Monsieur Philippe Leroy, - La Fondation Robert Schuman

Transcription

Monsieur Philippe Leroy, - La Fondation Robert Schuman
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Allocution de V. Giscard d’Estaing
Le Samedi 9 Mai 2009
A l’inauguration de l’extension du musée de Robert Schuman
de Scy-Chazelles
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Monsieur Philippe Leroy, Président du Conseil Général de la Moselle,
Monsieur le Préfet,
Monsieur Jean-Luc Bohl, Président de la Communauté d’agglomération de Metz,
Monsieur Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mes chers amis,
C’est Victor Hugo qui a écrit qu’on ne pouvait bien connaître quelqu’un qu’en
connaissant le lieu de son habitation.
C’est vrai de Robert Schuman !
C’est pourquoi nous devons féliciter et remercier Monsieur Philippe Leroy et le Conseil
Général de la Moselle pour le soin qu’ils ont pris d’entretenir la maison que Robert
Schuman a acquis et habité à Scy-Chazelles depuis 1926, et de l’avoir complétée par
l’extension muséographique que nous venons d’inaugurer.
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Ainsi chacun des visiteurs – et nous-mêmes – pourra mieux connaître la vie captivante de
Robert Schuman, grand témoin des épreuves que la Lorraine du Nord a traversées, entre
1871 et 1918, et depuis 1939 jusqu’à 1944, vie qui se termine par son apothéose
européenne.
Les documents rassemblés et présentés ici permettent de comprendre la force des
événements qui ont forgé la personnalité, et alimenté la réflexion de Robert Schuman.
Robert Schuman est né en 1886 à Luxembourg d’une mère luxembourgeoise et d’un père
de souche française originaire du village d’Evrange.
Il a grandi dans l’Empire allemand qui avait annexé en 1871 une partie de la Lorraine, et la
ville de Metz.
Il n’a pu acquérir la nationalité française qu’en 1918, à l’âge de 32 ans.
Sa carrière, par la suite, est restée strictement française, et l’a conduit au Parlement, où il a
représenté la Moselle dans la Chambre bleu-horizon, et dans l’entre-deux guerres, puis
après la deuxième guerre mondiale.
Cette carrière l’a conduit à être successivement Ministre des Finances, Président du
Conseil, et Ministre des Affaires Etrangères.
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Cette ascension paraît être en contradiction avec son caractère que nous retrouvons ici,
dans cette maison, un homme simple et modeste, refusant tout faste et toute apparence,
installant ici le piano sur lequel jouait sa mère, qui a été victime en 1911 d’un dramatique
accident, lorsque les chevaux qui tiraient la voiture qui la conduisait de Frésange à
Evrange se sont emballés, et l’ont fait tomber sur la chaussée.
Robert Schuman avait peu de charisme, au sens où nous l’entendons. Il s’exprimait
lentement, avec un fort accent lorrain et luxembourgeois. C’est ainsi que je l’ai entendu
me répondre lorsque je l'ai rencontré à Strasbourg en 1956, venu comme jeune secrétaire
d'Etat aux Finances régler le budget de l'Assemblée consultative européenne.
Et voici que les événements en ont fait un personnage essentiel de notre histoire, et de
celle de l’Europe.
L’explication est, je crois, qu’il était à la fois un visionnaire et un croyant.
Robert Schuman était un visionnaire.
Les visionnaires sont des êtres qui ne se satisfont pas de l’état des choses existant, et qui
sont capables d’imaginer un mode où leurs aspirations seraient satisfaites.
Ce qu’il a pu observer dans les tensions, les affrontements, et finalement les guerres, dans
le triangle franco-germano-bénéluxien où s’était déroulée sa vie, ne pouvait pas le
satisfaire.
C’est pourquoi il a eu la vision d’une Europe qui connaîtrait la paix et l’union.
Et cette vision, il a eu l’audace de la proposer aux Européens le 9 Mai 1950, juste cinq ans
après la capitulation allemande. « Ce fut », a-t-il dit, « le plus beau jour de ma vie. »
Qu’en est-il aujourd’hui de cette vision ?
Sur le plan de la paix le succès est complet.
Non seulement les Européens vivent aujourd’hui en paix, mais l’éventualité d’un futur
conflit armé en Europe a été complètement éradiquée, et chassée des esprits.
Sur le plan de l’Union, le résultat est plus indécis.
L’Europe a bien avancé dans la direction souhaitée par Robert Schuman. Elle s’est dotée
d’un Conseil de Gouvernement, d’un Parlement élu, et d’une monnaie unique. Elle a
parcouru les deux tiers du chemin, mais elle n’est pas allée jusqu’au bout.
Pourquoi ?
C’est d’abord parce que l’Europe a changé.
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Elle n’est plus seulement l’Europe du sillon Rhénan, et de la culture romaine, imaginée
par Robert Schuman. Elle s’est étendue jusqu’aux frontières du continent européen.
Et le concept d’une fédération européenne à 27 membres a perdu sa crédibilité.
C’est pourquoi la Convention européenne avait ouvert une voie d’avenir en proposant
« une Union d’Etats gérant sur le mode fédéral, les compétences attribuées à l’Union. »
Cette formule consacrait l’achèvement du projet de Robert Schuman. On peut regretter
que le non français au referendum de 2005 ait détourné la France de sa vocation
fondatrice.
Pour parcourir le dernier tiers du projet de Robert Schuman, il reste plusieurs efforts à
accomplir :
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achever la ratification du Traité de Lisbonne, sans acheter cette ratification par des
amendements qui en dénatureraient le contenu. Bref approfondir, après avoir
décidé d’élargir !
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mettre en œuvre la devise « unis dans la diversité », proposée par la jeunesse
européenne, qui permet de garantir la répartition des compétences : compétences
européennes là où l’Union l’exige, compétences nationales, là où la diversité doit
être respectée. L’Europe est compétente pour tout ce qui est grand, les Etats…
pour tout ce qui est proche.
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afficher clairement l’objectif d’une Europe européenne, c’est-à-dire une Europe
inscrite dans les limites du continent européen, tout en approfondissant les
relations de bon voisinage avec les Etats limitrophes.
Mais Robert Schuman était aussi un croyant.
Un croyant ne limite pas sa vision au monde qui l’environne. Il cherche à savoir s’il existe
une dimension qui aille au-delà, ce que les Chinois appellent le « ciel ».
Cette dimension pour Robert Schuman était sa profonde foi chrétienne.
C’est elle qui explique, raconte-t-on, le choix de cette maison de Scy-Chazelles, en raison
de sa proximité avec l’église du village.
Cette foi lui venait de son éducation chrétienne, et des convictions de ses proches.
Mais elle a certainement été approfondie par son séjour à la maison Saint-Joseph, un
orphelinat tenu par les Sœurs de la Providence à Beaupont dans l’Ain, où sa présence ne
fût détectée ni par la Police de Vichy, ni par la Gestapo.
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Il consacra ces dix-huit mois de solitude à de nombreuses lectures, dont la Somme
théologique de Saint-Thomas d’Aquin et les œuvres de Saint-Jean de la Croix.
C’est de là que lui vint sans doute la conviction qu’il exprime dans son beau livre « Pour
l’Europe » - livre dont je souhaite qu’il soit inscrit au programme des études de notre
enseignement secondaire – en affirmant que « la démocratie sera chrétienne, où elle ne
sera pas. »
Ce débat est revenu en écho à la Convention européenne, lorsque celle-ci a débattu des
« racines chrétiennes » de l'Europe.
Robert Schuman n’a jamais prétendu que les institutions européennes devaient être
chrétiennes. Il s’insurge contre les dangers de la théocratie, qui ne distingue pas, écrit-il,
entre le domaine de César et celui de Dieu, qu’il faut tenir soigneusement séparés.
Mais il souligne la place prépondérante des apports chrétiens dans le fonds culturel de
l’Europe, et dans son identité.
Ces apports ne sont pas exclusifs d’autres, comme les avancés philosophiques du Siècle
des Lumières, ou des approches rationnelles du XIXe siècle.
C’est la conclusion à laquelle la Convention européenne a abouti dans le préambule du
Traité Constitutionnel.
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Robert Schuman, ce visionnaire et ce croyant, n’a pas eu de descendance.
Vers la trentaine, il avait envisagé, dans sa correspondance, de se marier et de fonder une
famille.
Il ne l’a pas fait, pour des raisons restées inconnues.
Mais nous pouvons y voir un symbole.
Robert Schuman a choisi d’avoir une descendance innombrable, en devenant le père de
toute la jeunesse d’Europe, qui garde fidèlement et pieusement son beau souvenir.
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Je vous remercie de m’avoir écouté.
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