ÉDITORIAUX : Le prix d`une manipulation d`Etat

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ÉDITORIAUX : Le prix d`une manipulation d`Etat
Le Temps - ÉDITORIAUX
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ÉDITORIAUX : Le prix d'une manipulation d'Etat
Date de parution:
Auteur:
Lundi 15 mars 2004
Jean-Jacques Roth
Quien ha sido? C'était qui? Au dégoût, à la rage, à la désolation de toute l'Espagne devant la tuerie du 11 mars s'est ajoutée
une question terrible, brandie par d'innombrables banderoles et pancartes au milieu des manifestations du deuil: qui a placé les
bombes, ETA ou Al-Qaida? Des fous du dedans ou des fous du dehors? Et surtout: se pouvait-il que le gouvernement de José
Maria Aznar, qui avait tout à gagner d'une hypothèse et tout à perdre de l'autre, ait accusé ETA trop vite et trop fort pour tirer le
bénéfice électoral d'un drame auquel la morale interdisait de toucher, même du bout des doigts?
Les faits ne permettent pas d'établir un mensonge délibéré, mais ils sont accablants. José Maria Aznar a lui-même appelé les
directeurs des grands quotidiens espagnols pour leur dire, quelques heures après le massacre, que ETA en était responsable.
Les ambassadeurs d'Espagne ont été invités à communiquer le même message dans leurs pays de résidence. 70
correspondants de médias étrangers à Madrid ont reçu un appel téléphonique personnel du Palais de la Moncloa pour recevoir
la version officielle, par ailleurs assénée sans relâche par les télévisions publiques inféodées au pouvoir.
Cette campagne ajoute à l'ignominie de l'attentat le soupçon d'une faute politique impardonnable. Les résultats des élections
indiquent que le Parti populaire en paie le prix fort. Mais la majorité formée autour du leader socialiste José Luis Rodriguez
Zapatero verra elle aussi sa légitimité fragilisée, puisque la gauche a été entraînée, à son tour, sur le terrain de cette polémique
nauséeuse.
L'Espagne risque ainsi de voir s'ouvrir une crise aux conséquences imprévisibles. Crise morale, politique, institutionnelle. Otage
des tueurs du 11 mars, la victoire acquise dans ces circonstances est susceptible d'être frappée d'indignité par les perdants.
L'explosion des bombes de Madrid s'est conjuguée à une campagne exceptionnellement virulente pour réveiller des divisions
anciennes que beaucoup d'Espagnols considèrent avec effarement, malgré l'ancrage européen du pays, malgré sa modernité
et son dynamisme économique.
Au-delà, des questions plus graves sont posées sur les relations entre la démocratie et les terroristes. Les indices s'accumulent
aujourd'hui pour désigner Al-Qaida dans le carnage de Madrid. L'Europe prend la mesure d'une menace qui l'attaque sur son
propre sol. Elle constate les défaillances de ses systèmes d'intelligence et de sécurité pour n'avoir pas su prévenir un tel coup.
Quels contrôles renforcer, quelles libertés réduire, quel cap fixer dans cette guerre contre les ennemis de l'ombre sans
succomber aux mensonges, à la manipulation et à la propagande d'Etat? Nous ne faisons qu'aborder ce douloureux débat.
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15/03/2004