Blogs : expression d`une passion, d`une citoyenneté ou nouveau

Blogs: expression d’une
passion, d’une citoyenneté
active ou nouveau métier ?
Partie 2 :
Je blogue, donc je suis !
Action et Recherche Culturelles
Analyse
2012
Je
blogue,
donc
je suis !
Je blogue,
donc je suis
!
Qu’est-ce qui pousse les gens à bloguer, à raconter leur vie, expertise ou
expériences, sur la toile ? Du besoin de reconnaissance à celui de
participation citoyenne, les motivations sont multiples ! Le blog, outil
révélateur de notre identité individuelle et collective ?
Ce qui motive un grand nombre de blogueurs, c’est la possibilité de s’exprimer au sein
d’un espace qui leur appartient, en diffusant des idées et opinions librement, avec les
internautes du monde entier. Les notions de partage, de communauté, de
réappropriation du Web (les internautes deviennent acteurs de la toile), mais aussi de
la diffusion de l’information et d’interactivité, sont centrales dans les facteurs
expliquant l’engouement pour les blogs.
Souvent guidés par les affects, on reproche régulièrement aux blogs leur dimension
égocentrique. Mais étonnamment, ce partage d’expériences au travers de carnets
intimes, trouve écho auprès d’un nombre certain d’internautes. Particulièrement
lorsque les blogs s’enrichissent d’applications visuelles (photos et vidéos) et qu’ils
deviennent des rendez-vous quotidiens, un peu à l’instar des soaps, reality shows ou
autres telenovelas. De là à leur octroyer une vertu de lien… Le doute mérite d’être
soulevé ! L’on peut en effet s’interroger sur la qualité du lien social réellement créé au
travers de ce type de sites relativement centrés sur leurs auteurs - parfois starifiés par
la logique d’immédiateté du Web - et sur la fascination qu’exercent certains blogueurs
sur leurs lecteurs. A contrario, il est indéniable que certains blogs rassembleurs de
communautés ou de causes communes permettent la création de liens sociaux entres
les aficionados d’un blog, ce qui peut être facteur de changements.
L’Egoboo au sommet !
La propulsion de certains blogueurs sur le devant de la scène, comme véritables « stars
de la blogosphère », joue un rôle important dans le succès du blogging. Ces catégories
de sites étant fortement centrées sur l’auteur, il favoriserait « l’Egoboo »! Un terme
anglicisé qui désigne le sentiment de reconnaissance des blogueurs, de la part de la
communauté, qui octroie de la valeur à leurs contributions. Une sorte de « troc
intellectuel au service d’un projet collectif. Les blogs répondent au besoin de notoriété,
une valeur de plus en plus forte dans nos sociétés occidentales, une forme d’utopie et
d’obsession des temps modernes : celle d’être connu et célébré 1».
Ce postulat rejoint celui de Charles Taylor, philosophe et ancien professeur de
l’Université canadienne Mc Gill. Ce dernier s’est penché sur le « moi moderne » et sur
1
Blogs, médias sociaux et politique, David Réguer, in col. Sciences humaines, p18.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2012
1
Je blogue, donc je suis !
ce qu’il qualifie « d’individualisation expressive ». Selon lui, l’être humain contemporain
est enclin à une plus grande exploration de son intériorité, mais celle-ci est également
fort liée à un besoin d’expression et doit forcément passer par un médium donné.
L’accès au soi passerait donc par une expression de soi ! Le soi exprimé constituant la
réalité sociale du sujet.2 Tout un programme !
Si Taylor fait référence à l’art, comme méthode d’expression, son analyse s’étend en
réalité à toute forme de créativité, ce qui peut inclure la tenue d’un blog ou autre
plate-forme d’expression sur le Web (réseaux sociaux, vidéos). « Suivant les termes
d’une herméneutique expressiviste du sujet, les home pages proposent une figuration
de soi, un soi exprimé supposant que la mise en sens de soi passe par une médiation
symbolique, une mise en scène, une mise en forme (…) On peut commencer par
observer, en toute généralité, que la création de sites personnels semble relever d’un
bricolage ‘esthético-identitaire’. (…) La page perso qui est censée exprimer la
personnalité de son créateur va donc se construire par bricolage et assemblage. Leur
mode de fabrication s’apparente à une esthétique du patchwork et rappelle d’autres
pratiques de personnalisation de l’offre culturelle (sampling, mix, customization,
tuning). (…) Les individus se découvrent comme sujet en l’exprimant dans une petite
forme digitale que représente la page perso».3 Le blog accoucheur d’âmes, outil de
maïeutique en puissance ou plus simplement d’étalement des égos contemporains,
serait significatif d’un certain mode de fonctionnement de la société actuelle. A l’instar
d’autres expériences collectives de médiatisation, comme celles de la reality TV,
l’exposition de son « moi » au travers d’un médium public, est caractéristique d’un
nouveau besoin de reconnaissance. Si certains blogs induisent le partage de
connaissances, ont une vocation collectiviste et transpirent de citoyenneté, il semble
que d’autres, ne sont rien moins qu’un miroir aux alouettes ! L’égoboo peut constituer
un moteur pour ceux qui souhaitent jouer un rôle actif dans la société, au travers de
leur blog. Mais il peut aussi uniquement répondre à un besoin narcissique, qui sera
comblé de manière éphémère et peu constructive.
Le lien en partage
Si l’importance accordée à l’égoboo peut susciter la polémique, l’une des grandes
vertus du blog réside quand même dans son potentiel de générateur de débats et
d’opinions alternatives. « Dans ce nouveau contexte socioculturel et économique, le
Web 2.0 donne à l’internaute contributeur, deux rôles fondamentaux. D’une part, il
participe au tri ou à la production de contenu qui alimente la chaîne de valeur
éditoriale au travers des blogs, des réseaux sociaux et autres plates-formes
collaboratives. D’autre part, il devient un prescripteur des services multimédias
proposés, des produits et des marques. Face à cette multitude de choix et d’offres de
2
Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Eric
Maigret et Eric Macé, p149.
3
Idem, p152.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2012
2
Je blogue, donc je suis !
services, le consommateur a besoin d’être guidé et recherche des lieux de
prescription. Au même titre que le citoyen qui souhaite s’informer sur la politique, les
blogs comme les forums peuvent apporter des points de vue pluralistes qui
concurrencent en partie les discours traditionnels des médias ou des annonceurs 4».
Du blog informatif, participatif, outil de démocratisation de l’information, au blogservice, aiguilleur en puissance, son rôle est aussi imbriqué dans de multiples concepts
que le sont les poupées russes !
Notons encore que la popularité des blogs prend singulièrement de l’ampleur lors de
certains événements spécifiques ou catastrophiques. Ce fut notamment le cas lors du
11 septembre et au début de la guerre en Irak, période durant laquelle les blogs
relatant les événements vécus de l’intérieur par de nombreux protagonistes, se sont
multipliés. Le jour-même de l’attaque des tours, le service de bloging Blogueur a
enregistré une augmentation de 22% des notes publiées5. Le besoin de contact et de
partage avec d’autres personnes ayant vécu la même chose ayant trouvé ici l’outil
adéquat pour s’exprimer. D’autres catastrophes, comme le tsunami de 2004 et
l’explosion atomique de Fukushima, ont généré le même type d’engouement pour le
bloging, qui revêt dans ce cas une double fonction : il est à la fois informatif, générateur
de liens et sert même à certains de psychothérapie publique.
Mais le blog créateur de liens, constitue-t-il un outil de partage percutant ? C’est
certainement le cas pour des communautés bien définies. Les exemples d’utilisation du
blog dans cette optique sont nombreux. Que ce soit pour permettre aux expatriés de
relater leur expérience « d’exilé » (on retrouve dans ce cas une fonctionnalité similaire
à l’utilisation des réseaux sociaux), pour réunir les familles monoparentales au travers
d’un partage d’expériences ou d’activités, mais aussi les collectionneurs ou passionnés
en tous genres. Le blog est un outil fédérateur puissant ! L’intention de son auteur, ses
aptitudes communicationnelles, le temps qu’il dédie à cette activité, permettront
d’atteindre ou non (ou moins efficacement) son objectif.
Blogs & Co: l’agora numérique
Le blog peut aussi tout simplement servir de plate-forme collaborative, entre autres au
niveau de l’enseignement. En France, le CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et
des médias d’information)6 suit l’usage du support numérique dans les projets mettant
en valeur la parole des élèves et leur donne des clés pour utiliser le bloging à bon
escient. Un bel exemple de bloging-lien, dont l’objectif clairement établi découle sur
une pratique citoyenne.
S’ils ne peuvent par essence répondre aux attentes ou aux envies participatives du plus
grand nombre, les blogs ont cependant comme vertu d’élargir le débat. Quelquefois, ils
4
Blogs, médias sociaux et politique, David Réguer, in col. Sciences humaines, p22.
Le phénomène blog, nouveau média pour tous, Benoît Desavoye, M2 édition, p32.
6
www.clemi.org
5
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2012
3
Je blogue, donc je suis !
sont de surcroît appropriés par des personnes qui ne s’exprimeraient pas autrement.
Birgitta Jonsdottir, parlementaire islandaise, poétesse et blogueuse, estime par exemple
que les femmes se sont emparées d’Internet comme médium informatif privilégié. Voici
ce qu’elle affirmait dans une interview donnée à Café Babel 7 à ce sujet: « C’est la
preuve d’une grande victoire de l’opinion. Et je ne peux qu’être heureuse de ce
phénomène qui draine de plus en plus de monde autour d’une ambition civique, animée
par le simple souci de raconter des choses. Il est très intéressant de voir les femmes
occuper l’espace médiatique via l’outil Internet. Pour elles, c’est devenu un nouveau
terrain d’expression. C’est aussi une nouvelle affirmation de leur indépendance ». Il
semble évident que pour certaines femmes, le blogging constitue un outil privilégié
pour partager des expériences qu’elles estiment utiles à leurs pairs. D’une part, elles
n’auraient sûrement pas l’occasion de diffuser ces informations, voire même l’audace
d’en parler, si les blogs n’existaient pas. D’autre part, elles s’autorisent à partager des
informations, que les médias ne jugeraient peut-être pas intéressantes (pour diverses
raisons), alors même que celles-ci trouvent écho auprès d’une partie de la population.
Birgitta Jonsdottir va même un cran plus loin : « Il faut investir le terrain des blogs pour
que ceux qui les alimentent deviennent ce que j’appelle des journalistes citoyens »,
estime-t-elle. Autrement dit, les gens capables d’apporter une valeur ajoutée à
l’information traditionnelle pourraient s’investir davantage sur la toile. « Entendonsnous sur les termes. Je place l’enquête et le journalisme d’investigation comme le
fondement de mes motivations. C’est un secteur qui, depuis la récession, est en crise.
Mais heureusement, grâce aux blogueurs, nous pouvons enrayer le phénomène. On ne
peut pas tout arranger d’un clic mais les journalistes citoyens peuvent participer à la
renaissance d’un journalisme d’enquête. Je ne dis pas que les blogueurs peuvent se
substituer au travail des journalistes. Mais, quand je me suis intéressée au Web, j’ai
constaté que les interfaces indépendantes donnaient des informations additionnelles
capitales sur le débat sociétal. Ils publient simplement des choses que les médias
traditionnels ne colportent pas En utilisant le potentiel des blogs, le panorama de
l’information peut se décupler. Franchement, j’aimerais voir ces deux acteurs
travailler ensemble », conclut la parlementaire.
Conclusion
S’il peut être employé comme outil créateur de liens, le blog est aussi confronté aux
limites de la psychologie humaine. Aussi, l’utopie de village planétaire interconnecté où
le voisin africain ou asiatique ne serait plus si éloigné de nous, ne s’est pas vraiment
concrétisée. Malgré l’accès à une multitude d’informations et de médias issus de la
planète entière, nous aurions toujours une propension marquée à nous intéresser
prioritairement à notre pré carré ou aux miroirs virtuels, reflets de nos aspirations ou
de ce que nous sommes. « Les individus qui ne sont plus intéressés par leurs voisins
sont pourtant très intéressés à lire la vie des autres, sur leurs blogs. Pourquoi ? Parce
7
http://www.cafebabel.fr/article/34799/birgitta-jonsdottir-et-le-paradis-de-linformation.html
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2012
4
Je blogue, donc je suis !
qu’ils se retrouvent, par reconnaissance de l’égo, dans celui de l’autre. Nous ne lisons
que les bloggeurs qui nous ressemblent, qui nous rejoignent. Narcisse regarde dans
l’eau du réseau, jusqu’à ce qu’il y trouve un reflet », commente Jean-Philippe Morin8.
L’Egoboo (toujours lui !) constitue donc une grille de lecture sociologique de la
blogosphère.
Si ces initiatives issues de la blogosphère favorisent le partage d’idées, d’expériences ou
d’expertises, et permettent de ce fait l’expression d’une plus grande citoyenneté, se
pose quand même la question de la diversité des blogueurs et de la pérennité de leurs
actions (voir à ce sujet interview de F. Heinderyckx). L’on reproche en effet au
phénomène d’être relativement volatile, puisque de nombreux blogs créés, sont
abandonnés par leurs auteurs dans les mois qui suivent. De plus, la majorité des
blogueurs fait partie d’une classe sociale au capital culturel relativement élevé. Même si
la technicité ne constitue pas un obstacle pour la plupart des internautes, cela n’en
demeure pas moins un frein pour certains. Mais plus encore, ce sont les capacités à
formuler ses idées et opinions, puis à les communiquer efficacement, qui ne sont pas
forcément à la portée de tous. Si l’agora numérique a le mérite d’exister, ne perdons
pas de vue qu’elle reproduit un minimum la hiérarchisation traditionnelle de la société,
au sein de laquelle les leaders d’opinion ne sont pas légion. Mais pour terminer sur une
note positive, le blog possède davantage de vertus d’accessibilité et de liberté que
d’autres médiums (journaux, livres). Ce qui ouvre quand même la voie à une diversité
d’expression. C’est déjà ça !
Sandra Evrard
8
In Le phénomène blog, Ibidem, p45.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2012
5
Je blogue, donc je suis !
Parlez-vous Web ?
Followers : les personnes qui suivent une idée, un concept, dans ce cas-ci un blog.
Viralité : le taux de viralité exprime le pouvoir de diffusion d’une idée, d’un blog, sur
la toile
Buzz : ce terme anglo-saxon désigne le bruit fait par une information diffusée sur le
web.
Microblogging : Dérivé du mot blog, le microblog fait référence à des plates-formes
(comme Tweeter) qui permettent de publier des textes relativement courts.
Egoboo : Terme provenant de l’anglais (ego + boost) qui désigne un sentiment de
satisfaction lié à la reconnaissance d’un public, suite à une publication.
Web 2.0. : Désigne l’ensemble des techniques et fonctionnalités du web
contemporain, aux interfaces interactives et intuitives. Le web 2.0. favorise des
échanges plus fluide et collaboratifs d’informations entre les internautes, par exemple
via les réseaux sociaux.
Like : Bouton employé sur Facebook pour exprimer que l’on aime un message/une
photo publiés.
Share : De l’anglais “partagé”. Désigne le fait de partager des infos, photos, videos via
une plate-forme sociale comme Facebook.
Post : Désigne le ‘postage’ de commentaires, photos, videos, sur les réseaux sociaux
ou blogs.
Tutoriel : Désigne un guide d’apprentissage de style ‘tutorat’. En réalité, il s’agit
généralement de petites vidéos postées sur Internet pour apprendre quelque chose
aux Internautes.
Hashtag : Désigne un mot précédé d’un # publié sur Twitter, dans le but de
regrouper un message autour d’un thème ou d’un événement.
Action et Recherche Culturelles - Analyse 2012
6
Publié avec le soutien du service
de l’Éducation permanente de la
Fédération Wallonie-Bruxelles
Editeur responsable : Jean-Michel DEFAWE
© ARC a.s.b.l. - rue de l’Association 20 à 1000 Bruxelles
www.arc-culture.be
[email protected]
Action et Recherche Culturelles
Analyse
2012