l`entreprise et le conseil de la concurrence

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l`entreprise et le conseil de la concurrence
L’ENTREPRISE
ET LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Hedi BEN MRAD
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Politiques de Tunis
Introduction
On a écrit, à propos de la concurrence que « à dose modérée, c’est un excitant ; à
dose massive, un poison »1. A en croire cet adage, une « bonne ou une saine
concurrence » nécessite plusieurs « mains » : l’une est « invisible », l’autre est
« visible »2.
On peut, certainement, relever le caractère partiellement mythique de la
première3 mais on ne peut que s’incliner devant la réalité de la seconde.
Sans épiloguer sur cet interventionnisme économique de l’Etat de type libéral, il
est tout juste pertinent de questionner l’action de cette « main visible » sur le jeu de la
concurrence, dont l’entreprise (ou opérateur économique) constitue l’acteur essentiel,
sinon exclusif. En droit de la concurrence, affirme le Conseil de la concurrence
« l’entreprise économique n’est pas déterminée conformément à des critères juridiques
exclusifs, mais sur la base de critères économiques permettant de couvrir toutes les
sociétés, organisations et groupements et toutes les personnes morales qui « exercent
1
J. Ibert, La gestion paradoxale des relations entre firmes concurrentes, Rev. Fr. de gestion 2004/1, n°
148, p. 158.
2
“La main visible de l’Etat, écrit D. Brault, ne doit se monter que si la main invisible du marché ne
joue pas son rôle et que cette défaillance a pour raison une entrave artificiellement mise en œuvre par
des opérateurs ». D. Brault, Droit et politique de la concurrence. Economica 1997, p. 291.
3
H. Defalvard, La main invisible, mythe et réalité du marché comme ordre spontané. Rev. D’éco. Pol.
1990, p. 870.
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
une activité économique indépendamment de leur nature et leur forme et sans égard à
leur existence de droit ou de fait, ou si elles ont été créées ou sont dominées par des
personnes privées ou publiques… »4-
5
. Il s’agit, grosso modo, d’une « entité
mobilisant du travail et du capital pour produire des biens et services marchands »,6
dans un milieu concurrentiel.
Moteur de la compétition économique, selon les tenants de l’économie de
marché, la notion concurrence relève davantage de l’économie que du droit. Son
intrusion, de plus en plus réelle, dans le champ juridique l’affecte d’un coefficient
d’incertitude, variable selon le degré et l’intensité de l’emprise du droit sur
l’économie. Liée à la formation de l’économie de marché, l’évolution du concept de
concurrence n’est pas uniforme. Selon certains économistes la concurrence a revêtu,
selon les époques, trois aspects qui continuent de coexister. Elle est conçue, d’abord,
comme une institution sociale intuitivement considérée comme favorable à l’intérêt
général7. Cette pensée classique tenait la concurrence pour une « notion empirique qui
désigne un type de comportement jouant un rôle primordial dans une économie
libérale »8. Il s’agit d’une « intuition que le principe de concurrence permet de
déterminer les prix »9. Ensuite, avec l’école néo-classique10 la concurrence était
4
CC. Affaire n°3152, 26-7-2004, Société Loisirs Tabarka /club municipal de plongée sous marine.
VIIIe Rapport du conseil de la concurrence, 2004, 2e partie, p. 51.
Voir dans le même sens, C.C. Affaire n°5177, 2 juin 2005, IXè Rapport du CC. 2005, p. 56 ; Affaire
n°5178 , 2 juin 2005, IXè Rapport 2005, p. 62 ; Affaire 5174, 2ç décembre 2005, IXè Rapport du CC.
2005, p. 142 ; Affaire n°61111, 12 avril 2007, XIe Rapport 2007, 2e Partie, p. 11.
5
Ont été qualifiées, d’entreprises économiques, les associations et les personnes physiques exerçant
des professions libérales (Affaire n°5177 du 2 juin 2005).
6
M. Rwal, L’entreprise et l’Etat : Genèse et évolutions d’une relation inter organisationnelle atypique.
XV° conférence internationale de Management stratégique/Annecy/Genève 13-16 juin 2006.
7
Il s’agit, grosso modo, de la pensée classique avec François Quesnay, Say, Adam Smith, Ricardo et
Stuart Mill.
8
L. Doghri, Dimensions et comportements des entreprises. Essai d’application au secteur industriel
tunisien, thèse de doctorat d’Etat, Tunis 1984, p. 308.
9
A. Bienaymé, L’intérêt du consommateur dans l’application du droit de la concurrence : un point de
vue d’économiste, R.I.D. éco. 1995, p. 366.
10
Dont, Coumot et Alfred Marshall.
2
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
conçue comme un ensemble de conditions de marché strictement définies. Avec
Walras et Pareto, on parlera de la concurrence pure et parfaite11. Enfin, la concurrence
est présentée comme un phénomène empiriquement observable, mais fragile et menacé
d’auto-destruction12. Cette présentation résulte de la démarche des économistes qui
s’attachent, de plus en plus, à observer les phénomènes de production et le
comportement spontané des entreprises, plutôt que de s’attacher aux marchés
abstraitement définis. Cette philosophie nouvelle de la concurrence praticable, renvoie
aux nouvelles réflexions de J. Chamberlin sur « la concurrence monopolistique », de
J. Robinson relative à « la concurrence imparfaite » et de Schumpeter concernant
« l’entrepreneur innovateur » avec, pour ce dernier, une insistance particulière sur le
lien très fort entre innovation et dynamique économique.
Saisie par le droit13, la concurrence s’est trouvée dans le sillage de l’Etat
« régulateur »,14 avec le conseil de la concurrence15 comme principale autorité chargée
de l’application du droit de la concurrence16.
11
Ses éléments essentiels sont : la rationalité complète des agents, la mobilité parfaite et sans coûts des
agents et des facteurs de production, la continuité et la divisibilité des unités économiques,
l’information complète et l’absence de collusion ». L. Doglin, Thèse précitée, p. 309.
12
Cette nature dynamique de la concurrence fait qu’elle peut revêtir la forme de l’affrontement, de la
coopération (ententes) ou les deux à la fois, selon les stratégies du marché et les données du marché.
Selon certains auteurs, « les firmes jouent sur (ces) deux modes relationnels : l’activité des entreprises
est affaire de coopération lorsqu’il s’agit de confectionner le gâteau et de compétition quand vient le
moment de la partager ».
P. Le Roy, Les stratégies de renforcement du Leadership de marché : stabiliser ou perturber la
concurrence. Rev. Fr. de gestion 2004 / 1 , n°148, p. 21.
13
La simplicité de la formule contraste avec l’ampleur du phénomène.
En effet, la toute puissance du marché international, qui a marqué la fin du XXe siècle et le début du
« millénaire, a mis à rude épreuve les Etats-Nations. Des législations nationales sur la concurrence
sont mises en place, de par le monde, afin de réguler la fonction concurrentielle des marchés de plus
en plus ouverts sur l’extérieur. Une action internationale s’est déployée au sein de certains organismes
comme la CNUCED, l’OCDE et l’OMC, pour arrêter des règles juridiques minimales en matière de
concurrence. L’élaboration de la loi type sur la concurrence, au sein de la CNUCED, offre un début de
preuve de l’enjeu international de la concurrence, accentué par la globalisation de l’économie,
consécutive au déploiement planétaire de l’économie de marché.
L’Europe est allé jusqu’à établir un Réseau européen de la concurrence permettant aux autorités de
concurrence des Etats membres de coordonner la mise en œuvre des articles 81 et 82 du traité CE et de
3
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
L’absence de définition légale du conseil de la concurrence a donné lieu à de
vives controverses. On parle à son égard, ainsi que de ses homologues en droit
comparé, « d’organisme de type juridictionnel chargé d’exercer une magistrature
économique », « d’organisme consultatif de type administratif, remplissant une
mission quasi juridictionnelle d’intérêt public », de « quasi-juridiction » ou
« d’autorité administrative indépendante »17.
En Tunisie, le Conseil de la concurrence ( dénommée initialement Commission
de la concurrence ») s’est attribuée depuis 2002, la qualité d’ « autorité indépendante
édictant des décisions de nature juridictionnelle et exerçant une fonction consultative
s’entraider dans la gestion des cas. De même qu’un Réseau international de concurrence a été créé en
2001, à l’initiative des Etats-Unis, regroupant des autorités de concurrence et des représentants du
secteur privé.
14
Sur la régulation, d’une manière générale, voir : Ch. A. Morand, Régulation, complexité et
pluralisme juridique. Mélanges P. Amselek, Bruylant, 2005, p. 615, C. Teitgen – Colly, les instances
de régulation et la constitution, RDP n°1 , p. 153 ; La régulation : Nouveaux modes ? Nouveaux
territoires ? RFDA 2004, n°109, S. Rousseau et B. Zuindeau, Théorie de la régulation et
développement durable. Rev. De la régulation 2007, n°1, p. 1 ; F. Cafaggi, Gouvernance et
responsabilité des régulateurs privés, RIDE 2005, p. 111 ;
M. A. Freson-Roche (s. la dir.), Responsabilité et régulations économiques, Presses de Sc. Po.et
Dalloz ; S. Barbou des palaces, contribution (S)du modèle de concurrence régulatrice à l’analyse des
modes et niveaux de régulation. RFAP 2004/1, n°109, p. 37 ; D. Briand Meledo, Autorités sectorielles
et autorités de concurrence. RIDE 2007, p. 345 ; M. D’Alberti, La régulation économique en mutation,
RDP 2006-1, p. 231 ; M. Lambard, Institutions de régulation économique et démocratie politique.
AJDA, 2005, p ; 530 ; M.M. Mohamed Salah, les transformations de l’ordre public économique. Vers
un ordre public régulatoire, Mélanges G. Farjat ; Ed. Frison –Roche 1999, p. 261 ; G. Marcou, La
notion juridique de régulation, AJDA 2006, p. 347.
15
Le conseil de la concurrence est doté d’une composition inédite regroupant des magistrats, des
professionnels et des « experts ».
16
La lecture de certaines définitions du droit de la concurrence peut illustrer l’incertitude qui règne en
la matière : “l’ensemble des règles gouvernant les rivalités entre agents économiques dans la recherche
de la conservation d’une clientèle » (J. Azéma). « L’ensemble des règles qui s’appliquent aux
opérateurs économiques dans l’activité concurrentielle afin que la concurrence soit suffisante tout en
n’étant pas excessive (Y. Serra). « Le droit de la concurrence a d’une certaine manière succédé au
droit de la planification » (Ch. Leroy), « le droit de la concurrence ne doit pas être autre chose qu’une
branche dérivée de la théorie macro-économique ».
17
En France, la LME (loi de modernisation de l’économie du 4 aout 2008) a tranché la question en
affirmant que « l’Autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante » (Art.
L.461-1).
4
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
dans le domaine de la concurrence »18. Dans une jurisprudence récente, le conseil de la
concurrence s’est auto-qualifié comme « un organe juridictionnel spécialisé intégrant
l’ordre juridictionnel administratif »19.
Indépendamment de cette auto-qualification jurisprudentielle, le législateur a
reconnu au Conseil de la concurrence une double compétence. La compétence
consultative20 qui s’est consolidée en 2005, est à la fois facultative et obligatoire.
La consultation facultative bénéficie au ministre chargé du commerce pour « les
projets de textes législatifs et toutes les questions afférentes au domaine de la
concurrence », et aux « autorités de régulation sectorielles… (pour) les questions
afférentes au domaine de la concurrenc »21. Quant aux « organisations professionnelles
et syndicales, les organismes ou groupements de consommateurs légalement établis et
els chambres de commerce et d’industrie », ils peuvent requérir l’avis du conseil de la
concurrence par l’intermédiaire du ministre chargé du commerce « sur les questions de
concurrence dans les secteurs relevant de leur ressort ».
Il serait souhaitable d’étendre le domaine de la consultation facultative aux
collectivités locales et aux commissions parlementaires.
Quant à la consultation obligatoire, elle pèse sur le gouvernement pour « les
projets de textes réglementaires tendant à imposer des conditions particulières pour
l’exercice d’une activité économique ou d’une profession ou à établir des restrictions
pouvant entraver l’accès au marché »22. Elle est, aussi, retenue pour les pratiques
18
VIè Rapport du Conseil de la concurrence 2002, p. 16.
19
Affaire n°71140, 17 juillet 2008, Topnet… XIIe Rapport CC. 2008, p. 209.
20
Voir Tableau n°2.
21
Au niveau contentieux, le conseil de la concurrence est tenu de “demander l’avis technique des
autorités de régulation lors de l’examen des requêtes, dont il est saisi, et qui sont afférentes aux
secteurs relevant de leur ressort ». (Article 11 al. 3 de la loi 91-64).
22
Le pouvoir dont dispose le gouvernement pour soumettre un projet de texte réglementaire au conseil
de la concurrence s’exerce sous le contrôle du juge administratif sur la base du recours pour accès de
pouvoir.
5
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
anticoncurrentielles « dont les auteurs justifient qu’elles ont pour effet un progrès
technique ou économique et qu’elles procurent aux utilisateurs une partie équitable du
profit qui en résulte ». Ces pratiques sont soumises à l’autorisation du ministre chargé
du commerce après avis du conseil de la concurrence.
Enfin, le conseil de la
concurrence est obligatoirement consulté, par le ministre chargé du commerce, sur
« tout projet de concentration ou toute opération de concentration ».
Dans tous les cas de figure, les avis du conseil de la concurrence ne constituent
pas des avis conformes.
Quant à la compétence contentieuse du conseil de la concurrence, et sous réserve
des applications jurisprudentielles, elle est limitée au pratiques anticoncurrentielles,
objet de l’article 5 de la loi 91-6423.
Avec le conseil de la concurrence, on peut les ramener à trois catégories
essentielles, à savoir les ententes explicites ou implicites injustifiées, l’abus de position
dominante ou d’un état de dépendance économique et l’application de prix
abusivement bas24.
A un autre niveau, et à côté de l’auto-saisine, le conseil de la concurrence peut
être saisi par le ministre chargé du commerce, les entreprises économiques, les
organisations professionnelles et syndicales, les organismes ou groupements de
consommateurs légalement établis, les chambres de commerce et d’industrie, les
autorités de régulation et les collectivités locales.
23
24
Cette loi a été modifiée à cinq reprises :
- Loi n°93-83 du 26 juillet 1993.
- Loi n°95-42 du 24 avril 1995.
- Loi n°99-41 du 10 mai 1999.
- Loi n° 2003-74 du 11 novembre 2003.
- Loi n°2005-60 du 18 juillet 2005.
X Rapport du CC, 2006, p. 53.
6
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
Jusqu’en 2008, le conseil de la concurrence à rendu plus de 150 décisions, alors
que ses avis s’élèvent à 23125. Cette activité du conseil de la concurrence,
particulièrement au niveau contentieux, semble dessiner des rapports avec l’Entreprise,
teintés de « suspicion » légitime (1ère Partie) mais aussi de collaboration (2ème Partie).
PARTIE I
L’ENTREPRISE SURVEILLEE
Dans toute compétition, il y a de bons et de mauvais joueurs. La compétition
économique n’échappe pas à cette règle du jeu. Vis-à-vis de l’entreprise, le Conseil de
la concurrence est chargé de chasser les mauvais joueurs dans un souci de « protection
de l’intérêt économique général et de sauvegarde des mécanismes du marché »26. Il
s’agit de l’ordre public économique. Cette notion cardinale du droit de la concurrence,
qui manque encore de teneur et de visibilité juridique, est le fondement même du
double contrôle exercé sur les comportements (A) et sur les structures (B).
A) Le contrôle des comportements
Les pratiques anticoncurrentielles visent à interdire les pratiques attentatoires au
fonctionnement d marché selon la loi de l’offre et de la demande. Ce sont toutes les
pratiques qui limitent la concurrence entre les entreprises, prévues par l’article 5 de la
loi 91-6427, et qui relèvent de la compétence du conseil de la concurrence en premier
ressort, et du Tribunal administratif en appel et en cassation.
Ces pratiques anticoncurrentielles se distinguent, en Tunisie, des pratiques
restrictives, objet du Titre 2 de la loi 1991-64. Ces derniers sont, généralement,
25
Voir Tableau n°1 et 2.
26
Affaire n°71136, 13-12-2008, SRNICOM/Artès Renault, XIIe Rapport, 2008, p. 248.
27
Cet article entretient de fortes ressemblances avec l’article L. 420.1 du code de commerce français
(anciens articles 7 et 8 de l’ordonnance française de 1986).
7
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
classées, sur la base civile ou pénale de la peine encourue. C’est ainsi, par exemple,
que la prohibition des prix imposés relève des pratiques restrictives pénalement
sanctionnées, alors que les pratiques discriminatoires relèvent des pratiques restrictives
civilement sanctionnées. Ces pratiques sont présumées avoir « soit par elle-même soit
sous certaines conditions, pour effets de fausser la concurrence ou de porter atteinte
aux intérêts légitimes d’un concurrent »28.
Elles couvrent une série de pratiques « qui sont interdites en elles-mêmes parce
que présumées nocives, tant pour les entreprises qui en sont les victimes que pour le
fonctionnement normal du marché »29. Autrement dit, leur effet restrictif est présumé
« sans qu’il y ait lieu ni d’apprécier si la pratique a ou non une incidence sur le bon
fonctionnement d’un marché ni de dresser un bilan économique des avantages et des
inconvénients qui peuvent être liés à la pratique »30.
Pour revenir aux pratiques anticoncurrentielles, elles renvoient à des
comportements d’entreprises très variés qui visent à un « endormissement de la
concurrence, à édulcorer la lutte concurrentielle ou même à la supprimer »31. Leur
champ d’application est très vaste.
Sur le plan légal, la prohibition des pratiques anticoncurrentielles a connu un
élargissement de son champ d’application. Limitée initialement aux ententes (a) et à
l’abus de position dominante, cette prohibition s’est élargie à l’état de dépendance
économique(b) et aux offres de prix ou pratiques de prix abusivement bas (c)32.
28
D. Brault, Droit et pratique de la concurrence Economica 1997, p. 150.
29
Y. Serra, Le droit français de la concurrence, Dalloz 1993, p. 106.
30
D. Brault, Droit et politique de la concurrence, op. cit., p. 150.
31
Y. Serra, Le droit français de la concurrence, op. cit., p. 79.
32
Les contrats de concession et de représentation exclusive a fait l’objet d’une réglementation
déroutante.
Leur prohibition en 1995 a été assouplie en 1999 pour être supprimée en 2005.
8
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
a) Les ententes :
Selon la pratique jurisprudentielle, il s’agit d’une forme de coordination qui, sans
avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue
sciemment une coopération pratique aux risques de concurrence.
Les ententes ne sont pas condamnées en elles-mêmes, mais seulement,
lorsqu’elles portent atteinte à la concurrence. Depuis 1999, le conseil de la
concurrence a incriminé certaines pratiques des directeurs des auto-écoles dans le
gouvernorat de Siliana pour s’être entendus sur la hausse des tarifs de la conduite
automobile et de l’avoir pratiquée de manière uniforme. La preuve de cette entente
résultait, selon le conseil, d’une réunion tenu le 14 juin 1996 avec le président de la
chambre syndicale. De plus, les directeurs des auto-écoles ont avoué cette entente tout
en la justifiant par l’organisation de la profession33.
La forme des ententes prohibées peut prendre des formes très variées. On peut
signaler d’abord les ententes anticoncurrentielles horizontales qui peuvent consister en
des ententes de prix ou de marges entre entreprises en principe concurrentes,
l’élaboration et la diffusion de recommandations ou de directives en matière de prix ou
de remises par des organismes professionnels, des échanges d’informations ou des
ententes entre soumissionnaires à un même appel d’offres. Ensuite, on peut faire état
des ententes anticoncurrentielles verticales. Il s’agit, selon le conseil de la concurrence,
de « conventions conclues entre des opérateurs situés à différents stades du processus
de production ou de distribution comme, par exemple, entre une producteur et ses
33
Voir sur les ententes : Affaires n°5183, 20 juillet 2006, SONEDE/INOPLAST et autres…, Xe
Rapport, 2006, p. 65.
9
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
distributeurs auxquelles les seconds adhèrent explicitement ou tacitement »34. Cette
situation peut se manifester dans diverses clauses de conditions générales de vente ou
d’accords de coopération, ainsi que dans les contrats de distribution exclusive ou
sélective, ou encore les contrats comportant une clause d’exclusivité.
En ce qui concerne le problème du parallélisme des formes on signalera que
« tout parallélisme n’implique pas une entente tacite »35.
Sur la question de savoir si la constatation d’un comportement parallèle peut
constituer la preuve suffisante d’une pratique concertée, il a été retenu qu’en présence
d’un tel comportement sur le marché, il doit être prouvé que la concertation constitue
la seule explication possible.
b) L’abus de position dominante et l’état de dépendance économique
L’abus de position dominante soulève des problèmes épineux. On peut signaler
celui de la délimitation du marché pertinent, ou marché de référence. Selon le Conseil
de la concurrence, le marché est défini comme « le lieu sur lequel se rencontrent
l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique »36. La détermination du
marché pertinent fait appel à la notion de substituabilité des produits et services sur un
marché déterminé. Sont, ainsi, considérés comme « substituables » et comme se
trouvant sur un même marché, les produits ou services dont on peut raisonnablement
penser que les demandeurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels
ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »37. Parmi les éléments pris en
34
Rapport du Conseil de la concurrence, 1998.
35
J.B. Blaisse-F. Jenny, Le droit de la concurrence : les années récentes, Bilan et synthèse, RIDE,
1995, p. 91.
36
Rapport du Conseil de la concurrence, 2008.
37
XIIIe Rapport du Conseil de la concurrence français. Son la notion de substituabilité en Tunisie,
voir, Affaire n°5179, 22 juin 2006, COSMETICA Universel/Euro-Italia, Xe Rapport conseil de la
concurrence, 2006, p. 63 ; Affaire n°5186, 20 juillet 2006, SOCODI/Bouig, Xe Rapport, op. cit., p. 66.
10
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
compte, les caractéristiques propres des produits, leurs conditions d’utilisation
technique, les coûts d’usage ou de mise à disposition, la stratégie des offreurs.
Le second problème rencontré en matière d’abus de position dominante a trait à
la position dominante collective (ou Shaked Monopoly).
Celle-ci exige que les entreprises du groupe en cause soient suffisamment liées
entre elles pour adopter une même ligne d’action sur le marché. Mais, il arrive parfois
qu’on reconnaisse une position dominante collective détenue par plusieurs entreprises
qui n’appartiennent pas à un même groupe au sens financier du terme. En tout cas,
pour retenir l’abus de position dominante, le Conseil de la concurrence est amené à
constater que « les entreprises en cause avaient utilisé la position dominante qu’elles
détiennent pour chercher à éliminer un concurrent ou à empêcher l’arrivée sur le
marché d’une nouvelle entreprise »38.
L’état de dépendance économique a été introduit en 1999. Sa finalité est de
« prévenir les abus que peut être tenté de commettre une entreprise qui, ayant ou non
une position dominante sur son marché, peut être pour une entreprise un partenaire
obligé »39. Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que les
dispositions relatives à l’abus de dépendance économique puissent être appliquées : il
doit y avoir abus de dépendance économique ; l’abus de dépendance économique doit
avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel sur un marché et, enfin, la victime de
l’abus doit être dépourvue de toute solution de remplacement de même valeur. Pour
cette dernière condition, le droit allemand parle de possibilités suffisantes et
supportables de s’adresser à d’autres entreprises.
c) Offre de prix ou pratique de prix abusivement bas
38
Rapport du Conseil de la concurrence, 1998, CE 17 octobre 2008. Société OGDF, AJDA 2009, n°1,
p. 56.
39
D. Brault, Droit et politique de la concurrence, op. cit., p. 273.
11
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
Cette pratique n’est répréhensibles qui si elle est « susceptible de menacer
l’équilibre d’une activité économique et la loyauté de la concurrence sur le marché ».
Le Conseil a, ainsi, considéré qu’une revente à perte par une entreprise occupant une
position dominante sur un marché, est répréhensible en raison de son objet ou de son
effet sur la libre concurrence et l’équilibre général du marché, d’autant qu’elle est
préjudiciable aux derniers publics40.
La variété de ces différentes pratiques anticoncurrentielles, n’a pas empêché le
Conseil de la concurrence de leur assimiler la concurrence déloyale et les infractions
économiques, sous certaines conditions41.
L’autre innovation, en la matière, est la soumission des personnes publiques au
droit de la concurrence et l’alignement de leurs comportements marchands sur ceux
des personnes privées42. Question cardinale du droit de la concurrence qu’il faudrait
traiter avec lucidité et sur le long terme.
B) Le contrôle des structures
A la différence du contrôle des comportements des entreprises, celui des
structures n’est pas très pesant. En effet, la matière des concentrations d’entreprises
relève de la politique de la concurrence qui échappe, en grande partie au Conseil de la
concurrence.
Appréhendée comme un « phénomène d’augmentation de la dimension de
certaines unités à l’intérieur du secteur d’activité auquel elles appartiennent »43, la
concentration fait partie intégrante de la logique concurrentielle. La concurrence
40
Affaire 4162, 25 mai 2005, Ministre du commerce/st Baccouche IXe Rapport, 2005, p. 62.
41
Voir, affaire n°4161, 26 mai 2005, STIL/Agromed, Xe Rapport, 2005, 2e partie, 27 et s ; Affaire
n°61109, 9 août 2007, Floris distribution / SA H ; XIe rapport 2007, 2e partie, p. 98.
42
Voir, Affaire 5181, 10 novembre 2005 ; Société MADIVET/Ste BSA médicale ; IXe Rapport 2005,
p. 110.
43
Teulon (F) (S. la dir), Dictionnaire Histoire, Economie, Finances, Géographie PUF 1999, p. 149.
12
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
engendre la concentration, laquelle tue la concurrence44. De ce point de vue, tout
contrôle de la concentration reste fortement imprégné par la conception que l’on se fait
de la concurrence et de la finalité qu’on lui assigne.
S’agissant d’un contrôle des structures des entreprises, le contrôle des
concentrations constitue, donc, un véritable moyen de protection de la concurrence. On
avance même que la concentration ne soulève pas de défi majeur pour les politiques de
la concurrence « tant que les marchés demeurent contestables c'est-à-dire que les
barrières à l’entrée sont minimes et que les coûts de sortie sont faibles. Ceci est
conditionné par le fait que la concentration ne doit pas dépasser un certain seuil qui
reste différent d’un secteur à l’autre mais, aussi difficilement identifiable d’avance 45.
C’est la raison pour laquelle, le contrôle des concentrations devient de plus en
plus impératif dans une économie qui se mondialise et dont les unités constitutives est
l’une des conditions de la compétitivité internationale. Il permet, en tout cas, de
favoriser la constitution de grandes unités économiques efficientes mais en les
empêchant de se transformer en structures « génératrices de comportements
anticoncurrentiels »46. En somme, il s’agit de limiter le pouvoir de marché des
entreprises sans inhiber leur capacité concurrentielle.
Or, le Conseil de la concurrence, outil de régulation du marché concurrentiel,
participe faiblement à cette opération de contrôle. La loi 91-64 a institué un contrôle
administratif obligatoire exercé par le ministre chargé du commerce, mais tempéré par
l’intervention secondaire du conseil de la concurrence. Ce dernier est, certes,
obligatoirement consulté par le ministre chargé du commerce sur « tout projet de
44
45
46
Voir G. Fayat, Droit économique, PUF, 1971, p. 143.
Voir, les mutations de l’économie, Sous la dir. De Ch. De Boissieu, economica, 2000, p . 9 et s.
Y. Serra, Le droit français de la concurrence… op. cit., p. 99.
13
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
concentration ou toute opération de concentration »47, mais son avis n’est pas
conforme.
Plus intéressante, par contre, la possibilité offerte au conseil de concurrence de
saisir, en phase contentieuse, le ministre chargé du commerce afin de lui soumettre des
propositions destinées à certaines entreprises « en position dominante résultant d’un
cas de concentration... »48. Il s’agit d’un pouvoir de « veille » par lequel le Conseil de
la concurrence participe à la correction de certains effers nocifs de la concentration
d’entreprises.
En définitive, ce double contrôle des comportements et des structures, aussi
contraignant soit-il, est largement bénéfique aux « bons joueurs », autrement dit, aux
entreprises performantes et loyales dont la collaboration avec le Conseil de la
concurrence participe à l’établissement d’une saine concurrence.
DEUXIEME PARTIE
L’ENTREPRISE SOLLICITEE
Si on nous accorde que le conseil de la concurrence, à l’image de ses homologues
étrangers, participe d’une logique de « droit de la régulation », on se permettra
d’avancer que l’impératif de collaboration avec l’entreprise fait partie intégrante de sa
mission de « police des marchés ».
On remarquera de manière liminaire que la régulation comme « technique
incitative »49, n’est pas la négation du rôle de l’Etat dans le bon fonctionnement des
rouages économiques mais « une autre façon d’agir étatique procédant d’une
47
Article 9, dernier al. de la loi 91-64.
48
Article 20 de la loi n°91-64.
49
Ch. A. Morand, Régulation, complexité et pluralisme juridique, Mélanges P. Amselek, Bruylant,
2005, p. 615.
14
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
philosophie sociétale qui s’accommode de la subsidiarité politique, de l’autonomie
juridique des agents et de l’économie de marché »50. C’est ainsi que l’autonomie du
régulateur, ajoutée à son expertise technique, « donne crédit à son action : la retraite de
l’Etat obéit à une logique de l’efficacité, mettant en avant un régulateur de terrain, bon
connaisseur de celui-ci, en relation de concertation51 avec les opérateurs ou les
administrés, avec lequel, en quelque sorte, ceux-ci puissent s’identifier »52.
Cette fonctionnalité de collaboration est à explorer au double niveau de ce qui est
convenu d’appeler « les procédures négociées »53, particulièrement la procédure de
clémence(A) et le rôle du Conseil de la concurrence dans les poursuites pénales(B).
A) La procédure de clémence
Le terme clémence « désigne tous les systèmes qui offrent l’immunité totale ou
une réduction des amendes qui, sinon, auraient été infligées au participant à une
entente illicite, en échange d’une divulgation librement consentie, avant ou pendant la
phase d’enquête, d’éléments de preuve relatifs à l’entente présumée répondant à des
critères précis »54.
Sans bénéficier de cette dénomination, ce procédé, retenu depuis la réforme de
2003, offre au Conseil de la concurrence, après audition du commissaire du
gouvernement d’ « exonérer de la sanction ou l’alléger pour quiconque qui apporte des
50
C. Champand, Régulation et droit économique, RIDE, 2002, p. 61.
51
C’est nous qui soulignons.
52
Y. Gaudemet, la concurrence des modes et des niveaux de régulation RFAP, 2004, n°109, p. 15.
53
Les procédures négociées en droit de la concurrence : Engagements et transactions. Droit français
droit communautaire. Conférence 3 avril 2008 Paris. Concurrences n°2-2008 ; A. Tercinent, Le
programme de clémence américain : un modèle sous le sceau du pragmatisme, RDAI 2007, n°6, p.767.
54
Comm. CE, Communication relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence,
JOUE n°C. 101, 27 avril 2004, note 1.
15
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
informations pertinentes non accessibles à l’administration et de nature à révéler des
accords ou des pratiques anticoncurrentielles auxquelles il a pris part »55.
Au-delà des conditions et des procédures de sa mise en œuvre, ce dispositif
juridique permet de faciliter l’action des autorités de la concurrence afin de détecter
« les ententes les plus graves, qui sont le plus souvent secrètes »56 et nocives au bon
fonctionnement du marché. C’est la raison pour laquelle, il est impératif de
dépassionner le débat sur la moralité du procédé et l’interpréter positivement. On s’en
remettra, sur ce point, à l’argumentaire du communiqué de procédure du 20 mars
2009 relatif au programme de clémence français : « le législateur a considéré qu’il est
de l’intérêt de l’économie française, et notamment des consommateurs, de faire
bénéficier d’un traitement favorable les entreprises qui informent l’autorité de la
concurrence de l’existence d’ententes illicites et qui coopèrent avec elle afin d’y mettre
fin. En effet, ces ententes sont néfastes pour les économies nationales : elles portent
une atteinte grave aux intérêts des consommateurs, en particulier quand elles
conduisent à un accroissement artificiel des prix ou à une limitation de l’offre sur le
marché, et elles soustraient les entreprises à la pression qui, normalement, les incite à
innover. Le bénéfice que tire les consommateurs et les citoyens de l’assurance de voir
les ententes plus sûrement et plus fréquemment détectées et interdites est plus
important que l’intérêt qu’il peut y avoir à sanctionner pécuniairement toutes les
55
Article 19 de la loi 91-64. En Algérie, l’article 60 de l’ordonnance n°03-03 du 19 juillet relative à la
concurrence, est rédigé de la manière suivante :”le conseil de la concurrence peut décider de réduire le
montant de l’amende ou ne pas prononcer d’amende contre les entreprises qui, au cours de
l’instruction de l’affaire les concernant, reconnaissent les infractions qui leur sont reprochées,
collaborent à l’accélération de celui-ci et s’engagent à ne plus commettre d’infractions liées à
l’application des dispositions de la présente ordonnance.
Les dispositions de l’alinéa 1 ci-dessus ne sont pas applicables en cas de récidive quelle que soit la
nature de l’infraction commise », JORA n°64 du 26 octobre 2003, p. 3.
56
L.Idot, Programme de clémence et droit de la concurrence. L’entrée dans la Phase II, RJEP 2007,
n°640, p. 89.
16
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
entreprises ayant participé à l’entente, y compris celles – là même qui, en la révélant,
permet à l’autorité de découvrir et de sanctionner de telles pratiques »57.
Il s’agit, donc, d’une lutte contre les ententes injustifiables dont pourraient
bénéficier les entreprises s’adonnant à une compétition économique loyale et
transparente.
Dignement accepté par l’Entreprise et intelligemment utilisé par le Conseil de la
concurrence, ce procédé de clémence serait un outil précieux d’une gestion préventive
des pratiques anticoncurrentielles les plus caractérisées. En incitant les entreprises à
venir se dénoncer en contrepartie d’une immunité totale ou partielle d’amende, ce
procédé accorde à l’entreprise le droit de « se repentir », mais pour la noble cause : la
sauvegarde de l’économie de marché. Vue sous cet angle, la clémence retrouve ses
titres de noblesse comme expression de la grandeur d’âme et de la bonté.
Ainsi conçue, elle ne pourrait que favoriser une coopération fructueuse entre le
Conseil de la concurrence et l’Entreprise, au grand bénéfice de l’économie nationale.
Dans cet élan de la « dépénalisation du droit de la concurrence »,58 que faut-il
penser de la faculté offerte au Conseil de la concurrence de transmettre les dossiers au
parquet, et qui est, à priori, aux antipodes de cette logique de coopération ?
B- Le Conseil de la concurrence et la saisine du juge pénal
On écarte de notre propos les dispositions de l’article 36 de la loi 91-64, lequel
prévoit une peine d’emprisonnement allant de seize jours à une année et d’une amende
de 2.000 à 100.000 dinars ou de l’une de ces deux peines seulement, à l’encontre de
« toute personne physique qui, par des moyens détournés, aura pris une part
57
Rapport annuel 2008, Autorité de la concurrence. La Documentation française, Paris, 2009, p. 508.
L.Idot, Le droit des Etats membres de l’Union européenne. In Concurrence et droit pénal
des pratiques anticoncurrentielles par recours à l’article L.420-6 du code de commerce.
Colloque Paris 13 novembre 2007. Concurrences 2008, n°1, p.14.
58
17
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
déterminante dans la violation des interdictions édictées par l’article 5 de la présente
loi ».59 Il s’agit là du juge pénal et non pas du Conseil de la concurrence.
Notre préoccupation se limite aux dispositions de l’article 20, al.1er, 3è tiret de la
loi 91-64, selon lesquelles « le Conseil de la concurrence peut :-transmettre le dossier
au parquet en vue d’engager les poursuites pénales ».60 Cette disposition juridique,
banale en apparence, recèle pourtant des potentialités d’action que le Conseil de la
concurrence semble utiliser à bon escient. En effet, et à notre connaissance, aucune
transmission au parquet n’a été faite depuis 1991.61
Que signifie le « délaissement » de ce texte ? L’occasion de sa mise en œuvre ne
s’est pas encore présentée, ou bien s’agit-il d’une douce mise en marche vers la
désuétude de cette règle ?
Le message qui se dégage de cette attitude bienveillante du Conseil de la
concurrence à l’égard des entreprise contrevenantes traduit, nous semble-t-il, un refus
de la logique conflictuelle dans ses rapports avec l’Entreprise, d’une manière générale.
C’est une manière de l’inviter à une plus étroite collaboration afin que la régulation de
la concurrence devienne une fonction partagée entre les acteurs les plus pertinents.
D’ailleurs, cette attitude non formalisée nous rappelle le point 47 du programme
de clémence du 17 avril 2007 en France. Le Conseil de la concurrence français a
considéré que « la clémence est au nombre des motifs légitimes qui justifient la non
transmission au parquet d’un dossier dans lequel les personnes physiques, appartenant
59 C’est l’équivalent de l’article L.420-6 du code de commerce français qui punit de 75000
euros et de quatre ans d’emprisonnement tous ceux qui ont pris « frauduleusement une part
personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre des
pratiques visées aux articles L.420-1 et 420-2 du code de commerce ». En Algérie, par
exemple, l’article 57 de l’Ordonnance de 2003 ne retient pas la peine privative de liberté.
60 C’est l’équivalent de l’article L.462-6 du code de commerce français.
61 En France, huit transmissions au parquet jusqu’en 2007. Voir, G. Parleani, La sanction
pénale des pratiques anticoncurrentielles. Concurrence et droit pénal. Colloque 13
novembre 2003..op.cit. p.3.
18
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
à l’entreprise qui a bénéficié d’une exonération des sanctions pécuniaires seraient
susceptibles de faire aussi l’objet de telles poursuites ».
L’attitude du Conseil de la concurrence tunisien ne nous semble pas déroger à
cette logique qui mise sur la responsabilité de l’entreprise et dont le Conseil vise à
valoriser par la mise en veille de la menace pénale. Sauf que, cette voie nécessite une
meilleure coordination entre le conseil de la concurrence et le juge pénal afin de
sécuriser l’entreprise sans l’inscrire dans l’impunité.
En prolongeant cette réflexion, à titre conclusif, il y a lieu de signaler
l’orientation vers l’usage de modes alternatifs de règlement de litiges en matière de
concurrence. leur internationalisation impose des choix décisifs : La transaction62 et
l’arbitrage semblent prioritaires pour le droit de la concurrence tunisien.
Voir, Communication de la commission relative aux procédures de transaction engagées
en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) n°1/2003 du
Conseil dans les affaires d’entente (2008/C 167/01). Joue C 167/1, de juillet 2008.
62
19
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
Tableau n°1 : Activité juridictionnelle du Conseil de la concurrence
Requêtes
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
T.
1
9
2
0
2
1
1
11
4
3
11
9
19
33
25
30
19
180
3
4
4
11
23
22
21
157
Saisine
d’office
Décisions
0
0
4
4
0
8
5
7
6
4
8
11
10
24
Tableau n°2 : Activité consultative du Conseil de la concurrence
Avis
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
T.
2
0
1
1
0
6
12
16
8
12
12
15
17
11
45
48
25
231
Tableau n°3 : Répartition des requêtes par secteurs économiques
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Total
Industrie
7
5
3
6
10
7
3
41
Commerce
1
1
3
9
5
10
6
35
Services
11
9
19
33
25
30
23
152
20
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
Tableau n°4 : Origine des requêtes
2001
Ministre chargé du commerce
Entreprises éco- nomiques
2002
2003
4
2
7
Organisations professionnelles et
syndicales
2004
2005
2
2006
2007
2008
Total
2
6
4
18
15
105
6
8
25
19
23
2
9
7
1
1
Organismes ou groupements de
consommateurs
20
1
1
Chambre de commerce et d’industrie
Autorités de régulation
Collectivités locales
Saisine d’office
3
1
21
4
4
12
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
Tableau n°5 relatif à la répartition des avis en fonction de leur objet :
2001
Textes Législatifs
et
règlementaires
Cahiers des
charges
Projets de
concentration
économique
Appels d’offres
Problèmes
Juridiques et
pratiques
Ententes (art.6)
Etudes
Total
3
2002
6
2003
5
2004
1
2005
2
2006
7
2007
13
2008
8
T.
45
6
2
2
3
1
32
27
16
89
1
1
2
2
_
3
3
_
12
2
_
1
1
1
5
1
2
_
2
_
1
_
3
_
_
5
14
_
_
12
1
_
12
_
_
15
_
8
17
_
6
11
2
_
45
2
_
48
1
_
25
6
14
185
22
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
Tableau n°6 : Sanctions prononcées par le Conseil de la concurrence
2001
Affaire n°2000/3,Déc.n°4-01, 24-5-01,
Assoc.Nat.des experts-comptables../Steg,
Xé Rapport, p.66.
-entreprise condamnée :STEG
-Injonction de modifier le cahier des
charges…
-Amende pécuniaire : 15.000 dinars
2002
Affaire n°2000/1, Déc. 6-6-02, ‫آ ا وا‬/‫
ان‬, VIè Rapport, p.37 :
-entreprise condamnée : ‫آ ا وا‬
-injonction d’arrêter les pratiques.
2003
Affaire n°2137, 27-3-03, Ministre du
commerce…/Transports marchandises-et
autres. VIIè Rapport, p.8.
-entreprise condamnée : ???
-injonction d’arrêter l’entente
-amende pécuniaire : entre 9000 et 63100.
dinars
Affaire n°2136, 17-7-03, Universel
Equipements../Henkel.., VIIè Rapport, p.44.
-entreprise condamnée :????
-injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire : 75000 dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°2139, 25-9-03, Ministre du
commerce…/AAMC-et autres, VIIè
Rapport,p.59.
-entreprise condamnée : AAMC- et autres
-injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire : entre 34000 et 82000
dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°2142, 25-9-03, Ministre du
commerce../Laboratoires Sifo et Sicom
distribution, VIIè Rapport, p.93.
-entreprise condamnée : Sifo et Sicom
Injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire entre 50000 et 70000
dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°2145, 25-12-03, Ministre du
tourisme et du commerce…/A. Zine-et
autres, VIIè Rapport, p.122
-entreprise condamnée : A. Zine- et autres
-amende pécuniaire : entre 2000 et 7000
dinars
23
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
2004
Affaire n°3146, 27-3-04, Agromed/ Stil ,
VIIIè Rapport, p. 8.
-entreprise condamnée : STIL
- amende pécuniaire : 100000 dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°3150, 25-6-04, Ch.Nat. des
propriétaires et gérants des stationsservices/APB-et autres VIIIè Rapport, p. 23.
-entreprise condamnée : APB-et autres
-amende pécuniaire entre 5000 et 183000
dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°3152, 26-7-04, Société Loisirs
Tabarka/Club municipal de plongée.., VIIIè
Rapport, p.45.
-entreprise condamnée : Club municipal..
-injonction d’arrêter les pratiques
2005
Affaire n°4162, 5-5-05, Ministre du
commerce…/Sté Baccouche, IXè Rapport,
p. 15.
-entreprise condamnée : Sté Baccouche
-amende pécuniaire : 60000 dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°5181, 10-11-05, Madivet/BsaPharmacie centrale…, IXè Rapport, p. 110.
-entreprise condamnée : Bsa, Phamacie
centrale…
-injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire entre 1450 et 150000
dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°4157/4158, 16-12-05,
Sifaf/Missaoui-et autres, IXè rapport, p.
122.
-entreprise condamnée : Missaoui- et autres
-injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire : 5000 dinars pour
chaque entreprise
Affaire n°3149, 9-12-04, Société italienne
Imaser /Ismaltex, VIIIè Rapport, p.81.
Entreprise condamnée : Ismaltex
-injonction d’arrêter les pratiques
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°4160, 29-12-05, socodi/groupe
ISL Beauté, IXè Rapport, p. 150.
Entreprise condamnée : ISL Beauté
-amende pécuniaire entre 20000 et 50000
dinars
Affaire n°4155, 16-12-04, Ministre du
commerce../centre spécialisé…, VIIIè
Rapport, p.98.
-entreprise condamnée : Centre
spécialisé…et autres
-injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire entre 2000 et 3000
dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°5196, 31-12-05, Ch.synd.nat.des
propriétaires et gérants de stationsservices /Exon Mobil Tunis, IXè Rapport, p.
168.
-entreprise condamnée : Exon Mobil
-amende pécuniaire : 200000 dinars.
-injonction de supprimer les clauses
contractuelles abusives
-publication du dispositif du jugement
24
2006
Affaire n°5198, 16-11-06,
A.Chaabani/Intercolor,
-entreprise condamnée : Intercolor
-injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire : 12000 dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°51106, 29-12-06,
F.Amari/Sotupresse, Xè Rapport, p. 126.
-entreprise condamnée : Sotupresse
-injonction d’arrêter les pratiques
- amende pécuniaire : 15000 dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°5179, 22-6-06, Cosmetica
universel/Euro Italia-et autresXè Rapport, p.
52.
-entreprise condamnée : EuroItalia Prima-et
autres
-amende pécuniaire entre 20000 et 50000
dinars
-publication du dispositif du jugement
Affaire n°5186, 20-7-06, Socodi/Puig et
Arguania, Xè Rapport, p. 83.
Entreprise condamnée : PUIG
-injonction d’arrêter les pratiques
-amende pécuniaire : 50000 dinars
-publication du dispositif du jugement
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
2007
Affaire n°61117, 1-11-07, ministre du commerce…/Sté Kadhi et
Fils, XIè Rapport, p. 104.
-entreprise condamnée : Sté Kadhi et Fils
- amende pécuniaire : 100000 dinars
-publication du dispositif du jugement
2008
Affaire n° 71135, 31-12-08, FORUM des nouveautés-Ed.Gründ….
XIXè rapport, p. 184.
Entreprise condamnée Gründ
-
Amende pécuniaire 5000 dinars
Publication du dispositif du jugement
Affaire n°61127, 13-12-07, Sté Mobi-BOB/ Ch.Rég.des voitures
Taxi-et autres, XIè Rapport, p.117.
-Entreprise condamnée : Ch. Rég.- et autres
-Iinjonction d’arrêter les pratiques
-Amende pécuniaire : 10000 dinars
-Publication du dispositif du jugement
Affaire n° 71141, 31-12-08, Bouattour-SGE « GES », XIXè
rapport, p. 203.
entreprise condamnée GES
Affaire n° 71136, 13-12-07, SRNI COM/ Ates Renault XIXè
rapport, p. 134
-Entreprise condamnée Artes Renault
-Exonération du paiement de l’amende
Affaire n° 81159, 31-12-08, Ministre du commerce-Soulmi autres,
XIXè rapport, p. 249.
Entreprise condamnée Souilmi et autres
-
-
Affaire n° 51102, 27-12-07, Souissi Home Centre/Black & Decker,
XIXè rapprt, p. 150.
Entreprise condamnée Black & Decker
-
Injonction d’arrêter les pratiques
-
Amende Pécuniaire 50 000 dinars
-
Injonction d’arrêter les preatiques
Amende pécuniaire : 50 000 dinars
Publication du dispositif du jugement
Affaire n° 51103, 27-12-07, YOMOTEX-Golden PALACE-Autres,
XIX è rapport, p. 174
Entreprise condamnée Textils Mora
Publication du dispositif du jugement
Affaire n° 61125, 27-12-07, Ben Mohamed-SOTUPRESS, XIXè
rapport, p. 215.
Entreprise condamnée SOITUPRESS
Amende pécuniaire : 60 000 dinars
Publication du dispositif du jugement
25
Amende pécuniaire :
publication du dispositif du jugement
Amende pécuniaire entre 5000 et 15 000 dinars
L’entreprise et le Conseil de la concurrence
26