Dossier Un tableau de Philippe de Champaigne

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Dossier Un tableau de Philippe de Champaigne
Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
Dossier pédagogique / Septembre 2012
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Exposition Les couleurs du Ciel. Peintures des églises de Paris au XVII siècle
(Oct.2012 – Fév. 2013)
Un tableau de Philippe de Champaigne
Dieu le Père créant l’univers matériel,
vers 1633
Figure 1 CHAMPAIGNE (Philippe de) 1602-1674, Dieu le Père créant l'univers matériel. Vers 1633. Huile sur toile. 220x175 cm.
Musée de Rouen.
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Exposition Les couleurs du Ciel. Peintures des églises de Paris au XVII siècle
(Oct.2012 – Fév. 2013)
Introduction : analyse comparative de deux tableaux
Observez ces deux images. Que représentent-elles ?
Dans le premier tableau, Philippe de Champaigne1 montre une assemblée d’anges en train de
chanter et de jouer de la musique, tandis que Dieu le Père auréolé de lumière apparaît dans les
nuages. Le deuxième tableau exécuté par Honthorst2 représente des chanteuses et des
musiciennes dans une sorte de loge pourvue de rideaux. Au-dessus d’elles, volent deux amours
portant une couronne de lauriers.
Figure 2 VAN HONTHORST (Gerrit, dit Gérard de la Nuit) 1624, Le concert . 1624. Huile sur toile. 168 cm x178 cm. Louvre.
Quelles sont les couleurs ?
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CHAMPAIGNE (Philippe de) 1602-1674, Dieu le Père créant l'univers matériel. Vers 1633. Huile sur toile. 220x175 cm.
Rouen.
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VAN HONTHORST (Gerrit, dit Gérard de la Nuit) 1624, Le concert. 1624. Huile sur toile. 168 cm x178 cm. Louvre.
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Les deux tableaux sont conçus selon une harmonie de jaune et de bleu, ponctuée de rose. Mais
alors qu’Honthorst utilise le rouge et le noir comme contrepoints, Champaigne donne plus
d’importance aux tons froids des bleus et aux surfaces jaunes.
Quelle est la composition ?
Les deux peintres disposent leurs formes selon une ellipse. Honthorst réunit ses personnages à un
balcon contrastant avec l’obscurité striée de l’oblique rouge d’un instrument de musique. Les anges
de Champaigne semblent former une ronde autour du buste de Dieu le Père. A gauche l’oblique
d’un luth répond à l’arc de cercle du bras de Dieu et à celui de l’ange de droite.
Quelles sont les expressions des personnages ?
Les cinq jeunes femmes d’Honthorst sont joyeuses. Représentées avec un réalisme probablement
hérité du Caravage3, elles prennent manifestement plaisir à chanter et à jouer avec entrain. Deux
d’entre elles particulièrement souriantes regardent le spectateur et semblent l’inviter à participer
au concert. Pendant ce temps les deux amours dansent dans les airs. Les anges de Champaigne
sont plus sérieux. Certains prennent la pose, en prière ou même en adoration. L’un d’eux baisse les
yeux, absorbé par sa lecture, un autre à gauche regarde vers les cieux tout en jouant avec
application. Seul un ange vers le centre de l’œuvre regarde dans la direction du spectateur, mais
avec son regard fixe il reste dans ses pensées.
Quel est le point de vue choisi par les peintres ?
Qu’ils soient dans une loge de théâtre comme les musiciennes d’Honthorst ou dans les nuées
comme les anges de Champaigne, les personnages dominent le spectateur. Ils sont vus en contreplongée. A l’angle droit du tableau flamand, la position de la joueuse de luth assise sur la
balustrade renforce l’impression de trompe-l’œil de cette œuvre probablement prévue pour être
accrochée au-dessus d’une cheminée. Le point de vue participe au réalisme de cette scène
théâtrale. Chez Champaigne, nous retrouvons le même point de vue en contre-plongée, mais sa
signification est assez différente : cette trouée dans les nuages nous laisse entrevoir les Cieux.
Comment procède Champaigne ? Ce tableau est-il représentatif de son œuvre ?
Philippe de Champaigne est aujourd’hui surtout connu pour ses portraits pénétrants et ses
peintures religieuses empreintes d’une austérité classique. Mais né et formé à Bruxelles, il se fixe à
Paris, où il complète sa formation dans l’atelier de Lallemand4. Il commence sa carrière en puisant
partout de multiples influences : ses sources flamandes et la peinture en vogue à Paris. Même s’il
n’est jamais allé en Italie, il en connaît pourtant les courants : le baroque5, le caravagisme et le
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LE CARAVAGE (1571-1610), peintre italien connu pour son luminisme, son émouvant clair-obscur, et pour son réalisme.
LALLEMAND (Georges) V.1575-1636), peintre français auteur par exemple de Echevins de Paris (1611, Musée Carnavalet). Il tenait à Paris un important atelier fréquenté par Poussin
et La Hyre.
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L’art baroque : ce style dynamique (étymologiquement irrégulier) se développe en Italie et domine l’Europe du XVII siècle.
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classicisme des Carrache6…De la peinture française il retiendra une certaine rigueur classique peutêtre acquise par la fréquentation de Poussin7. Pourtant ce tableau date de sa jeunesse, d’une
époque où il s’essaye à plusieurs styles et où il revient parfois à son fonds flamand.
1. Invention et tradition chez Philippe de Champaigne
Né à Bruxelles et formé auprès du paysagiste Fouquières8, Philippe de Champaigne s’est imprégné
de la peinture flamande. Mais il est néanmoins curieux des courants contemporains en particulier
de la peinture italienne. C’est d’ailleurs dans le projet d’un voyage en Italie qu’il arrive à Paris en
1621. De retour à Bruxelles, il est rappelé à Paris par la reine mère Marie de Médicis9, dont il reçoit
la charge de peintre ordinaire. Il sera apprécié aussi de Louis XIII 10 et de Richelieu11. Des Pays-Bas,
Champaigne retient le goût pour le métier pictural attentif au rendu des matières, des drapés
soyeux. Certes son œuvre atteint des sommets avec ses portraits de religieuses ou de directeurs de
Port-Royal12. Leur intériorité est empreinte de réserve, de clarté classique, de spiritualité, voire
même d’austérité. Mais Dieu le Père créant l'univers matériel est une toile datant de sa jeunesse,
où il essaye plusieurs manières, ici le style de cet ancien disciple du Caravage. Honthorst garde de
l’artiste italien le réalisme, le fond sombre et la théâtralité. Champaigne conserve cet effet théâtral
ainsi que la somptuosité des étoffes, mais il tempère la joie bruyante de ce concert. Ce tableau est
marqué par le baroque tempéré typique de sa jeunesse.
Attiré par la spiritualité et soucieux de respecter les recommandations du Concile de Trente13,
Champaigne y est attentif, lorsqu’il représente Dieu le Père. Mais la position des doigts de la main
droite de Dieu est très particulière. En effet elle suit la symbolique des nombres d’un ouvrage
intitulé, les Hiéroglyphiques de Pierius14. Elle désigne les nombres deux et cent, qui symbolisent la
Matière et la Puissance associées à la Raison et à la Perfection. Ainsi ce tableau pourrait montrer
Dieu le Père créant le monde, évènement célébré par un concert d’anges.
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CARRACHE (Agostino) 1557-1602 (Hannibale) 1560-1609, ces deux frères sont les fondateurs à Bologne d’une académie très influente.
POUSSIN (Nicolas) 1594-1665, peintre français ayant vécu une grande partie de sa vie à Rome, prestigieux représentant du classicisme.
8 FOUQUIERES (Jacques), v. 1580 ou 1590-1569, formé sous l’influence de Jan Bruegel, il réalisa des vues de villes pour le Louvre.
9 MEDICIS (Marie de) 1575-1642, issue de la fameuse famille de banquiers florentins, devint reine de France par son mariage avec Henri IV.
10 LOUIS XIII 1601-1643, fils de Marie de Médicis et d’Henri IV, roi de France de 1610 à 1643.
11 RICHELIEU (Armand Jean du Plessis, cardinal de) 1585-1642, ecclésiastique et principal ministre de Louis XIII.
12 Port-Royal : cette abbaye de femmes devint un foyer janséniste avec la présence de l’abbé de Saint-Cyran, Pascal et mère Angélique Arnauld. La fille du peintre, Catherine de
Champaigne, devint religieuse dans cette abbaye.
13 Concile de Trente : destiné à restaurer l’unité de l’Eglise catholique face au protestantisme, ce concile se tint dans la ville italienne de Trente jusqu’en 1563 et fixa les dogmes
religieux, en particulier pour la représentation artistique.
14 Les Hiéroglyphiques de Pierus : ouvrage de l’humaniste Giovanni-Pietro Valeriano, publié à Bâle en 1556, que Champaigne possédait dans sa bibliothèque.
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2. Poème et chansons
ANGES MUSICIENS
Yavait un, yavait deux, yavait trois p'tits anges!
Yavait quatre, yavait cinq, yavait six p'tits anges!
Yavait sept, yavait huit, yavait neuf p'tits anges!
Yavait dix p'tits anges qui chantaient!
Qui chantaient l'matin du dimanche,
Qui chantaient l'dimanche au matin!
(Vite, vite, qu'on soit dimanche matin!)
Yavait onze, yavait douze, yavait treize p'tits anges!
Yavait quatorze, yavait quinze, yavait seize p'tits anges!
Yavait vingt p'tits anges qui chantaient!
Qui chantaient l'matin du dimanche,
Qui chantaient l'dimanche au matin!
Marguerite Yourcenar, Fleuve profond, sombre rivière, Les "Negro Spirituals", commentaires et
traductions, Poésie/Gallimard, 2005, p 148.
LES ANGES.
A midi les anges mangent,
Sur la nappe de l’azur
La resplendissante orange
Du soleil bien mûr,
Quand le repas est fini
C’est la nuit, c’est la nuit.
A minuit les anges lavent
Leurs grandes ailes dorées
A la fontaine suave
De la voie lactée
Quand le dernier sort du bain.
C’est le matin, c’est le matin.
Au printemps les anges volent
Comme de jolis papiers
En laissant leurs auréoles
Tomber à leurs pieds. (…)
Quand le bon Dieu nous sourit
C’est la vie, c’est la vie
C’est la vie, c’est la vie.
Claude Nougaro.
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LE COMBAT AVEC L’ANGE.
N’y va pas
tout est combiné d’avance
le match est truqué
et quand il apparaîtra sur le ring
environné d’éclairs de magnésium
ils entonneront à tue-tête le Te Deum
et avant même que tu te sois levé de ta chaise
ils te sonneront les cloches à toute volée
ils te jetteront à la figure l’éponge sacrée
et tu n’auras pas le temps de lui voler dans les plumes (…)
Jacques Prévert. Paroles.
AUX ANGES QUI NOUS VOIENT
- Passant, qu'es-tu ? je te connais.
Mais, étant spectre, ombre et nuage,
Tu n'as plus de sexe ni d'âge.
- Je suis ta mère, et je venais !
- Et toi dont l'aile hésite et brille,
Dont l'oeil est noyé de douceur,
Qu'es-tu, passant ? - Je suis ta sœur.
- Et toi, qu'es-tu ? - Je suis ta fille. (….)
Victor Hugo. Les contemplations.
QUESTIONS
1. Parmi ces poèmes ou ces chansons, choisissez un texte et lisez-le à haute voix.
2. Quel rapport ce texte entretient-il avec le tableau de Champaigne ? Trouve-t-on des
similitudes, des différences ?
3. Connaissez-vous un tableau, qui correspondrait mieux avec certains textes ? Les anges
musiciens de Melozzo da Forli (1438-1494), ceux de Van Eyck dans le polyptyque de
l’Agneau mystique (1432) ou enfin La Lutte de Jacob avec l’ange de Delacroix peinte pour
la chapelle des Anges de l’église Saint-Sulpice en 1861.
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ARTS PLASTIQUES
1. Imaginez le tableau de Champaigne en volume. Trouvez divers matériaux de récupération
et travaillez en 3 D en tentant de rester fidèle à la composition. Comment présenteriezvous votre sculpture pour rendre l’effet de contre-plongée ? Puis regardez les œuvres
comportant des ailes géantes de l’artiste contemporain allemand Anselm Kiefer.
2. Transposez tous les personnages du tableau de Champaigne dans un tondo, comme ces
tableaux de forme circulaire appréciés à la Renaissance. Observez ce que vous avez été
conduit à modifier.
Bibliographie et liens
-ALLEN (Christopher), Le grand siècle de la peinture française (Londres, 2003, éd. Thames et
Hudson).
-ARGAN (Julio Carlo), L’Europe des capitales 1600-1700, Genève, 1964, éd. Skira.
- DORIVAL (Bernard), Catalogue, Philippe de Champaigne, Paris, 1952, Musée de l’Orangerie.
-FUMAROLI(Marc) L’école du silence. Le sentiment des images au XVIIe siècle (Paris, 1998, éd.
Flammarion).
-GIORGI (Rosa), L’Art au XVIIe siècle (trad. de l’italien, Paris, 2008, éd. Hazan)
-KAZEROUNI (Guillaume), Peintures du XVIIe des églises de Paris, revue Dossier de l’Art, n°149, févr.
2008, Dijon, éd. Faton.
-La peinture française du XVIIe siècle dans les collections américaines, catalogue, commissaires
Pierre Rosenberg et Sir John Pope-Hennessy, 1982, Paris, Grand Palais.
-MEROT (Alain), La peinture française au XVIIe siècle, Paris, 1994, éd. Gallimard/ Electa.
- Philippe de Champaigne 1602-1674. Entre politique et dévotion. Catalogue, sous la direction
d’Alain Tapié et de Nicolas Sainte Fare Garnot. 2007, Palais des Beaux-arts de Lille.
-THUILLIER (Jacques) et CHÂTELET (Albert), La peinture française de Le Nain à Fragonard, Genève,
1964, éd. Skira.
-http://www.rouen-musees.com/Musee-des-Beaux-Arts/Les-collections/Le-grand-siecle-francaisDieu-le-Pere-creant-l-univers-materiel
-Sur les chansons : -http://gouttedeau.blog.lemonde.fr/2012/01/09/negro-spirituals-margueriteyourcenar-emily-loizeau/
-http://www.jukebo.fr/claude-nougaro/clip,les-anges,qpv85s.html
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