rafle du vel` d`hiv`

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rafle du vel` d`hiv`
RAFLE DU VEL' D'HIV'
Article écrit par Denis PESCHANSKI directeur de recherche au C.N.R.S., docteur en Histoire
Les 16 et 17 juillet 1942, près de treize mille Juifs (pour la plupart étrangers) sont arrêtés dans le ressort du
Gross-Paris. Tandis que les célibataires et les couples sans enfants sont directement emmenés au camp
d'internement de Drancy, en banlieue nord-est, les familles, soit plus de huit mille hommes, femmes et enfants,
sont détenues un temps au vélodrome d'hiver de Paris (situé rue Nélaton, dans le XVe arrondissement), avant
d'être transférées dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret). Tous seront déportés à
Auschwitz-Birkenau d'où, pour la plupart, ils ne reviendront pas (sur les 75 000 Juifs au total déportés de
France, moins de 2 500 sont revenus).
Cette vaste opération (dont le nom de code était Vent printanier) voulue par les Allemands et exécutée par la
police française, est restée dans les mémoires sous le nom de « rafle du Vel' d'Hiv' ». Elle marque les débuts de
la mise en œuvre de la solution finale en France. De premiers convois étaient partis vers l'est dès la fin de mars
1942, mais ils répondaient davantage à une logique de représailles. La grande rafle, quant à elle, s'inscrit dans
le projet, élaboré par les nazis, de déportation et d'extermination des Juifs d'Europe. Par souci d'efficacité, les
autorités allemandes ont décidé de prendre appui sur l'État français.
La rafle de juillet 1942 scelle une nouvelle étape dans la collaboration. De fait, c'est la police municipale
parisienne qui opère les arrestations et des bus de la Société des transports en commun de la Région
parisienne (S.T.C.R.P.), depuis peu fusionnée avec la Compagnie du métropolitain de Paris (C.M.P.), qui
transportent les personnes arrêtées. Le chef du gouvernement, Pierre Laval, a délégué son secrétaire général à
la Police, René Bousquet, pour négocier. Au début de l'été, celui-ci s'engage auprès de Karl Oberg, chef
suprême de la SS et de la police de sûreté en France occupée, à ce que la police française procède aux
arrestations des Juifs en zone occupée et en zone libre ; il obtiendra, en échange d'un investissement plus
systématique dans la répression et la persécution (contre les résistants, les Juifs...) une plus grande autonomie
pour ses services. On retrouve là un des moteurs de la politique vichyste, à savoir la volonté d'affirmer
l'autorité de l'État français sur l'ensemble du territoire, zone occupée comprise, quitte à prendre en charge la
réalisation des objectifs de l'occupant. Vichy a donc négocié la livraison des Juifs étrangers (y compris les
enfants mineurs nés en France). L'antisémitisme et la xénophobie des milieux dirigeants français expliquent
donc aussi cette décision qui renvoie cependant, pour beaucoup, à un autre calcul. Pour Laval, en effet, il s'agit
d'assurer la position de la France dans une Europe qui ne peut être à ses yeux que nazie. Fort de cette
conviction, il pense pouvoir jouer avec Hitler en lui offrant ainsi l'une de ses cartes maîtresses.
De la sorte, Vichy accepte d'imbriquer sa logique d'exclusion, dans laquelle s'inscrivait son antisémitisme
d'État, dans la logique de déportation nazie. C'est une étape décisive dans l'histoire des Juifs vivant en France
(français et étrangers) qui se trouvent ainsi confrontés au danger de mort. Cependant, alertés qui par des
résistants, souvent communistes, qui par des policiers, ils sont nombreux à échapper à la rafle du Vel' d'Hiv', le
nombre d'arrestations étant bien moindre qu'espéré par les autorités, qui s'appuyaient sur le fichier de la
préfecture de police (constitué à partir d'un recensement de la population juive de la région parisienne) dont
on avait extrait vingt-sept mille fiches, soit le double du résultat obtenu.
Enfin, la rafle marque un moment décisif dans l'état de l'opinion publique telle qu'on peut la reconstituer en
particulier à travers les rapports des renseignements généraux et des préfets. Longtemps indifférente au sort
des Juifs touchés par les persécutions, l'opinion n'accepte pas l'ostracisme symbolisé par le port de l'étoile
jaune, rendu obligatoire en zone Nord depuis le 29 mai 1942, et moins encore le spectacle ou le récit des
arrestations et des déportations des familles. Cette réaction de l'opinion, générale en France, et la volonté de
survie des Juifs eux-mêmes expliquent pourquoi trois quarts des Juifs de France ont pu échapper à la
déportation et, donc, à la mort.
Pendant des décennies, la mémoire de cette déportation a été comme oblitérée. Il faut attendre le milieu des
années 1980 pour voir s'opérer un renversement du registre mémoriel, le sort des Juifs de France occupant une
place de plus en plus prépondérante dans la mémoire sociale de la guerre. Les plus hautes autorités de l'État
accompagnent et amplifient ce mouvement, tel le président François Mitterrand qui, en février 1993, instaure
le 16 juillet « journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous
l'autorité de fait dite gouvernement de Vichy (1940-1944) », tandis que, dans un discours au grand
retentissement prononcé le 16 juillet 1995, son successeur, Jacques Chirac, reconnaît notamment la
responsabilité de l'État français dans la déportation.
Denis PESCHANSKI directeur de recherche au C.N.R.S., docteur en Histoire
Bibliographie
•
S. KLARSFELD, La Shoah en France, 4 vol., Fayard, Paris, 2001
•
R. POZNANSKI, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Hachette, Paris, 2005.