Micaela Feldman et la guerre d`Espagne

Transcription

Micaela Feldman et la guerre d`Espagne
Mika Feldman (1902 - 1992)
Capitaine durant la guerre civile espagnole
« Une conviction guidait notre vie : une société plus juste. Nous avions quitter notre
pays pour rejoindre des militants internationalistes avec lesquels nous avons senti
que, quelque soit nos origines ou nos histoires, nous partagions un monde qu'il ne
fallait pas abandonner à son sort. Nous pouvions le changer ».
Micaela Feldman Etchebéhère alias « Mika » est née en 1902 à Moisés Ville (Santa Fé) en
Argentine. Fille de juifs russes, Mika grandit avec les récits des révolutionnaires évadés des
pogroms et prisons de la Russie tsariste. A 15 ans, à Rosario, liée aux anarchistes, elle
prononce son premier discours.
En 1920, elle étudie la médecine dentaire à la UBA (Université de Buenos Aires) et rencontre
Hipólito Etchebéhère. Elle tombe amoureuse de ce jeune homme brillant, qui un jour de 1919,
quitta le confort de sa famille plutôt bourgeoise pour consacrer sa vie à la révolution après avoir
vu sous les fenêtres de la maison familiale la police montée chargée un groupe de juifs qui
manifestaient pour leurs droits et leur liberté. Ensemble, il décide de consacrer leur vie à la
révolution (renonçant à avoir des enfants pour n'être pas détourné de ce but, décision à laquelle
ils se tiendront malgré les doutes de Mika). Leurs premiers pas : le groupe Insurrexit, qui publie
une revue à la confluence du marxisme, de l'anarchisme et du socialisme. Ils resteront fidèles à
cette idéologie hybride qui leur causera toute leur vie des problèmes avec les communistes
staliniens.
En 1924, ils adhèrent au Parti Communiste, duquel ils sont expulsés en 1926 pour leur
désaccord avec la direction et leur appui à Trotsky. Hipólito, malade de la tuberculose, supporte
de moins en moins bien le climat humide de Buenos Aires. Ils décident alors d'entreprendre un
voyage en Patagonie, où ils rassemblent des témoignages sur le massacre des ouvriers
agricoles par l’Armée en 1922, tandis qu’ils soignent des dents (Hipólito ayant étudier à côté de
ses recherches poussées sur le marxisme, un diplôme de prothésiste dentaire).
En 1931, ils reprennent la route vers l'Europe à la recherche de la révolution, car c'est là
qu'existent de solides organisations ouvrières, sans commune mesure avec la classe ouvrière
naissante en Amérique Latine, qui peuvent faire basculer le destin du monde. Ils arrivent en
Espagne où la République réprime durement des manifestants qui réclament que les promesses
soient tenues ; puis ils vivent à Paris où ils nouent de solides liens avec des militants de gauche.
En octobre 1932, ils sont à Berlin où ils sont témoins de la défaite du prolétariat allemand et de
l’ascension au pouvoir d’Hitler. En 1933, il fonde, en France, un groupe clandestin d’opposition
au stalinisme appelé Que Faire ?.
Article paru à la mort d'Hipólito (1936)
Affiche du Parti Communiste (1936)
En 1936, Mika et Hipólito rejoignent le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste), proche de
leurs idées. Ils partent avec une colonne motorisée que commande Hipólito. Un mois plus tard,
Hipólito meurt au combat lors de la bataille d’Atienza. Quarante années plus tard, Mika publiera
un livre en hommage à son compagnon, Ma guerre d'Espagne à moi*.
Mika décide alors que cette guerre sera la sienne et prend le poste d'Hipólito. Elle réussit à
imposer son autorité à ces hommes, révolutionnaires mais machistes. Elsa Osorio dans son
roman, La capitana, raconte les difficultés et l'originalité d'une femme au combat : « Dans les
autres compagnies ce sont les filles qui lavent et rapiècent les chaussettes, proteste un milicien.
« Les filles qui sont avec nous, ce sont des miliciennes - lui répond elle- pas des bonnes. Nous
combattons tous ensemble, hommes et femmes, d’égal à égal, personne ne doit l’oublier ». Ou
encore : « Si les miliciens ont dit que Mika était un « sacré mec », c'est parce qu'ils ne savent
pas s'exprimer autrement. Tout le catéchisme qu'ils ont appris sur la femme s'est effondré avec
elle. (…) C'est justement parce qu'elle est une femme, qu'elle ne commande pas comme un
homme, arme à la main et autoritaire. Dans sa colonne, tout se passe par la discussion en
assemblée. Mika ne prend pas de décision sans consulter ses miliciens...»
Mais aussi la façon dont elle imposa son leadership : « Elle a une façon très particulière de
s'imposer : elle explique ce qu'elle même est en train d'apprendre, elle veille sur nous, nous sert
du chocolat chaud, dit ces vérités toutes simples, évidentes, que personne ne cherche à
discuter. Il faut la voir commander. Sans crier. Même si cela déplait à certains (…) Elle est un
phénomène, il n'y a personne comme elle pour remonter le moral des miliciens, pour maintenir
vivant l'idéal révolutionnaire. Elle leur donne même du sirop pour la toux ! ».
Peu à peu, et malgré son ignorance en stratégie militaire, elle assuma sa place de chef : à la
bataille de Sigüenza, elle exige de l’émissaire fasciste qu’il lui apporte ses conditions de
reddition par écrit et signé pour gagner du temps, elle ordonne de résister, puis d'attaquer et
distribue les postes. Ce sont ses miliciens eux-même qui la nomment capitaine de leur colonne
du POUM. Elle sera la seule femme a occupée ce rang durant la guerre d'Espagne. Sa
renommée téméraire au cours des batailles de Moncloa et de Pineda de Húmera fait que le
haut commandement la désigne pour prendre la colline d’Avila. Envoyés à l’assaut sans
protection, Mika voit mourir beaucoup de ses miliciens.
En juin 1937, Mika retourne à Paris. Elle quittera la France, en 1939, en raison de son origine
juive et de son histoire de militante de gauche.
Elle reviendra vivre à Paris en 1946. Amie de Cortázar, d’Alfonsina Storni, d’André Breton ou de
Copi, sa vie fut alors emplie de rencontres et de réflexions sur la marche du monde et les
hypothèses pour le transformer.
En mai 68, avec des gants blancs, elle ramasse des pavés et explique aux étudiants comment
éviter que le noir dans leurs mains les expose s’ils sont surpris par la police. Le policier qui
l’accompagne jusqu’ à sa maison, ne peut imaginer, que cette dame de 66 ans, élégamment
habillée, a dans son sac à main des gants pleins de suie.
Elle mourut en 1992 à Paris où ses cendres furent (clandestinement) répandues dans la Seine
par ses amis.
* La guerre d'Espagne (ou guerre civile espagnole) est un conflit qui opposa le camp des
« nationalistes » à celui des « républicains » (ces derniers réunissant, parfois avec de
vives tensions, communistes, socialistes, républicains et anarchistes). Elle se déroula de
juillet 1936 à avril 1939 et s'acheva par la défaite des républicains et l'établissement de la
dictature de Francisco Franco, qui conserva le pouvoir jusqu'à sa mort en 1975. Cette
guerre fut la conséquence des malaises sociaux, économiques, culturels et politiques qui
accablaient l'Espagne depuis plusieurs générations. L'insurrection durement réprimée des
Asturies en 1934 marqua la résurgence de troubles civils qui culminèrent, au printemps
1936, après la victoire électorale du Frente popolar. Un soulèvement militaire et civil du
camp nationaliste éclata le 18 juillet 1936, mais sa mise en échec partielle déboucha sur
une guerre civile imprévue, longue et meurtrière. Le conflit prit aussi la forme, dans
certains territoires sous contrôle républicain, d'une révolution sociale originale qui aboutit
à la collectivisation des terres et des usines, et expérimenta différentes sortes
d'organisation de type socialiste (soutenues notamment par des anarchistes de la CNT).
Sources :
La Capitana (roman), Elsa Osorio, Métaillé, 2012
Biographie Wikipedia (espagnol) http://es.wikipedia.org/wiki/Mika_Feldman_de_Etchbéhère
Biographie d'Hipolito par Mika : http://www.fundanin.org/hip%F3lito.htm
Sur la guerre d'Espagne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Espagne