lycées et professeurs d`excellence (pdf - Ville de Charleville

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lycées et professeurs d`excellence (pdf - Ville de Charleville
Histoire
Histoire de l’enseignement secondaire
Lycées et professeurs d’excellence
Dessin O. Gobé
La Déclaration des droits de l’Homme de
1793 énonce que « l’instruction est le besoin
de tous. La société doit favoriser de tout son
pouvoir les progrès de la raison publique et
mettre l’instruction à la portée de tous les
citoyens. » Des écoles centrales sont instituées
par la Convention, le 25 février 1795, pour remplacer les collèges supprimés, à raison d’une
école pour 300.000 habitants. Chaque école
centrale doit compter treize professeurs. Il y eut
cinq écoles centrales à Paris. Le député des
Vosges à la Convention, François de
Neufchâteau (1750-1828) contribue au développement de ces écoles, remplacées sous le
consulat ; devenu ministre de l’Intérieur, il travaille à la création des archives et bibliothèques
départementales et institue les concours dans
les lycées et collèges (17 juin 1798 – 23 juin
1799).
Le lycée Sévigné, réquisitionné par l’armée allemande
(1940-1944)
La rentrée est un moment fort
pour chacun, parce que c'est le
rendez-vous des émotions et des
souvenirs. Nous avons tous été
marqués par la personnalité de
nos enseignants. Passons aujourd'hui en revue l’histoire de nos
lycées depuis 1879 et choisissons
de conter le parcours exceptionnel
d'une enseignante ardennaise :
Éva Thomé.
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N° 152 - sept. 2011
Mise en place difficile des lycées
La création des lycées en France remonte à
la loi du 11 floréal an X – 1er mai 1802 –, qui les
substitue aux écoles centrales fondées par la
Convention. Cette loi prévoit un lycée par arrondissement de cour d’appel. Il y eut, au total, 45
lycées dont 4 à Paris. Le latin demeure la base
de l’enseignement, mais les mathématiques, la
logique et la physique sont moins négligées que
sous l’Ancien Régime. Afin de remplir ces établissements, l’état s’engage à entretenir 6.400
pensionnaires à ses frais. Les boursiers sont
recrutés, parmi les fils de fonctionnaires ou de
militaires, parmi les meilleurs élèves des écoles
secondaires. Mais la bourgeoisie se détourne
de ces établissements spartiates afin de privilégier les écoles secondaires privées ; les effectifs
s’élèvent à 15.000 dans les lycées en 1806
contre 75.000 dans l’enseignement privé. En
1809, le baccalauréat est institué. En France, le
nombre des bacheliers passe de 31 en 1809 à
1700 en 1813. L’examen est purement oral puis
est complété, en 1830, par des épreuves
écrites. De 1815 à 1848, les « lycées » font
place aux « collèges royaux ». Sous le Second
Empire, la discipline, sévère, contribue à multiplier ces lycées-prisons. En 1859, le baccalauréat est scindé en deux parties (premier et
second bacho’ ; en 1963-1965, il est ramené à
un examen unique). En 1880, Camille Sée fait
voter une loi permettant l’ouverture d’un
lycée de jeunes filles. Après 1945, le développement de la scolarité détermine la transformation de certains collèges en lycées. En janvier
1959 un décret donne le nom de « lycée » à tout
établissement d’enseignement classique,
moderne ou technique qui confère l’enseignement long, c’est-à-dire comportant les deux
Petite chronologie de nos lycées
❑ L’école centrale de Charleville, place du SaintSépulcre (aujourd’hui, Jacques-Félix), ouvre ses
portes, dans l’ancien couvent des Sépulcrines, le 12
vendémiaire an VII – 3 octobre 1798
❑ L’école secondaire communale (le collège) de
Charleville, place du Saint-Sépulcre, le 1er fructidor
an XII – 18 août 1804
❑ L’Institution privée de François-Sébastien Rossat,
rue de l’Arquebuse, Charleville – 1851-1854
❑ Le Lycée de garçons de Charleville, dans
les anciens haras du Petit-Bois – octobre
1879 (baptisé Lycée Chanzy en janvier
1893)
❑ Le Lycée privé Saint-Remi – 10 mars 1886
(ancienne Institution Rossat)
❑ Le Lycée de filles Madame-de-Sévigné –
octobre 1887 (une aile brûle le 5 décembre
1968)
❑ L’école primaire supérieure de garçons de
Mézières, avenue de Saint-Julien. Puis :
Institution Huet – Lycée Chaudron – Lycée
Gaspard-Monge – octobre 1887
❑ L’école primaire supérieure professionnelle
de Charleville (1892)
❑ L’école pratique du commerce et d’industrie, là où se trouve aujourd’hui le collège
Jean-Macé et l’école de Musique (ancêtre du
Lycée Bazin) – 1er avril 1904
❑ L’école primaire supérieure des filles de
Charleville, rue de la Paix et place SaintFrançois
❑ L’école primaire supérieure des filles de
Mézières, face à l’église de Mézières, là où se
trouve aujourd’hui le Lycée privé Saint-Paul –
novembre 1904
❑ La Cité technique François-Bazin, avenue
De-Gaulle – 30 septembre 1959
❑ Le Lycée d’enseignement agricole de SaintLaurent – 1969
❑ Le Lycée d’enseignement professionnel
d’étion – inauguré le 10 février 1971
❑ Le Lycée d’enseignement professionnel de
Mohon – Armand-Malaise
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rues
Hi
sieur Tainturier. Elle trouve à se
loger dans un petit appartement
au n°1 de la rue Couvelet à
Charleville (la maison natale de la
romancière Louise Bellocq). Le
lycée Sévigné est réquisitionné et
transformé en caserne de l’armée
d’occupation.
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Romancière et résistante
La salle de gymnastique du lycée Sévigné en 1900
(Coll. GDP)
cycles de l’enseignement du second degré. à
partir de juillet 1975, les lycées accueillent les
élèves qui, issus du premier cycle du second
degré suivi dans les collèges, se destinent à un
second cycle de trois ans en vue de préparer un
baccalauréat du second degré, un baccalauréat
de technicien ou un brevet de technicien. En
décembre 1976, tous les lycées, précédemment établissements nationaux, nationalisés ou
municipaux, deviennent des établissements
publics nationaux à caractères administratifs.
Dans les Ardennes, le premier vrai lycée
ouvre en 1879, c’est assez tard par rapport
aux autres départements.
Une enseignante exemplaire :
Éva Thomé
éva Thomé est née à Naux, hameau de
Thilay, le 30 juin 1903, son père est employé, sa
mère, directrice d’école, tous deux originaires
de l’Ardenne. éva fut élève au Lycée Madamede-Sévigné ; elle y sera professeur de philosophie, de 1941 à 1963, lorsque sonne l’heure de
sa retraite. En octobre 1924, brillante littéraire,
elle entre à l’école Normale Supérieure de
Sèvres ; c’est là, qu’elle prend son envol littéraire et philosophique. Elle y acquiert licence et
agrégation de philosophie. Au printemps 1926,
éva est invitée à participer aux travaux d’une
Décade de Pontigny, par Paul Desjardin. En
1939, elle publie son premier livre, ClairObscur.
Avant de revenir dans les Ardennes, elle
occupe des postes de professeur de philosophie au lycée Victor-Duruy de Paris puis dans
celui d’Abbeville.
En septembre
1941, elle décide
de rejoindre les
Ardennes,
p a u v r e s
Ardennes soumises au régime
strict de la zone
interdite,
elle
passe la ligne de
démarcation à
Rethel,
sans
Ausweiss, avec
la complicité de
madame et mon-
Au début de 1943, le lieutenant Robert éberhard, alias
Robert Tainturier, est parachuté en Normandie,
chargé par la France Libre de multiplier dans le
nord et l’ouest de la France les cellules de renseignement. La section départementale du
réseau Gulliver-Parsifal est alors fondée, elle
repose sur l’action de Jean Joseph – alias
Laurent – et d’éva Thomé. En novembre 1943,
ce réseau est démantelé par les Allemands ;
arrêté, Robert Tainturier meurt en déportation.
Le Livre-Mémorial des Déportés nous apporte
quelques informations : « Robert Teinturier (avec
un « e ») né le 12 février 1916 à Fougères (35)
(convoi I.172), matricule n°42686, déporté de
Compiègne, le 22 janvier 1944 vers
Buchenwald, puis passe par les KL Dora et
Bergen-Belsen ». Un nouveau réseau est alors
mis en place : Marathon, dirigé de Paris par
Adrien Pédron, avec l’aide du docteur Bourdon
et de Roger Millot. à l’instar de son amie
Jeanne-Marie Willaime, éva Thomé franchit en
train, chaque semaine, la ligne de démarcation
de Rethel, sous le prétexte de suivre des cours
en Sorbonne, au milieu des livres de Spinoza et
Kant, elle dissimule des messages codés.
Jeanne-Marie Willaime est arrêtée le 26 juillet
1944, elle décède à Ravensbrück, en mars
1945.
En 1947, éva signe Au fil du rail. De 1957 à
1960, elle publie des romans sous le pseudonyme, Francine Vald, dont La rencontre insolite
(Plon, 1957). En 1963, elle prend sa retraite, et
c’est alors qu’une cécité absolue la plonge dans
la nuit. Le 18 juin 1966, à l’Hôtel de Ville de
Mézières, le préfet, Robert Hayem, lui remet les
insignes de chevalier de la Légion d’honneur. En
1969, éva Thomé assure la publication du journal de Marguerite Fontaine, grande figure de la
Résistance, habitante des Vieux-Moulins de
Thilay. Marguerite Fontaine dira d’éva : « Il y a
quelque chose qui nous unissait et nous
séparait en même temps : le silence. Notre
guerre à Mlle Thomé et à nous c’était le silence. C’est sacré le silence. Mlle Thomé était
agent de liaison. » Après le décès de Jean-Paul
Vaillant en 1970, elle lui succède au fauteuil de
président de la Société des écrivains ardennais.
Le 20 avril 1977, malgré son handicap, elle soutient à Reims sa thèse de doctorat, L’Être et le
monde à l’état nocturne. éva Thomé décède à
Charleville, le 3 juin 1980.
Professeur au destin exemplaire, fidèle à ses
convictions, à l’écoute des autres, elle est l’enseignante d’excellence.
Rue Théodore-Monod
Défenseur de l’Afrique, spécialiste du désert
Théodore Monod voit le jour à
Rouen, le 9 avril 1902. Issu d’une
longue lignée de pasteurs calvinistes,
il est le fils de Wilfred Monod, éminent
DR
théologien protestant (1867-1943).
Enfant, il passe de longues heures à
contempler les différentes espèces du monde naturel
au Jardin des Plantes. Il soutient, en Sorbonne, une
thèse relative aux Gnathiidés, crustacés isopodes
vivant à l’état libre ou en parasites de poissons.
Nommé en 1922 assistant au Muséum national d’histoire naturelle, il est missionné pour effectuer des
inventaires en Mauritanie, au Cameroun, à Dakar, en
Algérie. En 1929, cet antimilitariste accomplit son service militaire comme saharien de 2e classe à la compagnie saharienne du Tidikelt-Hoggar. En 1930, à
l’Oratoire du Louvre, il épouse Olga Pickova d’origine
juive et tchèque. Il lutte contre les concepts de races
martelés par les nazis. Il fonde à Dakar, dès 1938,
l’Institut français d’Afrique noire, extrêmement réputé
à l’époque. Il fait alors des relevés géologiques, sur la
flore, les insectes et les petits mammifères. Il s’intéresse aussi aux fossiles et vestiges des peuplades
préhistoriques, tel « l’homme d’Asselar », un des
rares squelettes néolithiques découverts au Mali. Il
rapporte de ses expéditions de riches herbiers, des
centaines de milliers d’échantillons, des albums de
prélèvements multiples, des croquis de gravures
rupestres…
Opposé à Vichy
En juillet 1940, à Dakar, il choisit la voie de la
Résistance, s’oppose aux théories antisémites, soutient le général de Gaulle. En France occupée, toute
la famille de sa femme est déportée, il n’y aura aucun
survivant. Professeur titulaire de chaire au Muséum
(1942), directeur de l’Institut français d’Afrique noire
(1938-1965), membre de l’Académie des sciences
(1963), il a décrit la géologie et la botanique des
zones les plus désertiques du Sahara. Véritable
méhariste dans l’âme, doté d’une endurance exceptionnelle, se contentant de peu pour survivre, Monod
a établi le record de trajet sans point d’eau (1 300 km)
en 1955. Plusieurs fois, il traverse le Sahara, plus
souvent à pied qu’en dromadaire. Il est l’auteur de
Méharées (1937), L’Hippopotame et le Philosophe
(1943), Bathyfolages (1954), Les Déserts (1973),
L’émeraude des Garamantes (1984), Et si l’aventure humaine devait échouer (2000). Commandeur de
la Légion d’honneur, Théodore Monod décède le 22
novembre 2000. Deux genres et trente-cinq espèces
végétales, huit genres et 130 espèces animales sont
dédiés à Théodore Monod. Il léguera à la postérité
l’image d’un ardent défenseur des Droits de
l’Homme, d’un pacifiste antinucléaire militant, d’un
pionnier de l’écologie, d’un talentueux philosophe,
d’un explorateur invétéré. Théodore Monod faisait
partie de ces grands gardiens de la nature :
Jacques-Yves Cousteau, le spécialiste des fonds
marins (1910-1997), Haroun Tazieff, le vulcanologue (1914-1998), Paul-Émile Victor, l’explorateur
des mondes arctiques (1907-1995).
Gérald DARDART
Source : Nicole VRAY, Monsieur Monod, scientifique,
voyageur et protestant, éditions Actes Sud, 464 p., 1994.
Éva Thomé, philosophe et résistante (DR)
Gérald Dardart
N° 152 - sept. 2011
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