La presse écrite peut-elle survivre - l`Association des Sciences-Po
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La presse écrite peut-elle survivre - l`Association des Sciences-Po
MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:54 Page 21 dossier La presse écrite peut-elle survivre ? Baisse tendancielle de la diffusion, déficit chronique d’un certain nombre de titres, menaces de disparition de journaux, vieillissement du lectorat, contraction des rédactions, les signes d’une crise profonde de la presse écrite se multiplient et s’aggravent. Confrontés à un redoutable effet de ciseaux, avec la hausse des coûts d’un côté, la baisse des recettes de l’autre, qu’il s’agisse des ventes, de la publicité ou des annonces, de nombreux journaux sont dans l’impasse économique ou s’y acheminent. Certes, la presse magazine est foisonnante, mais elle sait qu’elle ne sera épargnée ni par la crise du marché publicitaire, ni par la croissance du numérique. Le développement des gratuits atteste d’une demande persistante d’information sur support papier, mais son modèle économique reste fragile de l’aveu même de ses éditeurs. Internet envoie pour sa part des signes ambivalents : les sites d’information des journaux sont très consultés et de nouvelles opportunités se créent ; en même temps, en permettant une multiplication de sites de plus en plus spécialisés, Internet modifie notre rapport à l’information, fragmente nos besoins, fonctionne davantage selon une logique de la demande que de l’offre. L’essence même des journaux généralistes, qui est d’offrir aux lecteurs un panorama régulier et complet de l’information, semble compromise. Quant à la viabilité économique des sites d’information, qu’ils soient associés ou non à des journaux existants, elle n’est pour le moment pas assurée : la gratuité reste le modèle dominant sur Internet et les recettes de publicité sont à la fois insuffisantes et trop mal réparties pour assurer la rentabilité de ces sites. Qu’elle soit imprimée sur le papier ou accessible par Internet, nul ne conteste pourtant l’importance capitale d’une presse écrite dans une démocratie. Nécessaire à la liberté d’expression et d’information, support indispensable à la révélation d’informations, instrument d’analyse et de mise en perspective de l’actualité, l’écrit offre à ses lecteurs, à intervalles réguliers, un tableau non seulement vérifié et hiérarchisé, mais encore complet de ce qu’un honnête homme doit savoir de son activité, de son pays et du monde, pour exercer sa responsabilité de citoyen et vivre en homme libre. Acteur majeur du débat public et de l’évolution des idées, la presse écrite joue un rôle déterminant dans la construction de l’opinion publique et l’émergence d’une culture commune partagée. C’est bien pour cela qu’elle doit être pluraliste et indépendante, pour cela qu’elle doit vivre de ses propres moyens, pour cela qu’elle doit reposer sur des rédactions puissantes, pour cela qu’il faut se préoccuper de l’écart croissant entre ceux qui lisent régulièrement la presse et ceux qui la lisent peu, voire jamais. (Présentation des États généraux de la presse écrite, le 2 octobre 2008) Les petites interviews LES PAPIVORES, qui émaillent le dossier, ont été réalisées lors de la Journée des dédicaces, à Sciences Po, le 6 décembre. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 21 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 22 23/12/08 16:54 Page 22 dossier PRESSE ÉCRITE « Plus qu’une révolution, un big-bang » - B R U N O PAT I N O - Dans l’univers du big-bang, les médias et les organes de presse qui tireront le mieux leur épingle du jeu sont ceux qui auront intégré dans leurs gènes – et dans leurs équipes – cette idée d’évolution permanente, cette capacité à être en permanence à l’écoute des nouveaux développements, des nouveaux usages et des nouveaux lecteurs. Vous êtes président du pôle presse et Internet des États généraux de la presse, vous dirigez l’École de journalisme de Sciences Po, vous avez fait partie du directoire du Monde, quelle est votre analyse de la crise actuelle de la presse écrite ; est-elle plus grave que les autres crises, et est-elle plus grave en France qu’ailleurs ? On confond souvent, lorsque l’on parle de la crise de la presse, deux crises: celle de la presse, et celle de l’information. Commençons par la crise de la presse. Depuis quelques années, l’ensemble du paysage médiatique est soumis non pas, comme le pensent certains, à une migration des contenus d’un support vers un autre – du papier vers l’écran par exemple –, mais à une fragmentation des usages. Les êtres humains que nous sommes, surtout les plus jeunes d’entre nous, avons tendance à multiplier les technologies – au sens large du terme, y compris l’imprimé – que nous utilisons pour nous informer et nous divertir. Ce phénomène est en progression permanente car on assiste à une multiplication exponentielle des supports : fixes ou mobiles, connectés ou non, numériques ou imprimés. Cette fragmentation des usages nous conduit à faire des choix positifs – nous utilisons de nouvelles techniques – ou négatifs – nous en abandonnons d’autres. Des gens qui lisaient deux ou trois quotidiens ou magazines n’en lisent plus qu’un, voire plus aucun, ceux qui écoutaient deux ou trois chaînes de radio n’en écoutent plus qu’une. Aujourd’hui, ce ne sont plus les supports, ni les contenus, qui sont rares, mais le temps. Dans ce mécanisme de fragmentation générale, on constate que certains supports ou Une partie de la réponse à la crise de la presse est dans la capacité des organisations de presse à innover. Je n’aime pas le terme « s’adapter », car il donne l’idée qu’il suffit de s’adapter à une nouveauté et puis point barre. Non, il faut innover à tout moment, partout, dans la forme, le fond, les langages utilisés, les modes narratifs et journalistiques. médias, qui étaient consommés massivement, le sont moins ou, comme dans le cas de la télévision, le sont de façon plus fragmentée – sur plusieurs chaînes. En tirant le fil, on constate par ailleurs que les journaux sont lus de façon de plus en plus irrégulière et par une population vieillissante, qui se RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 renouvelle moins vite qu’avant. Ce double phénomène – lecture irrégulière et non renouvellement du lectorat – est potentiellement mortifère pour un modèle industriel. La presse quotidienne est bien un modèle industriel, qui ne peut réussir économiquement qu’à deux conditions. Produire de façon croissante afin de bénéficier d’économies d’échelle en étalant ses coûts fixes, avoir une consommation régulière et qui se renouvelle afin d’avoir un fort taux d’occupation machine. Plus la presse est industrielle – et la presse quotidienne l’est plus que la presse magazine –, plus elle est heurtée de plein fouet par le mécanisme de fragmentation mis en œuvre par la révolution numérique. Ce phénomène n’est pas français. Il est mondial, il touche du moins tous les pays occidentaux. Il explique que la capitalisation boursière des quotidiens nordaméricains ait baissé de 50 % en 2008. Spécificité française : cette crise industrielle mondiale se greffe sur une autre crise industrielle, historique, vieille de vingt ou trente ans et jamais réglée. Celle du modèle de « coopérative de production » hérité des idéaux de la Résistance, des ordonnances de 1944 pour la fabrication, et de la loi Bichet de 1947 pour la distribution. Ces textes, dans une période de rareté d’information et de capacité de production, visaient, en appliquant des principes de péréquation et de MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:54 Page 23 dossier PRESSE ÉCRITE mise en commun des moyens, à défendre le pluralisme, principe intangible que l’on voyait à l’époque menacé par une pénurie possible et la constitution éventuelle d’un nouveau comité des forges. Aujourd’hui, dans une période marquée par une profusion de l’offre éditoriale, ils induisent une certaine rigidité d’organisation et des coûts de production plus élevés qu’à l’étranger. À ces crises s’en ajoute encore une autre, qui n’en est qu’à ses prémisses : celle de la publicité. La fragmentation des usages aboutit non seulement à une répartition du chiffre d’affaires publicitaire sur de nombreux supports, mais également à un changement de nature du chiffre d’affaires publicitaire. Le modèle traditionnel de vente d’espace, c’est-à-dire la vente d’une audience supposée captive, laisse petit à petit place au modèle inauguré par Google notamment, de publicité « automatique », où des mécanismes d’enchères remplacent la vente d’espace publicitaire. Cette nouvelle pratique menace tous les médias traditionnels, et en particulier les mass médias, dont le chiffre d’affaires est basé sur la vente de leur puissance, c’est-à-dire la taille de leur audience. La presse écrite, qu’elle soit quotidienne ou magazine, n’échappe pas à cette menacelà, pas plus que la télévision ou la radio. C’est la seconde lame de l’effet de la fragmentation. À la crise de la presse proprement dite, j’ajouterai une interrogation plus personnelle sur la crise de l’information. Le cycle de l’information est séquençable en plusieurs temps : d’abord le news gathering, la récolte de l’information ; puis la production de l’histoire ; et enfin le commentaire, la production de l’opinion. La question du modèle économique du news gathering n’est pas tranchée. J’ai des inquiétudes sur la capacité du marché à assurer le financement de la récolte de l’information. Il y a quatre ou cinq ans, le New York Times pouvait s’offrir un bureau avec soixante personnes à Bagdad. Désormais il n’en a plus les moyens, il n’y a plus que vingt journalistes sur place, et le New York Times se demande même s’il va pouvoir y maintenir un bureau. Dans l’univers médiatique occidental, les grands journaux – qui sont en crise – sont la clé de voûte du mécanisme de la récolte d’informations. Soit de façon directe, grâce à leurs correspondants, leurs bureaux, leurs reporters, soit de façon indirecte, car ils sont les principaux clients des agences de presse. Or, dans cette mission d’information, ils ne sont remplacés par personne. Que se passera-t-il s’ils ne sont plus capables de financer un news gathering à l’échelle mondiale, en particulier sur les « points chauds » de la planète ? Si l’on ne veut pas voir se recréer des terra incognita informationnelles ou s’étendre celles qui existent déjà, on ne peut faire l’économie de cette question. À un moment de relative pénurie, l’État, pour assurer la couverture de certains territoires, avait investi dans la diffusion. Celle-ci n’est L E S P A P I V O R E S Olivier Duhamel (SP 72) Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Quotidiens : Le Monde, Le Figaro, Libération, Les Échos, l’International Herald Tribune. Magazines : L’Express, Le Nouvel Observateur. Le Canard enchaîné. Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? Variable. Où et quand lisez-vous la presse ? Chez moi. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Non. Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? J’y cherche des informations. J’y trouve des commentaires. Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? Camus autrefois peut-être. Régis Debray pour le style. Caroline Fourest dans ses tribunes. Marc Kravetz naguère dans Libération. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 plus tellement un problème, même si le rôle de l’État dans l’audiovisuel reste absolument essentiel. On peut donc se demander si la question de l’intérêt général ne doit pas dériver vers le news gathering. C’est un enjeu démocratique fondamental. Paradoxalement, je suis plus optimiste pour les journaux que je ne le suis pour le news gathering. Il y a là un véritable débat, un véritable enjeu de société, politique, au sens très noble du terme. Comment la presse écrite peut-elle s’adapter et survivre à la révolution en cours ? On parle beaucoup de révolution numérique, mais l’image la plus juste est celle d’un bigbang, car elle évoque un univers en expansion permanente, où des pôles en plein développement se refroidissent et s’éloignent du cœur de la fusion. Où des étoiles naissent et d’autres meurent. Dans l’univers du big-bang, les médias et les organes de presse qui tireront le mieux leur épingle du jeu sont ceux qui auront intégré dans leurs gènes – et dans leurs équipes – cette idée d’évolution permanente, cette capacité à être en permanence à l’écoute des nouveaux développements, des nouveaux usages et des nouveaux lecteurs. Il faut avoir une curiosité, voire une gourmandise, vis-àvis de ces évolutions qui ajoutent de nouvelles étoiles à la galaxie, sans pour autant faire des anciennes planètes des planètes mortes. Il est de la responsabilité des patrons de journaux de former leurs équipes dans ce sens, de permettre cette curiosité, cette gourmandise vis-à-vis des nouveautés. Lorsque j’étais au Monde, j’avais lancé l’idée de créer un laboratoire pour tester toutes les nouvelles tendances. Les journaux américains, eux, le font et ont des départements de research and development. Une partie de la réponse à la crise de la presse est dans la capacité des organisations de presse à innover. Je n’aime pas le terme « s’adapter », car il donne l’idée qu’il suffit de s’adapter à une nouveauté et puis point barre. Non, il faut innover à tout moment, partout, dans la forme, le fond, les • • • 23 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 24 23/12/08 16:54 Page 24 dossier PRESSE ÉCRITE ••• langages utilisés, les modes narratifs et journalistiques. La mission et les valeurs de la presse doivent être intangibles. En revanche, les journaux doivent faire preuve d’une très grande humilité et d’un très grand dynamisme dans les modes de narration journalistique et leur évolution, y compris technologique, voire même dans leurs modes de commercialisation. Nous cherchons tous des solutions. Elles existent, mais elles ne sont pas figées. Elles ne sont pas disponibles dans un manuel ou un rapport de consultant. Peut-on malgré tout définir des lignes de partage entre la presse écrite et les autres médias ? Le numérique abolit les frontières entre médias, ou du moins les rend beaucoup plus floues, puisque aucun territoire n’est exclusivement détenu par l’un ou l’autre média. Trois facteurs induisent ce brouillage des frontières. Premier facteur, il n’y a plus de monopole d’un langage. On a rapidement vu le règne de l’écrit sur Internet – de 1995 à 2003 – disparaître, avec le début de celui de la vidéo. Et l’on va assister à une très forte poussée de l’audio, conséquence du développement de l’Internet de mobilité, d’outils de mobilité connectés. D’ici trois ou quatre ans, le partage des langages entre écrit, audio, vidéo, sera définitivement aboli. Chacun devra « faire son métier » en maîtrisant, ou du moins en utilisant, les autres langages. Second facteur, celui de l’unité de l’écran. Tous les médias arrivent sur les mêmes écrans. Il n’est jamais arrivé auparavant qu’un réceptacle universel reçoive tous les médias, abolissant ainsi la différenciation en bout de chaîne. J’adore parler – pour paraphraser De Gaulle – du « pouvoir égaliseur du clic ». L’unicité de l’écran fait que vous passez, sans saut sémantique, du blog fait par individu dans sa cave, à un site fait par 250 personnes venues de la télé, ou à un site de presse écrite. Sur Internet, la seule hiérarchisation est celle des moteurs de recherche. Ce qui n’est pas le cas dans les autres médias. Ce n’est pas la même chose, à la télévision, de parler sur la première chaîne ou sur la chaîne 322. Enfin, troisième facteur, la notion même d’intermédiaire se brouille. Un média, comme son nom l’indique, et plus encore le journaliste, sont des corps intermédiaires. Or, le Je ne crois pas que l’écrit soit un mode de traitement en résorption sur Internet, il y a une place absolue et entière, mais il doit se penser non pas au milieu d’autres écrits, comme dans un journal imprimé – avec la problématique long ou court, papier central ou de complément –, mais au milieu d’autres langages – images animées, son… numérique provoque une tension forte sur ces corps intermédiaires, en promouvant l’utopie – ou le cauchemar, c’est selon – de la désintermédiation, avec l’idée que la disparition de ces corps permettra de retrouver la « pureté » de l’autoédition et de l’autojournalisme. Face à des rôles mal définis, les lignes de partage entre l’écrit et les autres langages deviennent floues. Mais elles continuent à exister. La ligne culturelle, la teinte, la coloration persistent. Même si nous sommes poussés à faire de la vidéo, du son, nous avons tous des « gènes d’origine ». Selon que vous avez grandi avec Internet, que vous êtes un journaliste de presse écrite ou un ancien de la télévision, vos choix du RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 mode de traitement, votre façon de percevoir et de retranscrire une problématique, votre gestion des langages ne seront pas les mêmes. Comme le dit le philosophe espagnol Jose Ortega y Gasset, « je suis moi dans mon contexte ». On est tous dans un même contexte numérique, mais on est également soi et, in fine, notre identité globale est à la fois le résultat de notre culture individuelle ou collective et du contexte général. Je ne crois donc pas que toutes les offres numériques soient identiques ou non discernables. Vous croyez donc que l’écrit a encore un rôle distinct à jouer ? Je ne crois pas que l’écrit soit un mode de traitement en résorption sur Internet, il y a une place absolue et entière, mais il doit se penser non pas au milieu d’autres écrits, comme dans un journal imprimé – avec la problématique long ou court, papier central ou de complément –, mais au milieu d’autres langages – images animées, son… De la même manière que la première tâche du journaliste de presse écrite est de choisir l’angle à adopter pour traiter un sujet, la première étape du journaliste d’aujourd’hui, dans l’univers numérique, doit être le choix du langage à utiliser, l’articulation avec les autres langages, ainsi que la place de l’audience dans le traitement. La nature même de l’écrit est en train de changer, avec le développement, sur Internet, d’une sorte d’« oralité de l’écrit ». Lorsqu’on imprime un écrit, on le sacralise puisqu’on ne pourra plus, en théorie, y toucher. Tandis que l’écrit destiné à l’écran – blogs, contributions, commentaires – est pensé comme non intangible, modifiable en permanence, et il change donc de nature. D’une certaine façon on retrouve cette question dans les malentendus, voire les affrontements entre les journaux et leurs filiales Internet – et je suis bien placé pour le savoir. Si cet affrontement est plus « extrémiste » MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:54 Page 25 dossier PRESSE ÉCRITE que dans les autres médias, c’est parce que les rédactions des journaux croient que le passage du papier à l’écran revient a faire perdre quelque chose de la nature sacrée de l’écrit. La même question se joue sur l’ebook. Le rêve de l’e-book totalement fermé, non connecté, non modifiable, qui reprendrait exactement la même chose que la version imprimée, vient de cette peur de perdre le caractère intangible de l’écrit. Ce rêve est, à mon sens, déjà dépassé. Comment les journalistes doivent-ils appréhender leur nouveau rôle et ces nouvelles techniques ? L’enjeu du journalisme est double. L’enjeu technique n’est pas le plus important, car il n’est pas le plus complexe. Faire en sorte que les journalistes sachent aussi maîtriser des langages qui ne sont pas leur langage premier est une évidence, encore que je ne croie pas du tout au « journaliste-couteausuisse ». C’est un rêve d’industriel fou, ou un cauchemar de journaliste insomniaque. À part les quelques ovnis que l’on connaît, le journaliste sachant faire des vidéos de niveau professionnel, du son avec des voix fantastiques, des papiers longs pour l’imprimé, tout en écrivant pour le Web, sont évidemment des totales exceptions. Ce que je crois, en revanche, c’est que le journaliste à venir – et c’est dans cette optique que nous formons les élèves de l’École de journalisme de Sciences Po – devra à la fois posséder sa « langue maternelle » journalistique, par exemple l’écrit s’il travaille dans un journal, mais également maîtriser les « langues étrangères » que seront pour lui, toujours dans le même exemple, la vidéo et le son ainsi que les techniques de mise en commun de toutes ces langues-là. C’est pourquoi nous leur donnons des majeures et des mineures. Le deuxième enjeu, beaucoup plus compliqué que l’enjeu technique, est l’enjeu cul- turel. J’en reviens à la notion de corps intermédiaires. Le journaliste, depuis l’origine des grands quotidiens, est perçu dans l’équilibre démocratique comme un corps intermédiaire répercutant ce qui se passe au sommet vers la base. Les journalistes perçus se percevaient donc eux-mêmes comme une sorte de cléricature. Alors qu’aujourd’hui, les journalistes sont au milieu de leur audience. Le numérique modifie la notion de corps intermédiaire, le réduit à une place parmi d’autres dans ce système itératif qu’est le réseau. Le journaliste, transmetteur de l’information, est le premier touché par ce mécanisme. Cette transformation ne signifie ni la mort ni le changement de nature du journalisme, juste son changement de contexte. « Tous journalistes » est une foutaise. Le journaliste est aujourd’hui au milieu d’une audience qui produit des Bruno Patino (SP 86) Diplômé de l’Essec, Bruno Patino entame sa carrière dans les médias en 1992, après un passage par le monde de la banque (CCFInterfinanz) et aux Nations unies. En 2003, il est nommé président du Monde interactif et de Télérama, mais quitte le groupe Le Monde en septembre 2008 pour devenir président de Radio France. Il préside, depuis mars 2007, l’École de journalisme de Sciences Po, et il est également président du pôle presse et Internet des États généraux de la presse. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 quantités infinies d’opinion et de commentaire, et extrêmement rarement de l’information hiérarchisée, structurée, validée. Le saut culturel, conceptuel, que doit faire le journaliste consiste à dire : « Je pratiquais avant mon métier dans des conditions relativement confortables, dans un schéma linéaire. Je le fais aujourd’hui entouré de gens qui donnent leur opinion. » Au journaliste de démontrer qu’il n’est pas seulement un pourvoyeur d’opinions ou de commentaires, mais un tiers de confiance dans un processus de validation, de hiérarchisation, et aussi d’explication de l’information. Dans ce schéma-là, il doit accepter de ne plus être seul, sans pour autant se confondre avec son audience. Il n’y a pas de « guerre » entre les journalistes et leur audience. Cette dernière ne veut pas leur « annihilation », pour parler en termes clausewitziens. Mais il y a un match. L’audience met au défi les journalistes, elle les challenge sur l’information. Elle les met en doute, elle leur livre des commentaires contraires. C’est aux journalistes de prouver qu’ils peuvent gagner le match, qu’ils sont des partenaires sportifs au niveau où on les attend. Ce que nous essayons de faire très modestement à l’École de journalisme de Sciences Po, c’est de préparer culturellement nos étudiants à ce match. Nous leur apprenons à ne pas refuser l’audience, à accepter de s’y plonger. C’est la raison pour laquelle nous les obligeons à participer à des sites Internet. La confiance qu’on accordait à un journal était le résultat d’une histoire, elle se construisait au fil des années et, à moins d’accident majeur, ne s’érodait pas facilement. En revanche, le match dans l’univers numérique est permanent. ◆ Propos recueillis par Florence Maignan (PES 81) avec Lazare Beullac (D 06) 25 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 26 23/12/08 16:54 Page 26 dossier PRESSE ÉCRITE « Nous changeons de civilisation » - AXEL GANZ - La crise ne fait que commencer. Il va falloir faire du portage, fusionner certains titres pour faire des économies d’échelle. La presse écrite doit en même temps travailler à la qualité du contenu et faire en sorte que lire le journal soit plus attrayant que regarder la télévision ou Internet. Quel regard portez-vous sur la crise que traverse la presse écrite française ? La presse française a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. À la fin des années soixante-dix, lorsque je me suis lancé sur le marché français, la situation de la presse écrite française n’était pas bonne. Celle-ci avait beaucoup souffert de la situation instaurée après guerre. Des problèmes syndicaux rendaient la distribution difficile. La presse était moins prospère que dans d’autres pays où les restructurations nécessaires avaient été faites. Historiquement, le marché de la presse en France n’est pas industrialisé comme en Allemagne ou en Grande-Bretagne, mais plutôt artisanal. Par ailleurs, la presse écrite française, dirigée par de grands propriétaires industriels était plus une presse d’opinion que d’information. La presse magazine, elle, était qualitativement sous-équipée. Le succès de Prisma Presse, devenu leader avec presque 300 millions d’exemplaires vendus par an, n’a pas été basé seulement sur la qualité de nos performances, mais aussi sur la faiblesse de nos concurrents. Les besoins des consommateurs avaient changé à la fin des années soixante-dix. Et c’est parce que les autres éditeurs n’ont pas voulu s’y adapter, que Capital est devenu le leader européen de la presse magazine. Avec Capital, nous n’avons pas seulement défini un concept, nous avons créé un journal économique d’un type nouveau, qui a tout mis en œuvre pour à la fois informer et divertir le lecteur. Beaucoup de nos concurrents se sont ressaisis ensuite. En 25-30 ans, la presse magazine s’est beaucoup améliorée. Elle s’est restructurée, est devenue plus compétitive, plus réactive. La différence avec la presse anglo-saxonne s’est amenuisée. Mais la presse française ne sera jamais la presse anglo-saxonne. Les règles du jeu ne sont pas les mêmes, ce sont des différences culturelles qu’il faut respecter. Les anglosaxons n’hésitent pas devant une politique Nous sommes dans une crise profonde qui ne va pas se résoudre en six mois, mais en plusieurs années. Il n’existe pas de vérité unique. Il faut être souples, accepter le changement, s’adapter. journalistique agressive. La Grande-Bretagne est un pays de quotidiens alors que la France est un pays de magazines. En France, la presse magazine offre un grand potentiel alors que le potentiel de la presse quotidienne n’est pas totalement exploité – à travers le portage par exemple. La loi Bichet de 1947, notamment, ne correspond plus aux besoins d’aujourd’hui et constitue plutôt un frein. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 Comment caractérisez-vous la crise actuelle ? Actuellement, la presse écrite française rencontre les mêmes difficultés que celle des autres pays. Elles sont toutes soumises à un chamboulement radical. L’offre médias est aujourd’hui tellement riche et diverse que le consommateur a changé de comportement. Il a du mal à se décider. La compétition n’a pas lieu entre les différents titres, mais entre les différents médias. Le critère de choix est désormais fonction, non pas de l’argent payé pour acheter un titre, mais de l’allocation du temps disponible, c’est-à-dire la façon dont le consommateur décide de consommer le temps dont il dispose. On assiste à un changement total de comportement des lecteurs. Les jeunes notamment ne rentrent plus step by step dans les différents médias, mais se précipitent sur tous les supports en même temps – Internet, TV, jeux vidéo – au détriment des médias classiques. On assiste à une véritable révolution. Tous les médias doivent chercher à déterminer ce qu’ils seront dans l’avenir. La presse écrite ne va pas mourir, mais elle doit s’adapter. Dans cinq ou dix ans, elle ne sera plus ce qu’elle est aujourd’hui. Et cela est vrai dans tous les pays. Les diffusions vont baisser de façon durable. De son côté, la publicité ne va pas revenir au niveau précédent. Une partie des recettes publicitaires va aller vers les autres médias. Il s’agit d’une évolution structurelle. Les journaux vont donc devoir s’adapter en réduisant leurs MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 27 dossier PRESSE ÉCRITE coûts, sinon ils seront condamnés à mourir. Mais je ne suis pas pessimiste. Les bons “produits” journalistiques ont un avenir, à condition d’aller vers plus de qualité, de se battre pour occuper le temps disponible des consommateurs, de faire une offre qui les intéresse suffisamment pour qu’ils y consacrent le peu de temps dont ils disposent… au détriment des autres médias ! Il faut faire une différence entre la presse quotidienne et la presse magazine. La presse quotidienne a un avenir dans la proximité, les informations locales, pour lesquelles la télévision régionale, trop chère, ne marche pas. Dans la presse nationale, deux ou trois titres peuvent survivre, à condition de tenir compte de cette évolution et d’affronter le problème de la distribution. Le nombre de kiosques, aujourd’hui, ne suffit plus. Il faut aussi aller vers les acheteurs à travers le portage ou l’abonnement. Le quotidien doit faire partie intégrante de la vie quotidienne et devenir indispensable au petit déjeuner. Des essais ont été faits. Il faut les poursuivre avec détermination. Il faut élargir le réseau, augmenter les points de vente (30 000 en France, 100 000 en Allemagne). Parfois il faut une vraie crise pour que les mentalités bougent. Et la crise ne fait que commencer. Il va falloir faire du portage, fusionner certains titres pour faire des économies d’échelle. Et toute la presse écrite doit en même temps travailler à la qualité du contenu, avec un objectif : faire en sorte que lire le journal soit plus attrayant que regarder la télévision ou Internet. Il faut créer une vraie envie de lire ! La presse magazine, elle, doit miser encore plus sur l’originalité. Pourquoi certains titres marchent-ils mieux que d’autres ? Le choix de la bonne “formule” sera encore plus crucial. Il faut faire de bons produits qui suscitent l’envie et pour lesquels les lecteurs soient prêts à payer le prix, dans la mesure où les recettes publicitaires baissent. Trop de titres aujourd’hui sont à la limite de la rentabilité. Les magazines dont les recettes globales baissent doivent trouver le moyen de faire de la qualité à moindre coût. Ce sont les men- Axel Ganz Né en 1937, Axel Ganz débute sa carrière comme journaliste et photoreporter en Allemagne, notamment au Badische Zeitung, avant de devenir le correspondant de l’hebdomadaire Bunte à Paris. Après un passage à la direction du groupe Bauer, il rejoint en 1978 Gruner & Jahr pour fonder sa filiale française, Prisma Presse. Le lancement réussi de Géo en 1979 marque le début d’une aventure qui va révolutionner la presse magazine française. Prisma Presse va lancer notamment Capital et développer une offre complète de féminins (Prima, Femme Actuelle), de généralistes (Ça m’intéresse, VSD, racheté en 1996), de magazines people (Voici, Gala), de guides télés (Télé Loisirs, Télé 2 semaines, TV Grandes Chaînes)… Vingt titres au total qui ont permis à Prisma Presse de conquérir 18,8 % du marché de la presse magazine en France1, faisant de Prisma Presse le numéro deux du marché derrière Hachette. Axel Ganz a quitté Prisma Presse en 2005 et créé sa propre maison d’édition, AG+J, pour lancer l’hebdomadaire féminin Jasmin, qui cessera de paraître en juillet 2007. talités, et aussi celles de certains journalistes, qui doivent changer. Ils doivent comprendre qu’un journal, un magazine, c’est aussi une entreprise économique. Si celle-ci est déficitaire, c’est l’indépendance de la presse qui est menacée, car elle risque de devenir une entreprise “mercenaire” au service de ceux qui les subventionnent. Il faut des diffusions fortes et stables, et la publicité ne doit être que la suite logique d’une diffusion saine. Il RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 n’est pas normal que tant de titres qui ne se vendent presque pas du tout ne survivent que grâce à la publicité. Quant aux subventions, elles sont utiles et appropriées pendant des périodes de transition. Mais les journaux ne peuvent pas en vivre durablement. Personnellement, je n’ai jamais demandé un euro de subventions. Existe-t-il des “recettes” pour créer des produits de presse adaptés, qui marchent ? Il n’existe pas de recette miracle. Nous ne travaillons pas comme des lessiviers. Pour réussir, un patron de presse doit posséder une bonne expérience professionnelle, si possible de journaliste, une excellente connaissance des marchés, une intuition pour les nouveaux produits, une rigueur dans l’exécution. Car une idée n’est bonne que par son exécution. Le reste c’est du travail, du travail, du travail. Mais cela ne suffit plus actuellement. Le marché n’est plus le même. Pour être honnête, je crois que je ne pourrais pas refaire la même chose aujourd’hui. Les méthodes sont toujours bonnes, mais l’impact ne serait pas le même. Il faut trouver de nouveaux créneaux qui correspondent aux besoins des consommateurs d’aujourd’hui. Travailler de façon plus transversale (avec des sites, des produits dérivés), créer des marques et les exploiter intégralement d’un bout à l’autre de la chaine de valeurs dans plusieurs domaines. Nous sommes dans une crise profonde qui ne va pas se résoudre en six mois, mais en plusieurs années. Il n’existe pas de vérité unique. Il faut être souples, accepter le changement, s’adapter. La solution pour que la presse survive ? Susciter l’intérêt. Les pistes pour y arriver ? Personne ne sait précisément. Le plus grand ennemi ? La rigidité et ne pas comprendre que nous vivons une révolution foudroyante. Nous changeons de civilisation. ◆ Propos recueillis par Florence Maignan (PES 81) 1 Chiffres Prisma Presse, 2007 27 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 28 dossier 28 PRESSE ÉCRITE Scénarios d’évolution - JEAN-MARIE CHARON - Il faut partir du constat que la presse écrite fait face à une mutation d’ensemble, majeure et prolongée, de tout le système médiatique1. Une mutation dont nous n’avons pas d’équivalent. a tentation est de se référer aux décennies vingt/quarante, lorsque vont apparaître, puis progressivement s’imposer, les radios et télévisions, ce qui est certainement en dessous de l’importance des bouleversements en cours et à venir. Soit l’inconfort de l’incertitude, qui conduit à formuler deux hypothèses d’évolutions, puisées l’une comme l’autre dans l’histoire des moyens de communication. L Les hypothèses La première hypothèse, issue de l’histoire des médias, permet de dire qu’aucun média ne s’est substitué à un autre. En revanche, à chaque fois, la presse imprimée a dû se réinventer. Ce qui signifie concrètement : • 1/ un changement de périmètre (nombre de titres, volume de la diffusion) ; • 2/ une transformation substantielle du contenu (telle la disparition du feuilleton : fiction captée par l’audiovisuel) ; • 3/ un changement de modèle économique, avec une baisse des volumes de chiffre d’affaires, en raison de la gratuité pour les lecteurs et du transfert des annonceurs, 1 À partir des contributions du groupe Prospective créé en 2007 et 2008 par l’Observatoire des métiers de la presse, animé par Nathalie Barret (Médiafor). Celui-ci était constitué d’une quinzaine de personnalités issues de la presse, aux spécialités diversifiées (rédaction, études, marketing, développement, management, commercial, publicité, impression), ainsi que de partenaires de la presse (banquiers et consultants), de spécialistes de médias et secteurs connexes (audiovisuel et télécommunications), mais aussi d’universitaires et chercheurs (droit, économie, infocom, sociologie). Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? Je parcours les titres puis je pioche en commençant par le plus piquant et le mieux écrit. deuxième hypothèse est issue de l’histoire des moyens de communication. Elle rappelle la disparition de la diligence balayée par le train et l’automobile – soit l’équivalent de « la fin du papier » comme l’ont annoncée, chacun à sa manière, Joël de Rosnay2, Rupert Murdoch ou Arnaud Lagardère. De ces deux hypothèses nous pouvons tirer deux scénarios principaux. Ce texte se concentrera sur leur application à la presse d’information politique et générale et leur implication pour les journalistes. Avant d’entrer dans l’analyse de ceux-ci, il convient cependant de se pencher sur une forme de diagnostic à propos de la situation actuelle du média imprimé. Une situation qui combine les premières manifestations de la situation de mutation proprement dite avec des caractéristiques plus structurelles du secteur lui-même, avec des traits spécifiques à la presse française, ses acteurs, ses structures, son environnement. Où et quand lisez-vous la presse ? Partout, tout le temps. Principaux constats comme de l’effondrement des tarifs ; • 4/ un nouveau contexte concurrentiel, en l’occurrence plus dur, avec l’entrée en lisse de groupes de l’informatique et des télécommunications, pour qui l’innovation forte est constitutive de leur ADN, avec une tradition de très puissants volumes d’investissements en recherche et développement. La L E S P A P I V O R E S Hubert Védrine (SP 68) Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Beaucoup ! Le Monde, Le Figaro, Libé, Les Échos, Le Nouvel Obs, Le Point, L’Express, Marianne, Le Monde diplo, le FT, le NYT, etc. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Non. Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? De tout ! Information, réflexions. Surtout des réflexions, ce qui devient plus rare. Cela manque de vrais reportages. Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? Jean Lacouture quand j’étais lycéen. Puis Jean Daniel. Au départ, je voulais être journaliste. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 Résumer en quelques lignes la situation de la presse française n’est pas très aisé. Il semble cependant possible d’en dessiner les principaux traits au travers de sept constats principaux, dont chacun mériterait de longs développements. En premier lieu figure la question des usages. Ceux-ci marquent une sensible rétractation pour les quotidiens, sachant que pour les magazines, il s’agit plutôt d’une stabilisation, dans un secteur beaucoup plus 2 La révolte du pronétariat – Des mass média aux média des masses, Paris, Fayard, 2006. MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 29 dossier PRESSE ÉCRITE divers et hétérogène pour lequel les logiques d’usages sont elles-mêmes très hétérogènes. La faiblesse du rapport au quotidien s’exprime à la fois par une moindre régularité, qualifiée d’« occasionnalité de lecture », et par un décrochage des publics jeunes. Le phénomène n’est pas récent, comme le montre l’étude « générationnelle » sur les pratiques culturelles réalisée par le Bipe, à la demande du ministère de la Culture3. De la même manière s’exprime un déficit de lectorat du quotidien pour les femmes et les urbains (principalement suburbains). Il semble que s’opère simultanément un clivage entre une information standard, redondante, omniprésente (sur une multiplicité de supports) et qui est perçue comme devant être gratuite et une information à valeur ajoutée, qui elle peut être payante. Il faut enfin noter un attrait plus important pour les titres segmentants, identifiants, au contenu spécialisé, dans un contexte également marqué par une profonde crise de confiance4. Sur le plan de la publicité et de la commercialisation, la faiblesse relative de la presse, principalement quotidienne, face à la progression des télévisions (sous toutes leurs formes) et de l’Internet, n’a encore qu’un effet limité au regard de l’effondrement des petites annonces (PA). Ici, un transfert rapide s’opère vers les sites Internet, pratiquant des tarifs très inférieurs (souvent divisés par dix), soit un impact sur les volumes, comme sur la valeur des dites PA. Sur le plan de la publicité commerciale des secteurs comme le luxe, les produits « haut de gamme » et très ciblés restent de bonne tenue, intéressant principalement certains secteurs de la presse magazine (féminine). Ces mouvements sont d’autant plus sensibles qu’ils interviennent dans un pays où l’investissement publicitaire 3 Cf. Étude du DEPS, Culture prospective 2007-3, Olivier Donnat et Florence Lévy, « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques ». 4 Jean-Marie Charon, Les Journalistes et leur public : le grand malentendu, Vuibert - Clemi INA, Paris, 2007. 5 Soit 0,64 % du PIB, contre 0,86 % pour l’Allemagne, 0,98 % pour le Royaume-Uni et Jean-Marie Charon Sociologue, Jean-Marie Charon est chercheur au Centre d’étude des mouvements sociaux du CNRS depuis 1980. Spécialiste des médias et du journalisme, il enseigne à l’IEP de Rennes et à l’EHESS. Il est notamment membre du conseil scientifique de l’École supérieure du journalisme (ESJ) de Lille, et administrateur de Reporters sans frontières (RSF). Son ouvrage le plus récent, La Presse magazine, est paru aux éditions La Découverte en 2008. reste faible, sous toutes ses formes5. Du point de vue de la commercialisation, l’abonnement (plus fréquent en presse magazine) apparaît plutôt en phase avec les pratiques contemporaines (bouquets TV, fournisseurs d’accès Internet, téléphone mobile), mais il pâtit de l’évolution du service postal pour les quotidiens, insuffisamment compensé par le « portage » à domicile. Quant à la vente au numéro, elle pose la question du nombre, de la localisation et des caractéristiques des points de vente (à peine 30 000)6, avec des besoins différents (divergents ?) entre quotidiens et magazines. La question du financement de la presse est, elle, marquée par la rentabilité insuffisante des quotidiens, alors même que le désengagement du capital familial dans ceux-ci pose la question des relais possibles. Aujourd’hui, des banques régionales (Crédit mutuel7) jouent ce rôle, de même que les industriels extérieurs aux médias (Dassault, LVMH, Bolloré, etc.), alors même que pourraient intervenir également des groupes européens. Pour les magazines, les questions se jouent essentiellement sur les performances en matière et rentabilité et les perspectives de développement, au sein de groupes de communication plurimédias, internationalisés, voire de groupes plus spécialisés8. La dimension technologique influence profondément les conditions de travail des journalistes, ainsi que l’organisation des rédactions, selon un processus d’évolution qui devrait se prolonger. En matière d’impression se pose un problème de surcapacité, tant pour les quotidiens que dans le labeur (pour les magazines). Les économies de coûts liées à l’augmentation de productivité (au moins en France) pourraient se voir en partie contrariées par des surcoûts environnementaux9. Plusieurs innovations principales, l’impression décentralisée et le « e-paper » pourraient à terme fortement influencer la fabrication, mais restent difficiles à situer quant aux délais et aux performances. Sur le plan éditorial une hésitation marquée s’observe entre le développement de contenus très spécifiques selon les supports ou la recherche de contenus pouvant être proposés sur les différents supports disponibles. Dans l’imprimé proprement dit, les innovations strictement rédactionnelles sont peu perceptibles au-delà du prolongement des tendances actuelles (intégration texte-visuel, formes de récits, etc.), sachant que les réelles capacités d’innovation dépendront largement du potentiel rédactionnel et des moyens humains que les éditeurs sauront préserver ou attirer, dans un contexte très concurrentiel10. • • • 1,34 % pour les USA, selon Zenith Media 2003. 10 Au moment où les quotidiens multiplient les plans sociaux, qui conduisent comme à Libération ou au Monde à la diminution substantielle des effectifs, mais également au départ de spécialistes reconnus et cadres rédactionnels, qui se portent alors sur la presse magazine, mais sont également tentés par l’aventure de sites d’information pure players (rue89, mediapart, bakchich, etc.), comme par les principaux médias et activités concurrents. 6 Soit trois fois moins qu’en Allemagne. 7 EBRA, L’Alsace, Centre France – La Montagne. 8 Jean-Marie Charon, La Presse magazine, Coll. Repères – La Découverte, 2008. 9 Liés notamment aux pollutions chimiques, comme aux questions énergétiques propres à ce secteur. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 29 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 30 23/12/08 16:55 Page 30 dossier PRESSE ÉCRITE ••• Les stratégies de diversification quant à elles se posent différemment au niveau des groupes et à celui des titres. Pour les groupes (surtout plurimédias, éditeurs de magazines principalement, pour ce qui est de la presse imprimée) les questions se posent d’abord en termes de marges et de perspectives de développement. Pour ceuxci la presse doit obtenir des performances équivalentes de leurs autres activités de médias et de service, de même que sur l’Internet l’information sera en concurrence avec des services d’annonces, d’enchères ou de e-commerce. Au niveau des publications, en revanche, il s’agit de décliner les titres (les « marques ») sur les différents supports disponibles. Des arbitrages sont opérés du point de vue des contenus (identiques ou assez spécifiques), des approches commerciales (lecteur et publicitaire), des structures (unifiées, avec les notions de platesformes et d’agences bi ou plurimédias ; dédiées, notamment pour les périodiques, aux effectifs journalistiques réduits, avec un fort recours à l’emploi pigiste), etc. Quotidiens et magazines (comme la presse technique et professionnelle) connaissent des formes d’entreprise et de management très différentes. Pour les premiers, le ou les quotidiens imprimés restent le pivot de l’activité et des groupes lorsque se produisent des processus de concentration, comme c’est le cas ces dernières années en France dans la presse régionale. Faute de capitaux propres suffisants, ces mouvements, comme la modernisation et la diversification, se font bien souvent sous la conduite d’industriels extérieurs à la presse (Dassault, Pinault, LVMH). Les magazines, en revanche, sont dominés par le poids de quelques groupes plurimédias, internationaux (Time Warner, Bertelsmann, Lagardère, Mondadori). Organisés le plus souvent en gammes ou en « chaînages », ils cohabitent avec des médias audiovisuels et numériques, comme de l’édition (de livre, vidéo et musicale), ainsi que du service (salons, formation, distribution, impression, etc.), chaque activité étant valorisée et développée de manière totalement autonome. Les deux scénarios sont : • 1/ « Renouvellement de l’imprimé en com- L E S P A P I V O R E S Jean Peyrelevade (EF 63) Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Le Monde, Libé, Le Figaro, Les Échos, La Tribune, Financial Times. Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? Celle qui m’intéresse le plus (variable). Où et quand lisez-vous la presse ? Matin et soir, à domicile. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Le Monde. Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? De vraies informations, pas trop superficielles. Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? Plein, au point que je ne puis choisir. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 plémentarité ou en concurrence avec le numérique (Internet, mobile, etc.) ». Il correspond à la première hypothèse. • 2/ « Transfert des contenus et de l’activité sur les supports électroniques », correspondant à la deuxième hypothèse. Ceux-ci s’adaptent plus ou moins aux différentes formes de presse : a) Selon le contenu : actualité ou domaine particulier, plus ou moins généraliste, dans un contexte où la tendance est au développement d’information et de médias toujours plus spécialisés et plus segmentants. b) Selon la périodicité, qui détermine la taille, le rythme et l’organisation des rédactions. Les questions sont radicalisées pour la presse quotidienne dont les structures plus lourdes et plus rigides peuvent la confronter à des basculements brutaux (dans l’impression ou la distribution), peu ou mal anticipés, souvent non voulus. Renouvellement du contenu imprimé et complémentarité avec le numérique Sur l’imprimé, le renouvellement de celui-ci commence par la réinvention du contenu (concepts éditoriaux), ce qui implique un substantiel travail de recherche et développement. Soit l’urgence et l’importance d’identifier ; ce que sont les points forts – la valeur ajoutée – de l’imprimé (fond, long, enquête, reportage, dossiers, etc.). Sachant que l’information chaude, standard, redondante, tous médias, est et sera essentiellement gratuite. Ces deux priorités étant posées, il faut répondre à trois questions : a) l’articulation, ou non, entre l’information spécifique à l’imprimé et l’information « stan- MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 31 dossier PRESSE ÉCRITE dard » ; b) les types de journalistes concernés (profils, talents, formation, nombre) ; c) l’organisation à concevoir (allégée, plus fluide, etc.). Sur le numérique, il s’agit, en priorité, d’identifier, de définir et de distinguer les nouvelles fonctions et formes de journalisme liées aux différents supports numériques, soit d’abord Internet, aujourd’hui. Cela passe par la formation et l’accompagnement de ceux de l’imprimé qui souhaitent s’exprimer sur le site de leur titre (l’éditorial de Christophe Barbier sur lexpress.fr ou le blog de Pascale Robert Diard sur lemonde.fr). Il y a urgence également à faire évoluer ceux qui ont des dispositions pour aller sur le Net, en facilitant leur reconversion (pluricompétences ou polyvalence, animation de réseau, etc.). Ce qui impose également d’anticiper et gérer au sein des titres ou des groupes les évolutions de carrière des journalistes de l’imprimé en surnombre. Cela ne doit pas faire perdre de vue, pour autant, la nécessité d’attirer des journalistes performants du Net (innovants) – y compris les cadres rédactionnels. Transfert des contenus sur le numérique Les deux scénarios découlent d’une série de déterminants dont certains échappent largement aux acteurs de la presse imprimée, à commencer par les usages des différents publics11, le renouvellement rapide des tech11 Les évolutions et retournements inattendus peuplent l’histoire des nouvelles technologies de la communication comme le montre bien Patrice Flichy dans Une histoire de la communication moderne, La Découverte, 1991. nologies des médias numériques, ou encore les stratégies des investisseurs (financiers). D’autres, en revanche, dépendent davantage de leur action : Il s’agit, en tout premier lieu, de l’offre de contenu, comme de la capacité à maîtriser des points clés du modèle économique (commercial/fabrication/distribution). Toujours est-il que le modèle économique et les structures de la presse d’information politique et générale (principalement les quotidiens) la confrontent plus que d’autres à des notions de seuils : grosses rédactions, fabrication, réseaux de distribution. D’où ce scénario de transfert qui pour être réussi suppose : a) de former au numérique l’ensemble des journalistes issus de la rédaction imprimée ; b) de définir les nouveaux profils de journalismes et d’organiser le transfert sur les nouveaux supports ; c) de penser les structures et méthodes de travail afin de concevoir, expérimenter et développer les contenus, points forts, transférés de l’imprimé sur le Net (expertise, reportages, enquêtes, etc.) ; d) enfin, de faire entrer journalistes et cadres rédactionnels issus du Net, parmi les plus créatifs et performants. Cinq priorités à traiter en première urgence Aussi différents soient-ils ces deux scénarios mettent l’accent sur une série de priorités qui constituent autant d’urgences pour la presse écrite en matière de journalisme et de rédactions. • La réinvention de l’offre de contenu éditorial : celle-ci met l’accent sur l’importance et le déficit en matière de recherche et développement dans la presse écrite. Elle met, RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 en même temps, en évidence l’exigence d’y impliquer et d’associer étroitement rédactions et journalistes. • La nécessaire identification des points forts, ou valeur ajoutée, de la presse imprimée : ce qui constitue un travail bien spécifique dans lequel devra également être pris en compte l’« ADN » de chaque titre. • L’importance de penser et mettre en œuvre une démarche d’innovation et de créativité : une démarche dont les journalistes seront, de fait, les principaux acteurs, et doivent donc être partie prenante. Cela passe par de la formation, l’identification et le développement de profils innovants, le souci d’attractivité (pour gagner et garder les meilleurs), l’adaptation et la reconception des structures. • Cerner davantage ce qu’est ou sera la spécificité des journalistes de l’imprimé (fond, long, analytique, etc.) : expertise/compétence/formation, avec toujours ce qui devrait devenir l’obsession de l’attractivité. • Prendre toute la dimension d’un modèle économique très contraint : il ne faut pas se cacher l’importance de celui-ci sur les structures et les méthodes de travail, avec son impact sur la taille des équipes, les hiérarchies rédactionnelles, comme les outils et modes de fonctionnement. Ces résultats peuvent paraître bien généraux. C’est qu’il ne s’agit pas de la conclusion, mais bien de la définition d’un programme de travail, d’un cadre pour agir de toute urgence. ◆ Propos recueillis par Florence Maignan (PES 81) et Lazare Beullac (D 04) 31 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 32 23/12/08 16:55 Page 32 dossier PRESSE ÉCRITE Rue89 ou le participatif encadré - PIERRE HASKI - Pierre Haski a créé en 2007, avec trois comparses de Libération, un site Internet d’information générale gratuit, l’un des plus lus du Web français. Il est persuadé que les journaux ont une révolution à faire, qui n’est pas facile, mais qui est leur seule planche de salut. Pourquoi, alors que vous étiez rédacteur en chef de Libération, avez-vous préféré lancer un site Internet plutôt que de continuer dans la presse écrite ? Le lancement de Rue89 est l’aboutissement d’une réflexion sur deux crises, celle de la presse écrite qu’à Libération nous avons été parmi les premiers à ressentir, et celle du journalisme. Ces deux crises sont indépendantes, mais elles se croisent. La crise du journalisme est antérieure à celle de la presse, il s’agit d’une crise morale et de crédibilité. Le sondage de La Croix, qui terrifie les journalistes depuis vingt ans, montre que le public a chaque année un peu moins confiance en la presse. Le lien entre les lecteurs et les journaux s’est brisé. À certains moments – Timisoara, la première guerre du Golfe –, la machine de l’info s’est retrouvée toute nue. Nous avons fait notre introspection, mais nous n’avons rien changé. Le « non » au référendum européen en 2005 a révélé au grand jour le décalage entre l’establishment de la presse et le « pays réel ». Auparavant, l’arrivée de Le Pen au deuxième tour en 2002, que la presse n’avait pas vu venir, avait déjà montré que celle-ci avait perdu ses capteurs. Quant à la crise de la presse, c’est une crise structurelle, de lectorat, de coût, de nouvelles technologies, dont les ingrédients étaient réunis depuis des années. À Libération, on constatait depuis dix ans déjà la fin de la fidélité du lectorat : même lorsque les ventes étaient encore bonnes, le nombre de lecteurs qui lisaient le journal tous les jours était en diminution constante. Le nombre des moins de 25 ans dans le lectorat a également brutalement chuté au cours de la dernière décennie. Dès lors que vous ne renouvelez plus vos lecteurs, vous êtes mort : vos lecteurs vieillissent avec vous, et vous avec eux. Ces paramètres auraient dû attirer notre attention et nous amener à nous poser des questions brutales et fondamentales. Il y a cinq ans, pas aujourd’hui. Pourquoi Internet vous a-t-il paru être la meilleure réponse à ces crises ? Le point commun des quatre fondateurs de Rue89, tous issus de Libération, est que nous tenions tous un blog parallèlement à nos activités de journalistes : Arnaud Aubron sur la drogue, Laurent Mauriac et Pascal Riché sur les États-Unis, où ils étaient correspondants, et moi sur la Chine. Cette expérience a été décisive car elle nous a fait comprendre le potentiel offert par Internet pour le journalisme professionnel, et nous a ouvert les portes d’un univers dans lequel il était possible de renouer un lien avec le lecteur : celui-ci avait la possibilité de décortiquer notre article, de le contester, de répondre. À partir du moment où l’on joue le jeu de l’interactivité, une confiance se noue. Lorsqu’on permet aux gens de participer à la « fabrique de l’info », une barrière s’abat tout de suite. Vous acceptez de donner un rôle à votre lecteur, alors qu’il n’en a aucun dans un journal papier. Son rôle consiste non seulement à enrichir et comRUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 menter votre article, mais il peut aussi être à l’origine de l’information, en alertant sur un sujet à côté duquel les médias sont passés. Parallèlement, un débat avait surgi entre les journalistes professionnels, qui prétendaient être les seuls à pouvoir parler légitimement, et ceux qui disaient que les nouvelles technologies avaient donné la parole à tout le monde. C’est le fameux slogan « tous journalistes ». Nous trouvions pour notre part que les deux avaient tort. Notre expérience de bloggeurs nous montrait que la parole « citoyenne » était bien là et qu’elle était légitime. Mais dire que l’on n’a plus besoin de journalistes était à notre avis un contresens, car il y existe des règles professionnelles et éthiques propres au journalisme, qui restent valables et ne sont pas innées. Le projet fondateur du site était de marier ces deux écoles plutôt que de les opposer. Notre concept est le « participatif encadré » : un site ouvert à la participation de non-journalistes, mais disposant d’un « filtre » journalistique qui garantit l’exactitude de l’information et le respect de règles éthiques, et fait en sorte que le débat démocratique ne vire pas au café du commerce. Rue89 n’est donc pas né d’un rejet du papier, mais d’une volonté de développer une autre pratique journalistique et un autre rapport au lecteur. Selon vous, la presse papier peut-elle se relever de la crise actuelle ? L’émergence d’Internet ne signifie pas ipso facto la mort du papier. Les nouvelles MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 33 dossier PRESSE ÉCRITE technologies n’ont jamais remplacé les anciennes. Simplement, elles changent l’équation. Ceux qui trouveront la réponse à cette nouvelle équation survivront, les autres mourront. La raison d’être de la presse papier est morte. L’information est aujourd’hui une denrée qui n’a plus de valeur, car elle est disponible partout. Il y a encore deux ans, la dépêche restait le privilège des journalistes. Aujourd’hui, il suffit d’aller sur Google, qui a signé un accord avec l’AFP. Le papier a donc perdu la bataille de l’événementiel chaud, il n’a plus de monopole sur l’information ni même sur l’éclairage qu’il apportait. Deux heures à peine après la victoire d’Obama, tout était déjà sur les sites d’information en ligne : l’émotion, le reportage, l’analyse, l’éditorial… Le papier doit donc retrouver une nouvelle raison d’être s’il veut survivre. Celle-ci ne peut résider que dans les spécificités de ce support : rythme de lecture plus long, mise en scène de l’information – maquette, photographie – différente, et approfondissement au-delà de ce que peuvent faire les autres supports. Le journal papier va donc devenir une niche, un supplément pour les lecteurs qui souhaitent aller plus loin dans l’information. Un site comme Rue89 ne peut pas publier un reportage de dix feuillets sur l’Afghanistan, par manque de moyens, et parce que personne ne lit dix pages sur Internet. Il n’y aura pas la place pour quatorze quotidiens généralistes dans dix ans. Les quotidiens spécialisés – L’Équipe, Les Échos... – garderont sans doute leur raison d’être. Mais les quotidiens généralistes sont une espèce que la technologie doit rendre beaucoup plus exigeante : s’ils n’augmentent pas d’un gros cran leur qualité et leur légitimité, les gens se demanderont pourquoi payer 1,30 € alors que 80 % du contenu est disponible gratuitement. En particulier un jeune lecto- rat qui n’a pas le réflexe d’acheter le journal. Les journaux ont donc une révolution à faire, qui n’est pas facile, mais qui est leur seule planche de salut. À l’intérieur d’un même groupe de presse, où doit se situer la ligne de partage entre le support Web et le support papier ? Tous les journaux ont eu ce débat. Ils doivent mettre leur site Web au cœur de l’entreprise, ils n’auront pas d’autre choix à l’avenir. Le site de Libération a déjà plus de lecteurs que le journal, il n’est donc pas normal que cinq personnes travaillent sur le site et deux cents sur le journal, même si ces Pierre Haski Diplômé du Centre de formation des journalistes (CFJ) de Paris en 1974, Pierre Haski devient journaliste à l’Agence France-Presse, dont il est le correspondant en Afrique du Sud. Au sein de Libération, qu’il rejoint en 1981, il devient responsable des pages Afrique puis de la rubrique diplomatique, avant de devenir correspondant du journal à Jérusalem puis à Pékin, d’où il tient également le blog Mon journal de Chine. Il revient à Paris en 2006 pour devenir directeur adjoint de la rédaction de Libération. Avec trois autres journalistes de Libération, il lance Rue89 en mai 2007. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 derniers alimentent le site. Quelque chose est faussé. Les sites Web des grands médias sont restés soumis à l’emprise du grand frère, et ils n’ont pas travaillé sur une écriture spécifique à Internet. En inversant la proposition, en faisant du site le moteur du journal, la ligne de partage devient beaucoup plus claire : Internet pour le flux de l’actu, l’éclairage rapide, les réactions… ; et le supplément papier pour ceux qui veulent aller beaucoup plus loin. Ce partage permet également de travailler à des rythmes différents, plus intéressants. C’est ce que vient de faire, aux États-Unis, Christian Science Monitor, qui a fait du site son navire-amiral et passe d’un quotidien à une formule hebdomadaire. La formule quotidienne n’est pas gravée dans le marbre. C’est une hérésie de le dire comme ça, mais si on y réfléchit, rien ne dit qu’un quotidien doive sortir tous les jours de la semaine ! Les patrons de presse ont maintenant compris l’importance d’Internet. Il suffit d’observer les nominations de directeurs de rédaction de site : on est monté d’un cran dans le calibre des journalistes choisis. Le Figaro vient de nommer Luc de Barochez, qui était jusqu’à présent chef du service étranger, comme directeur de rédaction du figaro.fr. C’était impensable il y a seulement un an ou deux ! Pour finir sur une note positive, l’implantation des journaux sur Internet est déjà un vrai succès. Les sites Web de presse écrite sont leaders sur Internet, bien plus que ceux des télévisions. La presse écrite a donc réussi à occuper ce terrain-là, ce qui lui donne une nouvelle base solide pour reconstruire sa base arrière qui est en train de s’écrouler. Les sites de presse écrite qui réussiront ainsi leur mue seront des références dans l’avenir, au côté des sites pure players issus de la culture Web. ◆ Propos recueillis par Florence Maignan (PES 81) et Lazare Beullac (D 04) 33 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 34 23/12/08 16:55 Page 34 dossier PRESSE ÉCRITE Journalisme et démocratie - J E A N - M I C H E L D U M AY - es plus pessimistes des journalistes, évoquant la situation de leur profession, n’hésitent pas, parfois, à comparer la période actuelle à celle que connurent jadis les sidérurgistes. C’est dire. Encore faudrait-il moduler selon les secteurs d’activité : presse d’information politique et générale, presse magazine, presse audiovisuelle… L’idée même de cette possible comparaison témoigne cependant d’un profond bouleversement des repères. La profession comme le secteur sont touchés à la fois par des évolutions sociétales, des mutations technologiques et, pour certains, des difficultés économiques sans précédent. S’ajoute à cela une perte de confiance du public qui, après avoir touché bien des pouvoirs et des institutions, alimente envers elle un discrédit tenace, voire de l’hostilité. La fragmentation des médias, le déploiement des réseaux, la relative accessibilité de l’information via l’Internet, semblent avoir modifié les termes du contrat qui lie le journaliste à son public. Dans une société moins “verticale”, les “médiateurs” trouvent plus difficilement leur place et s’interrogent sur la nature de leur mission. Sur le plan économique, l’incapacité des entreprises les plus mal en point pour équilibrer leurs budgets ainsi que l’exigence de rentabilité à court terme des plus en forme fragilisent les conditions d’exercice du métier. La profession se précarise et cette précarité ressentie ou redoutée ne favorise guère la recherche d’originalité, la capacité d’indignation ou la soif d’investigation. Encore moins les refus de commandes. Les voyages de presse – sujet tabou – sont autant d’économies réalisées, mais d’entailles aux principes éthiques. Enfin, la mainmise de groupes industriels sur les médias – spécificité toute française, en l’absence L d’investisseurs pure players – a achevé de brouiller les identités en banalisant un produit – l’information – qu’on voudrait savoir toujours différent des autres. Elle a de même ravivé les liaisons dangereuses de la presse et de l’argent souvent corrélé, par intérêt ou amitié, au pouvoir politique. À la Libération, il s’en est fallu de peu qu’un véritable « statut de la presse » fût créé qui inscrive dans la loi son rôle de service d’intérêt public et garantisse son indépendance vis-à-vis des pouvoirs politique et économique. Une occasion manquée. Aujourd’hui, la banalisation du “produit” induit celle des comportements à l’égard de ceux qui le fabriquent. Sur le plan judiciaire, c’est la multiplication des gardes-à-vue de journalistes, de perquisitions dans les journaux, d’atteintes au secret des sources. Sur le plan économique, c’est la remise en question par les éditeurs de presse du statut spécifique d’auteur-salarié pour les journalistes, qui leur confère une responsabilité et des droits moraux sur leur production. Jean-Michel Dumay Journaliste au Monde depuis 1985, Jean-Michel Dumay est président du Forum des sociétés de journalistes (FSDJ) qui regroupe une quarantaine de rédactions de la presse écrite et audiovisuelle ; il a été président de la Société des rédacteurs du Monde et, à ce titre, vice-président du conseil de surveillance du groupe Le Monde. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 On songe à la formule du professeur de droit public Guy Carcassonne qui, commentant l’interpellation du journaliste Vittorio de Filippis, a parlé d’une « nouvelle et accablante illustration d’une forme d’analphabétisme démocratique ». C’est que le fondement démocratique du métier de journaliste ne paraît plus s’imposer de lui-même. Or, la presse, dans une société libre, a été, est et sera toujours porteuse, même si elle en fait mauvais usage, de principes et de valeurs qui la dépassent. Un chemin difficile Les États généraux de la presse écrite, qui ont fait la part belle aux patrons de presse en réduisant à la portion congrue celle des journalistes (et des lecteurs), pourraient (ré)asseoir quelques principes fondamentaux : le statut d’auteur-salarié, les clauses de conscience, la reconnaissance des équipes rédactionnelles, qui font œuvre collective et devraient se voir conférer des garanties d’indépendance (on ne saurait pratiquer un journalisme sous contrainte), des droits et des devoirs en matière éditoriale et déontologique. Le chemin semble difficile. Il n’empêche pas chacun de s’interroger, au sein des entreprises, sur les fondamentaux du métier et les conditions de production de l’information. On rejoint, sur ce point, le journaliste JeanLuc Martin-Lagardette, qui insiste sur la nécessité de soutenir une information « responsable », satisfaisante tant professionnellement que socialement, une information « fidèle aux faits et juste dans son élaboration ». Cela implique une nouvelle maturité dans la relation à l’opinion publique, qui doit pouvoir apprécier les procédures de fabrication de cette information. De cela dépend, aussi, la qualité du lien social. ◆ MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 35 dossier PRESSE ÉCRITE L’enjeu démocratique de la presse écrite à l’ère de l’Internet - THIERRY VEDEL - a presse écrite remplit des fonctions importantes pour la démocratie. Elle contribue à l’information des citoyens et les aide à effectuer des choix éclairés. Elle est un des principaux vecteurs du débat public. Elle exerce un rôle de contre-pouvoir en critiquant ou en surveillant l’activité des gouvernements. Mais si tout au long du xixe siècle, la presse écrite a été essentielle dans la construction d’un espace public, sa place dans le système politique a depuis décliné. Elle a d’abord subi la concurrence des médias audiovisuels, et particulièrement de la télévision. La presse écrite n’est plus aujourd’hui qu’une source d’information politique secondaire. Ainsi, selon les données du Baromètre politique français du Cevipof, lors de la campagne électorale de 2007, plus de la moitié des électeurs se sont d’abord tournés vers la télévision pour s’informer et seulement 10 % vers la presse écrite nationale et 9 % vers la presse quotidienne régionale. Aujourd’hui, la presse écrite s’interroge sur son devenir face au développement de l’Internet et doit faire face à trois grands défis. Quelle spécificité pour la presse écrite à l’heure de l’Internet ? L’Internet favorise de nouveaux modes d’information politique, qui combinent images, sons et textes, reposent sur le butinage et brouillent les hiérarchies traditionnelles entre émetteurs et récepteurs. L’enjeu pour la presse est de s’adapter à ce nouvel environnement informationnel tout en conservant ses fonctions originales. Elle doit inventer de nouveaux formats multimédias tout en valorisant la réflexion et l’analyse que permet l’écrit. Elle doit instaurer des relations plus interactives avec ses lecteurs tout en continuant à hiérarchiser les nouvelles et les L Thierry Vedel Chercheur CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po, Thierry Vedel travaille sur les évolutions de la communication politique et la régulation des médias. Dernier ouvrage paru : Comment devient-on président(e) de la République ? Les stratégies des candidats. (Robert Laffont, 2007). L E S P A P I V O R E S Guy Birenbaum Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Tous (je plaisante à peine). Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? France/Société/Politique. Où et quand lisez-vous la presse ? À mon domicile. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Le Monde. Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? Des opinions, pour les critiquer… Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? Je ne sais pas répondre à cette question. Buzatti peut-être… Mais est-il journaliste ? Si oui, le meilleur ! RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 opinions. Elle doit se relier aux flux informationnels continus du Web tout en maintenant un rapport critique aux sources. Conjurer la fragmentation de l’espace public. On présente souvent l’Internet comme une nouvelle agora. Dans les faits, diverses enquêtes ont montré que les espaces d’expression en ligne exacerbent l’individualité. Ils conduisent à une profusion de microcommunautés de citoyens, fondées sur la proximité d’opinions ou la sympathie intellectuelle, qui communiquent peu entre elles. On constate d’autre part une fracture croissante entre une minorité d’internautes qui dispose du temps nécessaire et des capacités cognitives pour exploiter pleinement la richesse informationnelle de l’Internet et une grande majorité de citoyens qui n’ont qu’un accès épisodique à celle-ci. Face à ces deux tendances dangereuses pour le lien politique, la presse écrite a un rôle à jouer si elle sait rendre l’information accessible au plus grand nombre et construire des forums transcommunautaires. Une économie de la presse en ligne qui préserve une citoyenneté authentique. L’Internet tend à accréditer l’idée que l’information est gratuite. De nombreux sites Web de la presse se sont résolus à la gratuité sans que la publicité en ligne compense le manque à gagner. Où trouver alors les ressources suffisantes pour maintenir un journalisme de qualité qui ne soit pas simplement le recyclage ou le commentaire de dépêches d’agences ? Comment financer le travail d’investigation ou l’enquête de terrain ? Si la presse en ligne ne parvient pas à trouver un modèle économique qui assure son équilibre, l’Internet pourrait paradoxalement conduire à une dégradation de la démocra- 35 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 36 23/12/08 16:55 Page 36 dossier PRESSE ÉCRITE La Tribune, le défi low cost et qualité - ALAIN WEILL - En mêlant réduction drastique des coûts, marketing éditorial et modèle de gestion en rupture, Alain Weill espère, tout en améliorant la qualité du journal, arriver à l’équilibre en 2010. Pourquoi avoir racheté La Tribune, qui a toujours été déficitaire, dans un contexte économique défavorable ? Quand pensez-vous pouvoir ramener ce titre à l’équilibre ? Nous avons montré, en reprenant RMC puis BFM Radio, qu’il n’y avait jamais de situations définitivement perdues pour une entreprise qui dispose d’une marque reconnue, d’un chiffre d’affaires conséquent, et d’un véritable fond de commerce. Nous avons constaté, en examinant le dossier de La Tribune, que ce journal jouissait d’une vraie marque, d’une bonne image, d’une crédibilité auprès de son public, et d’un bon portefeuille de lecteurs, avec 45 000 abonnés, auxquels s’ajoutent 75 000 titres diffusés hors abonnement. Le chiffre d’affaires, de 40 millions d’euros, était également conséquent. Mais La Tribune avait un problème de modèle économique, car les coûts étaient trop élevés. Toute la question était donc de savoir si l’on pouvait, tout en améliorant la qualité du journal, réduire drastiquement les coûts et donc augmenter le chiffre d’affaires dans des proportions réalistes. Nous nous sommes dit que c’était jouable, et le plan de redressement est maintenant en marche. Notre groupe a plusieurs savoir-faire : le marketing éditorial ; la mise en place de modèles de gestion en rupture par rapport à ce qui se fait ; et une culture commerciale très forte. Ces trois facteurs, appliqués à La Tribune, devraient conduire au redressement du journal. En jouant notamment sur les coûts et, à la marge, sur le chiffre d’affaires, nous pensons que nous pourrons redresser La Tribune assez rapidement, et que le journal parviendra à l’équilibre en 2010. Y a-t-il de la place pour deux quotidiens strictement économiques, La Tribune et Les Échos ? La Tribune se positionne aujourd’hui comme un quotidien destiné aux décideurs : cadres en entreprise bien sûr, mais également professions libérales, et plus largement tous ceux qui ont besoin de s’informer et pour lesquels le quotidien est un outil de travail. La concurrence ne se limite donc pas aux Échos, car plusieurs quotidiens s’adressent aux décideurs en France : Le Monde, Le Figaro… On a parfois, en France, une vision Alain Weill Après des études à HEC, la carrière d’Alain Weill le conduit chez NRJ, à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion, et à la radio Maxximum… En 1992, il devient administrateur et directeur général de NRJ Group. En 2000, Alain Weill crée Nextradio, rachète les radios RMC et BFM. Il lance BFM TV sur la TNT en 2005, puis reprend La Tribune en 2008 et lance au même moment le quotidien 10 Sport. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 L E S P A P I V O R E S Bertrand Badie (PS 71) Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Le Monde… Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? L’international, le carnet du jour… Où et quand lisez-vous la presse ? Dans les moments où je ne peux vraiment rien faire d’autre. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Non. Qu’y trouvez-vous ? J’y trouve beaucoup de désinformation… Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? « J’accuse. » un peu étriquée des choses. Prenez les quotidiens économiques à l’étranger : dans le Wall Street Journal, vous trouverez, en plus des informations économiques et financières, de nombreux sujets politiques, beaucoup d’international. C’est que nous voulons faire à La Tribune, avec à la une du journal le triptyque « politique, business, finance » : trois secteurs fondamentaux pour les décideurs. Ceux-ci ont besoin d’une information sociale, internationale, sur des secteurs d’activités – télécoms, médias – mais également sur les pays émergents, sur le green business… Nous avons même une page sport. Nos lecteurs n’ont pas le temps de lire plusieurs quotidiens. MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 37 dossier PRESSE ÉCRITE Vous avez lancé une nouvelle formule fin octobre. Quels résultats constatez-vous ? La diffusion a progressé d’environ 40 %, ce qui dépasse nos objectifs. Le chiffre d’affaires sera en hausse de 10 % au mois de novembre, tout comme les revenus publicitaires. Les résultats sont donc globalement encourageants. Ce rebond des ventes n’est-il pas dû à la crise financière, qui a bénéficié à la plupart des titres économiques ? La crise financière avait ralenti l’érosion des ventes au mois d’octobre, mais c’est bien la nouvelle formule qui permet la progression actuelle. Comment envisagez-vous l’intégration de La Tribune dans votre groupe ? Quel est l’intérêt de disposer d’un titre de presse, en plus d’une télévision et de radios ? La mutualisation est l’avenir des groupes de médias. La concurrence est rude, il faut donc mettre en commun les moyens consacrés à la production de l’information. En outre, les moyens techniques rendent la mutualisation des contenus plus facile à mettre en œuvre. C’est une grande force. Un média basé sur un support unique, quel qu’il soit, aura plus de mal qu’une entreprise plurimédia, qui pourra mettre en commun non seulement son organisation, mais également sa couverture de l’actualité dans le monde. Sans aller jusqu’à envisager une rédaction commune, la mutualisation permet à chaque support d’avoir accès à une plus large palette de moyens pour couvrir l’actualité. Dans le domaine sportif, nous avons créé une agence de presse interne, RMC Sport Presse, qui produit des informations sportives pour RMC et BFM TV, une page dans La Tribune, ainsi que plusieurs pages pour le quotidien 10 Sport1. Les rédactions entre RMC et BFM TV ont été mutualisées, et il 1 10 Sport a été lancé le 3 novembre dernier par Michel Moulin, ancien directeur général du groupe Hersant Médias. Alain Weill a apporté 35 % du capital de ce journal. arrive donc qu’un journaliste intervienne à la fois sur RMC et BFM TV. Les journalistes de La Tribune sont souvent des experts dans leur domaine, et peuvent intervenir sur les ondes, ce qui permet à BFM TV et RMC d’avoir accès à des experts. Vous avez la réputation d’appliquer les méthodes du low cost. Dans la presse écrite, cette méthode ne risque-t-elle pas d’aboutir à une moindre qualité des publications ? La méthode low cost ne signifie pas faible qualité, mais l’apparition, à la faveur d’une rupture technologique, d’un nouveau modèle par rapport à ceux d’entreprises plus installées, au fonctionnement plus traditionnel. La méthode du low cost s’est appliquée à tous les secteurs qui ont connu un monopole et s’ouvrent au marché : transport aérien, télécoms… Dans tous les cas, les acteurs low cost se sont montrés tout à fait compétitifs en termes de qualité et de service rendu au client. En créant BFM TV, nous nous sommes nous aussi appuyés sur une rupture technologique : le numérique offrait la possibilité de raccourcir le circuit de fabrication d’une chaîne d’information. Si nous sommes devenus la première chaîne d’informations en France, devant LCI et iTélé, ce n’est pas parce que les spectateurs considèrent que nos informations sont de moins bonne qualité ! En revanche, notre organisation plus moderne nous permet d’être plus efficaces, et d’avoir de très bonnes performances que ce soit en radio, en télévision et maintenant dans la presse. Quel est votre regard sur la crise actuelle de la presse écrite ? Comment pourra-t-elle s’en sortir ? On a trop longtemps cru que les médias d’information n’avaient pas à se soumettre aux mêmes règles que les entreprises d’autres secteurs. Dans les termes « industrie des médias », « entreprise de presse », il y a « industrie », « entreprise ». Il s’agit d’une industrie comme une autre. Or, en France, depuis la fin de la guerre, les entreprises de RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 Tirage des principaux quotidiens français… Titre Diffusion Ouest France (*) 771 540 Métro (ttes éditions) 733 969 20 Minutes (ttes éditions) 733 496 Le Parisien + Aujourd’hui en France 519 840 L’Équipe 323 835 Le Figaro 322 482 Le Monde 304 083 Libération 126 930 Les Échos 119 673 La Croix 94 6420 La Tribune* 76 535 Diffusion France payée, 2007-2008. Source OJD. *Déclarations sur l'honneur …des principaux magazines français… Closer Le Nouvel Observateur Voici L’Express* Public France Dimanche Le Point Marianne* Le Journal du Dimanche 513 013 508 086 499 950 459 678 446 889 442 644 416 928 281 190 257 352 Diffusion France payée, 2007-2008. Source OJD. *Déclarations sur l’honneur …et celui de quelques quotidiens étrangers États-Unis USA Today 2 284 219 Wall Street Journal 2 069 463 New York Times 1 077 256 Royaume-Uni The Sun The Daily Mail Daily Mirror 3 045 899 2 193 715 1 400 206 Allemagne Die Welt Süddeutsche Zeitung Frankfurter Allgemeine Zeitung 209 000 430 000 377 000 Italie Corriere della Sera La Repubblica La Stampa 680 208 556 416 314 387 Espagne El Pais El Mundo ABC 425 926 320 161 276 552 Japon Yomiuri Shimbun Asahi Shimbun Mainichi Shimbun 14 067 000 8 220 000 5 555 939 Souces: Audit Bureau of Circulation USA et UK, OJD espagnol, Wikipedia 37 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 38 23/12/08 16:55 Page 38 dossier PRESSE ÉCRITE • • • presse ne se sont pas ouvertes à la logique économique, à l’adaptation, et au développement. Aucun grand groupe de presse n’y est né de la presse quotidienne, ce qui est une exception mondiale. Les entreprises d’information en France sont souvent très fragiles, parce qu’elles n’ont pas su se diversifier, s’adapter, investir dans la radio ou Internet. Il y a soixante ans, les journaux étaient les seuls pourvoyeurs d’information, et les gens devaient acheter le journal au colporteur pour lire les informations les plus récentes. Aujourd’hui, la presse écrite passe après la radio, Internet, et parfois la télévision. Ce constat ne signifie pas que la presse écrite est condamnée. Je ne crois pas du tout à une disparition du papier, bien au contraire. Mais la presse écrite dispose de relais de croissance considérables, à condition qu’elle s’adapte, se modernise. La mutualisation fait partie de ces évolutions nécessaires. Cette modernisation peut-elle aboutir sans que les groupes de presse doivent s’adosser à de grands groupes industriels ? Bien sûr ! Il faut des groupes indépendants, car ce sont des groupes qui sont motivés uniquement par le développement de leur activité, et n’ont pas d’arbitrages à faire avec d’autres activités. Il n’y a pas aujourd’hui de tels pure players en France, il faudrait qu’il y en ait demain. Envisagez-vous d’autres rachats dans la presse écrite ? Nous allions ambition et prudence, nous avançons progressivement. Nous devons tout d’abord stabiliser La Tribune et amener BFM TV à l’équilibre. Ces chantiers sont bien avancés, mais nous devons les mener à bien avant de songer à autre chose. ◆ Propos recueillis par Florence Maignan (PES 81) avec Lazare Beullac (D 04) Presse et Internet mobile : le grand chambardement Les journaux ont à peine fini d’intégrer les effets de la « révolution Internet » qu’un nouveau bouleversement point à l’horizon. L’Internet mobile est pour demain, et dans nos poches se nicheront bientôt des appareils donnant accès à toute la presse, tout le temps. La plupart de nos intervenants soulignent que l’avenir de la presse se jouera en partie sur ces terminaux mobiles. L’iPhone d’Apple – plus de 216 000 exemplaires vendus en France – préfigure déjà cette évolution. « L’iPhone a changé la façon de lire sur le Web. Son ergonomie, son autonomie, la taille de son écran, en font le premier mobile à pouvoir être réellement considéré comme un reader », témoigne Ludovic Blecher, rédacteur en chef des éditions électroniques de Libération. Les quotidiens se sont rués sur ce marché naissant. Pour des résultats fort modestes, mais en constante progression : Expresso, le site « mobile » de Libération, a vu sa fréquentation passer de 2 000 lecteurs par jour à ses débuts à 7 000, et celui du Monde atteint les 9 000. Surtout, Le Monde fait un tabac avec son application pour iPhone : 34 000 visiteurs uniques par jour en moyenne. Libération (et les autres) préparent leur revanche… et tous surveillent, comme le lait sur le feu, les évolutions du marché mobile. Les succès de l’iPhone et autres terminaux mobiles connectés au Web pourraient tuer dans l’œuf l’autre révolution attendue par le secteur : l’e-reader. Ces « tablettes de lecture » promettent, grâce à leur écran à encre électronique, un confort de lecture comparable au papier. Pour l’heure, Les Échos font figure de cavalier seul avec son abonnement e-reader, proposé depuis fin 2007. Pour l’heure, pas de succès fulgurant : un millier d’abonnements ont été souscrits. Et la commercialisation grand public d’e-readers – plutôt conçus pour se substituer aux livres – n’a eu aucun effet. Les constructeurs jurent que leurs futurs ereaders seront plus légers, en couleurs, et même, un jour, pliables. Comme un vrai journal, en somme. De quoi le remplacer ? Lazare Beullac (D 06) RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 39 dossier PRESSE ÉCRITE « Adaptons les points de vente au mode de consommation ! » - RÉMY PFLIMLIN - Le directeur général des NMPP (Nouvelles Messageries de la presse parisienne) revient sur les nouveaux enjeux de la distribution et sur les défis de demain. Vous avez été auditionné dans le cadre des états généraux de la presse. Comment faire pour que les Français achètent plus de journaux ? Il faut tout d’abord que les journaux aient un contenu qui réponde à leurs attentes. L’offre éditoriale doit être adaptée et tenir compte de la complémentarité avec d’autres supports comme Internet. La presse a aussi besoin de davantage de lancements pour que le marché fonctionne. Cette règle vaut pour l’automobile, les cosmétiques. Pourquoi pas pour la presse ? Enfin, l’accessibilité aux journaux doit être renforcée, ce à quoi nous travaillons dans le groupe NMPP. Concrètement, comment faites-vous pour relever ce défi ? Nous adaptons les points de vente au mode de consommation. Les quotidiens par exemple doivent être trouvés très facilement. Un lecteur ne doit pas avoir plus de quinze minutes de parcours pour acheter son journal. C’est possible en multipliant le nombre de points de vente de quotidiens – nous en avons créés 1 500 en deux ans – ainsi que les points de vente du type Maison de la presse ou kiosques parisiens. Quand un point de vente disparaît, c’est la presse écrite qui disparaît. Votre plan Défi 2010 prévoit d’augmenter le nombre de points de vente. Comment vous y prenez vous ? Outre les deux axes précédemment évoqués, nous développons aussi la présence de la presse dans la grande distribution. En novembre 2006, vous trouviez la presse dans 390 hypermarchés contre 512 en novembre 2008. De même, alors que l’on trouvait la presse dans 1 300 supermarchés en novembre 2006, elle est aujourd’hui présente dans 1 600. Et ce n’est qu’un début. Faut-il selon vous assouplir la loi Bichet de 1947 pour que le nombre de points de vente se développe franchement ? L’assortiment est une des conditions de la bonne distribution de la presse. Pourquoi faut-il entasser 1 000 magazines dans certains points de vente qui ne peuvent en contenir que 500 ? Pourquoi ne pas tenir compte de la population et de ses attentes Rémy Pflimlin Diplômé d’HEC, Rémy Pflimlin commence sa carrière dans la presse – Jours de France, Dernières Nouvelles d’Alsace – puis est nommé directeur général adjoint de la Société alsacienne de publications en 1991. En 1999, il devient directeur général à France 3. Depuis 2006, il est le directeur général des NMPP. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 pour adapter la distribution ? C’est ce que nous avons testé dans 220 points de vente de la région de Reims avec des résultats très concluants. Cela donne en effet un nouveau sens au métier de diffuseurs de presse. Ceux-ci ont ainsi une certaine liberté pour adapter leurs ventes – ils choisissent près de 30 % des titres – à leur clientèle qu’ils connaissent bien. La loi Bichet n’est pas un obstacle à ce mouvement de modernisation. Celle-ci n’indique que deux choses : les titres sont libres d’être distribués seuls, sans passer par une messagerie ; si plusieurs titres souhaitent être distribués conjointement, cela doit se faire sous forme de coopérative. Il n’est dit nulle part que chaque point de vente doit distribuer l’ensemble des titres. Ce serait impossible ! Il y a d’ailleurs 30 000 points de vente en France et beaucoup de titres ne sont pas distribués à plus de 15 000 exemplaires. Vous misez aussi sur des techniques classiques de merchandising pour développer la presse écrite. Oui. Nous devons mettre en valeur comme il se doit le produit presse. Prenez l’exemple de Benetton. Dans les années soixante-dix, plus personne ne s’intéressait à la maille. Lorsque Benetton est arrivé en proposant toutes ses couleurs, le consommateur n’a pas acheté un pull mais trois ou quatre. La présentation est donc essentielle. Nous avons établi des règles de merchandising pour les points de vente avec des • • • 39 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 40 23/12/08 16:55 Page 40 dossier PRESSE ÉCRITE incitations financières pour ceux qui les respectent. Justement, la rémunération des diffuseurs de presse est l’un de vos objectifs affichés. Concrètement, cela signifie quoi ? Aujourd’hui, un vendeur de journaux touche un pourcentage sur ce qu’il vend. Nous avons augmenté fortement ce taux. C’est notamment le cas pour les Maisons de la presse en centre urbain. Celles-ci touchaient 16 % du prix de vente des journaux en 2006 contre 23 % aujourd’hui. À quoi ressemblera un point de vente en 2020 ? C’est une question essentielle ! En 2020, les consommateurs trouveront leurs produits presse très bien présentés dans leur quartier. La presse sera distribuée dans des points de vente de référence, qui seront des véritables univers culturels. On pourra aussi y télécharger des programmes. Les convenient stores continueront à exister. Acheter un sandwich en même temps que son journal sera toujours possible. Le groupe NMPP souffre aussi dans ce contexte (350 départs prévus). Votre situation est-elle semblable à celle des réseaux de distribution à l’étranger ou existe-t-il une exception française en la matière ? Les difficultés de la presse écrite ne sont pas spécifiques à la France. Elles sont mondiales. Mais la distribution centralisée telle que nous la connaissons sur le plan national est une spécificité française, un atout formidable pour les éditeurs qui n’ont pas à négocier avec des dépositaires différents dans chaque région comme c’est le cas par exemple en Allemagne. De plus, les éditeurs ont la garantie d’être payés pour l’ensemble des exemplaires vendus, même en cas de faillite de points de vente. C’est une garantie considérable. Le portage est-il l’avenir de la distribution ? Certainement pour les quotidiens ; le portage est un complément de la vente au numéro. ◆ Propos recueillis par Laurent Acharian (CRH 2000) L E S P A P I V O R E S Pascal Bruckner Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Le Monde, Libération, Le Nouvel Obs, International Herald Tribune. Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? La première page. Où et quand lisez-vous la presse ? Le matin au petit déjeuner. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Pour moi, Le Monde, mais c’est subjectif. À propos du groupe NMPP Le groupe NMPP a pour vocation d’assurer et de promouvoir la diffusion de la presse écrite dans toute sa diversité. Il distribue plus de 80 % des quotidiens et magazines nationaux vendus au numéro (en 2007, plus de 3 600 titres de presse quotidienne et magazine et près de 4 000 produits multimédias et encyclopédies), en France et dans une centaine de pays. Au service de la vitalité de la presse écrite pour l’ensemble de la filière, le groupe NMPP contribue au développement du réseau de vente. Il pilote directement une cinquantaine de dépôts et quatorze filiales à l’étranger. Il développe et anime, à travers ses filiales AAP et Seddif, plus de 2 400 kiosques et magasins spécialisés en France. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? Des informations que les autres médias ne donnent pas, des analyses, des mises en perspective. Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? C’est la continuité de la lecture quotidienne qui aide à réfléchir. MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 41 dossier PRESSE ÉCRITE XXI : un pied de nez à la crise - LAURENT BECCARIA - Revue trimestrielle de deux cents pages, mêlant longs reportages, BD, photos, dessins, lancée sans publicité, XXI est bénéficiaire depuis le premier numéro avec une moyenne de 35 000 lecteurs. Elle fait actuellement figure de phénomène éditorial. Entretien avec Laurent Beccaria, directeur de la publication. Comment est née l’idée de créer XXI, un trimestriel de deux cents pages sans publicité ? Comme beaucoup d’aventures de presse, celle ci est née d’une rencontre. En l’occurrence, celle que j’ai faite avec un journaliste, Patrick de Saint-Exupéry, grand reporter au Figaro, journaliste de terrain depuis plus de vingt ans, prix Albert Londres en 1991. Pour lui, la réponse apportée par les journaux à la désaffection des lecteurs et à l’apparition d’un flux permanent d’informations – faire plus rapide et plus court, à base de retraitement de dépêches et de commentaires, dans une logique de rationalité et de rentabilité – n’est pas la bonne. Il défendait le journalisme debout, qui se confronte au réel et apporte des informations de première main. De mon côté, en tant qu’éditeur, je constatais un hiatus. Depuis une vingtaine d’années, des romans originaux, étonnants et forts, souvent étrangers, trouvent un large public, le polar et la bande dessinée sont des secteurs florissants et inventifs, alors que le secteur des essais et documents s’est, lui, considérablement appauvri avec des chapelets de témoignages de stars et de « documents choc » assez peu choc. C’est le chaînon manquant de la librairie. Il y avait un manque à combler. Beaucoup de gens se sont cassé les dents en essayant de refaire des formules connues. Nous voulions inventer un journal de notre époque. Nous avons d’abord pensé à un mensuel de reportages vendu en kiosque. Mais nous nous sommes vite aperçus que l’équation était impossible : elle impliquait un investissement lourd, une équipe ad hoc, des objectifs de vente très ambitieux. Au moment où nous allions baisser les bras, la lumière a jailli. Pourquoi ne pas radicaliser notre projet ? Être copieux, adopter un rythme trimestriel, et vendre en librairie, en fixant un prix de vente élevé à 15 euros ? Le tout sans publicité, puisque de toute manière elle aurait été rare. Ensuite, les choses sont allées très vite. Nous souhaitions réunir des gens qui travaillaient dans des genres d’expression différents – auteurs de bande dessinée avec une appétence pour le réel ; documentaristes ; photographes ; journalistes ; écrivains pratiquant le reportage. Les quatre ou cinq Laurent Beccaria (PES 86) Directeur littéraire chez Plon puis chez Stock, avant de fonder les éditions Les Arènes en 1997I, Laurent Beccaria a lancé, en janvier 2008, avec Patrick de Saint-Exupéry, grand reporter au Figaro, le trimestriel de « l’information grand format », XXI. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 auteurs et dessinateurs de premier plan à qui nous avons soumis le projet ont tout de suite adhéré. Puis nous avons rencontré les directeurs artistiques du Monde, Quintin Leeds et Sara Deux, qui ont compris immédiatement ce qu’il fallait faire. Leur maquette a été décisive. Le projet existait. Ensuite, il a fallu trouver de l’argent. En un mois, nous avons réuni un tour de table de 500 000 €, avec nous-mêmes (66 % des parts), Antoine Gallimard, Charles-Henri Flammarion et quelques amis. En tout, la préparation a pris six mois. Enfin il a fallu séduire les libraires, ce qui n’était pas évident puisque la meilleure vente d’une revue en librairie culmine à 3 000 exemplaires. Nous avons mis 25 000 exemplaires en place. La veille du lancement, nous avons eu peur soudain d’avoir fait fausse route et de courir à la catastrophe, comme si nous prenions seulement la mesure du pari. Mais nous avons été submergés par les appels des libraires. Le succès a été immédiat et se prolonge. Nous sommes bénéficiaires depuis le premier numéro, et nous allons finir l’année sur une moyenne de 35 000 exemplaires, soit 40 % au-delà de nos objectifs. En matière de presse, un décollage comme celui-ci est rare. Pourquoi publier des articles longs, quand la mode est plutôt au « plus rapide et plus court » ? Il y a un effet de balancier : plus nous passons notre journée devant des • • • 41 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 42 23/12/08 16:55 Page 42 dossier PRESSE ÉCRITE ••• écrans, dans des flux d’information continus, plus nous avons besoin de prendre du recul et de toucher du papier. Surfer sur Google actualités ou recevoir des infos sur son portable, c’est amusant au début, mais on en fait vite le tour. Nous savions que le format des reportages en trente feuillets était intéressant : beaucoup d’histoires sont trop longues pour être racontées en cinq feuillets, et se trouvent délayées sur les 200 pages d’un livre. XXI n’a pas inventé la poudre : à l’étranger, le New Yorker, Atlantic Monthly ou Granta ont prouvé l’intérêt de ce format. Les journaux français l’ont également expérimenté : lorsque Jean-Claude Guillebaud se rend en Éthiopie en 1977, il revient avec 90 000 signes publiés dans Le Monde en trois fois. Aujourd’hui, la double page du Monde fait 16 000 signes, avec un encadré et une photo, et c’est leur format de « course de fond ». Qui est le lecteur-type de XXI ? Le lecteur-type n’existe pas ! Il y a des lecteurs. Les études marketing se mettent le doigt dans l’œil en voulant codifier l’impossible, et la plus belle phrase qui puisse illustrer notre métier est celle de Malraux : « Audessus de 10 000 exemplaires commence le malentendu », c’est-à-dire l’agrégat de lecteurs différents, qui ont chacun leur raison de lire, mais qui n’est jamais la même. Nos lecteurs sont extrêmement variés : lycéens, étudiants, retraités… Les professionnels s’imaginent parfois que XXI s’adresse à un public haut de gamme – mais certains de nos lecteurs sont plus proches de Sélection du Reader’s Digest que du Débat, car ils apprécient que les récits ne demandent pas une connaissance préalable de la part du lecteur. Nous aimons beaucoup la phrase d’un paléontologue : « En dehors de mon domaine, j’ai quatorze ans ! » Les lecteurs de XXI sont des gens curieux, qui aiment être surpris. Ils apprécient aussi de prendre une demi-heure ou trois-quarts d’heure pour lire, car cela les apaise, les réconcilie avec eux-mêmes, leur procure du plaisir. Le rite de la lecture du Monde dans les années soixante-dix ou de Libération dans les années quatre-vingt, c’était d’abord cela. Je suis désolé de revenir à ces évi- L E S P A P I V O R E S Salomé Zourabichvili (RI 72) Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Outre la presse géorgienne, The Economist, IHT, Courrier international, Le Monde sur Internet. Le Canard enchaîné quand je suis à Paris, pour me remettre dans le bain. dences d’une banalité à pleurer, mais ces lecteurs ont été oubliés par les marketeurs à tout va. Parce que si l’on part de l’idée que le lecteur-type existe, la logique est de chercher à répondre à ses attentes supposées, ses besoins exprimés et rationnalisés. Or, très souvent, ces désirs sont ambivalents. Qui sait parmi nous vraiment ce qu’il aimerait aimer ? C’est la rencontre avec un être ou un objet qui crée la cristallisation. Comme 50 % du chiffre d’affaires dépend de la publicité, il faut également que ces lecteurs-types Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? L’international dans tous les cas, et la rubrique littéraire. Où et quand lisez-vous la presse ? Sur mon écran d’ordinateur quand je suis en Géorgie, où malheureusement on ne trouve pas la presse étrangère. Et à Paris dans le métro, dans les airs beaucoup aussi. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Bon an mal an, Le Monde, qui peine à rester de référence et n’y arrive que parce qu’il n’a pas vu émerger de vrai concurrent. Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? L’information d’abord et si possible de vrais articles de fond, parfois engagés, du travail de journalisme dont The Economist est un modèle, mais que la France n’arrive pas à égaler. Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? J’ai commencé à écrire pour la presse, pour des revues ; ce n’est pas un article en particulier qui m’a inspirée, mais la nécessiter d’informer sur la situation complexe de ce petit pays qu’est la Géorgie, si peu connu, si mal connu. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 coïncident avec les besoins des publicitaires : acheteurs de BMW, de montres, de pâtes… Il va donc y avoir rencontre entre deux mythes, celui des objectifs supposés du lecteur, et celui du lecteur tel qu’on veut le vendre aux publicitaires. C’est comme cela que l’on crée des journaux entièrement artificiels ! Auteurs et lecteurs ont adhéré au projet. Pourquoi ne se sont-ils pas rencontrés plus tôt et sur d’autres médias ou sur Internet ? Parce que les médias en France fonctionnent trop souvent en vase clos. La presse manque d’air extérieur et d’originalité. Bien sûr il y a Internet et la vague collaboratrice. Le mot d’ordre, c’est « tous journalistes, tous MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 43 dossier PRESSE ÉCRITE commentateurs » ! C’est de la mousse, pas du journalisme. Le Web a une mémoire infinie, une disponibilité 24 heures sur 24, mais ce n’est pas un média total qui remplacerait tous les autres. Il a plein de limites. D’autant plus que sur le Web, le financement du journalisme par la publicité est une chimère. La ligne d’horizon de la rentabilité des sites d’information s’éloigne chaque jour un peu plus. Avec la crise, cela va même être la débandade. Comme internaute, je peux rester deux heures par jour sur Internet, mais rien ne me retient. Je clique, je cherche, je surfe. C’est un autre plaisir et une autre utilité que la lecture continue, mais ce n’est pas mieux. Notre soif de comprendre le monde n’est pas rassasié. Internet entraîne une déréalisation des événements et un éclatement des points de vue. Moi, j’ai besoin que l’on me raconte des histoires vraies, par un témoin qui était là et qui a vu. Le récit construit, il relie, il nous donne à comprendre par l’émotion et le plaisir de la lecture. Pourquoi avoir choisi une distribution en librairie plutôt qu’en kiosque ? Ce choix peut au premier abord sembler irrationnel. C’est moins de marge, avec une TVA à 5,5 % plutôt que de 2,1 % en NMPP ; plus de boulot, car il a fallu convaincre les libraires de commander des exemplaires point de vente par point de vente ; et moins de possibilités commerciales puisqu’il y a 1 000 vraies librairies contre 10 000 kiosques. Pourquoi l’a-t-on fait ? Pour une raison évidente : en librairie, on vend de la lecture et non du « plus produit », de l’affichage et du feuilletage. Il y a aussi le prix : les revues les plus chères qui se vendent en kiosque coûtent 7 ou 8 euros, un prix auquel nous ne pouvions pas descendre sans recettes publicitaires. En revanche, 15 euros, ce n’est pas très élevé en librairie. Enfin, à cause de l’empla- cement. Le kiosquier qui reçoit un Ovni comme le nôtre ne saura pas où le mettre et le rangera en haut de l’étagère, là où personne ne le verra. Tandis que les libraires recommandent XXI à leurs clients. Ils les connaissent. Les 350 libraires indépendants de qualité qui existent en France sont les vrais moteurs commerciaux de XXI. Les lecteurs de XXI sont des gens curieux, qui aiment être surpris. Ils apprécient aussi de prendre une demi-heure ou trois-quarts d’heure pour lire, car cela les apaise, les réconcilie avec eux-mêmes, leur procure du plaisir. Le rite de la lecture du Monde dans les années soixante-dix ou de Libération dans les années quatre-vingt, c’était d’abord cela. S’il fallait tirer un enseignement du lancement – et du succès – de XXI ? Même si économiquement nous sommes marginaux, XXI a un effet symbolique important. Son succès montre que l’on peut penser autrement et s’extraire de certains paradigmes donnés comme absolus. Tout le monde prétend « décrypter », mais que veut dire décrypter ? Très peu de gens savent décrypter ! Et pour décrypter il faut avoir autre chose à se mettre sous la dent qu’une dépêche AFP ou la rumeur de la ville. Commençons par raconter, par transmettre des émotions, de la vie vraie, de la connaissance. Dans un univers où 70 % des informations qui circulent sont des reprises de dépêches ou de dossiers de presse, il est fondamental d’apporter des informations de RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 première main. Nous avons redonné de l’espoir à de nombreux journalistes, car nous avons montré que travailler sur l’offre et l’objet pouvait donner des résultats. Il y a une crise de contenus. La logique marketing aboutit à une surproduction de livres, de journaux de plus en plus standards. Les marketeurs se sont emparés du pouvoir, mais ils ne savent pas quoi en faire. Ils ont perdu de vue qu’en bout de chaîne, il y a des lecteurs. Avec leur manière de penser, ils ne peuvent pas créer du neuf : ils appliquent des recettes copiées ici ou là. Ils savent détruire, restructurer, rentabiliser, mais pour construire et inventer les journaux de demain, il n’y a plus personne. En même temps, il est ridicule de réfléchir de façon binaire : affirmer que les solutions à la crise de la presse ne sont « que » l’Internet ou « que » des revues comme XXI, c’est passer à côté d’autre chose. Il doit être possible de faire un magazine populaire absolument génial, de réinventer un quotidien de référence… Je méfie tellement des idées toutes faites ! 99 % des recettes de cuisine sont disponibles gratuitement sur Internet, et on n’a jamais vendu autant de livres de cuisine… C’est donc bien que le numérique et le papier ne remplissent pas les mêmes fonctions. Il faut favoriser les créations, au lieu d’essayer de rationaliser au maximum. Le discours ambiant sur la crise de la presse est vide. « Contextualiser », « trier », « pointer vers les bons contenus », sont des mots qui n’ont pas de sens, en tous les cas pour moi. Je n’attends pas qu’on « ordonne l’information » pour moi, j’attends qu’on me parle, qu’un homme ou une femme me raconte ce qu’il a vu, qu’il me transmette quelque chose. C’est tellement rare ! ◆ Propos recueillis par Florence Maignan (PES 81) et Lazare Beullac (D 04) 43 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 44 23/12/08 16:55 Page 44 dossier PRESSE ÉCRITE « Une crise de l’offre » - FRANÇOIS DUFOUR - Lorsque l’offre est alléchante et adaptée, la presse trouve des lecteurs, le succès de Play Bac en est la preuve. Vous avez créé un groupe de presse qui publie trois quotidiens pour enfants et jeunes, vous êtes le président du groupe presse et société des États généraux de la presse, quel regard portez-vous sur la crise actuelle ? Est-elle plus grave en France qu’ailleurs ? La crise de la presse écrite est mondiale. La tendance mondiale est à moins de presse papier et plus de presse électronique. Mais je pense que l’“objet-journal” ne disparaîtra pas. C’est un objet qui va vers le lecteur, que l’on prend plaisir à feuilleter, à lire, où l’on découvre des choses. C’est une lecture-plaisir, par opposition à l’Internet qui est plus un outil de recherche, sur lequel on se rend, où l’on saute de lien en lien, et qui offre une lecture-zapping. Il est possible que, dans dix ou vingt ans, le journal passe à un support différent comme l’e-paper ou l’encre électronique, en particulier avec les préoccupations actuelles de développement durable. Mais le journal, objet de lecture-plaisir à feuilleter, continuera d’exister. Je pense qu’en France la crise de la presse quotidienne est particulièrement aiguë parce que les journaux sont particulièrement mauvais. Ce n’est pas une crise de la demande, mais une crise de l’offre. Je vous en donne deux preuves : on dit que les enfants ne lisent plus et ne s’intéressent qu’aux jeux vidéo, à Internet, ou à la télévision. Nous sommes arrivés avec des contenus bien ciblés, bien faits, bien écrits, pour les 7-10 ans avec Mon Petit Quotidien, les 10-13 ans avec Mon Quotidien, et les 14 ans et plus avec L’Actu, et les lecteurs sont venus : nous tirons, pour ces trois titres confondus, à près de 200 000 exemplaires. Second exemple, la presse gratuite : on prétend que les 1525 ans ne s’intéressent pas aux journaux, « La crise de la presse quotidienne est particulièrement aiguë parce que les journaux sont particulièrement mauvais. » n’en achètent jamais en kiosque, et que si on leur donnait Le Monde, il leur tomberait des mains. Tout cela est vrai, pourtant un Metro sur trois, un 20 Minutes sur trois sont lus par les 15-25 ans. Exemple ultime, Harry Potter : on a cru que les livres pour enfants, c’était fini, car les jeunes étaient saturés d’écrans. Et puis J.K. Rowling a réalisé, avec sept tomes de 800 pages chacun, les meilleures ventes historiques et mondiales de la littérature ! Nous sommes donc bien en face d’une crise de l’offre. Hormis Le Parisien ou Aujourd’hui en France, les journaux français sont déconnectés de leurs lecteurs et des attentes de ceux-ci. Les quotidiens régionaux ont réussi à garder un certain lien avec leur lectorat, ne serait-ce que par proximité géographique, mais les grands quotidiens nationaux sont restés, d’une façon générale, des journaux d’opinion politique. Or, ce lien-là – cette proximité politique – s’est largement rompu et l’on ne sait plus très bien qui est à gauche ou à droite. Les quotidiens sont restés intellos, parisiens, trop politisés, et ne se sont pas assez intéressé à la vie quotidienne de leurs lecteurs. Comparez avec la presse britannique : le Daily Telegraph tire à 900 000 exemplaires, le Times à 750 000 ; le Daily Mail, tabloïd de qualité, à 2 millions. Leur clé ? Proximité, proximité, proximité. Il faut retrouver cette proximité pour susciter l’intérêt des lecteurs que l’on a envie de toucher. Un second enjeu, plus spécifiquement français, et qui me tient particulièrement à cœur – je publie en mars chez Larousse : Les Journalistes français sont-ils si mauvais ? – est celui de la crise du journalisme. Les jour- François Dufour Cofondateur des éditions Play Bac (Les Incollables, Mon Quotidien, Mon Petit Quotidien, l’Actu…) en 1986, François Dufour enseigne à l’École de journalisme de Sciences Po, représente la presse quotidienne nationale française à la World Association of Newspapers, et préside le pôle presse et société des États généraux de la presse. RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 45 dossier PRESSE ÉCRITE nalistes français ne sont pas assez pros. Les bourdes que l’on connaît, des plus graves – comme les affaires du petit Grégory ou de Dominique Baudis, où les journaux sont allés dans le sens de la rumeur et ont condamné des innocents – aux plus anecdotiques – Elkabbach annonçant la mort de Pascal Sevran, le fameux SMS de Nicolas Sarkozy à Cécilia, Florence Schaal annonçant la mort d’un enfant au 20-heures alors qu’il est en vie… – révèlent un grave manque de rigueur sur les règles de base de la profession : vérification, recoupement, utilisation d’au moins deux sources. Je ne veux pas généraliser, mais comparativement, le niveau moyen est moins rigoureux en France qu’ailleurs. Il y a encore d’autres problèmes. Axel Springer avait ce projet formidable de lancer un Bild à la française : un quotidien populaire, grand public, à 50 centimes d’euros. Ç’aurait été une révolution positive dans le marché. Le fait qu’ils n’aient pas pu le lancer résume tous les maux de la presse française : coûts de fabrication trop élevés, réseau de distribution inefficace, avec deux à trois fois moins de points de vente qu’en Allemagne, contenus déconnectés des lecteurs… Quelles solutions préconisez-vous pour, à nouveau, susciter l’intérêt du lecteur ? Il est grand temps que les quotidiens nationaux et régionaux se remuent, se modernisent. Cela signifie évidemment de passer intégralement en couleurs ; de sortir les jours où les lecteurs ont le plus envie de lire, c’està-dire les week-ends ; d’être beaucoup plus proche des contenus réclamés par les « plus jeunes ». J’entends par là les 15-45 ans : l’âge moyen du lecteur de Libération est de 45 ans, et de 55 ans pour celui de la presse régionale ! Il faut également féminiser les centres d’intérêt des journaux : les quotidiens français sont majoritairement faits par des rédacteurs en chef masculins, pour des lecteurs masculins. Les journaux doivent également être beaucoup plus graphiques. La photo est maltraitée dans les quotidiens français. Ouvrez le Corriere della Sera (650 000 lecteurs quotidiens) : il est totale- ment visuel, avec trois fois plus de photos et d’espace accordé aux photos, que dans le Figaro. Les journaux doivent donc se rapprocher de leurs lecteurs. Que le contenu soit court ou long, visuel ou non, national ou international, toute la question est d’intéresser les lecteurs. Il est criminel que les rédacteurs en chef français soient si éloignés des centres d’intérêt de leurs lecteurs. C’est une idée tout à fait basique : si personne n’achète vos L E S P A P I V O R E S Catherine Millet Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Libération plus des revues d’art françaises et étrangères pour des raisons aussi professionnelles et des magazines de mode. Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? En bonne obsessionnelle, je commence à la page une, puis je tourne, ou par la fin et je remonte. Si je suis distraite, j’ouvre d’abord la politique internationale puis les sujets de société. Où et quand lisez-vous la presse ? Tous les jours dans le métro, le train, l’avion… Tous les samedis matins : au lit. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Non. Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? La diversité de l’information qui échappe à la télévision. Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Le suivi de l’affaire d’Outreau par Florence Aubenas dans Libé était remarquable. J’ai eu envie de lui écrire. Elle a été retenue en otage à ce moment-là ! Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? Beaucoup d’articles me donnent envie d’écrire à leur auteur pour les contredire – mais je manque de temps… Et de toute façon le « droit de réponse » est si peu respecté ! RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 yaourts à la banane, vous faites des yaourts à la fraise. Vous avez réussi le tour de force de créer un groupe d’édition et de presse pour enfants, tout seul, sans être adossé à un grand groupe. À quoi attribuez-vous ce succès ? La clé de la réussite de Play Bac est notre proximité avec nos lecteurs, qui nous a permis de coller à leurs attentes, avec 80 % de contenu “fun”, proche de leurs intérêts, et 20 % de contenu plus explicatif, pédagogique : qui est Obama ? Pourquoi y-a-t-il une crise financière ? Comment se déclenche un tsunami ? C’est cela la clé : un contenu intéressant pour nos lecteurs. Et nous ne leur demandons que dix minutes d’attention par jour : ils peuvent lire leur journal au lit, ou à la table du goûter. Par ailleurs, nous sommes très aidés par les parents, qui abonnent leurs enfants car ils trouvent la lecture du journal utile pour les résultats scolaires, le vocabulaire, la géographie – bien que les deux tiers des foyers parents que nous touchons n’achètent pas d’autre quotidien pour eux. Enfin, le troisième côté du triangle, ce sont évidemment les instituteurs qui préconisent dix minutes de lecture du journal par jour. Lecteurs, parents, instituteurs : tout le monde est avec nous, c’est donc plus facile. En grandissant, vos lecteurs se dirigent-ils vers des quotidiens pour adultes, et lesquels ? Il est trop tôt pour le dire. Mais il est certain qu’ils ne se dirigeront pas vers Le Monde s’il ne leur propose rien qu’ils aient envie de lire. Il s’agit donc avant tout d’un problème de contenu. D’ailleurs, les jeunes sont ravis de lire la presse gratuite car elle est très bien adaptée à leurs attentes : petit format, beaucoup de couleurs… Faites l’expérience un matin, mettez à la sortie du métro des piles de Libération, du Figaro, du Monde, de La Croix, et vous verrez si ce n’est pas 20 Minutes qui partira tout de même en premier ! ◆ Propos recueillis par Florence Maignan (PES 81) et Lazare Beullac (D 04) 45 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 46 23/12/08 16:55 Page 46 dossier PRESSE ÉCRITE La presse écrite résiste malgré tout - R O M A I N B E N D AV I D / S O F R E S - Le département média de la Sofres, qui effectue des études pour le compte des grands médias français, livre une analyse optimiste des chiffres de diffusion. algré des difficultés structurelles pointées de manière récurrente, l’audience de la presse, c’est-àdire la comptabilisation du nombre de lecteurs, est en hausse. Les Français continuent à lire la presse et la lisent même plus qu’il y a un an. Ce constat encourageant provient tout d’abord des atouts intrinsèques de la presse, à savoir ses capacités d’analyse et d’approfondissement de l’information brute. Mais cette bonne santé s’explique aussi par l’efficacité du marketing des groupes de presse. Ces derniers parviennent en effet à développer un discours et une dynamique de marque capables de susciter un engagement à long terme du lectorat et pallier ainsi une volatilité trop souvent constatée ces dernières années. M Dans un contexte de consommation média toujours plus diversifiée, les atouts traditionnels de la presse dopent son audience L’année 2007 et la première partie de 2008 ont été bonnes pour la presse avec une hausse de son audience qui a touché aussi bien la presse magazine, la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale. Pourtant, la tendance à l’atomisation de l’audience des grands médias se poursuit. Le consommateur média moyen aujourd’hui est un consommateur plurimédia qui ne se satisfait plus d’un seul média ni d’un seul support. Beaucoup d’études qualitatives montrent que le concept de « consomma- teur expert », apparu il y a quelques années pour décrire les pratiques de consommation dans certains secteurs de pointe comme celui des nouvelles technologies, est en passe de s’appliquer aussi aux médias. Aux yeux des lecteurs, la force de la presse réside dans sa capacité de recul et d’analyse que seul l’écrit permet, ainsi que dans la caution de spécialistes capables de décrypter l’information et de faire preuve de pédagogie. Pour résumer, la force de ce consommateur réside dans le fait d’avoir parfaitement intégré dans ses pratiques les règles du jeu d’une société libérale. Ce consommateur applique en effet deux des grands principes du capitalisme : l’information et la libre concurrence. Il cherche à être bien informé sur les différentes offres médias et à faire jouer au maximum la concurrence entre médias. Dans ce contexte, les bons scores d’audience de la presse sur la dernière période étudiée sont d’autant plus remarquables. L’actualité, et notamment l’élection présidentielle de 2007, a certes créé des conditions propices à une consommation média soutenue. Mais la hausse de l’audience concerne la plupart des segments de presse et pas seulement la presse d’actualité. 97,3 % des RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 Français de 15 ans et plus sont lecteurs d’au moins un magazine, une progression de 2,7 % depuis 2006 (source : AEPM). À titre d’exemple, la presse féminine, à elle seule, rassemble 20 millions de lectrices. L’exemple des news magazines illustre bien la capacité de la presse à tirer son épingle du jeu pour séduire un large lectorat. En 2007, l’audience des quatre magazines news (Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Point et Marianne) a progressé de 6,5 % par rapport à 2006. La richesse de l’actualité ne saurait tout expliquer dans la mesure où la concurrence entre médias est particulièrement agressive au sujet de l’information : multiplication des chaînes TV d’information, matinale des stations de radio généralistes presque entièrement repositionnées sur les news, accès immédiat à l’information sur une multitude de sites Internet. Mais, au sein de ces multiples supports, lorsque la presse parvient à jouer pleinement son rôle, elle se rend indispensable. Aux yeux des lecteurs, sa force réside dans sa capacité de recul et d’analyse que seul l’écrit permet, ainsi que dans la caution de spécialistes capables de décrypter l’information et de faire preuve de pédagogie. Ces atouts sont d’autant plus appréciés dans une période où l’on évoque la « mal info ». Cette expression évoque le paradoxe d’une multiplication de l’accès à l’information qui peut entraîner dans le même temps une diminution de sa qualité, chaque source interprétant l’information à sa manière. La presse quotidienne, même si elle n’affiche pas le même état de santé, est sur un trend positif. Sur un jour moyen de l’année 2007, MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 23/12/08 16:55 Page 47 dossier PRESSE ÉCRITE 8,1 millions d’individus lisent au moins un quotidien national, 16,7 millions au moins un quotidien régional et 3,7 millions au moins un quotidien gratuit d’information. Au global, c’est près d’un Français sur deux (45,7 %) qui lit chaque jour un quotidien (source : EPIQ). Sur l’année glissante 2007/2008, la lecture sur un jour moyen de la presse quotidienne a augmenté de 4,4 % soit une hausse d’environ un million de lecteurs Contrairement aux idées reçues, la répartition du lectorat par tranche d’âge est assez homogène. Il n’y a pas de désaffection des plus jeunes. À 16,4 %, le taux de lecture moyen d’un quotidien national est, à peu près, celui que l’on retrouve au sein de chaque tranche d’âge : 16,9 % pour les 1524 ans, 17,2 % pour les 25-34 ans, 16,1 % pour les 35-49 ans, 17,1 % pour les 50-64 ans et 15,2 % pour les 65 ans et plus. D’un point de vue publicitaire, si la presse continue donc à demeurer un média de masse pérenne, elle constitue également un média de ciblage. La presse est en effet le média dont la proportion de cadres, hauts dirigeants et hauts revenus est la plus importante. Près d’un quart des CSP + (23,9 %) lit au moins un quotidien national chaque jour. Le dynamisme du marketing de presse : le passage d’une logique de support au déploiement de la marque Les groupes de presse ont globalement très vite compris et réagi aux nouvelles pratiques de lecture. Pour fidéliser un lectorat volatile, ils ont développé de véritables stratégies de marque. Celles-ci s’orientent autour de deux grands axes. Le premier axe, le plus évident, consiste à multiplier les occasions permettant à un individu d’être en contact avec une marque. Puisque le support papier n’est plus la seule source de lecture, autant capter le lecteur partout où il peut se trouver en déclinant la marque sur un certain nombre de supports. Si le support papier demeure le vaisseau amiral, la marque ombrelle, il convient désormais de tenir compte tout d’abord de la puissance du site Internet du titre mais aussi des éventuelles déclinaisons du support principal (ex : Elle Déco, Elle à table…) voire aussi des produits dérivés (ex : collections DVD du Monde). La presse quotidienne a ainsi réussi à faire d’Internet un atout. En développant des sites ambitieux et personnalisés, les grands quotidiens ont permis l’émergence d’une synergie entre les deux supports. À Internet, l’information instantanée et quelques scoops exclusifs crédibles grâce à la caution de marque apportée par le quotidien. Au quotidien, l’information décryptée, pédagogique et une praticité de lecture (environ 15 % des lecteurs lisent leur quotidien dans les transports). Afin de quantifier cette relation, un nouvel indicateur a ainsi été mis en place début 2006 au sein de l’étude d’audience de la presse quotidienne (EPIQ) : l’indicateur « Brand ». Il mesure la relation entre le lecteur et la marque de presse. Il prend en compte tout individu au moins une fois en L E S P A P I V O R E S Patrick Imhaus, alias Marc Bressant (SP 58) Quels journaux et magazines – français et étrangers – lisez-vous régulièrement ? Libération, Le Monde, Télérama, Charlie, Matricule des anges, La Recherche, Courrier international. Quelle rubrique lisez-vous d’abord ? Dernières nouvelles, éditoriaux, étranger, sciences. Où et quand lisez-vous la presse ? Métro/bus/cafés. Existe-t-il encore un journal de référence en France, lequel ? Le Monde, malgré tout… Que cherchez-vous dans la presse écrite ? Qu’y trouvez-vous ? Un regard sur le monde (pour les informations, Internet et radio/TV font l’affaire). Quel est l’article qui vous a le plus marqué ? Un article ou un journaliste vous a-t-il donné envie d’écrire ? « J’accuse » dans L’Aurore. Depuis… contact avec un des supports de la marque de presse au cours des huit derniers jours : le quotidien, les éventuels suppléments magazines du quotidien (ex : Le Figaro Magazine, L’Équipe Magazine) et bien entendu le site Internet. Les résultats d’audience Brand pour l’année 2007 montrent que 18,3 millions d’individus (36,8 %) ont été au moins une fois en contact au cours des huit derniers jours avec une marque de presse quotidienne nationale. Cette logique de marque joue également pour la PQR malgré un lectorat plus âgé dont on pourrait a priori penser qu’il est moins utilisateur de nouveaux supports. L’indicateur Brand atteint pour cette famille 29,8 millions d’individus soit 60 % des individus. Le second axe de déploiement de marque est plus qualitatif. Il consiste à construire et entretenir une relation personnalisée entre la marque et le lecteur. L’objectif est de montrer que l’on s’adresse à un individu unique. Les récentes nouvelles formules de trois grands quotidiens nationaux d’information générale, Le Monde, Le Figaro et Libération, ont justement cherché à personnaliser le lien : faire en sorte qu’en lisant quelques lignes d’articles ou de reportages, on retrouve un ton, une ligne éditoriale qui appartiennent à ce quotidien et que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. La notion d’engagement complète ainsi celle de régularité de lecture qui peut devenir machinale au fil des années et donc finir par s’éroder. Ainsi, dans beaucoup d’études sur la presse, la question d’engagement, c’est-àdire de promesse de fidélité sur le long terme, est de plus en plus posée. Exemple de question : « tes vous d’accord avec cette affirmation : il y a de plus en plus de chances pour que je continue à lire ce titre et aucune pour que je change ? » Intérêt du lectorat pour un média crédible dans une période de manque de repères, dynamique de marque et construction d’un engagement sur le long terme sont les vecteurs de la bonne santé de l’audience presse en 2008. ◆ Romain Bendavid, (CRH 96), directeur de clientèle dpt médias TNS/Sofres RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008 47 MaquetteRSG153v2:MaquetteRSG148.qxp 48 23/12/08 16:55 Page 48 dossier PRESSE ÉCRITE « Le numérique est l’avenir du magazine » - M AT T H I E U A U B U S S O N D E C A V A R L AY - Associé chez PricewaterhouseCoopers, expert du secteur des médias et des loisirs, Matthieu Aubusson évoque l’avenir de la presse magazine nationale. Comment se porte la presse magazine nationale ? La presse magazine française, premier marché de l’Europe de l’Ouest en valeur, occupe une place de choix dans l’univers des médias de notre pays. La France est un des pays au monde où la part de marché publicitaire des magazines est la plus élevée (près de 20 %) et où les revenus consommateurs financent largement l’industrie (65 %) par rapport à des pays comme les États-Unis (42 %) ou l’Allemagne (45 %). La presse magazine doit cependant faire face à deux difficultés majeures. Comme la presse quotidienne, elle doit tout d’abord régler des problèmes structurels : érosion de la diffusion, coûts de production élevés, environnement réglementaire plus adaptée, émergence de nouveaux médias et fragmentation de l’audience. Avec la crise, elle doit également maintenant faire face à une baisse significative de la publicité qui représente 35 % du financement de l’industrie. La situation devient donc critique pour cette industrie. Des états généraux de la presse ont été organisés. De plus en plus de titres disparaissent. Que faire pour que la presse magazine continue à exister dans les années qui viennent ? Si les axes de travail sont connus, il reste à conduire les reformes de fond qui s’imposent : adaptation de la loi Bichet, gestion des droits d’auteurs pour permettre une exploitation des contenus multi-supports, développement du portage, réduction des coûts de fabrication… Aujourd’hui, l’industrie semble avoir compris que si la presse est un produit culturel, les règles sont les mêmes que pour les autres secteurs économiques. Fidèle lecteur de la presse, j’espère qu’il ne faudra pas attendre la faillite du Lehman Brothers du magazine pour que les acteurs prennent la mesure de l’urgence de la situation. Comment voyez-vous l’avenir ? Sous l’effet de la crise, les investissements publicitaires print devraient baisser en 2009. La première question porte sur la perspective à moyen terme pour la publicité dans la presse magazine : récupéra-t-elle son niveau historique en sortie de crise et si oui à quel horizon (six, douze, dix-huit mois ?) ou bien sera-t-elle la victime durable des arbitrages dans les plans médias au profit de l’Internet et de la télévision ? Cette question paraît clé et conditionnera le plan de marche des éditeurs pour appréhender des revenus futurs et adapter les capacités de production en conséquence. Par ailleurs, le numérique est très certainement l’avenir du magazine. La publicité online sur les sites de presse magazine devrait en effet connaître une croissance de 44,2 % entre 2008 et 2012 en Europe de l’Ouest. Mais l’enjeu est complexe : comment pas- ser d’un modèle financé à 35 % par la publicité à un modèle qui repose à 100 % sur cette dernière avec des tarifs inférieurs ? De plus, selon les prévisions de PricewaterhouseCoopers, les revenus du numérique constitueront seulement 8 % des revenus publicitaires en 2012 ne permettant pas forcément de couvrir les baisses éventuelles de revenus liés au print. Dans ces circonstances, les éditeurs parlent beaucoup de numérique mais… visent toujours la presse écrite. La diversification des revenus au-delà des sources traditionnelles apparaît donc comme indispensable pour réinventer le modèle de l’industrie et plusieurs pistes sont étudiées pas les acteurs du secteur : extension du domaine de la marque, e-commerce, e-marketing… La situation de la presse magazine estelle la même partout dans le monde ? Selon notre étude Outlook for Magazine Publishing in the Digital Age, au cours des cinq prochaines années, le secteur de la presse magazine dans le monde devrait atteindre une valeur de 95 milliards de dollars contre 80 milliards en 2007 soit une croissance annuelle de 3,5 %. La situation Matthieur Aubusson de Cavarlay Associé au sein du pôle conseil de PricewaterhouseCoopers, Matthieu Aubusson de Cavarlay, diplômé de Supélec, débute sa carrière en 1996 chez Thalès, avant de rejoindre PwC en janvier 1997. Depuis 2005, il développe l’offre de conseil en management dans le secteur des médias et des loisirs pour la France (presse, audiovisuel, jeux vidéos, Internet…). RUE SAINT-GUILLAUME N° 153 - DÉCEMBRE 2008