquées
à la lettre, afin de prévenir les maladies épidémiques.
III.1.4. Conditions de travail sur l‟île
Le trajet entre l‟Inde et Maurice pouvait durer plusieurs semaines. C‟était d‟autant plus
pénible pour les Indiens, qui avaient souvent une certaine appréhension à traverser
l‟océan, considérée le kalapani, signifiant l‟eau noire. Selon certaines superstitions
hindoues, traverser le kalapani équivalait à perdre sa caste à jamais. Cependant, cela
n‟empêcha pas des centaines d‟Indiens de s‟élancer dans cette aventure, soit pour
échapper à la misère, soit pour se refaire une nouvelle vie. Après un pénible et long
voyage, les engagés débarquaient à Port-Louis, où ils étaient enfermés dans le dépôt de
l‟immigration. Ils y restaient généralement 48 heures avant d‟être choisis par un
employeur. Les engagés étaient sommés de se mettre en groupe, afin de ne pas se
séparer de leurs siens. Chaque employeur foncier n‟avait droit qu‟à une bande pour
chaque propriété sucrière. Des changements furent apportés à ce système de sélection.
Par exemple, selon l‟ordonnance de 1851, le nombre de laboureurs auquel un
employeur avait droit chaque année était fixé en fonction de la production sucrière de
la propriété en question, durant les 3 années précédentes. Ils devaient recevoir 5
roupies comme gages mensuels, ainsi que 6 mois de gages comme avance. Pour ce qui
est des conditions de vie, citons ces propos qui décrivent ce à quoi ces immigrants
avaient droit sur place : « la ration alimentaire quotidienne devant être de deux livres
de riz, une demi-livre de dhall et une quantité adéquate de sel, d‟huile et de moutarde.
Mais, les vêtements qui leur étaient alloués étaient insuffisants : ils avaient droit
annuellement à un « dhotee », une couverture de laine, un drap et deux casquettes. »47
Les années suivantes virent l‟application de nouvelles lois incitant les engagés indiens
à s‟établir dans la colonie. Après expiration de leur contrat, certains quittaient la
colonie pour retourner vers la patrie mère, mais beaucoup se décidèrent à s‟installer
dans l‟île. Lorsque leur contrat arriva à terme, les immigrants soi disant « libres »
devaient se confronter à certaines contraintes. Après cinq ans de travail sur les champs
47
K. Hazareesingh, Histoire des Indiens à l’Île Maurice, Librairie d‟Amérique et d‟Orient, 1976, p. 43.
90
sucriers, les immigrants indiens se lançaient souvent dans une petite culture ou se
livraient à l‟artisanat. Toutefois, cette libre circulation des Indiens, ainsi que leurs
intérêts furent mal vus par les autorités anglaises qui mirent en place diverses mesures
visant à contrôler cette liberté. Selon la loi, les immigrants libres n‟avaient que deux
choix : ils devaient soit s‟engager à nouveau sur une propriété, soit quitter la colonie,
sinon ils courraient le risque de se faire arrêter pour vagabondage.
En dépit de la rigidité de certaines mesures coloniales, la main-d‟œuvre indienne fut
évaluée selon une attitude libérale. Cette politique visait à conférer à l‟immigrant
l‟image d‟« un Indien heureux et content de son sort », ainsi qu‟a établir des rapports
amicaux entre employeurs et employés. Cependant, l‟absentéisme resta un souci
majeur des planteurs. Cela entraîna la ratification de l‟ordonnance de 1867, visant à
limiter le déplacement de la population indienne engagée. Vers 1870, l‟arrivée de Sir
Hamilton Gordon à Maurice fut à l‟origine de l‟amélioration des conditions de vie et
d‟embauche des immigrants. En effet, il préconisa une meilleure inspection des
propriétés sucrières, un voyage de retour en Inde après 10 ans de travail et
l‟interdiction de renouveler le contrat avant son expiration.
Au fur et à mesure que les années passèrent, il y eut toujours de plus en plus de
plaintes vis-à-vis du mauvais traitement et de l‟exploitation infligée aux immigrants
indiens, entraînant ainsi l‟institution en 1910 d‟une commission d‟enquête, la
Commission Sanderson, afin de contrôler le fonctionnement des établissements
protecteurs des immigrants. Divers aspects du système de l‟engagisme furent
réprimandés, tels que le manque de facilités éducatives pour les enfants des laboureurs,
ainsi que le déséquilibre numérique entre les sexes, qui faisait de la population engagée
une communauté comptant plus d‟hommes que de femmes. Malgré l‟établissement de
nouvelles lois, les problèmes persistaient toujours. Vers le début du XXème siècle, les
lois visèrent deux objectifs spécifiques : d‟une part, limiter le flux d‟immigrants, étant
donné l‟accroissement démographique de l‟île, d‟autre part, améliorer le bien-être des
engagés. Mais, ces mesures n‟entrèrent en vigueur que très lentement
91
Le tableau qui suit présente les données numériques concernant la période 1834-1912,
et nous révèle l‟ampleur de l‟immigration indienne vers l‟Île Maurice au cours des
années. Les données montrent le nombre d‟Indiens arrivés à Maurice, ainsi que le
nombre de ceux qui ont quitté l‟île.
Arrivées
ANNÉE
Hommes
Départs
Femmes
Hommes
Femmes
1834
75
4
--
--
1835
1,182
72
25
1
1836
3,629
184
187
3
1837
6939
353
114
20
1838
11,567
241
148
6
1839
933
102
170
3
1840
107
9
394
23
1841
499
43
995
94
1842
73
10
2,021
94
1843
30,218
4,307
2,884
108
1844
9,709
1,840
2,312
149
1845
8,918
2,053
1,492
170
1846
5,718
1,621
2,556
204
1847
5,174
656
1,651
133
1848
4,739
656
2,639
376
1849
6,378
1,047
4,298
594
1850
8,436
1,594
3,283
442
1851
8,257
1,763
2,895
374
1852
13,761
3,814
2,034
392
1853
9,877
2,267
1,767
261
1854
14,995
3,489
3,166
509
1855
9,654
3,270
3,702
565
92
1856
9,130
3,523
4,220
677
1857
8,640
4,085
3,794
809
1858
20,932
9,014
6,707
1,458
1859
31,643
12,754
4,146
971
1860
9,070
4,216
2,290
543
1861
10,232
3,753
1,786
471
1862
7,440
2,453
1,752
460
1863
3,667
1,587
2,553
667
1864
5,626
1,926
2,692
721
1865
14,910
5,373
2,854
667
1866
3,702
1,894
2,925
890
1867
317
33
2,571
827
1868
1,968
60
1,880
664
1869
1,182
590
1,684
636
1870
2,831
1,254
2,172
670
1871
2,318
974
2,369
705
1872
4,015
1,759
2,788
1,031
1873
5,226
2,388
2,160
875
1874
4,818
2,234
2,874
1,201
1875
1,996
923
2,368
1,055
1876
330
172
2,354
917
1877
1,528
659
1,794
623
1878
3,203
1,623
1,835
527
1879
2,013
1,006
1,926
629
1880
371
213
1,731
614
1881
--
--
1,180
371
1882
805
436
1,466
397
1883
1,283
632
1,766
640
1884
4,450
1,939
1,362
491
1885
246
112
2,891
1,110
93
1886
511
235
1,649
671
1887
191
73
1,707
643
1888
482
231
1,283
448
1889
3,244
1,298
990
329
1890
2,152
873
872
228
1891
713
278
716
184
1892
--
--
1,129
349
1893
353
132
1,197
457
1894
758
268
754
214
1895
1,249
485
860
275
1896
593
208
858
297
1897
314
112
671
248
1898
--
--
842
264
1899
--
--
564
182
1900
2,094
796
858
293
1901
3,265
1,309
469
162
1902
1,875
609
462
186
1903
374
134
383
140
1904
1,513
544
413
148
1905
534
186
314
105
1906
463
155
435
180
1907
439
147
366
145
1908
--
--
775
266
1909
--
--
512
174
1910
397
135
403
182
1911
--
--
364
127
1912
--
--
338
119
48
.
48
Deerpalsingh Saloni, Esquisse historique : recrutement et implantation des engagés indiens à l’Île
Maurice, cité comme référence dans Rencontre avec l’Inde, Tome 28, op. cit., p. 18-20.
94
III.1.5. La place de l‟engagé indien dans la société mauricienne
49
Dans cette section, nous nous chargerons de survoler en détail la vie de l‟engagé indien
sur l‟Île Maurice. Pour ce fait, nous nous appuierons sur les données disponibles dans
l‟ouvrage intitulé Revue des Deux Mondes, publiée en 1861, c‟est-à-dire publiée
durant les premières années de l‟apparition de ce système d‟immigration contractuelle.
Se rapprochant du nègre et du mulâtre par la couleur de la peau, l‟engagé indien,
désigné par les dénominations « coolie » ou « malabar », n‟apparaît nullement plus
heureux que ces derniers, et cela fut partiellement vrai notamment pour les premiers
engagées arrivés sur l‟île. Au début, la durée du contrat de travail se limitait à deux ou
trois ans, mais après 1861, elle passa à cinq ans. Quelles étaient les tâches attribuées
aux engagés ? Elles furent de trois types : la culture des terres et le travail dans les
plantations de sucre, dont les hommes furent responsables, et le service des maisons,
qui fut à la charge des femmes. Dans quelles conditions vivait et travaillait l‟immigrant
indien ? En s‟engageant, il avait droit à certains privilèges que n‟eut jamais connus
49
Vide Coolies : How Britain Reinvented Slavery, disponible sur :
<http://cqoj.typepad.com/chest/2006/08/coolies_how_bri.html> (consulté le 14.02.2009)
95
l‟esclave noir. Outre la nourriture, l‟Indien avait droit à quelques vêtements et à un
logement modeste, consistant en « un box » où les travailleurs étaient entassés. Quant à
la rémunération, elle pouvait être entre 5 et 20 francs par mois, dépendant du domaine
et du propriétaire. Les intérêts des immigrants furent pris en charge par un agent
spécial nommé par les autorités coloniales, et désigné comme le Protecteur des
immigrants. Bien que les conditions de travail aient souvent été intenables, l‟Indien ne
se plaignait pas ouvertement, car il ne demandait qu‟à travailler. L‟extrait suivant
révèle à juste titre la mentalité de l‟immigrant indien : « il est là plus heureux
moralement que dans son propre pays »50 . Ce sont les gains matériaux qui attirèrent
les engagés, mais c‟est également la raison principale qui les fit rester sur l‟île.
III.1.6. Fin de l‟immigration contractuelle
Le début du XXème siècle fut marqué par un certain ralentissement du flux
d‟immigrants à destination de Maurice. Entre 1910 et 1923, il n‟y eut aucune nouvelle
importation de main-d‟œuvre. Vers la fin de 1923, l‟immigration reprit à nouveau,
sous la demande des autorités mauriciennes en Inde. Cependant, les termes du nouveau
contrat furent assouplis afin que l‟engagé puisse être un travailleur libre pouvant agir
avec toute son autonomie, même après l‟expiration du contrat désormais à courte
durée. Après 1924, l‟immigration indienne vers Maurice, devint de moins en moins
évidente. Après l‟arrêt de l‟immigration contractuelle, les terres furent vendues aux
immigrés indiens, à l‟expiration de leur contrat, ce qui entraîne un morcellement
relativement précoce des terres à Maurice. D‟après les données disponibles, en 1924,
seuls 732 Indiens sont arrivés sur l‟île, alors que ce même chiffre était d‟environ 35000
en 1843. Le contexte politique indien ne fut pas favorable au maintien du système de
recrutement. En effet, jusqu'à la révocation complète de ce système, les agitations du
Congrès National en Inde eurent pour effet une réduction considérable du nombre de
travailleurs envoyés vers l‟île. Après avoir connu 70 ans d‟esclavage (1765-1835),
Maurice connaît ensuite 80 années d‟immigration contractuelle (1835-1915).
50
Revue des Deux Mondes, Volume 35, Au Bureau de la Revue des Deux Mondes, Université de Californie,
1861, p. 86.
96
L‟industrie sucrière était le pilier économique de l‟Île Maurice et la contribution de la
diaspora indienne pour son développement demeure indéniable. Les immigrants ont le
mérite d‟avoir su dépasser leur statut d‟engagé pour faire partie de la classe de petits
planteurs, grâce au phénomène de morcellement des années 1880 qui conféra aux
Indiens le droit d‟acquérir des terres agricoles. En guise de témoignage de cette époque
charnière aux rapports indo-mauriciens, l‟Institut Mahatma Gandhi a mis en place un
musée de l‟Immigration Indienne, inauguré lé 11 mars 1991. Ce musée conserve les
Archives de l‟immigration indienne composées de documents authentiques, tels que le
registre d‟arrivée des travailleurs, les cahiers d‟enregistrement et de contrats, les
correspondances ainsi que les archives départementales de l‟administration coloniale,
auxquels s‟ajoute des photographies d‟engagés indiens, en plein travail.
III.1.7. Les engagés vs les esclaves : destin commun ?
Le travail exécuté sur le champ de canne à sucre peut se résumer ainsi :
« La coupe de canne à sucre commence chaque année en juillet, et dure
dans quelques établissements jusqu'à la fin de décembre. [….] Les
travailleurs, répandus dans les champs, coupent les tiges au pied,
enlèvent les feuilles avec une serpe, et chargent la canne dans des
charrettes traînées par des mules. A peine charrette pleine gagne-t-elle la
sucrerie, qu‟une charrette vide lui succède : le mouvement ne s‟arrête
pas, ni dans la coupe, ni dans le transport. » 51
L‟engagé indien, appelé également « coolie », mit pied sur l‟Île Maurice sans vraiment
savoir qu‟il allait prendre la place de l‟esclave noir, longtemps vivant dans
l‟oppression. Le roman de Nathacha Appanah dévoile également comment les esclaves
et les contractuels engagés, dénommés péjorativement « coolie », se sont côtoyés, sans
51
Revue des Deux Mondes, Volume 35, Au Bureau de la Revue des Deux Mondes, Université de Californie,
1861, op. cit., p. 74.
97
vraiment se connaître. En fait, leurs rapports étaient ambiguës, dans le sens que
l‟engagé était parfois vu comme un allié du maître, celui qui dérange par son contrat,
son argent, son arrogance, son progrès. C‟est le même sentiment de rancune qui se
traduit à travers les propos suivants d‟un ancien esclave, dans l‟extrait des Rochers de
Poudre d’Or :
« Vous venez ici, vous léchez le cul des Blancs, vous faites vos villages,
vous amassez de l‟argent, vous achetez des terrains et ensuite, vous vous
prenez pour des Blancs. Vous nous crachez dessus. Nous sommes des
êtres inférieurs pour vous. »52.
Il serait intéressant de se demander quel est le statut social conféré à chacun de ces
groupes, afin de distinguer ce qui les réunit et surtout ce qui les distingue.
Il faut d‟abord rappeler que l‟esclavage fut un phénomène pratiqué depuis des temps
anciens, qui a touché presque tous les continents. Contrairement à une croyance
commune, il existait des pratiques esclavagistes antérieures à la colonisation
européenne, notamment en Inde, en Chine et dans les îles de l‟Océan Indien, telles que
Madagascar et Zanzibar. Par ailleurs, les Africains ne sont pas les seuls concernés par
l‟esclavagisme. Dès le début du XVIIe siècle, la pratique devint un commerce, en fait
« le plus vieux commerce du monde ». L‟économie de tous les pays européens fut
alors liée à ce commerce. Commençons d‟abord par étudier le cas de l‟esclave. Selon
une définition, « un esclave est un individu privé de liberté et soumis à l'autorité
tyrannique d'une personne ou d'un État. Il est contraint au travail forcé. Son maître lui
impose de dures épreuves. Il peut être acheté et revendu comme un objet, moins bien
traité qu'un animal. Il peut subir la torture, la violence et des abus sexuels »53. D‟après
une autre définition, il s‟agit d‟un « travailleur non libre et généralement non rémunéré
qui est juridiquement la propriété d'une autre personne et donc négociables (achat,
vente, location, ...), au même titre qu'un objet ou un animal domestique »54. Quant aux
engagés, ils ont de nombreuses appellations, telles qu‟immigrant contractuel,
52
Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’Or, op. cit., p. 219.
Vide Emmanuelle Skyvington, Petite histoire de l’esclavage. Disponible sur : < http://perso.inforoutesardeche.fr/ec-lampr/page_cm/histesc.html> (consulté le 22.07.2010).
54
Vide Wikipédia, l‟encyclopédie libre, Esclavage, Disponible sur :
<http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Esclavage&oldid=66728070>. (consulté le 22.07.2010).
53
98
contractuel engagé, travailleur engagé, laboureur, ainsi que « coolie ». Ce dernier
terme trouverait ses origines dans divers langues : dans la langue tamoule, il signifie
"salaire" ; en chinois et en japonais, le mot ferait référence à une façon violente
d'utiliser la main-d'œuvre, mais aussi à la dureté du travail. La pratique de l‟engagisme
prit de l‟ampleur après l‟abolition de l‟esclavage. Si l‟on se réfère à la définition
existante, il s‟agit d‟ « une forme de salariat contraint qu'ont imposé à des travailleurs
immigrés venant principalement de l'Inde les grands propriétaires terriens des Antilles
françaises et des Mascareignes qui se sont retrouvés dépourvus de main-d'œuvre docile
à la suite de l'abolition de l'esclavage en France en 1848. Originaires du Tamil Nadu
ou du Gujarat, les engagés avaient surtout pour vocation de remplacer les Noirs
fraîchement affranchis dans les champs de cannes à sucre. »55 En effet, suite à
l‟abolition de l‟esclavage, pour sauver leur richesses agricoles, les autorités et les
planteurs décidèrent de se tourner vers une nouvelle forme de main-d‟œuvre que
représentaient les engagés venant de divers continents. Mais, les autorités anglaises ont
opéré une sorte de spécialisation en faisant surtout appel aux travailleurs indiens, jugés
plus dociles et donc plus adaptés aux travaux de la domesticité, de l‟artisanat, des
voiries et des champs. Passons à présent aux traits communs aux systèmes
d‟engagement et d‟esclavage. L‟engagé indien est venu remplacer l‟esclave dans les
champs de canne à sucre, dans les mines ou sur les chantiers de chemin de fer. Au
premier abord, certains virent naître à travers l‟engagisme une nouvelle forme de
commerce, dénommée coolie trade. L‟historien britannique Hugh Tinker parle même
d‟ « une nouvelle forme d‟esclavage »56 en se référant aux engagés indiens. Burton
Benedict fut également d‟avis que les Indiens entraînés dans le coolie trade ont été
traités comme des esclaves57.
A première vue, la situation de l‟engagé indien se rapproche de celle de l‟ancien
esclave par certains traits communs. Tout comme l‟esclave noir, les travailleurs
55
Vide Wikipédia, l‟encyclopédie libre, Engagisme. Disponible sur : <
http://fr.wikipedia.org/wiki/Engagisme> (consulté le 18.03.2009).
56
Hugh Tinker, A New System of Slavery. The Export of Indian Labour Overseas, 1830-1920, Oxford
University Press, Londres, 1974, p. V.
57
Burton Benedict, Slavery and Indenture in Mauritius and Seychelles, in Asian and African Systems of
Slavery, édité par J.L. Watson, University of California Press, 1980, p. 149.
99
indiens étaient transportés en masse vers l'Île Maurice dans des conditions quasi
inhumaines. Les Rochers de Poudre d’Or évoque justement les mauvais traitements
des engagés indiens à bord des bateaux, qui commençaient par les coups physiques, les
sévices psychologiques et même les viols. Arrivés à destination, leur sort quotidien ne
semble guère être plus favorable que celui de leurs prédécesseurs esclaves. L‟engagé
est confiné à l‟univers exclusif du propriétaire qui limite ainsi sa liberté fondamentale.
Il est toujours sous la constante surveillance d‟un « sirdar », une personne désignée
pour les surveiller de près. Le travail consiste à travailler dans les champs de canne à
sucre sous le joug d'un harassant soleil de plomb, de l‟aube jusqu‟au coucher du soleil.
L‟Indien subissait surtout les discriminations constantes de son entourage, devenant
ainsi victime de meurtre, de châtiments sévères au moindre non respect des règles, de
viols, etc. Ces conditions inhumaines peuvent s‟expliquer par le fait que le planteur,
habitué à traiter les esclaves comme des êtres inférieurs, garde la même mentalité
esclavagiste envers les travailleurs indiens. En bref, l‟on constate que les similitudes
entre les deux communautés reposent notamment sur l‟aspect effroyable des conditions
de vie et de travail. A ce stade, il serait également intéressant de comparer les traits de
caractère de ces deux communautés. L‟on retrouve un contraste étrange exprimée par
ces propos :
« Au temps de l‟esclavage, (les nègres) étaient chargés de la coupe des
cannes, et les campagnes présentaient alors une animation sans exemple.
C‟était pendant tout le temps du travail des chants interminables, des
lazzis à perte de vue, de gros éclats de rire, et dans les moments de repos,
des danses échevelées », tandis que « L‟indien est moins rompu à la
fatigue, moins bruyant que le nègre, il est même un peu taciturne, ce qui
rend l‟époque de la coupe moins animée qu‟au temps des Noirs. »58
Ces propos révèlent ainsi les caractères opposés des deux communautés. Les qualités
de l‟Indien, telles que sa capacité au travail de la terre et son sens de l‟épargne, le
rendirent souvent méprisable aux yeux de l‟esclave affranchi qui se sentit supérieur au
58
Revue des Deux Mondes, Volume 35, Au Bureau de la Revue des Deux Mondes, Université de Californie,
1861, op. cit., p. 74.
100
nouveau venu, dans sa fierté d‟être indépendant. Pourtant, l‟Indien possédait certaines
qualités qui le distinguaient de l‟ancien esclave. Contrairement à ce dernier, l‟engagé
savait lire et écrire. Par ailleurs, il était attaché au culte de sa nation et il célébrait en
pays étranger les grandes fêtes religieuses de l‟Inde. Il ne manquait pas d‟observer tous
les rites hindous, concernant les mariages, les baptêmes ou le deuil. Étrangement,
malgré des conditions difficiles de travail et une condition quasi similaire aux anciens
esclaves, seule une très faible partie de ces nouveaux migrants repartirent vers leurs
pays natal au terme de leur contrat initial.
Malgré les similarités entre les deux systèmes, les différences sont également très
importantes, en ce qui concerne l‟évolution des groupes issus de l‟esclavage et de
l‟engagisme. D‟un point de vue juridique, ces deux systèmes ne peuvent être mis sur
un même pied d‟égalité. Effectivement, le fait que le travailleur indien soit « engagé »
sur les termes d‟un contrat, généralement de cinq ans, au terme duquel il a la
possibilité de rentrer au pays d‟origine, prouve ainsi la liberté dont il dispose après
expiration du contrat, tout en le distinguant largement de l‟esclave, considéré comme
une propriété légale, un objet « susceptible d‟être vendu ». Ce dernier est totalement
asservi, la liberté de circulation n‟étant une réalité que pour les esclaves fugitifs qui ont
fuit les plantations. Par ailleurs, l‟esclavage est un aller simple dans le sens que
l‟esclave est condamné à rester sous le contrôle du maître, tandis que l‟engagement est
un aller-retour virtuel, car selon certains contrats, après dix ans de travail, un billet
retour devrait être offert à l‟engagé.
L‟évolution des deux communautés fut aussi très différente. Une fois libéré, les
anciens esclaves n‟ont pas souhaité rester dans les plantations. La majorité a privilégié
des activités plus autonomes comme la pêche ou la culture des légumes, malgré le fait
qu‟elles soient moins rémunératrices. Pour Jocelyn Chan Low, cette orientation des exesclaves n‟a pas permis une mobilité sociale comme celle des engagés indiens et leurs
descendants. Contrairement aux esclaves, les travailleurs indiens eurent, après 1872, le
droit de louer ou d‟acheter des morceaux de propriétés, permettant ainsi l‟émergence
d‟une nouvelle classe de petits propriétaires d‟origine hindoue. Ce faisant, les engagés
101
ont commencé à épargner. L‟enrichissement leur permit de se concentrer sur
l‟éducation des enfants, qui à son tour favorisa la formation d‟une élite. Ce sont ces
hommes et ces femmes, engagés travailleurs indiens, qui sont aujourd'hui les ancêtres
des deux tiers de la population mauricienne actuelle. Du côté des descendants
d‟esclaves, l‟évolution se heurtait aux divisions internes au sein du groupe, qui
rendaient leur évolution stagnante.
III.1.8. La polémique concernant « l‟immigration contractuelle »
L‟engagisme garde un lien assez fort avec l‟île Maurice, puisque les premiers essais y
furent faits en 1829, mais le commerce des engagés ne prit de l‟ampleur qu‟après
l‟abolition de l‟esclavage en 1835. Les immigrants indiens ont joué un rôle primordial
dans la croissance économique des colonies britanniques durant le XIXème siècle. Les
analystes contemporains de la vie mauricienne admettent communément que la survie
économique de l‟île dépendait de la main-d‟œuvre immigrante.
Le gouverneur J.M. Higginson affirma en 1852 que les immigrants étaient « la pierre
angulaire de la prospérité mauricienne, le mercure qui augmente et réduit le moral des
planteurs, le levier qui réglemente toutes les opérations agricoles, qui sont vérifiées par
rapport à la quantité de la main-d‟œuvre fournie. »59. En 1866, un autre gouverneur
dénommé Barkley remarqua que « la croissance commerciale et agricole de l‟île fut
maintenue et intensifiée par l‟arrivée des immigrants indiens ».60 Ce compte-rendu
positif concernant l‟impact de l‟immigration sur l‟existence coloniale, fut confirmé par
l‟avis, dans certains milieux, selon lequel les immigrants contractuels eux-mêmes
furent partie des bénéficiaires de l‟engagisme. Les apologistes de ce « coolie trade »
affirmèrent que le travail agricole permettrait à des milliers d‟Indiens et d‟Indiennes et
à leurs enfants d‟améliorer la qualité de leur vie. Ils affirmaient que le sort des Indiens
à Maurice était supérieur à ce qu‟il était dans la majorité des états de l‟Inde.
59
Richard Blair Allen, Slaves,Freedmen and Indentured Laborers in Colonial Mauritius, Cambridge
University Press, 1999. Traduction d‟un extrait dont le texte original est le suivant: “immigration was the
corner stone of Mauritian prosperity, the mercury that raises and depresses the spirits of the planters, the
lever regulating all the operations of agriculture, which are checked or advanced according to the extent and
certainty of the supply of labour”, p. 137.
60
Ibid., texte original : “the island‟s commercial, as well as its agricultural, prosperity had been maintained
and enhanced by the introduction of Indian immigrants.‟, p. 137.
102
L‟immigration leur permettrait non seulement d‟échapper, soi disant, à la pauvreté de
leur patrie mère déjà surpeuplée, les partisans de l‟engagisme ajoutaient que le travail
sur les plantations coloniales amélioreraient leur état physique et moral.
Cependant, cette opinion positive ne fut nullement partagée par tout le monde. Certains
groupes
humanitaires
et
anti-esclavagistes
condamnèrent
la
main-d‟œuvre
contractuelle, la considérant comme une nouvelle forme d‟esclavage « camouflée ».
Les abus auxquels les premiers immigrants furent soumis, ainsi que l‟interruption
provisoire de l‟immigration vers Maurice qui s‟ensuivit à la fin de l‟année 1858
intensifièrent la crainte que l‟esclavage fût tout bonnement ressuscité sous une autre
forme. L‟immigration reprit quatre années plus tard, sous le contrôle des autorités
anglaises qui voulaient s‟assurer que les travailleurs étaient convenablement traités,
mais cela ne mit guère fin aux suspicions. Diverses commissions furent chargées
d‟enquêter à ce sujet, faisant place à des rapports variés. Certains affirmaient que la
situation, en général, n‟était pas trop mauvaise, à part quelques abus. D‟autres
rapports, comme celui de la commission du Bengale, étaient de l‟avis que les
immigrants seraient toujours à la merci de leur maître ou des agents si le gouvernement
ne prenait pas contrôle de cette affaire. Les rumeurs ainsi que les réfutations
concernant le traitement infligé aux Indiens travaillant à Maurice continuèrent à
circuler jusqu‟en 1872, l‟année durant laquelle une commission royale d‟enquête fut
établie afin d‟enquêter sur cette affaire. Ces enquêtes amenèrent rapidement les
commissionnaires à déclarer qu‟il leur fut impossible de discerner le bien-fondé de ces
accusations. Face à ces critiques, les apologistes de ce système de recrutement
affirmèrent que l‟histoire même de l‟immigration réfute les calomnies qui se sont
propagées à ce sujet contre la colonie. A ce titre, citons cet extrait : « le laboureur
indien est mieux payé, mieux soigné, et à la fin de son engagement, est plus à l‟aise
que ne le sont les paysans employés aux travaux de ferme en Angleterre. » 61
61
James G. Morris , Monographie de Maurice : mémoire présenté et lu à la Société des Arts de Londres,
Université d'Oxford, 1862, p. 30.
103
Selon Auguste Toussaint, « L‟afflux des immigrants indiens activa le rendement
sucrier, mais il eut aussi dans l‟immédiat des conséquences très graves qui
peuvent se résumer ainsi : 1) Introduction ou réintroduction de diverses maladies,
choléra et paludisme notamment ; 2) Accroissement de la criminalité, dûe surtout
au fait qu‟au début chaque arrivage comprenait peu de femmes ; 3)
Complications économiques résultant de la nécessité de nourrir une population
gonflée artificiellement… ; 4) Perpétuation chez les planteurs d‟une mentalité
qu‟on ne peut qualifier autrement que d‟esclavagiste. » 62
Les thèmes concernant l‟émancipation des esclaves ainsi que l‟engagisme inspirèrent
largement les œuvres littéraires de la période post-coloniale. La question concernant
l‟éventuelle indépendance dont disposaient les engagés reste toujours un sujet
vivement débattu.
Quoiqu‟il en soit, à partir des faits historiques disponibles, nous pouvons affirmer que
les Rochers de Poudre d’Or dévoilent un aspect plus ou moins sombre sur la période
de l‟engagisme. Comme l‟illustre le roman, de nombreux immigrants indiens n‟ont pu
acquérir l‟indépendance financière ni même améliorer leur condition de vie à long
terme. Les premiers engagés durent surement subir ce sort. Cependant, cette vision ne
pourrait être généralisée à l‟ensemble des engagés indiens, puisqu‟une grande partie
d‟entre eux ont pu s‟installer dans l‟île et ont travaillé dur pour jouer un rôle
économique actif dans les années suivantes. Par rapport à notre thème d‟étude, la
quête, nous constatons que la majorité des Indiens, sans distinction de leur statut social
ou économique, se sont élancés dans ce voyage à travers le kalapani, mus par une
quête d‟un ailleurs meilleur, d‟un avenir plus prometteur, d‟un nouvel horizon, qui
contribuerait à les sauver de la misère et de leurs soucis quotidiens en leur montrant
une meilleure voie de survie, pour laquelle ils étaient prêts à faire quelques sacrifices ;
parfois, ils prenaient même le risque de sacrifier leur vie. La plupart étaient à la
recherche d‟argent, d‟autres étaient contraints de faire un tel trajet, poussé par des
pressions familiales ou économiques ; certains étaient à la quête d‟une meilleure
62
Auguste Toussaint, Histoire de l’Île Maurice, Presses Universitaires de France, p. 92-93.
104
qualité de vie qu‟ils avaient échoué de trouver dans leur propre nation. Bref, le thème
de la quête constitue ainsi une des raisons principales qui soit à la source de l‟ampleur
de ce phénomène appelée « engagisme ».
III.2. L‟antisémitisme insulaire
Le dernier ouvrage de Nathacha Appanah s‟intitulant Le Dernier Frère, relate une
période de la Seconde Guerre Mondiale qui est restée dans l‟oubli : l‟internement des
Juifs dans une prison de l‟Île Maurice. Une des raisons pour laquelle la Seconde
Guerre Mondiale a laissé des traces ineffaçables dans l‟Histoire du monde demeure la
persécution des Juifs. Le monde entier conservera toujours des souvenirs atroces de ce
conflit mondial, dont l‟ampleur s‟est révélée à travers le traitement subi par la
communauté juive, prise entre les mains des Nazis qui n‟ont pas hésité à mettre en
place l‟horrible génocide, conséquence d‟une haine dirigée envers une communauté
particulière d‟êtres humains. Afin d‟établir la supériorité de la race aryenne, ils
décimèrent les Juifs, considérés comme des êtres inférieurs. Même si ce massacre
humain ne se déroula que vers la fin du conflit, le début du conflit n‟épargna pas les
Juifs qui furent persécutés de diverses autres manières. Ainsi ceux ayant échappé au
génocide furent également victimes de nombreuses oppressions : la plupart furent
isolés, mis à l‟écart, privés de nombreux privilèges, pillés et pourchassés hors du pays.
Le roman de Nathacha Appanah situe l‟histoire en 1940. Durant cette période, les
Nazis n‟avaient pas encore pris leur décision par rapport au sort de Juifs. Ils voulaient
seulement les faire quitter la nation, les harceler et s‟emparer de leurs biens. Les Juifs
n‟avaient aucune autre issue que de vouloir rejoindre l‟Israël, la terre de leur
délivrance. Alors, certains décidèrent de quitter le pays, afin de rejoindre la terre
promise qui leur servira de seul refuge. Malheureusement, lorsqu‟ils tentèrent de
pénétrer au port d‟Haïfa, en Palestine, dépourvus de papiers d‟immigration en bonne et
due forme, ils furent considérés comme immigrants illégaux par les autorités anglaises
qui refusèrent l‟entrée de ces Juifs en Palestine. Des raisons politiques et stratégiques
expliquèrent également ce refus. Le bateau transportant les quelques centaines de Juifs
fut alors redirigé vers l‟Île Maurice, alors colonie anglaise. Le 26 décembre 1940, plus
105
d‟un an après le commencement de la Seconde Guerre Mondiale, deux navires
transportant quelques 1500 Juifs, abordèrent Port-Louis. Dès leur arrivée sur l‟île, ils
furent placés dans la prison de Beau-Bassin. Loin d‟être considérés comme des
réfugiés politiques, ils furent traités comme des détenus. Ces derniers comptaient,
parmi eux, des Juifs d‟origine allemande, autrichienne, polonaise et tchèque dont la vie
était en danger depuis l‟occupation de leurs nations par les forces nazies. Cet
enfermement leur permit néanmoins d‟échapper à l‟extermination. Les contacts entre
les Juifs et la population mauricienne étaient limités. Durant ces années d‟exil, la vie
quotidienne des Juifs fut pénible, d‟autant plus qu‟ils n‟avaient pas le droit de sortir. Ils
sont restés incarcérés pendant cinq ans, sans réel contact avec le monde extérieur.
Tandis que le conflit mondial commençait à se propager, dans un coin du monde, dans
une petite île, un groupe de Juifs vécurent incarcérés avec l‟espoir de pouvoir rentrer
un jour dans leur terre promise. Chaque jour, ils ne rêvaient que d‟une chose :
rejoindre la Palestine. Ce n‟est qu‟en août 1945 que les réfugiés furent ramenés à
Haïfa, laissant à l‟Île Maurice un cimetière où furent enterrés 127 détenus, morts de
maladies comme la typhoïde ou des fièvres tropicales agissant sur des organismes
affaiblis par le stress d‟une vie carcérale. Ils furent enterrés dans le cimetière juif de
Saint-Martin, preuve de leur existence sur cette île. Ce cimetière, qui est situé à l‟Île
Maurice, symbolisera à jamais les liens entre Maurice et Israël. Le concept de la quête
peut être également entrevu à travers l‟odyssée et la condition des Juifs. En effet, cette
communauté semble avoir été hantée par la quête de la liberté, d‟une intégration à la
terre de leur délivrance, la terre promise qu‟est la Palestine.
Nathacha Appanah s‟appuie sur cet incident pour écrire son roman. Même si ce dernier
évoque l‟amitié entre deux enfants, le contexte de l‟ouvrage dévoile clairement les
conditions dans lesquelles vivaient les Juifs qui furent internés à l‟Île Maurice, leurs
attentes, leurs espoirs ainsi que leur souffrance.
106
III.2.1. Origine de l‟antisémitisme
Contrairement à une croyance populaire, l‟antisémitisme, ou le racisme contre la
communauté juive, n‟est pas l‟œuvre d‟Hitler. Il semble que cette haine remonte à une
période antérieure au régime nazi. Elle trouve son fondement dans des idées ancrées de
longue date dans l‟esprit de la majorité des Européens de l‟époque. En fait, ce mépris
envers les Juifs a des origines religieuses. Durant l‟empire romain, la communauté
juive prospéra jusqu'à la fin du XIème. A cette époque, ils vivaient du commerce et
bénéficiaient d‟une réelle autonomie en matière de religion. Ce fut durant les
premières Croisades que les persécutions commencèrent à cause des rumeurs selon
lesquelles, les Juifs auraient profané les lieux saints avec le concours des Sarrasins.
Vers le XIème siècle, ils furent souvent tourmentés pour non adhésion aux croyances
chrétiennes. Les Chrétiens estimaient que les Juifs étaient rejetés par Dieu, car ils
avaient refusé de croire en Jésus comme Messie. Leur refus de croire que Jésus était le
fils de Dieu était très mal vu par les communautés chrétiennes qui ne les traitaient pas
comme leurs égaux. Considérés comme différent des autres habitants, les Juifs étaient
les premiers à être accusés des crimes commis contre les Chrétiens. Alors qu‟ils étaient
présents depuis des siècles, les Juifs furent soudain considérés comme des étrangers,
voire des meurtriers du Christ, et ainsi, ils méritaient punition capitale. Des
communautés entières furent massacrées dans de nombreuses régions de l‟Allemagne.
L‟intervention du Pape amena un moment de répit pour les Juifs. Toutefois, les
oppressions reprirent en 1146, durant la deuxième Croisade, mais elles ne firent pas
autant de victimes que la première Croisade. Dès lors, les Juifs durent faire face à
diverses accusations, la principale étant les crimes rituels. En effet, on les accusa de
pratiquer des sacrifices humains au nom de leur religion. A partir de 1349, avec les
ravages faits par la peste noire, ils furent de nouveau accusés de propager la maladie.
Les données historiques nous révèlent que jusqu'à l‟avènement du XXème siècle, le
monde fut témoin de la persécution perpétuelle de la communauté juive qui fut
massacrée, brûlée vif, entraînée à se suicider, victimes de superstitions populaires et
d‟un sentiment de haine. L‟on pourrait estimer que ces oppressions continuelles
expliqueraient probablement cette prise en conscience chez les Juifs d‟être une nation
107
exilée en quête de leur pays d‟origine, « la Terre Sainte ». À partir du XIVème siècle,
ils furent séparés du reste du peuple par la formation de ghettos où ils vivaient repliés
sur eux-mêmes.
Vers la fin du siècle, les persécutions furent surtout motivées par jalousie économique,
les princes ayant besoin d‟argent. Ainsi, les Juifs se faisaient expulser après avoir été
dépouillés de leurs biens. Au XIVème siècle, les progrès de l‟imprimerie en Europe
permirent de propager des stéréotypes anti-juifs. À partir du XVIIème, les Juifs
obtinrent le droit de vivre avec les Chrétiens, mais à condition de ne pas pratiquer de
culte public. Cette tolérance momentanée envers eux fut surtout fondée sur la croyance
de leur conversion future vers le Christianisme. À la fin du XVIIe siècle, commence
l'ère moderne de l'histoire juive avec le développement du capitalisme et du
rationalisme. Après la révolution française de 1789, diverses mesures permettent une
nette amélioration de la condition juive, ce qui provoqua cependant des réactions
hostiles et violentes parmi la population allemande. Dans toute l‟Allemagne, des Juifs
sont battus, leurs quartiers pillés. À partir des années 1840, les idées libérales se
répandent en Allemagne, tout en professant l'égalité en droits pour les Juifs. C‟est dans
ce contexte que parut l‟ouvrage de Karl Marx, intitulé La Question juive. Il y affirme :
« L'argent est le dieu jaloux d'Israël devant qui nul autre Dieu ne doit subsister. »
63
Les Juifs sont donc vus sous l‟angle de l‟égoïsme et l'injustice capitalistes. Le Juif est
identifié à la mobilité de l‟argent et de la finance, le cosmopolitisme et l‟universalisme
abstrait, au droit international et à la culture urbaine « métissée ». L‟Allemand, en
revanche, est présenté comme enraciné dans la terre, créant sa richesse par le travail et
non pas grâce à des opérations financières. Au milieu du XIXe siècle, se met en place
la forme moderne de rejet qui n'est pas d'ordre religieux ou socio-économique, mais
d'ordre pseudo scientifique. L'antisémitisme pseudo-scientifique établit des hiérarchies
entre les races, idéalise l'Aryen et fait du Sémite un être affligé des signes visibles de
son infériorité.64 Wilhelm Marr, un journaliste allemand, écrit un pamphlet en 1879 :
La victoire du judaïsme sur la germanité considérée d'un point de vue non
63
64
Vide http://heresie.org/marx_q_j.html
Vide http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_Juifs_en_Allemagne
108
confessionnel. Il y emploie pour la première fois le terme « antisémitisme ». Il affirme
que les Juifs appartiennent à une race inférieure. Le nouvel antisémitisme accuse le
Juif d'insuffler « sa substance étrangère »65. Ce nouveau concept, l'antisémitisme,
connaît un succès rapide. En effet, les Allemands sont séduits par l'impérialisme
conquérant et l'autoritarisme de l‟époque wilhelmienne, alors que les Juifs restent
fidèles aux idéaux libéraux et démocratiques du début du siècle. Les ligues antisémites
se multiplient ainsi que les brochures les propageant. Le XIXème siècle vit la
naissance de l‟antisémitisme dans toute son ampleur. Par ailleurs, à partir des années
1895, l‟affaire Dreyfus eut un impact réel sur la France, ainsi que dans les autres pays
européens. Il s‟agit d‟un capitaine de l‟armée française, Alfred Dreyfus, accusé
d‟espionnage, à cause de son origine juive. Cette affaire mobilisa le peuple français en
deux groupes, les dreyfusards, qui étaient en faveur du capitaine, et les antidreyfusards,
totalement antisémites. Cette haine aurait également été alimentée par des rumeurs, des
légendes, l‟une des plus populaires étant « le mythe du coup de poignard dans le dos ».
Selon ce mythe, durant la Première Guerre Mondiale, les Juifs qui étaient pour la
démocratie, auraient été responsables de la défaite allemande de 1918. Comme
beaucoup de légendes, cette dernière n‟a pas de fondement réel. Même si les Juifs se
sentaient des Allemands à part entière, ils furent perçus par la plupart de leurs
compatriotes comme un corps étranger à la nation.
III.2.2. La période hitlérienne
Hitler, quand à lui, n‟a fait que prolonger cet antisémitisme ancien en y apportant
quelques modifications. Des théories dites scientifiques furent mises en avant, attestant
la supériorité, soi disant, de la « race aryenne », afin de dégrader la race juive. Selon
ces théories, le sang juif étant inférieur au sang allemand, la communauté juive serait
en train de souiller l‟Allemagne. Ainsi, il était du devoir de ses concitoyens de se
débarrasser de cette race inférieure, seul moyen de purifier leur nation. Par ailleurs,
Hitler fut convaincu que cette communauté était responsable de tous les maux de
l‟Allemagne. Dès lors, le parti nazi forma des principes qui visaient à dégrader le Juif,
65
Vide http://fr.wikipedia.org/wiki/Wilhelm_Marr#Antis.C3.A9mitisme_de_parade
109
en lui enlevant tous ses droits, niant ainsi sa citoyenneté. Ce sentiment antisémite fut
partagé par une grande partie des Allemands, même s‟il existait une minorité qui se
déclarait contre le nazisme et l‟antisémitisme. Cependant, leur nombre était bien
insuffisant et leurs voix avaient du mal à se faire entendre face à la vague déferlante de
la propagande nazie. L‟arrivée d‟Hitler au pouvoir ne fit qu‟intensifier la propagande
antisémite visant à toucher le plus d‟Allemands possible. La théorie antisémite fut
également intégrée dans l‟éducation des enfants, a qui on apprenait à être raciste. Les
Juifs furent peu à peu marginalisés du reste du peuple par le port d‟une étoile jaune,
symbole de leur identité. Sous le régime d‟Hitler, c'est-à-dire durant la période 19331945, les Juifs furent harcelés par une série de mesures, plus dures les unes que les
autres. Les Nazis n‟hésitaient pas à employer la violence pour les faire appliquer.
Ainsi, les victimes furent soit arrêtées, soit dépourvue4s de privilèges essentiels,
comme le droit d‟exercer certaines professions. Il était même défendu aux juifs de
fréquenter certains endroits. En bref, ils étaient rejetés par la société. Ceux qui furent
arrêtés, furent ensuite renvoyés vers les camps de concentration ou d‟extermination
créés dans le seul but d‟incarcérer et de torturer les Juifs. Les conditions de transport
vers ces camps de la mort furent déplorables et les plus faibles succombèrent durant
cette épreuve. Lorsqu‟ils arrivèrent dans les camps, une sélection s‟opéra pour trier
ceux en mesure de travailler, et ceux vus comme incapables d‟aucun effort physique.
Ces derniers furent immédiatement éliminés. Quand au reste des prisonniers, ils
vivaient dans des conditions inimaginables : ils devaient se lever très tôt et travailler la
journée entière, sans nourriture. En bref, ils ne pouvaient rester en vie que jusqu'à ce
que leurs capacités physiques s‟épuisent. Ce n‟est qu‟en 1942 que les autorités nazies
décidèrent d‟exterminer la population juive d‟Europe. Cette dernière mesure appelée
« la solution finale » fut exécutée de deux manières : la fusillade et le gazage. Ainsi, 6
millions de Juifs seraient morts dans ces camps, tués délibérément selon un grand
programme d'extermination physique de l'entière communauté juive européenne,
motivé par une idéologie raciste. Jusqu'à ce jour, ce massacre humain constitue l‟un
des plus grands crimes de l‟histoire de l‟humanité.
110
III.2.3. Un incident méconnu ?
En 1939, les pogroms se multiplient contre les Juifs, à travers l‟Europe. Ils sont
quelques milliards à vouloir échapper au piège mortel qui se referme un peu plus
chaque jour. Parmi eux, une poignée s‟embarque sur l‟Atlantic en destination d‟Eretz,
Israël. Les rares ouvrages qui font référence à propos du voyage des Juifs et de leur
internement à l‟Île Maurice, entre 1940 et 1945, constituent un véritable témoignage de
cette période méconnue du reste du monde et dont même les jeunes Mauriciens n‟ont
probablement pas entendu parler. Les raisons de la méconnaissance de cet incident
pourraient résider dans le fait qu‟il ne concerna qu‟un nombre minime de Juifs détenus
dans un petit coin de la terre. Par ailleurs, le monde était tellement bouleversé par les
effets de la guerre mondiale, que certains événements secondaires de la sorte furent
probablement négligés. Par ailleurs, le manque de contact entre les Juifs et la
population locale de l‟île expliquerait en partie une certaine ignorance en ce qui
concerne cette période. L‟on pourrait reprendre ici les propos de Michel Daeron,
documentaliste qui marque son incrédulité en entendant parler de cet internement :
« Personne ne pouvait croire que des Juifs aient été déportés et internés pendant cinq
ans par les Alliés. »66. Seuls les quelques Mauriciens qui eurent contact avec ces Juifs,
pourraient avoir des souvenirs précis de cette période. A ce titre, nous pouvons citer
deux importants ouvrages qui jettent la lumière sur cette époque et sans lesquels les
souvenirs de cette communauté auraient à jamais été perdus : « The Mauritian
Shekel, The Story of The Jews Detainees in Mauritius, 1940-1945 » écrit par
Geneviève Pitot, ainsi que « A bientôt en Eretz Israël » écrit par Ruth Sander-Steckl,
sont deux ouvrages qui tentent de révéler le parcours d‟un groupe de Juifs pourchassés
de partout et espérant rejoindre Israël par tous les moyens, mais qui furent renvoyés à
l‟Île Maurice. D‟après les données historiques disponibles, la majorité de la population
mauricienne ne fut pratiquement au courant ni de l‟arrivée des Juifs ni des
circonstances de leur internement. Il faut expliquer pourquoi cet incident resta peu
connu. Les autorités anglaises firent en sorte que cet internement reste le plus
confidentiel possible. Cependant, les nouvelles à propos de ces nouveaux venus ne
66
Michel Daeron, Les Déportés de l’Atlantic, Télérama n*2729, 30 avril 2002.
111
manquèrent pas de circuler parmi la population locale. Certains pensèrent que ces Juifs
avaient été évacués d‟Europe et internés à Maurice pour des raisons de sécurité. Isolés
entre les quatre grands murs de la prison de Beau- Bassin, ils furent certes en sécurité.
Mais il est indispensable de voir les choses sous un autre angle, un angle plus
véridique. En vérité, les Juifs n‟ont pas été sauvés de la persécution nazie grâce à un
geste humanitaire de la part du gouvernement britannique. Lorsque les Juifs
atteignirent la Palestine, après leur dramatique exode, ils étaient déjà hors de danger.
Ils avaient accostés le pays, qui représentait pour eux la terre promise. En dépit des
obstacles mis en place pour faire déjouer leur trajet, ils avaient atteint leur but. En fait,
les autorités anglaises auraient dû montrer leur humanitarisme en leur permettant
d‟entrer en Palestine. Cependant, les intentions de la politique anglaise n‟étaient pas
compatibles avec celles des malheureux réfugiés juifs qui, selon le gouvernement
anglais, avaient essayé de pénétrer le pays illégalement. Ils furent alors secrètement
expulsés vers l‟Île Maurice de force. Parmi eux, il y avait des personnes âgés, des
enfants et des malades. A leur arrivée, ils ne furent plus traités comme des réfugiés
auxquels était offert l‟asile. Ils furent considérés comme des détenus et leur séjour à
Maurice avait un aspect plutôt punitif. Cinquante d‟entre eux succombèrent durant les
premiers mois à Maurice. Privés de liberté et de vie familiale, cet internement leur
donna le sentiment d‟avoir été injustement trompés. Leur exil ne se terminera qu‟en
1945, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les Juifs ayant survécu à cette
déportation quittèrent l‟île, laissant derrière eux les traces d‟une douloureuse
expérience, que le monde n‟apprendra que bien des années plus tard.
III.2.4. L‟origine de la quête juive
Avant d‟évoquer l‟odyssée des Juifs, il serait indispensable de se poser la question
suivante : pourquoi le gouvernement anglais a-t-il empêché les Juifs de pénétrer la
Palestine, leur seule destination possible ? Des raisons d‟ordre politique pourraient
apporter des réponses. Au début du XXème siècle, l‟idée d‟un état palestinien était une
source de polémique majeure. Les communautés arabes vivant en Palestine étaient
contre l‟arrivée des Juifs, qu‟elles considéraient comme un danger pour leurs terres.
112
Les Arabes craignaient surtout que ce flot immigrant se poursuivrait indéfiniment,
jusqu'à ce que la population juive commence à les dominer. Les Arabes de la Palestine
exigèrent des autorités anglaises une suspension totale de toute immigration juive.
Cette proposition fut soutenue par les pays voisins tels que l‟Arabie Saoudite, l‟Iraq et
l‟Egypte. Cette appréhension arabe fut notamment à l‟origine de la restriction imposée
à l‟immigration juive. Devant cette situation, les Britanniques mirent en place en 1937
une commission d‟enquête qui déclara son constat dans le « Livre Blanc », désigné
également par « Mac Donald white paper ». Selon ce constat, le partage des terres
resterait la seule solution au conflit. D‟après le constat, la Palestine serait divisée en
deux : la partie nord et la côte appartiendraient aux Juifs, alors que la partie sud serait
considérée comme un état palestinien. Néanmoins, ce plan ne fut guère approuvé, ni
par les Arabes, ni par les Zionistes. En 1939, les autorités anglaises publièrent un autre
« Livre blanc », qui, cette fois, favorisa les Arabes, en acceptant de contrôler
l‟immigration juive vers la Palestine.
III.2.5. L‟odyssée de l‟Atlantic : un voyage tumultueux
Après novembre 1938, le régime nazi entreprit son premier pogrom à l‟échelle
nationale contre les Juifs d‟Allemagne, massacrant des centaines de synagogues et
détruisant des magasins juifs. De nombreuses personnes furent assassinées, des
milliers d‟autres entraînées vers les camps de concentration. Il s‟agissait d‟une période
noire, durant laquelle être juif était synonyme de crime punissable dans l‟état
allemand. Jusqu‟en 1941, les Nazis n‟avaient pas interdit l‟émigration juive ; au
contraire, ils ne cherchaient qu‟à s‟en débarrasser par n‟importe quelle manière. Ainsi,
si les Juifs voulaient partir et s‟ils en avaient les moyens, ils étaient libres de le faire.
De nombreux Juifs prirent conscience de la nécessité de quitter leur pays occupé par
les forces nazies, mais ils furent confrontées a un problème majeur : où aller ? Là
résidait le souci majeur. A cause du nombre croissant d‟immigrants, qui incluait aussi
tous les réfugiées en opposition avec le régime nazi, les nations qui avaient accepté
auparavant, de les recevoir commencèrent à reconsidérer cette affaire. En temps de
guerre, seuls les pays neutres pouvaient être en mesure d‟accepter les réfugiés.
113
Certains désiraient partir aux Etats-Unis, qui avaient à cette époque une politique
migratoire limitée par des quotas. D‟autres pays montrèrent la porte aux malheureux
réfugiés. Cependant, quelques-uns firent exception pour les enfants. D‟une part, les
juifs durent se décider sur la destination possible ; d‟autre part, ils durent verser une
somme conséquente à des organisations chargées de s‟occuper du transport
« clandestin » de la communauté juive vers la seule destination possible : la Palestine.
Pour les Juifs, c‟était une question de vie ou de mort. L‟impossible rêve de pouvoir
partir devint presque une réalité lorsque les Nazis fondèrent le Bureau Central pour
l‟Immigration Juive. Avant de le faire, les Juifs devaient compléter les formalités
nécessaires. Ainsi, les autorités allemandes étaient au courant de tous ces préparatifs.
Alors qu‟Hitler n‟était pas favorable au transport clandestin des Juifs, il trouva
cependant le moyen d‟utiliser la situation en sa faveur, pour leur soutirer tous les biens
qu‟ils possédaient, sous le nom de frais d‟immigration. Les réfugiées durent se résigner
à verser la somme demandée, afin de pouvoir partir du pays sains et saufs. De
nombreux bateaux étaient chargés de ce transport, parmi lesquels l‟Atlantic, dont
s‟inspire le roman de Nathacha Appanah et qui fut également l‟un des derniers à
transporter des réfugiées. Malgré le fait que les Juifs cherchaient à atteindre la
Palestine, ce ne fut guère un choix individuel, car aucun pays ne souhaitait les
accueillir, en dépit de leurs généreuses promesses. Après le déclenchement de la
Seconde Guerre Mondiale, les Juifs virent les frontières des pays se fermer. Ainsi, une
seule voie leur restait : rejoindre la Palestine à travers le Danube, rivière internationale
qui permettrait aux réfugiés de se diriger vers la Mer Noire, sans aucun visa. De là, une
traversée de la Méditerranée suffirait à atteindre la Palestine. Tel était l‟espoir des
réfugiés ayant entrepris leur trajet vers la fin de l‟année 1939. Cependant, les autorités
britanniques en avaient décidé autrement. Voulant sauvegarder les intérêts du Moyen
Orient, notamment de la communauté arabe de la Palestine qui fut soucieuse de
protéger ses droits ainsi que ses terres, le gouvernement anglais mit en place des
mesures sévères afin de limiter l‟immigration juive. Il fut décidé que les Juifs devaient
être munis d‟un certificat, une sorte de laissez-passer, dont l‟obtention devint presque
impossible. La plupart des réfugiés de l‟Atlantic n‟étaient pas en possession dudit
certificat, expliquant ainsi qu‟ils durent s‟enregistrer comme « clandestins » pour le
114
transport. Cela suffisait à leur conférer le statut d‟immigrants illégaux aux yeux des
autorités britanniques qui étaient décidées à arrêter ce soi disant « trafic », par tous les
moyens.
Passons à présent à la description du trajet des réfugiés de l‟Atlantic, depuis sa genèse
jusqu'à son aboutissement. « A bientôt en Eretz Israël » est un récit qui s‟inspire du
journal intime de Ruth Sander-Steckl, une des rescapées de ce voyage infernal. En
outre, il est indispensable de remarquer que le récit en question est également
accompagné de quelques archives appartenant au Public Record Office de Londres,
révélant les différentes informations échangées entre les autorités et les décisions
prises à chaque étape du trajet, prouvant ainsi l‟authenticité des faits.
D‟après cet ouvrage, le trajet de ces quelques centaines de Juifs débute fin 1939, à
Prague, d‟où un train les emmena vers Presbourg, appelé également Bratislava,
l‟actuelle capitale de la Slovaquie. Quelques mois passèrent avant que leur trajet ne
commence réellement. En septembre 1940, les réfugiés juifs s‟embarquèrent sur
l‟Hélios, un paquebot pouvant accueillir quelques 400 passagers, mais il déborda de
monde avec presque mille réfugiés à bord. Cela va sans dire que les conditions de vie à
bord étaient insoutenables. Tous les réfugiés juifs venant de toutes les parties de
l‟Europe durent se trouver une place dans les moindres recoins du bateau. D‟autres
embarcations suivaient le même trajet, mais seules certains atteindront leur destination,
alors que d‟autres seront arrêtés aux frontières de certains pays. L‟Hélios franchit la
première étape du trajet en atteignant Tulcea, ville roumaine. Là, d‟autres bateaux
attendaient de transporter les réfugiés, parmi lesquels l‟Atlantic, un rafiot datant de
1870. Le transfert de l‟Hélios à l‟Atlantic se fit dans une grande agitation. Étant moins
spacieux, les conditions de vie sur le nouveau vaisseau étaient pires. Les quelques
cabines qui furent réservées pour les femmes et les enfants, et les malades furent
occupés par les premiers venus. Satisfaire les besoins essentiels tels que trouver à
manger, dormir et se laver fut un luxe, sans compter les affreuses conditions sanitaires
à l‟origine de la diarrhée ou de la fièvre. Les provisions de nourriture étaient
insuffisantes pour une telle traversée. Le menu consistait souvent en un thé le matin,
un pain moisi à midi, et pour le soir, un melon pour trois. Une troupe nommée
Haganah était désignée pour veiller à ce que la vie a bord soit vivable, en mettant en
115
place des mesures disciplinaires. En dépit de ces vicissitudes, l‟Atlantic se mit en
marche après quelques jours. En chemin, le vaisseau s‟approcha des frontières
d‟Istanbul et des îles grecques. A plusieurs reprises, deux problèmes majeurs faisaient
souvent obstacle au trajet : le manque de charbon et de nourriture. A Chypre, les
passagers furent obligés d‟user de leur économie pour acheter du charbon et des vivres.
Ce fut durant ce court séjour à Chypre qu‟une rumeur commença à circuler : les
réfugiés ne pourraient pas rester à Eretz, mais seraient déportés vers l‟Île Maurice, une
colonie anglaise. Toutefois, elle ne fut pas prise au sérieux.
Finalement, le 24 novembre 1940, l‟Atlantic accosta au port d‟Haïfa, à la grande joie
des réfugiés qui se réjouissaient d‟avoir atteint la Terre Promise. Toutefois, la police
britannique les envoya vers un autre paquebot, situé dans le même port. Les réfugiés
devaient d‟abord embarquer sur le Patria, avant de mettre pied à terre.
Ils
commencèrent à poser mille questions sur ce soudain changement de plan, ils ne
reçurent qu‟une réponse évasive de la part des autorités anglaises : en raison de la
quarantaine, il n‟y avait pas de place adéquate sur terre pour les examiner ; par ailleurs,
à cause de la surpopulation des camps de réfugiés, les nouveaux venus seraient
temporairement logés dans cet autre bateau français. Même les employés juifs qui
vinrent à bord, restèrent silencieux, à la grande déception des réfugiés qui avaient
tellement enduré avant d‟arriver à Haïfa. Par ailleurs, diverses rumeurs de quarantaine
et de déportation redoublaient leur désespoir. Durant le transfert entre les deux
vaisseaux, une explosion soudaine se fit entendre. Il s‟agissait du Patria, qui avait
explosé avant de complètement disparaître sous l‟eau. Ceux qui étaient déjà à son bord
périrent misérablement, alors que les autres réfugiés furent pris d‟effroi. La raison de
cet accident ne fut apprise que plus tard. En fait, ayant su que les autorités anglaises
avaient prévu de déporter les Juifs vers l‟Île Maurice à bord de ce navire, des
organisations juives clandestines de Palestine sabotèrent le vaisseau afin d‟empêcher
cette déportation. A la suite de ce fâcheux incident, le reste de réfugiés débarquèrent
sur leur propre terre, non pour retrouver la liberté, mais pour être placés dans le camp
d‟Atlit. Les réfugiés avaient l‟étrange impression qu‟ils n‟étaient pas les bienvenus
dans leur propre pays. Après quelques jours passés dans le camp, ils apprirent enfin ce
qui les attendait : ils devaient repartir bientôt vers une destination lointaine. En dépit
116
de leurs protestations, ils furent obligés de quitter leur pays. Ils furent embarqués de
force sur un nouveau paquebot hollandais nommée Nouvelle-Zélande, où ils furent de
nouveau entassés. Malgré les conforts offerts par ce nouveau vaisseau, les réfugiés
eurent droit au même traitement, redoublant leur désespoir et leur frustration d‟avoir
quitté leur pays, destination pour laquelle ils avaient tant souffert. Tout leur semblait
dénué de sens. Après plusieurs semaines en mer, le bateau accosta Port-Louis le 28
décembre 1940. Dès que les Juifs mirent pied sur l‟île, ils remarquèrent sa verdure et
son ambiance exotique, ce qui les consola légèrement, leur faisant oublier pourquoi ils
étaient amenés là. Sans se douter du sort qui leur était réservé, les réfugiés juifs
conservèrent une lueur d‟espoir.
III.2.6. La vie carcérale à Maurice
Le problème des réfugiés ne concerne pas seulement le passé. Chaque jour, nous
entendons parler de peuples menacés par la guerre et contraints de fuir leur pays, par
crainte d‟être tués. Ils arrivent dans des pays étrangers où ils ne sont pas toujours les
bienvenus. Pour les réfugiés, l‟exil est rarement une partie de plaisir. Ceux qui sont
arrivés à Maurice en 1940, ne faisaient pas exception à la règle.
Qui aurait imaginé qu‟une poignée de Juifs serait internée dans une petite île de
l‟Océan Indien située à dix mille kilomètres de l‟Europe nazie. La censure rendait la
circulation d‟information difficile. Toutefois, des rumeurs circulèrent quant à l‟arrivée
imminente à Maurice de réfugies juifs. La nouvelle fut confirmée le 20 novembre
1940, à travers le rapport du conseil législatif mauricien qui s‟était réuni la veille.
Conformément au « white paper », le gouvernement anglais avait décidé d‟empêcher
les Juifs fuyant la persécution nazie, de pénétrer en Palestine. Comme ils devaient être
renvoyés ailleurs, il fut décidé d‟en renvoyer une partie à Maurice.
Nous passons maintenant à l‟évocation de leur nouvelle existence sur l‟île. Dès leur
arrivée, les réfugiés durent passer par un examen médical, pour ensuite être emmenés
vers « His Majesty‟s prison », soit la prison de « Sa Majesté ». Le retour à une vie
117
confinée entre quatre murs finit par anéantir leur maigre espoir d‟une meilleure
condition d‟existence. En fait, c‟est une vieille prison, celle de Beau-Bassin, qui fut
aménagée pour servir de camp d‟internement. Les hommes et les femmes furent placés
dans deux camps séparés par une grande muraille, mais les rencontres furent autorisées
pendant des jours fixes.
Le tableau ci-dessus, extrait de l‟ouvrage, The Mauritian Shekel : The Story of
Jewish Detainees in Mauritius, 1940-1945, indique le nombre exact de réfugiés selon
leur nationalités, au moment de leur arrivée sur l‟Île Maurice. L‟on remarque que
quelle que soit leur nationalité, le seul fait de porter l‟étiquette juive les contraignit à
quitter leur pays.
Adults
M
Children
F
M
F
Total
Austrians
369
238
14
19
640
Czechs
203
86
3
2
294
Poles
128
31
9
4
172
9
156
9
18
192
Nationality
69
73
4
5
151
“Danzigers”
35
42
5
2
84
Germans
17
4
21
Russians
13
2
15
Roumanians
4
1
Hungarians
1
1
Latvians
1
1
Without
1
6
2
1
3
Turks
TOTAL
849
635
45
51
1, 1,580
67
67
Geneviève Pitot, Donna Edouard, Helen Topor, The Mauritian Shekel: The Story of the Jewish Detainees in
Mauritius, 1940-1945, Rowman & Littlefield, 1998, annexe I, Classification of the Detainees by Nationality, at
the time of landing in Mauritius, p. 235.
118
Durant les premières années d‟internement, des épidémies de typhoïde et de malaria
éclatèrent, causant de nombreux décès. La prison contenait certes un hôpital où
certains réfugiés furent appelés afin de servir comme aide-soignant ; cependant,
comme ils ne disposaient pas du nécessaire pour traiter les patients, les chances de
survie étaient minces. Les internés avaient le droit de se consacrer à une activité
rémunérée, mais personne n‟avait l‟autorisation de sortir du camp. Le régime du camp
n‟avait rien à voir avec les horreurs des camps de concentration nazis, mais
néanmoins, la frustration persistait, les réfugiés ayant perdu leur joie de vivre. Pour
illustrer ce propos, nous pouvons citer quelques extraits du Dernier Frère, introduisant
pour la première fois ces internés, décrit à travers le regard de Raj, le protagoniste
principal : « Une file de personnes, très maigres, traînant les pieds en silence,
suivaient à pas lents le sentier en terre, […] ils ressemblaient un peu à des fantômes.
[…] ces gens pâles et chétifs… »68
69
Intérieur de la prison de l'Île Maurice, 1940-1945
68
Nathacha Appanah, Le Dernier Frère, op. cit., p. 54-55.
Vide Traces & empreintes, un exil ordinaire. Disponible sur :
<http://www.jewishtraces.org/rubriques/?keyRubrique=une_le_lointaine> (consulté le 19.01. 2010)
69
119
L‟insuffisance de la nourriture et des denrées essentielles, créait parfois des sentiments
de rivalités au sein du groupe. Mais, ce qui les frustrait le plus, c‟était l‟isolement et
surtout le fait de voir leur espoir de pouvoir retourner en Palestine s‟éteindre peu à peu.
Au début de leur séjour forcé, les Juifs durent subir de nombreuses privations. Les
couples furent d‟abord nié le droit à une vie de famille, ce qui indigna les détenus.
Suite à des demandes incessantes, les autorités permirent aux femmes mariées ayant un
laissez-passer d‟accéder au camp des hommes à des heures fixes. Ce système procura
aux détenus un semblant de vie familiale rudement appréciée après une période de
séparation.
Durant l‟année 1942, les jeunes hommes du camp furent invités à s‟engager au sein de
nombreuses armées alliées, laissant derrière eux le reste des réfugiés. Entretemps,
l‟agence juive fit une demande au Secrétaire d‟Etat ainsi qu‟au Haut Commissionnaire
Britannique de laisser les détenus de Beau Bassin rentrer en Palestine. D‟après
l‟ouvrage, The Mauritian Shekel, The Story of the Jews Detainees in Mauritius,
1940-1945, les conditions de vie sur le camp ne furent pas les mêmes jusqu'à la fin de
leur internement. En effet, il y eut des améliorations dès la seconde année, rendant le
séjour des réfugiées moins pénible.
A partir de janvier 1941, deux hommes ou deux femmes eurent chaque jour la
possibilité de sortir du camp sans escorte. Ils pouvaient prendre le bus ou le train pour
aller à Port-Louis ou Curepipe. Ils pouvaient en toute liberté aller au marché, au
restaurant, au musée, ou même faire un tour de la ville. Mais, ils devaient rentrer au
camp avant l‟heure stipulée pour garder ce privilège qui n‟était, en outre, accordés
qu‟aux détenus ayant fait preuve d‟une conduite satisfaisante. Ces quelques heures de
liberté eurent un impact positif sur le moral des internés. Ce nouveau système de sortie
commença peu à peu à être appliqué à plus de détenus. Des excursions furent même
organisées. Les internés furent amenés à visiter le jardin botanique de Pamplemousse.
Certains détenus eurent le droit de sortir du camp pour aller travailler, alors que
d‟autres eurent la possibilité de mettre à profit leurs divers talents manuels.
120
Durant la seconde année d‟internement, la situation économique des détenus s‟étaient
largement améliorée. A mesure que les sorties des Juifs se multipliaient, ils firent
connaissance avec les habitants de l‟île qui se montrèrent assez bienveillants envers
ces nouveaux venus. En effet, l‟Île Maurice reste connue pour son hospitalité. Nous
pouvons donc imaginer que certains Mauriciens furent compatissants envers les
nouveaux venus de Beau-Bassin, comme c‟est le cas dans Le Dernier Frère, qui
évoque l‟amitié entre un petit Mauricien et un petit Juif. Malgré toutes ces
améliorations par rapport aux conditions de vie dans le camp, les réfugiées avaient
toujours le sentiment que leur internement était injuste et inutile. Seule comptait pour
eux la liberté. D‟une manière générale, les contacts entre les réfugiés juifs et la
population locale furent restreints, parfois suspendus.
Après 1942, la vie dans le camp s‟améliora légèrement, mais nul ne savait combien de
temps allait durer cet internement, ni quand finirait la guerre, les nouvelles de
l‟extérieur étant rares. Les réfugiés ne visaient qu‟une seule chose : rentrer en
Palestine. L‟extrait suivant du roman illustre à juste titre cette attente des Juifs : « Tous
les malades parlaient de bateau, c’était leur obsession constante, […], ils demandaient
sans cesse quand repartait le bateau pour Eretz. »70 La troisième année à Beau-Bassin
débuta sans incidents marquants. Chaque détenu occupait son temps du mieux qu‟il
pouvait, surtout les jeunes, qui ne voulaient pas voir leur temps gaspillé. Néanmoins,
les détenus n‟avaient pas le moral. Ils étaient inquiets à propos du sort des familles et
amis restées en Europe. Des rumeurs terribles parvenaient jusqu'à eux selon lesquelles,
les Juifs étaient non seulement déportés, mais également exterminées en masse. Les
nouvelles à la radio confirmèrent ces histoires atroces. Des milliers de Juifs furent
effectivement évacués vers des camps de concentration d‟où ils ne pourraient jamais
revenir. Toutes ces nouvelles ne firent que détruire le moral des détenus de BeauBassin. Un comité culturel fut alors formé afin de mettre en place des activités variées
visant à changer l‟état d‟âme des détenus juifs. Ces activités comprenaient des
concours littéraires, des tournois d‟échecs, et même des cours d‟anglais et d‟hébreu
70
Nathacha Appanah, Le Dernier Frère, op. cit., p. 86.
121
diffuses à la radio du camp. Durant cette période, les Juifs obtinrent également le droit
au mariage civil, décision vivement accueillie par l‟ensemble des réfugiés.
A partir de juin 1943, un nouveau privilège leur fut offert : participer à des camps de
vacances. Durant ces moments, les détenus profitèrent d‟une liberté absolue qu‟ils
n‟avaient guère connue depuis des années. Ainsi, après avoir mis en place des tentes,
ils pouvaient admirer la mer ou les paysages naturels qui s‟offraient à eux. Après avoir
profité de l‟air frais, les détenus devaient rentrer en prison où la routine reprenait. Tous
ces privilèges furent décidés en partie par le gouvernement mauricien, en partie par
Londres. Par ailleurs, il ne semblait plus nécessaire de décrire la vie sur le camp de
Beau-Bassin sous l‟angle punitif, visant à contrôler l‟immigration illégale des Juifs. En
effet, les Nazis avaient trouvé un meilleur moyen de se débarrasser des Juifs : la
solution finale. Dès lors, le bureau colonial décida de contredire les critiques en
décrivant les conditions de vie sur le camp sous un beau jour. Ainsi, selon des rapports
officiels, les détenus étaient bien traités, et menaient une vie assez confortable. Tout
avait été fait pour assurer leur bien-être physique et moral. Entretemps, l‟agence juive
continuait à insister sur la libération imminente des réfugiées de Beau-Bassin. Vers la
fin de l‟année 1943, il y eut des incidents, mettant en question l‟honnêteté des Juifs. Le
naufrage de plusieurs navires près de l‟île inquiéta les habitants qui pensèrent à des
possibilités de sabotage. Des rumeurs ainsi que des propagandes commencèrent à
circuler contre les Juifs qui s‟attiraient la faveur de l‟opinion publique. Ces
propagandes ne furent pas niées par les autorités anglaises. Dès lors, les détenus se
virent enlever tous les privilèges dont ils profitaient précédemment à l‟intérieur ainsi
qu‟à l‟extérieur du camp. Ils ne comprirent nullement les raisons exactes de ce soudain
changement de traitement à leur égard. A la suite d‟une pétition adressée au
gouverneur, ils eurent la réponse suivante : les nouvelles restrictions ne furent
imposées que pour des raisons de sécurité, afin d‟éviter quelconque altercation entre
les détenus et la population locale, et elles allaient durer un certain temps. Cependant,
les détenus juifs avaient le sentiment qu‟il s‟agissait d‟actes antisémites. Mais, il
semble peu probable que les Mauriciens soient de nature xénophobes, l‟Île Maurice
étant connue pour sa convivialité. En dépit des protestations, les règlements ne furent
122
pas assouplis. Les détenus avaient cependant des raisons de se réjouir : la défaite de
l‟armée allemande étant certaine, la victoire des Alliées était imminente ; de plus, la
vie à l‟intérieur du camp de Beau-Bassin devint presque sociable, avec
l‟enregistrement de nouvelles naissances. Toutefois, cet optimisme était contrecarré
par un sentiment d‟amertume et d‟insatisfaction qui régnait parmi les détenus.
L‟année 1944 vit toutes les frustrations des réfugiés resurgir en même temps. Sans
compter tout ce qu‟ils avaient subi depuis leur détention, ce qui les exaspérait le plus,
c‟était le silence des autorités coloniales, même lorsque les réfugiés furent considérés
comme des suspects par la population locale. Avant tout, ils étaient hantés par la
pensée de départ et de liberté. A l‟intérieur du camp de Beau-Bassin, les tensions ne
cessèrent de s‟accroître à mesure que les détenus commencèrent à revendiquer les
droits légaux dont ils furent privés pendant toutes ces années, n‟ayant aucun statut
légal sur l‟Île Maurice. Craignant que la situation ne s‟aggrave, le gouvernement de sa
Majesté fut contraint d‟assouplir le règlement. Ainsi, les détenus purent de nouveau
sortir du camp et jouir d‟une liberté temporaire. Entretemps, les autorités des divers
pays dénoncèrent l‟indifférence de certaines nations devant les atrocités subies par la
communauté juive, tout en mettant en question l‟existence d‟un tel camp d‟internement
qui fut considéré comme un acte d‟antisémitisme de la part des autorités britanniques.
Finalement, le 21 février 1945, les autorités anglaises annoncèrent que les internés
pourraient bientôt rentrer en Palestine. Malheureusement, le départ tant espéré fut
retardé par des aléas climatiques. En effet, après mars 1945, l‟Île Maurice fut dévastée
tour à tour par une épidémie de polio et trois cyclones. Pourtant, le camp ne subit pas
de dommages importants. Les réfugiés eurent la permission d‟émigrer en Palestine où
ils eurent le choix de rentrer dans leur pays d‟origine. La plupart, c‟est-à-dire environ
1300 personnes décidèrent de retourner en Palestine. Parmi les 1800 réfugiés juifs
internés sur l‟Île Maurice, en décembre 1940, 124 décédèrent durant leur internement
et furent enterrés dans le cimetière juif de Saint-Martin, d‟autres s‟engagèrent dans les
forces armées des Alliées. Parmi le reste des Juifs, c‟est-à-dire, environ 1300, 1060
souhaitaient rester en Palestine, 40 voulaient rentrer en Autriche, 20 en
Tchécoslovaquie, le reste demeura indécis. Mais, tous les réfugiés attendaient
123
impatiemment de s‟embarquer pour Eretz Israël. Durant leur internement, les réfugiés
eux-mêmes s‟étaient montrés volontaires pour s‟occuper du cimetière juif dont le sort
les inquiéta suite à leur départ. Aujourd‟hui, grâce aux dons des diverses organismes
de charité, le cimetière juif de Saint-Martin est en bon état.
Ce fut le 11 août 1945 que les réfugiés juifs purent enfin quitter l‟île pour s‟embarquer
à Port-Louis sur un grand vaisseau, le Francofonia. La guerre se termina officiellement
le 15 août 1945. Les réfugiés atteignirent Haïfa le 26 août 1945, marquant ainsi la fin
d‟une période de l‟histoire restée méconnue par le monde extérieur, mais dont
témoigneront plus tard quelques ouvrages et archives officielles. A leur arrivée,
l‟agence juive avait déjà fait le nécessaire pour accommoder les anciens détenus.
Qu‟en est-il advenu d‟eux par la suite ? Alors que certains quittèrent la Palestine, la
plupart restèrent dans le pays qui, après deux ans et demi, fut connu sous le nom
d‟Israël, leur nouvelle nation. En dépit du sentiment que la déportation fut injuste et
l‟internement à Maurice, inutile et insensé, les anciens détenus conservent des
souvenirs assez forts à propos de l‟île, où ils ont passé cinq années de leur existence.
D‟après l‟ouvrage dont cette partie de notre recherche s‟est inspiré, certaines archives
concernant cette tranche de l‟histoire mondiale ne sont toujours pas accessibles au
public et ne le seront pas pendant un certain nombre d‟années.
Le Dernier Frère qui s‟appuie sans nul doute sur un événement méconnu de l‟histoire
mauricienne, illustre également le thème de notre étude. Tout au long de l‟histoire, le
peuple juif fut à la quête de sa survie, avant d‟entamer celle d‟un pays qui leur est
propre. Tout en admettant que Le Dernier Frère n‟illustre pas réellement toute
l‟ampleur de l‟antisémitisme, il est indéniable qu‟il révèle une stratégie du moins
opportuniste de la part des autorités anglaises de l‟époque, qui voulaient justifier la
détention d‟un groupe de Juifs sur une île lointaine en citant des raisons
administratives. Les Juifs cherchaient à échapper aux „crocs‟ du régime nazi, c‟est
pourquoi ils visèrent à atteindre la Palestine, terre où ils n‟auraient rien à craindre.
Pourtant, alors que leur but était presque atteint, ils furent obligés de délaisser leur
pays, pour être entraîné vers l‟Île Maurice, un pays inconnu où ils furent enfermés
124
durant cinq ans. Durant leur internement, les Juifs n‟eurent qu‟un désir, qu‟une pensée,
qu‟une obsession : rentrer en Palestine. Malheureusement, ils ne purent poursuivre
cette quête de leur plein gré, car on leur a nié le moindre contact avec la population
locale et le monde extérieur. Il leur fut impossible de trouver un quelconque moyen
d‟entreprendre le trajet retour. Ainsi, ils furent obligés d‟attendre que la situation
politique change, tout en ne perdant pas espoir. Effectivement, leur quête aboutit cinq
ans plus tard, et la fin de la cessation de la Guerre Mondiale leur accorda la liberté de
rentrer en Palestine sans condition ni règlement.
III.3. L‟intérêt du fond historique, selon Nathacha Appanah
Une réalité historique, servant d‟arrière plan à un ouvrage de fiction permet le plus
souvent de valoriser l‟histoire en la rehaussant d‟une dimension plus humaine. Prenons
l‟exemple d‟une histoire d‟amour ou d‟un récit de voyage qui paraîtrait à première vue
contenir une intrigue banale ; la présence d‟un contexte historique spécifique, c‟est-àdire des circonstances historiques particulières autour desquelles se déroule l‟histoire,
pourra conférer à ces ouvrages de fiction une certaine authenticité et surtout davantage
de profondeur, étant lié au passé. Il arrive que les personnages peuplant de tels
ouvrages, soient victimes de ces mêmes circonstances historiques, consciemment ou
inconsciemment, comme c‟est le cas de Raj, dans le roman, Le Dernier Frère.
Lorsqu‟une réalité historique, qu‟elle soit connue ou méconnue du monde, est
impliquée dans un ouvrage de fiction, notre perspective de l‟histoire risque de changer
à la suite d‟une identification mentale qui se déroule instantanément avec le récit en
question. Toutefois, l‟inclusion d‟un fond historique pourrait présenter un certain
inconvénient, voire un danger pour l‟ouvrage concerné : celui d‟être étiqueté comme
un roman historique, allant au détriment du caractère fictionnel et romanesque du récit.
Ce genre d‟ouvrage ne doit nullement être confondu avec des œuvres de nature
purement historique, dont le seul but serait de reconstituer des faits de manière
authentique, sans se soucier du caractère esthétique du récit. A la suite d‟une analyse
détaillée du contexte historique dans Les Rochers de Poudre d’or et Le Dernier Frère
et son rapport avec le thème de la quête, il sera intéressant d‟inclure dans cette
125
recherche le point de vue de l‟auteure elle-même à ce sujet. En effet, à différentes
occasions, dans divers entretiens accordés par Nathacha Appanah, la question du fond
historique a été souvent posée. A travers la section suivante, nous allons tenter de
révéler la vision de cette jeune écrivaine d‟origine mauricienne quant au rôle de la
réalité historique dans ses ouvrages, en nous appuyant sur les réponses qu‟elle a
accordées dans des entretiens publiée dans la toile. Par rapport à notre recherche, ce
sera également l‟occasion de voir les choses sous une différente perspective.
III.3.1. L‟engagisme dans Les Rochers de Poudre d’or
En ce qui concerne ce premier roman, il semble incontournable de lier le thème de
l‟engagisme à l‟auteure, étant elle-même une descendante d‟une famille d‟engagées
indiens de la fin du XIXème siècle. Mais est-ce l‟unique raison pouvant expliquer
l‟inclusion de cette réalité historique dans un ouvrage de fiction ? D‟après les réponses
que nous avons recueillies, il existe d‟autres raisons spécifiques qui sont à l‟ origine de
ce choix. Nathacha Appanah a souvent mentionné la banalité du thème de l‟engagisme
sur sa terre natale où elle a souvent entendu parler des histoires d‟engagés. Mais le cas
est différent en France. En effet, l‟histoire de l‟immigration indienne reste peu connue
dans le monde francophone ; en revanche, le thème est assez populaire dans le milieu
anglophone. Étant un thème familier pour l‟écrivaine d‟origine mauricienne, c‟était
sans doute le sujet idéal pour marquer son entrée officielle dans la littérature française.
Par ailleurs, le roman servait également à révéler au monde que l‟abolition de
l‟esclavage n‟a pas marqué la fin de l‟oppression contrairement à une croyance
générale, mais il fut suivi d‟un nouveau système de recrutement, avec les Indiens
comme acteurs principaux. Cet aspect de la déconstruction du mythe sera traité plus en
détail dans le dernier chapitre. Cependant, l‟on ne peut qualifier Les Rochers de
Poudre d’or de roman historique, une désignation avec laquelle l‟auteure ne semblerait
pas entièrement d‟accord. Elle révèle dans un entretien : « J‟ai un peu de mal à voir cet
ouvrage comme un roman historique. C‟est comme si on enlevait la part d‟imaginaire
que j‟ai mise dans ce roman, et j‟en ai mis énormément. J‟ai d‟abord et avant tout
126
voulu raconter une histoire. »
71
L‟histoire des engagés indiens constitue également
une révélation quant à l‟identité multiculturelle du Mauricien, car d‟après les propos de
Nathacha Appanah, la multiculturalité des Mauriciens n‟est pas toujours un
phénomène évident aux yeux du monde francophone. Un habitant de l‟Île Maurice
n‟est pas nécessairement métis, il peut être d‟origine indienne, noire, créole, chinoise
ou blanche. Ainsi, dans le cas de notre auteure, son premier roman est une occasion
d‟expliquer la raison principale de la présence indienne sur le sol mauricien en faisant
découvrir les circonstances de l‟arrivée des Indiens sur l‟île et la raconter sous forme
de roman. Parfois, il s‟avère essentiel pour un écrivain de révéler son identité en
racontant qui il est et d‟où il vient. Mêler la réalité à la fiction permet également de
porter un jugement neutre sur les événements en prenant une certaine distance par
rapport à cette période. Ce qui explique que Les Rochers de Poudre d’or ne privilégie
aucun point de vue particulier. Même si les personnages indiens semblent prédominer
la scène, le roman donne également la parole aux Blancs jouant le rôle du colonisateur,
ainsi qu‟aux Noirs, anciens esclaves portant un regard méfiant sur leurs successeurs.
Ensuite, en ce qui concerne l‟Île Maurice, elle est généralement rattachée au concept
d‟exotisme, vu sous son beau jour, puisqu‟une île fait souvent penser à son charme, à
ses danses, à ses chants ainsi qu‟à sa nature exotique. Le choix d‟un thème aussi
sérieux que l‟engagisme va en fait, à l‟encontre de tels clichés insulaires, et permet à
Nathacha Appanah de ne pas tomber dans le piège de l‟artifice exotique. En racontant
à propos du voyage des Indiens jusqu'à Maurice, cette jeune auteure cherche également
à mettre en valeur le courage de toute une communauté qui a su casser ses
superstitions et ses tabous en se lançant vers un pays lointain et inconnu. En effet, les
Indiens, qui sont liés aux éléments de terre et de feu, sont normalement très
superstitieux, mais ils ont défié leurs croyances avec un grand courage, en traversant la
mer, le kalapani, puisque cela équivalait à perdre leur caste, qui signifiait aussi perdre
leur identité. Ainsi, parler de ses souches signifierait en même temps rendre hommage
aux ancêtres, qui sont à l‟origine de notre présence sur terre, en faisant preuve d‟un
témoignage de respect et d‟admiration envers eux. Dans le cas précis des Rochers de
71
Vide Nathacha Appanah-Mouriquand, Les Rochers de Poudre d’or. Disponible sur :
< http://www.indereunion.net/actu/NAM/intervnam.htm> (consulté le 07. 06.2009)
127
Poudre d’or, le fond historique servirait à glorifier la mémoire de l‟engagé indien qui
réussit à se forger une place dans la société mauricienne, après avoir surmonté maintes
obstacles et souffrances. Dévoiler le destin des engagés indiens est également un
moyen de faire connaître les injustices et les abus dont furent victimes de nombreux
immigrants durant la période initiale de l‟engagisme. Il est à remarquer que les deux
parties du roman, sont chacune introduites par une citation placée en épigraphe. La
première partie qui situe l‟histoire en Inde, débute avec l‟extrait d‟un pamphlet
distribué dans l‟Etat d‟Uttar Pradesh à la fin du dix-neuvième siècle. Quant à la
deuxième partie, consacrée à la vie dans la plantation, elle est accompagnée d‟un
extrait de Chant l’amour de Kaya, chanteur d‟origine mauricienne. Il s‟agit pour
Nathacha Appanah de rendre hommage à son peuple et à sa culture, tout en glorifiant
la mémoire de ses ancêtres indiens.
En bref, la présence d‟un contexte historique dans un ouvrage de fiction, n‟a pas la
fonction d‟un simple décor pittoresque, mais pourrait être analysé sous différentes
dimensions.
III.3.2. La détention des Juifs dans Le Dernier Frère
A ce niveau de notre recherche, il est intéressant de mentionner un autre roman
évoquant l‟exil forcé d‟une communauté, déportée vers l‟Île Maurice. A travers Le
silence des Chagos (2005), Shenaz Patel, jeune romancière mauricienne, narre le cruel
destin des habitants des îles Chagos, qui sont évacués de leur terre par les Etats-Unis
qui comptent y établir une base aéronavale. Se fondant également sur la mémoire
récente, mais oubliée de l‟île, le roman reconstitue les différentes étapes de la
déportation, tout en tentant d‟explorer l‟existence douloureuse de ces êtres condamnés
à vivre comme des déracinés sur l‟Île Maurice, mêlant ainsi le réel à la fiction. Alors
que Shenaz Patel tente de reconstituer les étapes de la déportation, Nathacha Appanah
a choisi de ressasser patiemment les souvenirs de cette période obscure. Le Dernier
Frère repose sur une histoire d‟amitié entre deux enfants, un thème assez banal ;
cependant, le récit trouve toute sa valeur dans le fond historique qui lui confère une
128
certaine originalité. Les propos suivants de l‟auteure le révèlent : « J'ai également de
l'intérêt pour le fait que la vie ordinaire des personnes devient extraordinaire
lorsqu‟elle rencontre soit un élément de l‟Histoire, soit un évènement un peu
extraordinaire.»
72
En ce qui concerne le dernier roman de Nathacha Appanah à ce
jour, il paraîtrait, aux premiers abords, étrange qu‟elle ait choisi comme toile de fond
l‟internement des Juifs, une communauté qui ne semble pas avoir de réel rapport avec
l‟Île Maurice. Cependant, il existe un lien très puissant entre les Juifs et cette île de
l‟Océan Indien, que nous révèle justement l‟écrivaine à travers son roman intitulé Le
Dernier Frère. Contrairement à l‟histoire des engagés, qui reste un thème commun à
Maurice, la venue et l‟internement des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale sont
des sujets peu connus même des Mauriciens. De ce fait, il s‟agit d‟un contexte
historique hors du commun, même s‟il reste lié à l‟histoire mauricienne. Reprenons les
propos de Nathacha Appanah à ce sujet : « il n‟y a eu aucune transmission, aucune
mémoire. C‟est comme si un monde parallèle s‟était ouvert pendant quatre ans à
Maurice, ils sont venus, ils sont restés, ils sont repartis. »
73
Ainsi, le cloisonnement
des Juifs et l‟absence de contact avec le monde extérieur expliquent que les Mauriciens
eux-mêmes ne furent pas au courant de ce fait. Quant à notre écrivaine, elle l‟a appris
d‟un collègue lorsqu‟elle était journaliste. Loin de négliger la chose, comme étant un
simple événement historique comme tant d‟autres, Nathacha Appanah ne put rester
indifférente à ce souvenir. Ayant toujours cru que l‟Île Maurice n‟avait rien à voir avec
le conflit mondial et qu‟elle n‟en portait aucune trace, cette découverte fut
remarquable. En France, elle réalisa l‟importance de la Seconde Guerre Mondiale dans
la vie quotidienne. Ayant appris l‟existence d‟un cimetière juif à l‟Île Maurice il y a
une quinzaine d‟années, elle va tenter de rejoindre les deux éléments, c‟est-à-dire « la
Grande Histoire et la petite histoire », pour reprendre ses propres paroles. Il s‟agit ainsi
de révéler au monde, mais aussi aux Mauriciens une période de l‟histoire qui est restée
dans l‟oubli et qui renferme un souvenir poignant. A ce stade, il est indispensable de
réitérer que l‟écrivaine ne vise pas à jouer le rôle d‟une historienne travaillant à
72
Vide Entretien avec Nathacha Appanah, Un autre horizon mauricien. Disponible
sur : <http://livres.fluctuat.net/nathacha-appanah/interviews/2432-un-autre-horizon-mauricien.html>
(consulté le 28. 11.2009)
73
Vide Disponibe sur : <http://www.zone-littéraire.com/zone/interviews/une-soeur-mauricienne> (consulté
le 30.11.2009)
129
rapporter méticuleusement l‟Histoire. Elle en a déjà fait mention dans une
interview : « J‟ai toujours voulu raconter des histoires à hauteur d‟Homme. Je ne suis
pas historienne, mais je trouve que c‟est très intéressant. »74 « Je suis une romancière,
mon but n‟est pas de dire une vérité implacable mais d‟être au plus juste des choses et
dans la plus grande sincérité qui soit. »
75
Il est également à remarquer que le dernier
roman de Nathacha Appanah diffère des Rochers de Poudre d’or par sa démarche
narrative, car il s‟agit dans le premier cas d‟une narration plus personnalisée, plus
intimiste, car en effet, le personnage principal, joué par Raj, se trouve confronté à une
terrible réalité lorsqu‟il apprend la vérité à propos de la prison de Beau-Bassin et de
l‟oppression des Juifs. Cela le contraint à s‟interroger à propos de l‟attitude qu‟il aurait
dû adopter face à l‟Histoire apparue sous la forme d'un pauvre petit Juif. Dans ce cas
précis, il s‟agit d‟une découverte non seulement pour le lecteur, mais aussi pour le
personnage lui-même qui se trouve alors amené à se remettre en question par rapport
au passé. En bref, la présence d‟un contexte historique peut parfois influencer la
psychologie des personnages dont l‟attitude aurait pu être différente, si les
circonstances avaient été autres. La toile de fond peut ainsi avoir un certain impact sur
la trame narrative d‟un roman. En dernier lieu, exposer une affaire historique à travers
une histoire romancée pourrait relever du devoir moral d‟un écrivain face à la
condition humaine. Dans le cas du Dernier frère, il s‟agit de faire connaître le sort
infligé aux Juifs, tout en dénonçant implicitement le silence coupable de certaines
autorités. A ce titre, citons les propos opportuns de Shenaz Patel quant à la
responsabilité morale de l‟écrivain : « Si l‟écrivain a un rôle quelconque à jouer, (ce
qui demeure une question posée), c‟est peut-être pas seulement d‟inventer des
histoires, mais aussi de ne pas laisser mourir les histoires qui existent autour de lui, et
qui demandent à être racontées pour ne pas sombrer dans l‟oubli et le silence. Et le
romanesque me semble, au fond, un moyen privilégié de rendre plus réel, plus vivant,
74
Vide Entretien avec Nathacha Appanah, Un autre horizon mauricien. Disponible sur :
<http://livres.fluctuat.net/nathacha-appanah/interviews/2432-un-autre-horizon-mauricien.html> (consulté le
28.11.2009)
75
Vide Interview de Nathacha Appanah. Disponible sur : <http://www.biblioblog.fr/post/2007/11/04/720interview-de-nathacha-appanah> (consulté le 26.11.2009)
130
de donner une chair, un sang, des yeux, une respiration, une incarnation à une histoire
qui pourrait autrement rester uniquement une affaire de dates et d‟événements. »76
Après avoir étudié les évènements historiques à l‟origine des deux quêtes entreprises
par les engagés indiens et les Juifs, il faut rappeler que les romans de Nathacha
Appanah ne se réduisent pas à des ouvrages de nature purement historique, qui
chercheraient uniquement à reproduire la réalité le plus fidèlement possible. La fiction
y joue un rôle majeur. Ainsi, le thème de la quête sera également analysé d‟un point de
vue fictif, à travers un suivi de l‟itinéraire des personnages peuplant le monde
romanesque de Nathacha Appanah.
76
Vide Disponible sur : <http://www.kiltir.com/francais/b0033/silence_chagos_pourquoi.shtml>
131
Chapitre IV
La quête des personnages
132
CHAPITRE IV
La quête des personnages
IV.1. Le concept de la quête et son évolution
Cette partie de la thèse s‟efforcera d‟analyser le concept même de la quête à travers les
quatre romans de Nathacha Appanah. Avant d‟entrer dans le vif du sujet, il serait
primordial de définir ce qu‟est une quête ainsi que son évolution sémantique tout au
long du champ littéraire. Le mot « quête » vient du latin classique, quaerere, signifiant
« chercher ». Selon une définition, le terme « désigne l'action de chercher à trouver, à
découvrir. Par extension, une quête peut être une mission suivie par des personnes qui
se consacrent à recueillir ou parvenir aux buts qu'ils se sont donnés »77. Il s‟agit d‟une
notion fonctionnelle et fondamentale que l‟on retrouvait tout particulièrement dans la
littérature médiévale qui a produit des récits de quête. Le cycle romanesque immense
consacré aux romans de chevalerie offre le parfait exemple d‟une quête que le héros se
doit d‟accomplir afin de combler le manque qui caractérisait la situation initiale. La
quête peut intervenir de manière moins explicite dans n‟importe quel type de récit,
mais l‟analyse structurelle permettra de révéler sa fonction. D‟autres récits peuvent
constituer des quêtes sous des formes très diverses. Par exemple, le récit d‟un voyage,
d‟une guerre, d‟une poursuite, d‟une survie ou d‟une méditation, autant de thèmes qui
se rattachent à cette notion puisqu‟ils visent des objets divers. Ainsi, il ne serait pas
évident d‟énumérer tous les différents types de quête. Si l‟on remonte au XIIème
siècle, la tradition médiévale chrétienne évoque „le Graal‟, une mystérieuse coupe
sacrée, qui fut l‟objet d‟une quête menée par les Chevaliers de la Table Ronde au
service du Roi Arthur. Au XIIIème siècle, d‟après une mythologie, les Argonautes
étaient en quête de la Toison d‟Or, toison d‟un magnifique bélier ; ensuite, il s‟agit de
chercher l‟amour avec Tristan et Iseut. Dans les ouvrages tels que La recherche de
l’absolu de Balzac ou A la recherche du temps perdu de Proust, il s‟agit de la quête
d‟un secret rattaché au passé. Les œuvres poétiques de Baudelaire ou les romans de
77
Vide Disponible sur :< http://fr.wikipedia.org/wiki/Qu%C3%AAte > (consulté le 24.01.2009).
133
Sartre sont porteurs d‟une quête, mais à différents niveaux et sous diverses formes.
Ainsi, ce thème est l'objet de plusieurs œuvres de fiction. La littérature a toujours
conféré une place privilégiée à ce thème qui a souvent fasciné l‟imagination des
auteurs depuis des siècles. D‟une manière générale, une quête s‟avère nécessaire
lorsqu‟il y a un manque ou lorsqu‟un but doit être atteint. Jadis, les personnages étaient
à la quête de trésors cachés ; ensuite, ce fut la quête de concepts abstraits, tels que
l‟amour, la liberté, le bonheur,... De nos jours, les ouvrages littéraires nous confrontent
à des personnages, qui sont en quête d‟identité. La quête matérielle est devenue une
quête de nature plus philosophique ou psychologique. Son déroulement peut prendre
diverses formes, mais les obstacles sont toujours inévitables. Par ailleurs, l‟issue d‟une
quête revêt une importance non négligeable, puisqu‟elle détermine la destinée du
personnage qui peut en ressortir vainqueur ou bien vaincu. Si l‟on analyse les ouvrages
de Nathacha Appanah, ils révèlent des personnages amenés à poursuivre leur existence
dirigée par une quête qui les mènera à se confronter à la réalité des choses. Notre
attention s‟est portée sur le fait que chacun des quatre romans nous met en face de
personnages en quête d‟un certain but, mais qui dépend d‟une logique interne qui lui
est propre. Par ailleurs, le déroulement de la quête marque une certaine évolution
psychologique chez le personnage qui tente tant bien que mal, d‟être en accord avec sa
conscience, tout en s‟adaptant aux circonstances sur lesquelles il n‟a aucun contrôle.
Cette analyse se fera en trois étapes, à commencer par l‟origine de la quête, son
éventuel déroulement, ainsi que son aboutissement.
IV.2. La Quête dans Les Rochers de Poudre d’Or
En ce qui concerne ce premier roman, le thème de la quête est intimement lié au
contexte historique, sans lequel il n‟aurait lieu d‟être. Des circonstances variées
amènent des Indiens, vers la fin du XIXème, à entreprendre un long trajet vers l‟Île
Maurice. Dans ce cas précis, la quête est présente sous deux formes : elle est soit
voulue, elle est soit forcée.
Une quête est voulue lorsqu‟elle est recherchée, désirée par le protagoniste. Ce dernier
décide volontairement de poursuivre sa quête et il est déterminé à affronter les
134
obstacles rencontrés en chemin. La quête est forcée lorsqu‟elle est entreprise à
contrecœur, après un certain dilemme durant lequel l‟esprit du protagoniste est tiraillé
par l‟angoisse et le désespoir. Le protagoniste est ainsi contraint à poursuivre une quête
sans l‟avoir particulièrement choisi de son bon gré et doit également faire face à des
entraves inattendues durant son trajet.
IV.2.1. Les deux facettes de la quête
Commençons par le personnage de Badri, le joueur de cartes, « par excellence ». Le
jeune Indien, qui vit dans un village, semble passer son temps à faire des parties de
cartes avec sa bande d‟amis, malgré les réprimandes de ses parents. En dépit de ses
espiègleries, Badri nourrit secrètement une ambition : s‟embarquer dans un grand
bateau et travailler pour des Blancs. Les récits de son ami l‟influencent également à
s‟imaginer travailler dans un grand navire, parmi des Blancs, et à devenir « plein aux
as », en peu de temps afin de pouvoir mener une existence sans souci. C‟est pourquoi il
saisit l‟occasion pour voir son rêve se concrétiser. Lorsque Badri perd tout l‟argent
qu‟il a misé durant une partie de cartes, il décide de quitter son village, ne pouvant
affronter les moqueries et les réprimandes qui l‟attendaient s‟il se faisait prendre. Les
circonstances semblent d‟abord contraignantes ; toutefois, le jeune homme utilise cet
incident comme un prétexte pour partir à Agra, première étape de sa quête. Ainsi, il est
clair que Badri recherche un moyen facile de gagner aisément sa vie. Son imagination
nourrit également son ambition. Espérant travailler pour des Blancs sur un bateau,
Badri apprend que son travail est confiné à l‟intérieur d‟un champ de cannes à sucre. Il
espère toujours pouvoir gagner de l‟argent par d‟autres moyens. Son ambition est telle
qu‟il est convaincu de pouvoir revenir un jour à son village natal avec une fortune
considérable. En ce qui concerne ce personnage, il s‟agit notamment d‟une quête
monétaire.
Passons maintenant à Vythee Sainam, originaire d‟un village dénommé Manavalli.
Contrairement à Badri, ce jeune homme est un travailleur plutôt acharné prêt à gagner
sa vie par l‟agriculture. Il ne rêve pas de richesses, mais de fraternité retrouvée.
135
Cependant, certaines contraintes externes, telles que la sécheresse et le manque d‟eau,
ne lui permettent pas de travailler la terre. Malgré ce problème, Vaithee a une raison
supplémentaire de vouloir quitter son village natal : répondre à l‟appel de Jay, son
frère aîné travaillant comme engagé à l‟Île Maurice. En dépit de ses nombreuses lettres
le pressant de venir le rejoindre à Maurice, Vaithee n‟a jamais eu le désir
d‟abandonner le monde qu‟il connaissait depuis sa naissance, étant attaché à sa terre
natale. Toutefois, plus le temps avançait, plus l‟envie de rejoindre Jay devenait plus
forte. Comme dans le cas de Badri, les circonstances poussent Vaithee à poursuivre sa
quête : rejoindre son frère par tous les moyens. Ainsi, il s‟agit surtout d‟une quête de
nature plus personnelle, puisqu‟il s‟agit de rejoindre un des siens. Badri et Vaithee
poursuivent le même genre de quête. Elle est voulue, désirée, entreprise
volontairement par le personnage, dans l‟espoir de changer son existence.
Chotty Lall représente, quant à lui, le paysan indien typique, submergé par sa dette. Ce
pauvre paysan d‟âge moyen est certes endetté envers un « zamindar », qui ne lui
montre aucune pitié. Malgré ses efforts acharnés, ce que Chotty gagne suffit à peine à
nourrir sa famille. La dette, accumulée par son père ne cesse de s‟accroître au fur et à
mesure que les jours passent. Entretemps, il entend parler de l‟arrivée d‟un recruteur,
venu embaucher des gens pour travailler à Maurice. Chotty est curieux de savoir de
quoi il s‟agit. C‟est, en fait, son épouse, Reshmee, qui le force littéralement à
s‟engager auprès du recruteur. Après réflexion, le paysan se voit amené à donner son
nom au recruteur. Cependant, cette décision s‟est faite sur de faux espoirs. En effet,
Chotty pense pouvoir revenir au pays natal après un an, mais le trajet de retour ne se
déroulera qu‟après cinq ans. Cette nouvelle choque l‟Indien, qui s‟apprête même à
revenir sur sa décision. Mais sa dette ainsi que son devoir de fournir à sa famille une
meilleure condition de vie obligent le pauvre paysan à poursuivre son trajet tant bien
que mal. Il s‟agit dans ce cas précis d‟une quête non voulue que le personnage
entreprend, parce qu‟il est aux prises avec des circonstances astreignantes.
Finalement, le seul personnage féminin de ce corpus est Ganga. Alors que les autres
personnages du roman sont issus de la classe moyenne, Ganga appartient à une famille
136
royale. Tout va à merveille dans sa vie jusqu'au décès soudain de son jeune mari au
lendemain de ses noces. Ce drame cause à la jeune princesse une violente émotion.
Avant même qu‟elle puisse se ressaisir, Ganga est confrontée à une situation
inattendue : selon le rituel hindou, l‟épouse est censée mourir dans le bûcher avec son
mari. Toutefois, la jeune veuve n‟est pas prête à s‟assujettir à une telle tradition.
Réalisant que sa vie est en danger, elle est contrainte à prendre rapidement une
décision. Comme dans le cas de Chotty, Ganga est également sous le poids de facteurs
externes, représentés cette fois par des contraintes religieuses. Selon les
recommandations de sa femme de chambre, elle se résout à quitter le palais en
cachette. Ainsi, Ganga se retrouve embarquée malgré elle dans une aventure
inattendue. Dans ce dernier cas, la quête est notamment rattachée à une question de
survie du protagoniste qui se voit contraint à s‟engager dans une voie imprévisible,
seule manière de rester en vie.
A part ces personnages principaux, le récit fait mention de personnages secondaires,
telles que Roy, Das, Jotsana, Sandhya et Madri, dont l‟étude ne serait pas inutile.
Certains sont venus à Maurice en quête d‟un certain but, d‟autres ont été victimes des
circonstances. Roy, qui venait du Bihar, rêvait de s‟embarquer vers Maurice comme
l‟avaient fait avant lui ses confrères villageois et d‟en revenir richissime. Quant à Das,
habitant de Mumbai, c‟était un orphelin qui gagnait sa vie avec son rickshaw. C‟est
après avoir rencontré Roy que ce jeune rickshawalla se prend l‟envie d‟aller à la
découverte de cette île où l‟on pouvait, soi disant, trouver de l‟or caché sous les
rochers. Il est intéressant de remarquer que cette rumeur, propagée probablement par
les recruteurs, faisait son effet en incitant de nombreux jeunes à s‟élancer dans cette
aventure tout au plus périlleuse. Jotsana, vendeuse de fleurs, a dû se soumettre à ses
obligations conjugales en suivant son mari Vinod, qui s‟était porté volontaire pour
partir à Maurice, voulant gagner davantage que ce que pourrait lui rapporter son métier
de batelier. Sandhya et Madri sont, ce qu‟on peut appeler, de „vieilles filles‟,
abandonnées à leur sort par leur frère aîné qui a échoué d‟accomplir ses devoirs en
n‟ayant pas pris la peine de leur trouver de bons partis. Ainsi, les deux sœurs n‟avaient
eu aucun autre choix pour gagner leur pain que de quitter leur nation et vivre seules
137
dans cette île. Dans les Rochers de Poudre d’Or, le concept de la quête revêt des
dimensions variées par rapport à l‟état d‟esprit du protagoniste, victime de
circonstances particulières.
IV.2.2. Une quête unifiante
Elle se veut tout à fait particulier dans ce roman, car elle permet de réunir tous les
personnages cités précédemment dans une trame similaire. En effet, selon que la quête
soit voulue ou forcée, elle amène les protagonistes à quitter leur patrie mère et à
traverser l‟océan, vaste espace qui a toujours été une cause de frayeur parmi les
Indiens. L‟auteure fait ainsi se rejoindre quatre personnages, originaires d‟horizons
différents, mais ayant un point de chute commun. Ainsi, ils embarquent à bord de
l‟Atlas, l‟intermédiaire qui leur permettra de franchir non sans difficulté la première
étape de leur quête. Il n‟est pas rare que certains, comme Chotty Lall, succombent dès
le commencement de l‟épreuve. Les autres personnages ne sont guère épargnés,
puisqu‟ils doivent faire face aux pires expériences afin de rester en vie. Vaithee se voit
confronté à la mort des siens, tout en gardant son sang-froid ; quant à Badri, il doit
supporter les humiliations des Blancs. Enfin, Ganga semble avoir l‟apparence d‟une
proie facile, car en tant que sexe féminin, elle n‟est perçue que comme un objet
d‟attraction voué à procurer du plaisir. Ainsi, elle se fait presque agresser
physiquement par le Dr. Grant, le médecin de bord. En ce qui concerne le reste des
engagés, leur sort n‟est nullement enviable. Tous les volontaires ayant décidé de tenter
leur chance à l‟Île Maurice sont contraints de supporter les vicissitudes du trajet :
entassement bestial des Indiens dans la cale, l‟invasion de rats, l‟humiliation constante
des Blancs, la souffrance des corps et les conséquences du mal de mer, l‟hygiène
précaire et la nourriture non nutritive et exécrable font de la traversée un véritable
enfer. Toutes ces entraves sont le prix à payer pour pouvoir entreprendre leur quête.
Par ailleurs, les engagés indiens doivent également supporter les aléas du temps.
Certains sont victimes d‟infection contagieuse, comme la diarrhée, le choléra ou les
vomissements, d‟autres souffrent de troubles psychologiques, dûs à leur crainte
obsessionnelle de traverser le kalapani. Ces troubles les mènent parfois à des actes
138
suicidaires. Quoiqu‟il en soit, seuls les plus braves, les plus téméraires, surtout ceux
qui ont su garder leur sang- froid, pourront survivre à cette traversée, franchissant ainsi
l‟étape initiale de leur quête. Arrivés sur la terre considérée par certains comme
l‟eldorado et par d‟autres comme la terre de délivrance, ils s‟attendent tous à voir leurs
rêves se réaliser.
IV.2.3. L‟issue de la quête
La question cruciale que l‟on se doit poser est la suivante : les engagés indiens ont-ils
trouvé ce qu‟ils cherchaient ? Cette question nous amène à nous interroger sur l‟issue
de leur quête. D‟une manière générale, le bilan ne semble guère totalement positif.
Comme nous l‟avons déjà mentionné, le paysan Chotty Lall n‟a pu survivre jusqu‟au
bout de sa quête, laissant sa famille sombrer dans la pauvreté et la dette.
Quant à Vythee Sainam, l‟on sait qu‟il a quitté sa nation dans le seul but de rejoindre
son frère Jay, employé dans le domaine de Mont Trésor. Malheureusement, le destin
en a voulu autrement. Son contrat est tel que Vythee se retrouve au service d‟un
propriétaire français, M. Rivière, résidant à Poudre d‟Or. Selon son contrat, il doit
travailler pour ce dernier pendant une période de cinq ans. Vythee tente pourtant de
persuader son patron de le libérer de ses fonctions en échange d‟une compensation,
mais en vain. Il est ainsi condamné à rester dans une terre inconnue, séparé de son
frère qu‟il ne pourra retrouver qu‟après l‟expiration de son contrat.
Le cas de Badri n‟est guère plus enviable, car il se retrouve dans une situation
misérable. Habitué à exécuter des taches simples, Badri se trouve confronté à
d‟énormes tiges de canne à sucre qu‟il doit couper : c‟est bien au dessus de ses forces.
C‟est alors que le jeune joueur de cartes réalise que le concept de l‟argent gagné
facilement n‟a plus de sens sur cette nouvelle terre. Ainsi, son rêve de pouvoir
s‟enrichir sans se donner trop de peine, dans la mesure de ces capacités, et de vivre en
toute liberté se voit briser en mille morceaux. Cependant, Badri ne s‟affirme pas
vaincu. Sa témérité le pousse à s‟échapper du domaine de Poudre d‟Or, dans l‟espoir
139
de trouver d‟autres Anglais et de poursuivre sa quête. Ses efforts se révèlent futiles, car
il se retrouve condamné à casser des pierres pour le restant de ses jours, punition pour
s‟être échappé d‟un domaine sans permission. En ce qui concerne Badri, sa quête ne le
mène nulle part, ou plutôt au fin fond de la misère.
Ganga semble être la seule à avoir réussi, partiellement, à atteindre l‟objet de sa quête :
la survie. Dans le domaine de M. Rivière, sa vie n‟est effectivement pas en danger.
Toutefois, contrairement aux autres, seul l‟accomplissement de diverses tâches ne
suffit pas à assurer sa survie. Celle-ci s‟accompagne d‟un prix à payer. Ganga est bel et
bien en vie, mais elle est contrainte de sacrifier ses sentiments, ses désirs, ses émotions
pour devenir la courtisane du vieil homme, M. Rivière.
Quant à Das et Roy, ils semblent avoir sacrifié leur jeunesse en échange de quelques
pièces gagnée après un dur labeur. Au fond, nous avons l‟impression qu‟ils auraient pu
être plus heureux dans leur pays. Jotsana avoue qu‟elle aurait pu se contenter de sa
simple vie de vendeuse de fleurs, si son mari n‟avait pas décidé de refaire sa vie
ailleurs. Même si l‟on ne sait rien à propos du sort des deux sœurs célibataires, l‟on
peut facilement imaginer qu‟elles sont restées domestiques jusqu'à la fin de leurs jours.
Par conséquent, ces hommes et femmes se sont engagés dans une aventure qu‟ils
espéraient magique et unique pour finalement se retrouver dans des conditions de
travail inhumaines et parfois pires que celles qu‟ils subissaient déjà, loin de leur
famille. Il s‟agit là du récit d‟un leurre, d‟une duperie gigantesque aux conséquences
dramatiques.
IV.3. La Quête dans Blue Bay Palace
Blue Bay Palace nous confronte à un personnage dont la quête change et évolue au fur
et à mesure des événements perturbateurs qui se déroulent dans sa vie. Ce second
roman de Nathacha Appanah évoque l‟amour, ou plutôt le désamour autour duquel se
forment la quête de Maya, le protagoniste principal.
140
IV.3.1. Une quête changeante
Durant son enfance, cette jeune Mauricienne de 18 ans avait un désir caractéristique
des personnages insulaires : quitter l‟île, afin de s‟élancer dans l‟exploration du monde.
D‟autres membres de la famille avaient déjà fait ce choix. Ainsi, Maya cite l‟exemple
de sa tante maternelle travaillant comme infirmière en Angleterre. Quand elle était
petite, elle souhaitait « monter à la capitale, devenir fonctionnaire et travailler de neuf
à quatre dans un de ces bureaux climatisés où l‟on vous apporte le thé deux fois par
jour. »
78
Elle confirme cette même quête d‟un avenir prometteur par les propos
suivants : « Ȇ tre fonctionnaire, c‟était, pour moi, la certitude de sortir de Blue Bay et
la garantie d‟un boulot à vie où je n‟aurais pas à servir des touristes.»79 Elle voulait en
réalité perpétuer une tradition qui était inscrite dans les familles mauriciennes, celle de
partir ou au moins d‟en rêver. Ainsi, par sa quête d‟un nouvel horizon, Maya rejoint le
personnage de type insulaire souffrant d‟un certain sentiment d‟étouffement à cause du
cloisonnement insulaire.
Cependant, son destin en avait décidé autrement. Probablement, n‟a-t-elle pas pu
nourrir ce désir assez longtemps, pour qu‟il puisse se réaliser. Son désir de vouloir
partir se dissipe complètement lorsque l‟amour pénètre peu à peu dans sa vie. En effet,
Maya voit sa vie bouleversée lorsqu‟elle fait la connaissance de Dave, le jeune héritier
de l‟hôtel où elle est employée en tant que réceptionniste. Sa rencontre avec Dave,
l‟homme de sa vie, bouleversa son existence dans le sens qu‟elle affecte la nature
même de sa quête initiale. Tandis qu‟elle désirait découvrir le monde extérieur, son
coup de foudre pour Dave transforme totalement sa perspective sur le monde. Son
amour est tel que Maya désire seulement rester auprès de son bien-aimé devenu son
nouveau monde. L‟exploration du monde extérieur ne présente ainsi plus d‟intérêt
comparée à la découverte de celui entourant Dave. Sa quête est désormais tournée vers
l‟amour que lui inspire Dave avec qui elle désire se lier pour la vie à travers les vœux
du mariage. Elle est convaincue de pouvoir réaliser sa nouvelle quête qu‟elle laisse
78
79
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace, op. cit., p. 19.
Ibid., p. 19.
141
comprendre à travers ses propos : « Pour moi, notre mariage était comme acquis. […]
Dans ma tête, aucun obstacle ne pourrait venir à bout de ce que nous avions. »80 Par
conséquent, l‟on constate que sa quête change de nature puisque sa zone d‟influence
devient plus restreinte, plus limitée. L‟amour, à l‟origine de la nouvelle quête de Maya,
possède une certaine complexité dans la mesure où il s‟agit d‟un sentiment
obsessionnel où se mêle la passion amoureuse, mais aussi le désamour, la colère, la
haine, etc. En ce qui concerne Maya, sa quête revêt des formes variables, suivant son
état d‟âme qui change selon les différentes étapes de sa vie. Pareil à son désir de
quitter l‟île, son désir d‟épouser l‟homme de sa vie, ne se réalise pas. Son amour est
écrasé par des contraintes d‟ordre social puisqu‟il concerne deux jeunes gens
appartenant à différentes castes. Maya est une réceptionniste, venant d‟une famille très
modeste, alors que Dave est un riche Brahmane. Venant de deux mondes différents,
leur amour semble voué à l‟échec dès le début. La différence de castes, considérée
comme obstacle, reste une réalité actuelle dans le contexte mauricien, mais également
dans d‟autres sociétés, telles la société indienne où prévaut le mariage arrangé.
Le mariage de Dave avec une autre femme survient comme un choc mental pour la
jeune Mauricienne. L‟histoire d‟amour qui tourne au tragique pourrait sembler aux
premiers abords banal, mais la manière dont cet amour change et se manifeste, mérite
notre attention. En effet, cette nouvelle dramatique a un énorme impact sur le moral de
Maya, affectant en même temps la nature de sa quête. Victime d‟un chagrin d‟amour,
le choc d‟avoir été trompée la mène au désespoir. Le désarroi laisse vite la place à la
colère qui devient une obsession. Le sentiment amoureux envers Dave se transforme
peu à peu en un sentiment de haine que lui inspire cette nouvelle rivale. Une quête
galante va ainsi prendre la forme d‟un désir violent de vengeance. La haine de Maya
est telle qu‟elle est amenée à rechercher la vengeance, seule solution pouvant apaiser
son âme déçue et troublée par l‟infidélité de Dave. Il s‟agit d‟un choix délibéré de la
part de Maya qui ne s‟est laissée vaincre ni par son désespoir, ni par ses tendances
suicidaires. Une voie logique aurait été de se venger de Dave, celui qui l‟a trompée,
mais elle l‟aimait trop pour pouvoir le faire. Néanmoins, les pensées de Maya ont
80
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace, op. cit., p. 19.
142
commencé à se focaliser sur son « homologue », sa rivale sacrée, celle qui avait osé
prendre sa place, celle qui lui avait dérobé le bonheur qui lui était destiné. Autant de
raisons que s‟est donnée la jeune fille pour justifier ses impulsions. Celles-ci
commencent par le désir de vouloir tourmenter l‟épouse de Dave par des harcèlements
téléphoniques. Ces menaces, ces insultes proférées envers cette inconnue semblaient
conférer un certain soulagement à Maya, mais il s‟agissait de satisfaction temporaire.
Malgré le fait que ce désir de vengeance soit un choix délibéré de la part de Maya, son
obsession ne la laisse pas en paix, la torturant à travers des cauchemars incessants. Ces
derniers révélaient l‟horreur qui se cachait au fin fond de son subconscient : le désir de
tuer sa rivale.
A ce titre, il serait intéressant d‟analyser la manière dont est représenté le désir de
vengeance qui naît peu à peu dans l‟esprit de Maya. Nathacha Appanah utilise une
allégorie intéressante, pour illustrer la progression dans les impulsions du personnage.
Il s‟agit d‟une image qui revient à plusieurs reprises dans le récit après la découverte
de la trahison de Dave. L‟image, qui consiste en un robinet qui coule, goutte à goutte,
suivant un certain rythme, est associée à la cadence des impulsions de Maya. En effet,
cette image de goutte à goutte imaginaire, apparaît pour la première fois lorsque Maya
apprend le mariage de Dave. A partir de cet instant, la jeune fille se voit troublée par
son obsession de vengeance qui prend la forme d‟un robinet commençant à couler
goutte à goutte. Au fur et à mesure que son obsession grandit, le rythme de cet
écoulement s‟accélère, suggérant le caractère rebelle des pensées sur lesquelles Maya
semble peu à peu perdre contrôle. Cet égouttement, qui est également décrit comme un
« tic-tac », suit un rythme irrégulier, s‟accordant ainsi aux humeurs changeantes de
Maya. Cet écoulement imaginaire devient peu à peu une sorte de bourdonnement,
nourri par une fusion de sentiments variés, tels que la déception, la colère, le besoin de
vengeance. Ce qui n‟était qu‟un égouttement inoffensif se transforme progressivement
en un bourdonnement d‟une cadence infernale entraînant Maya à commettre un acte
fatal qui est, en fait, la concrétisation de sa quête finale. L‟on remarque que
l‟écoulement psychologique disparaît une fois la vengeance accomplie. Une logique de
nature psychologique pourrait expliquer ce phénomène d‟égouttement, qui fait
143
référence à l‟acte de débarrasser une chose du liquide qu‟elle contient. De la même
manière, Maya est au prise de puissantes impulsions, dues à son amour irréalisé. Le
choc d‟avoir perdu l‟homme de sa vie, la désillusion de voir ses projets d‟avenir
s‟écrouler devant ses yeux, l‟indignation d‟avoir perdu sa place face à une inconnue,
tout se mêle dans l‟esprit de Maya qui essaye, malgré elle de se dissoudre dans la vie
quotidienne. Toutefois, plus elle tente de refouler ses pensées, plus celles-ci
l‟obsèdent. Pareil à un robinet qui déverse son contenu, la jeune fille tente de se
débarrasser de ses obsessions. C‟est uniquement en leur donnant une forme qu‟elle
arrive à vaincre son trouble. Ainsi, après avoir concrétisé sa quête, voire son obsession
de vouloir tuer sa rivale, l‟esprit de Maya semble avoir retrouvé sa sérénité, dégagé de
toutes pensées rebelles ou malsaines. Malgré le fait qu‟elle sera condamnée à
comparaître devant les autorités pour « homicide volontaire », Maya ne semble guère
s‟en soucier, puisqu‟elle paraît avoir atteint une certaine harmonie avec sa conscience
qui a cessé de la ronger.
IV.3.2. Un résultat ambigu
Passons maintenant à l‟aboutissement de la quête de Maya qui a connu une évolution
considérable. Il s‟agit d‟un bilan mitigé, dans la mesure où notre protagoniste n‟a pu
accomplir ce qu‟elle recherchait : quitter l‟île et épouser l‟homme de sa vie.
Cependant, elle se retrouve triomphante dans sa quête finale. En effet, bien que ses
quêtes initiales n‟aient pas connu le jour, cette jeune Mauricienne a pu concrétiser sa
dernière quête, se venger de sa rivale. Il s‟agit d‟un aboutissement qui lui confère un
réconfort moral tout en apaisant son état d‟âme. L‟on pourrait remarquer qu‟il s‟agit
d‟un aboutissement qui paraît positif à la surface, mais qui semble plutôt dérisoire,
puisque Maya a compromis sa liberté afin d‟arriver à ses fins. Sans envisager les
conséquences de son acte, le récit se clôt néanmoins sur la figure rayonnante de Maya,
qui nage, littéralement, dans le bonheur.
144
IV.4. La Quête dans La Noce d’Anna
Racontée à la première personne comme Blue Bay Palace, La Noce d’Anna concerne
la vision d‟un personnage tourné vers son passé menant à une analyse rétrospective de
soi-même. Résumons brièvement la situation de Sonia : elle a quitté volontairement
Maurice afin de se lancer dans la découverte du monde ; après avoir connu la passion
amoureuse, elle choisit de vivre en tant que mère célibataire, tout en gagnant sa vie à
travers l‟écriture. L‟on apprend qu‟elle fait partie des personnages insulaires, puisque,
très jeune, elle s‟est décidée à quitter l‟Île Maurice sans le moindre regret, car elle
rêvait d‟un ailleurs différent de son entourage quotidien qui lui ferait sentir de
nouvelles sensations insolites. En effet, elle mourrait d‟envie « de prendre le métro, de
sentir le froid [lui] mordre le nez,…, de grelotter,…, toucher la neige, la goûter, mettre
des gants, boire du chocolat chaud, voir les feuilles virer à l‟orange… »
81
Bref, elle
recherchait tout ce qu‟elle ne pourrait trouver dans son magnifique pays. Dans le cas
du personnage de Sonia, il s‟agit essentiellement d‟une quête psychologique, puisque
rien ne semble manquer dans sa vie. Elle a un métier, une fille pour elle et quelques
souvenirs de son île natale. Cependant, nous sommes amenés à nous demander si cela
est suffisant pour combler le vide de son existence.
IV.4.1. Les origines d‟une quête psychologique
La narration commence le matin du 21 avril et se termine la nuit de cette même
journée dont les étapes forment la trame du récit. Ces noces seront pour cette jeune
mère l‟occasion de faire le point de son existence, afin de voir les choses au clair. Ce
que Sonia recherche avant tout, c‟est se rapprocher le plus possible de sa fille, qui
n‟était guère son portrait craché. Durant son enfance, des traits physiques distinctifs
semblaient séparer la mère et la fille. Les regards extérieurs semblaient parfois douter
de leur rapport, en voyant la couleur du teint et des cheveux. Tandis que la petite Anna
avait des cheveux blonds, une peau fine et rouge qui lui donnait l‟air d‟une petite
81
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 72.
145
Française, Sonia était une « femme…brune, les cheveux noirs, une étrangère. »
82
Au
delà de ces différences physiques qui ont disparu avec le temps, Sonia cherchait
surtout à vouloir lire les pensées de sa jeune fille. Vouloir se rapprocher de sa jeune
fille impliquait pour Sonia être une mère exemplaire, le souhait probable d‟Anna, tout
en ayant conscience de ses lacunes en tant que mère. En même temps, elle ne pouvait
s‟empêcher de rechercher une certaine complicité, plutôt interdite, avec sa fille. Cette
contradiction caractérise sans doute le portrait de cette jeune mère qui veut parfois
dépasser son simple rôle maternel afin de créer un rapport intime avec sa fille. C‟est un
certain sentiment de manque apparent qui contraint Sonia à se poser des questions et à
se demander ce qu‟elle cherche dans sa vie. Ce manque est sans doute né de plusieurs
raisons : sa séparation volontaire avec Matthew, considéré pourtant comme l‟homme
de sa vie, l‟écart psychologique vis-à-vis de sa fille, l‟absence d‟un compagnon de
« route », ou plutôt d‟un partenaire qui semble accentuer sa solitude. Sonia cherche
toujours à être sur la même longueur d‟onde que sa fille. En ce qui concerne son
rapport avec sa fille, Sonia est surtout en quête de lucidité face à des gestes, des mots,
des décisions qui la remettent en cause en tant que mère. Les questions qu‟elle est
amenée à se poser ne la laissent guère en paix. « Comment se fait-il que ma fille soit si
différente de moi, que ses envies et ses désirs soient si éloignés des miens ? »83.
Certaines pensées la rongent, ce sentiment de culpabilité s‟exprime précisément à
travers cette question : « ai-je été une mère distante, absente, faite de cendres et de
fumée ? »84 Cette différence la rend quelque peu coupable de ne pas avoir pu remplir
pleinement ses devoirs de mère et d‟avoir privé sa fille de la présence et de l‟affection
paternelles. En effet, Sonia n‟a jamais pris le temps de raconter à sa fille le mystère de
son père anglais disparu avant sa naissance, renforçant ainsi l‟incompréhension qui n‟a
cessé de grandir entre mère et fille tout au long des années. Ce n‟est que durant les
noces que Sonia prend conscience de la solitude entourant sa petite famille. Ainsi, elle
désire se rapprocher de sa fille, tant bien que mal, en tentant d‟effacer les différences.
Par ailleurs, il est intéressant de remarquer qu‟en tant que personnage féminin, jouant
le rôle d‟une bien-aimée, ainsi que d‟une mère, Sonia va à l‟encontre des clichés
82
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 102.
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 70.
84
Ibid., p. 15.
83
146
romanesques. En effet, elle n‟a pas cherché à retenir l‟homme de sa vie et à faire durer
son bonheur, craignant de s‟engager dans une existence d‟enfermement. Vis-à-vis de
son rôle maternel, Sonia n‟est pas le genre de la mère couveuse sans cesse aux petits
soins à l‟égard de son enfant. Au contraire, elle souhaite que sa progéniture puisse tout
explorer et accueillir à cœur ouvert tous les plaisirs et tous les bienfaits que la vie peut
lui offrir avant de s‟embarquer dans l‟institution du mariage.
Du côté sentimental, ce n‟est que très tard qu‟elle semble réaliser sa faute : elle a tout
simplement laissé échapper le bonheur qui était à portée de la main en n‟ayant
volontairement rien fait pour empêcher Matthew de partir. Son remords s‟exprime à
travers ces propos : « pour la première fois, je me demande si je n‟ai pas eu tort de ne
pas l‟ [Matthew] avoir cherché, de ne pas avoir insisté un peu pour qu‟il reste auprès
de moi, peut-être si j‟avais pleuré, crié, hurlé mon amour, serait-il resté ? »85 Elle
avoue même qu‟elle avait « vécu le début de quelque chose que bien des hommes et
des femmes passent leur vie à chercher. »
86
L‟on peut ainsi imaginer les souffrances
d‟une femme après un tel aveu. Après sa séparation avec Matthew, Sonia semble être à
la recherche d‟une rencontre qui pourrait lui apporter la même sérénité dont elle a tant
besoin. Elle confirme cette quête par les propos suivants : « je n‟aurais pas cherché
cela, cette quiétude, cette sérénité, cette douceur mêlée à de la passion, chaque fois que
je rencontre un homme. »87 Il s‟agit d‟un besoin plus psychologique que physique
qu‟elle exprime à travers ces mots : « l‟acte sexuel ne me manque pas, seulement la
présence d‟une personne à mes côtés. Une douce présence… »
88
Afin de ne pas
perturber le monde qu‟elle avait formé avec sa fille, Sonia ne s‟est jamais attachée à un
homme, se privant ainsi de relations amoureuses à long terme. Elle n‟est pas arrivée à
concilier le fait de vouloir vivre une relation maternelle avec sa fille et maintenir
simultanément une relation durable avec les hommes. Pourtant, la vue d‟un couple ne
la laissait guère indifférente. D‟ailleurs, un certain trouble l‟envahit malgré elle
lorsqu‟elle voit Anna et Alain s‟échanger des regards amoureux. Certains incidents la
85
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 50.
Ibid., p. 44.
87
Ibid., p. 44.
88
Ibid., p. 111.
86
147
perturbent en lui rappelant son espoir de vouloir vivre pleinement une vie auprès d‟un
homme pour qui elle représenterait toujours une femme désirable.
Avec Anna à ses côtés, Sonia avait une raison d‟être qui faisait en quelque sorte
marcher le train de sa vie quotidienne, mais la pensée de sa séparation avec sa fille
place cette mère dans un autre dilemme : le but de son existence. « A quoi vais-je
servir désormais ? »89 Sans Anna, sa vie lui semblait dénuée de sens. C‟est en
observant sa fille au seuil du mariage qu‟elle prend conscience que sa vie est
finalement ratée, puisqu‟elle a manqué de combler le vide de son existence. Cette
frustration s‟exprime à travers ces propos : « je tremble de la houle d‟insatisfaction qui
me remplit : qu‟ai-je fait de ces années, de cette vie, des chances que j‟ai eues, de
toutes les rencontres dont auraient pu surgir l‟amitié, l‟amour ? »90, Lorsqu‟il lui arrive
de se retourner vers son passé, Sonia a l‟impression que seul le néant persiste, que la
malchance la poursuivait. Son remords ressurgit de temps en temps, mais avec plus
d‟intensité. Il va même jusqu'à remettre en cause tout ce qu‟elle a vécu jusqu'à présent,
la faisant se sentir misérable. « quelqu‟un va se rendre compte que je ne suis qu‟une
imposteur, que je ne sais pas écrire, que je ne sais pas élever un enfant, que je ne sais
pas garder un homme… »91
La cause principale de sa frustration réside sans doute dans le fait que cette mère
célibataire possède une double personnalité : une facette renferme un être qui s‟est
sans cesse retenu de laisser libre cours à ses sentiments, mais une autre partie d‟elle
meurt d‟envie de s‟exprimer, de s‟extérioriser, de suivre ses intuitions et de sortir de
cette vie étouffante. Ce qui explique qu‟au delà de ses rapports avec sa fille et le
manque dans sa vie personnelle, Sonia semble quelque peu mal dans sa peau. Elle
semble souvent attirée par la nature qui s‟offre à elle à travers ses traits les plus
véridiques. Les paysages sauvages l‟attirent tel qu‟un aimant. Cette sorte d‟attirance
envers la nature prouve qu‟elle aspire souvent à vivre en marge de la société, en évitant
de se mêler à la monotonie des actes quotidiens. Sonia contient en elle une certaine
89
Ibid., p. 52.
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 69.
91
Ibid., p. 108.
90
148
sauvagerie, qui l‟amène parfois à vouloir fuir les contacts humains. Ce malaise est tel
qu‟il se traduit même dans sa carrière d‟écrivaine, son autre vie, car elle se rappelle
souvent le sujet de son dernier roman, centré sur la culpabilité d‟un enfant. La vie de
Sonia ressemble à ce roman qu‟elle a du mal à écrire, mais qu‟elle voudrait bien
terminer. L‟on pourrait établir un parallélisme entre ce thème et son existence marquée
par le remords. N‟est-ce qu‟une simple coïncidence si cet intérêt pour ce roman, suivi
d‟un sentiment de culpabilité ressurgit, juste quelques mois avant la noce d‟Anna ? Un
événement qui devrait la réjouir ne fait que lui rappeler son échec. Au delà de ses
troubles sentimentaux et maternels, Sonia semble en quête d‟une identité qui apparaît
en filigrane à travers certains extraits. Ayant pourtant vécu plus de vingt ans en France,
elle ne se sent pas entièrement adoptée par le pays, malgré les efforts continuels pour
faire partie d‟une société occidentale pour laquelle elle a rejeté tout lien avec son pays
natal. Malgré son manque de regret de n‟avoir aucun contact avec son île, elle ne peut
refouler certaines images rattachées à Maurice, dont la beauté ne lui est jamais
indifférente. En même temps, elle avoue être contente de vivre en France, surtout en
raison de sa carrière et à la présence de sa fille. Cependant, Londres occupe également
une place spéciale dans sa vie, grâce à Matthew et aux doux souvenirs de son premier
amour. Ainsi, Sonia semble déchirée par ses différents repères sur lesquels elle n‟a pas
de réel appui. La narratrice aborde ainsi la question d'une identité constamment en
mutation. A ce titre, elle s‟assimile même à un de ces« arbres aux racines adventices,
affleurant le sol, pouvant se faire balayer d‟un coup de vent mais qui tout aussi vite
peuvent s‟accrocher à n‟importe quelle terre. »92
IV.4.2. Un déroulement contradictoire
Sonia et Anna entretiennent une relation assez originale tout en gardant une affection
intense l‟une vis-à-vis de l‟autre. Ayant des rôles plutôt inversés, elles ont parfois des
rapports tendus. Mais, Sonia est déterminée à surmonter tous les obstacles afin de
détruire le mur invisible qui semble les séparer. Pour cela, elle est même déterminée à
92
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 58.
149
échanger son rôle avec sa fille, car dans cette relation mère-fille, on ne sait plus très
bien qui tient le rôle de la mère et celui de la fille. Anna est tellement grave et sérieuse
! Et Sonia tout son contraire. Les noces lui semblent alors l‟occasion la plus appropriée
pour se rapprocher de sa fille tout en exauçant son désir, celui de se comporter en mère
exemplaire, une mère capable de lire les pensées de son enfant pour qui elle pourra
tout sacrifier, même sa personnalité. Oubliant ses sentiments, son désespoir et ses
désirs, Sonia décide de se dissimuler derrière l‟image d‟une mère impeccable afin que
sa fille nage dans le bonheur. Ainsi, le 21 avril est un jour spécial non seulement pour
les mariés, mais également pour Sonia qui sera mise à l‟épreuve afin de faire ses
preuves en tant que figure maternelle. Pour pouvoir plaire à sa fille, Sonia se doit de
faire attention aux moindres détails, tels que sa coiffure, sa tenue, ainsi que son
comportement devant les autres, ce qui n‟est guère chose facile pour cette jeune mère
un peu bohème et fantasque qui a toujours vécu sa vie à sa façon. Cependant, réalisant
que sa fille s‟éloignait de plus en plus d‟elle, son instinct maternel semble avoir pris le
dessus sur sa personnalité. Du côté sentimental, les noces d‟Anna permettent à Sonia
de retrouver, en quelque sorte, la sérénité amoureuse qu‟elle avait ressentie il y a des
années. Il s‟agit d‟une rencontre inattendue qui va bousculer toutes ses résolutions.
Roman entre dans sa vie, telle une brise agréable venue effleurer son âme qui semble
s‟être réveillée, après une longue période d‟hibernation. Étrangement, Roman vient
aussi d‟Afrique, comme Matthew, rappelant peut-être à Sonia son premier amour. Aux
yeux de Sonia, Roman n‟existe plus en tant que père d‟Alain ni en tant que futur beaupère d‟Anna, il représente uniquement une seconde chance que la vie a décidé de lui
offrir en matière d‟amour. Elle en reçoit la confirmation lorsqu‟elle prend conscience
qu‟elle ne lui est pas indifférente. Bien au contraire, c‟est Roman qui l‟aborde et
commence à lui faire la cour, sans se préoccuper de son origine ou de sa profession.
C‟est alors que Sonia en a le cœur net. Cette fois, elle ne peut se permettre de refouler
ses sentiments, tout en ayant en tête qu‟il s‟agit des noces de sa fille. Sans trop songer
à l‟avenir, Sonia se donne à Roman pour pouvoir enfin être en mesure de ressentir
cette sérénité amoureuse qu‟elle attendait depuis si longtemps.
150
IV.4.3. Une quête accomplie
Contrairement aux romans précédemment analysés, La Noce d’Anna nous met en face
d‟un personnage qui semble avoir trouvé sa juste place dans le récit. L‟on doit se poser
la question suivante : Sonia a-t-elle pu découvrir ce qui lui tenait à cœur ? Nous
pouvons répondre par l‟affirmative. Sur le plan sentimental, Sonia semble heureuse,
mais fait surtout preuve de plus d‟assurance après sa rencontre avec Roman. Avec le
départ d‟Anna, cette mère célibataire peut enfin espérer rattraper le temps perdu en
cherchant à vivre une nouvelle vie. De plus, elle a appris à se contenter du moment
présent, de la sérénité actuelle ressentie auprès de Roman, sans se soucier du
lendemain de cette nouvelle rencontre. Après bien des années, Sonia se sent bien dans
sa peau dans une relation amoureuse. Peu importe l‟avenir d‟une telle relation,
l‟essentiel est que cette affaire lui a permis d‟atteindre une certaine quiétude tant
physique que morale. Les propos suivants en rendent compte : « ma tête ne se remplit
pas de pensées volatiles, non, je suis centrée, concentrée, je n‟ai pas peur.»93 Roman
représente la stabilité que Sonia espère trouver auprès d‟un homme. Grâce à lui, elle a
enfin pu découvrir ce qui lui manquait durant toute sa vie ; peut-être ce dernier lui
apparait-il comme le double de Matthew, donnant ainsi l‟impression que son premier
amour revenait après une absence de vingt ans. Cette rencontre a également eu son
impact sur le rôle maternel de Sonia.
Témoin d‟un tel rapport entre sa mère et son beau-père, Anna est choquée. C‟est
l‟occasion pour cette mère, qui a toujours eu peur d‟affronter sa fille, de lui raconter
son secret poignant à propos de son existence passée. Tout en écoutant sa mère lui
dévoiler les détails de l‟histoire avec son père, Anna se rend compte de la véritable
personnalité qui se cachait toutes ces années derrière cette figure maternelle. Une
vérité la marque profondément : sa mère a laissé son père partir uniquement parce
qu‟elle l‟aimait. Elle n‟a pas voulu détruire ses rêves et ses ambitions au nom de
l‟amour. Ainsi, Sonia n‟a pas seulement aimé Matthew, mais elle a également aimé à
travers lui, ses rêves et ses aspirations. C‟est durant ses noces qu‟Anna découvre sa
93
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 146.
151
mère. C‟est un jour spécial pour la mère et la fille qui ont enfin appris à se connaître et
à s‟aimer, tout en brisant le mur invisible qui les a séparées si longtemps. D‟un point
de vue psychologique, cette mère célibataire qui se sentait si différente de sa fille,
cause majeure de sa frustration, semble renaître grâce à la prise en conscience d‟une
vérité qu‟elle entend de la bouche même d‟Anna, qui lui révèle : « Vois-tu maman, je
ne suis pas si différente de toi, au fond. »94 Ces propos semblent être une révélation
pour Sonia qui découvre que leur dissemblance n‟est qu‟illusoire, puisqu‟elle ne
représente que la face apparente de leur rapport. On peut voir en Anna le double de
Sonia. En effet, vu en profondeur, Sonia prend conscience que sa fille ne correspond
en fait qu‟à une autre facette d‟elle-même, voire, une partie d‟elle-même qui n‟a pu se
manifester en raison de certaines circonstances, mais qui aurait pu émerger si son
destin avait été autre. Cette révélation s‟exprime clairement à travers l‟extrait
suivant : « J‟avais peut-être oublié qu‟elle [Anne] était la part cachée de moi-même,
celle que j‟aurais été si j‟étais restée avec mes parents…»95
Passons à présent à l‟aboutissement de la quête poursuivie par Sonia. En fin de
compte, il semble qu‟elle n‟a que partiellement trouvé ce qui lui manquait dans
l‟existence. En termes d‟amour, son rapport avec Roman reste incertain, l‟on est donc
amené à se demander si elle a enfin trouvé l‟homme de sa vie, celui qui viendrait
prendre la place de Matthew dans son existence. Cependant, cette jeune mère émerge
sans aucun doute victorieuse de sa quête ultime, en tant que figure maternelle ayant
réussi à trouver le parfait équilibre avec sa fille, avec qui elle s‟est rapprochée après
une réconciliation émouvante. Cette dernière est telle qu‟elle a su gommer les
moindres différends qui subsistaient entre elles, ainsi que les remords qui ont marqué
toute une vie, permettant à Sonia de réaliser son vœu le plus cher : conquérir le cœur
de sa fille tout en restant elle-même. Sonia va se rendre compte qu‟Anna lui ressemble,
même si ses choix sont différents des siens. En fin de compte, La Noce d’Anna aura
permis à deux caractères qui s‟opposent de se rapprocher. Il s‟agit d‟une fin en
apothéose. Cette émotion grandissante que partage mère et fille produit une sorte
94
95
Ibid., p. 123.
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 123.
152
d‟affrontement final entre elles, mais elles finissent par se retrouver. En bref, Sonia
réussit à se débarrasser de ses angoisses pour assumer sa féminité et sa sexualité
longtemps refoulées en même temps qu‟elle repense son rôle et son attitude de mère.
IV.5. La Quête dans Le Dernier Frère
Comme l‟indique le titre de cet ouvrage, qui reste le dernier chef-d‟œuvre de Nathacha
Appanah à ce jour, il s‟agit d‟une quête affective, sentimentale, voire émotionnelle.
Une quête qui durera toute sa vie, pour Raj, le septuagénaire. La narration est faite à la
première personne. Ce récit nous entraîne dans les pensées d‟un vieux Mauricien, qui
est à la recherche de son frère apparu soudainement durant son enfance pour
disparaître aussitôt, mais ayant laissé une trace ineffaçable. Non loin d‟être un frère de
sang, il s‟agit d‟un être auquel Raj s‟est lié pour la vie à travers les souvenirs de
quelques jours passés ensemble. En ce qui concerne ce roman, la quête se rapporte
notamment à Raj, le narrateur et le personnage principal, mais elle a egalement, d‟une
certaine façon, rapport avec David, désigné comme le dernier frère, en quelque sorte,
l‟objet de cette quête. Cette recherche qui est née durant l‟enfance de Raj durera
jusqu'à la fin de ses jours, avec une certaine évolution. En effet, après la mort
prématurée de David, Raj tentera de retrouver ses traces dans les moindres détails, ce
sera sa manière à lui de rester en contact avec son cher compagnon qui lui était plus
qu‟un ami, des liens fraternels s‟étant formés entre eux en l‟espace de quelques jours.
David n‟a pas seulement joué le rôle d‟un frère, mais sa présence a marqué presque un
tournant dans l‟existence de Raj, abattu par la tragédie qui frappa sa famille entière,
mais qui a peu à peu repris goût à la vie après avoir croisé ce petit Juif aux cheveux
blonds. Ainsi, la quête peut être considérée de deux manières : une quête enfantine qui
se transforme en une recherche émotionnelle.
IV.5.1. Une quête de nature « enfantine »
En tant que petit Mauricien frêle de neuf ans, Raj n‟a pas réellement connu une
enfance heureuse. Les deux seules choses qui le consolaient : l‟amour inconditionnel
153
de sa mère et l‟affection de ses deux frères. Les quelques moments passés en famille
l‟aidaient à survivre face à la violence d‟un père qui était souvent sous l‟emprise de
l‟alcool. Cependant, les rares moments de bonheur dont il jouissait ne dureront pas
longtemps. Un cyclone, qui a provoqué un éboulement, emporte ses deux frères à
jamais vers une fin tragique. Ce drame dévaste la famille qui décide de quitter les lieux
et de se refaire une nouvelle vie ailleurs. Néanmoins, il s‟agit d‟un poids énorme à
supporter pour le petit Raj devenu orphelin de frère. Une certaine culpabilité s‟ajoute à
sa tristesse et l‟envahit en pensant aux chances que la vie lui a offertes, mais dont ses
frères ont été privés. Raj est le seul à avoir survécu au cyclone et le seul à être envoyé
à l‟école. Pourquoi lui seul ? Cette question semblait souvent le torturer. L‟affection
toute particulière de sa mère le soulageait quelque peu, mais sans pouvoir combler le
vide créé dans son existence, à la suite de la disparition des siens. Raj ne pouvait
supporter de tout avoir pour lui tout seul, lui qui prenait plaisir à tout partager avec ses
frères. Il ressentait le besoin de la présence d‟un être, qui ne serait pas uniquement un
compagnon de jeu, mais quelqu‟un avec qui il pourrait partager ses rêves, son
imagination, son bonheur, sa tristesse. Après la mort des siens, Raj ne se permettait pas
de nouveaux plaisirs. Il préférait rester seul dans son coin et parler tout seul, tant leur
absence le tourmentait. En bref, la mort soudaine de ses deux frères, la violence de son
père, son sens de culpabilité, tout explique que Raj éprouve le besoin d‟une présence
qui puisse le réconforter, et le plonger dans le monde des enfants, gorgé uniquement de
rires et de couleurs. Avant de rencontrer David, Raj avait tendance à se créer un monde
à lui, un monde imaginaire en marge de la réalité où il vivait avec les souvenirs de ses
frères. En fin de compte, c‟est grâce à David que notre petit Mauricien reprend, d‟une
certaine manière, contact avec le monde réel. Ce nouveau compagnon n‟est peut-être
pas uniquement venu pour prendre la place de ses frères, mais c‟est grâce à lui que Raj
espère retrouver le bonheur qu‟il a connu auparavant, un bonheur que seule l‟enfance
peut lui offrir. Dès sa première rencontre avec le petit Juif, Raj l‟assimile déjà à l‟un de
ses frères, tant par sa tenue et ses gestes. A ce propos, citons ces quelques extraits : « Il
avait un short marron comme mon petit frère Vinod. », « même quand on ne se
connaissait pas, on faisait les mêmes choses… »96 Ainsi, ce que Raj cherchera avant
96
Nathacha Appanah, Le Dernier Frère, op. cit., p. 56-57.
154
tout à faire, c‟est de vouloir garder David auprès de lui à jamais, en tant que son
troisième et dernier frère, un frère qu‟il a choisi, et qui lui a été envoyé comme un
cadeau divin. A ce titre, citons ces propos de Raj : « J‟avais trouvé David, un ami
inespéré, un cadeau tombé du ciel… »97 Afin de concrétiser sa quête, il est prêt à courir
tous les risques et à affronter tous les dangers, sans réfléchir aux conséquences de tels
actes.
IV.5.2. Une aventure insouciante
Au premier abord, nous pouvons sans aucun doute évoquer une quête de fraternité. Raj
ressent le besoin d‟une présence fraternelle, surtout après la mort soudaine de ses deux
frères qui ont toujours pris soin de lui. Malgré le fait que cela soit le hasard qui ait fait
se rencontrer deux enfants issus de deux mondes entièrement différents, la persistance
de Raj y est également pour quelque chose. A moins d‟une insatiable curiosité et
patience, un enfant ne trouverait aucun intérêt à rester planté devant la grille d‟une
prison des heures de suite. Mais, notre petit Raj n‟a pas perdu patience en face de la
cour de la prison vide et silencieuse où travaillait son père. Cet intérêt soudain pourrait
s‟expliquer à travers les avertissements de son père, qui tentait de l‟effrayer en disant
que cette prison abritait « des gens dangereux, des marrons, des voleurs, des
méchants »98, afin de le dissuader de se promener dans les parages. Cependant, ces
mêmes menaces ont incité ce petit Mauricien à vouloir explorer l‟endroit en question.
Sa patience a même porté fruit, puisque c‟est dans cette prison qu‟il voit pour la
première fois David, un petit Juif interné avec d‟autres groupes de Juifs fuyant le
Nazisme. Ne sachant rien des circonstances entourant cet internement, Raj voit à
travers David une occasion inespérée de retrouver et de retourner vers l‟enfance. Dès
les premières rencontres, les deux enfants se lient d‟une amitié inexplicable dépassant
les frontières de la langue et de la race. Il s‟agit presque d‟une attraction immédiate et
intense. En quête de fraternité, Raj semble avoir retrouvé sa joie de vivre auprès de
David. Malheureusement, la vie n‟est pas facile pour ces deux enfants meurtris qui ne
97
98
Nathacha Appanah, Le Dernier Frère, op. cit., p. 88.
Ibid., p. 48.
155
peuvent se reconnaître immédiatement que dans le malheur. Citons les propos
suivants : « J‟ai enfoui ma tête dans les feuilles et j‟ai pleuré, comme lui à quelques
mètres de moi. »99 N‟ayant pas été épargné par les vicissitudes de la vie, leur amitié
semble avoir le pouvoir d‟embaumer leur existence, ne serait-ce que pour une durée
éphémère. Tout en sachant le traitement qu‟il aurait à subir aux mains de son père, en
cas de désobéissance, Raj n‟est pas prêt à céder. Après sa première rencontre avec
David, le petit Mauricien décide de revenir à plusieurs reprises à sa même cachette,
près de la grille de barbelés entourant la prison dans l‟espoir de revoir son nouveau
compagnon qui lui rappelait souvent l‟image de l‟un de ses frères. L‟excitation qu‟ils
éprouvaient l‟un en présence de l‟autre était telle que rien d‟autre n‟importait, ni la
maladie, ni les douleurs. Cependant, leurs jeux insouciants et leur joie de vivre ne
peuvent venir à bout de la triste réalité concernant David. Ce jeune garçon de dix ans
fait partie des internés qui sont incarcérés à la prison de Beau-Bassin, des internés qui
ont perdu leur liberté de s‟exprimer, de se déplacer. Ils n‟ont que le droit d‟espérer un
miracle. Ainsi, Raj et David ne peuvent se rencontrer qu‟en cachette. Raj n‟a pas la
permission d‟entrer dans ce domaine surveillé ; de la même manière, David n‟a pas le
droit de sortir de cette prison. C‟est le premier obstacle à leur amitié qui nécessitait de
prendre un vrai risque. Ainsi, leur rencontre et leurs jeux cachés se déroulent dans
l‟insouciance, malgré le danger que cela représente. A ce titre, il est essentiel de
remarquer que la nature de la quête va changer de direction lorsqu‟un danger se
présente. En quête de fraternité, Raj sera en quête de délivrance, afin de libérer son
seul ami de l‟enfer qu‟il subit dans cette geôle. La nature qui sera responsable de la
perte de ses frères, cette même nature saura lui montrer les moyens de délivrer ce
dernier frère. En effet, Raj saura mettre à profit les effets dévastateurs d‟un cyclone
pour entraîner secrètement David en dehors de la prison. Les deux enfants s‟enfuient
discrètement, espérant enfin retrouver leur liberté. Ne sachant rien à propos de son
ami, cette fugue représentait pour Raj, la seule manière de retrouver le bonheur, tout en
délivrant David de cet enfer. En le sauvant, le petit Mauricien n‟avait qu‟une pensée en
tête : garder David auprès de lui. En réalité, cette délivrance visait essentiellement à
procurer à Raj une impression de soulagement face à la crainte de devoir à nouveau
99
Nathacha Appanah, Le Dernier Frère, op. cit., p. 58.
156
perdre celui qu‟il considérait comme son dernier précieux frère et se retrouver dans la
solitude. Loin d‟être entièrement altruiste, le Mauricien luttait face à son malheur, qui
lui paraissait incommensurable. Les propos qui vont suivre, révèlent que David était en
quelque sorte une bouée de sauvetage pour ce petit Mauricien qui cherchait à se
redonner un peu de sens et de joie à sa misérable existence : « Je n‟ai pas voulu sortir
David de la prison parce qu‟il y était malheureux, non, j‟ai voulu le sortir parce que,
moi, j‟étais malheureux. »100 Néanmoins, il n‟est pas certain si David éprouvait le
même désir de vouloir s‟échapper de la prison, ce qui signifiait également se séparer
des siens, à savoir de sa communauté juive. Le petit blond décide de suivre son
compagnon mauricien, car sa confiance en lui était très grande. Mais la partie n‟était
pas encore jouée. Raj courait le risque de se faire découvrir par les autorités et surtout
par son père pour avoir fait échapper un jeune détenu. Se refusant à quitter David quoi
qu‟il arrive, Raj devait se confronter à diverses contraintes, à commencer par mentir à
sa chère mère sur la venue soudaine de ce nouvel ami qui devait également échapper
au regard de son père impulsif. Ainsi, la liberté que Raj espérait, nécessitait de se
dissimuler au moindre signe de danger. Finalement, les enfants sont obligés de refaire
une fugue, craignant de se faire découvrir. Cette décision fut prise par Raj qui voulut
emmener David à Mapou dans l‟espoir de retrouver son frère Anil et de reformer une
famille comme dans le passé. Il s‟agissait en fait d‟une illusion de liberté, dont
jouissaient les deux enfants, qui seront rattrapés par les autorités concernées. La mort
de David vint comme un choc pour le petit Mauricien, qui s‟en voulait de n‟avoir pas
pu garder sa promesse. Bien des années plus tard, Raj ne s‟était pas réellement remis
de cette seconde tragédie à cause d‟une incompréhension, d‟un mystère entourant
l‟existence de David. Ce malaise durera jusqu‟au moment où il entendit parler pour la
première fois de Juifs et de la Seconde Guerre Mondiale. Ces termes éveillèrent les
pensées enfouies dans son subconscient et l‟incitèrent à vouloir chercher la vérité
concernant David, bien des années après son décès. Cette quête de vérité importait
énormément pour Raj qui n‟était plus le même depuis ce fâcheux incident qui semblait
lui avoir enlevé toute son innocence enfantine. Les malheurs de la vie l‟avaient rendu
100
Nathacha Appanah, Le Dernier Frère, op. cit., p. 151-152.
157
froid et distant, voire un peu brutal. Pourtant, l‟évocation de la Seconde Guerre
Mondiale et des Juifs firent revenir en lui les doux souvenirs concernant David. Cette
mémoire aura pour effet, en quelque sorte, d‟humaniser le jeune garçon qui aurait pu
sombrer dans la dépression et la solitude face aux épreuves subies durant son enfance.
De nombreuses années s‟écoulent avant que Raj n‟apprenne la vérité concernant les
Juifs internés de force à l‟Île Maurice durant les années 1940-45. Devenu adulte, il
réalise l‟horreur de cette période, ainsi que le calvaire qu‟a dû subir un jeune garçon
juif, orphelin, séparé de son pays et de sa famille. Raj a sans aucun doute découvert la
réalité en ce qui concerne son compagnon, mais cette triste réalité semble renforcer son
sentiment de culpabilité et le remords d‟avoir commis des erreurs de jugement qui ont
coûté la vie à son cher David qui méritait également de vivre, comme n‟importe quel
enfant de son âge.
IV.5.3. Un aboutissement révélateur
L‟on est tenté, à présent, de se poser la question suivante : Raj a-t-il retrouvé son
dernier frère ? Une question à laquelle il n‟est pas aisé de répondre par un simple oui
ou non. En effet, voulant retrouver ce dernier frère, Raj s‟est heurté à une réalité
difficile à digérer. Bien que Raj ait été le deuxième enfant dans la famille, ses deux
frères ont toujours été protecteurs à son égard. Leur mort aurait pu le handicaper pour
la vie si David n‟était pas entré dans son existence sous la forme d‟un compagnon de
jeu, pour ensuite devenir un frère. Cette fois-ci, c‟est Raj qui se devait de s‟occuper de
ce jeune garçon qui paraissait plus chétif que lui. A travers David, Raj semblait voir
ses deux frères. Ainsi, il était de son devoir de prendre soin de lui, ce qui était aussi
une seconde chance de rattraper le temps perdu. Vu sous cet angle, l‟on doit avouer
que Raj a trouvé son dernier frère sous la forme d‟un petit Juif. Malheureusement, il
s‟agit d‟un miracle, d‟un bonheur éphémère dont notre protagoniste ne pourra jouir
bien longtemps. Cette découverte d‟un dernier frère ne portera pas de fruits à long
terme. Il s‟agit d‟une amitié, un lien fraternel qui durera uniquement quelques jours. La
mort est de nouveau responsable de leur séparation sur le plan physique. La quête de
Raj n‟a pas porté ses fruits à long terme, pour plusieurs motifs. L‟une des principales
158
raisons reste l‟ignorance totale de Raj par rapport aux circonstances entourant
l‟enfermement de David, ainsi que l‟horreur déchirant le monde sous la forme d‟une
guerre mondiale. Ensuite, vient la méconnaissance de l‟état physique et mental de
David dont la santé paraissait déjà critique. Atteint de malaria, qui l‟avait énormément
affaibli, ce petit Juif nécessitait d‟être sans cesse sous surveillance médicale. Le
manque de repos, ainsi que le manque de traitement adéquat ont eu raison de ce pauvre
enfant qui ne cherchait qu‟à suivre les instructions de Raj à la lettre tellement il avait
une confiance aveugle en son compagnon.
L‟on est amené à se demander la raison pour laquelle Raj a rencontré un tel frère pour
devoir le perdre aussitôt ? Tout en l‟affligeant énormément, la mort de David demeure
une révélation pour ce Mauricien qui a pu reprendre goût en la vie, en se rendant
compte qu‟il reste toujours une lueur d‟espoir même dans les pires circonstances. Une
rencontre inespérée, à la suite d‟une tragédie, en est la preuve. Même après soixante
ans, Raj n‟a jamais cessé de fouiller dans ses souvenirs afin de retrouver David, sa
seule manière de continuer à vivre sous le poids du remords tout en sachant qu‟il avait
causé la mort d‟un être cher. Il est certain que Raj portera en lui à jamais le souvenir de
ce frère qu‟il avait choisi de son plein gré et dont il a précieusement gardé l‟étoile, une
sorte de commémoration faite en l‟honneur de sa mémoire, mais également en
l‟honneur des Juifs qui n‟ont pas survécu à cet internement.
Après avoir analysé le thème de la quête dans les œuvres de Nathacha Appanah, il
serait utile de se pencher sur la contribution de cette écrivaine à la littéraire
mauricienne francophone en explorant la manière dont elle tente de déconstruire les
mythes émanant de ce thème et de l‟espace insulaire en général.
159
Chapitre V
La Déconstruction des Mythes dans
l’Œuvre de Nathacha Appanah
160
CHAPITRE V
La Déconstruction des Mythes dans l‟Œuvre de Nathacha
Appanah
V.1. Des Mythes Déconstruits
L‟objectif spécifique de cette partie conclusive consistera à faire ressortir les
caractéristiques les plus saillantes de l‟écriture de Nathacha Appanah qui fait partie
d‟une lignée de figures littéraires contemporaines qui ont su régénérer le paysage
littéraire de l‟Ile Maurice. Par ailleurs, Nathacha a le double mérite de faire aussi
partied‟une ligue féminine, tout en ayant trouvé sa place dans le champ littéraire
mauricien. Sa contribution rejoint celle de ses compatriotes ayant su renouveler le
champ littéraire mauricien établi progressivement par leurs prédécesseurs qui ont
donné naissance à cette littérature, en dépit des contraintes politico-historiques de
toutes sortes. Notre dessein n‟est pas de faire une étude comparative des écrivains
mauriciens francophones contemporains, ce qui nécessiterait de faire des recherches
plus exhaustives, mais uniquement de mettre en lumière l‟apport de Nathacha Appanah
à ce magnifique paysage littéraire. L‟Île Maurice n‟est pas seulement faite de sable, de
cocotiers, ou de paysages envoûtants, elle renferme également des mystères, des
secrets qui vont parfois à l‟encontre des clichés rattachés aux espaces insulaires. L‟île
exotique, la gentillesse des habitants ou la tolérance à l'égard des autres sont autant de
clichés qui ne correspondent pas toujours avec la réalité mauricienne. Il s‟agit de cette
dimension que nous révèlent certains des ouvrages d‟Appanah. Dès la première
lecture, l‟on ne peut manquer de remarquer que les romans de cette jeune Mauricienne
semblent aller à l‟encontre de certains mythes ou clichés, dont certains sont
directement rattachés à son pays. Ces mythes déconstruisent l'image-cliché de l'île,
ainsi que les formes classiques de sa représentation littéraire. Notre attention se portera
également sur le style narratif d‟Appanah, qui a connu une certaine évolution à travers
les années, tout en parachevant la qualité littéraire de son œuvre.
161
V.1.1. Mythe concernant l‟esclavage
L‟esclavage, un sujet extrêmement sollicité dans la littérature demeure une période de
l‟Histoire qui a profondément marqué les esprits et bouleversé la vision de la société.
Les littératures coloniales et postcoloniales ont tout particulièrement gardé l‟empreinte
de cette période obscure. L‟abolition définitive de cette pratique inhumaine en 1848
aurait sans doute aidé à l‟émancipation des Noirs ; néanmoins elle ne mit pas
entièrement fin à l‟esclavagisme. Traditionnellement, lorsque l‟on parle d‟esclaves, on
pense immédiatement à des hommes et femmes noirs, issus d‟Afrique, arrachés à leur
pays, pour aller fournir la main-d‟œuvre nécessaire à l‟exploitation de ressources
naturelles dans les colonies.
La première nouveauté dans Les Rochers de Poudre d’or réside dans le fait que
l‟esclavage cité ne concerne guère ni les mêmes personnes, ni la même époque.
L‟originalité de Nathacha Appanah est d‟avoir situé le récit à une période postérieure à
l‟abolition de l‟esclavage. A la lecture du roman, on apprend que l‟action se passe en
1892, bien après l‟abolition de l‟esclavage et que les esclaves ne sont pas Africains,
mais Indiens, une race méconnue par rapport à l‟esclavage. De plus, ces Indiens ne
sont pas désignés par le terme d‟esclave, mais par l‟euphémisme d‟engagé ou du terme
péjoratif de « coolie ». Il s‟agit, en réalité, de la naissance d‟une main-d‟œuvre souspayée qui constitue une des conséquences à long terme de la dissolution de la traite
négrière. D‟ores et déjà, le roman ne tombe pas dans la facilité et le déjà vu. Par
ailleurs, la croyance que les esclaves devenus « nouveaux libres » purent se refaire une
nouvelle vie paisible comme tout être libre semble également quelque peu illusoire, car
leur intégration à une société normale ne s‟est pas faite sans difficultés. En effet, le
récit les montre menant une vie séparée, à l‟écart des autres communautés et gardant
toujours un certain ressentiment par rapport à la manière dont ils ont été traités pendant
des siècles. D‟une manière générale, ce récit évoque une sorte d‟esclavage moderne et
rappelle également que ce rapport de domination reste malheureusement une vérité
intemporelle. En réalité, on ne peut pas affirmer catégoriquement que l‟esclavage a
totalement disparu, mais seulement dire que ses effets se sont estompés tout en
162
subsistant sous diverses formes. Ce roman met en scène des personnages pris dans une
espèce de toile d‟araignée, en d‟autres mots, un esclavage commercial, qui implique un
contrat et une rémunération. Cependant, il s‟agit d‟une façade trompeuse qui dissimule
une véritable exploitation des Indiens, par des autorités britanniques dont le seul but
est de mettre à profit leurs colonies en y envoyer le plus de travailleurs possible. Dans
le cas contraire, l‟avenir des dépôts d‟émigrés serait en péril. A ce titre, citons un
extrait du roman : « Ce mois-ci, Madras n‟a envoyé que quatre-vingt-dix-sept
travailleurs à Maurice ! C‟est trop peu. Il faut au moins le double. Si nous continuons,
nous fermerons, comme Bombay ! »101 Prononcé par le chef du dépôt de Madras, ce
passage révèle l‟aspect purement commercial de ce recrutement, qui n‟est nullement
favorable aux travailleurs puisqu‟il est destiné à satisfaire les besoins des propriétaires
terriens des colonies. Durant le recrutement, l‟abus se poursuit, car les officiers
profitent de l‟analphabétisme de la plupart des Indiens en les faisant signer leur contrat
de travail dont ils ignorent le contenu. Arrivés sur les colonies, les émigrés, devenus
engagés, perdent toute dignité puisqu‟ils se font traiter comme du bétail humain. Le
viol de Ganga, les coups reçus par Badri, l‟humiliation à laquelle fait face Vythee sont
autant de preuves qu‟il existe toujours des catégories d‟êtres humains assujettis et qui
n‟ont pas les moyens de lutter ni de se défendre contre des communautés dont le statut
social et économique les surpassent largement. Même si le récit de Nathacha remonte à
plus d‟un siècle, l‟oppression dont sont victimes les personnages ne semble pas très
éloignée de notre réalité actuelle. « L'esclavage moderne est présent dans bien plus de
12 pays cités par le HRW (Human Rights Watch) »102. L‟exploitation de l'homme par
l'homme reste une cruelle réalité dont sont souvent proie les travailleurs clandestins qui
subissent le travail forcé. A cela s‟ajoute les effets de la xénophobie, le trafic d‟enfants
engendrant l‟exploitation juvénile ainsi que les victimes de l‟esclavage sexuel.
En bref, Les Rochers de Poudre d’or introduit les lecteurs à une sorte de résurrection
de l‟esclavage, soi-disant officiellement banni en 1848 ; par conséquent, le roman en
101
102
Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’Or, op. cit., p. 58.
Vide http://astrosurf.com/luxorion/esclavage8.htm
163
question semble bafouer la croyance selon laquelle le commerce humain se serait
éteint avec la libération des esclaves noirs.
V.1.2. Mythe d‟une société multiculturelle et harmonieuse
Maurice jouit d‟un statut culturel particulier caractérisé par sa richesse multiculturelle
s‟expliquant par les vagues de migration provenant d‟Afrique, d‟Asie et d‟Europe, ce
qui lui a valu l‟appellation de « nation arc-en-ciel ». S‟agit-il d‟une utopie ? A ce stade,
il faut souligner que malgré l‟image que possède l‟Île Maurice d‟une nation
pluriculturelle où coexistent des communautés diverses, il y existe néanmoins des
hiérarchies socio-économiques que nul ne doit violer. La société mauricienne est une
société extrêmement complexe où subsistent des réalités parallèles et contradictoires.
Deux « fléaux » semblent être à l‟origine de cette situation : le communalisme ainsi
que le castéisme. Des termes sans doute « néologiques » qui caractérisent le
cloisonnement du Mauricien au sein de sa communauté et sa caste. Dans ce cas, la
tolérance qui pousse le Mauricien à vivre avec l'Autre au quotidien pourrait être une
façade souvent idéalisée par les étrangers qui dissimulerait de nombreux problèmes. A
vrai dire, Maurice est porteuse de nombreuses tensions au sein et entre les différentes
communautés.
Blue Bay Palace met en scène deux mondes qui se côtoient et qui dépendent l‟un de
l‟autre, sans pour autant briser le mur invisible qui les sépare, deux mondes séparés par
la caste. Selon les propos de Jeeveetha Soobarah, ce second roman de Nathacha
Appanah « lève le voile sur le mythe de l‟harmonie sociale qu‟on a toujours associé à
la société multiculturelle mauricienne. Tout mariage, tout amour inter-caste,
interreligieux est vécu comme une transgression sociale sévèrement punie, ou sinon
interdite. La fin tragique de Blue Bay Palace est emblématique de la juxtaposition
impossible des oppositions, telles : riche/pauvre, sale/propre, réalité/illusion,
164
amour/haine, réussite/échec qui jalonnent ce roman.»103 Ainsi, le rapport riche/pauvre,
haute caste/basse caste, n‟a jamais été possible sans donner lieu à des tensions. La
différence de castes104, considérée comme obstacle, reste une réalité actuelle dans le
contexte mauricien, mais également dans d‟autres sociétés, telles que la société
indienne, où prévaut le mariage arrangé. Maya elle-même est consciente de l‟écart qui
la sépare de Dave : ils appartiennent à deux mondes différents, ce qui expliquerait sans
doute l‟hésitation, l‟appréhension qu‟elle ressentait au tout début de leur relation, qui
lui semblait irréaliste : « Moi, hindoue de caste insignifiante et lui, brahmane. Moi et
ma famille sans le sou. Dave et sa fortune colossale. »105 Au commencement de leur
liaison, Maya éprouve une certaine prémonition qui se rattache sans doute au préjugé
selon lequel il ne fallait pas aspirer à plus ce que l‟on mérite. Des phrases telles que
« j‟ai eu honte de la chance que je croyais avoir », « Je me disais que je ne méritais pas
cette chance », « je voyais bien que j‟étais trop heureuse »106, révèlent le sentiment de
culpabilité qui s‟est abattu un moment sur Maya, qui était originaire d‟un milieu où
aspirer à une existence heureuse restait inconcevable. Toutefois, elle a su surmonter
ces préjugés au nom de l‟amour dont la puissance est telle qu‟aucun obstacle ne peut
lui tenir tête. Cependant, piégé par les circonstances, l‟homme de ses rêves, Dave, n‟a
pas su faire preuve d‟une bravoure semblable. Obligé de céder aux pressions
familiales, il n‟a pas osé franchir la barrière qui le séparait de Maya. Il est resté
prisonnier du système de castes qui est fondé sur la perpétuité d‟une lignée à travers
l‟endogamie, prouvant en même temps, l‟état d‟esprit communautaire du personnage
mâle. Afin d‟assurer le bonheur de sa famille, Dave a tout bonnement renoncé à son
amour. Pour combler le tout, l‟aveu qu‟il fait à Maya à la suite de son mariage de
convenance, est empreint d‟une amertume qui n‟est pas sans laisser percevoir une
touche d‟hypocrisie. A quoi bon vouloir quitter sa nouvelle épouse, alors qu‟il aurait
pu tout simplement refuser de l‟épouser et faire front à sa famille ? Faisant preuve de
103
Jeeveetha Soobarah, La Construction d’Une Littérature par La Déconstruction des Mythes : Devi et
Mouriquand, Ecrivaines Mauriciennes, Communication présentée au „National seminar on challenges of
teaching French in India‟, Université de Rajasthan, 11-13 Janvier 2008.
104
La communauté hindoue est divisée en quatre classes sociales principales : les Brahmanes (prêtres), les
Kshatriyas (guerriers), les Vaïshyas (commerçants) et les Shûdras (travailleurs manuels).
105
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace, op. cit., p. 55.
106
Ibid., p. 27.
165
lâcheté devant les exigences sociales, Dave ne peut exprimer son désespoir qu‟à
travers des plaintes continuelles et des menaces inutiles, tout en se noyant dans
l‟alcool. Si l‟on compare son attitude à celle de Maya, cette dernière ne semble pas être
du genre à se résigner. Les contraintes sociales ne l‟intimident pas, au contraire, ces
entraves la provoquent. A ces obstacles, s‟ajoutent les propos déconcertants de Dave
par rapport à sa nouvelle épouse : « Quand je rentre, je prie pour qu‟un cambrioleur
l‟ait assassinée et que je la vois […] elle, la gueule en sang, sur une civière.»107 Cette
outrance semble être l‟unique issue qui lui reste afin de laisser libre cours à sa
déception. Cette furie n‟est pas seulement orientée contre son épouse, mais elle est
surtout dirigée contre les contraintes socio-économiques qui lui ont mis les menottes.
Faute de pouvoir agir et maîtriser la situation, Dave n‟a fait que transmettre sa fureur à
Maya. Face à cette trahison ainsi qu‟à la rigidité de la différence, les seules réponses
que Maya apportent sont la folie et la violence qui la mène au paroxysme de la haine.
Ce qui n‟était qu‟un simple délire aux yeux de Dave, devient une réalité concrétisée
par Maya.
En fin de compte, Blue Bay Palace semble témoigner des réactions des amants face au
système hiérarchique contre lequel ils restent impuissants. Malgré l‟ambiance
multiculturelle qui y règne, l‟on ne devrait pas se méprendre sur la société
mauricienne, marquée par la pérennité du modèle communautaire. Chaque individu
demeure en butte aux exigences de sa communauté. Il doit s‟y plier comme le fait
Dave, ou il lui faut recourir à la violence pour apaiser sa fureur tout en dénonçant cette
injustice sociale, alternative choisie par Maya. Cette dernière a la fonction de révéler le
faux-semblant tant au niveau individuel que social. Ce roman possède donc la
particularité de dévoiler les tabous et préjugés qui règnent au sein de la communauté
hindoue. Par conséquent, ce deuxième roman d‟Appanah s‟avère remettre en question
l‟étiquette paradisiaque, idyllique rattachée à l‟Île Maurice où règnerait une
homogénéité sociale et raciale entre et au sein des diverses communautés.
107
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace, op. cit., p. 73.
166
V.1.3. Mythe du retour aux origines
Dépourvue d‟une population autochtone, l‟Île Maurice s‟est uniquement formée par le
brassage de diverses ethnies postérieur aux colonisations. Il est ainsi naturel que ses
habitants soient à la recherche de leurs origines ou de leur souche. Cette inclination
rejoint une soif d‟identité, une quête d‟ordre psychologique. Retrouver ses racines
équivalait, en fait, à se retrouver avec soi-même en toute sérénité.
Dans le cas de La Noce d’Anna, la situation est toute autre. L‟éloignement de l‟Île
Maurice n‟est pas vécu avec nostalgie et encore moins avec amertume. Ayant quitté le
nid parental de son plein gré, Sonia n‟éprouve plus le besoin d‟y retourner. En fait,
Sonia ne regrette nullement de ne pas être retournée vers son île ni même de l‟avoir
quitté il y a vingt-cinq ans. Attirée par le mode de vie occidentale, mais surtout par
l‟autonomie qu‟il procure, elle s‟est complètement adaptée, intégrée à ce monde si
différent du sien. Aussi étrange que cela puisse paraître, aucun incident ne l‟a poussée
à vouloir retrouver sa patrie-mère. Durant le moment crucial de sa vie, lorsqu‟elle
devait mettre au monde sa fille et l‟élever sans la présence d‟un père, Sonia a préféré
vivre dans la solitude plutôt que de chercher consolation dans le milieu familial. Même
la mort de ses parents n‟affecte point la résolution de Sonia qui préfère rester dans son
nouveau monde, plutôt que de faire face à la société mauricienne. Ce refus de revenir
au pays natal trouve également son origine dans une certaine crainte d‟être confrontée
aux siens, qui ne la verront pas d‟un bon œil à cause de son célibat assez particulier.
Bien qu‟elle ait eu, par moment, envie de revoir sa terre natale, sa situation personnelle
n‟était pas à son avantage. Ayant eu un enfant hors mariage, ce qui n‟était guère
convenable dans une société comme la sienne, elle savait qu‟elle ne serait pas
accueillie à bras ouverts. Cette peur de ne pas pouvoir s‟intégrer parmi les siens, a sans
doute dû la rapprocher du pays d‟accueil où elle n‟avait de comptes à rendre à
personne. Le retour vers le pays natal doit se faire en toute dignité, sinon il n‟est plus
envisageable. C‟est ce qui se déroule dans le cas de Sonia pour qui ce voyage
constituerait plus un châtiment qu‟une source de jubilation.
167
Néanmoins, les souvenirs du pays natal ne sont pas négligeables. Il s‟agit
essentiellement d‟images exotiques et de scènes d‟enfance que la narratrice évoque de
temps à autre, lorsque les idées lui font défaut. C‟était surtout un point d‟appui dont
elle se servait, quand les circonstances ne lui sont pas favorables. Les souvenirs lui
permettent de mieux se découvrir par rapport aux autres, et de prendre conscience de
sa singularité en tant que fille et mère. Non loin de provoquer en elle un certain mal du
pays, ces évocations lui servent de points de repère, tout en lui permettant
essentiellement de s‟échapper momentanément du moment présent. Elle a choisi
volontairement de ne pas se laisser emporter par ses nostalgies ou, serait-il plus juste
de dire, de ne pas « succomber » à ses souvenirs qui ne restaient que de simples images
de son passé. D‟ailleurs, elle trouvait bizarre le fait d‟être souvent questionnée sur l‟Île
Maurice, pays merveilleux qui devait absolument lui manquer, faute de quoi, elle serait
probablement perçue comme une insensée. Sonia éprouvait une certaine gêne à chaque
fois qu‟elle était contrainte de justifier son choix d‟avoir quitté son île, décision qu‟elle
avait prise tout naturellement.
En bref, Sonia semble représenter le personnage îlien, qui a toujours éprouvé le besoin
de découvrir, mais également d‟errer en dehors de sa patrie. Toutefois, elle remet en
cause le cliché du retour au pays d‟origine en rompant le lien affectif qui la lie à l‟Île
Maurice dont elle a conservé quelques souvenirs sans avoir ressenti un réel besoin de
retrouver tout ce qui lui était familier. Par conséquent, elle se détache du personnage
typique se trouvant au sein d‟un univers étranger, quasiment aliénant, et dont
l‟impulsion se dirige vers le pays natal, source de réconfort. Ainsi, Sonia ne
correspond en rien au portrait du personnage vivant en dehors de son pays, souffrant
de l‟éloignement et attendant la moindre occasion pour revoir sa terre d‟origine. Elle
dépasse ce cliché par sa capacité d‟avoir su non pas rompre, mais du moins se
distancier du cordon affectif qui la rattachait à son pays natal.
V.1.4. Mythe d‟une nation accueillante
Tout comme l‟œuvre de ses contemporains, celle de Nathacha Appanah échappe aux
168
moindres clichés exotiques. L‟exemple du Dernier frère en est une nouvelle preuve.
Son mérite réside dans le fait d‟avoir pris des distances par rapport à toutes sortes de
mythes entourant les espaces insulaires. A ce titre, citons les propos de Jean-Louis
Guébourg : « Les îles tropicales de l‟Océan Indien n‟échappent pas à la vision générale
européenne, le mythe de l‟île paradisiaque, aux femmes créoles belles et lascives,
images savamment véhiculées à partir du XVIIIe siècle, notamment dans la littérature
exotique. »108 La première chose qui démarque ce roman des ouvrages exotiques est la
représentation de l‟île comme une prison naturelle mettant en valeur son isolement
insulaire. « Les gouvernements européens ont souvent utilisé leurs dépendances
insulaires comme lieu d‟exil. »109 En ce qui concerne le récit d‟Appanah, il s‟agit d‟un
exil temporaire des Juifs imposé par les autorités anglaises. Ayant fait l‟objet de
plusieurs colonisations, il est évident que Maurice a gardé les marques d‟oppression
ainsi que les traces de ces liens avec les colonisateurs. Toutefois, l‟on est amené à
s‟interroger sur le statut social rattaché à ce pays. S‟agit-il d‟une nation neutre ? Pour
expliciter et simplifier cette expression, il s‟agirait d‟une nation qui n‟aurait joué
aucune sorte de rôle durant les conflits mondiaux. Une terre colonisée, soit, mais
Maurice a également joué le rôle d‟une terre d‟isolement, de claustration. C‟est ce que
nous révèle implicitement, Le Dernier Frère. Cette île a longtemps dissimulé une
période restée inconnue. Non loin d‟avoir été une nation neutre ou accueillante,
Maurice a été chargée d‟une tâche bien spécifique durant le conflit mondial des années
1940-45 : se porter garante de l‟internement d‟un groupe de Juifs. Vestige d‟un passé
encore trop méconnu, le dernier roman d‟Appanah est l‟occasion de se remémorer le
cheminement de toute une communauté qui a dû se séparer de son pays et vivre une
nouvelle vie carcérale sur une île située à l‟autre bout du monde. Contrairement aux
autres peuples, cette communauté n‟a laissé presqu‟aucune trace de son passage ou de
son internement. Par ailleurs, il s‟agit d‟un peuple sans apparent lien historique avec
l‟île. Cette période obscure demeure sans doute le seul témoignage d‟un possible lien
entre les Juifs et l‟Île Maurice. Employée à des fins politiques, l‟île se détache ainsi du
cliché évoquant un espace bénéficiant d‟une ambiance romantique unique.
108
Jean-Louis Guébourg, Petites Îles et Archipels de l’Océan Indien, Collection Homme et Société :
Histoire et géographie, Éditions Karthala, Paris, 2006, p. 39.
109
Ibid., p. 39.
169
Par ailleurs, les ouvrages de nature exotique ont souvent tendance à décrire la nature
insulaire tropicale à travers une apparence amène et accueillante, en minimisant le
caractère agressif et les dangers du milieu insulaire. Cette violence de la nature est bien
mise en relief dans le dernier roman d‟Appanah. Il s‟agit d‟un monde assez sauvage et
hostile qui n‟épargne même pas les connaisseurs de la terre en bouleversant leur destin,
apparaissant sous forme de cyclones auxquels s‟ajoutent les maladies mortelles dues à
la chaleur. Le Dernier Frère situe l‟histoire dans un village dont les habitants sont
constamment menacés par l‟hostilité des éléments naturels. Durant le récit, le cyclone
s‟abat à deux reprises, bouleversant le destin du personnage principal, le petit Raj. En
effet, c‟est bien un cyclone qui détruit le bonheur familial de Raj en emportant ses
deux frères à jamais. Il s‟agit bel et bien d‟une nature imprévisible qui se déchaîne, en
n‟ayant aucune pitié de pauvres êtres pris au dépourvu par sa furie. L‟écriture
d‟Appanah révèle parfaitement cette impétuosité, à travers des tournures
métaphoriques appropriées qui dévoilent un tableau presque fantasmagorique du
paysage. A ce titre, citons certains extraits révélateurs : « A Mapou, la pluie était un
monstre. On la voyait prendre des forces, accrochée à la montagne, comme une armée
regroupée avant l‟assaut, écouter les ordres de combat et de tuerie. »110 L‟impuissance
et la fragilité de l‟homme sont certes illustrées par sa confrontation avec des éléments
naturels qui effrayent par leurs complicité ainsi que par leur pouvoir de transformer en
un danger imminent ce qui paraissait au premier abord inoffensif. A ce propos,
citons l‟angoisse de Raj face au cyclone : « Je hurlais de toutes mes forces, mais le
vent, la pluie, le tonnerre, les éclairs, le grondement de la coulée de boue qu‟était
devenue notre rivière adorée couvraient ma voix et ne me laissaient aucune
chance. »111 Le second cyclone a des effets aussi dévastateurs que le précédent, tant la
nature semble prise de démence. Citons « Des nuages bas, effilés, et noirs comme des
fantômes maléfiques sont passés rapidement au-dessus de nous […] Les cimes des
arbres dansaient contre le ballet des nuages, une nuée d‟oiseaux s‟est envolée à toute
allure en criant […] Dehors, la forêt craquait, se brisait, résistait, et on aurait dit une
110
111
Nathacha Appanah, Le dernier frère, op. cit., p. 19.
Nathacha Appanah, Le dernier frère, op. cit., p. 34.
170
meute hurlante entourant notre maison, un être vivant en folie. »112 Ce nouveau
cyclone a également des répercussions sur l‟existence de Raj et David, puisqu‟ils
arrivent à s‟échapper ensemble à travers une fente qui s‟était formée dans la barrière
entourant la prison, abîmée à la suite des ravages du cyclone. Malheureusement, cette
décision sera fatale pour le petit Juif, tout en laissant une profonde cicatrice dans l‟âme
du jeune Mauricien. Par conséquent, le roman d‟Appanah dévoile un paysage
mauricien qui dépasse le simple leitmotiv pittoresque représenté dans les cartes
postales pour devenir une réalité terrifiante faisant partie de la vie quotidienne qui
n‟échappe pas à ses soubresauts.
V.2. Une narration personnalisée
V.2.1. Points de vue multiples
Les thèmes d‟Appanah évoquent certes l‟Inde, Maurice ou la femme, mais elle ne
cherche guère à promouvoir son identité, ni ses souches. Étant elle-même une
descendante d‟une famille indienne d‟engagées, elle a choisi l‟histoire de ses ancêtres
comme intrigue de son premier roman. Quoi de plus surprenant que d‟évoquer le pays
d‟origine ? L‟on pourrait penser à un retour vers les sources, à une quête de l‟identité,
thème de prédilection pour les écrivains francophones de l‟Océan Indien pour qui
l‟évocation de la diaspora indienne équivalait peut être à un retour vers les origines.
L‟évocation du paysage indien est certes une manière d‟honorer le pays de ses
ancêtres, mais Appanah n‟effectue pas un simple éloge de la société indienne. La
figure de Badri est l‟incarnation même de l‟adolescent fainéant, obsédé par les jeux
d‟argent. En fait, elle n‟hésite pas à critiquer certaines pratiques ou rites archaïques et
misogynes, marquant une vision moderne et féministe. Le personnage de Ganga est
l‟exemple d‟une femme qui, par sa fuite, rejette la coutume qui exige qu‟elle soit
brûlée vive, en public. En contraste avec l‟image des Indiennes généralement dociles,
Ganga reste une exception non seulement par ses origines royales, mais surtout par sa
force de caractère déroutante. Même face à des maîtres impitoyables, elle ne fléchit
112
Ibid., p. 104-105.
171
pas et lutte jusqu'à la fin pour garder sa fierté et sa dignité. Un autre protagoniste
féminin qui ne semble pas adhérer au stéréotype traditionnel, est Roopaye, recruteuse
d‟engagés. Dans un milieu majoritairement masculin, elle a su gagner la confiance des
colons anglais et des Indiens, tout en devenant une figure de transition. Toutefois, son
portrait est marqué également par des nuances péjoratives dans la mesure où c‟est une
femme qui a su s‟enrichir au détriment de la liberté de ses frères et en devenant
quelque peu complice d‟esclavagisme.
Nathacha Appanah se distingue par sa perspective narrative. En effet, centré vers
l‟interculturalisme, son premier roman ne donne pas seulement la parole aux Indiens
piégés dans le système de l‟engagisme, mais il nous offre également le point de vue
des autres communautés. Les colons ne sont pas tous peints comme des despotes.
Jusqu‟à la fin, le Dr. Grant reste, malgré lui, quelque peu fasciné par les rituels
insolites des Indiens, tandis que le Protecteur des Immigrants, Pratt essaye de se
montrer bienveillant avec ces pauvres êtres sans chercher à les intimider comme le
reste des officiers. Le capitaine de l’Atlas va encore plus loin en exprimant sa
fascination pour la culture des Indiens à tel point qu‟il s‟est décidé à prendre sa retraite
dans ce pays. Malgré la brièveté de leur rôle dans le récit, les anciens esclaves noirs ne
manquent pas de dévoiler leur état d‟âme après leur libération. Ayant eu droit à leur
part de souffrances, certains envient secrètement le destin de leur successeurs, alors
que d‟autres, remplis de haine, n‟hésitent pas à dénoncer les Indiens à la moindre
occasion, le seul moyen de prendre leur revanche. Ces points de vue variés indiquent
clairement que l‟auteure ne cherche nullement à prendre parti en faveur de quiconque,
son roman n‟étant pas un réquisitoire contre le système colonial. Il s‟agit avant tout de
donner un visage à des personnages qui ont peuplé une période de l‟Histoire peu
connue : l‟après-abolition de l‟esclavage.
V.2.2. Narration distinctive
A part le premier roman d‟Appanah, les autres sont racontés à la première personne.
En ce qui concerne Les Rochers de Poudre d’Or, il ne s‟agit pas d‟une narration
172
totalement omnisciente. L‟on est ainsi amené à se demander en quoi la technique
narrative employée se distingue du reste des ouvrages. Le choix narratif de l‟auteur
parait judicieux dans la mesure où il peut favoriser l‟adaptation cinématographique de
ce roman. Certains procédés particulièrement intéressants permettent d‟éviter que le
récit de tombe dans un fil narratif linéaire et ennuyeux. En premier lieu, l‟on constate
la singularité des titres attribués aux chapitres. Tous sont tirés du chapitre qu‟ils
introduisent. Certains tels que « Et les cannes en fleur bougeraient dans le vent pour les
saluer »113 et « Quelques étoiles de leurs larmes étaient de chagrin »114 sont imprégnés
d‟une nuance poétique remarquable. Ensuite, l‟on remarque l‟hétérogénéité des
premiers chapitres qui soutient l‟attention des lecteurs qui peuvent les lire quasiment
comme des nouvelles autonomes. En effet, chaque chapitre s‟intéresse à un
personnage, une histoire et un lieu géographique différents. En évitant de mêler leurs
histoires, l‟auteur a su habilement les mener vers un point focal, à savoir l‟Atlas, où
l‟on assiste à la convergence des personnages. Au niveau de la narratologie, Appanah
opère une rupture à partir du moment où le récit est assuré par le docteur Grant. Ainsi,
d‟une narration extradiégétique, nous passons à une narration intradiégétique115.
L‟histoire est alors narrée sous le point de vue méprisant et haineux du docteur Grant.
Il y a également un changement au niveau de la forme narrative, car d‟une narration
plus éparse et moins linéaire, nous passons à une reconstitution chronologique des faits
à travers le journal du capitaine. Cette forme ne semble pas avoir été choisi au hasard
par Appanah, car elle présente également un autre avantage, celui d‟indiquer pour la
première fois dans le récit la situation temporelle : « le 23 avril 1892 »116. Une
nouvelle rupture narrative a lieu dès le début de la deuxième partie, où l‟on revient à
un récit extradiégétique avec l‟exposition des mésaventures des engagés indiens sur la
plantation sous le joug des propriétaires mauriciens. La seconde partie se distingue
aussi de la première par le changement de lieu et la disparition de certains personnages
au profit d‟autres qui font leur apparition, conférant au récit une variété au niveau
113
Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’or, op. cit., p. 129.
Ibid., p. 162.
115
Le narrateur extradiégétique ne fait pas partie de la fiction, mais sait tout ce qui se passe (comme le
narrateur omniscient), tandis que le niveau intradiégétique concerne le point de vue d‟un personnage.
116
Nathacha Appanah, Les Rochers de Poudre d’or, op. cit., p. 77.
114
173
narratif. D‟autre part, en clôturant le roman sur le retour en Inde, l‟auteure semble
représenter une circularité qui assure en même temps la cohésion du texte en refusant
de situer l‟épilogue à l‟Île Maurice. Ce retour à la situation initiale est une symbolique
de la vanité du voyage entrepris par les engagés, puisqu‟ils ne connaissent aucune
progression.
V.2.3. Des épilogues à suspense
Refusant de tomber dans le piège de l‟exotisme ou d‟une narration centrée
exclusivement sur Maurice en tant que telle, Appanah manie une écriture assez sobre,
dans la mesure où elle n‟emploie pas de descriptions surchargées sur des lieux ou des
rituels de nature tropicale. Toutefois, le style n‟en est pas désavantagé, car il est riche
en émotions violentes qui prennent souvent le dessus sur une écriture qui glisserait
plus ou moins dans un simple registre exotique. Il faut avouer qu‟il s‟agit de
caractéristiques propres aux écrivains mauriciens de sa génération. Sans la placer
constamment au même rang que ses contemporains, l‟on pourrait se demander ce qui
caractérise le style particulier de Nathacha Appanah ? Le succès incontestable de son
œuvre romanesque pourrait apporter une réponse. D‟une manière générale, ses récits
sont marqués par ses non-dits, sa violence à travers les traits subversifs du langage,
ainsi que son évolution.
Une attention toute particulière pourrait être conférée au dénouement des romans
étudiés lors de cette recherche. Des épilogues que l‟on peut caractériser de partiels, car
le récit se conclut sur des silences qui marquent la fin de la narration et non du
véritable récit. L‟exemple des Rochers de Poudre d’Or est moins évident, puisqu‟il se
termine sur la misère des engagés indiens cédant à la fatalité de leur sort. Cependant,
l‟on est amené à imaginer une possible résistance de leur part à la fin de leur séjour. La
fin de Blue Bay Palace est remarquable, car elle demeure silencieuse sur le sort qui
attend Maya, coupable d‟un meurtre. La Noce d’Anna clôt également sur une question
posée par Anna à sa mère, à savoir « Qu‟est-ce qui va se passer maintenant,
Maman ? ». Question à laquelle le roman n‟apporte pas de réponse, créant un certain
174
suspense sur le rapport mère-fille. Le Dernier Frère s‟achève sur un témoignage du
vieux Raj qui s‟apprête à raconter à son fils un épisode poignant de son enfance. Ce
geste permettra-t-il au septuagénaire de se libérer de son sentiment de culpabilité ? La
réponse à cette question reste pourtant un mystère.
V.2.4. Une écriture violente
L‟écriture d‟Appanah peut être caractérisée de violente dans la mesure où elle ne
« mâche » pas ses mots, à travers de longues descriptions lyriques ou romantiques.
Cette violence, on la ressent en pénétrant dans les moindres recoins de l‟intimité des
personnages.
En ce qui concerne Les Rochers de Poudre d’Or, le journal de bord du Dr. Grant
marque l‟évolution psychologique d‟un Anglais confronté à la communauté hindoue.
Apparaissant d‟abord comme un homme insatisfait, méprisant et allergique à toute
autre culture que la sienne, particulièrement a la culture indienne qui ne lui inspire que
de la répugnance, (« Je déteste les Indiens. Parfois autant que les mouches, parfois
plus »117), son attitude connaît un certain changement. En effet, il fait preuve d‟une
certaine humanité en certaines circonstances (« Quand ils sont passés devant moi en
gardant les yeux baissés, je crois que j‟ai eu pitié d‟eux. »118), pour devenir victime
d‟hallucinations, tellement leurs rituels et leurs superstitions ont commencé à le hanter.
(« Ils invoquent leur Dieu à plusieurs bras, ils invoquent de choses à têtes menaçantes
et aux langues de sang. »119) D‟un personnage méprisable, le Dr. Grant évolue pour
donner l‟apparence d‟un pauvre être, vivant dans la solitude et inspirant la pitié, au
moment de sa tragique disparition.
Blue Bay Palace, entièrement centrée sur la vie de Maya, est l‟histoire d‟une violence
passionnée, irrémédiable, qui sera à l‟origine de sa ruine. Poignardée au fond d‟ellemême par la trahison de Dave, Maya ne pourra se libérer de l‟emprise de cette passion
117
Nathacha Appanah, Les rochers de Poudre d’or, op. cit., p. 78.
Ibid., p. 82.
119
Nathacha Appanah, Les rochers de Poudre d’or, op. cit., p. 124.
118
175
intense. Elle s‟assimile à son « pays après le cyclone : ravagé, à plat, sens dessus
dessous, la terre dans l‟océan, la mer dans la terre, les racines à l‟air, les arbres à terre,
le vent plus fort que tout… »120 Belle formule qui résume un état d‟âme, dévastée par
la flamme amoureuse.
Le parcours de Sonia, protagoniste de la Noce d’Anna, dépasse celle d‟une mère
célibataire se souciant du bien de sa fille qui tendrait à simplifier le portrait de cette
femme qui s‟est battue toute sa vie pour prouver son instinct maternel. Donnant
d‟abord l‟apparence d‟une personne sachant prendre les choses à la légère, vivant sa
vie au jour le jour, Sonia est totalement bouleversée à l‟idée de se faire rejeter, renier,
oublier par sa fille unique, une crainte qui semble s‟être installée au fond d‟elle. « Je
l‟aime tant, ma fille, je ne voudrais pas qu‟elle s‟en aille, je voudrais qu‟elle soit là, à
mes côtés, je voudrais qu‟elle pleure à ma mort, qu‟elle souffre, qu‟elle parle de moi
les larmes aux yeux, même des années après ma mort »121. Il s‟agit de divagation,
certes, mais ce délire ne peut guère nous laisser indifférent, dans la mesure où il
illustre le cri de détresse maternel.
Le cas du Dernier frère est plus complexe, car il ne repose ni sur des liens familiaux ni
sur des rapports amoureux, mais il décrit d‟une amitié enfantine dont le poids a marqué
le protagoniste pendant le reste de son existence. Tiraillé déjà entre la violence
familiale d‟un père ivrogne et agressif et la mort tragique de ses frères, le petit Raj est
condamné à se sentir responsable toute sa vie d‟un acte commis dans l‟enfance. Quoi
de plus terrible que de porter un tel fardeau jusqu'à la fin de ses jours ? « Quand je
parle de David, mon cœur est lourd, ma tête fourmille et je voudrais pleurer tellement
les regrets m‟assaillent.»122 A ce sentiment de remords, s‟est ajouté le choc de la
révélation concernant la véritable histoire des Juifs pourchassés de leur pays, dont
David faisait partie : « J‟ai craqué comme une branche sèche et bouffée par les mites
quand j‟ai appris enfin la véritable histoire de David. » Un énoncé, dont la brutalité
120
Nathacha Appanah, Blue Bay Palace, op. cit., p. 73.
Nathacha Appanah, La Noce d’Anna, op. cit., p. 74.
122
Nathacha Appanah, Le Dernier Frère, op. cit., p. 160.
121
176
nous plonge dans l‟émotion, à la pensée qu‟un être ait survécu à une telle culpabilité
qui l‟a hantée toute son existence.
En somme, les êtres peuplant le monde romanesque d‟Appanah ne sont pas des
caricatures, mais des personnages aux traits poignants, qui ne manquent pas
d‟émouvoir le lecteur, sans pour autant plonger le récit dans un intense pathos.
177
Conclusion
178
Conclusion
La Littérature francophone cesse progressivement d‟être toujours synonyme avec
une littérature postcoloniale ou une littérature identitaire pour s‟inscrire dans une
optique plus personnalisée. En ce qui concerne la littérature francophone de l‟Océan
Indien, il semble qu‟elle n‟ait pas été aussi bien exploitée que les littératures d‟Afrique
ou du Québec, d‟où l‟intérêt d‟explorer de nouveaux horizons pouvant mener à de
nouvelles perspectives du monde, favorisant un meilleur enrichissement du champ
littéraire francophone.
Notre thèse s‟est fondée sur un postulat : il existe une logique interne reliant les
romans à succès de Nathacha Appanah, figure contemporaine de la littéraire
mauricienne d‟expression française. Nous nous sommes efforcés de montrer que ce
lien résidait dans le concept de la quête. Le but de cette thèse a été de montrer
comment les ouvrages de Nathacha Appanah conçoivent le concept de la quête et
toutes les représentations qu‟ils en donnent. Durant cette étude thématique de ses
romans, nous avons pu mettre à jour différents éléments : au delà de la quête
identitaire, Appanah nous met en face de quête liée au déracinement, à la
délocalisation ; il s‟agit également de la découvrir au niveau psychologique, lorsqu‟elle
concerne les rapports complexes existant entre des individus ayant des traits très
différents.
Nathacha Appanah, comme les autres écrivains mauriciens, offre aux lecteurs un
tableau de sa patrie peuplée de personnages ayant pourtant certains points communs :
Ils ne cèdent jamais devant le malheur. Ainsi, les engagés sont résolus à rester en vie,
sans doute attendant une lueur d‟espoir. Maya ne se laisse pas abattre par son chagrin
d‟amour et décide de lui faire face à sa façon. Quant à Sonia, elle mène sa vie tant bien
que mal, malgré un certain malaise qui la hante depuis la naissance de sa fille. Raj
rejoint d‟une certaine manière la destinée des personnages cités précédemment, car il
survit en dépit du remords qui n‟a jamais cessé de le ronger depuis son enfance.
179
Malgré l‟adversité qui les poursuit, ces personnages sont impliqués dans la vie et ne
renoncent jamais à l‟assumer jusqu‟au bout. Cette seule vertu fait d‟eux des
personnages attachants qui ont également le mérite de faire ressurgir différentes
facettes évidentes de l‟Île Maurice, surtout celles dont on se douterait le moins, celles
que le monde n‟a jamais connues puisqu‟elles s‟éloignent du paysage exotique sans
cesse célébré dans les brochures ou les cartes postales. La réalité mauricienne se révèle
beaucoup plus complexe et multiforme. Des auteurs mauriciens francophones
démontent tous ces clichés, entourant l‟Île Maurice et nous montrent une réalité très
dure, parfois même inhumaine.
Actuellement, Nathacha Appanah demeure sans aucun doute une des figures
littéraires les plus prometteuses de la littérature mauricienne d‟expression française. En
attendant la sortie de son prochain ouvrage, nous espérons que notre recherche aura
apporté suffisamment de réponses à la problématique posée dans l‟introduction, tout en
ayant pu susciter la curiosité des futurs chercheurs quant à l‟exploration d‟une section
de la littérature francophone centrée sur l‟Océan Indien, qui mériterait d‟être analysé
en profondeur, tellement cet espace littéraire bouillonne de talents incomparables. Il
semble que les écrivains francophones d‟origine mauricienne n‟ont pas dit leur dernier
mot.
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http://fr.netlog.com/Le_BlogDeJosaphatRobertLarge/blog/blogid=3364319
(Date de consultation : 11 / 07 / 2011)
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/devi.html
(Date de consultation : 13 / 07 / 2011)
http://www.dailymotion.com/video/xegmb1 cimetière-juif-de-saint-martin-ile
news
(date de consultation : 5 / 08 / 2011)
http://astrosurf.com/luxorion/esclavage8.htm
(date de consultation : 10 / 08 / 2011)
195
Table des matières
INTRODUCTION…………………………………………………………1-8
1. Contexte francophone et mauricien………………………………………..1
2. Méthodologie et plan succinct de la thèse…………………………………6
CHAPITRE I
Les multiples facettes de l‟Île Maurice………………………………..10-42
I. 1. Le facteur géographique…………………………………………….10
I.1.1. Localisation spatiale…………………………………………...11
I.1.2. L‟Île Maurice, vue par Nathacha Appanah……………………14
I. 2. Le parcours historique…………………………………………….16
I.2.1. Une découverte mystérieuse…………………………………...16
I.2.2. La période hollandaise ………………………………………...17
I. 2.3. La période française ………………………………………….18
I. 2.4. La montée en puissance de l‟Empire britannique…………….20
I.2.5. Le XXème siècle………………………………………………21
I. 3. L‟atout culturel……………………………………………………22
I. 3.1. Vers une genèse de l‟identité culturelle…………………….....24
I. 3.2. La diversité linguistique………………………………………26
I. 4. La littérature mauricienne…………………………………………28
I. 4.1. La littérature mauricienne avant l‟indépendance……………...30
I. 4.2. Le créole : un statut spécial…………………………………...31
196
I. 4.3. L‟évolution des thèmes dans les romans mauriciens………......32
I. 4.4. La littérature mauricienne de langue française, par excellence...34
I. 4.5. Les écrivains francophones, représentatifs de l‟Île Maurice…...38
I. 4.6. Un bref aperçu des romanciers mauriciens du XXIème siècle...40
CHAPITRE II
Nathacha Appanah, représentante de l‟le Maurice…………………..44-80
II. 1. Le parcours de Nathacha Appanah………………………………..44
II. 2. L‟œuvre de Nathacha Appanah…………………………………...45
II. 2.1. Les Rochers de Poudre d’Or………………………………...46
II. 2.2. Blue Bay Palace……………………………………………..56
II. 2.3. La Noce d’Anna……………………………………………..61
II. 2.4. Le Dernier Frère…………………………………………….66
II. 3. Les thèmes unificateurs…………………………………………...71
II. 3.1. L‟île Maurice : lieux symboliques……………………………71
II. 3.2. Le trajet……………………………………………………….73
II. 3.3. Le retour dans le temps……………………………………….74
II. 3.4. L‟exil………………………………………………………….75
II. 3.5. La société plurielle……………………………………………77
CHAPITRE III
Le fond historique lié à la quête……………………………………...82-131
III. 1. Le système de l‟engagisme à l‟Île Maurice……………………...82
III. 1.1. L‟arrivée « indienne »……………………………………….82
III. 1.2. Sous l‟occupation anglaise………………………………….84
III. 1.3. Condition de recrutement et de voyage……………………..86
III. 1.4. Conditions de travail sur l‟île……………………………….90
197
III. 1.5. La place de l‟engagé indien dans la société mauricienne…...95
III. 1.6. Fin de l‟immigration contractuelle………………………….96
III. 1.7. Les engagés vs les esclaves : destin commun ?......................97
III. 1.8. La polémique concernant « l‟immigration contractuelle »..102
III. 2. L‟antisémitisme insulaire……………………………………….105
III. 2.1. Origine de l‟antisémitisme………………………………....106
III. 2.2. La période hitlérienne……………………………………...109
III. 2.3. Un incident méconnu ?.........................................................110
III. 2.4. L‟origine de la quête juive………………………………....112
III. 2.5. L‟odyssée de l‟Atlantic : un voyage tumultueux…………..113
III. 2.6. La vie carcérale à Maurice………………………………....117
III. 3. L‟intérêt du fond historique…………………………………….125
III. 3.1. L‟engagisme dans Les Rochers de Poudre d’or…………..126
III. 3.2. La détention des Juifs dans Le Dernier Frère……………..128
CHAPITRE IV
La quête des personnages…………………………………………...133-159
IV. 1. Aperçu général et définitions de la notion de quête…………….133
IV. 2. La quête dans les Rochers de Poudre d’Or…………………….134
IV. 2.1. Les deux facettes de la quête……………………………....135
IV. 2.2. Une quête unifiante………………………………………...138
IV. 2.3. L‟issue de la quête………………………………………...139
IV. 3. La quête dans Blue Bay Palace…………………………………140
IV. 3.1. Une quête changeante……………………………………...141
IV. 3.2. Un résultat ambigu………………………………………...144
IV. 4. La quête dans La Noce d’Anna…………………………………145
IV. 4.1. Les origines d‟une quête psychologique…………………..145
198
IV. 4.2. Un déroulement contradictoire…………………………….149
IV. 4.3. Une quête accomplie……………………………………....151
IV. 5. La quête dans La Dernier Frère………………………………..153
IV. 5.1. Une quête de nature « enfantine »………………………....153
IV. 5.2. Une aventure insouciante………………………………….155
IV. 5.3. Un aboutissement révélateur………………………………158
CHAPITRE V
La Déconstruction des Mythes dans l‟Œuvre de Nathacha
Appanah...............................................................................................161-177
V. 1. Des mythes déconstruits………………………………………...161
V. 1.1. Mythe concernant l‟esclavage……………………………..162
V. 1.2. Mythe d‟une société multiculturelle et harmonieuse……….164
V. 1.3. Mythe du retour aux origines……………………………….167
V. 1.4. Mythe d‟une nation neutre………………………………….168
V. 2. Une narration personnalisée…………………………………….171
V. 2.1. Points de vue multiples…………………………………….171
V. 2.2. Narration distinctive………………………………………..172
V. 2.3. Des épilogues à suspense…………………………………..174
V. 2.4. Une écriture violente……………………………………….175
CONCLUSION…………………………………………………………...179
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE…………………………………..........181
TABLE DES MATIÈRES………………………………………………..196
199

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