De l`impuissance de l`enfance à la revanche par l`écriture Guinoune
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De l`impuissance de l`enfance à la revanche par l`écriture Guinoune
De l'impuissance de l'enfance à la revanche par l'écriture Guinoune, Anne-Marie IMPORTANT NOTE: You are advised to consult the publisher's version (publisher's PDF) if you wish to cite from it. Please check the document version below. Document Version Publisher's PDF, also known as Version of record Publication date: 2003 Link to publication in University of Groningen/UMCG research database Citation for published version (APA): Guinoune, A-M. (2003). De l'impuissance de l'enfance à la revanche par l'écriture: le parcours de Driss Chraïbi et sa représentation du couple Groningen: s.n. Copyright Other than for strictly personal use, it is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), unless the work is under an open content license (like Creative Commons). 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Dans le cas de la société musulmane, il convient de souligner que l’islam est une religion d’adultes dans laquelle “l’enfant n’a pas de devoirs moraux envers Dieu”418 ; au contraire du christianisme qui requiert un engagement précoce de l’enfant, l’âge de raison commençant à six ans. L’enfant musulman impubère, comme le dormeur et le fou, n’est pas responsable devant Dieu de ses actes. Précisons encore que l’islam est non seulement une religion d’adultes mais encore d’adultes hommes, auxquels elle réserve des prérogatives dont les femmes et les enfants sont exclus. Cette particularité de l’islam entraîne une nonreconnaissance de l’enfant en tant qu’être à part entière et explique sans doute les pratiques parfois dégradantes de l’école coranique envers les élèves. La mission d’éduquer sur un plan religieux peut sembler au fiqh d’autant moins sacrée que les enfants ne sont pas considérés comme appartenant à part entière à la communauté religieuse. Ses élèves représentent essentiellement une manière de subvenir à ses besoins. Cependant, bien que non reconnu en tant que tel, l’enfant, comme tout un chacun dans la communauté musulmane, voit sa place codifiée par l’islam. Cette codification sera différente selon le sexe de l’enfant. La religion constitue pour l’enfant mâle un guide moral et spirituel à partir du moment où il quitte le monde de la mère pour rejoindre le monde des hommes419. Pour la petite fille la religion est également un guide spirituel mais qui règle aussi son quotidien de manière contraignante. Nous nous proposons de développer ces réflexions en regardant de plus près les personnages d’enfants rencontrés dans les romans de Driss Chraïbi. A travers l’étude du monde de l’enfant, nous espérons mieux appréhender le monde intérieur de l’auteur. Nous allons aborder en premier lieu l’étude de la situation de la fille de façon à mieux mettre en valeur les différences qui existent entre les deux sexes. 129 Guinoune tekst deel3 1 LES 19-09-2003 21:44 Pagina 130 PETITES FILLES 1.1 Les petites filles maghrébines “Habituez vos femmes à vous entendre leur dire –Non–”420. Les livres La nuit sacrée et L’enfant de sable de Tahar Ben Jelloun, écrivain marocain contemporain de Driss Chraïbi, racontent l’histoire d’un père qui n’avait que des filles. Dans l’islam ce sort est ressenti comme un tel échec que le père va mentir sur le sexe de son enfant et faire passer la naissance de sa dernière fille pour celle plus glorieuse d’un garçon. Cette négation de la féminité, avec la souffrance qui l’accompagne, rend ces deux romans poignants. Ils présentent mieux que de longs discours la place accordée à la fille dans le monde maghrébin. Et si, comme le stipule le Coran, il faut apprendre à dire non aux femmes, il est clair qu’elles doivent apprendre tôt à connaître leur place et à y rester. La vie de la fille au Maghreb diffère de celle du petit garçon et paraît très éloignée de celle de la fille occidentale. Dès la naissance, les différences se font sentir. On peut dire d’une manière schématique que si la naissance d’un fils donne lieu à des festivités, celle de la fille apporte des condoléances. Aucune grande fête –telle la circoncision– ne la célèbre. Petite, on lui offre des boucles d’oreille, attributs de sa future féminité. La seule célébration en son honneur sera plus tard celle de son mariage. Cette différence de traitement s’explique sur un plan sociologique. Dans la société maghrébine la fille constitue un fardeau, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord la préservation de sa virginité, qui représente son seul bien, sa valeur marchande, entraîne une permanente tension au sein de la famille. L’importance accordée à la chasteté de la femme est bien antérieure à l’arrivée de l’islam : “l’hymen des vierges, perçu comme étant à la fois la meilleure pièce du trousseau, le lien identitaire avec le clan et la preuve de l’adhésion de la fille aux valeurs de celui-ci, est une affaire d’hommes”421. Les moeurs arabes avec l’islamisation n’ont pas changé, l’hymen de la fille demeure la preuve de sa pureté et le signe d’attestation de sa soumission aux hommes422. La famille devra donc surveiller la jeune fille étroitement et lui trouver un bon parti, le plus tôt possible, pour lui éviter le risque de perdre sa virginité, perte qui rend le mariage impossible. Ensuite, une fois mariée, elle quittera sa famille pour appartenir à celle de son mari où elle servira de domestique à tous et surtout à sa belle-mère. La fille n’est donc pas rentable pour ses parents qui la considèrent comme un investissement à perte d’autant plus que ses enfants feront partie de la famille de son mari. On doit à l’islam la situation de la fille. En effet chez les anciens Arabes, si la venue du petit garçon était davantage estimée car il représentait un guerrier de plus pour la tribu, celle de la fille était également bien accueillie car elle pouvait, grâce à la dot que son mari verserait pour elle, enrichir les parents de la fille. Mahomet a modifié le système ; il a conservé le principe de la dot à payer mais celle-ci doit être maintenant versée à la femme. Avec ce nouveau système que le Prophète a conçu pour favoriser la femme, la famille de la fille devient perdante car l’argent versé par le mari reste dans sa famille à lui, même si à priori c’est la jeune femme qui en est bénéficiaire. De plus la religion, en survalorisant chez la femme sa fonction de génitrice, accentue la pression sur les parents qui craignent une éventuelle stérilité de leur fille. Un tel handicap 130 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 131 signifie que leur fille peut leur être “rendue” et retomber à leur charge. Enfin dans le cas où la fille est féconde, il lui faut impérativement devenir mère d’un fils. Seule une –ou plusieurs– naissance (s) de mâle(s) confirme la position de la fille dans sa nouvelle famille et assoit son autorité pour l’avenir. Tant d’écueils à passer justifient le peu d’empressement de la famille à fêter la naissance des petites filles. Les parents préparent la fille à son devenir de mère et à une vie de soumission. Soumise, elle le sera aux parents, aux frères, au mari, à la belle-famille et enfin à ses fils. Elle n’existe que par et pour les autres membres de la communauté. Le fils, par contre, comblera d’emblée la famille puisqu’il est de sexe mâle : fierté des parents procréateurs et futur bâton de vieillesse, notamment de la mère. De même au quotidien autant le petit garçon pourra se promener nu, “son sexe peut même devenir “l’orgueil” de la famille, sexe embrassé, touché et caressé”, autant le sexe de la fille est traité comme honteux : “la fille très vite sera habillée, revêtue. Et son sexe ne sera jamais montré au public”423. De telles pratiques révèlent l’origine et la conséquence de la peur éprouvée par l’homme face aux femmes : sexe mystérieux, caché, sexe détenteur de pouvoirs, transmetteur de vie, transmetteur de maladies. Ce qui inquiète doit être relégué et gardé à distance. La petite fille intègre très tôt ces données424. Avec une telle répartition des valeurs entre les sexes, les préférences s’expliquent. Cette courte évocation de la situation des filles au Maghreb permet de dresser le décor dans lequel évoluent les personnages de filles maghrébines dans les romans de Driss Chraïbi. Dans Le passé simple, Aïcha est l’enfant-maîtresse du père, “une adolescente couleur de pain brûlé”, “le soleil sur elle et dedans elle” (233). Le père, ébloui par la blancheur de ses seins entrevus sous une tente, va s’approprier l’enfant. Elle donne naissance à un premier enfant à l’âge de 12 ans, à un second deux ans plus tard. Aïcha se comporte comme une enfant capable de rire mais terrorisée par le père. Un jour, l’objet d’amour et de jouissance du vieux libidineux, retourne dans son douar “qu’elle n’aurait pas dû quitter” (235). Elle a alors 16 ans et elle repart avec un coq sous les bras ; juste un coq en récompense pour les années de service. Une petite fille n’a point de salut hors de sa famille, tous les dangers la guettent. Driss ne s’apitoie pas sur le sort de la jeune fille qui est presque de son âge, pas plus qu’il n’émet de critique sur le traitement subi par l’enfant. Il réagit en homme, comprenant l’attirance sexuelle de son père pour Aïcha. La connivence masculine lui permet d’accepter pareille situation. La seconde petite fille, décrite par Driss Chraïbi, dans La Mère du Printemps, s’appelle Hineb, elle est berbère. Sa mère et sa tribu, les Far’oun, ont été assassinées par les Arabes lors de leur avancée pendant la guerre sainte. Hineb a fui, emportée par son père et quelques hommes, seuls rescapés du carnage. La petite fille, plongée dans la violence du combat, va pleurer de joie en entendant “le chant ample des cavaliers Allah akbar”425 (55,56). Leur chant fait naître en elle une “émotion coranique”, première et presque unique émotion exprimée au nom d’Hineb. Aucune description ne fait état de la souffrance de l’enfant, des souvenirs qu’elle emporte, elle n’est que ce que les hommes feront d’elle. Une relation forte unit Hineb à son père car elle constitue “la seule descendante femelle” et pendant les deux ans que dureront l’exode, le père se chargera de lui transmettre leur histoire et leurs traditions. “Un jour sortira de ton ventre un fils, moitié toi moitié l’homme qui t’aura couverte. Tant que ce fils ne sera pas né, tu ne couperas pas un cheveu de ta tête. C’est la loi de la patience.”(63). La tradition berbère rejoint la religion islamique dans la mission de la femme et la valorisation du statut de 131 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 132 mère de fils. Lorsqu’ils trouvent la tribu d’Azwaw qui les adopte, Hineb devient la femme du chef, scellant ainsi l’union entre les deux groupes. La tâche du père aura été de la préparer à son destin de femme, donc de mère. Que sait-on du personnage physique d’Hineb ? “Une chevelure couleur de blé, jusqu’à la taille”, “des cheveux de soleil”, des cils “qui ont poussé si longs, sont devenus tout noirs”. Elle a 13 ans, maigre comme “un sac d’os” elle devra être engraissée pour pouvoir “faire la femme”. Abderrazak Haouach constate que “les personnages chraïbiens sont d’abord particularisés par leur corps, avant d’être dotés d’un caractère”426. C’est exact, mais il omet de préciser que les descriptions physiques et psychologiques sont minimales, surtout en ce qui concerne les figures féminines. Par exemple on ne sait rien sur ce que ressent l’adolescente au passé chargé de tant d’horreurs lorsqu’elle se retrouve mariée à un homme d’âge mûr. Elle pleure dans ses cheveux la première fois que son mari la prend et apprend à simuler pour lui faire croire qu’elle éprouve le plaisir que toute femme doit éprouver à “faire la femme”. Le lecteur n’apprend que peu de choses sur elle car la vocation de son personnage est d’être rattachée au personnage central ; de plus cette économie de détails, cette parcimonie fait partie du style de l’écrivain. Chraïbi ne verse pas dans l’analyse psychologique et encore moins lorsqu’il s’agit du monde de l’enfance des filles si éloigné du sien. La petite fille suivante, évoquée dans le même livre, sera la fille d’Hineb et d’Azwaw, Yerma. A sa naissance, elle est baptisée par son père avec le sang d’une génisse tuée sur place dans la chambre du nouveau-né. Le sang sert à tracer le signe des “temps anciens : un poisson entouré d’une étoile”, le symbole berbère. Remarquons le caractère exceptionnel d’un tel geste symbolique pour fêter la naissance d’une fille. On ne sait s’il faut l’attribuer au contexte berbère ou si cet acte a un rapport avec la place que Yerma va occuper dans la vie de son père. Sa mère Hineb, ne pouvant l’allaiter, est répudiée sur le champ et remplacée par une nourrice. Azwaw s’occupe jalousement de sa fille et personne n’a le droit de parler à l’enfant de sa mère, ni de son grand-père. Tout son passé lui est ainsi dérobé. Azwaw remplit les fonctions de père et de mère, il lui tient lieu de famille entière. Yerma est vaguement décrite. Quelques détails sur son physique : elle a de longs cheveux, blonds (information apportée par l’âne dont s’occupe la petite fille), la petite maîtresse a “une crinière dorée” (La Mère du Printemps,51). Elle apparaît comme une petite fille “rieuse et avide de la vie”, elle n’a d’admiration que pour son père ; son premier souvenir est formé par “une paire de mâchoires en mouvement, couvertes de poils. Au dessus, deux trous de tendresse noire : les yeux de son père” (88). Quelques années plus tard, Yerma a “un jeune corps aux formes menues et pleines à la fois”. Depuis l’âge de 9 ans, elle est la maîtresse de Azwaw (104). Est-ce que cet âge innocent est dicté ou influencé par l’histoire du Prophète qui déclara Aïcha nubile à 9 ans, pour pouvoir l’épouser ? Cet élément, apparemment anodin, peut signifier soit des résurgences inconscientes de la religion chez Chraïbi, soit une volonté de sa part de faire référence au texte coranique pour légaliser cette union. Aucun élément ne permet de justifier une interprétation plus que l’autre. Yerma et Azwaw s’aiment et leur amour charnel ne suscite aucun commentaire. Or l’inceste n’est pas un élément culturellement si intégré, même dans les sociétés berbères du VIe siècle, pour qu’il soit raconté avec tant de naturel. La passion du père pour l’enfant n’entraîne pas une énumération élogieuse des qualités de la femme aimée ou un discours amoureux. Azwaw est un homme autoritaire et solitaire, et sa fille, Yerma, constitue son unique réconfort, la seule en qui il a 132 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 133 confiance et pour qui il éprouve vraiment de l’amour. Ainsi le lecteur doit accepter la relation telle quelle, sans plus d’informations. Un dernier personnage de petite fille, de moindre importance, est dans Naissance à l’aube le bébé né des amours du général Tariq et de son esclave427. L’enfant épousera plus tard le fils de Yerma. Elle n’existe qu’en sa qualité de future mère d’un garçon qui comptera pour la dynastie berbère des Almoravides. Nous n’avons pas trouvé, comme c’est souvent le cas dans les romans maghrébins, de personnages de soeur ou de cousine. Faut-il y voir l’influence de la vie de Chraïbi ? Il décrit sa famille comme une large fratrie sans soeur428, mais l’absence de cousines ou de voisines nous semble néanmoins étonnante. Cependant son appartenance à une famille composée essentiellement de garçons peut fournir une explication partielle à leur maigre représentation, de même que son appartenance au monde maghrébin où la distance entre les deux sexes est si grande. Nous avons souhaité savoir si des chercheurs, sociologues, ethnologues s’étaient penchés sur le rôle des petites filles maghrébines. Nous n’avons trouvé que très peu d’informations. Les chercheurs maghrébins sont essentiellement des hommes et ce domaine semble les avoir peu intéressés, peut-être est-ce l’insignifiance de ce monde, à leurs yeux, qui est à mettre en cause. Les quelques femmes chercheuses d’origine maghrébine, comme par exemple, Fatima Mernissi429, se sont attaquées principalement au problème de la position des femmes dans la société du Maghreb. Nous devons de mieux connaître la vie de la petite fille grâce aux travaux d’ethnologues françaises, telles Camille Lacoste-Dujardin et Germaine Tillon430. Dans une société où le monde des femmes est recouvert d’un voile, il se pourrait que les femmes maghrébines se sentent retenues par un sentiment de pudeur qui explique un tel silence. Il est alors bien naturel que ce soient plutôt des étrangères qui aient étudié cet univers. Quant aux écrivains maghrébins de la même génération ou plus jeunes que Driss Chraïbi, une rapide observation nous conduit à constater que peu se sont épanchés sur la condition des filles. Seul Tahar Ben Jelloun a raconté la misère des filles. Quant aux auteurs féminins, majoritairement écrivains de la seconde génération, nées et vivant en France, si elles sont plus libres que leurs soeurs vivant au Maghreb, elles doivent encore braver des interdits. Dans la culture maghrébine, se singulariser, ce qui est le propre d’une femme écrivain, reste proscrit. Ainsi la romancière tunisienne Hahsia Jalila a-t-elle vu ses écrits qualifiés d’exhibitionnistes431. Comment mieux exprimer le fait que ce ne sont pas les écrits mêmes qui sont exhibitionnistes mais que l’acte d’écrire en lui-même pour une femme est considéré comme exhibitionniste ? Une telle constatation souligne le fait que même si l’homme et la femme font partie du même groupe social, les tabous sont toujours plus puissants en ce qui concerne la femme. Aussi les petites filles maghrébines les subissent très jeunes, elles doivent apprendre tôt à tenir le rôle que la société attend d’elles. Elevées dans l’attente de l’homme qui va les rendre mères, les années d’enfance sont tournées vers cet avenir où rien ne dépend d’elles. Elles doivent rester dans l’ombre et seuls leurs rêves leur font peut-être espérer autre chose. Que peut savoir un écrivain maghrébin des songes des petites filles ? 133 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 134 1.2 Les petites filles occidentales L’étude des petites filles occidentales sera rapide car elles sont peu nombreuses et peu décrites, mais nous ne pouvons en faire l’économie dans le cadre d’une étude sur un auteur vivant dans un monde occidental. La première, un personnage secondaire, se trouve dans Le passé simple, une fille : “ un fleuve de cheveux blonds et qui fleure l’adolescence à peine déféquée” (194), Driss parle d’elle comme d’une “petite fille”. Elle n’est pour lui qu’une épaule sur laquelle sa main se pose : “je ne suis plus qu’une main” (195) dit-il, sa main va décharger sur cette épaule toute sa hargne. Driss se trouve à un carrefour et se pose la question de savoir s’il doit rejeter la famille, la religion, la société marocaine toute en bloc et opter pour la culture occidentale. Son discours, à ce moment-là, est extrêmement chaotique, à la limite du délirant. La fille, effrayée par la violence de Driss, s’évanouit. Driss l’utilise pour se libérer et l’état second dans lequel se trouve l’adolescent l’empêche de réaliser la peur qu’il provoque en elle. Son désarroi le rend insensible aux autres et l’amène à réduire l’enfant à l’état d’objet, objet réceptacle de son mal-être. “Elle avait eu le pouvoir de me vidanger –si les pensionnaires de Noémie m’avaient fait jouir”432 (203). Remarquons au passage que la fonction attribuée aux petites filles est très proche de celle qu’il attend des femmes : l’aider en le vidant. La seconde petite fille occidentale, Dominique, dans Mort au Canada remplit également cette tâche. Enfant “vive et sautillante [...] à la longue chevelure blonde”, elle a 11ans et demi, orpheline de père, elle vit avec sa mère et son frère. Dès leur première rencontre, la relation qui s’installe entre Patrik, le héros, et la petite fille, s’inscrit dans l’ambiguïté, à la fois amicale, filiale et plus encore. L’enfant entend l’homme lui parler et “sans qu’elle sût pourquoi, une infime partie d’elle-même remua. Remua comme un foetus dans le sein de sa mère” (20)433. Puis Dominique se retourne pour voir qui lui parle et sans comprendre pourquoi elle est “déçue […] quelque chose venait de se passer en elle, comme une fièvre d’enfant”. Patrik insiste : “j’aurais pu être cet homme. Il aurait pu être ton père”. Le glissement de sens peut faire croire à l’enfant qu’il aurait pu être son père. D’autres signes alimentent le malentendu laissant imaginer à l’enfant que Patrik est une résurrection de son père, comme la chanson que Patrik siffle et que seul son père connaissait ou encore le geste de couper les allumettes en deux morceaux, manie de son défunt père. A la relation amicale et filiale s’ajoute en filigrane une relation moins facile à nommer, celle exprimée par le regard de l’homme qui voit dans les yeux de la fillette son ancienne maîtresse : Il vit les yeux de cette enfant baignés d’inconnu et de découverte et de tendresse intense. Et derrière eux, il vit encore les yeux de Maryvonne qui l’avaient regardé ainsi, pendant des nuits et des jours. Sa main était indépendante de sa volonté, comme détachée de son corps – caressant, lentement caressant les cheveux de la petite fille. L’aria montait et descendait dans son corps avec des accents graves d’orgues (21). L’univers familial de l’enfant se déroule entre un frère avec qui elle ne s’entend pas vraiment et sa mère. Son père lui manque, elle est en manque d’amour et la rencontre avec Patrik ravive la blessure. Patrik a déclenché chez l’enfant une véritable vague d’amour occupant l’espace laissé 134 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 135 par l’absent : “Elle l’aimait. Elle en était effrayée et en même temps heureuse” (108). A la fin du livre, Dominique est persuadée que Patrik et son père ne font qu’un. L’homme avoue à demi-mots s’être servi de la fillette parce qu’elle ressemblait à sa propre fille au même âge et qu’il a cru la retrouver. D’une certaine manière Patrik tente de renouer les fils de son passé dans l’espoir de cicatriser les blessures du présent. Il trouve chez l’enfant l’épaule dont il a besoin : “Il surveilla attentivement sa main, l’immobilisa sur l’épaule droite de Dominique” (22). Le lecteur reconnaît le geste de Driss dans Le passé simple. L’épaule sur laquelle le héros s’appuie, pourrait être un symbole de l’aide qu’il espère du monde des enfants. Leurs (supposées) innocence et pureté seraient susceptibles de l’absoudre, de le sauver, lui l’adulte en proie aux tourments d’adulte. De nouveau le personnage de l’enfant avec tout ce qu’il peut vivre, espérer ou croire se réduit au minimum. Le grave trouble que cette relation provoque chez Dominique, importe peu pour Patrik : l’essentiel semble de se retrouver lui-même, se reconstituer. L’énumération des petites filles occidentales se limite à ces deux fillettes, qui sont si semblables qu’elles pourraient se confondre en un seul personnage. Elles ont les mêmes cheveux longs, blonds, à peu près le même âge, l’âge qui hésite à basculer de l’enfance à l’adolescence, cet âge qui voit la féminité s’affirmer. Elles sont toutes deux sensibles à des voix d’inconnus qui les renvoient à quelque chose profondément enfoui en elles. Les deux personnages se ressemblent également dans le rôle qui leur est imparti, rôle de miroir dans lequel l’homme se regarde à un moment critique de sa vie, où il recherche des réponses à son malaise. Se distinguent-elles de leurs soeurs maghrébines ? Non, les petites filles, qu’elles soient maghrébines ou occidentales ont le même profil. Driss Chraïbi, nous le savons, n’est pas un écrivain prolixe en ce qui concerne les descriptions des personnages, il les dépeint sommairement, utilisant avec constance les mêmes traits. Il en est de même pour le comportement et surtout le rôle que les petites filles tiennent. Nous n’avons trouvé nulle part de petite fille dans un rapport avec un/une camarade ou dans un rapport sororal/fraternel, ou encore une petite fille avec sa mère, ou même une fille en personnage principal. Hineb et sa fille Yerma en constituent un exemple flagrant : elles coexistent comme deux épouses d’un même homme sans se rencontrer ni se parler, ce qui est extrêmement curieux de la part d’une mère et d’une fille. De même Dominique et sa mère ne fonctionnent que dans le regard de l’homme, elles ne sont rien en dehors de la relation établie avec Patrik. C’est lui qui éclaire à tour de rôle mère et fille mais sans jamais les mettre en perspective l’une face à l’autre. Leur utilité repose dans la projection de l’image qu’elles renvoient du personnage masculin. Comment expliquer de telles similitudes entre les filles ? La ressemblance physique semble être le fruit d’une figure mythique qui hante l’écriture de Chraïbi. Il est occupé à redessiner inlassablement la même petite fille, la seule qu’il donne l’impression de connaître. Nous avons dit précédemment que le monde des petites filles est lointain, étranger et étrange pour Driss Chraïbi ; cet éloignement l’entraîne à se rattacher à une image unique qu’il a intériorisée. Pour illustrer le monde des filles tel qu’il a été perçu par l’auteur, nous rapportons une anecdote qu’il cite dans ses Mémoires434. La scène se passe pendant l’occupation allemande alors que des Français se réfugiaient au Maroc. Surgissent alors dans sa vie de jeune lycéen deux éléments féminins : une femme professeur, qui lui fit découvrir les mystères des aisselles féminines et encore une petite fille blonde qu’on fit asseoir à côté de lui. La petite fille n’était 135 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 136 pas particulièrement belle, mais sa proximité provoqua en lui un tel émoi sexuel qu’il ne put aller au tableau comme le lui demandait le professeur et dut simuler un malaise pour cacher son érection. Au-delà des pulsions sexuelles naturelles du petit garçon, cet émoi au contact du monde féminin illustre aussi combien ce monde-là lui paraissait lointain et inaccessible. Dans sa formation scolaire française, des textes littéraires ou autres ont fait entrevoir à l’auteur l’univers des petites filles étrangères, mais une telle approche ne pouvait que demeurer abstraite et en aucune façon compenser l’absence de contacts avec des jeunes êtres du sexe opposé. Chraïbi raconte l’étonnement de son professeur français, après la lecture d’un poème qu’il avait écrit à 14 ans435. De l’apparente précocité sexuelle de l’élève, le professeur en avait conclu qu’elle tenait à la culture islamique, alors qu’en réalité, l’élève Chraïbi racontait une expérience sexuelle purement rêvée. Son imagination s’était aussi nourrie de tout ce qu’il avait aperçu, deviné de sa mère. La muse du poème était-elle vraiment la petite fille blonde ? Une certaine méconnaissance du monde des petites filles, l’éloignement et l’interdit alimentent les fantasmes, des plus doux aux plus violents. Dans ce domaine, si la femme, comme l’a montré l’étude sur les femmes, se définit comme dangereuse, la petite fille l’est peut-être moins. Cette moindre “dangerosité” expliquerait que, à deux reprises, le couple dans les personnages de Chraïbi est celui d’un homme et d’une enfant. 2 LES PETITS GARÇONS Dans les livres de Driss Chraïbi n’apparaissent que des petits garçons maghrébins. Cette caractéristique semble peu étonnante compte-tenu du caractère hautement autobiographique de ses romans. Nous nous efforcerons tout d’abord de cerner l’environnement sociologique du garçon marocain afin de comprendre les personnages. Dans cette perspective nous présentons les grandes étapes qui structurent l’enfant masculin en milieu arabe : le sevrage et la circoncision, temps forts du petit garçon que Françoise Couchard synthétise ainsi : “le sevrage le prive du sein de la mère, la seconde le prive de son prépuce”436. De telles privations sans doute déjà traumatisantes en elles-mêmes vont également être lourdes de conséquences pour la place attribuée à l’enfant dans le groupe social. Que signifient le sevrage et la circoncision et quels en sont les enjeux ? 2.1 Le sevrage Le sevrage représente la fin de l’allaitement, la première séparation entre l’enfant et la mère. Nous ne reviendrons pas sur son importance vitale pour le développement physique et psychique du nourrisson mais nous développerons son analyse dans le contexte socio-culturel marocain. Au Maghreb, l’allaitement dure jusqu’à l’âge de 2 ans : “les femmes allaiteront leurs enfants deux ans complets si le père veut que le temps soit complet”437. Une période aussi longue s’explique d’abord sur un plan économique. Dans les pays pauvres le lait est d’autant plus important qu’il est à la fois rare et vital pour la survie des enfants438. L’islam réaffirme son importance, les textes religieux enseignent que les liens créés par le partage du lait sont aussi 136 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 137 importants que ceux du sang439. Que le Coran soit aussi précis dans un domaine intime à la mère –la durée de l’allaitement-, constitue une preuve de plus de l’importance qu’il lui attribue. D’ailleurs le Coran promet aux fidèles de trouver au paradis des “fleuves de lait au goût inaltérable”. N’est-ce pas une confirmation de ce que Freud disait du paradis : “il n’est rien d’autre que la somme de tous les fantasmes de notre enfance” ? Le lait au Maghreb, autant pour des raisons économiques que religieuses, a une portée symbolique puissante. Dans la pratique, l’allaitement se déroule de manière identique pour fille et garçon, mais, comme le fait remarquer Camille Lacoste-Dujardin, “en général on ne laisse pas pleurer le bébé, surtout le garçon”440 et de noter aussi que le sevrage est plus tardif chez le garçon que chez la fille. La mère maghrébine allaite à volonté, de jour comme de nuit, c’est un don total de la mère à son nourrisson. La nuit elle le couche contre elle, tel un prolongement de son corps. La pratique de l’allaitement est un acte gratifiant pour la mère car il constitue l’acte que la société, la famille, attendent d’elle. On peut penser que la femme compense dans la maternité la valorisation qui lui est refusée sur un plan personnel. Pour l’enfant, ce moment extrêmement fusionnel est “un paradis où coule en permanence le lait nourricier et où règne une plénitude parfaite”441. Mais tout connaît une fin. La mère doit sevrer son enfant et cet acte se produit souvent au moment d’une nouvelle grossesse, rendant ainsi le sevrage doublement douloureux : perdre la jouissance du sein et le voir donner à un autre. Petit garçon et petite fille vivent à ce moment la même frustration, la différence se joue dans l’après-sevrage. Le sevrage représente en effet la première phase réelle qui marque la distinction entre les sexes, car si celui de la petite fille n’entraîne pas de changement notable concernant sa place dans le groupe, il en est autrement pour le petit garçon. Il va être considéré par l’entourage comme un futur homme, et s’il vit encore dans l’univers des femmes, il a des droits et des privilèges dus à son statut viril. Penchons-nous un peu plus sur le sort du garçon. Le sevrage met un terme à une période unique de tête-à-tête entre le fils et sa mère, moment de symbiose totale, pendant laquelle il a pu croire qu’aucun tiers ne troublerait leur félicité. Le sevrage transforme la mère en figure de frustration infligeant à l’enfant sa première blessure narcissique. Le passage entre l’avant et l’après est difficile. L’avant lui offre un cocon chaud dispensateur de vie, chaleur et satisfaction libidinale. L’après, au-delà de la perte du plaisir, lui fait découvrir la frustration et la jalousie lorsqu’il réalise que la jouissance lui est enlevée pour être donnée à un autre. De nombreuses études sociologiques ont souligné le caractère passionnel de la jalousie propre au bassin méditerranéen. Il relèverait du contexte particulier de l’allaitement et du sevrage. Ainsi le code de l’honneur si puissant au Maghreb, selon lequel le frère se comporte en gardien de sa soeur –celui-ci pouvant aller jusqu’au meurtre, s’il est nécessaire au maintien de l’honneur de la famille– trouverait son origine dans la frustration du sevrage. “Le petit despote, le jeune chef de famille, est aussi, normalement, un être qui a été frustré”442. Germaine Tillon qui a beaucoup étudié l’univers familial au Maghreb, rapporte les traditions populaires à but thérapeutique pour l’enfant qui vient d’avoir un petit frère ou petite soeur. Pour prévenir le choc émotif dû surtout à la perte du sein et pour l’empêcher “de haïr le nouveau-né (et d’être malade ou de mourir de cette haine) on lui prépare un oeuf, gourmandise appréciée, après l’avoir mis entre les cuisses du bébé jusqu’à ce qu’il le salisse- opération à coup sûr de caractère magique”443. De telles pratiques montrent que l’apprentissage du partage ne se fait pas sans mal. L’enfant déchu 137 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 138 de sa place de petit roi, va se défendre en développant des comportements agressifs ou régressifs. Dans les deux cas, la réaction de la famille sera répressive. L’enfant va alors découvrir qu’en se conduisant selon les attentes des adultes, il obtient son acceptation dans le groupe et reçoit les privilèges accordés à son nouveau statut d’homme. C’est grâce à la soumission au groupe, principe essentiel de la société islamique, qu’il va s’intégrer. Du fait du caractère long et extrêmement fusionnel de l’allaitement, beaucoup de chercheurs ont tiré la conclusion que le sevrage au Maghreb était plus traumatique pour l’enfant qu’ailleurs. Traumatisme que ne reconnaissent pas des psychanalystes comme Abdelhadi Elfakir et Moustafa Safouan. Ils n’accordent pas un caractère pathologique à la frustration du sevrage, pour eux : “ce n’est pas l’alternance de la présence de sa mère et son absence qui angoisse l’enfant [...] mais (le fait que) sa mère ne le quitte pas”444. L’angoisse n’est donc pas causée par le sevrage mais au contraire par le sevrage différé, l’allaitement prolongé qui sont à la source du sentiment d’angoisse. Et Elfakir d’insister : “Plus les réponses de la mère sont pressantes, intarissables et immédiates, plus l’enfant y est en proie et ses demandes illimitées et insatiables engendrent culpabilité et angoisse”445. Si l’absence de limites engendre culpabilité, angoisse, le sevrage représente pour le nourrisson une sorte de libération, une délivrance et lui évite un rapport fusionnel avec la mère qui risquerait même de l’entraîner vers un état psychotique. Pourtant cette libération bénéfique pour l’enfant n’exclut pas un sentiment de nostalgie. Pour le sociologue Boudhiba, cette société connaît un désir constant de retourner au sein maternel, pour y retrouver la jouissance de l’allaitement446. Les fréquentes allusions au plaisir du sein exprimées par les écrivains maghrébins semblent lui donner raison. Alors que la mère s’inscrit en retrait dans la littérature maghrébine, cachée aux yeux de l’étranger, aucun tabou ne recouvre son sein. Les écrivains usent de l’alibi de la pureté du petit enfant pour encenser l’image esthétique et romantisée de la mère allaitant. “Connais-tu la douceur du sein entre les lèvres d’un enfant”447, ou encore “Le rire fuse du ciel, tel un sein entre les lèvres d’un enfant”448. Quant à Mohammed Khaïr Eddine, évoquant sa mère, il l’appelle “Maman-le-lait de mes ténèbres”449. Montserrat-Cals abonde dans le sens de Boudhiba, le sevrage de l’enfant maghrébin constitue une épreuve douloureuse, épreuve qui se répète dans la littérature maghrébine, lui donnant un caractère spécifique : “le thème de la nostalgie du sein maternel occupe la plupart des romans”450. Que le sevrage ait marqué l’homme d’une manière ou d’une autre, Elfakir relativise ce fantasme ; cette époque désignée par les écrivains comme le paradis ne serait pour lui “qu’une construction fantasmatique” faite après coup, dans un mouvement qui porte tout homme se retournant vers l’enfance à l’idéaliser451. Laissons la conclusion à Sylvie Garnero : “Bonne nourrice, mais séductrice, la mère ne deviendrait-elle pas castratrice ?”452. Poser la question apporte une partie de la réponse, elle met en évidence la problématique de l’allaitement prolongé et les difficultés qui s’ensuivent à se détacher de cet univers lacté453. Retrouve-t-on pareil sentiment de nostalgie chez Driss Chraïbi ? Certainement, mais il ne le présente pas dans un tel débordement lyrique. La nostalgie concerne la nourriture. Chez lui les seins se référent essentiellement à leur fonction alimentaire : “par ce sein qui t’a nourri” (Le passé simple, 32), ou “me remplirait la bouche de sa mamelle” (Le passé simple, 146)”. Les seins de la femme d’Azwaw sont nommés “des mamelles” (La Mère du Printemps, 84), les seins 138 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 139 vides provoquent la répudiation. Puis il parle avec tendresse de petites mamelles quand elles ont du lait : “il est bon, Azwaw l’a goûté” (La Mère du Printemps, 165). L’enfant au sein est pour l’auteur “l’enfant à la mamelle”(La Mère du Printemps, 112). Driss Chraïbi utilise un vocabulaire animalier et réducteur, en n’accordant d’attention qu’à la fonction nourricière du sein, semblant ignorer sa fonction érotique car derrière le vocabulaire de la nourriture, se cache toute une charge de plaisir sensuel. Lahcen Benchama a noté les répétitions du mot iben (petitlait) dans le discours de Hajja, la mère du village dans Une enquête au pays, lorsqu’elle parle de cuisine454. L’évocation de la nourriture éveille des sentiments nostalgiques certains chez l’inspecteur Ali. Une seule fois Chraïbi parle de l’allaitement et du sevrage du point de vue de l’enfant, et en exprime la douleur : “Ils ont têté un an, pleuré deux ans- le temps strict accordé à la prime enfance” (Le passé simple, 36). Et lorsqu’il évoque l’allaitement pour la mère, Chraïbi montre qu’il a été sensible aux arguments religieux : “Tu lui donneras le sein aussi longtemps que tu pourras, même quand il lui poussera des dents. Tant que tu l’allaiteras, tu seras plus une mère qu’une femme”(La Mère du Printemps, 83). Driss Chraïbi est sensible à l’argument plaisir de la nourriture, il l’évoque surtout dans le petit lait. Le lait même est moins explicitement présent, mais on le retrouve, par un glissement de sens, au travers de la symbolique qu’il partage avec l’eau. Lait et eau renvoient à la mère, et l’insistance de l’auteur concernant ces deux éléments dénote chez lui une fixation puissante sur la mère. Comme l’a dit Gaston Bachelard : “l’eau est un lait dès qu’elle est chantée avec ferveur, dès que le sentiment d’adoration pour la maternité des eaux est passionnée et sincère”455. L’auteur projette, lorsqu’il s’exprime sur le fleuve, La Mère du Printemps, des fantasmes propres à l’univers maternel : “la terre s’est réveillée, l’Oum-er-bia456 l’a nourrie durant son sommeil” (47), il appelle le fleuve couramment “la mère nourricière”(112) et le place toujours en relation avec la satisfaction de besoins primaires. Chraïbi rejoint ses pairs dans le sentiment de nostalgie pour l’allaitement, nous le constatons d’une part dans le langage clair et valorisant du lait, d’autre part dans l’association avec l’eau dans son oeuvre. L’insistance sur l’allaitement aide à comprendre les étapes qu’un petit garçon maghrébin doit parcourir. La question de savoir si au Maghreb un certain type de comportement est dû à l’allaitement trop fusionnel pour certains ou aux circonstances qui entourent le sevrage, dépasse le cadre d’une lecture de textes littéraires. L’important consiste à dresser un état des lieux des spécificités propres à la culture maghrébine. Gardons à l’esprit que l’allaitement et le sevrage tissent une partie du fond socio-culturel et forment la personnalité future de l’adulte, personnalité qui va s’épanouir dans la littérature. 2.2 La circoncision La circoncision constitue la deuxième étape décisive pour le petit garçon ; elle mérite que l’on s’y arrête car les incidences sur l’enfant s’avèrent nombreuses et complexes. L’acte par lequel le prépuce est coupé chez le jeune garçon peut intervenir entre 7 et 12 ans457. Ghazali justifie cette tardive circoncision ainsi : “elle est pratiquée par les juifs au septième jour. Il convient de se différencier d’eux et d’attendre que les duvets de l’enfant aient poussé”458. La circoncision, empruntée au judaïsme où elle est une obligation religieuse, ne se définit pas comme un acte 139 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 140 religieux pour les musulmans et aucune prière n’accompagne cette fête dans les pays arabes. Toutefois cet acte est si profondément ancré dans les pratiques qu’il en est devenu une attestation d’appartenance à la communauté musulmane, “davantage une pratique des Musulmans qu’une pratique de l’islam” résume Boudhiba459. La circoncision est un passage quasi obligatoire pour le garçon musulman, au contraire de l’excision qui, tolérée pour les filles, se pratique peu au Maghreb. L’habitude veut que l’oncle ou le grand-père présente l’enfant au barbier qui pratique l’opération à l’aide de ciseaux ou d’un rasoir. Il est de bon augure qu’avant la circoncision, la famille emmène l’enfant chez un marabout, un saint protecteur de la famille. L’enfant sera ensuite choyé et recevra des habits neufs, des gâteries. Pendant la cérémonie il y aura beaucoup de bruit, sans doute pour couvrir cris et pleurs de l’enfant. Les théoriciens proposent diverses interprétations de la circoncision. Sur un plan psychanalytique, pour Sigmund Freud, Theodor Reik, Georg Groddeck460 et d’autres encore, la circoncision incarne un substitut rituel de l’événement historique qu’a constitué la castration effectuée par le “Père de la horde primitive” sur les fils insoumis qui voulaient partager les femmes461. Cela signifie que l’acte prend racine avec violence dans la punition. Pour Bruno Bettelheim, l’angoisse de castration provient de la peur du père tout autant que des images maternelles462. Il rejoint ce qui a été dit dans le paragraphe sur le sevrage : “Il n’y a chez lui (l’enfant) d’angoisse de castration que là où il y a tentation, c’est-à-dire justement, présence du désir maternel à son endroit [...] dans tous les cas, l’angoissant n’est pas le manque, mais le défaut de son appui”463. Les deux rites de passage, le sevrage et la circoncision, tendent vers un même but : séparer l’enfant de la mère pour lui permettre de rejoindre le monde paternel et de prendre sa place dans le groupe464. Malek Chebel, anthropologue et psychanalyste, propose une interprétation plus spécifique au monde arabe en associant sevrage et circoncision : En termes psychanalytiques, c’est dans ce passage très rapide d’une oralité généreuse et prodigue à une “génitalité” vécue sous le signe de l’angoisse de castration et du danger réel de l’exérèse que tout enfant maghrébin ressent, peu ou prou, lors de la circoncision, que se situent les deux termes d’un conflit particulier contribuant à renforcer le fantasme majeur de la castration. Car il faut admettre que si la circoncision marque une étape dans la vie de l’enfant, ce n’est certainement pas au profit d’une accession réelle au monde de la masculinité achevée qui ne s’opérera qu’à la puberté. En fait, tout fonctionne comme si l’enfant payait le prix par anticipation, longtemps avant la jouissance sexuelle promise465. La question que pose Chebel est “comment circoncire sans “castrer”, comment trancher sans donner l’impression de détruire et comment faire admettre qu’une ablation puisse être un facteur d’accomplissement et de perfection466. Les conséquences de la circoncision pour ce chercheur sont multiples : positives pour ce qu’il appelle “le Soi dans le groupe”, sentiment de faire partie d’un groupe ; négatives quand on considère les formes de pathologie fréquentes chez les hommes maghrébins “peurs incoercibles et immotivées, troubles affectifs, impuissance lors de la nuit de noces, ou encore éjaculations précoces”. Chebel ajoute à cette étiologie des 140 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 141 comportements caractéristiques des hommes maghrébins : “agressivité mineure à l’égard de la soeur jusqu’aux conduites de surcompensation phallique les plus sommaires (sentiment exacerbé de l’hypervirilité, de la jalousie, du narcissisme et du souci majeur de la “bonne apparence”). Cette agressivité s’expliquerait par une régression à la période précirconcisionnelle, période où l’enfant s’était refait un statut après la fin du sevrage. Nous avons précédemment dit qu’une des défenses de l’enfant au sevrage est de devenir violent ; après la circoncision de tels comportements agressifs peuvent réapparaître et même des années après comme réminiscences de cet âge. Sur un plan sociologique, Boudhiba apporte un autre éclairage, au niveau du vécu conscient dans la culture maghrébine : Le petit garçon se rend très vite compte des privilèges exorbitants qui sont associés à la condition masculine. Il est tout pénétré de l’importance de “cette petite chose qui pend [...] D’où la crainte qu’on ne la lui coupe s’il n’est pas encore circoncis ou qu’on ne recoupe ce qui reste après la circoncision [...] Valorisation symbolique du phallus et crainte obsessionnelle de le perdre. Cette situation est appelée à durer longtemps, spécialement dans une société autoritaire et où le père terrible “truste” pour lui toutes sortes de biens, de plaisirs, de richesses [...] et de femmes. Si tout finalement semble se résorber sans trop de mal c’est à coup sûr en raison de toutes les formes de socialisation mises en route mais aussi en raison de l’âge précoce du mariage qui relaie en quelque sorte et presque immédiatement la circoncision467. Il relève par ailleurs la similitude qu’il y a entre la circoncision et le mariage. Les mêmes rituels précèdent les deux cérémonies, cette analogie l’amène à conclure que “la circoncision est la voie ouverte au mariage [...] promesse et garantie d’une future vie génésique qu’on veut aussi ample, aussi grande, aussi durable que l’amour”468. Constituant un acte préparatoire à la sexualité du garçon, la circoncision est l’occasion de grandes réjouissances au même titre que le mariage. Boudhiba justifie donc la circoncision comme le premier pas sur le chemin qui mène à la jouissance469, alors que pour Chebel, il s’agit d’un leurre, on promet à l’enfant quelque chose qu’il n’est pas prêt à recevoir. Dans la culture maghrébine, la circoncision faisant partie globalement d’un rite d’accession au monde de la sexualité, serait souhaitée par le garçon et elle n’est pas vécue comme un acte de prise de pouvoir de l’adulte sur lui470. Il nous semble que la circoncision, au-delà des promesses de jouissance, pourrait être plus concrètement considérée comme une “discipline du corps”, un acte de soumission et un rite de passage pour accéder à la communauté des “nous les circoncis”. Marquée par la tradition musulmane, elle représente un des temps forts préparant le garçon à son accession au groupe, à la Umma mais pas à son individuation. La conséquence en est que l’homme maghrébin se comporte plus en homme de groupe qu’en partenaire dans le couple. “L’enfant, préoccupé par son pénis mutilé, va faire de la surenchère pour montrer qu’il est bien un “mâle”, plus “homme” que jamais, et le prouver”471, comportement qui l’accompagnera dans sa vie d’adulte face à la femme472. Une telle conduite amène Chebel à remettre en question la continuité de la circoncision non justifiée par les textes religieux, qui ressemble plus à une réminiscence 141 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 142 archaïque. Elfakir, malgré les arguments en défaveur de la circoncision, persiste à croire que le jeune garçon maghrébin désire ardemment la circoncision car elle lui donne les repères “identitaires aussi bien d’ordre culturel que psychique”473. Ne pas la pratiquer ou la retarder trop longuement pourrait être très déstabilisant pour le garçon. Pour renforcer son argumentation, Elfakir pare la circoncision d’une dimension mythique faisant référence au mythe ibrahimique. Dans le récit biblique, le mythe judaïque raconte comment Yahweh ordonna à Abram et à tous les mâles de la tribu de se circoncire pour prouver leur allégance à son Dieu : A Abram est ôté le prépuce, considéré comme attribut féminin et à son épouse Sarai est ôté le yod de son nom, symbole phallique dans la tradition zoharique. […] Ensuite on leur ajoute à l’un et à l’autre la lettre héi qui est symbole de détermination (article défini) et désigne sous sa forme abrégée le nom de Dieu. C’est-à-dire que, sexualisés l’un et l’autre, ils sont en même temps déterminés et divinisés, c’est-à-dire humanisés474. Les conséquences sont d’ordre double : Abraham et Sarah deviennent alors déterminés sexuellement et l’interdit d’inceste est renforcé. Sarah, demi-soeur et femme d’Abraham était stérile, le changement de nom et la circoncision, signes d’acceptation de l’allégeance à Dieu, leur apporteront un enfant qui, à son tour par sa circoncision, témoignera de l’alliance avec Dieu. Pour Elfakir, l’islam a gardé de cet acte l’alliance et la soumission, clef de voûte de la théorie religieuse. Abraham est le premier soumis à Dieu, soumission mise à épreuve lors de la demande de Dieu de lui sacrifier Isaac, son fils475. Une telle interprétation est particulièrement troublante dans la mesure où contrairement à Chebel et Boudhiba qui s’accordent pour dire la non-existence de textes religieux justifiant la circoncision, Elfakir lui donne une assise mythicoreligieuse. Ce renforcement mythico-religieux l’amène à accorder à la circoncision une place importante dans la résolution du complexe d’Oedipe en ce qui concerne la relation père-fils. “Elle (la circoncision) émancipe son désir (celui de l’enfant) en corrigeant son parcours pour l’engager dans le domaine des alliances et des rapports sociaux”476, Elfakir rejoint sur ce point Boudhiba en attribuant à la circoncision un caractère structurant et gratifiant puisqu’elle permet au fils de rejoindre le monde du père. Il nous semble, en tant que femme et de culture occidentale, que la circoncision constitue une atteinte à l’intégrité physique et symbolique de l’enfant ; cette opération -du domaine du réel- est trop proche par l’imagerie et par la correspondance des époques, de la castration -du domaine du fantasme- pour être traitée comme insignifiante dans le développement psychique d’un enfant477. Ce parallèle nous engage à croire en l’existence d’une blessure laissant une profonde cicatrice dans la relation père-fils. Notre propos n’est pas dans ce cadre de polémiquer sur la circoncision mais d’en mesurer la portée religieuse et sociale pour un homme. Dans le contexte maghrébin, la blessure physique et psychique ressentie par l’enfant lors de la circoncision est compensée par une valorisation sociale et religieuse, l’enfant fait partie de la umma, appartenance au groupe à laquelle l’enfant sera sans doute plus ou moins sensible. Les chercheurs maghrébins nous apportent par leurs idées contradictoires un complément d’informations sur la spécificité arabo-maghrébine. Ils 142 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 143 s’accordent sur deux points : l’importance de la trace laissée par la circoncision et l’acceptation de sa valorisation par le groupe. A la lueur de ces différents éclairages théoriques nous pouvons maintenant revenir au texte de Driss Chraïbi. Comment Chraïbi raconte-t-il cette grande fête ? Un seul passage parle de la circoncision, de retour à Fès les souvenirs affluent dans la tête de Driss (Le passé simple, 84) : Un jour, mon oncle m’a conduit me baigner dans les eaux sulfureuses de Moulay Yacoub : la gale. Un autre jour, un coiffeur à barbiche blanche m’a ligoté les bras derrière le dos, m’assis sur le rebord d’une fenêtre, m’a écarté les jambes : circoncision. Puis le Seigneur est revenu porteur de dattes de Médine et de son titre. La circoncision a lieu en l’absence du père, parti en pèlerinage. La mère et ses deux fils séjournent alors à Fès, d’où elle est originaire, et où son père, de son vivant, était marabout. Aucune allusion à une fête ou à une gratification pour féliciter l’enfant n’est faite, sinon la phrase suivante qui évoque le retour du père avec des dattes. La juxtaposition des deux événements ne porte pas sur le sens des dattes-cadeau mais sur la rancoeur qu’éprouve le fils d’avoir été abandonné par le père à ce moment-là. L’auteur raconte la circoncision comme une scène de torture : “ligoter, assis de force, écarter les jambes”, les mots expriment le sentiment d’impuissance du petit garçon, sentiment aggravé par l’absence du père. La rancoeur se trouve peut-être aussi ravivée par la concurrence. Quelle importance cette circoncision comparée au prestigieux titre qu’octroie le pélerinage du père et à son retour ? La juxtaposition des deux événements laisse à penser que l’un fait trop d’ombre à l’autre, l’enfant est une fois de plus mortifié. Montserrat-Cals a relevé dans ce passage la proximité entre la désinfection d’un corps galeux et la circoncision : “ce voisinage [...] établit l’impureté de l’enfant ainsi que l’urgence du remède”478. Cette ambivalence entre le bien et le mal, la honte et la fierté ou encore le propre et le sale porte la marque de l’enfance. Driss a pu associer la circoncision à la concrétisation d’une punition pour un acte répréhensible. Il vient d’arriver à Fès où il pense pouvoir être tranquille : “je pouvais enfin vivre [...] me masturber”(83). Erreur, dira-t-il, il va être circoncis. L’enfant n’est-il pas en train d’associer la circoncision qu’il vit dans sa chair à la castration symbolique, que tout enfant redoute en période oedipienne ? Sur un plan symbolique, elle correspond à l’âge de la résolution du conflit oedipien. Or sortir du conflit oedipien fait accéder à une génitalité adulte, les deux, circoncision et crainte de la castration, de manière concomitante, font sortir le garçon de l’enfance. Sur un plan social, le récit de la circoncision par Chraïbi montre l’étape que franchit l’enfant : Je pouvais enfin vivre […] Et, jusqu’alors rêve pur et simple, assouvissement furtif, me masturber pour faire acte de n’importe quoi qui ne fût pas un dogme. Erreur. Je fus réveillé dès la première aube, conduit dans un m’sid479, ramené par nuit noire, de nouveau battu, au m’sid, chez mon oncle, sur le crâne, sur la plante des pieds, sur le dos, sur les doigts, au nom du Coran, d’une constipation, d’un manque d’appétit, d’une souffrance, d’un vomissement, nombre de mains à baiser, celles de ma tante au réveil, de mon oncle matin et soir. (Le passé simple, 83) 143 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 144 La circoncision s’inscrit entre la haine de l’école coranique et l’abus de pouvoir des adultes. Il avait huit ans, et il rêvait de liberté. Au moyen d’attitudes stéréotypées, l’enfant doit montrer sa soumission à la famille, au groupe social, à la religion. “La complicité qui s’instaure entre les parents, la famille et le pouvoir religieux tend à renforcer les principes du Surmoi tout en maintenant l’enfant sous la domination des adultes qui attendent respect, soumission et obéissance de sa part”.480 L’enfant se sent pris au piège dans le filet tendu par la famille et la société. Les mots qui racontent l’avant et l’après de cet enfant de huit ans sont violents. Avant, il pouvait encore rêver, fantasmer. Le retour du père en même temps que la circoncision signifient la fin d’une époque. Il n’y a pas seulement les fantasmes paternels qui interviennent pour donner leur complexité à ces réminiscences. Il y a aussi ceux de l’enfant lui-même, qui, en l’espace de quelques minutes, passe de facto de son état naturel initial où dominait l’autoérotisme, à un état de culture dans lequel prend place une sexualité codifiée, socialisée, canalisée, en un mot domestiquée481. Peut-être doit-on à cette étape du développement l’enracinement de la violence sous-jacente permanente dans l’oeuvre de Chraïbi. Après l’exclusion du monde fusionnel de la mère, la circoncision entraîne le bannissement définitif du monde de l’enfance et donc de la proximité d’avec la mère. En échange, l’enfant reçoit le groupe en partage, il plonge dans le carcan des lois régissant la société où la soumission est loi. Ce n’est pas tant la douleur de la circoncision en soi mais toute la portée et charge émotionnelle de cet acte qui transforment un petit garçon en petit homme et déterminent son devenir. Le moment où le principe de plaisir doit laisser de l’espace au principe de réalité se révèle éprouvant, les rites de passage laissent des empreintes plus ou moins traumatisantes. Mais le passage reste obligé, il est structurant. Or si la Loi du Père a pour fonction de protéger l’enfant contre l’angoisse du “trop de mère” évoquée précédemment, elle n’empêche pas l’enfant d’avoir envie de se perdre dans ce “trop de mère”. La circoncision entraîne pour le garçon des conséquences immédiates : l’éviction du hammam des femmes, selon Françoise Couchard “le troisième sevrage”482. “Dès qu’il marche, le jeune garçon citadin accompagne sa mère au bain maure : prolongement de ce monde féminin qui l’entoure de sa sollicitude”483. Cet usage se pratique jusqu’à la puberté du garçon. Or, la notion de puberté est assez élastique. En effet les garçons ne deviennent pas tous pubères au même âge ; du reste, les mères ne sont pas forcément les mieux placées pour réaliser que leur garçon a quitté l’enfance ; enfin les pères semblant considérer comme une corvée le fait d’emmener leur fils au hammam, ne font pas vraiment pression sur les mères pour déclarer leur fils pubère. Tous les facteurs concourent à ce que les garçons puissent finalement fréquenter assez longuement ces lieux féminins. Dans le milieu familial maghrébin, l’enfant est la chose du gynécée jusqu’à trois ou quatre ans. La mère, mais aussi la soeur, la cousine, la voisine se sentent investies d’une lourde responsabilité. Elle consiste à faire cadrer la psychologie de l’enfant avec son sexe biologique initial [...] Le sexe est dans les choix initiaux de la mère, 144 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 145 lorsqu’elle est amenée à initier son enfant aux jeux complexes du -tout apprendremaintenant-pour-mieux-être-un-vrai-homme-demain- dans la séduction primaire […] un enfant qui a reçu une éducation sexuelle dans le giron de sa mère est en quelque sorte violenté par cela même qui lui plaît le plus, à savoir détrôner le père dans le désir maternel, devenir homme avant d’être viril et entretenir une relation d’amour...avant d’éprouver un désir d’adulte484. Entre un inconscient maternel dominant celui du garçon et une vision réelle de l’intimité des femmes, la sexualité des garçons va s’épanouir. Le hammam est univers de l’ambigu, étalage du nu associé au monde de la mère, pudeur et impudeur s’y côtoient dans une atmosphère humide. Boudhiba parle de “complexe du hammam” tellement ce lieu est chargé sur le plan fantasmagorique : “Et devenus adultes nous le peuplons de nos souvenirs, de nos phantasmes, de nos rêves et c’est là pour tout musulman une manière précise de revivre son enfance et ce à partir de son expérience du hammam”485. Les écrivains se sont souvent laissé emporter par la nostalgie évocatrice du hammam pour femmes486. Rappelons l’importance de l’institution du hammam, elle occupe une place particulière dans la société maghrébine. Le hammam n’est pas une salle de bains collective mais un lieu de purification. Selon l’islam, l’homme impur glisse dangereusement vers le mal d’où la nécessité de se purifier. Pour ce faire, trois éléments sont préconisés : le feu, l’eau et la terre. Pour des raisons pratiques évidentes, l’eau prend la première place. Le hammam est l’antichambre de la mosquée car le musulman sorti du hammam, purifié des contingences matérielles, recouvre sa pureté spirituelle. Au-delà du simple rituel, le hammam est fortement érotisé, “aller au hammam” signifie dans beaucoup de pays arabes “faire l’amour”. En effet, l’homme se rend au hammam pour se purifier de l’acte sexuel ou pour s’y préparer. “La conduite du hammam est un jeu d’adaptations au spirituel et d’apaisements des tensions physiques et psychiques provoquées par le commerce charnel”487. L’adolescent qui pénètre la première fois dans le hammam pour les hommes vient prendre sa place dans la communauté masculine. Tout devient communautaire pour lui, la purification, la prière, le travail, le café, la vie sociale. “A partir de ce moment, il est dressé pour s’efforcer d’orienter toute son énergie, toute sa vie vers le culte de la vie commune parmi les mâles et vers la dépréciation systématique de la féminité”488. A un âge où la sexualité devient pressante, l’adolescent est tenu éloigné des femmes. Elles deviennent taboues et l’interdiction absolue de s’approcher d’elles pèse sur le jeune homme, même sa mère devient une sorte d’étrangère. Il entre dans la communauté des hommes, communauté monosexuelle. Si le hammam des femmes est érotisé, celui des hommes ne l’est pas moins. “Le hammam est un milieu utérin”489, la topographie amène à se glisser au travers des pièces successives pour se retrouver dans le lieu le plus intime où l’on s’enfonce, la chaleur, l’obscurité, tout rappelle le chaud cocon des débuts. C’est un lieu de régression où l’homme contrôle mal ses pulsions et émotions, ajoutées aux frustrations dues à l’absence de contacts sexuels avec des jeunes filles de son âge. Le hammam apparaît comme un lieu avéré de la pédérastie et de l’homosexualité. Nous avons cherché la trace d’un lieu aussi mythique dans les romans de Chraïbi mais nous n’avons trouvé nulle part de description d’un tel enclos de l’intimité des femmes ou des hommes arabes. L’auteur apparaît dans ce domaine très marginal, comparé aux autres écrivains 145 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 146 maghrébins. Comment Driss Chraïbi, qui a écrit sur le monde de la famille, a-t-il pu faire l’impasse sur une telle expérience ? A cela plusieurs réponses sont possibles : la première est que Driss Chraïbi, enfant, n’aurait pas fréquenté le hammam en compagnie de sa mère. C’est un élément invérifiable -il n’en parle nulle part- mais assez improbable au vu des traditions marocaines. La deuxième réponse est qu’il a choisi sciemment de mettre un voile sur l’intimité de ce monde, l’écrivain considérant que le lieu du hammam relève de l’intimité du Maghreb et qu’il serait sacrilège de le partager avec un lecteur non-initié. Nous avons observé que Chraïbi n’est pas avare de détails dans les domaines qui relèvent de sa propre intimité mais sur celle de la mère il ne dit rien. Une autre raison pourrait être dans le rejet d’un lieu de groupe, groupe que Chraïbi fuit. Enfin on peut se demander si ce n’est pas parce qu’il ne pourrait pas maîtriser son verbe. Le silence sur ce vécu serait une censure sur une expérience trop lourde d’affects. Chaque réponse apporte certainement un brin de juste. L’écrivain a parfaitement le droit de ne pas écrire sur un thème trop privé mais cette omission ressemble beaucoup à un mécanisme de défense. Chraïbi fait donc l’impasse sur deux concepts-clés maghrébins : le sevrage et le hammam. On les retrouve néanmoins au travers des symboles de l’eau et du champ lexical de la sexualité. Nous reviennent les mots de la sexualité que nous citions précédemment : liquide, sueur, qui ne sont pas sans rappeler le vocabulaire du hammam490. Les vapeurs masquent les ombres, celle de la mère entre autres. Nul être humain n’échappe à la séduction des soins maternels. Le hammam découvre puis exile le corps féminin et c’est ce que verbalise l’auteur sous couvert d’une révolte contre tout. Sa révolte trouve son origine peut-être dans la douleur indicible de l’enfance d’avoir été rejeté. “En racontant nous maîtrisons : nous maîtrisons même notre impuissance à maîtriser, pourvu que nous la disions”491. Il peut sembler paradoxal de traiter d’un sujet qui n’est pas abordé par l’auteur mais nous sommes convaincue de l’importance d’un tel non-dit ou plutôt de ce que nous considérons comme un dire qui s’exprime autrement. Si tous les chercheurs s’accordent à reconnaître une place primordiale au hammam dans la société arabe, Driss Chraïbi n’a pu échapper à son emprise. Le nier à ce point ne fait que mieux le désigner. Le sevrage, comme la circoncision avec son pendant le hamman, font de l’homme musulman un homme de groupe -nous, les frères soumis à la religion-. Occulter l’existence de ces pratiques, en les refoulant au plus profond, permettrait de s’évader du “nous” dans une tentative de rester avec “soi-même”, comme à l’époque du tout petit enfant. Ce pourrait être une des clefs de l’auteur. 2.3 Les petits garçons des romans L’enfance est principalement racontée dans Le passé simple au travers des souvenirs de Driss. Il décrit un monde sombre pour l’enfant, qu’il soit celui de la maison, de l’école ou encore de la rue. A la maison, un climat de violence règne. La fratrie, à la merci du bon vouloir du père, meurt de faim en silence, éducation traditionnelle où l’enfant n’a rien à dire, il n’a qu’à obéir et bien se tenir. “Ce crachat s’ajoutera à tous les crachats antérieurs, aux coups de poing, aux coups de pied, aux gifles, aux piétinements” (32). Les châtiments corporels ne sont pas épargnés aux enfants, ils font partie de l’apprentissage. A l’école coranique, la loi du bâton sévit 146 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 147 aussi. L’auteur décrit l’enfer dans lequel vivent les enfants : “pendant quatre ans. A coups de bâton sur mon crâne et sur la plante des pieds – si magistralement que, jusqu’au jour du Jugement dernier, je n’aurai garde de l’oublier”(16). Driss se souvient du choc lorsqu’il alla la première fois à l’école, il en conserva une énurésie jusqu’à l’âge de 13ans(38) : “Les écoliers de cette sorte d’école sont les plus studieux et les plus malheureux du monde” (39). La famille soutient sans restrictions l’école et lorsque le père amène ses fils au fiqh, il lui dit : “Camel et Driss sont tes enfants. Qu’ils apprennent la sainte religion. Sinon, tue-les et fais-moi signe : je viendrai les enterrer” (38). Les violences sont aussi sexuelles : “sans compter que les perversités des grands contaminent les petits et que presque toujours ces écoles servent de cours tacites de pédérastie appliquée avec ou sans le concours de l’honorable maître d’école” (39). L’enfant est systématiquement nié et brisé, de telles méthodes ont pour finalité l’apprentissage de la soumission. Autre lieu du vécu de l’enfant, la rue fonctionne également sur un mode violent. Comme d’autres écrivains maghrébins, Driss Chraïbi rapporte dans Le passé simple les pratiques pédophiles du monde extérieur, de la rue sous la forme de deux courts récits492. Le premier raconte l’histoire d’Abbou (50), un vieux marchand de sauterelles, friandises populaires auprès des enfants. Il récupère un jour un jeune Berbère de 14 ans et le fait travailler contre paiement en nature. Mais l’enfant demande de plus en plus d’argent et Abbou le congédie. Le discours du vieil homme est admirable d’hypocrisie : il s’offusque que le jeune veuille aller au bordel et que son gendre ait des pratiques pédophiles, alors que lui-même agit de la même manière. Le jeune garçon congédié se retrouve de suite récupéré par le marchand de pastèques dont la description ne laisse aucun doute quant à son intérêt pour le garçon : “un gars énorme avec une trogne rouge et dont le reste était en proportion.” (52). Les deux hommes vont se disputer le jeune garçon, jusqu’au moment où la femme d’Abbou se plaint auprès du juge, qui renvoie les deux vieux dos à dos, le juge prenant à sa charge personnelle le gosse ! L’auteur raconte cette histoire au moment où dans la famille de Driss la tension devient très forte dans le récit principal, les enfants terrifiés attendent le bon vouloir du Seigneur. La deuxième histoire de pédophilie se situe juste avant que Driss ne revienne chez lui, après avoir été mis à la porte par son père. C’est un texte très court, un enfant crie, personne dans la rue ne s’y arrête. Battre un enfant qui apprend à se servir des poids pour la balance semble à priori normal ; mais Driss s’approche et regarde au travers d’une rainure : “Il y a un petit enfant par terre. Ses fesses sont nues. Celles de l’homme également. Il n’y a pas de poids. Ni de balance. Ni de martinet. Tout simplement un bol d’huile où trempe la main de l’homme. Peut-être de la sorte arrivera-t-il à faire taire l’enfant” (219). Notons que les deux histoires s’insèrent au moment où Driss rejette sa famille. La première fois, la tempête gronde dans sa tête et la seconde fois, mis à la porte par son père, il déambule dans la rue. De tels apartés peuvent représenter une façon détournée de relativiser la violence que subit l’adolescent à la maison. Mais elles illustrent aussi la brutalité subie par les enfants, à la maison, ou dans la rue. L’auteur donne ici libre cours à sa rage lorsqu’il dépeint le monde de l’enfance : humiliation, coups, dénégation. Il ne s’attaque pas à la pédophilie en lancant une diatribe partisane ; il raconte avec détachement, rendant la dénonciation encore plus forte. D’autres enfants peuplent les livres de Driss Chraïbi. Dans Les Boucs, Fabrice, le fils de Yalann et Simone, meurt très jeune493. A la fin du livre, le personnage principal, Yalann Waldik, 147 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 148 se souvient de lui-même, jeune Berbère de dix ans, cireur de chaussures, qui pour suivre les conseils d’un prêtre, a quitté un jour son pays et sa famille pour venir en France avec l’espoir de devenir quelqu’un. Il parle avec le recul de son expérience d’adulte, du garçon qu’il fut comme d’un enfant qu’on a trompé. Dans La Mère du Printemps, il y a un bébé, Yassin, dont nous perdons très rapidement la trace à la mort de sa mère, Hineb. Mais il est important à deux titres : en premier, il a apporté épanouissement et bonheur à sa mère et en second nous l’avons déjà mentionné son nom a sauvé la vie de la tribu berbère. La sourate XXXVI porte le nom de Ya-sin, que l’enfant du chef se nomme Yassin est interprété par le conquérant musulman comme un signe d’allégeance à l’islam. Dans Naissance à l’aube, Yerma met au monde Mohammed. Dès la naissance, l’enfant rejette sa mère violemment, elle sombre dans la folie. Mohammed sert de lien de passation à la descendance berbère. Son destin consiste à devenir le père d’Abdallah ibn Yassin, personnage d’importance historique puisqu’il fait renaître la dynastie berbère des Almoravides. En résumé, nous pouvons dire que l’enfant, quoique dans les seconds rôles, demeure toujours présent quelque part. Par ailleurs le seul personnage de petit garçon qu’on peut désigner comme principal, se révèle être celui de l’enfance du héros. Les pratiques pédophiles subies par les enfants vont déterminer leur devenir d’adulte à jamais. Elles ne relèvent pas de leur choix mais de celui d’un adulte ; elles ne font qu’illustrer la non-reconnaissance des enfants en tant qu’êtres humains à part entière, à qui le respect est dû. L’enfant est un objet malléable et corvéable à merci qu’il faut mater tôt. L’éducation ne représente qu’une école de dressage où l’enfant apprend la soumission, au même titre que la sexualité constitue une arme pour les mater ; la sexualité entre un adulte et un enfant n’est d’ailleurs pas explicitement interdite par les textes religieux. Le message que transmet la société à l’enfant le renvoie à des situations paradoxales : la proximité physique d’abord exclusive avec le sexe féminin devient par la suite formellement interdite et l’appartenance au genre masculin est hypervalorisée mais expose l’enfant aux agressions sexuelles. L’enfant doit assimiler de telles contradictions car elles font partie intégrante de la société maghrébine, il ne peut y échapper. Certains s’aident de rêves pour supporter. Plus tard quand je serai grand, ainsi parle le personnage d’un des romans de Serhane : Quand tu obtiendrais ton baccalauréat, tu prendrais ta revanche sur cette vie. Tu irais ailleurs. Tu ferais comme ton cousin Ali. Tu étudierais. Tu épouserais une étrangère et tu t’oublierais dans ce corps blanc. Tu enverrais de l’argent à ta mère, mais tu ne retournerais plus jamais au pays494. De la même manière Driss veut s’évader du monde étouffant dans lequel il vit. Comme le cousin Ali, il va quitter le Maroc, faire des études et épouser une étrangère, mais est-ce suffisant pour se libérer du monde de l’enfance ? Un personnage fugace dans l’oeuvre mais tenace par sa force fantasmatique, le petit frère Hamid pourrait nous faire croire à l’impossibilité d’y échapper. 148 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 149 2.4 Hamid, le petit frère Hamid est présenté dans Le passé simple comme un petit garçon de 9 ans, chétif, fragile, le dernier-né. Il est le frère préféré de Driss, dans une fratrie composée de 7 garçons. Hamid et Driss ne se ressemblent pas, ils se complètent, la force de Driss compense la faiblesse de Hamid. Hamid, l’ombre de Driss, reste à la maison et surveille les affaires du grand frère quand celuici va à l’école. Le grand frère en échange rapporte son savoir au petit frère. L’un opère à l’extérieur, l’autre est le gardien de l’intérieur. La répartition des rôles pourrait désigner Driss comme l’élément masculin et Hamid comme l’élément féminin d’un couple : “Nous avions notre petit monde à nous deux, bien caché, bien coquet, bien frêle” (118). Leur coalition face au reste de la famille constitue un lien de plus entre eux. La mort de Hamid que Driss impute à la violence du père, sera le catalyseur de la révolte qui grondait en lui. Cette mort l’amènera dans un premier temps au passage à l’acte et s’installera à jamais dans sa vie. Driss Chraïbi a perdu en réalité un petit frère, Hamid, qui avait à peu près une dizaine d’années. L’auteur décrit son petit frère comme un enfant au comportement étrange, un peu mystique. Il embrassait dans la rue tout ce que l’humanité comptait de misère : “des mains sales, des pieds nus et boueux, des chaussures rafistolées, des barbes hirsutes, des crânes teigneux, des plaies […] les chats galeux, les oiseaux morts, les papillons morts, les fleurs traînant dans les ruisseaux”. Un enfant aimé de tous mais que le père supportait difficilement. Quand le père le battait “Hamid pleurait puis souriait d’un demi-sourire si tranquille et si tristement doux que mon père chaussait ses babouches et sortait en claquant la porte”495. Une certaine fragilité psychique expliquerait l’absence de scolarisation et l’intérêt du grand frère pour l’enfant à protéger. La culpabilité éprouvée par l’auteur à la mort de Hamid a pu être accentuée du fait des déficiences de Hamid496. Ecoutons Chraïbi raconter la mort de l’enfant : Hamid mourut [...] d’une méningite foudroyante. J’étais tout seul avec lui, un samedi soir, dans cette grande maison en béton armé. Il avait eu brusquement le cou rigide et les joues en flammes. Je croyais simplement que c’était parce qu’il avait passé tout l’après-midi sur la terrasse, au grand soleil d’août. Il récita à voix haute le chapitre koranique de l’Universion497, se donna l’absolution, psalmodia le Cantique des Morts, me remit sa ceinture en cuir, un coquillage, une boîte d’allumettes, une écorce d’orange (tous ses biens), me fit jurer de partir à la recherche de mes frères les étrangers, de manger ce qu’ils mangent, de dormir où ils dorment, de vivre leur vie et mourut. Je ne pleurais pas, je partis. Je marchai jour et nuit, 10 jours et 10 nuits, 240 kms, sans m’arrêter, sans manger, sans dormir, sans penser à rien qu’à cette mort, je me repliai sur moi-même. Je fus stérile et négatif. Je me révoltai contre mon père, contre mon monde, contre le monde entier, je cassai la porte derrière moi une fois pour toutes, je perdis 6 ans de ma vie à cause de cette mort que j’avais faite mienne, ma chose, mon culte- et que je ne pouvais admettre498. La narration de la mort du petit frère intervient des années après, l’exagération des propos donne la mesure du traumatisme vécu par l’auteur. La mort de l’enfant est un récit digne d’un 149 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 150 héros. Ainsi on peut s’étonner de la clairvoyance d’un si jeune enfant. Pris soudainement de malaise il comprend l’imminence de sa mort, il a la présence d’esprit d’exprimer ses derniers voeux ainsi que de remplir ses devoirs de musulman. Ce rituel appartient au monde adulte, non à celui d’un enfant et la manière de raconter la mort tout autant que la réaction de l’auteur rendent le texte suspect quant à son authenticité. En effet on y trouve un mélange de détails extrêmement concrets et de gestes symboliques laissant penser que le récit est une affabulation de l’auteur, qui peut s’expliquer par l’importance décisive que la mort de l’enfant a occupé dans sa vie. Par ailleurs il dramatise en mettant en scène la mort car la romantisation et la distance créée par l’espace scénique le protègent de la souffrance. Un événement de telle importance mérite notre attention. Au delà de la douleur du deuil, il nous désigne essentiellement une chose : la place du père dans le conflit oedipien et ceci autour de deux axes. Le premier axe est indiqué dans la réaction du héros à la mort du petit frère qui sera d’accuser immédiatement le père de meurtre. Driss lui accorde une puissance presque surhumaine : “le soleil qui verra cet acier se réduire en rouille ne luira pas : inoxydable, l’acier” (171), dit-il de son père. Mais l’acier n’a-t-il pas aussi l’éclat du soleil ? On peut y voir une figure de sublimation, où les termes de la métaphore seraient à inverser. Le père devient le soleil, et le fils l’acier devenu enfin assez fort pour résister au père. Hamid meurt au mois de mai, pourtant la chaleur est torride comme en été, toutes les descriptions du soleil le placent au zénith, brûlant499. La symbolique père-soleil, assez traditionnelle, se retrouve par ces deux éléments. Le deuxième axe consiste en une projection à deux facettes de Driss sur Hamid500. La mort du petit frère sert de catalyseur à la tentative de parricide. Hamid était “son petit oiseau”, sa mort mérite vengeance. Mais, dans une optique psychanalytique, la violence et la haine de Driss contre le père peuvent être lues comme un déplacement “qui a pour fonction de nier toute culpabilité qui pourrait être sienne face à cette mort”501. N’oublions pas qu’Hamid le dernier-né de la famille est forcément un rival qui a supplanté Driss auprès de la mère. Sur un plan inconscient l’amour que porte le grand frère au benjamin ne peut qu’être teinté de jalousie. Un tel sentiment nous amène à concevoir l’hypothèse suivante : à la mort de Hamid se met en place chez Driss un mécanisme de défense, qui pour le déculpabiliser du désir de mort qu’il a éprouvé, du fait de sa jalousie, à l’encontre de son frère, lui fait dire -mon père hait mon petit frère, il est donc coupable de sa mort. Cette formulation remplace avantageusement le -je hais ce petit frère et je suis responsable de sa mort-. Ainsi désigner un coupable diminuerait sa propre culpabilité. La deuxième facette de la projection de Driss sur Hamid consisterait, toujours à un niveau inconscient, pour Driss à prendre la place du frère mort. Il s’identifierait à lui car “mourir sous les coups du père c’est un risque qu’il court à tout moment vu la prégnance de son désir parricide”502. La mort de Hamid dans Le passé simple raconte une période de résurgence du conflit oedipien. Les trois personnages principaux du complexe d’Oedipe sont présents : le père, la mère et l’enfant. Le conflit fait revivre à l’adolescent le fantasme de la scène originaire, c’est d’ailleurs à ce moment qu’il se souvient des mouchoirs trouvés sous le lit parental503. L’enfant voulant séduire la mère a toutes les raisons de craindre le châtiment du père, ce qui rend le soupçon d’infanticide crédible. 150 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 151 La mort du personnage romanesque recouvre à notre avis celle de la mort du frère de l’auteur. Chraïbi a perdu réellement son frère en été, mort d’une méningite subite, mais l’auteur croyait alors que c’était le soleil d’août qui l’avait tué.504 De même, après les accusations portées sur le père, la vérité sort, vérité romanesque qui colle à la vérité biographique : Hamid était mort de méningite. On peut donc voir que l’écriture rapportant cette mort a cheminé de façon identique à la pensée de Chraïbi au moment de la mort du petit frère, nier la cause signifie quelque part nier la réalité de la mort. Driss Chraïbi apporte son interprétation au caractère biographique du décès de son frère : Disons que cela a été un événement assez bouleversant de ma vie. Par la suite, cette mort se retrouve sous différentes formes : la mort d’un amour, la mort d’une idée, la mort d’une croyance, la mort d’un enthousiasme, la mort d’une passion505. La mort a envahi l’univers littéraire de Chraïbi, comme elle a fait partie de sa vie et il se révolte en permanence contre l’injustice de la mort. D’autres morts l’occupent sous forme de symboles, telle la fin de certains idéaux : la France-terre de liberté, l’intégration des travailleurs immigrés (Les Boucs), la mort d’une passion (Mort au Canada), la mort d’une époque (La Civilisation, ma Mère), d’une culture et d’une tradition (Enquête au pays), de la berbérie (la Mère du Printemps et Naissance à l’aube). L’auteur raconte un épisode assez tragique de sa vie. Son fils à l’âge de 7/8ans, a eu à son tour une méningite très sérieuse, il “a sauvé la vie de (son) fils en le soignant toute la nuit”. Avant cette méningite, son fils s’appelait Hamid, “tout de suite après on l’a appelé Stéphane”506. Chraïbi dit ne pas croire aux répétitions mais aux coïncidences. Que son enfant ait été guéri ne soulage pas la culpabilité par rapport à la mort de l’autre enfant. Il reste révolté contre une réalité inéluctable. Lors d’une interview, en 1975, accordée à Basfao, Driss Chraïbi s’était ainsi exprimé sur la mort : “On est tellement attiré par l’instinct de mort [...] Et il y a l’instinct de vie ; c’est le deuxième pôle [...] mais l’instinct de mort est très, très, très poussé”507. En 1985, à Eva Seidenfaden, sur le même sujet, il disait : “Je refuse l’angoisse, je refuse la vieillesse, je refuse la mort, je refuse la maladie, je refuse les peines, les souffrances et tout.”508. Refuser n’empêche pas l’angoisse de la mort de suinter de tous ses textes. L’épisode biographique de l’auteur confirme le caractère exutoire de son travail littéraire. Il cherche à exorciser la mort du petit frère, la faire revenir sous diverses formes, tend à l’exploiter jusqu’à épuisement. L’événement dramatique va ponctuer l’écriture de Chraïbi. La répétition, qui est la marque du recommencement de l’inacceptable, montre le traumatisme qui hante et constitue sans doute aussi une tentative de s’en libérer. L’enfant revient dans presque chaque livre, et la mort est partout présente. Une rapide énumération nous permet de montrer le caractère récurrent du motif. La mort de Hamid et de la mère dans Le passé simple s’accompagne de l’agonie d’un chat, victime de la cruauté humaine. Dans le second livre, Fabrice, l’enfant du couple, meurt à son tour de méningite et de nouveau un chat est étranglé509. Dans le troisième livre, Succession ouverte, le père malade met fin à ses jours. Mort au Canada parle d’une fillette dont le père est mort –suicide, suggère la mère-. Dans La mère du Printemps, la mère, le père de Hineb meurent au début du livre et Hineb est tuée à la fin du livre. Dans Naissance à l’aube, 151 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 152 Yerma et son père Azwaw mourront le même jour, la première atteinte de folie, le second se suicidant. Enfin, dans Enquête au pays, le chef d’Ali sera assassiné. A peu près tous les personnages qui entourent le héros, le frère, la mère, le père, le fils, la fille, le collègue meurent. Le seul à réchapper à cette hécatombe est le héros, protégé, dirait-on par sa bulle narcissique. La maladie vient renforcer le caractère morbide de l’écriture, elle touche principalement la tête : la méningite d’Hamid, dans Les Boucs et Enquête au pays, la migraine dans Enquête au pays, La Civilisation, ma Mère, Mort au Canada, de même que l’otite dans Les Boucs et Succession ouverte. Mais il y a aussi la grande épidémie qui fauche une partie de la tribu dans La Mère du Printemps. Evidemment pour se prémunir contre les dangers de la vie, il y a pléthore de médecins : dans Succession ouverte il y en a deux, celui qui annonce la mort du père et celui qui a accompagné le père dans sa maladie ; dans La Civilisation, ma Mère le héros part en France faire des études de médecine. Enfin dans Mort au Canada, le héros vivra une passion avec un médecin-psychiatre, “docteur de la tête”. La surprésence de cette profession se mesure à hauteur de l’angoisse de la mort mais elle peut rappeler aussi le désir du père d’avoir un fils médecin.510 Souvent aussi l’angoisse de la mort est transmise au travers du langage par la répétition du Cantique des Morts511 ou par des métaphores comme “tel un cerceuil d’enfant”512. La violence des morts (suicides, meurtres, maladie foudroyante) apporte une touche supplémentaire à l’angoisse. Le suicide représente une forme de mort assez fréquente dans les romans de Chraïbi, phénomène d’autant plus singulier que le suicide est tabou dans l’islam où tout est entre les mains de Allah513. Le suicide constitue un acte individuel. Et dans une société où le collectif prédomine, il provoque une onde de choc puissante dans la communauté. Driss Chraïbi enfreint de ce fait un interdit plus puissant que dans la société occidentale. Cette transgression se trouve renforcée du fait que ce sont les parents qui se suicident. Ce point mérite explication. Est-ce que le contexte culturel maghrébin qui réactualise cette angoisse514 rend une expérience traumatique réelle encore plus mortifère ? On peut le croire puisque cette agitation morbide semble être le sceau de la spécificité de la littérature maghrébine de langue française qui “grouille de cadavres, de suicidés, de fous et de rebelles. La mort, la passion de la destruction cachent un désir intense de vie, une volonté créatrice”515. Chraïbi partage cette caractéristique avec les écrivains maghrébins, mais chez lui le traumatisme de la mort du petit frère, qui lui est propre, l’a renforcée. La mort fait partie intégrante de l’essence de son écriture et l’amène à faire du couple qu’il formait avec Hamid, le centre de son expression littéraire. Ce couple, que l’on peut désigner par la formule “un couple grand-petit”, n’est pas à sous-estimer, il est une autre clef de l’univers de l’auteur. Ce couple se superpose à un autre couple fondamental composé lui aussi d’un grand et d’un petit : la mère et le fils. Il nous reste à conclure la présentation des personnages d’enfants chez Chraïbi en soulignant leur absence. Alors que l’enfant est un thème récurrent dans cette oeuvre, si nous comparons cette importance aux développements consacrés aux femmes et aux hommes, Driss Chraïbi semble l’escamoter. L’auteur a volontairement choisi de ne faire parler que des adultes, lui-même étant plus à l’aise pour évoquer ce monde. Mais l’enfant n’en tient pas moins une place prépondérante. Il suffit de regarder au travers ou à côté du personnage central pour y remarquer un enfant. Comme le dit l’auteur lui-même : “En fait dans tous mes livres vous trouvez un enfant, vous trouvez un homme à la fin de sa vie et vous trouvez des éléments, ou 152 Guinoune tekst deel3 19-09-2003 21:44 Pagina 153 vous trouvez un animal. Mais dans tous mes livres vous trouvez un enfant”516, ce qui est totalement exact, l’enfant se profile partout mais à l’arrière-plan. Nous le retrouvons comme partenaire qui fait problème dans les paragraphes sur le couple. On peut encore signaler l’originalité de Driss Chraïbi parlant de l’enfant. Des écrivains comme Ben Jelloun, Serhane ou encore Boudjedra ont raconté la vie, la misère et les joies des enfants, en les mettant au premier plan517, comme s’ils réglaient une dette à l’enfance avant d’écrire autre chose. Chraïbi a sauté cette étape, il s’est peu étendu sur l’univers quotidien des enfants. Le personnage principal le plus jeune dans ses livres, est un grand adolescent, un jeune adulte. Enfin, dernière singularité de Driss Chraïbi et certainement la plus grande : s’il rejoint les autres romanciers de sa génération en dénonçant la théocratie du père et les violences sexuelles exercées sur les enfants, il s’en éloigne radicalement dans un étrange paradoxe. Il est le seul écrivain maghrébin à dénoncer la pédophilie et à magnifier l’inceste. C’est cette relation qu’il s’agit d’approfondir et de comprendre. L’étude des personnages de femmes, d’hommes, d’enfants et maintenant celle du couple nous permettront de formuler des hypothèses concernant l’acte incestueux. N OT E S 418 419 420 421 422 423 424 425 426 427 428 429 430 431 432 Bousquet, L’éthique sexuelle de l’Islam. Ib. p.11. Généralement au moment de la puberté. Umar (581-644), compagnon du Prophète, cité par A. Dore-Audibert, K. Souad 1998, Etre femme au Maghreb et en Méditerranée. Du mythe à la réalité. Ib. p.56. Malek Chebel, La féminisation du monde. Essai sur Les Mille et Une nuits. Ib. p.85. Le fait que Mahomet n’ait épousé parmi ses 15 femmes qu’une seule vierge, Aïcha, ne semble pas avoir influencé les textes religieux. Weber Edgar 1989, Maghreb arabe et Occident français. Jalons pour une (re)connaissance interculturelle. Publisud, p.220. Pour une analyse plus complète de la femme, nous renvoyons aux nombreux ouvrages de sociologie traitant de la société maghrébine. Entre autres Mansour Fahmy (1913), La condition de la femme dans l’Islam. Allia (2002). Soumaya Naamane-Guessous (1991), Au-delà de toute pudeur. La sexualité féminine au Maroc. Karthala-Eddif. Dieu est grand. Haouach Abderrazak 1994-1995, Essai d’analyse du personnage dans “Le passé simple, Les Boucs, Succession ouverte” de Driss Chraïbi. UFR de Lettres. Paris Nord, p.55. Le général Tariq vient conquérir l’Andalousie au nom de l’islam. Le dernier livre de Mémoires de Chraïbi, Le Monde à côté, précise qu’une soeur est née dans sa famille après son départ en France et qu’il l’a donc peu connue. Fatima Mernissi 1990, Sultanes oubliées. Femmes chefs d’état en Islam. Albin Michel. Un article de Radia Toualbi s’attaque plus directement à la condition des filles : “Mères et filles à l’épreuve de la norme familiale”. Etre femme au Maghreb et en Méditerranée. Du mythe à la réalité. Ib. p.85. Camille Lacoste-Dujardin 1996, Des mères contre les femmes. Maternité et patriarcat au Maghreb. La Découverte et Germaine Tillon 1966, Le harem et les cousins. Seuil. Exemple rapporté par Jean Déjeux 1993, Maghreb Littérature de langue française. Arcantère, p.127. Les pensionnaires de Naomie sont des prostituées. 153 Guinoune tekst deel3 433 434 435 436 437 438 439 440 441 442 443 444 445 446 447 448 449 450 451 452 453 454 455 456 457 458 459 460 461 462 19-09-2003 21:44 Pagina 154 Remarquons la similitude avec Hineb émue par un chant inconnu. Mémoires de Driss Chraïbi Vu, lu, entendu. Ib. p.118. Vu, lu, entendu : poème qui a dû être écrit à la manière de François Villon Je fus jadis amoureux D’une dame jeune et jolie. Lors lui donnai sur les lieux Où elle faisait l’endormie Quatre venues de reins joyeux. Elle me dit d’une voix esbauhie : -Encore un coup, le coeur le veut ! -Encore un coup ? Bon gré, ma mie ! Mais par sainte Marie, Il ne fait pas toujours qui peut. Envoi Prince d’amour, je t’en supplie, Si plus ainsi qu’elle m’accueille, Fais que ma lance jamais ne plie ! Mais, par sainte Marie, Il ne fait pas toujours qui peut. Françoise Couchard 1994, Le fantasme de séduction dans la culture musulane. PUF. p.98. Le Coran indique deux ans dans la sourate II, 233 et trente mois dans la sourate XLVI, 15. Les chiffres de mortalité infantile n’ont baissé que depuis très peu de temps. Les liens du lait sont tout autant tabous que ceux du sang, en ce qui concerne le mariage, entre autres. Camille Lacoste-Dujardin, Des mères contre les femmes. Ib. p.110. Abdelhadi Elfakir 1995, Oedipe et personnalité au Maghreb. L’Harmattan, p.92. Germaine Tillon, Le harem et les cousins. Ib.p.115. Germaine Tillon, ib. p.116. Ib. p.95. Ib, p.95. Abdelwahab Boudhiba 1994, L’imaginaire maghrébin. Cérès. Tahar Ben Jelloun 1978, Moha le fou, Moha le sage. Le Seuil, p.132. Tahar Ben Jelloun 1976, La réclusion solitaire. Le Seuil. Mohammed Khaïr Eddine 1967, Agadir. Le Seuil. Montserrat-Cals, ib, p.536. Elfakir, ib. Op cit. Lacoste-Dujardin, ib, p.114. Freud 1936, “La féminité” Nouvelles conférences sur la psychanalyse. XXXIII conférence. Gallimard, Coll. Folio. “L’enfant garde de son premier aliment une faim inapaisable […] il ne se console jamais de la perte du sein maternel”. Benchama Lahcen, L’oeuvre de Driss Chraïbi. Ib. p.159. Gaston Bachelard 1942, L’eau et les rêves. Corti. Coll.Poche-essais. 1996. Pour rappel : Oum-er-bia est le nom arabe de La Mère du Printemps. Les normes sont variables, d’autres exégètes disent entre 1 et 12 ans. Boudhiba, Ib. p.215. Ib, p.222. Theodor Reik 1974, Le rituel, psychanalyse des rites religieux. Denoël ; Georg Groddeck 1973, Le livre du ça. Gallimard. Freud explique dans Totem et Tabou que le Père de la horde primitive, le Père mythique menaçait ses fils de castration en cas d’inceste. Bruno Bettelheim 1954, Les blessures symboliques. Gallimard. Bettelheim apporte une interprétation 154 Guinoune tekst deel3 463 464 465 466 467 468 469 470 471 472 473 474 475 476 477 478 479 480 481 482 483 484 485 486 487 488 489 490 491 19-09-2003 21:44 Pagina 155 d’un point de vue juif. Il s’élève contre cette interprétation de la circoncision associée au complexe de castration car le circonciseur n’a pas la cruauté jalouse du père, et il n’y a pas d’angoisse, de peur de l’opération chez le circoncis. Il faut savoir que la circoncision juive s’effectue sur le nourrisson, à un âge où il lui est difficile d’émettre des réserves. Safouan cité par Elfakir, Oedipe et personnalité au Maghreb. Ib, p.95. Nous rappelons la définition du complexe de castration de Jean Laplanche et J.-B. Pontalis 1967, Vocabulaire de la psychanalyse. PUF. Coll. Quadrige.1997 : “complexe centré sur le fantasme de castration, celui-ci venant apporter une réponse à l’énigme que pose à l’enfant la différence anatomique des sexes, présence ou absence du pénis : cette différence est attribuée à un retranchement du pénis chez la fille. La structure et les effets du complexe de castration sont différents chez le garçon et chez la fille. Le garçon redoute la castration comme réalisation d’une menace paternelle en réponse à ses activités sexuelles. Il en résulte pour lui une intense angoisse de castration […] Le complexe de castration est en étroite relation avec le complexe d’Oedipe et plus spécialement avec la fonction interdictrice et normative de celui-ci”. Chebel, ib. p.174. Ib. Boudhiba, ib. p.224. Ib, p.224. La circoncision peut être pratiquée entre 7 et 12 ans, un mariage précoce vers 15-16 ans Souhaitée ? Peut-être pas par tous. L’enfant n’a pas le choix, s’il devait désirer y échapper, la pression environnante oblige, il n’aurait aucune chance. R. Berthelier 1969, “Tentative d’approche socio-culturelle de la psychopathologie nord-africaine” Psychopathologie africaine, Dakar, vol.V, n.2. pp.197-198. Cité par Jean Déjeux 1986, Le sentiment religieux dans la littérature maghrébine de langue française. L’Harmattan, p.85. Nous avons déjà évoqué la jalousie virile des hommes du sud qui serait causée par le sevrage, la deuxième étape du développement du garçon confirme le machisme. Elfakir Abdelhadi, Oedipe et personnalité au Maghreb. Eléments d’ethnopsychologie clinique. Ib. Ib. p125 Elfakir cite Levy-Valancy 1979, Les voies et les pièges de la psychanalyse. Ed. Universitaires, p.263. Cf. supra 1ère partie. Ib, p.134. L’âge où l’enfant est circoncis correspond à peu près dans le temps à celui où il craint le châtiment paternel, parce qu’il est en pleine révolution oedipienne. Ib, p.170. Ecole coranique. Abdelhak Serhane 1995, L’amour circoncis. Eddif, p.50. Malek Chebel, p.180, ib. Françoise Couchard, Le fantasme de séduction, p.98, ib. Pour rappel, après le sevrage du sein la circoncision est pour cet auteur une forme de deuxième sevrage. Lacoste-Dujardin, Des mères contre les femmes. Ib., p.112 Malek Chebel, “Mères, sexualité et violence”, pp.49-59. Etre femme au Maghreb et en Méditerranée. Du mythe à la réalité. Sous la direction de Andrée Dore-Audibert et Khodja Souad. Ib. Ib, p.207. Cf. la description faite par Ahmed Sefrioui 1954, La boîte à merveille. Seuil, pp.11,14. Ib, p.203. Ib, p.208. Boudhiba, La sexualité en Islam. Ib. De même ne peut-on établir un parallèle entre les femmes arabes qui s’épilent au hammam et les aisselles poilues de l’enseignante française qui avaient excité l’enfant Chraïbi ? Voir le paragraphe sur les petites filles occidentales. Jean Bellemin-Noël 1983, Les contes et leurs fantasmes. PUF, p.36. 155 Guinoune tekst deel3 492 493 494 495 496 497 498 499 500 501 502 503 504 505 506 507 508 509 510 511 512 513 514 515 516 517 19-09-2003 21:44 Pagina 156 La pédophilie a été développée dans le paragraphe sur les personnages secondaires, deuxième partie. L’allusion à un berceau nous laisse penser qu’il s’agit d’un bébé, p.20. Abdelhak Serhane, Les enfants des rues étroites. Ib. p.14. Driss Chraïbi “La clef qui ouvre toutes les portes” article paru dans la revue Demain, novembre 1957. Ajoutons deux points indépendants l’un de l’autre par rapport à l’état mental d’Hamid que la description nous laisse supposer fragile : la description que fait l’auteur de sa mort semble invraisemblable et l’intérêt de Chraïbi pour la psychiatrie a pu trouver son origine dans l’état mental du frère. Nous n’avons pas trouvé de Sourate portant le nom d’Universion dans le Coran, il doit s’agir là encore d’une interprétation personnelle de l’auteur. Driss Chraïbi, “La clef qui ouvre les portes”. Ib. “Le soleil est flambant blanc, si blanc que je n’en distingue pas le soleil” ; “Le soleil a cinglé le linceul blanc, jusqu’à le rendre miroitant” pp.134-135 Démontré par Basfao, ib. p.728. Basfao, ib, p.728. Basfao, ib, p.728. Cf. Le paragraphe portant sur les mères dans les romans de la famille dans la deuxième partie. Kadra-Hadjadji op cit. p.51 :”Je croyais simplement, dit Chraïbi, que c’était parce qu’il avait passé tout l’après-midi sur la terrasse, au grand soleil d’août” dans le journal Demain 7-14 novembre 1957. Basfao, ib, p.728. Comme l’enfant de Simone et Yalann dans Les Boucs qui meurt de méningite. Kacem Basfao, Trajets : structure(s) du texte et du récit dans l`oeuvre romanesque de D. Chraïbi. Vol. I&II. ib. Eva Seidenfaden, Ein Kritischer Mittler Zwischen Zwei Kulturen : der Marokkanische Schrifsteller Driss Chraïbi und sein Erzâhlwerk. Ib. La symbolique de la mort du chat nous laisse perplexe. Le père aurait d’ailleurs payé des études de médecine à un orphelin, élément apporté par KadraHadjadji, p.22. Ib. Le passé simple, Succession ouverte pp.24,55,80,202, Une enquête au pays p.78, La Mère du Printemps p.149, Naissance à l’aube pp.121, 152, 172. Succession ouverte, p.149. Qui se jette du haut d’une montagne pour se tuer ira dans le Feu de la Géhenne ; il y sera plongé sans cesse et y demeurera éternellement. Celui qui avalera un poison pour se tuer, le gardera dans sa main et l’avalera sans cesse dans le Feu de la Géhenne où il demeurera éternellement. Celui qui se tuera au moyen d’un instrument tranchant, conservera cet instrument dans la main et s’en frappera sans cesse au ventre dans le Feu de la Géhenne où il demeurera éternellement. 76-56 (1). El Bokhari 1964, L’authentique Tradition Musulmane. Choix de h’adîths. Grasset. Cf. ce que nous disions précédemment concernant la proximité temporelle de la circoncision et de l’angoisse de castration Habib Salha1990, “Le vide dans la littérature Maghrébine d’expression française”. Littératures Maghrébines. Tome I. L’Harmattan, p.104. Interview mars 1985, Eva Seidenfaden. Ib. p.442. Spécialement dans L’enfant de sable ou Harrouda de Tahar Ben Jelloun ; Le fils du pauvre de Mouloud Feraoun ; Les enfants des rues étroites de Abdelhak Serhane ; La répudiation de Rachid Boudjedra ou encore dans La grande maison ou Le métier à tisser de Mohamed Dib. 156