Le psittacidé, le rapace et le Sukhoi 26 On voit régulièrement revenir

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Le psittacidé, le rapace et le Sukhoi 26 On voit régulièrement revenir
Le psittacidé, le rapace et le Sukhoi 26
On voit régulièrement revenir la maxime, d'ailleurs souvent attribuée à Wilbur Wright, selon laquelle
« l'oiseau qui répète tout ce qu'on lui dit est le perroquet, c'est aussi celui qui vole le plus mal ». Ou
quelque chose d'approchant mais de tout aussi désobligeant.
En laissant de côté le sort de certains volatiles d'aérodrome manifestement visés par ces propos peu
amènes, et au risque de passer pour un outrecuidant lèse-légende aéronautique, je voudrais prendre
la défense du perroquet et des psittacidés en général qui ne me semblent pas mériter l'opprobre des
aviateurs plutôt moyens que nous sommes, qui par ailleurs s'évertuent à porter au pinacle les
supposées performances des rapaces.
D'abord, le perroquet est un oiseau qui vole très bien, à condition qu'on ne le mette pas en cage,
qu'on ne lui rogne pas les ailes et qu'on ne l'enchaîne pas à un perchoir, autrement dit qu'on le laisse
profiter de la liberté qu'on admire tant chez les rapaces et que nous autres pilotes nous targuons
d'avoir conquise. Et toc.
Ensuite, un perroquet est capable de voler en pleine forêt de branche en branche avec précision et
agilité, avec de brusques accélérations et de confortables pentes de montée ou de descente, la
transition vol vertical/vol horizontal étant chez lui chose toute naturelle. Demandez voir à un faucon
de faire la même chose : je signale pour information qu'on trouve de temps à autre dans le sous-bois
des cadavres de faucons ayant voulu attaquer une proie avec piqué à la Vne suivi par un slalom
dément entre les arbres en tirant des G de dingue, tout cela pour venir s'empaler lamentablement
sur un moignon de branche morte. Des perroquets empalés dans la forêt, on n'en trouve pas, c'est
un fait.
Le perroquet est aussi capable d'évoluer avec adresse dans les interstices de la forêt dense en se
frottant aux branches, feuilles et lianes, sans que sa cellule en souffre le moins du monde : pas mal,
non ? On peut toujours suggérer à un aigle impérial de voler en se frottant à des obstacles, on verra
si le résultat est impérial. Et d'ailleurs si les rapaces passent leur temps à orbiter en altitude en
cherchant des pompes, ce n'est pas par soif d'absolu, c'est tout simplement qu'ils n'ont rien dans le
sternum ! Et s'ils se contentent de choper des mulots sans défense en rase campagne, c'est bien
parce que leur sous-motorisation de gringalet leur impose des longueurs de piste pas possibles pour
redécoller !
Par ailleurs, le perroquet est capable de se déplacer le long d'un tronc tête en haut ou en bas, pardessus ou par-dessous les branches, et ceci en marche avant ou arrière. Ces étonnantes capacités de
« roulage tridimensionnel » lui sont conférées par un train d'atterrissage sophistiqué à doubles
pattes opposables complétées d'un puissant bec, l'ensemble lui permettant de gagner des points
d'arrêt acrobatiques. Peu d'oiseaux maîtrisent aussi bien cette technique et pourtant, chacun sait à
quel point un décollage réussi ne peut qu'être le résultat d'un bon roulage ! Décollage que le
perroquet effectue en cinq sec, aussitôt dit aussitôt fait et sans prétention, à la différence du rapace
qui jette toujours un oeil à droite et à gauche pour vérifier qu'on le regarde et bien faire comprendre
qu'il s'apprête à réaliser un truc soi-disant d'exception.
Pour ce qui est de l'approche et de l'atterrissage, c'est du même tonneau : vous n'avez même pas le
temps d'analyser la PTU glissée-dérapée-glissée du perroquet que son train encaisse déjà de solides
G sans broncher, le voilà déjà à poste frein de parc serré sur sa branche comme s'il y avait toujours
stationné, tandis qu'avec le rapace c'est toute une histoire de prise de terrain interminable avec
sortie ostentatoire des volets et du train en finale, genre matez un peu mes winglets les gars, tout
cela s'achevant par une série de petits rebonds assez ridicules quand ce n'est pas par une grotesque
culbute cul par-dessus tête.
Côté conversation, s'il est vrai que le perroquet répète ce qu'on lui raconte, c'est parce que c'est un
oiseau sociable et sympa qui ne cherche pas à rabaisser son interlocuteur : si on lui dit des conneries,
il les ressort (ça peut toujours servir de miroir) mais si on lui parle de choses intéressantes, il se met
au niveau. Il serait d'ailleurs sûrement éducatif de savoir ce qu'ils se racontent dans la forêt vierge et,
tant qu'on n'aura pas réussi à décoder ces briefings originels sur l'art du pilotage et son
enseignement, on fera peut-être bien d'éviter de gloser sur leur intelligence... On pourra d'ailleurs
comparer la richesse de leur discours avec la pauvreté du vocabulaire de ces buses triplement
asociales qui s'époumonent avec de pauvres "kaï kaï kaï" tout juste bons à affoler les musaraignes !
Et puis ventrebleu, parlons un peu de décoration ! Voyez chez les perroquets ces rouges écarlates,
ces bleus argentés et ces jaunes éclatants, toute cette palette subtilement moirée et relevée de fins
lisérés noirs ou blancs, ça les amis c'est de la déco ! On dit toujours qu'il faut, pour éviter les
prédateurs, se fondre dans le tableau, le moins qu'on puisse dire est que le perroquet fait preuve de
ce côté-là d'un certain panache ! Et qui oserait lui comparer les faucons, buses et autres milans, qui
n'ayant pourtant guère de prédateurs, sont tout habillés de gris ou de brun ou même de noir comme
des croque-morts, mais quels tristes sires !
Le comble, c'est que nous autres aviateurs ne nous gênons pas pour décorer sans aucun scrupule des
Falco, Christen Eagle et autres Swift de superbes bleus, rouges ou jaunes dignes d'un Ara Araurana en
splendeur, sans jamais rendre hommage à l'oiseau inspirateur de telles décorations, qui n'est
pourtant ni le faucon, ni l'aigle ni le martinet !
J'attends le jour où l'on verra sur nos terrains ces mêmes aéronefs, à la décoration outrageusement
usurpée, décoller sec et se poser aussi sec après avoir slalomé dans la forêt, pour l'instant on en est
encore assez loin. Hormis, et je tiens à le faire remarquer, le Sukhoï 26 de Xavier de Lapparent, un
avion doté d'un impressionnant sternum, très bien décoré et dont le pilote parvient à obtenir des
PTU dans le plan vertical, des transitions vol horizontal/vol vertical et des tas d'autres choses assez
psittacidèles. Et que je sache, aucun pilote qui se respecte n'oserait se gausser de cette machine ni
dénigrer la finesse manoeuvrière de son pilote !
A la vérité, cet éloge du rapace et cette moquerie du perroquet ne sont-ils pas comme le double
reflet de nos pauvres performances ? Il nous faut bien railler le perroquet puisqu'à l'instar des
rapaces, notre roulage est gauche et laborieux, nos modestes motorisations ne nous permettent pas
de décoller de n'importe quel coin de campagne, nos faibles pentes de montée nous obligent à
couper lianes et branches en dessinant des cônes de servitudes (notez le vocabulaire) et nous
contraignent à calculer savamment tout un tas de Vr et de Vz, quand ce n'est pas à optimiser les
temps de montée et de croisière pour économiser un pouième de chouia d'énergie, bref nous
condamnent en réalité à fonctionner à l'économie, sans panache, sans brio.
Il est d'ailleurs à craindre que ce soit précisément de ce genre de calcul d'apothicaire que les
perroquets se gaussent bruyamment, chez eux, dans leur forêt... Allez savoir !
Bref, pour toutes ces raisons, et sans vouloir faire injure à Wilbur, je pense que nous ferions mieux de
sérieusement réviser notre jugement sur les perroquets dont le panache, l'art de la décoration et les
performances au roulage et en vol peuvent en remontrer largement aux rapaces et méritent à mon
sens tout notre respect.
Quant aux oiseaux d'aérodrome évoqués plus haut, on pourra leur chercher une famille aviaire plus
adaptée, celle des casoars par exemple, qui vous toisent d'un air aussi absent que leur pilotage qu'ils
ont perdu depuis longtemps...
Quoique, si on y regarde de plus près, le casoar... mais c'est une autre histoire.
Henri Payre