Darwin et la vie extraterrestre : entre ambition et prudence
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Darwin et la vie extraterrestre : entre ambition et prudence
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Darwin et la vie extraterrestre : entre ambition et prudence 10/11/09 Projet de l'Agence spatiale européenne, la mission Darwin devrait être capable d'observer directement des planètes semblables à notre Terre et même d'en caractériser leurs atmosphères. L'objectif final ? Détecter de la vie ailleurs dans l'univers. Sommes-nous seuls dans l'univers ? La question est récurrente depuis la nuit des temps. Mais depuis le développement de l'exploration spatiale, les scientifiques envisagent d'y apporter un jour une réponse : «Il est très probable que notre terre ne soit pas l'unique planète à abriter la vie, explique l'astronome Olivier Absil, du groupe Astrophysique extragalactique et observations spatiales de l'ULg. La découverte de la vie ailleurs dans l'univers serait un aboutissement, comme le point final de la révolution copernicienne : après avoir démontré que notre soleil n'est qu'une étoile parmi d'autres et que notre Terre n'est qu'une planète parmi d'autres, faudra-t-il s'étonner d'apprendre que la vie sur Terre n'est qu'une parmi d'autres ? Si l'homme se pose la question de la vie extraterrestre depuis des siècles, nous avons la chance de vivre à une époque où les moyens technologiques nous permettent d'espérer une réponse.» Parmi ces moyens, la mission spatiale Darwin pourrait être un acteur de premier plan dans les décennies à venir : une constellation de cinq satellites seront envoyés au deuxième point de Lagrange, situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre dans la direction opposée à celle du soleil. Ces satellites évolueront en formation : les positions des uns par rapport aux autres seront fixées au centimètre près. Ambitieux projet de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), Darwin devrait être capable d'observer directement des planètes semblables à notre Terre et même d'en caractériser leurs atmosphères. L'objectif final ? Détecter de la vie ailleurs dans l'univers. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 February 2017 -1- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Jusqu'à présent, plusieurs centaines d'exoplanètes ont déjà été démasquées. Mais la grande majorité d'entre elles sont des géantes chaudes. Il s'agit de planètes gazeuses semblables à Jupiter, mais sur une orbite très serrée autour de leur étoile. Faute de technologies suffisantes, aucune planète rocheuse identique à la Terre n'a encore été découverte. Pourtant s'il existe de la vie ailleurs dans l'univers, on s'attend à la trouver sur une planète soeur de la Terre, c'est-à-dire sur une planète d'une masse et d'un rayon proches de ceux de la Terre et voguant dans la zone habitable de son étoile. Cette zone est définie par la distance à laquelle il faut se trouver par rapport à l'étoile pour que l'eau, si elle existe, soit à l'état liquide. Elle est fonction du type de l'étoile : plus elle est brillante, plus la zone habitable est éloignée d'elle. Si les chercheurs s'intéressent plus particulièrement à l'eau liquide, c'est parce que la plupart des biologistes pensent qu'il s'agit d'un élément indispensable à l'émergence de la vie : pour mettre en interaction des molécules complexes, il faut un solvant et l'eau liquide est sans doute le plus universel, vu les abondances d'hydrogène et d'oxygène dans l'univers. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 February 2017 -2- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Détecter de petites planètes rocheuses, comme la Terre, gravitant relativement proche de leur étoile est un chalenge technologique puisque le signal de l'étoile noie celui d'un tel hôte. La mission spatiale Darwin a été dessinée pour relever le défi. Elle est un des fruits du renouveau de l'interférométrie optique initié par le professeur Antoine Labeyrie au milieu des années septante. Proposée dans les années nonante par une équipe française, la mission Darwin a très rapidement intéressé l'Agence Spatiale Européenne (ESA) qui l'a financée pendant près d'une décennie, afin de développer les technologies nécessaires. Initialement, Darwin devait comporter deux phases. La première se concentrerait sur l'exploration systématique sur une période de deux ans des zones habitables de 300 étoiles relativement proches. Dans les filets de cette pêche astronomique pourrait figurer une trentaine d'exoplanètes semblables à la Terre. La seconde phase de cette recherche de vie extraterrestre, d'une durée de trois ans, consisterait à caractériser les atmosphères de ces exoplanètes, dans l'espoir d'y déceler sur certaines les signatures d'une activité biologique... mais aussi de faire de l'exoplanétologie comparative : l'étude systématique de planètes rocheuses aux caractéristiques (volcanisme, tectonique des plaques, masse) légèrement différentes apportera également une connaissance approfondie du passé de notre Terre et des origines de la vie qui y a fleuri. En observant dans le domaine de l'infrarouge moyen, Darwin sera sensible aux signatures spectrales de la vapeur d'eau, de l'ozone et du dioxyde de carbone. La présence simultanée de ces trois composés dans l'atmosphère d'une planète est considérée comme une signature fiable d'une activité biologique : «jusqu'à présent, explique Olivier Absil, les chercheurs n'ont trouvé aucun processus non biologique capable de produire en grande quantité ces trois gaz. Dans une atmosphère en équilibre, l'oxygène, très oxydant, se recombine directement avec le carbone ou l'hydrogène. On ne peut maintenir une grande quantité d'ozone en présence de vapeur d'eau et de dioxyde de carbone que si une source la produit constamment. Or, la seule source connue à ce jour pour produire de l'oxygène et de l'ozone en quantité importante est la photosynthèse. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 February 2017 -3- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège D'autres composés, comme l'ammoniac, le méthane ou des oxydes d'azote, sont aussi difficilement explicables sans activités biologiques, mais leur détection est moins aisée.» Dans un premier temps, les astronomes avaient espéré pouvoir faire franchir à la mission Darwin une étape importante à la fin de l'année 2008 : de mission possible dans l'ESA, elle devait intégrer la Cosmic Vision qui définit les missions spatiales réellement au programme de l'ESA pour la période 2015-2025. Mais finalement, Darwin n'a pas été sélectionné. «C'était une surprise, sans vraiment l'être, confie Olivier Absil. À l'heure actuelle, Darwin n'a pas encore atteint un niveau de maturité suffisante. D'une part, l'interférométrie destructive indispensable à Darwin n'est pas encore qualifiée pour un vol spatial puisqu'elle n'a été démontrée qu'en laboratoire. D'autre part, nous ne sommes pas encore capables de faire évoluer en formation plusieurs satellites, avec une précision de positionnement les uns par rapport aux autres de l'ordre du centimètre... Cependant, l'ESA et la NASA y travaillent sérieusement puisque plusieurs missions spatiales à venir vont nécessiter un vol en formation. Enfin, la recherche d'exoplanètes est une discipline relativement jeune. Il n'y a pas encore de comité scientifique très soudé, capable de soutenir un projet commun. S'engager ensemble dans une mission plus modeste devrait permettre à la communauté «exoplanètes» de se structurer davantage, pour pouvoir ensuite défendre Darwin d'une seule voix.» © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 February 2017 -4- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège De ce report de la mission Darwin d'au moins une dizaine d'années découle cependant une bonne nouvelle, comme le souligne Olivier Absil : «Finalement, nous n'aurons plus besoin de la première phase car d'ici le lancement des satellites de Darwin, d'autres techniques devraient nous doter d'un échantillon d'exoplanètes semblables à notre Terre. Or, la première étape de Darwin est aussi son point faible. En effet, il est difficile de faire inscrire au programme de l'ESA une mission de plusieurs milliards d'euros sans apporter la certitude de détecter des planètes rocheuses semblables à la Terre, censées être ses cibles pour la deuxième phase... même si des simulations numériques montrent qu'elles doivent graviter autour d'une large fraction des étoiles. Des observations ont également montré que les planètes rocheuses de l'ordre de 10 masses terrestres sont très communes, sans doute autour de 30% des étoiles. Ce n'est pas encore la masse de la Terre, mais il est probable que la fréquence augmente lorsque la masse diminue. On est relativement confiant pour penser qu'il y a pas mal de planètes terrestres qui se cachent dans des systèmes planétaires pas trop loin de notre système solaire et qu'elles pourraient être détectées avant le lancement des satellites de Darwin, ce qui jouera en sa faveur à l'avenir.» Lorsqu'un catalogue de planètes rocheuses gravitant dans la zone habitable de leur étoile sera obtenu, la pression des astronomes sera importante pour lancer une mission capable de caractériser leurs atmosphères. Ce ne sera pas faisable par simple photométrie. Du point de vue technologique, deux possibilités se présenteront : l'interférométrie destructive de Darwin et la coronographie de l'américain TPFC (Terrestrial Planet Finder Coronograph). Un coronographe est un dispositif qui permet d'annuler la lumière de l'étoile pour voir ce qui se trouve dans son giron. Une différence fondamentale entre Darwin et TPFC est la longueur d'onde à laquelle sont effectuées les mesures : TPFC observe dans le visible et Darwin dans l'infrarouge moyen. Comme la résolution d'un instrument est d'autant meilleure que la longueur d'onde est courte, elle est donc bien meilleure avec TPFC, qui peut donc se contenter d'un télescope unique au lieu d'un interféromètre. Par contre, c'est dans l'infrarouge moyen qu'apparaissent les signatures les plus évidentes d'une activité biologique. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 February 2017 -5- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Finalement, c'est peut-être l'échantillon d'exoplanètes terrestres qui déterminera laquelle des deux missions sera lancée. L'élue sera celle qui sera la plus mûre technologiquement au moment où l'échantillon sera constitué... Cependant, dans cette course extraterrestre, TPFC part avec un handicap : seules les étoiles -et donc les planètes- qui nous sont proches sont accessibles à la coronographie de TPFC. Darwin reste donc un sérieux candidat... qui ne demande qu'à prendre de la bouteille... © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 20 February 2017 -6-