Institut de Formation de Professions de Santé Formation Infirmière
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Institut de Formation de Professions de Santé Formation Infirmière 44 Chemin du Sanatorium 25030 Besançon Cedex LES REPRESENTATIONS SOCIALES DANS LA RELATION AUX PATIENTS AUTEURS DE VIOLENCES SEXUELLES UE 3.4 S6 : Initiation à la démarche de recherche UE 5.6 S6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques UE 6.2 S6 : Anglais rédaction de l’abstract du travail de fin d’étude Présenté par: BATTAGLIA Gladys, BESANCENOT Caroline, TRAMBOUZE Jérémy, VALLET Marie-Cécile Promotion 2011/2014 Formateur de guidance : BLONDELLE Florence Institut de Formation de Professions de Santé Formation Infirmière 44 Chemin du Sanatorium 25030 Besançon Cedex LES REPRESENTATIONS SOCIALES DANS LA RELATION AUX PATIENTS AUTEURS DE VIOLENCES SEXUELLES UE 3.4 S6 : Initiation à la démarche de recherche UE 5.6 S6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques UE 6.2 S6 : Anglais rédaction de l’abstract du travail de fin d’étude Présenté par: BATTAGLIA Gladys, BESANCENOT Caroline, TRAMBOUZE Jérémy, VALLET Marie-Cécile Promotion 2011/2014 Formateur de guidance : BLONDELLE Florence « Il est plus difficile de briser un préjugé qu'un atome » Albert Einstein REMERCIEMENTS Après de longues semaines à travailler sur notre mémoire de fin d'études, nous tenons à remercier les personnes qui nous ont accompagnées tout au long de sa réalisation. Merci à Me Blondelle, pour sa guidance qui nous a permit d’aboutir à ce travail de fin d'études grâce à son encadrement, à ses nombreux conseils et son soutien. Merci à Me Lauer, Me Sordet et Mr Durand, de nous avoir accompagné tout au long de notre réflexion. Merci aux professionnels de santé qui nous ont accordé du temps afin de pourvoir réaliser nos entretiens. Merci à Me Têtu, documentaliste à l’IFSI, pour tous ses conseils lors de la rédaction de notre mémoire. Merci à nos familles et nos amis qui nous ont soutenus durant ces trois années d’études en soins infirmiers. NOTE AUX LECTEURS Note aux lecteurs : « Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou partie sans l’accord de son auteur.» ABREVIATIONS AVS : Auteurs de Violences Sexuelles IDE : Infirmier Diplômé d'Etat CMP : Centre Médico-Psychologique SOMMAIRE 1. SITUATION D’APPEL 1 2. QUESTIONNEMENT 2 3. INTRODUCTION 4 4. APPROCHE CONCEPTUEL 5 4.1. Approche historique et clinique des auteurs de violences sexuelles 5 4.1.1. Un peu d'histoire 5 4.1.2. Clinique et passage à l'acte 5 4.2. L’injonction de soins 6 4.2.1. Suivi socio judiciaire 6 4.2.2. Cadre législatif 6 4.2.3. Fonctionnement 7 4.2.4. Prise en charge en milieu ouvert 7 4.3. La relation thérapeutique 4.3.1. Généralités sur la relation thérapeutique 8 8 4.3.2. Ressource pour les soignants dans la prise en charge et la relation d'auteurs de violences sexuelles 4.4. Les représentations sociales 4.4.1. Généralités sur les représentations sociales 9 10 10 4.4.2. Les représentations sociales liées aux auteurs de violences sexuelles 5. APPROCHE PRATIQUE 5.1. 11 12 Auteurs de violences sexuelles et dispositifs de prise en charge 12 5.2. La relation 13 5.3. Les représentations sociales 15 6. CONCLUSION ET PROBLEMATIQUE 17 1 1. SITUATION D’APPEL Il s'agit d'un patient, d'une cinquantaine d'années, d'origine musulmane. Ce patient a été condamné à 10 ans de prison pour viol en réunion. Depuis sa sortie courant octobre 2013 il est pris en charge par un CMP pour des visites à domicile et préparation de son semainier ainsi que l'injection retard de neuroleptique. Il est mis sous castration chimique, une injection par mois. La prise en charge de ce patient posait de nombreux problèmes au sein de l'équipe soignante et même pluridisciplinaire. Avant sa sortie, il y avait quatre infirmiers sur cinq, la cadre et la psychologue qui ne voulaient pas le prendre en charge car cela heurtait leurs valeurs et elles ne voulaient pas s'y confronter. Lors d'une réunion pluridisciplinaire, un seul infirmier a vu la responsabilité qu'il engageait s’il ne le prenait pas en charge, en effet le patient pouvait récidiver. C'est donc ce qui a motivé les autres infirmières et la cadre à changer d'avis. Plus tard pour l'aider à retrouver une vie « normale », a été évoqué le projet du Centre d'Activités Thérapeutiques à Temps Partiel, car il ne savait pas se faire à manger, il sortait peu de chez lui. La psychologue s'est clairement positionnée et a indiqué qu'elle ne « pouvait pas travailler avec un patient comme celui-ci », qu'il était « impensable de mêler victimes et agresseurs ». La décision est revenue entre les mains du médecin qui a pris parti pour la psychologue ne voulant pas l'obliger à travailler avec une personne qu'elle ne souhaitait pas. Les premières visites à domicile ont commencé, le patient était assez compliant face aux soins et acceptait volontiers le projet thérapeutique. La première fois que je lui ai rendu visite avec l'infirmière, c'était la première fois pour elle aussi, dans la voiture nous avions toutes les deux une certaine appréhension car d'une part nous étions deux femmes et d'autre part nous n'avions jamais été en contact avec un patient ayant commis un viol. Nous avons pu échanger sur notre ressenti avant la visite. Une fois arrivées dans l'appartement, j'ai rencontré un patient calme, parlant très peu, son attitude était en total contradiction avec nos craintes. L'infirmière et moi même n'avons pas été mal à l'aise. Pendant que je préparais le semainier, l'infirmière lui posait des questions sur l'observance de son traitement et lui donnait quelques informations que son collègue (en vacances) lui avait demandé de transmettre. Nous sommes reparties 10 minutes plus tard et nous avons échangé sur l'attitude posée du patient et nos craintes qui n'avaient plus lieu d'être. Cependant face à ce type de patient, il faut néanmoins rester toujours vigilant. 2 2. QUESTIONNEMENT Refus de donner des soins par l’équipe ! Quels sont les risques du refus de donner des soins ? - Dans quelle mesure une équipe a le droit de refuser de prendre en soin un patient ? ! Est-ce que l’hôpital public peut refuser la prise en charge d’un patient ? Qu’en est-il de l’obligation de donner des soins en institutions publiques (missions hôpital public) ? ! Dans une équipe pluridisciplinaire, y a-t-il une équité entre les professionnels dans la prise de décision ? La décision finale appartient-elle uniquement au médecin/psychiatre ? ! Lorsqu'un soignant refuse catégoriquement de donner des soins à un patient et que sa participation est irremplaçable (défaut d’effectif) ,l’équipe doit-elle respecter son refus et ne pas prendre le patient en charge ? ! Doit-il y avoir unicité dans la décision prise par une équipe ? ! Quelles sont les responsabilités des IDE, du cadre, du psychiatre et de la psychologue ? ! Comment le psychiatre collabore-t-il avec la justice sur une obligation de soins ? En cas de refus de l’équipe ? ! Les alliances (amitiés…) entre soignants influencent-t-elles l’équipe pour une prise en charge (décisions…) ? ! Comment se positionner au sein de l’équipe dans une prise de décision (caractère, idées, amitiés/professionnalisme) ? ! Y-a-t-il un niveau hiérarchique dans la prise de décision au sein d’une équipe pluridisciplinaire ? Le projet thérapeutique sans connaître la personne ! A t'on accès aux données concernant un patient lorsqu’il sort de prison avant qu’il n'arrive dans un service ? ! Si oui, quels sont les documents ? (dossier justice, dossier médical, DSI) 3 ! Dans le cadre de son rôle propre, l’IDE a-t-il obligation de connaître le patient avant de le prendre en charge et de le rencontrer afin de construire son projet thérapeutique en équipe ? Le vécu d’une personne et son influence sur la prise en charge d’un patient ! Est- ce aidant pour les patients et l’équipe qu’un soignant travaille dans un domaine qui fait écho à son passé, son vécu ? ! Comment faire abstraction de son vécu pour une prise en soins ? ! Porte-t-on un regard différent sur la pathologie, les patients si la situation nous rappelle notre vécu ? ! A l’inverse le vécu peut-il être aidant ? ! A quel moment doit-on passer la main lorsqu’une situation devient trop difficile ? 4 3. INTRODUCTION Le 9 octobre 2013 un projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines a été déposé à l’Assemblée Nationale, portant les questions de récidive et de prise en charge des AVS au cœur des préoccupations sociétales. Une situation vécue en stage a fait écho à ce questionnement et nous a nous-mêmes fortement questionnés. En effet la situation renvoie aux représentations du soignant face à une situation sensible comme la violence sexuelle. Les croyances générales sont emplies de représentations particulièrement négatives aux sujets des auteurs de violences sexuelles. Nos interrogations se sont portées sur la posture du soignant lors de la prise en charge d’un AVS car il a lui aussi des valeurs morales qui lui sont propres, un vécu, des représentations mais aussi des valeurs professionnelles issues de l’enseignement et de l’expérience qu’il a acquise. Nous avons axé notre travail sur la relation soignant soigné, le soin relationnel étant un élément thérapeutique central en santé mentale. La particularité judiciaire de ce type de patient nous a amenés à introduire l’injonction de soins comme variable. Enfin nous avons choisi comme champ d’action les CMP en regard de la situation d’appel. Nous avons rédigé la question de départ comme suit : Dans quelle mesure les représentations sociales d’un IDE influent sur la relation soignant soigné avec un auteur de violences sexuelles en injonction de soins suivi en CMP ? Cependant nous avons rencontré des difficultés pour réaliser nos entretiens avec des IDE en CMP. Nous avons constaté que peu de CMP effectuent cette prise en charge particulière. Nous souhaitions interroger des infirmiers or parfois, il s’agit d’une prise en charge exclusivement médicale (psychiatre et/ou psychologue). Ces difficultés nous ont amenés à supprimer ce champ d’action que sont les CMP de notre question de départ qui se trouve être reformulée ainsi : Dans quelle mesure les représentations sociales d’un IDE influent sur la relation soignant soigné avec un auteur de violences sexuelles en injonction de soins ? Nous présenterons tout d’abord une approche théorique des auteurs de violences sexuelles, de la relation et des représentations sociales et dans une seconde partie nous reviendrons sur ces notions à travers les entretiens que nous avons réalisés auprès de professionnels. 5 4. APPROCHE CONCEPTUELLE 4.1. Approche historique et clinique des auteurs de violences sexuelles 4.1.1. Un peu d'histoire Selon E. Kania, avant le XIXeme la sexualité s'inscrit dans une conception religieuse et moralisatrice et les déviances sexuelles sont sévèrement réprimées. Un changement dans la manière de punir s'opère au cours du siècle des Lumières avec la disparition du supplice, la laïcisation du droit pénal et la dissociation de l'infraction et du péché. C'est à partir des années 80 que s'opère une réforme du droit pénal concernant les auteurs de violences sexuelles. La France connaît une campagne médiatique sans précédent, liée à la recrudescence des plaintes et des poursuites, ce qui fait de la prise en charge des AVS une priorité de santé publique. Dans le même temps, le savoir médical permet une meilleure connaissance des perversions en qualifiant de pathologiques des conduites qu'auparavant les magistrats appelaient délictueuses. Le recours à la médecine pour situer les perversions s'inspire de l'instauration d'une morale laïque, ressentie comme plus rationnelle que la morale religieuse. C'est dans ce contexte qu'un plan national de prévention de la récidive des AVS a été créé avec la loi du 17/06/1998. Cette loi naît de la nécessité d'une prise en charge tant sur le plan pénal que thérapeutique avec pour objectif d'éviter les récidives. 4.1.2. Clinique et passage à l'acte Sur le plan clinique, on note une hétérogénéité des profils. On retrouve des antécédents fragilisants tel que la maltraitance, « les dysfonctionnements familiaux » [1, p.36]. Ces antécédents ne sont pas exhaustifs. Selon S. Brochet, il y a également des facteurs de risques qui sont des troubles de la personnalité, des troubles de la sexualité, des addictions et des facteurs environnementaux qui peuvent être familiaux et/ou sociaux. « Le fonctionnement des auteurs de violences sexuelles est une solution défensive face aux angoisses majeures concernant le sentiment identitaire. » [2, p.55]. Les AVS ont une relation 6 à l'autre faussée : ils ont peur de l'autre, ils cherchent à entretenir une relation d'emprise. Pour S. Brochet, le passage à l'acte chez les AVS se déroule en trois phases. Tout d'abord, le temps qui précède l'acte est une accumulation d'angoisses massives entraînant un malaise interne avec des tensions dans le corps. Cela peut engendrer une prise de toxiques (alcool, drogue). Durant l'acte, les AVS sont dans la recherche d'un apaisement pour échapper à ce malaise interne. Une fois l'acte commis, les AVS sont dans le déni, leur culpabilité est souvent quasi inexistante, et ils ne verbalisent pas les faits. Ils ont l'impression qu'une autre personne a commis l'acte, avec parfois un sentiment de honte. S. Brochet tient à rappeler que les AVS ne sont pas tous des pervers mais ont une certaine perversité. En effet, elle distingue la perversion sexuelle, « construite sur un scénario sexuel ludique » [1. p.46] de la perversité qui est « une représentation de soi fondée sur la destruction physique et psychique de l'autre » [1, p.48], elle peut être sexuelle, dans ce cas il y a « recours à l'acte sexuel violent » [1, p.50]. Ces définitions sont importantes car dans les représentations sociales générales, les AVS sont souvent assimilés à des pervers. 4.2. L’INJONCTION DE SOINS 4.2.1. Suivi socio judiciaire « Le suivi socio-judiciaire constitue une peine complémentaire aux peines privatives de liberté criminelles. » [3, p 15]. Il peut être prononcé pour des délits comme peine principale ou complémentaire. L’objectif est de prévenir la récidive en obligeant la personne à se soumettre à « des mesures de surveillance et d’assistance » [3, p 15]. 4.2.2. Cadre législatif L’injonction de soins est une mesure récente dont les objectifs sont d’évaluer la dangerosité et de prévenir la récidive. Son cadre législatif est le suivant : - Loi n°1998-468 du 17/06/1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles - Loi n°2005-1549 du 12/12/2005 relative au traitement de la récidive - Loi n°2007-297 du 05/03/2007 relative à la prévention de la délinquance 7 - Loi n°2007-1198 du 10/08/2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs - Loi n°2008-174 du 25/02/2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. 4.2.3. Fonctionnement Tout d’abord et selon le guide de l’injonction de soins, il convient de distinguer obligation et injonction de soins. L’obligation de soins ne nécessite pas d'expertise médicale. Aucune communication officielle entre les acteurs de santé et les institutions judiciaires n’est requise. A contrario, l’expertise médicale est obligatoire dans le cadre de l’injonction de soins. Elle est conduite par un expert psychiatre. Elle est demandée par le juge de l’application des peines une fois la sentence rendue par le tribunal en vue d’associer une peine du suivi socio-judiciaire dont fait partie l’injonction de soins. Outre le suivi sociojudiciaire, une injonction de soins peut être demandée lorsqu’il y a une surveillance judiciaire, une libération conditionnelle, un sursis avec mise à l’épreuve, une surveillance de sûreté ou une rétention de sûreté. Un médecin coordonnateur est nommé. Il a en charge de servir d’intermédiaire entre le médecin traitant et la justice. 4.2.4. Prise en charge en milieu ouvert La prise en charge sanitaire en milieu ouvert se fait le plus souvent dans le cadre d’un suivi socio-judicaire. Le médecin coordonateur a pour rôle de garantir « le cadre thérapeutique et le respect du secret professionnel par le médecin traitant et le psychologue traitant » [3, p 40]. Le médecin coordonateur reçoit une première fois le patient. Il effectue un examen clinique afin d’évaluer le fonctionnement psychique du patient et d’éventuelles pathologies associées. Il invite le patient à faire le choix du médecin traitant. Il peut refuser le choix du patient s’il juge que son choix n’est pas judicieux. Le médecin coordonateur communique au médecin traitant choisi les informations nécessaires à la prise en charge. Il ne dispense pas de soins. Il convoque le patient une fois par trimestre pour un bilan. Il fait un rapport annuel au juge de l’application des peines. Le médecin et/ou psychologue traitant propose un suivi psychothérapeutique. Il fournit des attestations de suivi et prévient le médecin coordonateur ou le juge de l’application des peines si le patient interrompt son suivi médical. Lors de la prise en charge d’auteurs de violences sexuelles, le guide de l’injonction de soins 8 met en garde contre le risque pour le médecin traitant d’adopter des attitudes nuisant à la prise en charge comme par exemple « des difficultés d’empathie » ou un « risque de fascination ». 4.3. La relation thérapeutique 4.3.1. Généralités sur la relation thérapeutique La relation thérapeutique fait partie du soin, c’est la base de notre profession. Selon le dictionnaire Le Petit Larousse, le terme « relation » est défini comme un « lien existant entre des choses, des personnes » [4, p.873] c’est une « personne avec laquelle on est en rapport » [4, p.873]. Dans un contexte thérapeutique lorsque l’on parle de relation entre soignant/soigné, le terme « relation thérapeutique » est employé. Le soigné reçoit les soins effectués par le soignant, il y a donc une interdépendance, un lien entre ces deux personnes. Selon G.N. Fisher, la relation se distingue par trois formes. La relation interpersonnelle qui concerne la relation d’individu à individu. La relation organisationnelle qui envisage la relation en fonction du rôle social que chacun joue dans la société. Enfin, la relation sociale dans laquelle la relation avec les autres est guidée par « son appartenance à une catégorie sociale » [5, p.44]. D'après E. Marc, « la communication est le passage obligé pour rentrer en relation avec autrui » [6, p.47]. Elle peut être verbale ou non verbale. La communication verbale est utilisée pour faire passer un message par le langage. Selon J-F. Dortier, la communication non verbale « correspond d'abord à l'expression du visage et à la posture du corps que l'on adopte » [6, p.7], elle « est en correspondance avec le message que l'on veut faire passer ; mais parfois elle trahit celui qui parle » [6, p.7]. Finalement, la communication verbale et non verbale doivent être maîtrisées et adaptées par le soignant pour entrer en relation. Ainsi, selon C. Balier [7], l’écoute est la base de la relation soignant/soigné. Elle permet d’établir une relation de confiance puis un choix thérapeutique. Un partage affectif se met donc en place entre le soignant et le soigné. Il paraît donc évident qu’il est nécessaire qu’une distance thérapeutique se fasse entre ces deux personnes pour que cette relation reste professionnelle. En effet c’est au soignant de trouver la juste distance thérapeutique 9 avec le soigné. Chaque relation étant unique celui-ci doit s’adapter et veiller à ne pas être trop proche ou au contraire trop distant. Ces deux comportements opposés peuvent nuire à la relation construite entre les personnes et sont, selon C. Balier [7], des mécanismes de défense auxquels le soignant aurait recours lors d’une situation de soins difficile. Le patient peut également adopter des mécanismes de défense et par conséquent ne pas entrer en relation avec le soignant, ce malgré une juste distance thérapeutique de la part de celui-ci, impliquant ainsi une non adhésion au soin. 4.3.2. Ressource pour les soignants dans la prise en charge et la relation d'auteurs de violences sexuelles Les AVS doivent pouvoir accéder aux soins, chaque soignant a une obligation de soins. En ce qui concerne la mise en place d’une relation thérapeutique entre un soignant et un AVS, chaque professionnel du soin va l’aborder de manière différente. Cependant la manière d’entrer en relation avec un patient AVS peut dépendre des représentations personnelles du soignant. Ainsi, pour aider les professionnels soignants dans la prise en charge des AVS, le plan de Santé mentale a préconisé la création de structures régionales : les Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violence Sexuelle. Selon le site du CRIAVS Auvergne, ces centres ont été créés pour faire face aux « préoccupations grandissantes, et justifiées, de la société et des scientifiques tant vis-à-vis des auteurs de violences que des victimes d´agressions sexuelles. » [8]. Ils ont pour fondement la circulaire du 13 avril 2006 numéro 2006-168 relative à la prise en charge des Auteurs de Violences Sexuelles. Ils ont des missions de formation, de recherche, de prévention, d’animation du réseau santé-justice, d’expertise et c’est également un centre de documentation. 10 4.4. Les représentations sociales 4.4.1. Généralités sur les représentations sociales Le terme représenter vient du latin « repraesentare » qui signifier rendre présent. Selon le dictionnaire Larousse, en philosophie, la représentation est « ce par quoi un objet est présent à l'esprit " [9, p.839] et en psychologie, c'est « une perception, une image mentale, etc., dont le contenu se rapporte à un objet, à une situation, à une scène, etc., du monde dans lequel vit le sujet " [9, p.839]. La notion de représentations est introduite pour la première fois par É. Durkheim à travers l'étude des religions et des mythes, il distingue alors représentations collectives et individuelles. Ce concept est ensuite repris au XXeme siècle par Serge Moscovici. Selon lui, les représentations sociales ont une double fonction : celle d'établir un ordre qui permette aux individus de s'orienter et de maîtriser leur environnement et celle de faciliter la communication entre les membres d'une communauté en leur donnant un code pour désigner les différents aspects de leur monde. Le grand dictionnaire de la psychologie précise que les représentations sociales sont « une façon de voir localement et momentanément, partagée au sein d'une culture, qui permet de s'assurer l'appropriation cognitive d'un aspect du monde et de guider l'action à son propos » [10, p.800]. Chaque individu, dès son plus jeune âge, entre dans un processus continu de socialisation en adhérant à une culture et en intériorisant les normes et les valeurs propres à cette culture. L'identité sociale se forge par l'intermédiaire d'agents de socialisation comme la famille, l'école, les médias ou encore le travail. Ainsi, de manière souvent inconsciente, l'environnement social favorise fortement nos pratiques. « Les représentations sont dites sociales parce qu'elles sont socialement construites et transmises dès le plus jeune âge par de multiples sources » [11, p.107]. Les valeurs, modèles ou idéologies véhiculés par le groupe d'appartenance de l'individu vont lui permettre de construire ses propres représentations. Ces dernières vont pouvoir être diffusées dans la société et guider l'action des individus mais elles détiennent d'autres fonctions, définies par J.-C. Abric. D'après cet auteur, les représentations sociales ont quatre grandes fonctions. Tout d'abord, elles ont une fonction dite de savoir : « elles permettent de comprendre et d'expliquer la réalité » [11, p.107]., elles rendent imagés des concepts utilisés pour construire la représentation et rendent plus concrètes les nouvelles connaissances. Elles ont une fonction 11 identitaire : elles marquent l'appartenance sociale des individus à un groupe dans le sens où chaque groupe à ses propres normes et valeurs et donc ses propres représentations sociales. Elles créent donc du lien. Une troisième fonction est dite d'orientation : en effet les représentations sociales ont une influence sur les comportements et les pratiques et sont donc moteurs de conduites. Enfin, elles ont une fonction justificatrice : « elles permettent a posteriori de justifier les prises de positions et les comportements » [11, p.108]. Ainsi, les représentations sociales permettent aux individus de se distinguer par rapport à d'autres idéologies et de maintenir leurs positions, en renforçant la position sociale du groupe. Pour la sociologue D. Jodelet, la représentation « est une forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social. Également « désigné comme « savoir de sens commun », « naturel » ou encore « naïf », cette forme de connaissance est distinguée de la connaissance scientifique » [12, p. 7]. En ce sens, une représentation n'est pas une copie de la réalité mais une reconstruction du réel, c'est une manière d'organiser notre connaissance de la réalité. 4.4.2. Les représentations sociales liées aux auteurs de violences sexuelles L'une des représentations principale que l'on retrouve dans notre société qualifie les AVS de pervers. Selon S. Brochet, cela suppose que toute ambition thérapeutique est inefficace car nous ne pouvons pas changer la structure d'une personne, or ce ne sont pas tous des pervers de structure. Cependant, il n'est pas rare de voir dans les journaux, étiqueté le mot « pervers » aux AVS. Par exemple, dans le quotidien La Voix Du Nord, on pouvait lire en gros titre « A peine sorti de prison un pervers de nouveau mis en examen pour agressions sexuelles » [13], on retrouve également ce mot dans le corps de cet article « Un pervers sexuel présentant un niveau certain de « dangerosité » et « un risque important de récidive » venait de sortir de prison » [13]. Cet exemple nous montre l'amalgame qui est fait par les médias et véhiculé à la société. Selon S. Brochet, ce sont des personnes qui sont stigmatisées aussi bien en milieu ouvert qu'en milieu fermé. Les AVS peuvent être caractérisés de « malades »[1], de « dangereux »[1], de « monstres »[1], de « récidivistes »[1]. En prison, ces détenus sont « à contraindre et à punir » [1], ils sont soumis aux ordres voire même aux sévices. L'auteur parle alors de « supplément de peine » [1], souvent ces personnes subissent des représailles de la part des autres détenus engendrant de la violence physique et morale. C'est pourquoi dans de nombreuses prisons les AVS sont mis à l'écart de la population pénale pouvant aller jusqu'en cellule d'isolement. A l'extérieur, ils sont perçus comme une 12 menace sourde, imprévisible. Ils sont réputés comme récidivistes ce qui témoigne d'un échec social à traiter les problèmes ou d'une inefficacité du système mis en place. 5. APPROCHE PRATIQUE Nous avons effectué trois entretiens auprès d’IDE. L’IDE 1 qui est un homme exerçant en milieu fermé psychiatrique depuis 5 ans et possédant une expérience de 10 ans de travail en prison. L’IDE 2 est une femme exerçant en CMP, elle est diplômée infirmier de secteur psychiatrique. L’IDE 3 est une femme exerçant en milieu carcéral depuis 5 ans. A noter que l’entretien avec l’IDE 3 a été réalisé par courrier électronique face à la difficulté d’enregistrer une personne en prison (interdiction de matériel enregistreur). Les annotations des propos des IDE renvoient aux entretiens (E1 : entretien 1, E2 : entretien 2, E3 : entretien 3). 5.1. Auteurs de violences sexuelles et dispositifs de prise en charge Lors des entretiens, nous avons retrouvé auprès des trois IDE interrogés, des références à un parcours de vie difficile, faisant écho à nos recherches théoriques où l’on retrouve des antécédents familiaux et environnementaux compliqués. L’IDE 1 nous parle d’une relation où le patient « t’explique des histoires de sa vie qui sont pas toujours faciles » [E1, p.4]. L’IDE 2 précise que selon elle 95% des AVS « ont eu une vie traumatique » [E2, p.3]. Quant à l’IDE 3 elle pointe l’importance d’avoir des connaissances sur la vie du patient : « parcours de vie, carences éducatives et affectives, maltraitance, violences… » [E3, p.1]. D’un point de vue clinique nous avons observé des similitudes entre les résultats de nos recherches et les réponses des IDE. L’IDE 3 insiste sur l’importance d’avoir des connaissances « d’ordre psychologique » [E3, p.1] pour « une meilleure prise en charge globale du patient » [E3, p.1]. L’IDE 2 nous a fait part de son expérience auprès d’un patient AVS « diagnostiqué psychotique et avec des gros troubles du comportement » [E2, p.2]. En regard des apports théoriques apportés dans la première partie, on retrouve « une façon à banaliser les choses » [E2, p.2] mais aussi la non-reconnaissance de « l’autre en tant que sujet mais en tant qu’objet » [E2, p.2]. Selon l’IDE 3, en milieu carcéral les détenus AVS n’ont parfois pas « conscience de la gravité des faits » [E3, p.4]. 13 Dans les entretiens nous avons remarqué que les soignants abordent le caractère multidisciplinaire de cette prise en charge spécifique, que ce soit en milieu ouvert ou en prison. Ainsi les IDE 1 et 2 précisent l’importance des psychiatres et psychologues auprès de ces patients, notamment pour aborder les faits commis : « toutes ces personnes sont orientées soit vers le psychologue soit vers le psychiatre » [E1, p.2], « c’est plus du côté de sa prise en charge avec son psychologue et son médecin psychiatre » [E2, p.9]. L’IDE 1 précise l’importance de tous les intervenants auprès des détenus en prison, comme les travailleurs sociaux et les gardiens. En effet, la difficulté liée au caractère intrinsèque de la prison comme lieu où l’on ne peut pas se déplacer librement nécessite la vigilance des tous les intervenants [E1, p.9]. Il précise que « souvent y’a peut-être une attention particulière pour ces gens là dans le sens où on garde un petit peu l’œil sur eux pour pas qu’ils se fassent maltraiter quoi » [E1, p.9]. Cependant on note qu’à la question sur une éventuelle différence de prise en charge entre un patient AVS et un autre patient, l’IDE 3 nous dit que « la prise en charge et le parcours de soin sont les mêmes » [E3, p.2] Concernant la spécificité de l’injonction de soins dans le cadre du suivi socio judiciaire, nous avons remarqué dans certaines réponses que le lien entre les soins et la justice est réalisé par les médecins. Par exemple, l’IDE 2 répond à la question sur l’injonction de soins en CMP que « c’est plus au niveau médical et au niveau des psychologues » [E2, p.11]. L’IDE 3 va dans ce sens également en précisant que dans le cadre d’une obligation de soins « le psychiatre notera les absences aux rendez-vous » [E3, p.1]. Cela est en accord avec le guide de l’injonction soins qui dit que les médecins et psychologue fournissent des attestations. L’IDE 2, dans une situation où un patient en obligation de soins n’était pas venu recevoir son traitement, a voulu entrer en contact avec son conseiller juridique pour le prévenir. Le médecin qui suivait ce patient lui a rappelé qu’elle ne devait pas faire cela car elle sortait de sa « dimension de soins » [E2, p.5]. L’IDE 2 précise que, d’après le médecin, c’était à l’institution juridique de s’inquiéter de ce patient « parce-que l’obligation de soin elle est médicale bien sûr mais elle est aussi juridique » [E2, p.5]. 5.2. La relation Les trois IDE sont unanimes pour dire qu’il est nécessaire d’avoir une approche holistique du patient. En effet, l’IDE 1 nous dit « il faut que tu vois la personne dans son ensemble » [E1, p.1], l’IDE 2 : « je pense qu’il ne faut pas la découper en tronçons » [E2, p.10] et l’IDE 3 nous parle bien d’ « une prise en charge globale » [E3, p.1] puisée dans 14 « des connaissances d’ordre psychologique, social, culturel et privé » [E3, p.1]. Cette nécessité d’avoir des connaissances supplémentaires est pour l’IDE 2 primordiale car « c’est quelque chose de très spécifique » [E2, p.3], elle raconte « s’être documentée dans cette prise en charge en essayant de comprendre qu’est-ce qui se passait » [E2, p.3]. Elle nous rappelle l’importance du cadre dans le soin relationnel, « je pense que le cadre est très important […] quand je rencontrais ce monsieur je disais « voilà je viens vous rencontrer, discuter un petit peu, avoir un entretien infirmier » et je lui donnais un temps « on va discuter une demi-heure » par exemple » [E2, p.3]. Elle nous indique cependant qu’il n’y a pas de différence dans le soin relationnel avec un patient AVS en précisant que « la relation, elle n’est pas particulièrement porteuse d’autre chose parce que la personne a cette problématique là » [E2, p.10]. A l’aide des recherches documentaires sur la relation, nous avons abordé la distance relationnelle et les risques de détériorer une relation en étant trop proche ou a contrario trop distant. Les trois IDE interrogés nous font part du professionnalisme inhérent à la fonction de soignant. L’IDE 1 précise que « dans n’importe quel service où tu travailles c’est ça le côté professionnel […] à un moment y’a une barrière à pas franchir » [E1, p.10]. Il met en garde contre les risques d’être trop proche d’un patient et les conséquences que cela peut avoir : « autrement tu peux plus soigner » [E1, p.10]. A l’inverse, l’approche théorique nous rappelle qu’il ne faut pas être trop distant du patient. Cependant l’IDE 3 n’hésite pas à se montrer plus distante avec un patient AVS : « je vais avoir moins d’empathie sur certaines situations de soins » [E3, p.1], « mise à distance défensive pour un patient n’ayant pas conscience de la gravité des faits » [E3, p.4]. Pour elle son inconscient influe sur la relation, elle précise « être au courant que le patient est un AVS va forcément jouer sur nos agissements et/ou nos paroles, même indirectement » [E3, p.3]. C’est « l’expérience » et « la maturité » [E2, p.10] qui selon l’IDE 2, vont aider le soignant à trouver la juste distance relationnelle avec un AVS. Elle rejoint cette notion d’inconscient agissant sur la communication verbale et non verbale, pour elle « on n'est pas maître de toutes nos paroles » [E2, p.10]. Pourtant l’approche théorique indique qu’une distance relationnelle perturbée est nuisible à la relation. L’écoute permet d’établir une relation de confiance. Dans le cadre spécifique du milieu carcéral, l’IDE 1 précise : « au début tu le vois comme délinquant sexuel, tu sais qu’il va rester […] t’oublies un peu ce qu’il a fait tu le vois en temps que personne » [E1, p.4]. Pour lui, la prison est vecteur de relation de confiance durable : « ça peut devenir une relation qui […] peut devenir plus forte que dans certains services » [E1, p.4] et les faits commis s’estompent au profit de l’homme : « tu vois l’homme, plus ce qu’il a fait. » [E1, p.4]. 15 En ce sens, il nous rappelle qu’il s’agit d’êtres humains avant tout [E1, p.4] qu’il faut respecter : « il y a un respect des personnes » [E1, p.3]. L’IDE 2 rappelle la notion d'objectivité dans la relation soignant soigné. Pour elle, il ne faut pas « avoir de jugements arrêtés » [E2, p.8]. Cependant le soin relationnel est pour l’IDE 2 un travail intense dans lequel on ne peut travailler seul [E2, p.11]. Il est primordial d’avoir recours au travail en équipe pour en parler : « c’est l’importance du tiers » [E2, p.11]. 5.3. Les représentations sociales Dans la théorie nous avons vu qu'il y avait de nombreuses représentations sur les AVS. On retrouve dans les entretiens des représentations des soignants, elles sont parfois exprimées clairement. Deux IDE sur trois emploient le mot « croyance » pour parler des représentations, l'IDE 3 dit que « les croyances peuvent prendre le dessus sur l'objectivité » [E3, p.2], ce qui est confirmé par l'IDE 3 « impossibilité de ne pas être complètement influencé par les croyances populaires » [E2, p.7]. Cependant, seule l'IDE 2 émet l'idée qu'un lien existe entre les connaissances et les représentations. Dans deux entretiens nous retrouvons même des croyances propres aux IDE interrogés. L'IDE 1 pense que la prise en charge des AVS est plus difficile pour les femmes lorsque ce sont « des histoires de viols » [E1, p.2]. L'IDE 2 fait une distinction entre les différentes agressions sexuelles et leur gravité, par exemple elle parle d'un patient prit en charge au CMP « il a pas fait d'agression sexuelle, je veux dire entre guillemets grave, type viol » [E2, p.1]. L'IDE 1 parle de difficultés supplémentaires en prison, les « délinquants sexuels et ben ils restent au fond de leurs cellules et puis ils bougent pas quoi. Et ça c’est la pire des choses tu vois quoi » [E1, p.9] parlant dans ce cas de « double peine » [E1, p.9]. Ce qui fait donc écho à la théorie, la psychologue S. Brochet appelait ça le « supplément de peine ». L'IDE 2 pense qu'il peut être difficile de prendre en charge des AVS pour certains soignants, « certains me disaient « ah ben moi je pourrais pas parce que j'ai des représentations familiales, parce que voilà les enfants c'est sacré » » [E2, p.5], mais elle dit également qu'il « faut aller plus loin que cela » [E2, p.5]. L'IDE 1 pense que « dans chaque humain il y a quand même quelque chose de bon quoi ! » [E1, p.6]. L'IDE 2 dit que « les auteurs comme les victimes sont des gens en souffrance » [E2, p.5]. Cependant elle est consciente que peu de personnes comprennent que ce sont des personnes qui souffrent « c'est difficile de faire passer ce message, c'est difficile de dire « un pédophile c'est quelqu'un qui souffre », on va vous rire au nez en vous disant « mais ça va pas la tête c'est un salop [...]» [E2, p.7]. 16 D'ailleurs elle fait référence aux médias en disant « on les fait passer pour des monstres » [E2, p.6], ce qui rappelle la théorie. On retrouve une idée commune aux IDE 2 et 3 concernant la distance physique. Elles parlent toutes deux de leur crainte d'avoir certains gestes équivoques, selon elles cette prise en charge est différente d'autre prise en charge « il faut faire attention » [E3, p.3]. En analysant les entretiens, nous nous sommes aperçus que de nombreux propos portent sur la connaissance ou non des faits commis par les AVS, et évidemment leur influence sur la prise en charge. L'IDE 1 nous dit que connaître les faits « aide à la prise en charge », il ajoute que celle-ci sera « différente selon les faits ». [E1, p.1]. Pour l'IDE 2, la prise en charge lorsque l'on sait que le patient est un AVS questionne, « c'est toujours un débat […] un peu passionné […] c'est inévitable » [E2, p.6]. Cependant même si « on ne peut pas se détacher » [E2, p.6] des faits, cela n'influence pas la relation selon elle. L'IDE 3 pense que la connaissance des faits commis par un patient influence sa prise en charge, « notre inconscient travaille quoi qu’il arrive et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser, puisque c’est ce qui caractérise l’être humain […]. Être au courant que le patient est un AVS va forcément jouer sur nos agissements et/ou nos paroles, même indirectement. Ce serait une illusion que de se convaincre du contraire » [E3, p.3]. Nous devons donc parler d'impartialité dans les soins. L'IDE 3 dit avoir moins d'empathie envers les AVS, elle nous donne un exemple pour illustrer ses propos « si un patient pleure car il a interdiction de voir ses enfants, qu’il aurait violés » [E3, p.1]. Elle sera moins tolérante par rapport à « un patient qui se confiait sur l’amour qu’il portait à la fille de 13 ans de ses amis, qu’il avait violée et qu’il comptait retrouver à sa sortie car c’était la femme de sa vie ! » [E3, p.2], par exemple. Malgré cela, elle « essaye d’être au maximum équitable » [E3, p.3]. Les IDE 1 et 2 se rejoignent sur ce sujet et s'accordent à dire qu'il ne faut pas être dans le jugement. L'IDE 1 dit très clairement « on est là pour soigner, on n'est pas là pour juger » [E1, p.1]. Pour lui il faut voir la personne « dans son ensemble […] y’a pas de différences ». L'IDE 2 nous explique qu'elle « essaye le plus possible de ne pas avoir de jugements arrêtés » [E2, p.8]. Finalement, au delà des représentations, on retrouve les émotions, l'IDE 2 pense que certains refus de prise en charge d'AVS sont liés à la peur « j'ai des collègues qui m'ont dit « oh non moi j'irai jamais en prison, je serais pas à l'aise, j'aurais peur» » [E2, p.6]. Il lui est arrivé une fois d'être mal à l'aise avec un patient « j’étais toute seule dans un bureau avec lui. […] Et il s’est passé quelque chose de très bizarre […]. Et moi ce jour là je l’ai mal perçu. J’ai eu peur. En fait je pense que j’ai vraiment eu peur. » [E2, p.8].L'IDE 3 se sent concernée 17 par la récidive, elle a peur que cela arrive une fois qu'ils sortent de prison et « par extension qu'ils pensent éventuellement à moi » [E3, p.3]. Nous avons donc remarqué que les émotions entrent en jeu dans la prise en charge des AVS. 6. CONCLUSION ET PROBLEMATIQUE Après ces quelques mois de travail sur ces sujets vastes et compliqués que sont les AVS et les représentations sociales, nous pouvons conclure que les représentations qu'en a la société sont unanimement négatives. Il s’agit, comme nous le dit l’IDE 2, de la « violence de l’intime » [E2, p.3], source de peur et de colère. Les faits commis par les AVS ébranlent les valeurs profondes des citoyens. Le projet de loi du 9 octobre 2013 que nous abordions en introduction tente d’amener des réponses supplémentaires à la privation de liberté et cherche à prévenir la récidive dans le but d’éviter de nouvelles victimes. Dans ce cadre, une nouvelle peine est proposée : la contrainte pénale dans laquelle on retrouve l’obligation de suivre des soins. Cela amène le soignant au cœur du projet de loi. Nous avons cherché à savoir comment un soignant, avec ses propres représentations, entre en relation avec une personne diabolisée par la société. Les trois IDE que nous avons interrogés travaillent ou ont travaillé avec des AVS, essentiellement par le biais du milieu carcéral. Tous trois n’ont pas la même vision du sujet mais nous avons pu observer certains points communs. Il est nécessaire de se préparer à la rencontre d'un AVS, avec des connaissances mais aussi en maîtrisant la distance relationnelle. Il convient de rester objectif dans une posture soignante malgré le ressenti éprouvé par le soignant en regard des faits commis. C’est pour les trois IDE un savoir être professionnel. Malgré cela, certaines craintes demeurent, celles de gestes équivoques envers des soignantes femmes par exemple. La réalisation de ce travail nous a apporté d’autres interrogations. En premier lieu, la variable judiciaire de notre question de départ ne nous semble plus pertinente à l’issue du travail. En effet, nous avons remarqué que les IDE rencontrent plutôt les AVS en prison. Cela n’est pas une généralité puisque l’IDE 2 a travaillé avec un AVS en CMP. Cependant, les spécificités du suivi socio judiciaire concernent essentiellement les médecins. L’infirmier apporte bien des soins dans ce cadre là, mais pour lui ils ne diffèrent pas d’une autre prise en charge. En second lieu, nous nous sommes entretenus avec trois personnes aguerries à la relation avec des AVS. Nous avons obtenu des témoignages similaires malgré quelques différences notamment de la part de l’IDE 3. Cependant nous pouvons nous interroger sur la teneur des 18 réponses qu’aurait eu un IDE de secteur conventionnel ou psychiatrique non habitué et non préparé à la prise en charge d’AVS. Cela apporterait un éclairage sur l’importance de la démarche du soignant. Les IDE que nous avons rencontrés ont fait la démarche de travailler avec des patients en milieu carcéral. Quelles peuvent-être les représentations d’un soignant non préparé à ce type de prise en charge en secteur conventionnel par exemple ? Enfin, nous avons remarqué une utilisation fréquente de vocabulaire appartenant au champ lexical de la peur. Nous nous sommes questionnés sur l’influence des émotions primaires telles que la peur, le dégoût ou encore la colère. Selon le Petit Robert, une émotion est une « réaction affective, en général intense, se manifestant par divers troubles, surtout d’ordre neuro-végétatif (pâleur ou rougissement, accélération du pouls, palpitations, sensations de malaise, tremblements, incapacité de bouger ou agitation) » [14, p 637]. Dans quelle mesure une réaction affective intense telle qu’une émotion va perturber le professionnalisme d’un soignant ? D’autant plus si le stimulus affectif est un patient AVS véhiculant des représentations sociales imprégnées de peur, de dégoût et de colère ? En ce sens nous pouvons formuler une question de recherche : En quoi les émotions d’un infirmier interfèrent-elles dans la relation soignant soigné avec un auteur de violences sexuelles ? BIBLIOGRAPHIE 1. BROCHET Sylvie. La prévention et la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuelles. Paris : Diplôme d’université santé publique en milieu pénitentiaire, 2013, 122 p. 2. KANIA Eric. Cliniques des auteurs de violences sexuelles. Marseille : SMPR des Baumettes, 76 p. 3. MINISTERE DE LA SANTE ET DES SPORTS, MINISTERE DE LA JUSTICE. Guide de l’injonction de soins [en ligne]. Disponible sur : http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_injonction_de_soins.pdf. (consulté le 06/03/2014). 4. Le Petit Larousse Illustré. Paris : 2004, 1936p. 5. FISHER Gustave-Nicolas. Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale. Paris : Dunod, 2010, 313p. 6. La communication : état des savoirs. Auxerre. : Sciences Humaines Editions, 2008, 465p. 7. BALIER Claude. 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Disponible sur : http://www.lavoixdunord.fr/actualite/L_info_en_continu/Artois/2011/02/15/article_apeine-sorti-de-prison-un-pervers-de-no.shtml (consulté le 31/03/2014) 14. Petit Robert. Paris : Le Robert, 1987, 2171p. LOOKING AFTER SEX OFFENDERS When a nurse works in jail he has to deal with sex offenders among all prisoners. Society has an absolute horrific image about sex offenders. It calls them monsters. However sex offenders as sick people need cares. With this work we have searched to know how a nurse can take care of persons everybody call monsters and how a nurse can deal with his own sex offenders’ representations and his mission: taking care? Firstly we have worked on a personnel experience in nurse internship. We have written down a lot of questions about the situation and a primary question about the subject we have wanted to work. Secondly we have read many documents like books, periodical press and internet publications about sex offenders, social representations, relationships and judicial aspects like order of care. After getting informations we have met three nurses who have work with sexual offenders. Then we have started to write and confront our readings with nurses’ answers. Nurses may be offended by sex offenders but they have knowledge and they want to do their job as best as possible. They have to be professional even if their personal values are struck. To conclude taking care of sex offenders is a difficult mission because of our representations and society’s influence. Many people are afraid of sex offenders. Fear is an uncontrollable emotion. So can we think about the implication of emotions like fear, disgust or angry in work with sex offenders? S’OCCUPER DE DELINQUANTS SEXUELS Lorsque qu’un infirmier travaille en prison il doit, parmi tous les prisonniers prendre en charge des délinquants sexuels. La société véhicule une image horrifique des délinquants sexuels. Ils sont appelés monstres. Ce sont cependant des malades qui nécessitent des soins. Avec ce travail nous avons voulu savoir comment un infirmier peut prendre soins d’une personne que tout le monde nomme monstre et comment un infirmier peut-il conjuguer ses propres représentations des délinquants sexuels et sa mission : prendre soin ? Dans un premier temps nous avons travaillé sur une situation vécue en stage. Nous avons écris des questions en lien avec cette situation et une question de départ sur le sujet que nous voulions travailler. Dans un second temps nous avons lu des livres, articles de périodiques et publications internet sur les délinquants sexuels, les représentations sociales, la relation et l’injonction de soins. Suite à cette exploration théorique nous avons rencontré trois infirmiers qui ont travaillé avec des délinquants sexuels. Ensuite nous avons commencé à rédiger en confrontant nos lectures et les trois témoignages. Les infirmiers peuvent être offensés par ces patients mais ils ont la possibilité d’acquérir des connaissances. Ils souhaitent faire leur travail de la meilleure façon possible. Ils doivent être professionnels même si leurs valeurs personnelles sont heurtées. Pour conclure nous pouvons dire que prendre soins de délinquants sexuels est une mission difficile à cause des représentations et de l’influence de la société. De nombreuses personnes ont peur des délinquants sexuels. La peur est une émotion incontrôlable. Nous pouvons donc réfléchir à l’implication des émotions comme la peur, le dégoût ou la colère dans le travail avec des délinquants sexuels ?