Institut de Formation de Professions de Santé Formation Infirmière

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Institut de Formation de Professions de Santé Formation Infirmière
Institut de Formation de Professions de Santé
Formation Infirmière
44 Chemin du Sanatorium
25030 Besançon Cedex
LES REPRESENTATIONS SOCIALES DANS LA RELATION AUX PATIENTS
AUTEURS DE VIOLENCES SEXUELLES
UE 3.4 S6 : Initiation à la démarche de recherche
UE 5.6 S6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques
UE 6.2 S6 : Anglais rédaction de l’abstract du travail de fin d’étude
Présenté par:
BATTAGLIA Gladys, BESANCENOT Caroline, TRAMBOUZE Jérémy, VALLET
Marie-Cécile
Promotion 2011/2014
Formateur de guidance :
BLONDELLE Florence
Institut de Formation de Professions de Santé
Formation Infirmière
44 Chemin du Sanatorium
25030 Besançon Cedex
LES REPRESENTATIONS SOCIALES DANS LA RELATION AUX PATIENTS
AUTEURS DE VIOLENCES SEXUELLES
UE 3.4 S6 : Initiation à la démarche de recherche
UE 5.6 S6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques
UE 6.2 S6 : Anglais rédaction de l’abstract du travail de fin d’étude
Présenté par:
BATTAGLIA Gladys, BESANCENOT Caroline, TRAMBOUZE Jérémy, VALLET
Marie-Cécile
Promotion 2011/2014
Formateur de guidance :
BLONDELLE Florence
« Il est plus difficile de briser un préjugé qu'un atome »
Albert Einstein
REMERCIEMENTS
Après de longues semaines à travailler sur notre mémoire de fin d'études, nous tenons à
remercier les personnes qui nous ont accompagnées tout au long de sa réalisation.
Merci à Me Blondelle, pour sa guidance qui nous a permit d’aboutir à ce travail de fin
d'études grâce à son encadrement, à ses nombreux conseils et son soutien.
Merci à Me Lauer, Me Sordet et Mr Durand, de nous avoir accompagné tout au long de notre
réflexion.
Merci aux professionnels de santé qui nous ont accordé du temps afin de pourvoir réaliser
nos entretiens.
Merci à Me Têtu, documentaliste à l’IFSI, pour tous ses conseils lors de la rédaction de notre
mémoire.
Merci à nos familles et nos amis qui nous ont soutenus durant ces trois années d’études en
soins infirmiers.
NOTE AUX LECTEURS
Note aux lecteurs : « Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication
en tout ou partie sans l’accord de son auteur.»
ABREVIATIONS
AVS : Auteurs de Violences Sexuelles
IDE : Infirmier Diplômé d'Etat
CMP : Centre Médico-Psychologique
SOMMAIRE
1. SITUATION D’APPEL
1
2. QUESTIONNEMENT
2
3. INTRODUCTION
4
4. APPROCHE CONCEPTUEL
5
4.1.
Approche historique et clinique
des auteurs de violences sexuelles
5
4.1.1. Un peu d'histoire
5
4.1.2. Clinique et passage à l'acte
5
4.2.
L’injonction de soins
6
4.2.1. Suivi socio judiciaire
6
4.2.2. Cadre législatif
6
4.2.3. Fonctionnement
7
4.2.4. Prise en charge en milieu ouvert
7
4.3.
La relation thérapeutique
4.3.1. Généralités sur la relation thérapeutique
8
8
4.3.2. Ressource pour les soignants dans la prise en
charge et la relation d'auteurs de violences sexuelles
4.4.
Les représentations sociales
4.4.1. Généralités sur les représentations sociales
9
10
10
4.4.2. Les représentations sociales liées aux auteurs
de violences sexuelles
5. APPROCHE PRATIQUE
5.1.
11
12
Auteurs de violences sexuelles
et dispositifs de prise en charge
12
5.2.
La relation
13
5.3.
Les représentations sociales
15
6. CONCLUSION ET PROBLEMATIQUE
17
1
1. SITUATION D’APPEL
Il s'agit d'un patient, d'une cinquantaine d'années, d'origine musulmane. Ce patient a
été condamné à 10 ans de prison pour viol en réunion. Depuis sa sortie courant octobre
2013 il est pris en charge par un CMP pour des visites à domicile et préparation de son
semainier ainsi que l'injection retard de neuroleptique. Il est mis sous castration chimique,
une injection par mois.
La prise en charge de ce patient posait de nombreux problèmes au sein de l'équipe
soignante et même pluridisciplinaire. Avant sa sortie, il y avait quatre infirmiers sur cinq, la
cadre et la psychologue qui ne voulaient pas le prendre en charge car cela heurtait leurs
valeurs et elles ne voulaient pas s'y confronter. Lors d'une réunion pluridisciplinaire, un seul
infirmier a vu la responsabilité qu'il engageait s’il ne le prenait pas en charge, en effet le
patient pouvait récidiver. C'est donc ce qui a motivé les autres infirmières et la cadre à
changer d'avis. Plus tard pour l'aider à retrouver une vie « normale », a été évoqué le projet
du Centre d'Activités Thérapeutiques à Temps Partiel, car il ne savait pas se faire à manger,
il sortait peu de chez lui. La psychologue s'est clairement positionnée et a indiqué qu'elle ne
« pouvait pas travailler avec un patient comme celui-ci », qu'il était « impensable de mêler
victimes et agresseurs ». La décision est revenue entre les mains du médecin qui a pris parti
pour la psychologue ne voulant pas l'obliger à travailler avec une personne qu'elle ne
souhaitait pas.
Les premières visites à domicile ont commencé, le patient était assez compliant face aux
soins et acceptait volontiers le projet thérapeutique. La première fois que je lui ai rendu visite
avec l'infirmière, c'était la première fois pour elle aussi, dans la voiture nous avions toutes les
deux une certaine appréhension car d'une part nous étions deux femmes et d'autre part nous
n'avions jamais été en contact avec un patient ayant commis un viol. Nous avons pu
échanger sur notre ressenti avant la visite. Une fois arrivées dans l'appartement, j'ai
rencontré un patient calme, parlant très peu, son attitude était en total contradiction avec nos
craintes. L'infirmière et moi même n'avons pas été mal à l'aise. Pendant que je préparais le
semainier, l'infirmière lui posait des questions sur l'observance de son traitement et lui
donnait quelques informations que son collègue (en vacances) lui avait demandé de
transmettre. Nous sommes reparties 10 minutes plus tard et nous avons échangé sur
l'attitude posée du patient et nos craintes qui n'avaient plus lieu d'être. Cependant face à ce
type de patient, il faut néanmoins rester toujours vigilant.
2
2. QUESTIONNEMENT
Refus de donner des soins par l’équipe
!
Quels sont les risques du refus de donner des soins ?
-
Dans quelle mesure une équipe a le droit de refuser de prendre en soin un
patient ?
!
Est-ce que l’hôpital public peut refuser la prise en charge d’un patient ? Qu’en
est-il de l’obligation de donner des soins en institutions publiques (missions hôpital
public) ?
!
Dans une équipe pluridisciplinaire, y a-t-il une équité entre les professionnels
dans la prise de décision ? La décision finale appartient-elle uniquement au
médecin/psychiatre ?
!
Lorsqu'un soignant refuse catégoriquement de donner des soins à un patient
et que sa participation est irremplaçable (défaut d’effectif) ,l’équipe doit-elle respecter
son refus et ne pas prendre le patient en charge ?
!
Doit-il y avoir unicité dans la décision prise par une équipe ?
!
Quelles sont les responsabilités des IDE, du cadre, du psychiatre et de la
psychologue ?
!
Comment le psychiatre collabore-t-il avec la justice sur une obligation de
soins ? En cas de refus de l’équipe ?
!
Les alliances (amitiés…) entre soignants influencent-t-elles l’équipe pour une
prise en charge (décisions…) ?
!
Comment se positionner au sein de l’équipe dans une prise de
décision (caractère, idées, amitiés/professionnalisme) ?
!
Y-a-t-il un niveau hiérarchique dans la prise de décision au sein d’une équipe
pluridisciplinaire ?
Le projet thérapeutique sans connaître la personne
!
A t'on accès aux données concernant un patient lorsqu’il sort de prison avant
qu’il n'arrive dans un service ?
!
Si oui, quels sont les documents ? (dossier justice, dossier médical, DSI)
3
!
Dans le cadre de son rôle propre, l’IDE a-t-il obligation de connaître le patient
avant de le prendre en charge et de le rencontrer afin de construire son projet
thérapeutique en équipe ?
Le vécu d’une personne et son influence sur la prise en charge d’un patient
!
Est- ce aidant pour les patients et l’équipe qu’un soignant travaille dans un
domaine qui fait écho à son passé, son vécu ?
!
Comment faire abstraction de son vécu pour une prise en soins ?
!
Porte-t-on un regard différent sur la pathologie, les patients si la situation nous
rappelle notre vécu ?
!
A l’inverse le vécu peut-il être aidant ?
!
A quel moment doit-on passer la main lorsqu’une situation devient trop
difficile ?
4
3. INTRODUCTION
Le 9 octobre 2013 un projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à
l’individualisation des peines a été déposé à l’Assemblée Nationale, portant les questions de
récidive et de prise en charge des AVS au cœur des préoccupations sociétales.
Une situation vécue en stage a fait écho à ce questionnement et nous a nous-mêmes
fortement questionnés. En effet la situation renvoie aux représentations du soignant face à
une situation sensible comme la violence sexuelle.
Les croyances générales sont emplies de représentations particulièrement négatives aux
sujets des auteurs de violences sexuelles. Nos interrogations se sont portées sur la posture
du soignant lors de la prise en charge d’un AVS car il a lui aussi des valeurs morales qui lui
sont propres, un vécu, des représentations mais aussi des valeurs professionnelles issues
de l’enseignement et de l’expérience qu’il a acquise.
Nous avons axé notre travail sur la relation soignant soigné, le soin relationnel étant un
élément thérapeutique central en santé mentale. La particularité judiciaire de ce type de
patient nous a amenés à introduire l’injonction de soins comme variable. Enfin nous avons
choisi comme champ d’action les CMP en regard de la situation d’appel.
Nous avons rédigé la question de départ comme suit :
Dans quelle mesure les représentations sociales d’un IDE influent sur la relation soignant
soigné avec un auteur de violences sexuelles en injonction de soins suivi en CMP ?
Cependant nous avons rencontré des difficultés pour réaliser nos entretiens avec des IDE en
CMP. Nous avons constaté que peu de CMP effectuent cette prise en charge particulière.
Nous souhaitions interroger des infirmiers or parfois, il s’agit d’une prise en charge
exclusivement médicale (psychiatre et/ou psychologue). Ces difficultés nous ont amenés à
supprimer ce champ d’action que sont les CMP de notre question de départ qui se trouve
être reformulée ainsi :
Dans quelle mesure les représentations sociales d’un IDE influent sur la relation soignant
soigné avec un auteur de violences sexuelles en injonction de soins ?
Nous présenterons tout d’abord une approche théorique des auteurs de violences
sexuelles, de la relation et des représentations sociales et dans une seconde partie nous
reviendrons sur ces notions à travers les entretiens que nous avons réalisés auprès de
professionnels.
5
4. APPROCHE CONCEPTUELLE
4.1. Approche historique et clinique des auteurs de violences sexuelles
4.1.1. Un peu d'histoire
Selon E. Kania, avant le XIXeme la sexualité s'inscrit dans une conception religieuse et
moralisatrice et les déviances sexuelles sont sévèrement réprimées. Un changement dans la
manière de punir s'opère au cours du siècle des Lumières avec la disparition du supplice, la
laïcisation du droit pénal et la dissociation de l'infraction et du péché.
C'est à partir des années 80 que s'opère une réforme du droit pénal concernant les auteurs
de violences sexuelles. La France connaît une campagne médiatique sans précédent, liée à
la recrudescence des plaintes et des poursuites, ce qui fait de la prise en charge des AVS
une priorité de santé publique.
Dans le même temps, le savoir médical permet une meilleure connaissance des perversions
en qualifiant de pathologiques des conduites qu'auparavant les magistrats appelaient
délictueuses. Le recours à la médecine pour situer les perversions s'inspire de l'instauration
d'une morale laïque, ressentie comme plus rationnelle que la morale religieuse.
C'est dans ce contexte qu'un plan national de prévention de la récidive des AVS a été créé
avec la loi du 17/06/1998. Cette loi naît de la nécessité d'une prise en charge tant sur le plan
pénal que thérapeutique avec pour objectif d'éviter les récidives.
4.1.2. Clinique et passage à l'acte
Sur le plan clinique, on note une hétérogénéité des profils. On retrouve des
antécédents fragilisants tel que la maltraitance, « les dysfonctionnements familiaux » [1,
p.36]. Ces antécédents ne sont pas exhaustifs.
Selon S. Brochet, il y a également des facteurs de risques qui sont des troubles de la
personnalité, des troubles de la sexualité, des addictions et des facteurs environnementaux
qui peuvent être familiaux et/ou sociaux.
« Le fonctionnement des auteurs de violences sexuelles est une solution défensive face aux
angoisses majeures concernant le sentiment identitaire. » [2, p.55]. Les AVS ont une relation
6
à l'autre faussée : ils ont peur de l'autre, ils cherchent à entretenir une relation d'emprise.
Pour S. Brochet, le passage à l'acte chez les AVS se déroule en trois phases. Tout d'abord,
le temps qui précède l'acte est une accumulation d'angoisses massives entraînant un
malaise interne avec des tensions dans le corps. Cela peut engendrer une prise de toxiques
(alcool, drogue). Durant l'acte, les AVS sont dans la recherche d'un apaisement pour
échapper à ce malaise interne. Une fois l'acte commis, les AVS sont dans le déni, leur
culpabilité est souvent quasi inexistante, et ils ne verbalisent pas les faits. Ils ont l'impression
qu'une autre personne a commis l'acte, avec parfois un sentiment de honte.
S. Brochet tient à rappeler que les AVS ne sont pas tous des pervers mais ont une certaine
perversité. En effet, elle distingue la perversion sexuelle, « construite sur un scénario sexuel
ludique » [1. p.46] de la perversité qui est « une représentation de soi fondée sur la
destruction physique et psychique de l'autre » [1, p.48], elle peut être sexuelle, dans ce cas il
y a « recours à l'acte sexuel violent » [1, p.50]. Ces définitions sont importantes car dans les
représentations sociales générales, les AVS sont souvent assimilés à des pervers.
4.2. L’INJONCTION DE SOINS
4.2.1. Suivi socio judiciaire
« Le suivi socio-judiciaire constitue une peine complémentaire aux peines privatives
de liberté criminelles. » [3, p 15]. Il peut être prononcé pour des délits comme peine
principale ou complémentaire. L’objectif est de prévenir la récidive en obligeant la personne
à se soumettre à « des mesures de surveillance et d’assistance » [3, p 15].
4.2.2. Cadre législatif
L’injonction de soins est une mesure récente dont les objectifs sont d’évaluer la
dangerosité et de prévenir la récidive. Son cadre législatif est le suivant :
-
Loi n°1998-468 du 17/06/1998 relative à la prévention et à la répression des
infractions sexuelles
-
Loi n°2005-1549 du 12/12/2005 relative au traitement de la récidive
-
Loi n°2007-297 du 05/03/2007 relative à la prévention de la délinquance
7
-
Loi n°2007-1198 du 10/08/2007 renforçant la lutte contre la récidive des
majeurs et des mineurs
-
Loi n°2008-174 du 25/02/2008 relative à la rétention de sûreté et à la
déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
4.2.3. Fonctionnement
Tout d’abord et selon le guide de l’injonction de soins,
il convient de distinguer
obligation et injonction de soins. L’obligation de soins ne nécessite pas d'expertise médicale.
Aucune communication officielle entre les acteurs de santé et les institutions judiciaires n’est
requise. A contrario, l’expertise médicale est obligatoire dans le cadre de l’injonction de
soins. Elle est conduite par un expert psychiatre. Elle est demandée par le juge de
l’application des peines une fois la sentence rendue par le tribunal en vue d’associer une
peine du suivi socio-judiciaire dont fait partie l’injonction de soins. Outre le suivi sociojudiciaire, une injonction de soins peut être demandée lorsqu’il y a une surveillance judiciaire,
une libération conditionnelle, un sursis avec mise à l’épreuve, une surveillance de sûreté ou
une rétention de sûreté. Un médecin coordonnateur est nommé. Il a en charge de servir
d’intermédiaire entre le médecin traitant et la justice.
4.2.4. Prise en charge en milieu ouvert
La prise en charge sanitaire en milieu ouvert se fait le plus souvent dans le cadre
d’un suivi socio-judicaire. Le médecin coordonateur a pour rôle de garantir « le cadre
thérapeutique et le respect du secret professionnel par le médecin traitant et le psychologue
traitant » [3, p 40]. Le médecin coordonateur reçoit une première fois le patient. Il effectue un
examen clinique afin d’évaluer le fonctionnement psychique du patient et d’éventuelles
pathologies associées. Il invite le patient à faire le choix du médecin traitant. Il peut refuser le
choix du patient s’il juge que son choix n’est pas judicieux. Le médecin coordonateur
communique au médecin traitant choisi les informations nécessaires à la prise en charge. Il
ne dispense pas de soins. Il convoque le patient une fois par trimestre pour un bilan. Il fait un
rapport annuel au juge de l’application des peines.
Le médecin et/ou psychologue traitant propose un suivi psychothérapeutique. Il fournit des
attestations de suivi et prévient le médecin coordonateur ou le juge de l’application des
peines si le patient interrompt son suivi médical.
Lors de la prise en charge d’auteurs de violences sexuelles, le guide de l’injonction de soins
8
met en garde contre le risque pour le médecin traitant d’adopter des attitudes nuisant à la
prise en charge comme par exemple « des difficultés d’empathie » ou un « risque de
fascination ».
4.3. La relation thérapeutique
4.3.1. Généralités sur la relation thérapeutique
La relation thérapeutique fait partie du soin, c’est la base de notre profession.
Selon le dictionnaire Le Petit Larousse, le terme « relation » est défini comme un « lien
existant entre des choses, des personnes » [4, p.873] c’est une « personne avec laquelle on
est en rapport » [4, p.873]. Dans un contexte thérapeutique lorsque l’on parle de relation
entre soignant/soigné, le terme « relation thérapeutique » est employé. Le soigné reçoit les
soins effectués par le soignant, il y a donc une interdépendance, un lien entre ces deux
personnes.
Selon G.N. Fisher, la relation se distingue par trois formes. La relation
interpersonnelle qui concerne la relation d’individu à individu. La relation organisationnelle
qui envisage la relation en fonction du rôle social que chacun joue dans la société. Enfin, la
relation sociale dans laquelle la relation avec les autres est guidée par « son appartenance à
une catégorie sociale » [5, p.44].
D'après E. Marc, « la communication est le passage obligé pour rentrer en relation
avec autrui » [6, p.47]. Elle peut être verbale ou non verbale. La communication verbale est
utilisée pour faire passer un message par le langage. Selon J-F. Dortier, la communication
non verbale « correspond d'abord à l'expression du visage et à la posture du corps que l'on
adopte » [6, p.7], elle « est en correspondance avec le message que l'on veut faire passer ;
mais parfois elle trahit celui qui parle » [6, p.7]. Finalement, la communication verbale et non
verbale doivent être maîtrisées et adaptées par le soignant pour entrer en relation.
Ainsi, selon C. Balier [7], l’écoute est la base de la relation soignant/soigné. Elle
permet d’établir une relation de confiance puis un choix thérapeutique. Un partage affectif se
met donc en place entre le soignant et le soigné. Il paraît donc évident qu’il est nécessaire
qu’une distance thérapeutique se fasse entre ces deux personnes pour que cette relation
reste professionnelle. En effet c’est au soignant de trouver la juste distance thérapeutique
9
avec le soigné. Chaque relation étant unique celui-ci doit s’adapter et veiller à ne pas être
trop proche ou au contraire trop distant. Ces deux comportements opposés peuvent nuire à
la relation construite entre les personnes et sont, selon C. Balier [7], des mécanismes de
défense auxquels le soignant aurait recours lors d’une situation de soins difficile. Le patient
peut également adopter des mécanismes de défense et par conséquent ne pas entrer en
relation avec le soignant, ce malgré une juste distance thérapeutique de la part de celui-ci,
impliquant ainsi une non adhésion au soin.
4.3.2. Ressource pour les soignants dans la prise en charge et la relation
d'auteurs de violences sexuelles
Les AVS doivent pouvoir accéder aux soins, chaque soignant a une obligation de
soins.
En ce qui concerne la mise en place d’une relation thérapeutique entre un soignant et un
AVS, chaque professionnel du soin va l’aborder de manière différente. Cependant la manière
d’entrer en relation avec un patient AVS peut dépendre des représentations personnelles du
soignant.
Ainsi, pour aider les professionnels soignants dans la prise en charge des AVS, le
plan de Santé mentale a préconisé la création de structures régionales : les Centres
Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violence Sexuelle. Selon le site du
CRIAVS Auvergne, ces centres ont été créés pour faire face aux « préoccupations
grandissantes, et justifiées, de la société et des scientifiques tant vis-à-vis des auteurs de
violences que des victimes d´agressions sexuelles. » [8]. Ils ont pour fondement la circulaire
du 13 avril 2006 numéro 2006-168 relative à la prise en charge des Auteurs de Violences
Sexuelles. Ils ont des missions de formation, de recherche, de prévention, d’animation du
réseau santé-justice, d’expertise et c’est également un centre de documentation.
10
4.4. Les représentations sociales
4.4.1. Généralités sur les représentations sociales
Le terme représenter vient du latin « repraesentare » qui signifier rendre présent. Selon le
dictionnaire Larousse, en philosophie, la représentation est « ce par quoi un objet est
présent à l'esprit " [9, p.839] et en psychologie, c'est « une perception, une image mentale,
etc., dont le contenu se rapporte à un objet, à une situation, à une scène, etc., du monde
dans lequel vit le sujet " [9, p.839].
La notion de représentations est introduite pour la première fois par É. Durkheim à travers
l'étude des religions et des mythes, il distingue alors représentations collectives et
individuelles. Ce concept est ensuite repris au XXeme siècle par Serge Moscovici. Selon lui,
les représentations sociales ont une double fonction : celle d'établir un ordre qui permette
aux individus de s'orienter et de maîtriser leur environnement et celle de faciliter la
communication entre les membres d'une communauté en leur donnant un code pour
désigner les différents aspects de leur monde. Le grand dictionnaire de la psychologie
précise que les représentations sociales sont « une façon de voir localement et
momentanément, partagée au sein d'une culture, qui permet de s'assurer l'appropriation
cognitive d'un aspect du monde et de guider l'action à son propos » [10, p.800].
Chaque individu, dès son plus jeune âge, entre dans un processus continu de socialisation
en adhérant à une culture et en intériorisant les normes et les valeurs propres à cette culture.
L'identité sociale se forge par l'intermédiaire d'agents de socialisation comme la famille,
l'école, les médias ou encore le travail. Ainsi, de manière souvent inconsciente,
l'environnement social favorise fortement nos pratiques. « Les représentations sont dites
sociales parce qu'elles sont socialement construites et transmises dès le plus jeune âge par
de multiples sources » [11, p.107].
Les valeurs, modèles ou idéologies véhiculés par le groupe d'appartenance de l'individu vont
lui permettre de construire ses propres représentations. Ces dernières vont pouvoir être
diffusées dans la société et guider l'action des individus mais elles détiennent d'autres
fonctions, définies par J.-C. Abric.
D'après cet auteur, les représentations sociales ont quatre grandes fonctions. Tout d'abord,
elles ont une fonction dite de savoir : « elles permettent de comprendre et d'expliquer la
réalité » [11, p.107]., elles rendent imagés des concepts utilisés pour construire la
représentation et rendent plus concrètes les nouvelles connaissances. Elles ont une fonction
11
identitaire : elles marquent l'appartenance sociale des individus à un groupe dans le sens où
chaque groupe à ses propres normes et valeurs et donc ses propres représentations
sociales. Elles créent donc du lien. Une troisième fonction est dite d'orientation : en effet les
représentations sociales ont une influence sur les comportements et les pratiques et sont
donc moteurs de conduites. Enfin, elles ont une fonction justificatrice : « elles permettent a
posteriori de justifier les prises de positions et les comportements » [11, p.108]. Ainsi, les
représentations sociales permettent aux individus de se distinguer par rapport à d'autres
idéologies et de maintenir leurs positions, en renforçant la position sociale du groupe.
Pour la sociologue D. Jodelet, la représentation « est une forme de connaissance
socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction
d'une réalité commune à un ensemble social. Également « désigné comme « savoir de sens
commun », « naturel » ou encore « naïf », cette forme de connaissance est distinguée de la
connaissance scientifique » [12, p. 7]. En ce sens, une représentation n'est pas une copie
de la réalité mais une reconstruction du réel, c'est une manière d'organiser notre
connaissance de la réalité.
4.4.2. Les représentations sociales liées aux auteurs de violences sexuelles
L'une des représentations principale que l'on retrouve dans notre société qualifie les
AVS de pervers. Selon S. Brochet, cela suppose que toute ambition thérapeutique est
inefficace car nous ne pouvons pas changer la structure d'une personne, or ce ne sont pas
tous des pervers de structure. Cependant, il n'est pas rare de voir dans les journaux,
étiqueté le mot « pervers » aux AVS. Par exemple, dans le quotidien La Voix Du Nord, on
pouvait lire en gros titre « A peine sorti de prison un pervers de nouveau mis en examen
pour agressions sexuelles » [13], on retrouve également ce mot dans le corps de cet article
« Un pervers sexuel présentant un niveau certain de « dangerosité » et « un risque important
de récidive » venait de sortir de prison » [13]. Cet exemple nous montre l'amalgame qui est
fait par les médias et véhiculé à la société.
Selon S. Brochet, ce sont des personnes qui sont stigmatisées aussi bien en milieu
ouvert qu'en milieu fermé. Les AVS peuvent être caractérisés de « malades »[1], de
« dangereux »[1], de « monstres »[1], de « récidivistes »[1]. En prison, ces détenus sont « à
contraindre et à punir » [1], ils sont soumis aux ordres voire même aux sévices. L'auteur
parle alors de « supplément de peine » [1], souvent ces personnes subissent des
représailles de la part des autres détenus engendrant de la violence physique et morale.
C'est pourquoi dans de nombreuses prisons les AVS sont mis à l'écart de la population
pénale pouvant aller jusqu'en cellule d'isolement. A l'extérieur, ils sont perçus comme une
12
menace sourde, imprévisible. Ils sont réputés comme récidivistes ce qui témoigne d'un
échec social à traiter les problèmes ou d'une inefficacité du système mis en place.
5. APPROCHE PRATIQUE
Nous avons effectué trois entretiens auprès d’IDE. L’IDE 1 qui est un homme exerçant
en milieu fermé psychiatrique depuis 5 ans et possédant une expérience de 10 ans de travail
en prison. L’IDE 2 est une femme exerçant en CMP, elle est diplômée infirmier de secteur
psychiatrique. L’IDE 3 est une femme exerçant en milieu carcéral depuis 5 ans. A noter que
l’entretien avec l’IDE 3 a été réalisé par courrier électronique face à la difficulté d’enregistrer
une personne en prison (interdiction de matériel enregistreur). Les annotations des propos
des IDE renvoient aux entretiens (E1 : entretien 1, E2 : entretien 2, E3 : entretien 3).
5.1. Auteurs de violences sexuelles et dispositifs de prise en charge
Lors des entretiens, nous avons retrouvé auprès des trois IDE interrogés, des
références à un parcours de vie difficile, faisant écho à nos recherches théoriques où l’on
retrouve des antécédents familiaux et environnementaux compliqués. L’IDE 1 nous parle
d’une relation où le patient « t’explique des histoires de sa vie qui sont pas toujours faciles »
[E1, p.4]. L’IDE 2 précise que selon elle 95% des AVS « ont eu une vie traumatique » [E2,
p.3]. Quant à l’IDE 3 elle pointe l’importance d’avoir des connaissances sur la vie du patient :
« parcours de vie, carences éducatives et affectives, maltraitance, violences… » [E3, p.1].
D’un point de vue clinique nous avons observé des similitudes entre les résultats de
nos recherches et les réponses des IDE. L’IDE 3 insiste sur l’importance d’avoir des
connaissances « d’ordre psychologique » [E3, p.1] pour « une meilleure prise en charge
globale du patient » [E3, p.1]. L’IDE 2 nous a fait part de son expérience auprès d’un patient
AVS « diagnostiqué psychotique et avec des gros troubles du comportement » [E2, p.2]. En
regard des apports théoriques apportés dans la première partie, on retrouve « une façon à
banaliser les choses » [E2, p.2] mais aussi la non-reconnaissance de « l’autre en tant que
sujet mais en tant qu’objet » [E2, p.2]. Selon l’IDE 3, en milieu carcéral les détenus AVS
n’ont parfois pas « conscience de la gravité des faits » [E3, p.4].
13
Dans les entretiens nous avons remarqué que les soignants abordent le caractère
multidisciplinaire de cette prise en charge spécifique, que ce soit en milieu ouvert ou en
prison. Ainsi les IDE 1 et 2 précisent l’importance des psychiatres et psychologues auprès de
ces patients, notamment pour aborder les faits commis : « toutes ces personnes sont
orientées soit vers le psychologue soit vers le psychiatre » [E1, p.2], « c’est plus du côté de
sa prise en charge avec son psychologue et son médecin psychiatre » [E2, p.9]. L’IDE 1
précise l’importance de tous les intervenants auprès des détenus en prison, comme les
travailleurs sociaux et les gardiens. En effet, la difficulté liée au caractère intrinsèque de la
prison comme lieu où l’on ne peut pas se déplacer librement nécessite la vigilance des tous
les intervenants [E1, p.9]. Il précise que « souvent y’a peut-être une attention particulière
pour ces gens là dans le sens où on garde un petit peu l’œil sur eux pour pas qu’ils se
fassent maltraiter quoi » [E1, p.9]. Cependant on note qu’à la question sur une éventuelle
différence de prise en charge entre un patient AVS et un autre patient, l’IDE 3 nous dit que
« la prise en charge et le parcours de soin sont les mêmes » [E3, p.2]
Concernant la spécificité de l’injonction de soins dans le cadre du suivi socio
judiciaire, nous avons remarqué dans certaines réponses que le lien entre les soins et la
justice est réalisé par les médecins. Par exemple, l’IDE 2 répond à la question sur l’injonction
de soins en CMP que « c’est plus au niveau médical et au niveau des psychologues » [E2,
p.11]. L’IDE 3 va dans ce sens également en précisant que dans le cadre d’une obligation de
soins « le psychiatre notera les absences aux rendez-vous » [E3, p.1]. Cela est en accord
avec le guide de l’injonction soins qui dit que les médecins et psychologue fournissent des
attestations. L’IDE 2, dans une situation où un patient en obligation de soins n’était pas venu
recevoir son traitement, a voulu entrer en contact avec son conseiller juridique pour le
prévenir. Le médecin qui suivait ce patient lui a rappelé qu’elle ne devait pas faire cela car
elle sortait de sa « dimension de soins » [E2, p.5]. L’IDE 2 précise que, d’après le médecin,
c’était à l’institution juridique de s’inquiéter de ce patient « parce-que l’obligation de soin elle
est médicale bien sûr mais elle est aussi juridique » [E2, p.5].
5.2. La relation
Les trois IDE sont unanimes pour dire qu’il est nécessaire d’avoir une approche
holistique du patient. En effet, l’IDE 1 nous dit « il faut que tu vois la personne dans son
ensemble » [E1, p.1], l’IDE 2 : « je pense qu’il ne faut pas la découper en tronçons » [E2,
p.10] et l’IDE 3 nous parle bien d’ « une prise en charge globale » [E3, p.1] puisée dans
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« des connaissances d’ordre psychologique, social, culturel et privé » [E3, p.1]. Cette
nécessité d’avoir des connaissances supplémentaires est pour l’IDE 2 primordiale car « c’est
quelque chose de très spécifique » [E2, p.3], elle raconte « s’être documentée dans cette
prise en charge en essayant de comprendre qu’est-ce qui se passait » [E2, p.3]. Elle nous
rappelle l’importance du cadre dans le soin relationnel, « je pense que le cadre est très
important […] quand je rencontrais ce monsieur je disais « voilà je viens vous rencontrer,
discuter un petit peu, avoir un entretien infirmier » et je lui donnais un temps « on va discuter
une demi-heure » par exemple » [E2, p.3]. Elle nous indique cependant qu’il n’y a pas de
différence dans le soin relationnel avec un patient AVS en précisant que « la relation, elle
n’est pas particulièrement porteuse d’autre chose parce que la personne a cette
problématique là » [E2, p.10].
A l’aide des recherches documentaires sur la relation, nous avons abordé la distance
relationnelle et les risques de détériorer une relation en étant trop proche ou a contrario trop
distant. Les trois IDE interrogés nous font part du professionnalisme inhérent à la fonction de
soignant. L’IDE 1 précise que « dans n’importe quel service où tu travailles c’est ça le côté
professionnel […] à un moment y’a une barrière à pas franchir » [E1, p.10]. Il met en garde
contre les risques d’être trop proche d’un patient et les conséquences que cela peut
avoir : « autrement tu peux plus soigner » [E1, p.10]. A l’inverse, l’approche théorique nous
rappelle qu’il ne faut pas être trop distant du patient. Cependant l’IDE 3 n’hésite pas à se
montrer plus distante avec un patient AVS : « je vais avoir moins d’empathie sur certaines
situations de soins » [E3, p.1], « mise à distance défensive pour un patient n’ayant pas
conscience de la gravité des faits » [E3, p.4]. Pour elle son inconscient influe sur la relation,
elle précise « être au courant que le patient est un AVS va forcément jouer sur nos
agissements et/ou nos paroles, même indirectement » [E3, p.3]. C’est « l’expérience » et « la
maturité » [E2, p.10] qui selon l’IDE 2, vont aider le soignant à trouver la juste distance
relationnelle avec un AVS. Elle rejoint cette notion d’inconscient agissant sur la
communication verbale et non verbale, pour elle « on n'est pas maître de toutes nos
paroles » [E2, p.10]. Pourtant l’approche théorique indique qu’une distance relationnelle
perturbée est nuisible à la relation.
L’écoute permet d’établir une relation de confiance. Dans le cadre spécifique du
milieu carcéral, l’IDE 1 précise : « au début tu le vois comme délinquant sexuel, tu sais qu’il
va rester […] t’oublies un peu ce qu’il a fait tu le vois en temps que personne » [E1, p.4].
Pour lui, la prison est vecteur de relation de confiance durable : « ça peut devenir une
relation qui […] peut devenir plus forte que dans certains services » [E1, p.4] et les faits
commis s’estompent au profit de l’homme : « tu vois l’homme, plus ce qu’il a fait. » [E1, p.4].
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En ce sens, il nous rappelle qu’il s’agit d’êtres humains avant tout [E1, p.4] qu’il faut
respecter : « il y a un respect des personnes » [E1, p.3]. L’IDE 2 rappelle la notion
d'objectivité dans la relation soignant soigné. Pour elle, il ne faut pas « avoir de jugements
arrêtés » [E2, p.8]. Cependant le soin relationnel est pour l’IDE 2 un travail intense dans
lequel on ne peut travailler seul [E2, p.11]. Il est primordial d’avoir recours au travail en
équipe pour en parler : « c’est l’importance du tiers » [E2, p.11].
5.3. Les représentations sociales
Dans la théorie nous avons vu qu'il y avait de nombreuses représentations sur les
AVS.
On retrouve dans les entretiens des représentations des soignants, elles sont parfois
exprimées clairement. Deux IDE sur trois emploient le mot « croyance » pour parler des
représentations, l'IDE 3 dit que « les croyances peuvent prendre le dessus sur l'objectivité »
[E3, p.2], ce qui est confirmé par l'IDE 3 « impossibilité de ne pas être complètement
influencé par les croyances populaires » [E2, p.7]. Cependant, seule l'IDE 2 émet l'idée
qu'un lien existe entre les connaissances et les représentations. Dans deux entretiens nous
retrouvons même des croyances propres aux IDE interrogés. L'IDE 1 pense que la prise en
charge des AVS est plus difficile pour les femmes lorsque ce sont « des histoires de viols »
[E1, p.2]. L'IDE 2 fait une distinction entre les différentes agressions sexuelles et leur gravité,
par exemple elle parle d'un patient prit en charge au CMP « il a pas fait d'agression sexuelle,
je veux dire entre guillemets grave, type viol » [E2, p.1].
L'IDE 1 parle de difficultés supplémentaires en prison, les « délinquants sexuels et
ben ils restent au fond de leurs cellules et puis ils bougent pas quoi. Et ça c’est la pire des
choses tu vois quoi » [E1, p.9] parlant dans ce cas de « double peine » [E1, p.9]. Ce qui fait
donc écho à la théorie, la psychologue S. Brochet appelait ça le « supplément de peine ».
L'IDE 2 pense qu'il peut être difficile de prendre en charge des AVS pour certains soignants,
« certains me disaient « ah ben moi je pourrais pas parce que j'ai des représentations
familiales, parce que voilà les enfants c'est sacré » » [E2, p.5], mais elle dit également qu'il
« faut aller plus loin que cela » [E2, p.5]. L'IDE 1 pense que « dans chaque humain il y a
quand même quelque chose de bon quoi ! » [E1, p.6]. L'IDE 2 dit que « les auteurs comme
les victimes sont des gens en souffrance » [E2, p.5]. Cependant elle est consciente que peu
de personnes comprennent que ce sont des personnes qui souffrent « c'est difficile de faire
passer ce message, c'est difficile de dire « un pédophile c'est quelqu'un qui souffre », on va
vous rire au nez en vous disant « mais ça va pas la tête c'est un salop [...]» [E2, p.7].
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D'ailleurs elle fait référence aux médias en disant « on les fait passer pour des monstres »
[E2, p.6], ce qui rappelle la théorie. On retrouve une idée commune aux IDE 2 et 3
concernant la distance physique. Elles parlent toutes deux de leur crainte d'avoir certains
gestes équivoques, selon elles cette prise en charge est différente d'autre prise en charge
« il faut faire attention » [E3, p.3].
En analysant les entretiens, nous nous sommes aperçus que de nombreux propos
portent sur la connaissance ou non des faits commis par les AVS, et évidemment leur
influence sur la prise en charge. L'IDE 1 nous dit que connaître les faits « aide à la prise en
charge », il ajoute que celle-ci sera « différente selon les faits ». [E1, p.1]. Pour l'IDE 2, la
prise en charge lorsque l'on sait que le patient est un AVS questionne, « c'est toujours un
débat […] un peu passionné […] c'est inévitable » [E2, p.6]. Cependant même si « on ne
peut pas se détacher » [E2, p.6] des faits, cela n'influence pas la relation selon elle. L'IDE 3
pense que la connaissance des faits commis par un patient influence sa prise en charge,
« notre inconscient travaille quoi qu’il arrive et nous ne pouvons pas nous empêcher de
penser, puisque c’est ce qui caractérise l’être humain […]. Être au courant que le patient est
un AVS va forcément jouer sur nos agissements et/ou nos paroles, même indirectement. Ce
serait une illusion que de se convaincre du contraire » [E3, p.3].
Nous devons donc parler d'impartialité dans les soins. L'IDE 3 dit avoir moins
d'empathie envers les AVS, elle nous donne un exemple pour illustrer ses propos « si un
patient pleure car il a interdiction de voir ses enfants, qu’il aurait violés » [E3, p.1]. Elle sera
moins tolérante par rapport à « un patient qui se confiait sur l’amour qu’il portait à la fille de
13 ans de ses amis, qu’il avait violée et qu’il comptait retrouver à sa sortie car c’était la
femme de sa vie ! » [E3, p.2], par exemple. Malgré cela, elle « essaye d’être au maximum
équitable » [E3, p.3]. Les IDE 1 et 2 se rejoignent sur ce sujet et s'accordent à dire qu'il ne
faut pas être dans le jugement. L'IDE 1 dit très clairement « on est là pour soigner, on n'est
pas là pour juger » [E1, p.1]. Pour lui il faut voir la personne « dans son ensemble […] y’a
pas de différences ». L'IDE 2 nous explique qu'elle « essaye le plus possible de ne pas avoir
de jugements arrêtés » [E2, p.8].
Finalement, au delà des représentations, on retrouve les émotions, l'IDE 2 pense que
certains refus de prise en charge d'AVS sont liés à la peur « j'ai des collègues qui m'ont dit «
oh non moi j'irai jamais en prison, je serais pas à l'aise, j'aurais peur» » [E2, p.6]. Il lui est
arrivé une fois d'être mal à l'aise avec un patient « j’étais toute seule dans un bureau avec
lui. […] Et il s’est passé quelque chose de très bizarre […]. Et moi ce jour là je l’ai mal perçu.
J’ai eu peur. En fait je pense que j’ai vraiment eu peur. » [E2, p.8].L'IDE 3 se sent concernée
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par la récidive, elle a peur que cela arrive une fois qu'ils sortent de prison et « par extension
qu'ils pensent éventuellement à moi » [E3, p.3]. Nous avons donc remarqué que les
émotions entrent en jeu dans la prise en charge des AVS.
6. CONCLUSION ET PROBLEMATIQUE
Après ces quelques mois de travail sur ces sujets vastes et compliqués que sont les
AVS et les représentations sociales, nous pouvons conclure que les représentations qu'en a
la société sont unanimement négatives. Il s’agit, comme nous le dit l’IDE 2, de la « violence
de l’intime » [E2, p.3], source de peur et de colère. Les faits commis par les AVS ébranlent
les valeurs profondes des citoyens. Le projet de loi du 9 octobre 2013 que nous abordions
en introduction tente d’amener des réponses supplémentaires à la privation de liberté et
cherche à prévenir la récidive dans le but d’éviter de nouvelles victimes. Dans ce cadre, une
nouvelle peine est proposée : la contrainte pénale dans laquelle on retrouve l’obligation de
suivre des soins. Cela amène le soignant au cœur du projet de loi.
Nous avons cherché à savoir comment un soignant, avec ses propres représentations, entre
en relation avec une personne diabolisée par la société. Les trois IDE que nous avons
interrogés travaillent ou ont travaillé avec des AVS, essentiellement par le biais du milieu
carcéral. Tous trois n’ont pas la même vision du sujet mais nous avons pu observer certains
points communs. Il est nécessaire de se préparer à la rencontre d'un AVS, avec des
connaissances mais aussi en maîtrisant la distance relationnelle. Il convient de rester objectif
dans une posture soignante malgré le ressenti éprouvé par le soignant en regard des faits
commis. C’est pour les trois IDE un savoir être professionnel. Malgré cela, certaines craintes
demeurent, celles de gestes équivoques envers des soignantes femmes par exemple.
La réalisation de ce travail nous a apporté d’autres interrogations. En premier lieu, la variable
judiciaire de notre question de départ ne nous semble plus pertinente à l’issue du travail. En
effet, nous avons remarqué que les IDE rencontrent plutôt les AVS en prison. Cela n’est pas
une généralité puisque l’IDE 2 a travaillé avec un AVS en CMP. Cependant, les spécificités
du suivi socio judiciaire concernent essentiellement les médecins. L’infirmier apporte bien
des soins dans ce cadre là, mais pour lui ils ne diffèrent pas d’une autre prise en charge.
En second lieu, nous nous sommes entretenus avec trois personnes aguerries à la relation
avec des AVS. Nous avons obtenu des témoignages similaires malgré quelques différences
notamment de la part de l’IDE 3. Cependant nous pouvons nous interroger sur la teneur des
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réponses qu’aurait eu un IDE de secteur conventionnel ou psychiatrique non habitué et non
préparé à la prise en charge d’AVS. Cela apporterait un éclairage sur l’importance de la
démarche du soignant. Les IDE que nous avons rencontrés ont fait la démarche de travailler
avec des patients en milieu carcéral. Quelles peuvent-être les représentations d’un soignant
non préparé à ce type de prise en charge en secteur conventionnel par exemple ?
Enfin, nous avons remarqué une utilisation fréquente de vocabulaire appartenant au champ
lexical de la peur. Nous nous sommes questionnés sur l’influence des émotions primaires
telles que la peur, le dégoût ou encore la colère. Selon le Petit Robert, une émotion est une
« réaction affective, en général intense, se manifestant par divers troubles, surtout d’ordre
neuro-végétatif (pâleur ou rougissement, accélération du pouls, palpitations, sensations de
malaise, tremblements, incapacité de bouger ou agitation) » [14, p 637]. Dans quelle mesure
une réaction affective intense telle qu’une émotion va perturber le professionnalisme d’un
soignant ? D’autant plus si le stimulus affectif est un patient AVS véhiculant des
représentations sociales imprégnées de peur, de dégoût et de colère ?
En ce sens nous pouvons formuler une question de recherche :
En quoi les émotions d’un infirmier interfèrent-elles dans la relation soignant soigné avec un
auteur de violences sexuelles ?
BIBLIOGRAPHIE
1. BROCHET Sylvie. La prévention et la prise en charge des auteurs d’infractions à
caractère sexuelles. Paris : Diplôme d’université santé publique en milieu
pénitentiaire, 2013, 122 p.
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Baumettes, 76 p.
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http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_injonction_de_soins.pdf.
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(consulté le 25/04/2014)
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10. TAMISIER, J.-C. Grand dictionnaire de la psychologie, Paris : Larousse, Bordas,
1990, 1064p.
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supérieur, 2005, 160 p.
12. DANTIER, B. Représentations, pratiques, société et individus sous l'enquête des
sciences sociales: Denise Jodelet, les représentations sociales [en ligne]. Disponible
sur : http://classiques.uqac.ca/. (consulté le 13/02/20014)
13. La Voix du Nord. A peine sorti de prison, un pervers de nouveau mis en examen pour
agressions sexuelles [en ligne]. Disponible sur :
http://www.lavoixdunord.fr/actualite/L_info_en_continu/Artois/2011/02/15/article_apeine-sorti-de-prison-un-pervers-de-no.shtml
(consulté le 31/03/2014)
14. Petit Robert. Paris : Le Robert, 1987, 2171p.
LOOKING AFTER SEX OFFENDERS
When a nurse works in jail he has to deal with sex offenders among all prisoners. Society
has an absolute horrific image about sex offenders. It calls them monsters. However sex
offenders as sick people need cares. With this work we have searched to know how a nurse
can take care of persons everybody call monsters and how a nurse can deal with his own
sex offenders’ representations and his mission: taking care?
Firstly we have worked on a personnel experience in nurse internship. We have written down
a lot of questions about the situation and a primary question about the subject we have
wanted to work. Secondly we have read many documents like books, periodical press and
internet publications about sex offenders, social representations, relationships and judicial
aspects like order of care. After getting informations we have met three nurses who have
work with sexual offenders.
Then we have started to write and confront our readings with nurses’ answers. Nurses may
be offended by sex offenders but they have knowledge and they want to do their job as best
as possible. They have to be professional even if their personal values are struck.
To conclude taking care of sex offenders is a difficult mission because of our representations
and society’s influence. Many people are afraid of sex offenders. Fear is an uncontrollable
emotion. So can we think about the implication of emotions like fear, disgust or angry in work
with sex offenders?
S’OCCUPER DE DELINQUANTS SEXUELS
Lorsque qu’un infirmier travaille en prison il doit, parmi tous les prisonniers prendre en
charge des délinquants sexuels. La société véhicule une image horrifique des délinquants
sexuels. Ils sont appelés monstres. Ce sont cependant des malades qui nécessitent des
soins. Avec ce travail nous avons voulu savoir comment un infirmier peut prendre soins
d’une personne que tout le monde nomme monstre et comment un infirmier peut-il conjuguer
ses propres représentations des délinquants sexuels et sa mission : prendre soin ?
Dans un premier temps nous avons travaillé sur une situation vécue en stage. Nous avons
écris des questions en lien avec cette situation et une question de départ sur le sujet que
nous voulions travailler. Dans un second temps nous avons lu des livres, articles de
périodiques et publications internet sur les délinquants sexuels, les représentations sociales,
la relation et l’injonction de soins. Suite à cette exploration théorique nous avons rencontré
trois infirmiers qui ont travaillé avec des délinquants sexuels.
Ensuite nous avons commencé à rédiger en confrontant nos lectures et les trois
témoignages. Les infirmiers peuvent être offensés par ces patients mais ils ont la possibilité
d’acquérir des connaissances. Ils souhaitent faire leur travail de la meilleure façon possible.
Ils doivent être professionnels même si leurs valeurs personnelles sont heurtées.
Pour conclure nous pouvons dire que prendre soins de délinquants sexuels est une mission
difficile à cause des représentations et de l’influence de la société. De nombreuses
personnes ont peur des délinquants sexuels. La peur est une émotion incontrôlable. Nous
pouvons donc réfléchir à l’implication des émotions comme la peur, le dégoût ou la colère
dans le travail avec des délinquants sexuels ?