teleram-miossec - Concerts et Spectacles à PAU

Transcription

teleram-miossec - Concerts et Spectacles à PAU
Sur la route avec Miossec : “J'ai tout largué
pour cette vie-là”
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Laurent Rigoulet
Publié le 09/02/2015.
Photo : Rodolphe Escher pour Télérama
Depuis vingt ans que Miossec roule sa bosse, le voilà apaisé. Mais le chanteur brûle encore : avec son mini-big
band et son public fidèle, c'est la tournée du renouveau.
En fin d'après-midi, Miossec salue la compagnie et se retire dans sa chambre. A Limoges, il se repose à
l'hôtel de la Paix. Moquettes lie-de-vin, ambiance feutrée, toilettes sur le palier, collection de gramophones
au rez-de-chaussée : deux étoiles pour voyageurs de commerce esseulés, à proximité de la gare, au coeur
d'un pays immuable que l'auteur de Regarde un peu la France a traversé souvent en se jurant d'y mettre
le souk (« C'est magnifique, non, toute cette torpeur ! »).
La tournée d'Ici-bas, ici même, album du renouveau, en est à son deuxième mois. Vingt-deux villes et des
centaines de kilomètres au compteur. L'orchestre se rode, l'excitation grandit, la fatigue aussi. Le voyage
reste une aventure intense. La troupe est arrivée de Montpellier dans l'après-midi. Par la route, pas par
l'autoroute. Avec détours joyeux par les départementales du Larzac. A l'arrière du van, à droite, près de la
vitre, la place du chanteur est celle de l'observateur. Un quotidien du coin dans les mains, l'oeil sur les
visages et paysages qui défilent. Les commentaires fusent, acerbes et sentimentaux. Comme à l'époque de
sa première jeunesse, où il faisait, dans Ouest France, du journalisme de grande proximité, Miossec prend
la route pour voir du pays et faire des rencontres. A l'entrée de la cinquantaine, il se verrait bien dans la
peau du bluesman, charmeur cabossé, chroniqueur et travailleur social, passant d'une ville à l'autre avec
le sentiment que ses chansons peuvent servir à quelque chose. Et surtout à la consolation. Tous les soirs,
des solitaires l'attendent. Et l'écoutent les yeux fermés quand il chante les amours froissées, l'attrait et
l'angoisse du vide, les erreurs, les errances et l'absence de « repères » (« Qui nous aime ici-bas, ici même
? Qui nous lave de nos peines ? »).
Vertus du collectif
Interdit d'alcool après de sérieuses alertes (« C'est ça ou la chaise roulante », lui a dit le médecin après
avoir diagnostiqué une maladie neuromusculaire), le chanteur exilé chez lui, sur le bord de mer du
Finistère, croit dur comme fer aux perspectives d'un deuxième acte. Il le chante dès les premières mesures
du nouvel album, le neuvième (« C'est pas fini/On vient à peine de commencer/On peut encore se réparer
»). Et le met en scène, sur la route, dans une tournée qui le mènera jusqu'aux portes de l'été. Sur les
banquettes de sa camionnette, il fait tenir un orchestre de poche. De jeunes musiciens, drôles en coulisse,
sérieux dans le travail, qu'il a choisis pour « leur rapport à leur instrument » autant que pour leur talent
(lire encadré). Deux choristes et claviéristes rieuses aux voix aériennes ; un guitariste élégant et funky ;
un batteur enthousiaste et boudeur ; un contrebassiste virtuose, chef d'orchestre aux airs de zazou punk.
Des personnalités qui s'accordent au fil des kilomètres, étoffent les arrangements soir après soir, et misent
sur les vertus du collectif.
Une fine équipe
A la tête du mini-big band de Miossec (cinq musiciens), Hugo Cechosz, contrebassiste zazou, repéré chez
La Grande Sophie, fixe un cap audacieux : donner aux chansons de l'air et du nerf, marier le swing jazzy
et le tranchant punk (il fait parfois la première partie avec son groupe, Twin Twisters, guitare-batterie
comme les White Stripes). Ses comparses sont, comme lui, d'une école très libre qui se contrefout des
étiquettes et brasse joyeusement les influences. Valentine Duteil et Nathalie Réaux passent, en toute
légèreté, d'un clavier à l'autre, assurent les choeurs et apportent leur touche de guitare ou de violoncelle.
La guitare est tenue par un jeune rocker rennais aux passions funky, et le batteur est un monstre d'énergie
dont la frappe est aussi variée que les humeurs.
Miossec rêve depuis longtemps de sillonner la France avec un « orchestre » — pas un groupe — où les
musiciens jouent les uns pour les autres, « sans faire un pas en avant », sans distinction de rang selon les
instruments. A l'image de celui dont il garde une photo jaunie au mur de sa maison bretonne. Un orchestre
argentin de Brest — Héla, Vino, Rossi —, clan soudé de musiciens gominés, qui animait, dans des temps
éloignés, les « bals de société, les bals de noces et les messes de mariage ».
Harmonie et sens du collectif : Miossec et les cinq jeunes musiciens qui l'accompagnent partagent la même
conception de l'orchestre.
Photo : Rodolphe Escher pour Télérama
“Je n'avais pas d'autre solution que d'apprendre en chemin.”
A Limoges, comme ailleurs, la troupe de Miossec vit sans confort excessif. Le prix des places ne dépasse
pas 25 euros, le chanteur modère ses exigences pour rester accessible dans toutes les régions : « Je n'ai
jamais fait de hold-up, dit-il. La crise, on la sent partout où on passe. Les gens ont de plus en plus de mal
à venir aux concerts. La musique devient un luxe. Les disques se vendent dans des magasins de fringues,
parce que ça fait chic... » Au fil d'une carrière riche (un million d'albums vendus) et chaotique, le
performeur timide, acide et parfois complètement cuit n'a pas toujours bien défendu ses chansons, mais
combattu corps et biens pour une idée du métier. « Un truc à l'ancienne », rude et sincère. Un peu
troubadour, un peu VRP, n'oubliant personne, ne se reposant jamais. Surtout pas sur des stratégies
commerciales. Malgré l'effondrement des ventes de disques, Miossec ne vend toujours pas de tee-shirts à
ses concerts. Il garde le cap qu'il s'est fixé, au milieu des années 1990, à l'époque d'un premier album qu'il
a baptisé Boire, par crânerie et par soif d'aventure. « J'ai fait mes débuts à 30 ans, raconte-t-il. Entouré de
gens qui baignaient dans ce métier depuis la plus tendre enfance. Je n'avais pas d'autre solution que
d'apprendre en chemin. Ma maison de disques voulait que je me conforme au modèle économique des
années 1990. Que je fasse quelques concerts, stratégiquement placés, en première partie d'un groupe à
succès. Mais je voulais jouer partout où l'on voulait de moi. Dans les bars et les clubs. J'avais tout largué
pour cette vie-là et je voulais en faire une aventure absolue. »
A l'époque des premiers succès, il n'avait pas de domicile fixe. Pendant l'enregistrement, il dormait dans
la cabine de chant. Sur la route, dans les hôtels de village, et parfois dans sa voiture, une Honda Accord
dont le coffre servait de penderie. Il s'était formé une bande autant qu'un groupe et traversait la France
avec un appétit à la Kerouac. « Je fuyais le monde du travail. La vie de salarié, je n'en voulais plus. Je ne
voulais surtout pas être raisonnable. Je voyais des enfants sages partout. Si on fait ce métier, c'est pour
secouer le bocal. » Le gang Miossec était une belle équipe de noceurs qui abordait les concerts pied au
plancher, dérapait parfois, et ne freinait pas ensuite. Leur réputation s'est propagée à la vitesse de l'éclair.
De belles fables que le chanteur laisse enfler, comme celle où il aurait rejoint la salle de concert en
traversant un fleuve à la nage ! On les attendait partout, pour mettre à l'épreuve leur sens de l'équilibre,
du rock et de la fête. On les attend encore. A Toulouse, au Bikini, où les artistes sont bien servis, saucisson
et vin du Tarn, magret, armagnac... Et toute une bande de types qui veulent traîner avec le chanteur.
Backgammon, jusqu'à tard, à même le comptoir. A 4h30 du matin, le chanteur, sobre mais endurant, «
met un coup de frein à main ».
Photo : Rodolphe Escher pour Télérama
“Je me considère chanceux d'être là, je savoure.”
Dans les coulisses, avant d'entrer en scène, le groupe — l'orchestre, pardon — a ses rituels. Tisane au
gingembre pour la voix. Petit cercle informel, étreintes et baisers pour faire circuler l'énergie comme dans
le vestiaire d'avant-match. Plus question de se fier à la boussole punk des débuts, de miser sur la frénésie
et les accidents. Pour Miossec le rescapé, la musique, comme la vie, est une affaire sérieuse (et
prometteuse) où l'on commence à apprendre des erreurs de la veille. Chaque détail est discuté, jusqu'à la
circulation du son selon les salles. « En concert, je ferme les yeux, dit le chanteur, j'écoute la musique se
faire. Je me considère chanceux d'être là, je savoure, et ça me pousse dans mes retranchements. Je ne
veux pas faire tache par rapport à l'ensemble. » Sur le canevas intimiste dessiné en studio par Albin de la
Simone, les arrangements se déploient et prennent du muscle de jour en jour. La troupe unie devrait filer
jusqu'à l'enregistrement du prochain disque. Les musiciens se ménagent quelques espaces de liberté, mais
tissent un filet serré pour leur camarade chanteur qui n'en est pas encore aux acrobaties mais n'a plus peur
de faire entendre sa voix : « J'ai décidé d'accepter que c'était mon job, dit-il. Pendant longtemps, je me
suis caché derrière les excuses, la fausse modestie, c'est infernal de faire ce métier sans aimer s'écouter.
»
Photo : Rodolphe Escher pour Télérama
“Ça me plaît que l'avenir soit incertain.”
Un lointain compagnonnage avec le jazz lui a ouvert des horizons, une admiration tenace pour Riccardo
Del Fra, qui fut longtemps le contrebassiste de Chet Baker, et les séances de travail avec Baptiste
Trotignon (ils ont gravé ensemble un morceau avec la chanteuse Melody Gardot) : « Trois jours intenses
sans filet. Piano et voix simplement. J'ai appris à me mettre à nu. » Aux portes des loges, ses fans de
toujours viennent lui souffler leur étonnement d'entendre si distinctement ses paroles. Il les mangeait,
avant, les laissait flotter entre deux eaux, hérissées par l'électricité de la musique. Rien ne lui semblait
plus commun que de chercher à cajoler le public, à se bercer de l'illusion qu'on est forcément bien
ensemble. Aujourd'hui, il avance sur un fil, ne manque pas une occasion d'agacer une foule ou de railler
quelques soiffards bordelais, mais se concentre sur son art, s'accorde à la force de ses mots et prend le
soin de faire entendre des chansons qui visent juste et ne lui sont pas venues par hasard. Miossec est
toujours un type qui brûle. Il est aussi celui qui s'est brûlé, et chante qu'« on est quand même plus beau
vivant que mort ». De soir en soir, il a l'air d'y croire. La fidélité d'un public, qui l'a suivi au gré des
péripéties, lui sert d'aiguillon. La difficulté du métier, aussi, où rien n'a jamais été moins acquis
qu'aujourd'hui : « Il faut s'adapter, trouver des idées, la musique n'a rien d'obligatoire. Ça me plaît que
l'avenir soit incertain. » Ça n'est qu'un début. Encore une fois.