Luxemburger Wort @ Mudam Akademie III
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14 LUXEMBURGER WORT@MUDAM AKADEMIE Luxemburger Wort Donnerstag, den 25. April 2013 Bernd & Hilla Becher Les entomologistes industriels De l'Ohio à Esch-sur-Alzette: la disparition des installations qui ont forgé les mentalités et l'économie Le processus est toujours le même. Aucune retouche, l'objet est isolé uniquement par les moyens analogiques de la photographie. La prise de vue se fait généralement de bon matin quand la lumière est laiteuse et le site vide. Jamais d'ouvriers, de voitures, ni même de nuages ou d'ombres. Il n'y a pas de trace d'activité dans leur routine de recensement. Rien ne laisse deviner le vacarme et la pollution autour des installations que photographient les Becher. PAR CLAUDE MOYEN ET ROMINA CALO Bernd et Hilla Becher ont documenté depuis les années 50 la disparition de ces installations industrielles qui ont forgé les mentalités et l'économie du Siegerland à l'Ohio en passant par Esch-surAlzette: châteaux d'eau, mines de fer, silos à grain, hauts-fourneaux... Monocorde. C'est le terme qui s'accorde le mieux au travail photographique de Bernd et Hilla Becher. Plus appréciatif que «monotone», plus riche de sens que «systématique», «monocorde» est le qualificatif idéal. Ces «paysages» que le couple allemand a inlassablement photographiés depuis les années 50 sont en effet autant de variations sur le même thème, tout en étant des chefs-d'œuvre de composition. Ils sont intrinsèquement des œuvres d'art. Longs temps de pose, conditions strictes de lumière, chaque prise de vue est méthodique, permanente et structurée. Et ce, depuis 1957. L'objet isolé est pris de manière frontale, par une caméra légèrement surélevée pour une inscription centrée du motif. Qui prend la photo, Monsieur ou Madame? Nul ne peut le dire, encore moins Bernd Becher, décédé en juin 2007. Hilla a quant à elle très certainement tout intérêt à laisser planer le mystère. Rencontre Tout a commencé lorsque Bernd, né en 1931 au Siegerland en Westphalie – une région fortement industrialisée –, se rend compte que les installations massives qui ont déterminé sa région sont vouées à disparaître. À l'époque le jeune artiste peint les mines de fer et les hauts-fourneaux. Il prend l'habitude de photographier une usine en cours de démolition pour documenter sa peinture ou son croquis. Lorsqu'il rencontre la photographe professionnelle Hilla Wobeser, de trois ans sa cadette et issue elle aussi de la Kunstakademie de Düsseldorf, c'est toute leur exis- Bernd & Hilla Becher: Esch-sur-Alzette, Luxembourg, 1979 de la série «18 Hauts-fourneaux», 1969-1986, ensemble de 18 photographies noir et blanc. 40 x 30 cm chacune. (PHOTOS: RÉMI VILLAGGI) tence qui va être révolutionnée. Aussi bien du point de vue professionnel que privé. Tous deux se marient en 1961. Hilla est née à Postdam. Le spectacle de la Ruhr d'après- EschSchifflange, Luxembourg (dans la même série). guerre, sa désolation, la touche autant qu'il fascine son futur mari. Commence alors un temps de voyages et d'aventures, mais aussi de documentation et de recherches scrupuleuses à travers l'Allemagne, le Benelux, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Cette œuvre immense et de longue haleine touche, outre à l'art, à des domaines très différents, comme l'archéologie industrielle, l'architecture, l'art industriel, la science et la photographie documentaire. Pour saisir ces constructions d'ingénieurs où la forme obéit à la seule loi de la fonction, les Becher n'ont pas choisi la photographie par hasard. Ce moyen d'enregistrement factuel du monde a été inventé exactement à la même époque et dans le même esprit positiviste que les constructions que le duo a entrepris de documenter. L'outil est une chambre Linhof 6x9 sur pied, munie d'un téléobjectif pour éviter les déformations et d'une pellicule Noir & Blanc. Les différents «tableaux» regroupés par types (châteaux d'eau, hauts-fourneaux, gazomètres…) sont toujours présentés de la même façon, sous cadre et marielouise blancs. Les formats sont petits et volontairement alignés par série, ce qui a valu aux Becher le surnom d'entomologistes industriels. Differdange, Luxembourg (idem). Proximité L'absence de mise en scène est trompeuse. En effet, s'il est documenté froidement, le bâtiment photographié se présente cependant comme le spectateur ne le verra jamais en vrai. Ce que les Becher n'ont de cesse de présenter, c'est une perception optique du réel, captée par l'objectif que l'œil humain ne saisira jamais. Une sorte de proximité presque magique du réel. Lorsque le couple commence à présenter son travail à la fin des années 50, la photographie n'a pas encore son statut de médium artistique. Dans les années 60 et 70, il a été essentiellement perçu à travers les grilles de lecture du minimalisme et de l'art conceptuel. Plus tard, dans les années 80, il est analysé comme précurseur de la photographie plasticienne et est mis en écho historiquement avec les débuts de la photographie industrielle du XIXe siècle, ainsi qu'avec les grands maîtres comme Eugène Atget, August Sander et Walker Evans. L'impact de ce travail dans le champ artistique est non négligeable. Rappelons que Candida Höfer, Thomas Ruff, Thomas Struth et Andreas Gursky, les grosses pointures de la photographie contemporaine dont les tirages atteignent des prix astronomiques, sont issus de la première classe de photographie artistique ouverte par Bernd Becher en 1976 à l'académie de Düsseldorf. Il la dirigera jusqu'en 1996. Avec Madame.