bonnes feuilles ALAIN FOUREST

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bonnes feuilles ALAIN FOUREST
Alain FOUREST
Nous sommes tous
des Roms Tsiganes
Éditions Mélibée, 2013
BONNES FEUILLES (pages 51-57)
La fin du nomadisme ?
Jacques ATTALI, dans une vaste fresque historique et prospective :
l’Homme nomade paru en 2003 chez Fayard, élargit avec une certaine
audace de nouveaux horizons : Toute l’histoire de l’humanité peut être relue
comme celle de cette caravane. Parce que toute cette histoire est marquée
du sceau du nomadisme. Le mot est aujourd’hui à la mode, et employé à
tort et à travers pour qualifier les humains les plus divers… La sédentarité
n’est qu’une brève parenthèse dans l’histoire humaine. Durant l’essentiel de
son aventure, l’homme a été façonné par le nomadisme et il est en train de
redevenir voyageur.
Une telle vision de notre histoire et de notre avenir peut faire sourire
et ouvrir la porte à des controverses, mais on ne saurait nier qu’elle est
séduisante et que le nomadisme contemporain est considéré comme une
valeur et un atout professionnel à l’heure de la mondialisation. Après les
grandes migrations touristiques, c’est au tour des cadres en entreprise de
faire preuve d’un véritable sens du nomadisme, Ainsi a-t-il pris l’habitude
d’emporter avec lui son bureau, trimballant concrètement son ordinateur
portable dans un sac à dos spécialement conçu à cet effet, (Marc BEAUGE
le Monde 2 du 30/06/2012).
Alors les Roms/Tsiganes qui voyagent encore seraient-ils des
précurseurs ?
Marc SINGLETO N du laboratoire d’Anthropologie prospective met
un bémol aux envolées de Jacques Attali sans pour autant les contredire.
Pour certains de nos contemporains, non seulement l’humanité irait en se
sédentarisant toujours davantage, mais la sédentarité, citadine et civilisée,
serait le sens même de l’évolution humaine… Plus de nomade à l’horizon.
L’Humanité entière, saine et sauve, intra muros ! Le nomadisme comme
mode de production et de reproduction humain aura vécu. Et même si
certains privilégiés continueront à bouger, le mobile de la mobilité dans
un monde mondialisé ne sera plus du tout forcément nomade. Le touriste
d’une semaine n’est pas plus un migrant que le cadre qui change souvent
de cadre n’est un bédouin… C’est vrai aussi que les autorités sédentaires
jettent de plus en plus de bâtons dans les roues des gitans et voudraient
bien que les SDF se fixent quelque part… Si « être nomade ou ne pas être
nomade » est la question des questions, c’est que le nomadisme représente, tout
d’abord et autant que la sédentarité, une option et une optique de l’esprit,
et seulement ensuite un mode de production ou de reproduction matériel…
Nomadisme et sédentarité ne s’opposent donc pas en termes de « mobilité
totale » versus « immobilité absolue », mais en fonction de la valorisation
ou de la dévalorisation de la liberté primordiale de mouvement permanent.
Voilà qui éclaire d’un regard neuf l’image du nomadisme trop souvent
perçu comme un avatar social qu’il conviendrait de réduire sinon de
condamner. Liberté primordiale de mouvements plus ou moins permanents,
tel est le ressort qui incite une partie des Roms/Tsiganes, mais
avec eux bien d’autres peuples à travers le monde, à défendre ce choix
de vie malgré l’adversité.
Ce choix qui impose parfois de lourdes contraintes n’est pas ou
plus accessible au plus grand nombre de ceux qui le souhaitent et, en
France comme ailleurs, on peut affirmer que la majorité de ceux qui se
reconnaissent appartenir à cette culture sont aujourd’hui contraints de
renoncer au voyage ou ne l’on jamais pratiqué. Un tour d’horizon dans
les différents pays européens permet de constater que c’est en France
que ce mode de vie semble le mieux résister aux diverses pressions des
pouvoirs publics. Dans le Sud de la France, les Roms/Tsiganes sont appelés le plus
souvent Gitans ou Sinti, dans l’Est Manouches, ou encore Roms en
région parisienne. Pour la plupart d’entre eux, voilà bien longtemps qu’ils
ont renoncé au voyage et au nomadisme pour s’adapter aux conditions
d’habitat de la majorité qui les entoure. Propriétaires ou plus souvent
locataires dans le logement collectif ou individuel, ils cherchent pour la
plupart à se fondre dans le paysage urbain allant parfois jusqu’à revendiquer
leur citoyenneté en niant tout autre appartenance qui pourrait
les singulariser négativement aux yeux de leurs voisins. À Perpignan,
comme à Montpellier, Arles ou Marseille, d’importantes communautés
gitanes sont ainsi présentes dans le coeur des villes depuis plusieurs
générations. Les liens historiques culturels et familiaux qui perdurent à
travers les Pyrénées conduisent certaines de ces familles à privilégier ces
origines souvent lointaines en se revendiquant espagnoles ou catalanes
plutôt que gitanes.
Dans les années soixante, lors de l’indépendance de l’Algérie, quelques
milliers de gitans sont ainsi arrivés dans la région avec la vague des
rapatriés et se sont installés tant bien que mal en trouvant refuge dans
les cités d’urgence ou auprès des membres de leur communauté d’origine.
Ces “gitans pieds noirs” venus d’Espagne, installés en Algérie au
moment de la colonisation se sont joints naturellement à la communauté
gitane déjà présente dans la région méditerranéenne. Les vicissitudes
de l’histoire montrent que, pour eux, le nomadisme n’est plus qu’un
lointain souvenir comme le rappelle ce texte de Bernard LEBLOND
dans sa thèse de doctorat sur les gitans d’Espagne.
« Lorsque le rideau se lève, le Moyen-Âge s’achève lentement et les Gitans
vivent encore une sorte d’âge d’or. Conduits par des chefs qui se disent d’abord
comtes ou ducs de Petite- Égypte, puis chevaliers ou capitaines de Grèce,
ils se rendent en pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle, franchissent
librement les frontières, reçoivent de substantielles aumônes et sont parfois
reçus princièrement par quelques seigneurs.
En 1499, les Rois Catholiques mettent fin à cet éden médiéval en priant
fermement les “Égyptiens” de rentrer dans les rangs. Les « nomades sont
placés devant un choix cruel : ils ont soixante jours pour choisir un métier
honnête et une résidence fixe ou quitter le pays. Des sanctions allant d’une
peine de cent coups de fouet à l’esclavage sont prévues contre les récalcitrants.
À partir de cette date les textes répressifs vont se succéder, dans l’ensemble
de la Péninsule, au rythme moyen d’un tous les trois ou quatre ans et les
sanctions ne cessent de s’aggraver… »
De nos jours, les moyens coercitifs pour supprimer le nomadisme,
afin de mieux contrôler cette population jugée dangereuse, sont certes
moins radicaux mais l’objectif reste le même. Quant aux Gitans, malgré
l’image négative dont on les accable en France comme ailleurs, la vie
de nomade et la caravane demeurent pour eux un mythe en général
hors d’atteinte. Pour autant, la sédentarisation choisie ou contrainte ne
signifie pas l’assimilation ou l’intégration à la société et la disparition
de tout comportement spécifique propre à leur histoire et leur culture.
Il en est de même de la part de la société d’accueil qui, à la moindre
occasion, s’efforce de maintenir la distance entre eux et nous en exigeant
toujours plus de “respect des devoirs pour mériter l’accès au droit commun”.
Malgré les multiples embûches qui depuis de siècles tentent de faire
obstacle aux diverses formes de nomadisme et aux nomades eux-mêmes,
on peut sans crainte affirmer que ce mode de vie n’est pas voué à disparaître
et qu’on est peut-être sur le point de le voir se développer sous
des formes renouvelées mais toujours vivaces. Sans chercher à recenser
toutes les formes de nomadisme encore en vigueur à travers le monde
ou, comme Jacques Attali, estimer que c’est l’avenir de l’Homme, de
nombreux exemples montrent la réalité de ce mode de vie.
L’Afrique est le premier continent dans lequel ces mouvements et
migrations pendulaires sont inscrits à la fois dans le paysage, la tradition,
mais aussi la nécessité de la survie économique liée à la nature et
au climat. En Afrique subsaharienne, les Touaregs résistent depuis de
longues années à toutes les tentatives de sédentarisation et de mise au pas
par le pouvoir algérien qui craint ces voyageurs du désert incontrôlables
et fiers de leur liberté.
Le gouvernement Israélien, quant à lui, veut déplacer des dizaines de
milliers de Bédouins dans le désert du Néguev et en Cisjordanie :
« Plus de la moitié d’entre eux résident dans des villages qui ont été
« reconnus » par l’État au nom d’une politique sans ambiguïté : il s’agissait
de sédentariser et de concentrer dans des zones contrôlables une population
arabe jugée peu sûre, afin de libérer des terres pour la colonisation juive.
Ceux qui n’ont pas rejoint les sept villes nouvelles officielles, qualifiées de
« townships » par les Bédouins et les organisations de défense des droits de
l’homme, constituent une population semi-nomade établie dans des villages
« non reconnus », c’est-à-dire illégaux et donc régulièrement rasés par les
bulldozers. Le Monde du 15/09/2011 »
Plus à l’Est, les Mongols constituaient il y a cinq mille ans une civilisation
très avancée. Ils vivaient dans de vastes camps mobiles, obéissaient
à des règles d’hospitalité rigoureuses et assuraient le commerce à longue
distance entre la Chine en voie de formation et la Mésopotamie. Ils
inventaient de nouveaux moyens de vivre le voyage. Ils s'abritaient dans
une yourte, tente ronde, légère, constituée de plusieurs couches de feutre,
blanche à l’extérieur, colorée à l’intérieur qui assure un exceptionnel
confort et une protection contre les intempéries. Certes aujourd’hui la
plupart des Mongols se sont convertis de gré ou de force à la modernité,
à la mondialisation, mais chacun d’entre nous a pu un jour rêver devant
ces reportages qui mettent en valeur les quelques groupes familiaux qui
résistent encore et maintiennent la tradition du nomadisme dans des
paysages à couper le souffle. Cette tradition d’un habitat de résidences
mobiles terrestres semble aujourd’hui séduire à nouveau bon nombre de
nos contemporains. On ne compte pas, à la mer comme à la montagne,
les promoteurs de résidences de loisirs qui attirent la clientèle avec ces
“produits nouveaux’’.
Un habitat léger, éphémère, mobile ? c’est possible !
Un beau week-end de septembre 2012, Mérindol, village du Sud-Vaucluse
au bord de la Durance a réuni des centaines de visiteurs venus de toutes les
régions pour les treizièmes rencontres éco-citoyennes. C’est la fête mais
aussi l’occasion de réflexions plus sérieuses sur de nouvelles formes d’habitat.
Durant deux jours, autour de l’association HALEM, des témoignages et des
propositions rassemblaient des citoyens, des élus, des juristes, des architectes
urbanistes, des militants associatifs, chacun apportant sa pierre pour élaborer
d’autres formes d’habitat. “Vivre et habiter autrement” tel était le thème
de ces rencontres originales à plus d’un titre. Un catalogue : Regards croisés
sur l’habitat léger/mobile fait la synthèse de ces initiatives.
Au-delà des initiatives souvent individuelles présentées à Mérindol, d’autres
projets d’habitat léger, éphémère, collectif se font jour pour répondre aux besoins
urgents de familles Roms comme à Montreuil, ou Lille. La remise en cause de
la loi du 5 juillet 2000 sur les gens du voyage français devra prendre en compte
ce besoin d’un habitat adapté et la reconnaissance des terrains familiaux. Le
chemin est encore long lorsque l’on constate les nombreux obstacles à franchir
mais on a pu, avec satisfaction, constater, à Mérindol, qu’une solidarité est
possible entre Tsiganes et Gadgé de bonne volonté.
Non, le nomadisme et la recherche de toujours plus de liberté qui la
justifie n’est pas mort même si ce besoin sous jacent à chacun d’entre
nous se manifeste sous de nouvelles formes. Nomadisme et sédentarité
ne s’opposent donc pas en terme de « mobilité totale » versus « immobilité
absolue », mais en fonction de la valorisation ou de la dévalorisation
de la liberté primordiale de mouvement. Le nomade fait des haltes, mais
sait qu’en définitive toute oasis n’est qu’un mirage qui retournera un jour
dans le sable mouvant d’où il est sorti. Il passe d’étape en étape, tout en
sachant que seul le passage est permanent. S’il apprécie des campements,
il sait que se fixer à demeure est un leurre. Pour le nomade véritable, c’est
le “cheminer” qui compte. Tout ceci démontre combien il est erroné de
réduire le peuple Rom/Tsigane au nomadisme et à son image simpliste
de la caravane à laquelle il serait définitivement attaché.

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