Doc Mise base 19

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Doc Mise base 19
Notre sexualité s’est-elle vraiment libérée?
SANTÉ
A quoi sert le sexe?
© N. Chuard
Si la sexualité reste le moyen de reproduction privilégié par la majorité des espèces, la nature parvient
aussi à faire sans. Et à proliférer. Avantages et inconvénients des deux pratiques.
Sandrine Trouvé,
première assistante en biologie à l’UNIL
95%
des espèces ont une reproduction sexuée. Mais les
cinq derniers pourcents parviennent
pourtant à créer des descendants et
prolifèrent allègrement. On peut donc
faire sans le sexe. Alors, à quoi sert-il?
Est-il une survivance archaïque ou une
pratique avantageuse? «Il n’y pas de
réponse univoque à ces questions»,
répond Sandrine Trouvé, première
assistante en biologie à l’UNIL.
La sexualité est une façon de transmettre ses gènes qui se fait par croi-
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SAVOIR
sement entre des gamètes mâles et femelles. Seuls les mammifères et les
oiseaux sont incapables de s’en passer, mais de nombreux organismes,
dont certains très évolués, pratiquent
une reproduction asexuée ou clonale.
C’est le cas d’unicellulaires, de certaines espèces de plantes, d’invertébrés (pucerons par exemple) ou de
vertébrés, comme certains lézards.
Leur système de reproduction est
moins compliqué et plus efficace à
court terme.
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Des avantages génétiques
«Une conséquence du mode de reproduction sexué est un brassage de l’information génétique, qui crée de la diversité. Celle-ci augmente le potentiel
évolutif des espèces et favorise l’adaptation aux conditions du milieu, explique
Sandrine Trouvé. Un autre avantage
génétique est de permettre l’élimination
des mutations néfastes. Lorsque deux
organismes combinent leurs gènes, il y a
peu de chances que les deux aient une
mutation et que celle-ci soit transmise.»
Du côté des avantages écologiques, on
évoque l’effet des pathogènes dont les
parasites, par exemple. «Il s’agit souvent
de microorganismes qui se reproduisent
très vite par rapport à leurs hôtes.
Lorsque ces derniers se reproduisent
sexuellement, des modifications des combinaisons de gènes en découlent, engendrant ainsi une grande difficulté d’adaptation pour le parasite, confronté à un
environnement changeant», poursuit la
biologiste.
La reproduction sexuée a
de gros désavantages
La production de descendants très différents génétiquement, qui permet
l’adaptation à des conditions environnementales variées, évite par ailleurs la
compétition puisque les ressources exploitées seront elles aussi différentes.
Tout irait donc pour le mieux dans le
meilleur des mondes sexués s’il n’y avait
à cette formule de gros désavantages.
Passons sur la recherche du partenaire, qui n’est pas toujours une mince
affaire, et admettons que la rencontre ait
eu lieu. Tout n’est pas réglé pour autant
car les mâles posent problème, freinant
beaucoup l’expansion démographique
(lire encadré). Certaines espèces de
lézards, mais aussi des invertébrés, des
plantes ou certains poissons, s’en sortent
donc en ne produisant que des femelles,
par reproduction asexuée ou clonale, ce
qui engendre un avantage démographique.
Pourquoi? «Parce que dans ces cas,
les femelles se reproduisent par parthénogenèse : leurs ovules se développent
sans stimulation ni fécondation. Or supposons qu’une femelle parthénogénétique produise le même nombre de des-
→
Certains lézards sont capables de se reproduire sans relations sexuelles. Ce qui n'empêche pas
les femelles de ces espèces de pratiquer entre elles des simulacres d'accouplement
DR
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Notre sexualité s’est-elle vraiment libérée?
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→ cendants, disons deux, qu’une femelle
normale; cette dernière produit en moyenne un mâle et une femelle tandis que
la première produit deux filles identiques
à leur mère. A la deuxième génération la
démographie de la famille sexuée n’aura
pas changé tandis que la lignée asexuée
aura doublé (quatre petites-filles). En
une dizaine de générations, elle se multiplie environ mille fois plus.»
Les lézards simulent un
accouplement inutile
On dira que le nombre n’est pas tout.
Et si la reproduction asexuée gagne sur
le court terme, sur le long terme, c’est la
forme sexuée, dont les avantages sont
plus lents à s’exprimer, qui l’emporte. Car
les organismes à reproduction asexuée
ont aussi leurs handicaps qui se résument
en une moindre capacité d’adaptation,
avec accumulation potentielle des mutations délétères.
«Apparus relativement récemment, ils
n’ont pas donné naissance à beaucoup
d’espèces, explique Sandrine Trouvé. On
trouve d’ailleurs chez certains des traces
d’une sexualité passée et chez les lézards
un simulacre d’accouplement entre deux
femelles stimule la reproduction. Dans
le cas des pissenlits, les femelles se reproduisent seules, mais la production de pollen subsiste, ce qui indique un résidu de
reproduction sexuée.
L’élimination des espèces
sexuées
Autre phénomène sexué résiduel chez
certaines espèces de poissons : l’ovule est
stimulé par le spermatozoïde d’une
espèce sexuée proche, mais le contact a
lieu sans qu’il y ait combinaison du matériel génétique. Le sexe serait donc un
caractère ancestral, devenu inutile au
fonctionnement de ces espèces.»
Dans certains habitats, les populations asexuées ont même éliminé les
sexuées. Reste que, dans l’ensemble, les
espèces passées à la reproduction
asexuée ne subsistent pas à très long
terme, bien qu’il y ait des exceptions à
cette règle.
Les pucerons mélangent
les genres
Ni pour ni contre, bien au contraire,
les pucerons, eux, mélangent les genres
en fonctionnant sur un mode de reproduction alterné : «Ils pratiquent la reproduction sans sexe pendant la saison favorable, ne produisant que des femelles,
rapporte Sandrine Trouvé. Mais dès
qu’arrive le froid, les femelles produisent
des mâles et des femelles qui vont se croiser, créant des œufs résistants au froid.
La reproduction sexuée sert donc à passer l’hiver!»
Elisabeth Gilles
Le coût de la production
des mâles
e gamète femelle beaucoup plus
lulaire (la mitose) semblable à celui
gros que le gamète mâle apporte
qui se produit pour les cellules de la
seul l’essentiel voire la totalité de
peau ou des organes. Cette dernière
l’énergie nécessaire à la production de
forme permet donc de transmettre
l’œuf et à la croissance de l’embryon.
chacun des gènes en moyenne deux
Le coût de la production du mâle
fois plus. En conséquence, si par muta-
n’existerait pas si la femelle se repro-
tion, le mode de reproduction passait
duisait seule, comme c’est le cas dans
de sexué à asexué, la mutation se
certaines espèces. Qui plus est, la
transmettrait deux fois plus rapide-
reproduction sexuée implique que la
ment dans la population et le mode de
femelle élimine la moitié de son
reproduction asexué pourrait envahir
génome. Il subit en effet une réduc-
la population. Le coût de la production
tion de moitié, avant de produire un
de mâle ou le coût de la méiose tra-
nouvel organisme, par cette division
duisent un même concept : le double
cellulaire spéciale qu’est la méiose.
désavantage de la reproduction
Cette moitié sera remplacée par les
sexuée. Mais, malgré ces inconvé-
gènes venant du mâle.
nients, les organismes sexués sont les
L
Dans la reproduction asexuée ou
clonale, la femelle transmet à sa des-
plus répandus dans le monde vivant.
C’est tout le paradoxe du sexe.
cendance tout son jeu de chromosomes, qui ne sera pas modifié, au
cours d’un processus de division cel-
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Autant dire qu’il n’existe pas une seule
et unique théorie applicable à tous les
organismes, qui expliquerait le succès du
sexe. Et les humains dans tout cela? Le
processus évolutif se poursuit, et nul ne
sait à quoi ils ressembleront dans des milliards d’années, s’ils sont encore là.
Auront-ils été éliminés par d’autres
espèces? Auront-ils développé la capacité à se reproduire par parthénogenèse?
A ce stade, aucun scénario n’est exclu.
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E. Gi.
95 % des espèces vivant sur terre, dont l'être humain,
ont une reproduction sexuée. Mais certaines parviennent à s'en passer
sans disparaître pour autant
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