Régent TS : « Nous avons fait le pari de l`expertise scientifique

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Régent TS : « Nous avons fait le pari de l`expertise scientifique
pesticides
Régent TS : « Nous avons fait le pari de l’expertise
scientifique », explique l’avocat de BASF Agro
Suite à la confirmation
par la Cour de cassation
de l’absence de responsabilité du Régent TS dans les
mortalités d’abeilles,
Me Jean-Luc Soulier, l’avocat
de BASF Agro dans cette
affaire, livre ses réflexions
en exclusivité pour A&E.
Neuf années se sont écoulées
depuis le début de cette très
longue instruction, qui s’est avérée
au final sans fondement
juridique ni scientifique.
Comment un dossier aussi peu
solide a-t-il pu voir le jour ?
Au début de la procédure pénale en 2002, le Régent TS n’était
pas visé. L’instruction portait à l’origine sur des surmortalités d’abeilles
en Midi-Pyrénées, provoquées par
des produits interdits en France
mais importés, et mélangés avec
du white spirit et du dentifrice. La
substance active du Régent TS, le
fipronil, est apparue pour la première fois dans le dossier d’instruction en 2003 au sein d’une liste
de substances autorisées, sans
qu’aucune responsabilité dans les
surmortalités d’abeilles ne lui soit
imputée. L’avocat de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf)
et de la Confédération paysanne
a alors convaincu le juge d’instruction de l’époque de désigner des
experts afin de donner un avis sur
la toxicité du Régent TS . Lorsque
BASF Agro et Bayer – le précédent
propriétaire de la molécule –, ainsi
que leurs dirigeants respectifs, ont
été mis en examen un an plus tard,
nous avons découvert que les deux
principaux experts désignés par le
juge l’avaient été sur la recommandation des parties civiles, et qu’ils
avaient de surcroît participé à des
congrès d’une des parties civiles,
en l’occurrence l’Unaf ! Or, c’est sur
la base du rapport de ces experts,
qui n’offraient pas, loin s’en faut,
toutes les garanties d’indépendance
et d’impartialité, que mes clients ont
été mis en examen en février 2004.
Pourquoi la Confédération
paysanne et l’Unaf s’en sont-elles
prises au Régent TS ?
En réalité, elles souhaitaient, à
travers cette instruction, poursuivre
leur combat contre le Gaucho, un
concurrent du Régent TS. Dans cette
guerre idéologique, qui concerne
plus largement l’essentiel des pesticides utilisés en enrobage de
semences, tous les coups étaient
permis. En 2003 et 2004 , on a
ainsi assisté à un déchaînement
médiatique sans précédent. Des
personnages improbables ont fait
leur apparition sur les écrans de
télévision, propageant des prédictions catastrophistes de toute nature
et des accusations farfelues. À les
croire, les producteurs de produits
phytosanitaires voudraient tuer les
abeilles. Pire, ils mettraient en danger l’humanité entière. Les journaux
télévisés ont repris en boucle cette
phrase qu’Albert Einstein n’a pourtant jamais prononcée : « Si l’abeille
venait à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à
vivre ». Grâce à cette croisade pour
la défense des abeilles, quelques
responsables politiques se sont forgé
une nouvelle notoriété. Notamment
Philippe de Villiers, qui a retrouvé le
chemin des plateaux de télévision
après la publication de son pamphlet Quand les abeilles meurent,
les jours de l’homme sont comptés.
Quelle a été votre stratégie dans
le cadre de l’instruction pénale ?
Nous avons fait le pari de
l’expertise scientifique. Lorsque le
juge d’instruction a manifesté son
intention de renvoyer mes clients
devant le tribunal correctionnel, nous
lui avons fait livrer par camion 460
kilos d’études scientifiques et d’avis
d’organismes indépendants sur la
base desquels le Régent TS avait été
autorisé à la vente dans le monde
N°105 | JUILLET-AOUT 2012
entier. Il s’est donc rendu compte
que face à l’avis de deux experts,
il y avait ceux – beaucoup plus
argumentés – qui avaient conduit à
l’autorisation du fipronil dans plus de
70 pays, après plus de 10 années
de tests et d’analyses de laboratoire,
pour un coût global de plus de
200 millions d’euros !
Notre première demande
a donc été la désignation de
nouveaux experts, véritablement
indépendants. En parallèle,
les autorités européennes ont
homologué le fipronil dans le cadre
du processus d’autorisation de toutes
les substances actives prévu par la
Directive 91/414 , confirmant de
nouveau son innocuité en usage de
traitement de semences, tant pour
l’homme que pour les abeilles.
Constatant l’absence de lien
entre les surmortalités d’abeilles et
l’utilisation du Régent TS en traitement
de semences, le juge d’instruction
– qui a changé au cours de
l’instruction – a, sur réquisition du
procureur de la République, rendu
une ordonnance de non-lieu le
30 janvier 2009. Ce non-lieu a été
confirmé par la cour d’appel de
Toulouse par arrêt du 2 septembre
2010, puis par la Cour de cassation
par arrêt du 30 mai 2012. L’immense
avantage de la justice, c’est qu’elle
peut ne pas se laisser intoxiquer par
l’agitation médiatique…
Quels enseignements avez-vous
personnellement tirés de cette
affaire hors norme ?
D’abord, que les médias sont
généralement prompts à reprendre
les prédictions alarmistes, sans
faire preuve d’esprit critique. Le
fait que le Régent TS n’est en rien
responsable des surmortalités
d’abeilles est scientifiquement
établi. Or, les médias affirment
encore régulièrement aujourd’hui
que le Régent TS tue les abeilles. De
ce point de vue, nos adversaires
semblent avoir gagné. L’opinion
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Participation insignifiante
des apiculteurs aux enquêtes
sur la santé des abeilles
Les apiculteurs français sont-ils réellement préoccupés par la santé des
abeilles ? Cette impertinente question mérite d’être posée au regard de la
maigre participation du monde apicole aux diverses enquêtes censées mieux
appréhender le problème. Pour la cinquième année consécutive, l’Institut
de l’abeille a ainsi tenté de quantifier les pertes hivernales de colonies
d’abeilles. Ces résultats importants sont destinés à intégrer la base de données
internationale sur les pertes de colonies du réseau COLOSS, qui est composé de
plus de 250 chercheurs provenant de plus de 120 pays.
Étant donné les graves difficultés déplorées par les syndicats apicoles – et
l’importance qu’ils attribuent au rôle de l’abeille –, on aurait pu s’attendre à
une vaste collaboration de la part des 41 850 apiculteurs recensés en France.
Or, l’enquête COLOSS 2012 a enregistré la participation de… 113 apiculteurs
français, dont à peine 40 professionnels ! Ce qui veut dire que moins de 0,3%
d’entre eux ont estimé utile de répondre à un simple questionnaire ! Pire, plus
de la moitié des participants étaient des apiculteurs amateurs à la tête d’un
seul rucher. « L’ITSAP-Institut de l’abeille a reçu un nombre de réponses qui reste
insuffisant », note la rédactrice du rapport, Céline Holzmann. C’est le moins
qu’on puisse dire ! « Les résultats ne peuvent donc être considérés autrement
que comme une photo très partielle de la situation », poursuit-elle. Ce qui ne
l’a pas empêchée de calculer, sur la base de ces informations absolument non
représentatives, un taux de pertes hivernales estimé à 20,7 %. On savoure la
précision du chiffre…
Selon ce rapport, 11 % des apiculteurs concernés font part de problèmes
d’intoxication, 14 % d’attaques de Vespa velutina et 6 % de vols et vandalisme.
Comme par hasard, tous les problèmes de pathologies (virus, varroa, nosema,
etc.) sont passés sous silence. Par ailleurs, on découvre que seulement 42 % des
apiculteurs ayant répondu confirment utiliser des médicaments disposant d’une
AMM pour traiter contre le varroa ; 40 % admettent utiliser des « préparations
extemporanées ». C’est-à-dire des mélanges maison. Quant aux 99,7 %
apiculteurs qui n’ont pas pris la peine de répondre, mystère.
U
publique reste ainsi persuadée
que les pesticides sont la cause
du déclin des abeilles. Et rien ne
semble pouvoir la faire changer
d’avis. Même des journaux pour
enfants transmettent ce genre de
messages. Dans son numéro d’avril
2012, le magazine Wapiti contient
ainsi une planche sur laquelle on
voit un ours faire signer à d’autres
animaux une pétition contre
l’utilisation du Gaucho et du Régent,
avec ce dialogue surprenant :
« – Régent, Gaucho, c’est quoi ces
trucs ? – Des pesticides. Qui tuent
aussi les abeilles ». À l’inverse, la
confirmation du non-lieu par la Cour
de cassation, le 30 mai dernier, n’a
pratiquement pas été reprise dans
la presse, et encore moins sur les
chaînes de télévision et de radio.
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Je constate également la puissance
des « tempêtes médiatiques », qui
ont plus d’importance aux yeux de
certains responsables politiques
que les conclusions scientifiques
des organismes d’évaluation et
de contrôle indépendants, dont la
fonction consiste pourtant à éclairer
leurs décisions.
Les médias ont-ils, selon vous, joué
un rôle dans la mise en cause
de vos clients ?
Absolument. Au moment du
retrait de l’autorisation de vente
du Régent TS , José Bové était
omniprésent dans les médias, grâce
à une succession d’actions violentes
pour lesquelles il a été condamné
par la justice. À l’époque, on nous
a fait comprendre que le retrait de
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l’autorisation de vente du Régents TS
était nécessaire pour ne pas lui offrir
une tribune à l’approche d’élections
locales très mal engagées. Cet
arbitraire du politique sur des sujets
de nature exclusivement scientifique
a des conséquences importantes.
Tout d’abord, pourquoi avoir des
autorités d’évaluation indépendantes
lorsqu’en réalité, sur toute une
série de sujets, la raison d’État
a simplement cédé la place à la
raison électorale ? Doit-on dès lors
s’étonner que les fonctionnaires et
experts indépendants nommés dans
les organismes d’évaluation et de
contrôle se désespèrent de voir les
ministres qui se succèdent ignorer
ou déformer leurs avis ? Or, avec la
nouvelle affaire du Cruiser OSR, rien
ne semble avoir changé…
D’autre part, le sentiment d’insécurité juridique qui en découle pour
les entreprises ne favorise pas les
investissements étrangers en France,
pays considéré comme peu fiable
et imprévisible. Seule la France a
interdit successivement le Gaucho, le
Régent TS et le Cruiser, privant ainsi
ses agriculteurs de solutions pour
lutter contre les nuisibles souterrains
qui menacent leurs récoltes. C’est le
résultat de la diabolisation du secteur de la chimie et de l’agrochimie,
pourtant indispensable aux sociétés
modernes. Cette diabolisation n’est
pas sans rapport avec le fait que
la France connaît une désindustrialisation plus importante que d’autres
pays européens, notamment l’Allemagne. Par ailleurs, nous assistons
à une délocalisation accélérée des
laboratoires de recherche, notamment dans des domaines aussi importants pour l’avenir que celui des
organismes génétiquement modifiés.
Cette exception française pourrait
constituer un sujet d’études très
intéressant pour les sociologues :
comment expliquer que les Français
se méfient autant des entreprises
industrielles et des progrès de la
science, alors qu’ils vivent de plus
en plus vieux et avec des niveaux
de protection sans précédent ?
Selon certaines études, les Français
seraient aujourd’hui l’un des peuples
les plus pessimistes au monde.
Et pourtant, ils vivent dans l’un des
plus beaux pays…
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