Je me souviens - Maison des Leaders

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Je me souviens - Maison des Leaders
Entre vous et moi Rémi Tremblay est patron depuis l’âge de 22 ans. Ancien PDG d’Adecco Canada,
il a fondé La Maison des leaders, une firme qui accompagne les leaders et leurs
équipes. Son dernier ouvrage, J’ai perdu ma montre au fond du lac (2009),
coécrit avec Diane Bérard, indique aux gestionnaires la voie de la tranquillité.
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Je me souviens
Je me souviens d’avoir déjà fait partie de la relève. Jeune, frais
émoulu de l’université, la tête remplie d’idées, de rêves et de
projets que je souhaitais réaliser dans les entreprises pour
lesquelles je travaillerais, j’avais de grandes aspirations quant
à la façon de vivre l’aventure du travail. Et je n’avais qu’une
envie : partager cette énergie et cette motivation avec mes
patrons. Mieux, je rêvais de contribuer à améliorer
les services et l’atmosphère de travail…
Hélas, il en a été tout autrement ! Les
entreprises qui m’ont embauché me
formaient pour que je connaisse les
produits, les systèmes, les techniques de vente, m’informaient des
politiques et des procédures de
la société ; mais jamais on ne
me demandait mon avis, jamais on ne me faisait participer au processus décisionnel.
Bien sûr, j’avais — comme tous
les jeunes — un sens critique
aiguisé, et mes jugements
étaient peu nuancés. Mais,
j’en étais persuadé, j’avais de
bonnes idées.
Je me souviens, alors que je travaillais au service de la photographie
d’un grand magasin, avoir reçu deux importants lots d’affiches encadrées. Après avoir
observé le comportement des clients, j’ai vite compris
ce qui leur plaisait. J’ai donc pris l’initiative de me rendre à
l’entrepôt, après le boulot, afin de choisir les affiches les plus
populaires et de les faire livrer au magasin. Résultat : ce moislà, nous avons atteint un record de ventes. Moi, en revanche,
j’ai récolté une montagne de réprimandes : un grief des employés de l’entrepôt, une insulte du responsable des étalages,
une mise en garde de mon patron me rappelant de rester à ma
place (avec un sourire complice !). On a alors refait les étalages
avec le matériel restant… qu’on a dû retourner au fournisseur
trois mois plus tard, faute de l’avoir vendu. Ma seule reconnaissance, je l’ai obtenue des clients, qui m’envoyaient leurs
amis afin que je les conseille dans l’achat d’une affiche.
J’ai relevé un manque de considération semblable
pour l’intelligence des jeunes de la relève dans une usine de
viande où j’ai travaillé un été. J’étais jumelé à M. Moore, un
« vieux » de 38 ans, astucieux et fort sympathique, qui
s’amusait à m’expliquer tout ce qui pourrait accroître l’efficacité dans l’usine. Mais pourquoi n’en parlait-il pas au
contremaître ? « Une idée brillante ne pouvait pas
venir d’un jeune ouvrier. Si ça se produisait,
certains hauts gestionnaires se sentiraient
menacés », m’a-t-il répondu.
Puis, quelques années plus tard,
alors que j’étais stagiaire dans une
société parisienne, un patron
s’est mis à s’intéresser au rêve
que je caressais — lancer une
filiale du groupe au Québec —
et à me questionner. Il était
fasciné par mon désir de réinventer le métier qu’on faisait
dans cette boîte. Le projet utopique d’un jeune de 22 ans, me
direz-vous ? Il semble que ma
naïveté, mon pouvoir de conviction et mon grand désir de réussir
ont porté fruits. Mon patron m’a accordé sa confiance et m’a donné la latitude nécessaire pour concrétiser mon rêve,
devenu nôtre. Ainsi soutenu, j’ai fait de l’entreprise le numéro un sur le marché d’ici.
Quelle différence y a–t-il entre la situation du jeune employé d’un grand magasin, celle de l’ouvrier jumelé à
M. Moore et celle du stagiaire à Paris ? La réponse : le patron !
Et nous, les patrons d’aujourd’hui ? Que faisons-nous de
la relève dans nos organisations ? Quelle place lui accordonsnous ? Jusqu’à quel point valorisons-nous sa contribution ?
Quand je m’arrête pour me rappeler cette époque où je faisais
partie de la relève, je me mets à l’écoute des jeunes. Je les
questionne sur leurs aspirations, je suis attentif à leur vision
de l’entreprise. Et, le plus souvent, c’est très inspirant !
Et vous, vous souvenez-vous des années où vous incarniez
la relève ?
Illustrations : Martin Gagnon (R. Tremblay), Boris Zaytsev