Chers collègues de la vie, Je vous reviens, encore
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Chers collègues de la vie, Je vous reviens, encore
Septembre 2015 Chers collègues de la vie, Je vous reviens, encore, avec une bouteille à la mer. Il y a plus d’une semaine, j’ai fait une entrevue avec Radio-Canada. Belle rencontre : journaliste intelligente et sensible. Et pourtant, me voilà un peu à l’envers. Je vous explique. Ecouter cette entrevue m’a touchée et aussi remuée : se mettre à nue comme cela comporte du risque. Dans ce cas-ci, je crois que le risque était d’exposer une vérité raccourcie. Comment en 7 minutes pouvoir communiquer 11 ans de vie ? Je suis nouvellement porte-parole de la Société Alzheimer et suis en train d’apprendre cet art subtil de la communication. Alors voilà, je vais rajouter quelques informations à cette entrevue qui pouvait ressembler à un cri de détresse, mais là n’était pas mon intention. Cette entrevue n’était pas seulement pour parler de mon épuisement... En cette journée internationale de l’Alzheimer, mon idée était de parler de la réalité d’une famille qui doit composer son quotidien avec cette terrible maladie. Donc j’ai parlé de l’épuisement, de l’appauvrissement, de la charge, de la solitude car tout cela existe et l’esquiver serait une déformation de notre réalité à nous, aidants d’un proche atteint d’Alzheimer. Comme porte-parole, je me devais de parler de cette réalité hautement difficile et exigeante. Autant pour des retraités (la majorité des cas) que pour une famille avec un enfant et une ‘’jeune’’ proche-aidante qui est loin de sa retraite... Mais j’avais aussi parlé de tout autre chose: des forces qu’on trouve, de la créativité, de l’adaptabilité, de l’amour qui s’expand malgré le chaos, de moments de grâce qu’on vit malgré tout… J’avais communiqué que Nicolas avait dit : ‘’Maman, on est une famille harmonieuse !’’ Et oui, je suis d’accord avec lui… Que Rodrigo est un superhéros de résilience et qu’il m’inspire toujours. Je voulais qu’on saisisse notre situation dans son entièreté (pas une mince affaire!) : lumière et ombre co-existent partout. Dans une famille qui vit avec Alzheimer aussi. Malgré le travail absolument honnête de la journaliste, impossible d’y arriver en 7 minutes… Elle a su, par contre, exprimer une valeur, un mystère toujours essentiel pour Rodrigo et moi : la vie est sacrée. Et nous voulons l’honorer. Avec ou sans Alzheimer, cela a été et est notre quête de vie… Et collectivement, comment honorer la vie ? Je rêve d’une société où on s’épaule pour la construction d’un monde qui honore la vie. Qui n’attend pas le drame, l’épuisement. Où ne ramasse pas le proche-aidant à la petite cuillère, où on ne gare pas les malades atteints d’Alzheimer dans des centres qui ressemblent plus à des hôpitaux et prisons qu’à des milieux de vie. Où on fait appel à l’expertise et la force des proches-aidants et des malades. Où on va à la rencontre de la personne atteinte car elle a encore beaucoup à donner. Je rêve d’une société qui place le plus vulnérable au centre de sa croissance, car c’est notre humanité à tous qui s’en trouve agrandie. Pas par ‘’charité chrétienne’’ (dans le sens restreint où cela a été souvent vécu) ou pitié mais parce qu’on y découvre des trésors de vie et du sens. La maladie d’Alzheimer nous propose collectivement un défi fantastique : retisser serré notre sentiment d’appartenance à la communauté humaine et honorer la vie partout où elle se trouve. Christine Verhas-Breyne, épouse de Rodrigo Gonzalez