Alors, mon chat, comment s`est passée ta journée
Transcription
Alors, mon chat, comment s`est passée ta journée
« Alors, mon chat, comment s’est passée ta journée ? Bien, on dirait : oreilles dressées, bonne humeur de chat ! Ah là là, tu as de la chance, toi, de ne pas être obligé d’aller à l’école. Oui, je sais, Zoltan, je radote : cette phrase, tu l’as déjà entendue cent fois. Et tu vois, je te la répète au moment où elle n’est plus tout à fait vraie; car je sens que je vais l’aimer beaucoup plus, ma vie à l’école. À partir de demain, exactement. Ah ah, mon coquin de chat, tu me regardes avec tes paillettes dorées au fond des yeux. Tu veux que je te raconte, hein ? Eh bien voilà. Ma journée a très mal commencé. Je voulais attraper Lucie avant les cours pour lui demander un rendez-vous à la récré de dix heures. Non, tu n’as pas besoin de cligner des yeux pour te moquer de moi ; pour une fois, j’avais fait l’effort de me lever à l’heure. La preuve, je me suis trouvé en même temps qu’elle à la porte de l’école ! Quoi, ron ron ? Eh bien non, je n’ai pas réussi à lui parler. Au moment où je m’avançais vers elle, Lucie a levé le menton comme une reine dédaigneuse et elle a accéléré le pas en faisant semblant de ne pas me voir. Elle s’est précipitée sur des filles de la classe. Et pas les plus intéressantes, ça non ! Nous sommes rentrés en cours. Je n’arrivais pas à écouter la maîtresse. Je guettais le moment où Lucie se retournerait. D’habitude, c’est un vrai tournicoton, cette fille : et je demande une gomme par-ci, et je passe un petit mot par-là, à mes voisines de derrière. Eh bien là, non ; elle n’a pas bougé de la matinée ! Désespéré, je fixais ses épaules, ses cheveux bruns qui se bousculent sur sa nuque… J ’ e s s ayais de deviner l’expression de son visage, mais à chaque fois me revenait l’image de son menton méprisant. Si tu savais comme je me sentais mal. Et un malheur n’arrive jamais seul : j’ai récolté trois exercices de calcul à faire parce que j’avais l’esprit ailleurs. Oui, c’est ça, souris dans ta moustache. Ce n’est pas toi qui va les faire, les exercices de maths ! Bon, je continue. À la récré, je cherche Lucie partout. Chaque fois que je m’approche d’elle, elle se débrouille pour courir à l’autre bout de la cour ou pour parler à quelqu’un d’autre. Elle m’évitait exprès. Là, mon chat, j’ai commencé vraiment à angoisser. Tu sais, je ne t’en ai jamais parlé, mais je l’ai remarqué dès le début, que je lui plaisais, à Lucie. Ne me regarde pas avec cet œil sévère, Zoltan ! C’est facile pour vous, les chats : une minette te remarque, tu lui réponds ronron et vous faites mimi. Mais chez nous, les hommes, il y a bien d’autres choses qui entrent en jeu. Le début de l’année a été dur pour moi avec le déménagement. J’étais nouveau à l’école, j’ai dû me faire accepter par les gars du coin. Oui, mon chat… Je sais, tu m’as aidé dans ces moments difficiles. Tu me fourres ton museau dans la main pour que je te caresse. Mais à l’école, tu n’y es pas, il fallait que je me débrouille, que je me fasse de nouveaux copains… J’étais bien occupé, tu comprends ? Trop occupé pour réaliser que Lucie me plaisait, elle aussi, avec son nez en trompette, sa façon d’être curieuse de tout, enfin, je ne sais pas, elle est différente des autres filles. Comme tu ronronnes… Oui, le jour où je l’ai compris, c’est hier, quand j’ai entendu son poème. Si tu avais été là, Zoltan, si tu l’avais vue comme moi se recroqueviller sur sa chaise quand la maîtresse l’a lu, son poème, tu aurais eu envie de lui sauter dessus, à la maîtresse, toutes griffes dehors ! Cette méchante avait beau le lire pour faire rire la classe, les mots étaient les plus forts, ils étaient… ah, je ne sais pas comment te dire, mon chat. Magiques. Qu’est-ce qu’il y a ? Ah oui, je me suis tu, et tu attends la suite. Excuse-moi, Zoltan, j’étais en train de revivre ce moment. Lui aussi était magique. Parce que je savais précisément que ce poème m’était adressé. J’en ai eu des frissons partout. Pas besoin de t’expliquer ce genre de choses, hein, mon chat, je sais que tu me comprends. Ensuite, je n’ai eu qu’une idée en tête : parler à Lucie. C’était devenu plus important que tout autre chose au monde. C’est pour cela qu’aujourd’hui, je lui ai couru après toute la journée. Plus elle me tenait à distance, plus j’étais déterminé. Et ce soir, elle n’a pas pu m’échapper. Merci à toi qui m’a appris à recevoir des coups de griffe. Elle m’en a donné plusieurs ! Mais elle aurait pu se montrer encore plus désagréable, j’étais décidé à ne pas me laisser faire. Et j’ai réussi. Ce soir, Zoltan, je lui ai parlé ! » Claire Ubac, en exclusivité pour le site Max.