Du Shtetl d`Europe de l`Est à Tel Aviv

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Du Shtetl d`Europe de l`Est à Tel Aviv
Processus Métropolitains en Israël
Du Shtetl d’Europe de l’Est à Tel Aviv-Jaffa
Sophie BENICHOU-SARAGA
Israel Institute
Janvier 2013
Intérieur
Une première version de ce mémoire a été réalisée en janvier 2013 dans le cadre d’études sur les
processus métropolitains au sein de la Chaire d’Urbanisme et Aménagement du Territoire du
Conservatoire National des Arts et Métiers sous la supervision de Monsieur Yannick Beltrando.
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1
Israel Institute est une association loi 1901 à but non lucratif, présidée par Thibault Breton de
la Baronnière, fondée par des jeunes actifs de confessions et trajectoires diverses. Elle vise la
création, l’animation et le développement d’un groupe de réflexion offrant une analyse des
thèmes économiques, intérieurs et internationaux liés à l’Etat d’Israël.
Par un regard jeune, innovant, tendant vers l’objectivité et indépendant de toute orientation
religieuse ou partisane, ce groupe de réflexion se fixe pour objectif d’apporter un éclairage
différent sur ce pays fortement médiatisé mais finalement méconnu.
Israel Institute ne promeut pas de doctrine, il constitue un vecteur d’idées dont l’horizon est
de multiplier les angles de vue et de perpétuellement élargir le champ de réflexion. La
réflexion du groupe s’appuie principalement sur des études réalisées par les membres ainsi
que sur des conférences et interventions de personnalités reconnues pour leur expertise dans
un domaine particulier.
Trois comités de relecture thématique veillent, avant publication, à la rigueur de l’analyse et
la clarté du message transmis par les études réalisées. Les auteurs adoptent une démarche
rationnelle, faisant abstraction de toute émotion, autant que faire se peut. Pour cela, ils mettent
en œuvre des analyses rigoureuses et documentées.
Cette démarche à vocation scientifique est toutefois soutenue par une écriture et un style
accessibles rendant le message intelligible au plus grand nombre. Les articles combinent la
précision des ouvrages spécialisés et la concision des articles de presse. L’auteur rapproche
toujours la source de chaque citation/information et privilégie un angle d’analyse original sur
le sujet traité.
Les articles expriment l’opinion de leurs auteurs et en aucun cas celles d’Israel Institute,
ou de sa direction, qui ne garantit que le respect de la démarche.
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L’option prise pour cette étude sur la métropole de Tel Aviv-Jaffa est fondée sur la pertinence
du modèle collectiviste du kibboutz, mis en perspective avec le modèle de la cité-jardin. Dès
la conception du plan de Tel Aviv, Patrick Geddes réinterprète une nature jusque-là utilisée
comme mode de subsistance en une matière vivante, partie intégrante de l’organisation de la
ville. Deux conceptions semblant s’opposer, et qui sont en réalité, interdépendantes.
Pour cela, la géohistoire nous est nécessaire et impose un retour sur l'aventure du kibboutz au
travers des romans, mémoires et études universitaires. Cette aventure particulière engendrée
par la cause sioniste fait émerger une société nouvelle, dont le projet est de construire un pays
autonome et libre de son destin.
Ville fondée il y a à peine plus de cent ans, Tel Aviv a toujours porté l’enjeu de cet Etatnation à venir, ce que Patrick Geddes avait compris.
Au cours de l’histoire des transformations urbaines, on a pu observer que la pérennisation des
représentations de la ville emmurée, limitée, conduit souvent à “l’inertie mentale1”. Le ghetto
appellerait donc le ghetto. Mais le shtetl, créateur du Yiddishland, pourvoyeur à ses dépens
des premiers contingents de migrants, a démenti l’historiographie. Nous allons essayer de
saisir cette exception sociologique et pour cela déterminer les raisons et les motivations des
acteurs en présence (politiques, architectes, ingénieurs, écrivains, simples usagers de la ville
et de la campagne) qui étaient ”derrière ce jeu de substituts, (murs, boulevards,…)… 2” –
sinon à la recherche d’une identité – dans la quête de ce nouvel Homme.
1
2
Marcel Roncayolo, Lectures de Villes, Formes et Temps, Parenthèses, collection Eupalinos, », 386 pages 2011, page 170.
Ibid.
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1. Israël et Tel Aviv-Jaffa
1.1. Situation et topographie
Israël comporte 4 régions principales dont la plaine côtière, qui s’étend de la frontière
libanaise au nord de la Bande de Gaza. Fertile et humide, elle est connue pour sa production
d’agrumes et de vin. Deux cours d’eau ont un débit permanent d’eau, le Kishon et la rivière
Yarkon qui traverse le nord de Tel Aviv.
Construite au nord des faubourgs de l’ancienne Jaffa il y a un peu plus de 100 ans, Tel Aviv3
est bordée par la mer Méditerranée à l’ouest et la rivière Yarkon qui la traverse au nord.
Longue de 14 kilomètres, la cité s’est édifiée sur une terre relativement jeune formée dans la
première partie de l’ère glaciaire. Ces terrains sont constitués d’alluvions, de rochers effrités,
de lits de rivière, de sables et de collines, dont le plus connu est le kourkar, sorte de gravier
calcaire.
Cœur de l‘agglomération appelée le Gush Dan, Tel Aviv couvre une superficie de 51,76 km².
Sa population est à 99% composée de juifs, 0,7% d’arabes musulmans et 0,3% de chrétiens.
Jérusalem, bien que déclarée « capitale éternelle de l’Etat hébreu », n’est pas reconnue
internationalement. La communauté internationale reconnaît dans son écrasante majorité la
métropole de Tel Aviv comme capitale de l’Etat d’Israël. Tel Aviv abrite d’ailleurs une
grande partie de l’activité économique et culturelle du pays et héberge les ambassades. Le
Gush Dan rassemble 251 localités qui constituent la principale aire urbaine du pays. Trois
millions d’habitants y vivent.
Depuis 2007, Tel Aviv est la plus grande agglomération juive du monde devant New-York.
La densité de la ville est la plus forte du pays avec 7 955 habitants au km². Depuis la
déclaration d’indépendance en 1948, Tel Aviv « intra-muros » a doublé sa population passant
de 200 000 à 400 000 habitants. En revanche, son taux de croissance démographique n’est
que de 0,9%, la moitié de celui du pays. La population arabo-israélienne est de 4,2% dont
26% résident à Jaffa soit 20 000 habitants. On compte aussi 2 000 chrétiens. A Tel-AvivJaffa, selon le dernier recensement, la moyenne d’âge est de 24 ans.
1.2. Tel Aviv : le poumon économique d’un pays dynamique et créatif
Aux dernières statistiques de 2011, l’OCDE classe Israël au 40ème rang mondial avec un
PIB de près de 245 milliards de dollars. Sa croissance annuelle est de 4,5%. Son PIB par
habitant est de 28 510 dollars. Le taux de chômage est de 6,7%. Ces chiffres que l’on pourrait
qualifier de moyen au regard du simple classement mondial ne doit pas faire oublier qu’Israël,
bande étroite coincée entre des territoires hostiles, héberge des ingénieurs à haute valeur
ajoutée à la capacité créative exceptionnelle contribuant ainsi au rayonnement du pays tout
entier.
Dernièrement, le Silicon Wadi/Haïfa/Tel Aviv a été classée au 2ème rang mondial derrière la
Silicon Valley. Ce cluster 4 récent, véritable pépinière de start-up, bénéficie d’un soutien
financier local très important et se distingue par une croissance exceptionnelle. En effet,
depuis 1993, le programme Yosma consiste pour l’Etat à doubler tout investissement privé en
3
La colline du printemps en hébreu
Les grands principes de l’agglomération d’entreprises sont : la localisation sur un périmètre restreint d’activités spécialisées,
l’interaction et la coordination, il « produit de la richesse de manière endogène », Clusters mondiaux : (http://www.iauidf.fr/fileadmin/Etudes/etude_444/ClustersMondiaux.pdf)
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ajoutant la moitié du capital réuni, et à proposer aux investisseurs, en cas de réussite du projet,
le rachat à bas prix de la part publique. La commande publique en matière de défense
participe en contribuant à financer et à orienter les entreprises de cluster. Pour exemple le
Kinect de Microsoft, plateforme de jeux vidéos qui réagit aux mouvements du corps a été créé
à partir de technologies militaires. Innover est une véritable philosophie pour les israéliens.
Ces business angels constituent un centre de créativité unique dans la région. Associés aux
chercheurs qui souhaitent développer et valoriser une technologie, ils acquièrent ensemble
une partie du capital, un élément rassurant pour l’université qui voit le chercheur conforté
dans son rôle, car le pays reste vigilant face à la fuite des cerveaux. La moyenne d’âge d’un
entrepreneur est de 36 ans, dont 94% d’hommes, dotées d’une certaine « chutzpah », audace !
Ces hommes drainent plus de sociétés cotées au Nasdaq que toute l’Europe, la Chine, l’inde,
la Corée du Sud et le Japon combinés. Subventionner l’investissement par l’Etat israélien a
facilité l’implantation de grands groupes depuis les années 1970.
En novembre 2012, une étude du cabinet Grant Thornton établit un classement des
métropoles les plus attractives pour les entreprises. Elle fonde son étude sur des critères de
stabilité politique, de lois commerciales, de niveau de formation et de productivité de sa
population active. Israël domine la planète monde en investissant 4,3% de son PIB en
recherche et développement, et arrive tous critères confondus en 4ème place de ce classement
derrière Singapour, la Finlande et la Suède.5
5
http://startupnationbook.com/
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2. La mémoire d’un long processus
Le film My Beautiful Valley6, bouleversant par son approche du sujet, résume à lui seul les
défis de la société israélienne. Une kibboutznik7 âgée de 80 ans regarde tristement tomber un
immense arbre qui trônait fièrement au beau milieu des champs. Dans le silence de la plaine,
on n’entend plus que la machine en train de l’arracher à sa terre nourricière jusqu’à ce qu’il
craque définitivement sous son poids. Comme un contre-champ à ce massacre, la nature
paisible assiste impuissante, comme cette vieille dame, à la fin d’une époque. Elle aussi est
coupée de ses racines et prend conscience que tout ce qui a fait sa vie s’éteint brutalement.
Double humiliation puisque sa fille reprend le kibboutz afin de le privatiser. On imagine les
questions que se pose cette vieille dame. Que peut bien représenter cette génération qui
n’avait ni compte bancaire et qui prenait tous ses repas dans la salle à manger commune? A
l’heure de l’économie capitaliste, les kibboutzim anciens et leurs pionniers n’ont plus leur
place dans cette logique d’économie mondialisée. Ces privatisations qui s’enchaînent dans le
pays renversent le système des valeurs et balayent sur leur passage la solidarité et l’égalité
pourtant fondatrices.
Avec cet arbre qui se fracasse au sol, le processus de destruction de la mémoire est en marche.
Le temps du passé télescope celui du présent, implacable : celui d’une génération dans
l’urgence de la productivité. Cinq décennies pour construire un kibboutz, quelques minutes et
une machine pour basculer et effacer les traces de l’histoire.
L’idée de mémoire et de la relation de l’homme à l’environnement dont il est acteur, est au
cœur de notre sujet. Il soulève des questionnements multiples. Qui étaient ces gens débarqués
en Palestine à la fin du XIXème siècle et au début du XXème ? Quels étaient leurs idéaux ?
Etaient-ils des utopistes ? Sur quelles bases ont-ils crée leur modèle social ? Y a-t-il des liens
plus ou moins visibles entre ces communautés rurales et la société urbaine de l’époque ?
Portent-ils encore en eux les germes de la modernité ?
2.1. Une idée du collectif
La religion juive pose les bases d’une certaine idée du collectif. Instillée dans chaque
interstice du quotidien, au travers du calendrier lunaire, la Loi du Livre rythme le quotidien en
faisant référence à plusieurs figures emblématiques qui jonchent le parcours de l’épopée du
peuple juif. Abraham n’est rien par lui-même, il n’est que par sa descendance. Esther sauve
non pas sa personne, mais le peuple juif. A Pâques, la notion même de « peuple juif » est crée.
L’individu ne s’oppose pas au collectif, il lui est réductible. Peuple en exil constant depuis la
destruction du Second Temple, la tradition le sauvera de la destruction, et par tradition on
entend le Livre. A l’office, la constitution d’un Mynian8 est obligatoire pour pouvoir sortir le
Sefer Torah9. L’idée de collectif est portée en tout moment et en tout lieu.
2.2. Le statut des juifs de diaspora et l’espace de la patrie au XIXème
En 1860, comme un écho prémonitoire à se mobiliser contre les discriminations
séculaires, Charles Netter et Narcisse Leven fondent l’Alliance Israëlite Universelle,
soutenus par Napoléon III et Adolphe Crémieux. Sa vocation rappelle qu’être juif c’est être
6
Bande annonce du film : http://www.youtube.com/watch?v=Eb27sGzUxQE
Habitante d’un kibboutz
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Réunion de 10 hommes
9
Les rouleaux de l’ancien testament
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citoyen à part entière, avec les droits et les devoirs acquis depuis le décret du Roi promulgué
en 1790. Aussi, la communauté juive s’en empare avec fierté : « un objet unique domine et
presse toutes nos armes ; le bien de la Patrie, et le désir de lui consacrer toutes nos
forces …nous faire monter à la place de Citoyens, nous donner un état civil, ce n’est
qu’exercer envers nous un acte de justice »10.
De l’autre côté de la Méditerranée, c’est avec la conquête de l’Algérie en 1830 que la France
impose ce changement de statut à ses colonies. On importe le Consistoire et l’école publique,
et en lieu et place du droit musulman, le décret Crémieux fait des juifs des citoyens français
d’Algérie. Aussi, pour en finir avec le statut de dhimmi11, La France et la Grande Bretagne
établissent des protectorats et pérennisent ainsi les droits nouveaux de ces juifs à travers le
monde, en même temps que le rayonnement de l’Alliance Universelle s’établira jusqu’en Iran
en passant par le Maroc et l’Irak.
Alors qu’en Allemagne ou en France, l’émancipation, bien qu’accouchée péniblement a eu
lieu, droits civiques et politiques sont refusés à l’Est. A la veille de la première vague de
pogroms qui bouleversera en 188112 son avenir, la moitié de la communauté juive mondiale,
soit 5 millions d’âmes, se concentre dans l’aire géographique constituée de la Pologne, de
l’Ukraine et de la Russie de l’Ouest.
Avec Alexandre II arrivé au trône en 1855, tout un pan de la bourgeoisie juive avait cru en
l’espoir de l’émancipation, en un nouvel âge. Après l’abolition du servage en 1861, un vent de
libéralisme avait enfin élargi leur champ d’action. Ils pouvaient accéder à des postes
universitaires, des professions libérales (avocats, médecins). Un mouvement libertaire nommé
Haskala encourageait le détachement au religieux et l’assimilation à la société occidentale
dans laquelle l’intelligentsia de l’époque s’engouffra volontiers, trop attirée par la pensée et la
langue russe. Mais cela n’empêcha pas de diaboliser les juifs. Pouchkine, Gogol, Tourgueniev
raillèrent le juif dans Tarass Boulba ou Le Châle Noir. Ils le comparèrent à un être cupide et
« bailleur d’église ». Malgré l’autorisation de s’installer au-delà du rayon de résidence, les
conflits éclatent dans la zone de refoulement. Les vives protestations occidentales n’y
pourront rien. La loi du 3 Mai 1882 promulguée par Alexandre III, interdira aux juifs
d’habiter les campagnes et de posséder ou louer des biens fonciers, et ce jusqu’en 1917. Un
numerus clausus limite les entrées des étudiants au lycée ou à l’université. L’enfer est dans
ses moindres détails de la vie quotidienne. Par dizaines de milliers, commerçants et artisans
doivent trouver du travail dans les bourgades, les Shtetl. Débats et crise spirituelle
permettront à un courant révolutionnaire de faire ses premières armes. Dans ces shtetl si
typiques, on parle un allemand teinté d’hébreu : le yiddish, qui s’avèrera une arme puissante
de la révolution ouvrière.
La pandémie antisémite fait son œuvre et l’affaire Dreyfus éclate en France. La montée de
l’antisémitisme gagne Vienne et donne un signal alarmant à la communauté juive d’Europe.
Un journaliste de Vienne, Théodore Herzl publie L’Etat juif, et interpelle avec force les juifs
du monde sur l’urgence de trouver une solution radicale à cet antisémitisme qui gangrène les
sociétés européennes. En 1860, Hess, de son Allemagne natale, avait proposé une solution
10
Francine Cicurel, Anthologie du Judaïsme, Nathan, 463 pages, 2007, page 375.
Officiellement aboli par l’empire Ottoman en 1856, ce statut de dhimmi issu du « pacte d’Omar » (VIIe Siècle) est à la source
de l’antijudaïsme arabo-musulman qui exerce paradoxalement une protection de ces sujets tout en les reléguant comme des
êtres humains de seconde zone :
« Le non-musulman, pour bénéficier d’une permanente sauvegarde musulmane, s’engage lui-même à :
-offrir une hospitalité de trois jours à tout musulman de passage…
-porter à sa taille un signe distinctif…
-ne pas se servir d’une selle comme siège sur sa monture».
12
220 pogroms ont étaient entrepris entre 1881 et 1882.
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similaire sous la bannière : « Si je ne puis m’aider moi-même, qui le fera ? 13». Herzl organise
le premier congrès de Bâle en 1897 et cristallise les espoirs de tout un peuple. Il propose que
le sionisme réalise des implantations massives de population juive en terre promise avec
l’appui d’institutions puissantes. Il crée l’organisation sioniste mondiale, outil stratégique du
combat diplomatique.
A compter de cette date, on voit une immigration de 10 000 juifs laïques, constitués
majoritairement de réfugiés chassés par les pogroms, arriver en Palestine Ottomane. La
majorité partira pour les Etats-Unis.
En 1897, l’espace de la patrie est refusée aux juifs de diaspora, mais elle leur sera accordée 20
ans plus tard lors de la déclaration Balfour 14 qui officialisera aux yeux du monde le projet
d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine.
« Cher Lord Rothschild,
J'ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration cidessous de sympathie à l'adresse des aspirations sionistes, déclaration soumise au cabinet et
approuvée par lui. Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en
Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la
réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter
atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni
aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays. Je vous serais
reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération
sioniste.
Arthur James Balfour ».
13
Maxime de Hillel, in Henri Minczeles, Le mouvement Ouvrier Juif, Récit des Origines, Editions Syllepse, Collection
Yiddishland, 220 pages, 2010, page 133.
14
La Déclaration Balfour de 1917 est une lettre ouverte adressée à Lord Lionel Walter Rothschild (1868-1937), publiée le
2 novembre 1917 par Arthur James Balfour, le ministre britannique des Affaires Étrangères, en accord avec Chaim Weizmann,
alors président de la Fédération Sioniste et qui sera élu en 1948 président de l'État d'Israël.
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3. Les lieux d’identification
3.1. Le Shtetl comme modèle d’urbanisation forcée
En Pologne comme en Russie, alors que la ville distingue la « Yidishe gas »15 des autres
quartiers constituant la cité, le shtetl est une bourgade plus ou moins éloignée de la ville ou
les juifs sont en « résidence ». Dans les deux cas, la population juive fait l’objet d’une double
ségrégation. L’une spatiale et l’autre identitaire. Confinés dans des espaces dédiés, les juifs
organisent leur vie rythmée par leur propre calendrier, conservant ainsi immuablement leurs
traditions ancestrales.
On peut dire que cette ségrégation relève d’une composante urbaine spécifique et d’une
certaine dynamique ethnique. Par la force des choses, toute ségrégation a pour effet
l’organisation d’une société de l’« entre-soi ». Pour les populations juives, la place de la
religion est ancrée dans une dynamique collective qui lui est vitale.
Par tradition, les enfants bénéficient dès leur plus jeune âge de l’étude des textes sacrés, base
de l’éducation où ils apprivoisent la langue hébraïque. Langue sacrée et langue profane tissent
ce lien entre vie religieuse et vie quotidienne, entre espace confiné et espace transhistorique.
Quand les familles le peuvent, elles envoient leurs enfants dans les universités d’Europe,
souvent grâce à des mécènes. Scientifiques, philosophes, architectes, artistes tenteront cette
improbable lutte pour l’intégration sociale et civile. Temps chrétien et temps biblique
coexistaient dans ce shtetl comme « l’égal de la ville sainte Jérusalem16 ».
Le yiddish permet aussi ce lien avec l’extérieur. Bourgeoisie, patronat, au contact de la masse
populaire imposent l’emploi de cette langue maternelle. Parlé par les petits artisans et les
modestes commerçants, elle leur permet de créer du lien social nécessaire à leur survie
économique. Certains ouvriers non juifs viennent de la société d’insertion et sont employés
par les petits patrons juifs. Sur la place du marché, trois fois par semaine, les paysans des
environs viennent vendre leurs marchandises dans ces carrioles délabrées face aux étals et
autres boutiques.
Le shtetl est donc facteur de spécificité et de cohésion. Il est non seulement un lieu
d’identification religieuse où s’organise la vie communautaire17, mais aussi une « structure
économique et sociale particulière, un réseau de relations individuelles et collectives 18». Les
processus de transformation de la société d’insertion et ses conséquences sur la vie du shtetl
auraient pu ébranler ses fondations. Après 1000 ans d’histoire commune, les 220 pogroms
organisés par le pouvoir tsariste durant la seule année 1881 auraient pu l’éradiquer. Malgré
ces tragiques événements, les juifs les mieux lotis ont pu intégrer horizontalement la société
d’insertion par une diffusion de ses élites à tous les niveaux qu’ils soient littéraires,
scientifiques ou politiques.
Symbole de cette lutte pour faire tomber les frontières entre « eux » et les juifs, le shtetl est
donc ce le lieu symbolique où se joue l’espoir d’émancipation. Aussi, ces codes forgés en son
15
La rue juive en polonais
Rachel Ertel, Le Shtetl, La Bourgade Juive de Pologne, Payot, 381 pages, 2011, page 152.
17
« Un véritable lieu n’existe pleinement qu’en tant qu’il possède une portée sociale, en termes de pratiques comme de
représentations, qu’il s’inscrit comme objet identifiable, et éventuellement identificatoire, dans un fonctionnement collectif, qu’il
est chargé de valeurs communes dans lesquelles peuvent potentiellement, pas systématiquement, se reconnaître les
individus », Lussault,2003 :2, in Caroline Rozenholc, Lire le Lieu pour dire la Ville, Florentin, une mise en perspective d’un
quartier de Tel Aviv dans la Mondialisation, page 23, Thèse pour l’obtention du Doctorat en géographie, soutenue le 21 mai
2010,545 pages.
18
Rachel Ertel, Le Shtetl, 1984,pp 168-170, in Revue Française de Sociologie, Jacques Gutwirth, CNRS Paris.
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sein lui ont permis de perdurer grâce à la force du collectif. A cette époque, la lutte des classes
imprègne toutes les couches de la société. L’amélioration des conditions de vie, l’organisation
en syndicats ouvriers sont des combats socio-politiques repris par la classe ouvrière juive
s’inscrivant par là-même dans la lutte générale de tous les ouvriers. D’abord éditées en russe,
les programmes du mouvement socialiste polonais fédèrent un nombre croissant d’adhérents
Varsoviens à ces Krujki (cercles d’inspiration Marxiste).
Non plus traduits mais édités en Yiddish, Di Arbeter Stimme (La Voix Ouvrière) ouvre la
voie et tente une émancipation désespérée. Le Bund est son expression la plus représentative,
mouvement socialiste avec ses structures propres, ses cercles et sa solidarité. « Il est non
seulement un foyer révolutionnaire, mais une véritable famille 19 ». « Le Bund ! Fondé ?
L’expression est impropre. Il ne fut pas fondé mais il naquit, se développa, grandit comme se
développe et grandit chaque organisme vivant (…). Un mouvement d’attirance instinctive du
travailleur pour le travailleur provoqua l’agglomération de grains de sable, de petites
poussières d’hommes en un bloc de granit20 ».
3.2. Le kibboutz, la nécessité de l’autosuffisance
En 1880, en raison des pogroms incessants, 50 000 juifs arrivent en Palestine et s’installent à
Jaffa. Les besoins sont grands. La moitié des migrants provient d’Europe orientale.
En France, l’insalubrité qui règne dans les villes due à l’exode rural entraîne de nombreuses
maladies que l’Europe hygiéniste essaie de combattre. L’avènement des gares, magasins et
usines a bouleversé les comportements humains, a mis à mal une harmonie millénaire en
perturbant l’équilibre entre la maison et le lieu de travail. La nécessité de chercher un salaire
meilleur a conduit les hommes à abandonner les terres. Pris dans le besoin toujours plus grand
de main d’œuvre, la ville absorbe tant bien que mal des milliers de nouveaux entrants en les
condamnant à l’entassement dans des taudis et en provoquant l’émergence des maladies de la
misère.
La Maison Rothschild veut à tout prix préserver la population juive immigrante de
l’entassement constaté un peu partout en Europe comme dans la ville Sainte. Le Baron fait
transiter des fonds et envoie nombre d’ingénieurs dans la Palestine Ottomane tel Arthur
Ruppin dont nous verrons le rôle crucial plus tard. Il permet dès 1881 la fixation de ces
populations sur ces territoires avec la création de colonies agricoles dont la plus connue est
celle de Richon-Sion qui s’étend sur 750 hectares. Regroupant 310 habitants, ces derniers
produisent « par des moyens perfectionnés des milliers d’hectolitres de vin de qualité
supérieure21» dont les plans proviennent du bordelais. Très vite des groupes s’autonomisent,
et décident de s’installer sur des terres appartenant au Fonds national juif22.
Toujours depuis la France, l’Alliance Israélite Universelle qui s’était donnée comme première
vocation l’éducation de ces populations, souhaite dans un deuxième temps les familiariser
avec le travail de la terre. Elle constitue une colonie agricole sur le modèle de sa voisine
Sarona, une colonie allemande des Templiers qui souhaitent revenir aux origines des textes
en rachetant en terre sainte l’âme de leurs coreligionnaires. Les premiers kibboutznikim, les
« pionniers » s’installent dans des tentes. D’un point de vue spatial, le kibboutz est une copie
troublante des colonies importées des Templiers.
19
Henri Minczeles, Le mouvement Ouvrier Juif, Récit des Origines, Editions Syllepse, Collection Yiddishland, 220 pages, 2010,
page 152.
20
Op.cit.
21
Pierre Mille, Colonies Juives et Allemandes en Palestine, Persée, Annales de Géographie, 1899, t.8, N°38, page 164.
22
KKL (Keren Kayemet Leisraël)
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Très vite, de nouvelles formes urbaines se font plus élaborées et mettent à jour une forme de
déni de l’histoire. « La planification est le versant libre du terrain qui importe et non pas celui
qui est encombré d’histoires 23». Ces entités urbaines de type collectiviste répondront « aux
aspirations d’une communauté d’un nouveau type » 24 . On en verra un peu plus tard les
répercussions sur les processus d’élaboration de Tel Aviv.
L’idée centrale est que « le kibboutz constitue une base solide pour des gens qu’intéressent le
progrès social25 » où chacun travaille pour la communauté. Ces organisations sociales n’étant
pas imposées de l’extérieur, animées exclusivement de volontaires, « leur principale force
vient de l’engagement individuel de tous les membres26». L’esprit d’entreprise compte pour
beaucoup et sera encouragé. Mais pour cela, il faut des terres à grande échelle. Autour de ce
projet de rachat de terres, l’organisation sioniste mondiale se structure autour d’un bureau
central à Londres que dirige Chaïm Weizmann. Nommé par le gouvernement britannique, il
est le conseiller aux implantations et au développement du futur pays.
C’est ainsi qu’au début du XXème siècle, le kibboutz est l’organisation spatiale d’un nouveau
type auquel préexiste donc cet homme d’un nouveau type prônant le culte du travail si cher à
David Gordon27. L’idéologie socialiste s’exporte avec une vision très forte du travail, de la
nature comme bien d’autosuffisance, et de la communauté. « L’homme juif qu’il importe de
changer, par les retrouvailles avec la terre, par la communion avec la nature, par l’affirmation
de l’éminente dignité du travail physique, seul capable de libérer les juifs des tares aliénantes
du ghetto ». On notera que cette forme d’urbanisation forcée en URSS était encore pratiquée
outre-Atlantique par les migrants russes établis majoritairement aux Etats-Unis.
Modes d’identification spatiales et sociales se confondent et le kibboutz devient la « clef de la
renaissance juive 28» parce- qu’il a la vertu d’« assurer un travail juif 29». Désormais ce qui
importe n’est plus « la situation de l’individu, mais celle du groupement humain30 ».
Arieh Sharon, l’un des architectes phares du mouvement moderne, dont on verra certaines des
œuvres plus tard, dit en peu de mots l’essentiel de l’aventure des kibboutz. « A l’âge de douze
ans je rejoignis le mouvement de jeunesse juive Hashomer Hatzaïr,…Notre but était de faire
de nous-mêmes, enfants de la bourgeoisie juive destinée aux commerces et aux professions
libérales, des fermiers actifs dans le processus de production et des travailleurs de retour à
Sion31 ».
23
Catherine Weill-Rochant, Le Plan de Patrick Geddes pour la Ville Blanche de Tel Aviv, Thèse de doctorat, Université
paris 8,420 pages, décembre 2006, page 82.
24
« C’est une communauté de mémoire,….la forme spatiale du kibboutz s’apparente à une invention…cette seconde catégorie
d’organisation spatiale peut être appelée urbanisme d’anticipation », in Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, page
73,2008, CNRS Editions, 159 pages.
25
Georges Friedmann, Fin du Peuple Juif ?, Gallimard, collection Idées, 376 pages, 1965, page 48.
26
Alexander Matejko, « Kibboutz ou Kolkhoz ? Une comparaison des fermes collectives en Israël et en U.R.S.S », in Persée,
Revue d’Etude Comparatives Est-Ouest. Volume 11, 1980, N°4, PP.95-205.
27
A.David Gordon (1856-1922) est un penseur et éducateur. Il fonde avec ses amis l’Hapoel Hatzaïr : « Le Jeune ouvrier »,
parti politique fondé sur un nationalisme juif et un socialisme agricole, coopératif et antiautoritaire.
28
Zeev Sternhell, Aux Origines d’Israël, Folio, Collection Histoire, 833 pages, 2004, page 151.
29
Ibid.
30
Françoise Choay explique le modèle culturaliste et cite l’exemple de la « cité jardin » d’Ebenezer Howard où « l’individu n’est
pas une unité interchangeable…mais irremplaçable », in L’Urbanisme, Utopies et Réalités, Une Anthologie, 445 pages, éditions
Essai, page 21.
31
Catherine Weill-Rochant, Le Plan de Patrick Geddes pour la Ville Blanche de Tel Aviv, Thèse de doctorat, Université
Paris 8,420 pages, décembre 2006, page 44.
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11
Richard Kauffman32 concevra l’architecture des premières salles à manger des kibboutznikim
dont la conception sera reprise dans certains appartements de Tel Aviv. La salle à manger
ponctue la journée de labeur, elle est aussi source d’échanges sur la vie communautaire, lieu
des assemblées ou des réunions littéraires. Par ailleurs, le bâtiment abritant l’école bénéficie
aussi de la créativité de Kauffmann. « L’école du kibboutz de
Degania est célèbre pour l’ingéniosité de sa structure : un toit à deux pentes légèrement
surélevé par rapport aux murs permet de ventiler la pièce33 ».
Le plan général est assez simple et reste fidèle à la fonction de chaque bloc de bâtiment, aussi
« sur un vaste terrain commun, les corps de bâtiments sont disposés autour d’une, deux ou
trois cours. Chacune de ces cours est dédiée à une fonction. La disposition suit la direction du
vent dominant : la cour d’habitation d’abord, celle des cuisines et de la salle à manger
commune ensuite ; puis vient celle des étables. Les maison sont en rez-de-chaussée34 ». Ce
processus devient intégrant dans le sens où « la modernité fonctionnaliste et collectiviste
s’introduit en Palestine »35. L’originalité des kibboutzim relève de son organisation spatiale
très structurée combinant fonctions agricole et industrielle.
Le kibboutz participe donc d’une forme d’urbanisme pratique dans lequel la nature est
exploitée puis transformée pour le bien commun : l’autosuffisance en même temps « qu’il
porte les aspirations de l’urbanisme naissant du « mouvement moderne » : propriété collective
du sol, contrôle commun et centralisé de la forme urbaine et architecturale, nécessité
d’introduire l’industrialisation de logement de type social36 ».
Avant 1947, on compte 47 408 kibboutzim. A partir de 1948, 70% d’entres eux seront
construits dans le Neguev ou en Galilée. Dans les années 1980-90, le kibboutz connaît des
heures sombres. L’inflation galopante fait grimper les taux d’intérêts jusqu’à 450%. Suit une
récession très sévère pour les usines appartenant aux kibboutzim qui avaient investi dans les
machines en empruntant. Ne pouvant plus attendre l’aide financière du gouvernement, qui
avait déjà beaucoup fait, les kibboutzim sont aculés à la transformation. Ils axent leur
développement dans les secteurs des nouvelles technologies et du tourisme. Au début des
années 1990, ils font face rapidement à cette diversification d’activités grâce à une
immigration russe très bien formée sur ces sujets, et que les dirigeants des kibboutzim
prennent soin de sélectionner. Aujourd’hui les 280 kibboutzim représentent 1,6% de la
population. 19 kibboutz sont religieux, 60% sont privatisés et 85 sont encore fidèles au
système ancien mais assoupli. 40% de la production agricole provient des kibboutzim. Il y a
350 usines appartenant à ces kibboutzim pourvoyeurs de 30 000 emplois. 22 sociétés sont
cotées en bourse et travaillent pour certaines dans l’économie hightech.
Le kibboutz le plus connu pour son modèle économique capitaliste est celui de Shefayim. Le
tourisme étant une manne, le kibboutz propose diverses attractions pour enfants. Un hôtel est
ainsi installé à proximité d’un centre commercial. On est bien loin des paysages pittoresques
des pionniers. Malgré le traumatisme subi par les anciens, les kibboutz se sont modernisés et
32
Né en Allemagne, Richard Kauffmann commence à travailler comme urbaniste en Ukraine puis en Scandinavie pendant la
première guerre mondiale. En 1920, il est engagé par l’organisation sioniste pour prendre en charge la planification des
nouvelles implantations. Conférence : www.akadem.org/sommaire/colloques/1909-2009-centenaire-de-tel-aviv/une-ville-pour-lenouvel-homme-juif-04-12-2009-7952_4113.php
33
Catherine Weill-Rochant, Le Plan de Patrick Geddes pour la Ville Blanche de Tel Aviv, Thèse de doctorat, Université
Paris 8,420 pages, décembre 2006, page 46.
34
Ibid page 46.
35
Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, 159 pages, 2008, CNRS Editions, page 67.
36
Catherine Weill-Rochant, Le Plan de Patrick Geddes pour la Ville Blanche de Tel Aviv, Thèse de doctorat, Université
Paris 8,420 pages, décembre 2006, page 46.
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le confort est le même qu’en ville. L’accès à la propriété est depuis longtemps répandu et la
possession d’un compte courant a définitivement signé l’arrêt de la mutualisation des revenus.
Selon que l’on a plus ou moins bien vécu cette expérience originale, on peut en arriver à
rejeter l’idée du kibboutz comme cet « ingénieur en électronique, Ofer37 (32 ans) […]. Après
avoir servi dans les renseignements militaires », il quitte le kibboutz de sa jeunesse. Alors que
celui-ci, plutôt riche, lui offrait une sécurité de vie (assurance maladie, assistance pour
d’éventuelles études), il a préféré s’installer à Tel Aviv. Les communautés des kibboutz sont
pour lui trop « repliées sur elles-mêmes ».
Cependant, une autre partie de cette génération envisage le kibboutz urbain comme une
alternative à la société capitaliste. Elle tente de trouver un juste milieu entre collectivisme
sclérosé et productivité à tous crins. Ce laboratoire social d’un genre nouveau né il y a cinq
ans se développe peu à peu. On compte 1000 membres dans tout le pays. Ne supportant plus
la domination de l’individu sur le collectif, ces nouveaux pionniers veulent faire (re)vivre
l’idéal de communauté au travers d’un engagement simple : « Nous plaçons l’individu au
cœur du projet, nous suivons ses besoins, ses désirs, son épanouissement 38». Non loin de
Sderot, au sud du pays, le kibboutz urbain Migvan fondé par Nomika Zion est un exemple de
société solidaire frappant. Bien que soumis à des pressions internes (départ de certains
membres vers la ville), ou externes (métropolisation/mondialisation), le kibboutz se réinvente
et s’ancre dans des projets à caractère éducatifs et sociaux, au cœur même des villes ou dans
des zones rurales.
Les sabras39 sont très investis dans ce mouvement d’un genre nouveau. Ce sont encore de
petits kibboutzim (pas plus de 45 membres) et la plupart ont grandi dans une culture à
l’ancienne. Il est à l’origine d’étudiants anarchistes et socialistes du mouvement NOAL,
mouvement de la jeunesse ouvrière et étudiante. Une douzaine de communautés essaiment le
pays, et cette vague semble ascendante. Fondé en 1993, le kibboutz urbain Ravid ne prétend
pas changer le monde mais ses membres s’activent à « recréer l’idéologie des kibboutz, à
savoir l’égalité, le partage, le socialisme et de les adapter à notre temps 40» au travers de
programmes éducatifs très ciblés notamment par la création de clubs de travail pour la
jeunesse. Pour eux, la révolte est dans l’action tout autant que dans l’esprit.
Les témoignages d’anciens kibboutznik éclairent l’analyse. Chakin Nir41 est arrivé en 1947
dans le kibboutz Neve Ilan. Il en est reparti depuis pour vivre en ville à Jaffa. Il a connu l’âge
d’or des kibboutz. Il est vrai que les premières années qui suivent la création de l’Etat d’Israël
se caractérisent par une croissance accélérée sur le plan démographique et sur le plan
économique. Le niveau de vie des kibboutz s’améliore à un rythme qui dépasse celui de la
société israélienne. Cependant, il a connu aussi l’envers de la médaille. Les kibboutzim qui
dictaient l’égalité pour tous selon sa force et ses possibilités avec en retour une égale
redistribution étaient une utopie à en écouter certains. La philosophie pratique des anarchistes
de Tolstoï ou de Proudhon est bel et bien terminée !
Malgré tout, démocratie directe, liberté de rester au sein du kibboutz ou d’en partir, solidarité
et goût du travail sont toujours les moteurs d’une certaine réussite, qu’elle soit effectivement
personnelle ou emprunte d’un intérêt plus collectif. Tel qu’on voit la transformation du
37
Extrait de l’article « Le Kibboutz n’est plus ce qu’il était », Serge Dumont, El Coresponsal de Medio Oriente y Africa, 22
décembre 2012.
38
Extrait du blog de Claude Berger, Le Kibboutz Urbain, Naissance d’une nouvelle Société ? , mars 2008.
39
Juifs nés en Israël
40
Géraldine Gudefin, Quel Avenir pour les Kibboutzim d’Israël ?, Editions l’Harmattan, 169 pages, 2007, page 82.
41
http://breizatao.com/?p=10002, a écrit un livre à ce sujet « L’Idéal du Kibboutz ».
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kibboutz Neve Ilan sur le site des kibboutz-hôtels, et comme beaucoup de personnes de
l’époque de Shakin Nir, on comprend la tristesse voire l’amertume de cette génération ainsi
désemparée.
Un autre témoignage intéressant nous a interpellés. C’est l’histoire de Cobi, 36 ans, né à TelAviv, et qui pourtant a décidé de venir au kibboutz Palmachim à quelques kilomètres au sud
de la métropole. Il n’a jamais baigné dans l’ambiance ou la culture du kibboutz. Après avoir
fini ses études, il trouve un travail dans un kibboutz. Ce qui l’a décidé c’est précisément : « la
privatisation et la différenciation des salaires42 ». Alors que pour Sarah Nitzan, âgée de 75
ans, et membre de ce kibboutz depuis 50 ans, « les derniers changements sont
catastrophiques 43 ». Elle se raconte avec douleur : « Nous vivions tous ensemble, nous
prenions nos repas dans la salle commune, la salle à manger était réellement le ventre de la
vie au kibboutz …maintenant il y a des riches et des pauvres, et les gens ne se rencontrent
plus44 ».
Deux générations séparent ces deux kibboutznikim et ce sont bien deux mondes opposés qui
se télescopent.
Quelle que soit son expression sociale et économique, le kibboutz demeure pour l’instant le
mouvement communautaire le plus original et le plus diffusé au monde ayant même impulsé
des initiatives en dehors de ses frontières comme en Afrique ou au Japon.
Aujourd’hui architectes, urbanistes et historiens se mobilisent pour faire inscrire le concept du
kibboutz au patrimoine mondial par l’Unesco 45 . C’est dans cette optique que le prochain
chapitre analyse le traitement de l’espace naturel dans le tissu urbain.
42
Géraldine Gudefin, Quel Avenir pour les Kibboutzim d’Israël ?, Editions l’Harmattan, 169 pages, 2007, page 78.
Op. cit. page 79
Géraldine Gudefin op. cit
45
Vidéo issue d’un documentaire diffusé par Arte sur ce point http://www.arte.tv/fr/israel-les-kibboutzim-patrimoine-de-lunesco/3654830,CmC=3654520.html
43
44
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4. Tel Aviv : L’espace naturel domestiqué
4.1. Une urbanisation balbutiante :
Dans l’ancienne Jaffa, les villages juifs sont semblables aux quartiers que l’on nommait
les mellah au Maghreb. Ils se distinguaient des villes arabes, les hara. Les maisons des juifs
étaient de la plus simple facture. Plusieurs étages aux façades en torchis ponctuaient les
balcons couverts. Dans ces quartiers on y exerçait de petits métiers de commerce ou
d’artisanat et on y vivait la plupart du temps dans de médiocres conditions. Dans les
« villages » que constituaient Jaffa, les conditions de vie des populations juives et arabes
étaient de plus en plus difficiles. Paradoxalement, même si « ce voisinage permanent dans la
promiscuité crée des liens entre les deux communautés 46», la population fuit cet entassement
tout autant qu’elle participe du mouvement de séparation d’avec la « ville mère ».
Sur l’initiative individuelle, des autochtones s’organisent. Aaron Chelouche, juif aisé de Jaffa,
souhaite aider ses coreligionnaires. Il crée la société immobilière Neve Tzedek. Même si
presque toutes les terres appartiennent aux Arabes, il acquiert des terrains de vignes vers le
Nord, achetés sans contrainte. Grâce à ce que certains sociologues nomment expropriations47,
il construit le premier quartier « hors les murs » de Jaffa. La cité se caractérise par une
intense vie sociale48 bien que dépourvue encore de bâtiment public. Ce besoin de propriété
privée 49 « apparaît alors comme l’expression des besoins collectifs » 50 qui aboutira à la
création de cette entité autonome : l’Ahuzat Baït. Suivra la construction du deuxième quartier
juif : Neve Shalom. Le centre de gravité de la future Tel Aviv se déplace peu à peu vers le
Nord au rythme du « marché foncier…, puissant déterminant de la répartition des groupes
sociaux dans l’espace 51».
Entre les maisons individuelles en pierre aux tuiles si typiques qui donnera à Neve Tsedek le
nom de « ville rouge », et afin de satisfaire une clientèle de notables, une dizaine de maisons
bourgeoises de style vénitien et oriental sortent de terre52. De plus, le contexte de relative
tranquillité où une organisation introvertie n’a plus lieu d’être modifie le plan d’accessibilité
de ces maisons. On y entre désormais par la rue, à contrario des maisons des juifs orthodoxes,
tournés vers la cour commune intérieure 53 . Il subsiste néanmoins une grande majorité de
vieilles bicoques en torchis pour les populations les moins argentées. Parallèlement à la
construction des kibboutzim, la maison individuelle fait place aux logements collectifs et
transformera pour longtemps le tissu urbain de Tel Aviv.
46
Tamar Berger, Place Dizengoff, Une Dramaturgie Urbaine, 323 pages, Acte Sud, 2009, page 116.
En effet, ces achats n’émanaient pas de la municipalité, mais d’individus. Et par le « changement de l’usage du sol »,
constitue un premier « type d’invasion « , « alors que le second modifie la composition sociale et économique du quartier »,
Roderick D.Mac Kenzie, in Yankel Fijalkow, Sociologie des Villes, Collection Repères, la Découverte,125 pages,2002,page 50.
48
« Les sociologues considèrent la densité comme une condition nécessaire et non suffisante de la vie urbaine ». Il note que la
théorie de Durkheim va de ce sens car « les villes se caractérisent par une densité physique : rapport population/surface » qui
résulte de ce que Durkheim nomme « la densité morale », autrement dit le « partage de règles et de valeurs communes » in
Yankel Fijalkow, Sociologie des Villes, Collection Repères, la Découverte,125 pages,2002,page 7.
49
« La propriété doit se développer chez nous, libre et respectée, comme la base économique de l’indépendance », in
Théodore Herzl, L’Etat Juif, L’Herne, coll. Carnets, 175 pages, 2007, page 102.
50
Yankel Fijalkow, Sociologie des Villes, Collection Repères, la Découverte, 125 pages, 2002, page 22.
51
Ibid page 23.
52
Yoav Regev, « The first House of Neve Tsedek », Mod Publishing House, 1988, pp 170-172., ibid page 165.
53
Le repos du Shabbat circonscrit la vie du quartier où toute activité est proscrite dans un temps restreint et un espace limité à
1 120 m à l’extérieur de la ville, les deux variables temps /espace semblent dicter le rapport à cette première forme
d’urbanisation collective.
47
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4.2. Les premiers plans
C’est lors de la deuxième vague migratoire que le KKL54 coopère avec les organisations
en diaspora. En un laps de temps très court, le pays doit absorber les 40 000 migrants rescapés
des pogroms55 qui ont éclaté en 1905 et 1906. En 1908, l’« Ahuzat Baït56 » réunit 60 familles
déterminées à organiser une société des bâtisseurs de maisons. Convaincue de la nécessité du
sionisme politique, elle modifie son nom en Tel Aviv57 et engage l’achat d’un terrain de 85
000 m² situé à 2km au nord Est de la ville. Plusieurs mois furent nécessaires à cet achat et à la
consultation d’architectes. En 1909, une loterie dite « loterie des coquillages » est organisée
par 60 familles juives pour répartir les parcelles. Elle tira notamment au sort Meïr Dizengoff
qui deviendra le premier Maire de Tel Aviv 12 ans plus tard.
Le tracé du quartier se base sur une grille géométrique58 de petites rues, bordées de maisons
en rang. Cinq voies principales se détachent. En 190459, une centaine de familles habitent
Neve Tzedek et ses environs, et en 1916, on en compte quatre cent soixante-dix-neuf.
Membres de l’intelligentsia et juifs traditionnels cohabitent et font de ce quartier un véritable
centre de culture juive. A l’école comme à la maison, les enfants apprennent l’hébreu, ce qui,
ajouté au rituel juif des synagogues et des fêtes, organise une vie juive intense.
A partir de 1909, tout s’accélère. A l’origine de l’idée de kibboutz, Arthur Ruppin deviendra
une célèbre figure de ce sionisme pratique 60 . Alors qu’il est à la direction du KKL, il
s’applique à implanter des populations juives en poursuivant l’achat des terres et contribue
avec la Palestine Land Development Company à dessiner un véritable projet de société en
élevant les habitants à une conscience de la culture juive en Palestine. Le tissu urbain61 choisi
par Ruppin est composé de 4 grandes rues principales que vient traverser un boulevard et
d’une centralité bien définie. Les maisons bordent déjà les rues.
A la tête du puissant syndicat Histadrout62 par la suite, il écrira : « Il est de la plus haute
importance de construire une banlieue hébraïque moderne parce que […] les rues étroites, les
affreux immeubles sales des quartiers [juifs] représentent un déshonneur honteux pour les
Juifs, et parce que, pour cette raison, de nombreuses personnes, parmi les meilleurs, hésitent à
venir s’installer dans le pays. Rien d’autre n’est aussi important que de bâtir de bons et sains
logements pour la classe moyenne juive à Jaffa. Je crois que je n’exagère pas si je dis qu’un
quartier juif correctement construit est l’étape la plus importante vers la conquête économique
de Jaffa par les Juifs.63 »
54
Fonds national juif crée en 1901 par le professeur Tzvi Shapira suite au 5è congrès sioniste afin d’acheter des hectares de
terres et de préparer à l’arrivée des immigrants.
55
Ces pogroms de Kichinev (empire russe) sont composés en majorité de socialistes.
56
Le domaine, où Herzl imagine déjà la ville comme une métropole. Avant d’être dessinée, Tel Aviv fût en effet rêvée.
En 1910, ce nouveau quartier juif est en effet rebaptisé du titre d’un roman de Théodore Herzl, le père du sionisme : Altneuland,
publié en 1902 relate la création d’un Etat juif en Palestine qui, pour certains, se dessine déjà avec le développement de ce
quartier-ville, Caroline Rozenholc, Tel Aviv a cent ans !, in Echogéo Mars 2009.
58
Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, 159 pages, 2008, CNRS Editions, page 67.
59
Année où Halbwachs soutient sa thèse de droit, qui sera la pierre fondatrice de la sociologie urbaine sous le titre « Les
expropriations et le prix des terrains à Paris », (1860-1900).Ce terme mérite des explications qui arriveront plus tard.
60
Que rejettera Herzl qui prône un sionisme de synthèse à la fois pratique et politique.
61
Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, 159 pages, 2008, CNRS Editions, page 73.
62
Association générale des travailleurs de la terre d’Israël, crée en 1920 par Ben Gourion.
63
Arthur Ruppin, Lettre adressée à l’association des gestionnaires d’Ahuzat Bayit, 1907, citée par Yossi Katz, « Ideology and
Urban Development: Zionism and the Origins of Tel-Aviv, 1906-1914 », Journal of Historical Geography, n° 12, 1986 in « Ville
promise…ville due ? Tel Aviv et Jaffa dans la Palestine d’avant Israël », article de Catherine Weill-Rochant, Août 2009, in
« Moyen-Orient N°1, Août-Septembre 2009.
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Tel Aviv64 est, depuis Herzl, pensée comme la ville idéale. Symbole de la puissance de son
peuple, elle est censée poser les bases d’un espace opposé au ghetto 65, espace capable de
rétablir un rapport de force géopolitique avec son environnement. C’est à ce moment que
« l’urbanisme de rédemption fait place à un urbanisme de conquête territoriale66 ».
Barbara Mann67, souligne cette volonté de distanciation68 des colons par rapport à leur histoire
si bien que le personnage qui s’écria ce jour de loterie « You are crazy, there is no water
here ! » fut même éliminé de la photo. On effaça les traces et on semble oublier qu’au Sud
Jaffa existe bel et bien !
« In Tel Aviv, the desire for authoritative roots coincided with the somewhat contradictory
desire to emphasize the city’s newness, modernity, and epistemological distance from the
Diaspora. Tel Aviv’s narrative of its founding and development, as evidenced in a variety of
cultural representations of the city, thus shared with other Zionist “master commemorative
narratives” both an explicit rejection of the golah (exile) as well as an ideologically driven
selectivity concerning representation and interpretation of the past69 ».
En 1914, à la veille de la première guerre mondiale, la communauté juive hors des murs de
Jaffa compte 150 maisons et 2000 habitants. Entre-temps, l’empire Ottoman capitule et la
Palestine tombe sous mandat Britannique70. A l’œuvre, ce projet urbain fait de campagnes
d’achat parcellaires, n’est plus le fruit d’actions sporadiques et spontanées. Ainsi, bien que les
petits quartiers ne constituent pas encore une bourgade, on les voit se réunir peu à peu les uns
aux autres. Symbole de l’intervention conjointe d’individus organisés souhaitant améliorer
leurs conditions de vie, la future ville s’étend toujours plus vers le Nord et l’Est. Si l’on
regarde de près les cartes de l’époque, on s’aperçoit que l’imagerie revisite la mémoire en tant
que « variation urbaine du miracle sioniste71 » où « la terre leur était promise, elle était donc
vierge72 ».
Le 11 mai 1921, suite aux émeutes arabes où une cinquantaine de juifs trouvent la mort, les
autorités mandataires britanniques accordent un statut autonome à Tel Aviv. Il faudra attendre
la création de l’Etat d’Israël pour que la « ville mère » rejoigne Tel Aviv.
La même année, Meïr Dizengoff, ingénieur chimiste et homme d’affaires, devient maire de
Tel Aviv au moment où la ville passe de 20 000 à 34 000 habitants. L’émergence de quartiers
accolés les uns aux autres font craindre un certain chaos et le besoin d’un plan s’impose. On
continue à acquérir des terrains et le Township Commitee, conseil communal d’alors, définit
les limites de cette entité administrative après d’âpres discussions lors de la réunion du
conseil municipal de Jaffa le 2 février 1923. On lève les impôts et l’administration devient le
maillon institutionnel qui officialise ce projet. L’objectif est alors de créer la première ville
juive moderne sur la terre d’Israël.
64
Tel : ancienne ruine et Aviv : floraison
« …le ghetto de Wirth …correspond ….et à une intériorisation de la contrainte par ses membres qui reconnaissent le bien
fondé de leur mise à l’écart », in Yankel Fijalkow, Sociologie des Villes, Collection Repères, la Découverte, 125 pages, 2002,
page 52.
66
Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, CNRS Editions, 159 pages, 2008, page 67.
67
Barbara Mann article paru sur le site de la Jewish Theological Seminary, “Tel Aviv’s Rothschild: When a Boulevard Becomes
a Monument,” page 5.
Source : http://www.jtsa.edu/Documents/pagedocs/faculty_docs/mann_b/Rothschild%20Boulevard.pdf
69
Ibid page 6.
70
À l'aube de la Première Guerre mondiale, la Palestine fait partie de l'Empire ottoman. Les troupes britanniques, emmenées
par le Général Sir Edmund Allenby, s'engagent dans une campagne contre les Turcs en 1917. Le 31 octobre, les Britanniques
remportent une victoire décisive, dans la ville de Beer-Sheva, ce qui conduit à la capitulation de l'empire ottoman.
71
Tamar Berger, Place Dizengoff, Une Dramaturgie Urbaine, 323 pages, Acte Sud, 2009, page 110.
72
« Ville promise…ville due ? Tel Aviv et Jaffa dans la Palestine d’avant Israël », article de Catherine Weill-Rochant, Août 2009,
in « Moyen-Orient N°1, Août-Septembre 2009.
65
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« Si la politique est de nature essentiellement mobile, le système administratif possède une
stabilité naturelle73 ».
Ce plan prendra auparavant plusieurs significations, tour à tour, « relevé de l’état existant,
plan d’aménagement ou projet d’extension74 ». Un véritable concours s’engage au début de
l’année 1921, d’abord officieusement, à destination de l’ingénieur municipal Braver, et ce
avec une ferveur sans précédent.
Léo Sheinfeld, architecte venu d’Odessa disputera la place de premier urbaniste de Tel-Aviv
avec Kauffmann qui fait partie du nouveau conseil local d’urbanisme à peine mis en place. Ce
dernier proposera un plan pour les terrains disposés au Nord Ouest. Aucun des plans ne sera
validé mais ils auront eu pour effet de jeter les bases de la cité comme véritable entité
autonome, oubliant pour un temps l’ancienne Jaffa.
Patrick Geddes, un architecte, biologiste, urbaniste et jardinier par passion va réaliser sur le
papier cette unité tant attendue. Petit cousin de Charles Baudelaire, il est d’abord amoureux de
la nature, des plantes et des jardins. La connaissance se révélant par la pratique, il crée en
1924 un jardin à la gloire des philosophes grecs. Il invente le « jardin pédagogique » en
somme, car pour Geddes, la ville nous appelle à une connaissance pluridisciplinaire.
En s’inspirant du modèle de la « cité jardin » d’Ebenezer Howard, Geddes réalise à l’échelle
de la ville - et non plus à l’échelle des quartiers périphériques - un réseau viaire extrêmement
hiérarchisé d’où irradient voies principales et secondaires. Ainsi, la grande échelle
(boulevards, places) cohabite parfaitement avec la petite échelle traitée à la manière
pittoresque d’un Camillo Sitte. Pour lui, l’intelligence individuelle doit être mise au service
du collectif d’où émergent naturellement valeurs et créations locales dans leur inscription
territoriale propre.
Comme un appel à un nouveau type de ville, « le plan de la ville progressiste doit être
l’expression de l’efficacité et de l’esthétique ». En France, Le Corbusier souhaite jeter les
bases de « l’homme type » qui aspire aux fonctions universelles suivantes: « habiter,
travailler, circuler et se cultiver …ce que Gropius, décliné au bâtiment, nomme « le type
idéal d’établissement humain75 ». Ne souhaitant pas se cantonner à organiser une ville déjà
existante, il souhaite représenter la ville à l’aune du projet de Dizengoff qui prévoit un
triplement de la population faisant passer la cité de 30 000 habitants à 100 000 habitants.
Son plan propose ainsi de constituer des blocs d’habitation sur des parcelles de 500 m² avec
les bâtiments au centre et des jardins les entourant. Alors que Scheinfeld fonde son plan sur
des parcelles déjà achetées, Geddes lui fait la suture entre ceux existants et ceux en cours
d’achat. Il souhaite donc anticiper et crée des possibilités d’extension au plan et opte pour une
modularité des îlots.
Par ailleurs, le diagnostic préalable de Patrick Geddes est établi sur la base de son observation
des parcours des autochtones, et notamment des juifs orthodoxes76, nombreux à cette époque.
Il note que ces familles religieuses réalisent à peu près le même parcours que ce soit pour se
rendre à l’école, à l’épicerie, à l’hôpital ou à la synagogue. Afin de rendre ces déambulations
les plus agréables possibles, il prévoit des home ways et des rose and wine lanes. L’idée de
parcours prévaut sur celle de planification.
73
Le Corbusier, « La Chartes d’Athènes », Points, Collection Essais, 189 pages, 1971, page 5.
Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, 159 pages, 2008, CNRS Editions, page 80.
75
Ibid page 34.
76
F.Choay nomme cela le modèle culturaliste, où « l’individu en constitue un élément irremplaçable »76 .
74
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18
Parvenant ainsi à adapter unité du champ arabe et voisinage du pionnier juif, Geddes adapte
de manière géniale le tracé du parcellaire agricole à celui des îlots77. Importance des symboles
et aspects pratique sont au cœur du remarquable travail de Geddes qui se veut un artisan au
service des usagers de la ville. Enfin, si « la vie ne s’épanouit que dans la mesure où
s’accordent…l’individuel et le collectif 78», alors le modèle de la cité-jardin d’Howard où « la
ville est de forme circulaire, son centre est un jardin »79 répond aux aspirations de ce « nouvel
homme juif 80 ». Le collectif et l’individuel, les terres agricoles situées en périphérie
immédiate de la ville sont deux réalités reposant sur le même idéal d’émancipation.
Se proposant de mutualiser les revenus du sol entre les agriculteurs, cette ville campagne
idéale d’Howard vient nous rappeler le collectivisme des Kibboutzim. Howard croit dans la
coopération entre les habitants, il a le souci maniaque du confort partagé avec la proximité des
services et des commerces. En revendiquant l’autonomie totale il participe d’un urbanisme
politique dont il n’a pas imaginé à l’époque la pertinence dans notre contexte.
Même si le mythe veut que Tel Aviv se soit construite sur du sable, il faut noter que la
caractéristique des sols alluvionnaires ne contribuait pas à la stabilité de ceux-ci. « Sur un
plan géologique, c’est une terre relativement jeune pour la région 81 ». Impropres à
l’habitation, on n’en a pas moins détruits vignes et orangeraies pour accueillir ces populations
à coup d’achats puis d’expropriations82 dès 1948, année de la création de l’état d’Israël. De
plus, « …de l’avis des ingénieurs, la pierre locale n’est pas adaptée à la construction
d’immeubles modernes …et ne convient qu’à la construction de maisons primitives83». Les
parpaings de béton remplaceront bientôt la pierre, et la chaux enduira les façades d’un blanc
éclatant et contribuera au charme de cette cité balnéaire unique dans la région.
Suite à la crise de 1929, les ingénieurs et architectes fuient la crise et le régime nazi qui
s’installe dès le début des années 1930 en Allemagne puis en Autriche. Ils proviennent pour
l’essentiel d’écoles d’Europe comme Dessau, Paris ou Bruxelles. On dit communément que
Tel Aviv est la ville du Bauhaus, courant initié à Dessau par Walter Gropius. Ce
mouvement moderne se propose de créer une synthèse entre les arts et l’industrie. De
l’expérience du chaos que provoqua l’ère industrielle par l’exode de populations vers des
villes de plus en plus insalubres, sa vision éminemment démocratique vise à produire une
architecture inspirée de tous les arts plastiques et graphiques. Au profit du plus grand nombre,
il se rêve à créer un urbanisme populaire tout autant qu’esthétique et pratique.
En 1938 la population de Tel Aviv dépasse les 400 000 habitants, triplant en 3 ans.
Historiquement très urbanisées, les populations juives d’Europe centrale ne s’intéressent que
très peu aux campagnes. Il faut construire massivement et industriellement. La population
77
A l’échelle de l’ilot, mot qu’il n’emploie jamais, le modèle de l’ilot de Marienberg -de Sitte-, concourait à anticiper ces achats
de parcelles.
78
Le Corbusier, « La Chartes d’Athènes », Points, coll. Essais, 189 pages, 1971, page 20.
79
Thierry Paquot, Les Faiseurs de Ville, 509 pages, Infolio, Coll.Archigraphy Poche, 2010, page 255.
80
Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, page 68, CNRS Editions, 2008, 159 pages.
81
Ibid page 110.
82
Maurice Halbwachs, Les Expropriations et le prix des Terrains à Paris,1860-1900, 430 pages, 1909, Thèse pour le Doctorat
présentée et soutenue le 15 Mars 1900, Université de Paris, Faculté de Droit, page 24 : « Nous plaçant dans l’hypothèse (que
nous cherchons tout d’abord à vérifier) du caractère purement économique des faits d’expropriations, de leur indépendance
par rapport aux événements individuels et à ceux de l’histoire politique il est certain que nous ne trouverions rien, en chacun
d’eux, qui ne se puisse découvrir dans les ventes et aliénations ordinaires. Mais en vertu de leur nombre, de leur
rapprochement, de la rapidité avec laquelle ils se succèdent au cours d’une même opération, les faits d’expropriations sont en
quelque sorte plus visibles, le sens social véritable qu’ils expriment, ou qu’ils contribuent à déterminer, apparaît plus
nettement ». On connaît la position du Baron Haussmann qui s’opposait à ce que l’expropriation de parcelles de terrain
contigües ne puisse plus avoir lieu après décision du préfet (cf. art. 5 du décret de 1858) mais après décret rendu en conseil
d’état, pour lui on « abandonnait une disposition capitale du décret du 26 Mars 1852 » de ces expropriations par zones, ce qui
retardait et alourdissait le processus, in L’Expropriation, Recueil de la Société Jean Bodin, Moyen-Age et Temps Moderne, De
Boeck et Larcier Université,407 pages,2000,page 151.
83
Ibid page 117.
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participe à cet effort inédit. Au début des années 1940, Tel Aviv est la ville orientale la plus
occidentale qui soit avec « 1800 commerces, 1500 ateliers, 37 banques, 67 hôtels, 6 salles de
cinéma, 200 bureaux et agences84 ».
Cette combinaison du modèle social réformateur d’Howard avec le plan de Geddes trouve
un champ d’expression tout à fait approprié à cette cité moderne en plein essor. C’est ainsi
que la classe bourgeoise adopte le capitalisme nouveau tout autant que la culture de masse. La
publicité habille les façades des grands boulevards et le cinéma raccorde l’Orient à
l’Occident. Comparée à la cité-jardin traditionnelle, Tel Aviv n’a pas de limites précises,
d’autant plus que son processus d’extension est toujours en cours. A l’intérieur, la ville est
néanmoins très structurée autour d’un réseau de larges places dédiées à ces axes commerciaux
et leur séparation radicale avec les zones d’habitations est le maître-mot. Tout ceci contribue à
créer un ensemble urbain équilibré. Les vastes cours intérieures ponctuées par une multitude
d’espaces verts renforcent le confort et la qualité de vie des habitants.
Ainsi, entre 1930 et 1940, 4 000 bâtiments sont construits en centre ville. A une distance les
uns des autres de 2 à 4 mètres de la ligne des façades, on trouve jardinet et haies entre les
maisons, souvent arbres fruitiers, palmiers, cactus ou encore bassins. Cependant, on n’accorde
pas la même importance aux façades sur rue, latérales ou sur arrière cour. La nature est érigée
en élément architectural propre, avec une fonction esthétique, symbolique et participant du
fonctionnalisme général.
Selon Jérémie Hoffmann 85 , les ilôts sont comme des petits kibbboutzim urbains,où se
développe une vie autonome avec jardin d’enfants, kiosques, petits commerces au pied des
immeubles. Par ailleurs, tel que l’a conçu Geddes, « le plan s’applique à l’idée de famille86 ».
Le style mélangeant Orient et Occident contribue au charme très populaire de Tel Aviv. Ce
langage local fait d’éléments de l’architecture arabe combiné à une masse principale traitée à
la chaux est très typique de « la ville blanche ». Catherine Weill-Rochant parle de son côté
d’une ville intégrée à toutes ses échelles. En effet, si l’on superpose le plan de Geddes avec
une vue aérienne aujourd’hui, les deux se confondent grâce à la prise en compte dès 1925 des
mouvements du tissu urbain futur.
Béton et plâtre blanc, chaux, matériaux peu chers, mettent en valeur la pureté des formes en
libérant l’architecture des ornementations inutiles de ce style moderne international. Quelques
figures emblématiques créent au début des années 1930 le Cercle composé d’Arieh Sharon,
Ze’ev Rechter, Carl Rubin (qui revenait de Berlin où il avait travaillé avec Mendelsohn), Sam
Barkaï, Shlomo Ginsburg ou encore la gagnante du concours pour la place Dizengoff : la
brillante Genia Averbouch. Mendelssohn est le plus connu d’entre eux avec Ze’ev Rechter
« lorsqu’il débarqua en 1934 », il « fut surpris de découvrir les imitations pures et simples de
ses propres ouvrages Berlinois 87» !
On distingue ainsi plusieurs types d’immeubles d’habitation :
- Avec un axe vertical comme élément public : Les arbres jaillissent entre les unités de
voisinage. La lumière directe est tolérée et entre par les cages d’escaliers.
84
Tamar Berger, Place Dizengoff, Une Dramaturgie Urbaine, 323 pages, Acte Sud, 2009, page 171.
Jérémie Hoffmann est architecte. Il s’occupe de la conservation du patrimoine de Tel Aviv pour la mairie. Conférence :
Voyage dans Un Patrimoine local : www.akadem.org/sommaire/colloques/1909-2009-centenaire-de-tel-aviv/voyage-dans-unpatrimoine-local-22-12-2009-7973_4113.php
86
Marc Mimran, acte de colloque «La Modernité du mouvement moderne, les Malentendus positifs », source :
http://www.akadem.org/sommaire/colloques/1909-2009-centenaire-de-tel-aviv/les-malentendus-positifs-22-12-20097974_4113.php
87
William J-R Curtis, l’Architecture Moderne depuis 1900, éditions Phaïdon, 3ème édition, 736 pages, 1995, page 382.
85
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-
Avec un espace extérieur semi-privé créant des immeubles jumeaux : ils rompent une
certaine monotonie. Dans l’alignement des habitations, l’espace ouvert arboré se fond
ainsi avec l’espace urbain.
En « U » : généralement situés sur un terrain double, ce peut être deux bâtiments unis par
plusieurs entrées distinctes. La cour plantée d’arbres, ouverte sur la rue souhaitée par
Geddes, joue un rôle considérable dans l’appropriation par les résidants du bien public
que constitue la rue. Le bâtiment est en retrait avec une séparation entre le premier étage
et la rue. Le perron surélevé accueille généralement un immense palmier.
En « L » : le « L » est en général orienté à l’ouest afin que la brise pénètre dans les
appartements. La verdure interrompt le rythme linéaire de la rue. Des ouvertures dites
« en thermomètre » irriguent les cages d’escaliers de lumière.
Sur scène : l’enceinte avec le garde-corps en fer forgé sépare l’espace public et privé. Les
jardins sont comme surélevés.
Maisons de ville : l’espace intérieur constitue l’essentiel de la planification, avec le béton
utilisé fréquemment, des formes simples et toujours cette lumière diffusée par un axe
vertical de verre et de béton.
A l’image de Camillo Sitte où la fonction des places devait être dépourvue de statue afin de
dégager les perspectives, Genia Averbouch crée un plan de la place en « toile d’araignée »
sans monument central. Bâtiment public et cinéma entourent et épousent la forme arrondie de
la place. Ces longs bâtiments qu’ils soient d’habitations ou commerciaux se voulaient de
forme unique. Ils viennent donner un point d’orgue à ces boulevards arborés dont ils sont
issus et équilibrent le caractère monumental et potentiellement écrasant de cette place. La
simplicité des formes des bâtiments alliée à ces espaces naturels créent une atmosphère
propice aux déambulations citadines où les usagers peuvent tantôt se reposer tantôt profiter du
grouillement omniprésent.
Enfin, sensible aux symboles, Geddes veut trouver un style « juif » à Tel Aviv. Il met l’accent
sur la cité-jardin en faisant remarquer les similitudes de la ville avec la campagne, et dans un
élan passionné, évoque le culte du fruit. Il propose que Tel-Aviv devienne la « cité-jardin du
fruit » 88 que symbolise la Citrus House. Il savait probablement que le rite religieux juif
soumis au calendrier lunaire faisait toujours correspondre les fêtes de pèlerinage aux saisons
agricoles. Le fruit de la vigne est le symbole absolu de la joie et de la vie.
A la fin de la seconde guerre mondiale, des centaines de milliers de juifs rescapés des camps
de concentration arrivent en Palestine. En 1947, 629 000 personnes immigrent en Palestine.
Depuis la proclamation de la loi du retour abolissant toute restriction à l’immigration des
juifs du monde en Israël, l’Etat les invite à s’y installer en prenant en charge une grande partie
des frais et des études. Le mouvement s’accélère et jusqu’en 1964, 2 430 000 personnes
émigrent en Israël. Depuis la fin des années 1940, la ville de Tel Aviv s’est étendue sans
véritable planification. C’est dans les années 1980-1990 que les Tel-Aviviens se rendent
compte de l’urgence du règlement de cette situation qui ne peut perdurer.
L’étalement urbain est anarchique et il y a nécessité d’une réhabilitation des anciens quartiers,
qui ont déjà un demi-siècle. Parallèlement à ce phénomène, on assiste à l’arrivée de près d’un
million de migrants supplémentaires dont 85% sont issus de l’ancien bloc de l’URSS, la
plupart bénéficiant de la politique de la glasnost qui consiste à ouvrir les frontières aux
familles juives désireuses de s’installer en Israël. Dans le même temps, les USA réduisent le
88
Catherine Weill-Rochant, L’Atlas de Tel Aviv, 159 pages, CNRS Editions, 2008, page 105.
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nombre de juifs immigrants en provenance de l’ex URSS, suite au changement de politique
migratoire.
Malgré les conflits réguliers et les menaces extérieures importantes pour la sécurité du pays,
Tel Aviv se concentre sur son patrimoine et ses projets urbains depuis une dizaine d’années.
En 2003, l’Unesco identifie les styles architecturaux de 4 000 bâtiments et classe la ville
blanche au patrimoine mondial de l’humanité. Ce classement officialise les concepts
architecturaux à l’œuvre comme emblématiques du mouvement moderne et avec
l’engagement pris par les autorités pour la conservation de ce patrimoine unique au monde.
Paradoxalement, plus la métropole attire les investisseurs étrangers, plus elle se doit de leur
apporter un niveau de services sophistiqués à la hauteur de leurs exigences (logements,
transports, etc…). Cet état de fait a impacté fortement le marché immobilier résidentiel qui,
en hausse depuis dix ans, a contraint une partie de la population à une périurbanisation
forcée. Cet effet de ciseau entre autochtones frustrés et étrangers en mal d’adresse exotique
conduit à la fois à la préservation du patrimoine autant qu’il suscite une polémique
grandissante89.
Aussi, les lieux de croissance, en raison du surcoût immobilier, sont de moins en moins les
lieux du développement90. C’est moins la richesse de certains qui est visible donc décriée, que
l’écart entre riches et pauvres, mécaniquement accru en période de croissance, qui est remis
en cause. Contraste d’autant moins acceptable qu’il n’est pas dans la mentalité israélienne et
que la cohésion de la société est un enjeu majeur de sécurité.
Par rapport à la philosophie des pionniers, le capitalisme dominant n’est pas rejeté en soi
puisque la société israélienne est éduquée à la liberté d’entreprendre. Cependant, c’est
l’individualisme qui l’accompagne qui semble inquiéter et paralyser le système des solidarités
dans les centres urbains où le phénomène nouveau de gentrification 91 déstabilise les
équilibres entre autochtones et nouveaux résidants.
Ce que propose le kibboutz urbain92 naissant c’est ce juste équilibre où le bien-être individuel
ne freine pas le développement collectif mais au contraire l’entraîne. Ce contrat social d’un
genre nouveau saura-t-il attirer assez de volontaires pour crée un mouvement de grande
envergure susceptible de rejeter l’utilitarisme destructeur ? Nous verrons cela dans quelques
années.
Malgré ces inégalités sociales grandissantes, les autorités israéliennes veillent à pérenniser les
logements sociaux et entrent en même temps dans ce mouvement international de
préservation de l’environnement.
Aussi,des nombreux espaces verts, parc publics, boulevards arborés agrémentent la ville et
89
Manifestation inédite « des tentes » et « du million » entre Juillet et Septembre 2011.
Laurent Davezies, La république et ses Territoires, la Circulation invisible des Richesses, Seuil, collection la République des
Idées, 2008, 109 pages.
91
Phénomène social où l’on se rassemble entre pairs, par catégorie sociale de revenus.
92
Depuis 5 ans, une partie de la nouvelle génération envisage le kibboutz urbain comme une alternative à la société
capitaliste. Encore à l’échelle expérimentale, cette nouvelle forme de solidarité tente de trouver un juste milieu entre
collectivisme sclérosé et productivité à tous crins. On compte aujourd’hui mille membres. Ne supportant plus la domination de
l’individu sur le collectif, ces nouveaux pionniers veulent faire (re) vivre l’idéal de communauté au travers d’un engagement
simple : « Nous plaçons l’individu au cœur du projet, nous suivons ses besoins, ses désirs, son épanouissement 92». Ce qui
n’était pas le cas auparavant dans la plupart des kibboutzim. Non loin de Sderot, au sud du pays, le kibboutz urbain Migvan
fondé par Nomika Zion est un exemple de société solidaire frappant. Bien que soumis à des pressions internes (départ de
certains membres vers la ville), ou externes (métropolisation/mondialisation), le kibboutz se réinvente et s’ancre dans des
projets à caractère éducatifs sociaux, au cœur même des villes ou dans des zones rurales.
90
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dessinent une trame continue à l’Ouest et au Nord ouest sur la place Dizengoff. Le parc
Yarkon longtemps pollué par les industries chimiques et d’armement a fait l’objet d’une
dépollution d’envergure et d’installations modernes avec des espaces dédiés aux sports
nautiques. En 1969, le maire Yehoshua Rabinovich transforme le site en parc municipal de 4
km2 qu’il ouvre au public en 1973. Pistes cyclables, nautisme d’agrément, jardins botaniques
attirent tous les ans 6 millions de visiteurs. Parc public très fréquenté, il propose même des
produits de consommation biodégradables, ce qui pédagogiquement est efficace quant à
l’éducation des enfants. C’est une réussite à tout point de vue. L’université de Tel Aviv
propose un programme d’étude, la Porter School, et organise des conférences sous le thème
de la nature.
En outre, le lancement en masse des véhicules électriques en Israël par la société Better Place
à partir de la fin de l’année 2011 et les projets de mobilité mis en œuvre par les autorités
locales (Vélib’, intermodalité des titres de transports, skytran…) contribuent à réduire au
maximum l’usage de la voiture
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Alors qu’en France, deux siècles plus tôt, “Colbert ordonne d’abattre les murs de Paris93”,
qu’au XIXème siècle, Haussmann fait une manie des grands axes, l’aventure sioniste qui
débute à l’aube du XXème siècle provoque des « changements urbains, juridiques,
territoriaux94 » de même ampleur et dont le mouvement se produit « sans que l’on exorcise la
forme initiale95 ».
Cette aventure raconte ce mouvement pendulaire, entre d’une part, une construction mentale
immatérielle (le mythe du nouvel homme/nouvelle histoire) et d’autre part, la conquête d’un
territoire millénaire avec l’inertie de son paysage (mer, plaines agricoles…) où se construit
l’histoire spatialisée. « Ruptures et continuité toujours… là est la modernité96 ».
Le classement de Tel Aviv au patrimoine mondial de l’Unesco est l’occasion de poursuivre ce
continuum. Non plus dans une perspective d’urbanisme d’urgence, mais de préservation de
son patrimoine à long terme. La pratique d’un modèle inédit de kibboutz urbain signe une
modernité revisitée par la mémoire, qui devra nécessairement s’adapter aux contraintes des
enjeux environnementaux actuels.
« Un orme bossu n’avait pu s’empêcher de profaner sa vieillesse, et faisait le pitre, la tête en
bas et les jambes honteusement ouvertes vers le ciel. Un autre, un gros et vieux bouleau,
s’était courbé jusqu’à terre comme un arc, et de son dos avait germé comme un surgeon un
jeune et tendre petit bouleau, blanc comme du pur argent, le dos bien droit, et les boucles
verdoyantes, chevauchant le dos de son père dans l’espoir d’atteindre le ciel… ».
Haïm-Nahman Bialik, Le Livre du Feu.
93
Marcel Roncayolo, Lectures de Villes, Formes et Temps, Parenthèses, collection Eupalinos, 386 pages 2011, page 170.
Marcel Roncayolo, op.cit.
95
Marcel Roncayolo, op.cit.
96
Yannis Tsiomis, colloque « Le Mouvement Moderne à Tel Aviv », « Un projet Humaniste d’Une Extrême Modernité » Source :
http://www.akadem.org/sommaire/colloques/1909-2009-centenaire-de-tel-aviv/un-projet-humaniste-d-une-extreme-modernite22-12-2009-7975_4113.php
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