Automatisation du contrôle strict de la glycémie en réanimation

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Automatisation du contrôle strict de la glycémie en réanimation
Réanimation (2009) 18, 532—537
MISE AU POINT
Automatisation du contrôle strict de la glycémie
en réanimation
Computer protocols for tight glycemic control in critically ill patients
P. Kalfon
Service de réanimation, centre hospitalier de Chartres, 34, rue du Docteur-Maunoury, 28018 Chartres cedex, France
Reçu le 2 mai 2009 ; accepté le 19 mai 2009
Disponible sur Internet le 12 juin 2009
MOTS CLÉS
Réanimation ;
Insuline ;
Glucose ;
Protocoles
informatisés
KEYWORDS
Critical care;
Insulin;
Glucose;
Computer protocols
Résumé Depuis la publication de la première étude de Louvain mettant en évidence une
association entre un contrôle glycémique strict et une réduction de mortalité pour les patients
chirurgicaux de réanimation, de très nombreux protocoles ont été développés et utilisés en pratique clinique. Les récentes études multicentriques ne retrouvant pas les résultats favorables
de l’étude princeps conduisent à s’interroger sur les méthodes utilisées jusqu’à présent pour
réaliser le contrôle glycémique. La charge de travail pour le personnel soignant, la réduction du
risque d’hypoglycémie sévère et la survenue d’erreurs lors de l’application de ces protocoles
sont à l’origine de recherches visant à automatiser le contrôle glycémique en réanimation.
Deux types de systèmes s’opposent : les systèmes en boucle fermée issus de recherches en
diabétologie nécessitant un monitorage quasi continu fiable de la glycémie et dont le déploiement poserait des problèmes réglementaires et les systèmes avec « l’homme dans la boucle »
plus faciles à introduire en pratique clinique. Quel que soit le type de système, une évaluation
multifactorielle standardisée de ces protocoles est nécessaire afin d’en sélectionner les plus
efficients.
© 2009 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits
réservés.
Summary Since the publication of the first Leuven study highlighting the association between tight glycemic control and reduced mortality in surgical intensive care patients,
many protocols have been developed and used in clinical practice. Recent multicentrer studies that did not find the positive results of the landmark study lead us to question the
methods used to achieve tight glycemic control. New computerized protocols must take
in account the nurse workload, the risk for severe hypoglycaemia and the unnecessary
variation in clinical care. There are two opposite approaches: the ‘‘closed-loop’’ approach
coming from research in diabetes but necessitating reliable near-continuous glucose sensors and involving legal and regulatory concerns and the ‘‘human in the loop’’ approach
Adresse e-mail : [email protected].
1624-0693/$ – see front matter © 2009 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2009.05.015
Automatisation du contrôle strict de la glycémie en réanimation
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easier to implement in clinical practice. Whatever the approach, a standardized multifactorial
evaluation in order to select the most efficient computer protocols is required.
© 2009 Société de réanimation de langue française. Published by Elsevier Masson SAS. All rights
reserved.
Introduction
L’étude de Van den Berghe et al. [1] publiée en 2001 dans
le New England Journal of Medicine (désignée comme
première étude de Louvain), mettant en évidence pour
des patients chirurgicaux une réduction de mortalité
associée à un contrôle strict de la glycémie à l’aide d’une
insulinothérapie intensive par rapport à une quasi-absence
de contrôle glycémique, a été à l’origine de nombreuses
recommandations internationales [2,3] et a suscité un tel
intérêt auprès des réanimateurs que de très nombreux
protocoles d’administration d’insuline, des plus simples aux
plus complexes, ont été développés.
En effet, le contrôle glycémique strict mis en œuvre dans
la première étude de Louvain (puis dans les deux études
suivantes conduites par la même équipe en réanimation
médicale [4] et pédiatrique [5]), repose sur des recommandations non explicites destinées à un personnel expérimenté
capable de les interpréter en fonction du contexte particulier d’un patient, ce qui rend ce protocole non exportable
vers d’autres services de réanimation où les équipes soignantes ne disposent pas du même niveau d’expertise.
L’absence d’outils validés de contrôle glycémique strict
en réanimation, dont l’utilisation serait reproductible d’un
centre à l’autre, explique-t-elle, au moins en partie,
les résultats de plusieurs études multicentriques [6-9] et
deux méta-analyses récentes [10,11], qui ne retrouvent
pas de réduction de mortalité, mais une augmentation de
l’incidence des hypoglycémies, induites par un objectif de
contrôle glycémique strict ? De même, l’étude Nice-Sugar
[12] mettant en évidence une surmortalité à j90 associée
à un contrôle glycémique strict par rapport à un contrôle
glycémique libéral (< 180 mg/dL) pose, entre autres, la question des propriétés intrinsèques de l’algorithme de contrôle
glycémique strict utilisé dans cette étude.
Il est donc temps de dissocier le concept, le contrôle de
la glycémie en réanimation, des méthodes pour y parvenir.
Parmi celles-ci, quelle peut être la place de l’automatisation
du contrôle glycémique strict ?
Protocoles de contrôle glycémique
Le contrôle de la glycémie des patients de réanimation repose actuellement sur la mesure de la glycémie,
l’utilisation d’un algorithme permettant de calculer un débit
d’insuline intraveineux et l’administration de l’insuline au
patient. Si l’automatisation s’applique aux trois étapes du
contrôle sans intervention humaine, le contrôle glycémique
serait réalisé par un système dit en boucle fermée, mimant
le fonctionnement du pancréas [13], tel qu’il en existe
pour les patients diabétiques en ambulatoire [14], ce qui
représente un contexte bien différent de la réanimation où
le patient nécessite de toute façon de multiples interven-
tions de soignants. Cela suppose un monitorage continu et
fiable de la glycémie, a priori à l’aide d’un capteur invasif
pour mesure de glycémie, ce qui constitue le point faible
de ces dispositifs. Un tel monitorage, rarement testé en
réanimation [15], est à l’origine d’un surcoût lié au consommable représenté par les capteurs et pose le problème
de responsabilité en cas de défaillance ou de mauvaise
utilisation du système. Cet objectif était à l’origine du
projet européen multidisciplinaire Closed loop infusion for
critically ill patients (Clinicip) (http://www.clinicip.org/)
qui a débuté en 2004 et vient de s’achever en 2008 sans
atteindre l’objectif initial de développement d’une station
de contrôle glycémique strict fonctionnant en boucle fermée.
Une approche différente de la boucle fermée consiste au
contraire à laisser « l’homme dans la boucle » et à favoriser
au maximum l’interaction entre le système de contrôle et
l’utilisateur.
Les protocoles peuvent être classés selon quatre types
de critères : la cible glycémique visée ; les paramètres
d’entrée, qui sont à l’origine des recommandations ; les
paramètres de sortie, qui constituent la ou les recommandations ; les algorithmes permettant de déterminer les
paramètres de sortie en fonction des paramètres d’entrée.
La cible glycémique est variable : des auteurs utilisent
celle de l’équipe de Louvain (80—110 mg/dL) mais d’autres
ont utilisé des cibles plus larges, le plus souvent sans définition de la borne inférieure, telles celle de la surviving sepsis
campaign [3]. Furnary et al. ont utilisé successivement
durant une décennie d’amélioration de leurs protocoles trois cibles glycémiques différentes (150—200 mg/dL),
(100—150 mg/dL) et enfin (80—120 mg/dL) [16]. Maintenant
que sont connus les résultats de l’étude Nice-Sugar [12],
il est possible que la cible glycémique visée en réanimation se rapproche de celle du bras contrôle de Nice-Sugar
(< 180 mg/dl) dans l’attente de la validation de nouveaux
systèmes de contrôle glycémique.
Le paramètre d’entrée le plus simple est constitué par
la valeur de la glycémie qui vient d’être mesurée et les
premiers protocoles de contrôle glycémique utilisés en
réanimation ne prenaient en compte que ce paramètre
pour déterminer le débit d’insuline intraveineux. Les autres
paramètres d’entrée les plus couramment utilisés sont la
valeur de glycémie, précédemment mesurée et le débit de
l’insuline d’action rapide en perfusion continue en cours. Les
protocoles les plus élaborés peuvent comporter plus de trois
paramètres d’entrée : x valeurs de glycémie et les horaires
réels de mesure, y valeurs antérieures de débit d’insuline et
les durées d’application, mais aussi des paramètres caractérisant les apports glucosés [17—19], voire des paramètres en
relation avec les traitements ou suppléances en cours. Peu
de protocoles publiés jusqu’à présent prennent en compte
des données individuelles sauf pour le calcul de la dose initiale d’insuline [20].
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Le paramètre de sortie commun à tous les protocoles de contrôle glycémique est le débit de perfusion
continue d’insuline. Quelques-uns uns d’entre eux associent l’administration de bolus d’insuline dans des situations
d’hyperglycémie. Rares sont les auteurs qui incluent des
recommandations précises et quantifiées relatives à la nutrition entérale ou parentérale [17,19]. L’horaire de prochain
contrôle glycémique, ainsi que les modalités de correction
d’une hypoglycémie, peuvent aussi constituer des paramètres de sortie des protocoles de contrôle glycémique,
dans la mesure où ils sont précisément déterminés par les
algorithmes incorporés dans les protocoles. Les algorithmes
peuvent être très simples limités à une, deux ou trois règles
jusqu’aux plus complexes en raison, soit de la multiplicité
des règles, soit du type de calcul de dose impossible à réaliser à la main ou mentalement, ce qui nécessite le recours
à un support informatique.
Si le débit d’insuline n’est déterminé qu’à partir d’une
seule valeur de glycémie sans tenir compte du débit
d’insuline en cours, le protocole est souvent désigné sous
le nom d’échelle statique. Les échelles dynamiques, où le
débit d’insuline à appliquer après une mesure de glycémie dépend du débit d’insuline en cours, peuvent avoir
une structure très variable d’un protocole à l’autre, où,
d’une part, la variation de débit peut être exprimée en
valeur absolue (UI/h), en pourcentage du débit antérieur,
ou en faisant intervenir un coefficient multiplicateur [21],
et, d’autre part, cette variation de débit ne peut dépendre
que de la valeur de glycémie mesurée (et donc de sa position
par rapport à la cible) ou bien tenir compte aussi de la variation entre les deux valeurs de glycémie les plus récentes
(sens de variation uniquement ou taux de variation). Il a
été démontré que les échelles dynamiques permettaient
d’obtenir un meilleur contrôle glycémique que les échelles
statiques [22].
La complexité des règles utilisés dans les protocoles
« papier » de contrôle glycémique strict a conduit tout
naturellement au développement de nombreux protocoles
informatisés accessibles soit localement [23—28], soit par
le web [29-31]. Ces protocoles informatisés peuvent être
de deux types : soit une simple transcription sur ordinateur des règles arbitraires déjà utilisées dans des protocoles
« papier », soit de véritables calculateurs électroniques de
doses d’insuline. Dans le premier cas, les avantages principaux attendus sont la réduction du risque d’erreur lors de
l’application des recommandations par les infirmiers et la
facilité à construire une base de données. En revanche, le
seul recours à des outils informatiques, tel que ceux utilisés
pour l’étude Nice-Sugar (The Nice-Sugar Study Treatment
Algorithm, https://studies.thegeorgeinsitute.org/nice/), a
peu de chances d’entraîner une meilleure efficacité
du contrôle glycémique ni une réduction du risque
d’hypoglycémie sévère par rapport à un protocole papier.
Les protocoles de contrôle glycémique informatisés de
deuxième génération utilisent des algorithmes complexes
qui permettent de calculer un débit d’insuline à administrer. Leur développement provient des travaux entrepris
depuis plusieurs décennies pour élaborer de véritables
pancréas artificiels afin de traiter les patients diabétiques.
Schématiquement deux types de contrôleurs doivent être
distingués : des contrôleurs de type proportionnel intégral
dérivé (PID) et des contrôleurs prédictifs de type Model
P. Kalfon
Prescriptive Control (MPC). Les régulateurs de type PID réalisent un rétrocontrôle et déterminent un débit d’insuline
en fonction de trois composantes, une composante proportionnelle, une composante intégrale, et une composante
dérivée ou interviennent, respectivement, la différence
par rapport à la cible glycémique, l’aire sous la courbe
de l’écart de glycémique, et la variation de glycémie. Le
calcul du débit d’insuline nécessite que les trois constantes
de ces composantes ou gains soient fixées [23,32]. Conceptuellement, les régulateurs de type PID ou apparentés vont
réagir à des phénomènes passés. À l’inverse, les régulateurs
de type MPC vont prédire une glycémie le plus souvent sur
la base de modèles physiologiques existants [18,33,34].
Comparaison des protocoles de contrôle
glycémique
Il n’existe aucune étude prospective randomisée comparant deux ou plusieurs protocoles de contrôle glycémique
distincts en termes de pronostic.
La comparaison de la performance des multiples protocoles de contrôle glycémique utilisés est rendue très difficile
en raison de leurs différences relatives à la cible glycémique, aux méthodes de mesure, au rythme de contrôle,
à la définition de l’hypoglycémie sévère, aux modalités d’apports nutritionnels. De plus, les indicateurs de
qualité du contrôle glycémique utilisés dans les diverses
études sont très nombreux et très variables d’une étude à
l’autre [35]. Ces indicateurs peuvent mesurer la qualité de
l’algorithme en terme de respect de la cible (temps passé
dans la cible, index d’hyperglycémie, glycémie moyenne
sur l’ensemble du séjour, glycémies matinales), en termes
d’effets secondaires (indicateurs d’hypoglycémie nécessitant l’adoption d’un seuil commun d’hypoglycémie sévère
en réanimation), en termes de charge de travail soignante
[36] et en termes d’acceptation des recommandations
par les soignants, aussi bien celles concernant les débits
d’insuline proposés que les horaires de mesure (explorant
ainsi l’exportabilité d’un protocole informatique en dehors
du service clinique où son développement est intervenu
[20]). Des auteurs ont proposé un indicateur composite
explorant tout autant la capacité à ne pas dépasser la
cible qu’à éviter les épisodes d’hypoglycémie sévère [37].
Néanmoins, il semble illusoire d’obtenir un seul indicateur accepté par tous qui puisse décrire la complexité du
signal glycémique en situation clinique réelle, et ce d’autant
qu’une nouvelle métrique doit être développée pour mesurer la variabilité glycémique contre laquelle il s’agit de
lutter.
En effet, le rôle pronostique de la variabilité glycémique
est aujourd’hui établi [38-41], peut-être par le biais de
l’augmentation du stress oxydatif et de ses conséquences en
termes de complications microvasculaires [42]. L’influence
sur le pronostic est, notamment, indépendante de la glycémie moyenne [41] et le rôle délétère d’une recharge
glucosée trop importante après un épisode hypoglycémique
a été incriminé [43]. Sur ce point particulier, de nombreux
marqueurs de variabilité glycémiques ont été proposés :
écart-type, amplitude moyenne des excursions glycémiques,
index de labilité glycémique, plus grande différence entre
deux mesures de glycémie consécutives, index de variabilité
Automatisation du contrôle strict de la glycémie en réanimation
(moyenne de tous les taux de variation entre deux mesures
de glycémie consécutives), mais sans que des objectifs ou
seuils pour qualifier un protocole de contrôle glycémique
adéquat aient pu être définis [44].
Cependant, quel que soit l’ensemble des indicateurs
retenus, leur manipulation dans le but de comparer plusieurs protocoles en termes de qualité, nécessite que le
nombre de mesures de glycémie soient identique, et que
les durées d’application des protocoles soient proches. Il
est donc préférable de présenter les résultats des calculs de
ces indicateurs de qualité pour chaque jour passé en réanimation et non pour l’ensemble du séjour, ce qui permet de
comparer des séjours de durée variable et d’apprécier la
qualité d’un protocole de contrôle glycémique en début de
séjour ou en fin de séjour.
Les protocoles de contrôle glycémique incluant des fonctions d’évaluation accessibles à tout instant aux soignants
et réanimateurs doivent être privilégiés, ce qui a priori
devrait avoir pour conséquence de faciliter l’acceptation
des recommandations.
Wilson et al. ont comparé les propriétés intrinsèques de
douze protocoles de contrôle glycémique [45], en calculant
a posteriori le débit d’insuline recommandé par chacun des
protocoles après chaque contrôle horaire pour un patient
réel en situation d’hyperglycémie pour lequel le protocole
de Louvain avait été appliqué. La simulation conduit à calculer des doses d’insuline cumulées très variables selon les
protocoles. Ce type de comparaison sur patient réel est
artificiel car les auteurs ne peuvent prédire la valeur de
glycémie réelle qu’aurait présenté le patient si un autre
protocole que celui de Louvain et donc un débit d’insuline
différent avait été appliqué. Il est ainsi préférable de tester les propriétés intrinsèques d’un protocole à l’aide d’un
patient virtuel de réanimation satisfaisant un modèle physiologique par exemple celui développé par Van Herpe et
al. [46], le modèle MM-ICU dérivé du modèle minimal de
Bergman représentant différents profils de patients diabétiques [47]. Cette méthode désignée par les experts comme
une approche in silico présente l’avantage de sélectionner
les protocoles meilleurs candidats à un contrôle glycémique
stable avant de les tester en clinique.
L’évaluation d’un protocole de contrôle glycémique strict
doit ainsi être multifactorielle et comprendre les dimensions
suivantes : temps nécessaire à la mise en œuvre, efficacité
ou respect de la cible visée, tolérance ou risque d’effets
secondaires, charge en soins et taux d’erreurs ou de non respect des recommandations [48]. Il n’existe à ce jour aucune
étude prenant en compte l’ensemble des dimensions d’une
telle évaluation [49].
En ce qui concerne les effets indésirables d’un protocole de contrôle glycémique, le plus souvent il n’est
rapporté que l’incidence des hypoglycémies sévères détectées par une méthode de mesure au lit du patient et non
l’incidence des hypoglycémies sévères contrôlées par une
mesure au laboratoire constituant la méthode de référence.
Or, non seulement les erreurs de mesure de la glycémie
peuvent conduire à une sous-évaluation du nombre réel
d’épisodes d’hypoglycémie sévère mais elles peuvent aussi
favoriser ces épisodes en étant à l’origine de recommandations inadaptées de débit d’insuline [19]. Il est considéré
que l’instauration d’un protocole de contrôle glycémique
strict est nécessairement associée à une augmentation de
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l’incidence des épisodes d’hypoglycémie sévère [10,11].
Cependant, cet effet secondaire dépend au moins autant
de la méthode utilisée que de la cible choisie : des protocoles de contrôle glycémique peuvent abaisser la cible tout
en réduisant les épisodes d’hypoglycémie, grâce à la qualité
des algorithmes et à des messages d’alerte destinés au personnel soignant pour rappeler les situations à risque (arrêt
imprévu d’une alimentation entérale ou parentérale, hémofiltration continue, retard de contrôle par rapport à l’horaire
proposé).
Un marqueur de la charge en soins peut être le nombre de
mesures quotidiennes recommandées par le protocole ou le
délai moyen entre deux mesures. Une évaluation plus précise de la charge en soins repose sur la mesure du temps
moyen que consacre chaque jour un(e) infirmier(e) à la réalisation du contrôle glycémique, en prenant en compte le
temps de mesure ainsi que le temps d’application du protocole. La mesure de glycémie à partir d’un échantillon
de sang artériel prélevé sur un cathéter artériel à l’aide
d’un analyseur de gaz du sang est plus fiable qu’une mesure
de glycémie capillaire au lit du patient à l’aide d’un lecteur de glycémie mais mobilise davantage les soignants. Le
temps d’application du protocole, fonction de sa complexité
et de la qualité de l’interface homme-machine, peut être
non négligeable [48]. Au total, un infirmier peut passer en
moyenne deux heures par 24 heures et par patient pour cet
objectif thérapeutique [50]. Avec le ratio infirmier-patient
de 1/2,5 réglementaire en France, le contrôle glycémique
strict en réanimation nécessiterait qu’un(e) infirmier(e) y
consacre plus de 20 % de son temps de travail, nécessairement au détriment d’autres tâches avec le risque de générer
une augmentation de morbidité.
La complexité des protocoles de contrôle glycémique
strict est à l’origine d’erreurs d’administration de l’insuline.
Or, rares sont les études relatives au contrôle glycémique
strict qui ont évalué le « taux d’erreur » ou plus globalement
le taux de respect du protocole [20]. En effet, la plupart des
protocoles produisent des instructions multiples, en plus du
débit d’insuline, telles des instructions relatives aux modalités de correction d’une hypoglycémie sévère ou l’horaire de
la prochaine mesure. L’évaluation du respect des horaires de
mesure par exemple en l’absence de protocoles informatisés
n’est jamais réalisée.
Un système de contrôle glycémique automatisé en réanimation idéal doit ainsi satisfaire aux condition suivantes :
• le temps de formation et plus globalement coût
d’installation réduits ;
• l’efficacité à produire un « signal glycémique » contrôlé et
stable ;
• le risque limité d’hypoglycémie sévère ;
• le monitorage élaboré avec prise en compte du niveau
d’apports glucosés ;
• la traçabilité et l’évaluation du respect des recommandations, aussi bien en termes de débit d’insuline que
d’horaire et type de mesure de glycémie ;
• la charge en soins réduite avec des horaires de contrôle
glycémique à intervalle variable selon l’équilibre glycémique ;
• l’intégration d’un protocole informatisé dans un système
d’information afin d’améliorer les modèles existants ;
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• l’adaptabilité du protocole selon le type de patients, avec
cible glycémique différente selon le type de patients,
médicaux ou chirurgicaux, diabétiques ou non, cérébrolésés ou non.
Conclusion
Une évaluation standardisée des multiples protocoles de
contrôle glycémique utilisés en réanimation devrait aboutir à la sélection des protocoles les plus efficients. Cette
évaluation devrait reposer dans un premier temps sur des
expertises in silico, c’est-à-dire conduites sur des patients
virtuels construits à partir de modèles physiologiques, avant
leur introduction en clinique.
Deux approches sont actuellement envisageables pour le
développement de systèmes automatisés de contrôle glycémique en réanimation : les systèmes en boucle fermée et
les systèmes avec « l’homme dans la boucle ». Les systèmes
en boucle fermée paraissent au premier abord théoriquement les plus séduisants pour les réanimateurs influencés
par les travaux de recherche conduits en diabétologie visant
la réalisation d’un pancréas artificiel destiné à des patients
ambulatoires mais ils nécessitent un monitorage continu
fiable de la glycémie en réanimation et leur utilisation poserait des problèmes réglementaires.
Les systèmes avec « l’homme dans la boucle », à
l’instar de ceux largement utilisés dans l’aéronautique,
semblent être les systèmes d’avenir, plus faciles à diffuser en pratique clinique et qui présenteraient de plus
un rapport coût-bénéfice beaucoup plus favorable que les
systèmes en boucle fermée. À condition de faire appel à
des équipes pluridisciplinaires constituées d’automaticiens,
d’informaticiens, d’ergonomes, de réanimateurs, et de
soignants, le contrôle glycémique strict en réanimation
pourrait ainsi être réalisé de manière efficace, dans des
conditions de sécurité satisfaisantes et sans entraîner de
surcharge de travail pour le personnel soignant.
Conflits d’intérêts
Interventions ponctuelles : activité de conseil pour la
Société LK2.
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