Discours et représentations de la ménopause, influence sur la

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Discours et représentations de la ménopause, influence sur la
Discours et représentations de la ménopause, influence sur
la sexualité à cette nouvelle temporalité. En 2006.
Madeleine Gueydan
Psychanalyste
Docteur en psychopathologie
Responsable du département de psychologie
CUFR de Nîmes- Gard- France
De quoi sont faits nos discours ? de représentations conscientes et inconscientes.
Et De quoi sont faites nos représentations conscientes? Là il y a de multiples
paramètres , des paramètres historiques : l’époque et aussi le pays dans lesquels nous
sommes , des paramètres personnels : l’âge, le sexe, l’éducation, le métier, la qualité de
vie, et surtout l’intime. C’est par rapport à cet intime que les représentations
inconscientes vont jouer. Dans l’essence de l’intime se repèrent l’histoire insolite de
chacun et surtout l’ expression et l’ essor de sa sexualité.
De la capacité à clarifier, c’est à dire à nommer, nos représentations conscientes
et inconscientes, va dépendre notre adaptation aux êtres, aux choses, aux événements, à
nous même. Meilleures seront nos représentations, c’est à dire plus « vraies » au sens où
elles ne seront pas seulement savantes mais aussi humaines (donc sujettes à doute, à
crainte, à erreur) meilleures seront les chances de s’adapter à ces êtres, choses,
événements etc...fussent ils angoissants ou même traumatisants, ceci nous oblige à
participer à la création de ces représentations donc à y mettre une part de nous-même, ce
ne sont pas des « représentations toutes faites » comme on dit communément. Pour
clarifier nos représentations il est évident qu’il faut pouvoir les exprimer dans le langage
et même dans la parole. La parole ne surgissant que par rapport à une oreille attentive,
qui par cette écoute ouvre un champ à la différence donc à une évolution possible dans
l’humanité, à n’importe quel âge de la vie. Parler c’est faire exister ce dont on parle
c’est donc aussi pouvoir l’affronter et trouver des solutions lorsqu’il y a problème, c’est
l’inverse du Tabou qui ne doit jamais être nommé, ni représenté.
La ménopause a longtemps fait parti des Tabou ( le premier congrès mondial de
médecine sur la ménopause n’a eu lieu qu’en 1976 à La Grande Motte et les psy ont
longtemps boudé ce sujet, une étude conjointe sur un an, entre gynécologues et
psychanalystes a donné lieu, en janvier 2002 à Paris, à un colloque entièrement consacré
à la question)[1] . Les temps ne sont pas loin où on la nommait « âge critique » et où les
femmes se sentaient dévalorisées par cette temporalité nouvelle, puisqu’elle était
synonyme de vieillesse et non de vieillissement et où par conséquence une femme ne se
sentait plus « sexuée » c’est à dire plus féminine. Mais nous allons voir que de
nouvelles représentations sont nés qui la situe plus près de « change of life » que de
« l’ âge critique ».Et je crois même qu’il n’est pas illusoire de penser qu’elle pourra
bientôt être perçue comme un tremplin pour la continuité d’un épanouissement de la
féminité et de la sexualité entendue au sens large de la libido freudienne.
Nous ferons donc une comparaison entre les anciennes et les nouvelles
représentations de la ménopause et nous en dégagerons d’une part ce qui peut continuer
à faire obstacle à cet épanouissement, d’autre part quels en sont les effets libérateurs en
particulier sur la jouissance féminine et la problématique masculine qu’elle induit. Cela
nous obligera bien sûr à faire un détour par la notion de sexualité et de jouissance
féminines.
La ménopause est certes un événement physiologique, c’est le verdict de
l’impossibilité d’enfanter charnellement à tout jamais (nous exclurons les tentatives
inconséquentes de forçage de ce verdict grâce aux prouesses techniques de la médecine
de pointe qui permettent d’avoir un bébé à 60 ans) mais, comme beaucoup de faits
physiologiques, cette horloge interne dépend aussi d’une autre horloge symbolique donc
externe au corps. L’interaction des deux est toujours surprenante mais n’est plus guère
contestée dans le déroulement par exemple du cycle ovarien. Pour imager les choses
disons que le climatère peut se doubler d’une ménopause psychique et c’est cette
ménopause que nous allons essayer d’analyser à travers le discours ambiant et
singulier!
Commençons par visualiser les anciennes représentations de la ménopause ,
mais le terme d’ ancienne reste relatif puisque cette étape n’est prise en considération
que depuis peu Le premier livre consacré entièrement au sujet date de 1816 Gardanne y
propose ce terme de ménopause pour nommer la cessation des menstrues. N’oublions
pas que d’une part la vie était beaucoup plus courte qu’aujourd’hui, la moyenne de vie
était de 30 ans au moyen âge et de 50 ans au début du XXeme siècle, de 83 ans
actuellement et que d’autre part cela relevait du domaine de l’intime et que cela
concernait peu la médecine puisqu’il n’y avait rien à faire au niveau du corps. Donc peu
de discours sur la ménopause à tous les niveaux, et lorsqu’on en trouve ils associent la
disparition des règles à la perte de la féminité, à la vieillesse et à l’arrêt de l’activité
sexuelle.
Relatons d’abord quelques propos trouvés dans des traités de médecine à l’usage
des couples mariés, ces ouvrages datant du début du XXeme siècle « fonctionnent
comme des manuels de gestion spermatique. A chaque page se [2]retrouve le fantasme
de la déperdition ». En résumé la copulation avec l’épouse stérile et avec la femme
ménopausée sont deux figures ravageuses aux amours inutiles, tumultueuses,
excessives, dont aucune crainte ne vient endiguer les débordements, c’est une menace
pour la morale, ces Messalines conjugales aiment à « se livrer à des coïts effrénés, qui
épuisent leur partenaire » dit Bergeret. Il va donc conseiller à l’époux, de ces dames
ménopausées, qui frisent la cinquantaine un orgasme toutes les trois semaines seulement
et au delà de 55ans l’interdit s’impose.
Après la première puis la deuxième guerre mondiale les choses commencent à
bouger (l’horreur de la guerre stimule les pulsions sexuelles, car la fragilité de la vie est
très présente) mais c’est surtout depuis 1992 que l’on constate une évolution. Une étude
très intéressante sur les comportements sexuels et les transformations sociales a été
publiée en 1997 par deux chercheuses à l’Institut National d’Etudes Démographiques
(INED)Christiane Delbès et Joëlle Gaymu. Elles comparent deux enquêtes sur la
sexualité des Français, l’enquête Simon réalisée en 1970 et l’enquête ACSF en
1992,elles enregistrent les modifications des comportements sexuels des personnes de
plus de 50 ans dans ces deux enquêtes. A partir de cette étude on peut penser que le fait
qu’en 1992 80% des femmes de plus de 50 ans vivant en couple gardent une activité
sexuelle, contre 50% en 1972.[3] signe un changement de représentation de la
ménopause.
Freud qui n’a jamais directement écrit sur la ménopause, reconnaissait déjà un
accroissement de la libido lors de cette période. Il souligne dans son étude de la
neurasthénie ou de la névrose d’angoisse, l’angoisse du « climatère lors du dernier
grand accroissement de l’état de besoin sexuel »[4] De même dans son article « Des
types d’entrée dans la maladie névrotique » il souligne qu’à la ménopause
l’accroissement de libido « devient pathogène par suite du « refusement »[5] relatif de la
part du monde extérieur, lequel aurait encore continué à accorder satisfaction à une
revendication libidinale moindre. La libido insatisfaite et stasée peut rouvrir les voies de
la régression. » donc induire une névrose.
Il y a eu à la suite de Freud, quelques textes précurseurs écrits par des femmes
psychanalystes qui refusaient avec audace, mais encore avec ambivalence, que ce
climatère soit l’équivalent de la disparition du désir et de la jouissance féminine. Citons
Hélène Deutsch [6] qui remarque une flambée de l’excitation sexuelle durant cette
période mais la réprouve plus ou moins puisqu’elle conseille la résignation et se montre
assez dure avec les femmes qui essaient de se farder pour plaire encore aux hommes
Mais elle est elle même dans cette période de la vie et a renoncé, sous la pression plus
ou moins manifeste de son analyste Abraham (conseillé par Freud), à se séparer de son
mari avec qui elle a des difficultés conjugales alors qu’elle garde la nostalgie de son
amant. Elle en conclura que la ménopause est un « âge dangereux » car « toutes ces
femmes qui ne sont plus capables de maîtriser leurs besoins libidinaux accrus et qui sont
poussés à mettre en actions leurs fantasmes répètent leur puberté psychologique »et
elles se sentent alors « prête à vivre n’importe quelle passion »[7] Elle analyse donc cette
intensification sexuelle comme une réaction au processus de déclin, comme une
surcompensation, un chant du cygne.
Benedek T. souligne que les représentations culturelles de la ménopause vont
influencer les femmes mais aussi les scientifiques dans leurs conceptions du climatère,
mais elle désavoue l’idée de Freud d’une libido accrue : « Ce qui la motive[ l’angoisse],
c’est un sentiment de frustration interne causé par la perception de l’incapacité à se
sentir gratifiée »[8] Si cette gratification existe qu’elle soit sur le plan amoureux ou
social ou artistique, cette auto-estime fera du
« climatère une phase de
développement »et elle définira la ménopause comme une « adaptation psychologique
progressive à un processus biologique régressif »
En mars 1954 dans la revue Psyché paraît un article : « L’Âge critique est-il un
âge critique ? »de S.Lazarsfeld et A.Kadis traduit par Madeleine Dreyfus. Le thème de
l’auto-estimation est repris pour constater que lorsque c’est la puissance d’attraction sur
l’autre sexe qui domine, l’estime narcissique s’écroule à la ménopause et peut mener de
la dépression au suicide. Est souligné le fait que les désordres physiques et psychiques
qui apparaissent à cette période « sont toujours en rapport avec l’état d’équilibre mental
de l’individu avant l’âge critique » Cette phase n’est donc qu’une des multiples phases
critiques de la vie féminine et est très variable d’une femme à l’autre. Une remarque
clinique importante : chez les femmes souffrant de maladies organiques graves , les
troubles de la ménopause sont quasiment inexistants, il n’y a pas de plaintes à ce sujet.
Une enquête ‘(sûrement la première) est menée sur les associations faites par les
femmes a l’audition du terme de ménopause cela va majoritairement du blocage (
caractéristique du refoulement) à une profonde. tristesse ou dévalorisation : « c’est la fin
de la vie…il est trop tard,…comment s’en remettre…je ne devrais pas l’avouer mais je
ne peux penser qu’aux hommes…ni dieu ni mal, je dit mal et pas mâle….on en parle
beaucoup trop, il faut taire ces choses là… » et sur une journaliste qui avait fait des
articles à ce sujet devenant elle même ménopausée une certaine ironie« elle est la seule
femme qui ait jamais été payée pour avoir sa ménopause » certaines disent toutefois leur
soulagement de ne :plus avoir de règles ou plus de rapports sexuels. Dernier point de
cet enquête : « quel est la part de l’homme dans la formation de cet épouvantail qui se
dresse ainsi devant la femme ? » on demande donc leurs associations aux hommes, au
sujet de la ménopause : « Je ne veux même pas y penser… quelle désillusion pour un
mari…je n’aurai plus de désir…tant mieux je n’aurai plus à prendre de précautions » et
les auteurs de remarquer que les hommes envisageaient ce que cela voulait dire pour
eux, aucun ne pensait à ce que cela pouvait représenter pour la femme. D’où leur jeu de
mots : pour la femme c’est « change of life » pour l’homme « change of wife »
Pour
parfaire
ces
représentations
« anciennes »au
niveau
médical
et
psychanalytique, on pourrait ajouter celles de quelques femmes célèbres : Ninon de
Lenclos au XVIIe siècle qui attiraient tous les hommes par sa beauté exceptionnelle et
son esprit, alors qu’elle avait 70 ans on lui demanda à quel âge les femmes cessaient de
prendre plaisir aux jeux de l’amour « Je n’en sais rien, il faut demander cela à une
femme plus âgée »
A travers Colette, l’écrivain, on a une représentation plus complexe, dans
« Chéri », « La fin de Chéri » et « La naissance du jour » Colette décrit la perte de
l’image corporelle pour une femme de la cinquantaine et la modification de la relation
amoureuse que cela entraîne au niveau du couple, toutes ses héroïnes renoncent,
abdiquent vers la cinquantaine. Etonnant chez une auteure qui elle n’a jamais abdiqué et
qui est restée très coquette et très active sexuellement et intellectuellement jusqu’à la fin
de ses jours et qui elle, a vécu une passion avec son beau fils à 49 ans, ce qui donnera le
roman autobiographique qui a défrayé la chronique« Le blé en herbe » Après cela il lui
était peut-être impossible de continuer à aller contre les préjugés de son temps dans
d’autres écrits.
Simone de Beauvoir en 1963 (elle a 55ans) « Dans la force des choses » va nous
parler et de sa détresse face à la ménopause et de son abandon par son dernier amant
(Lanzmann), elle semble associer les deux choses, mais mettra sa quasi dépression sur
le dos de la vieillesse[9]. Pourtant en 1972 dans « Tout compte fait »elle dit : « Là où je
me suis trompée, c’est en esquissant le tableau de mon avenir : il a été beaucoup moins
sombre que je ne le prévoyais…une grande chance m’a de nouveau été donnée. »
Tous ces exemples nous montent qu’il était fréquent d’associer la ménopause à
la vieillesse et à la disparition de la féminité (puisque le symbole du être femme étaient
les règles) ce qui rendait l’hétérosexualité presque déplacée, voire obscène puisqu’on
avait à faire à une femme-homme, une femme à cœur d’homme disent les africains[10].
Dans le meilleur des cas se mettait en place un renoncement parfois serein, parfois
dramatique, renoncement à la séduction, au désir sexuel, à l’épanouissement personnel
au niveau de la libido en général seules quelques productions sublimées comme
l’écriture ou l’entée au couvent avaient bonne presse[11]. Heureusement le fait de
pouvoir dissocier ces trois concepts, fécondité, sexualité, féminité, va considérablement
changer les représentations de cette tranche de vie. D’autres facteurs, comme la
professionnalisation, l’indépendance des femmes, l’augmentation de la durée de vie,
vont aussi modifier les vieilles représentations de la ménopause. Grâce à cela la
recherche médicale conduira à la production d’abord de contraceptifs médicamenteux,
ensuite à des traitements palliant les effets de la ménopause. La prescription de ces
traitements pourra alors fonctionner, dans un premier temps tout au moins, comme une
autorisation à mieux vivre, le plus longtemps possible la féminité, donc à entretenir la
pulsion de vie et à éviter le mortifère de la ménopause. Elle permet aussi de développer
les consultations chez le gynécologue et de parler avec lui de l’intime de la sexualité,
d’améliorer les connaissances à ce sujet, de modifier encore les représentations
psychiques de la ménopause. Le gynécologue sera le véritable passeur de cette nouvelle
temporalité qu’on ne nommera plus vieillesse mais « crise du milieu de la vie », la
féminisation de cette spécialité ayant accru indubitablement la libération de la parole
des patientes « des femmes parlent aux femmes » pourrait-on dire. Les médecins
femmes seront des passeurs bien avant les « psy » qui ne s’intéresseront que très tard
aux répercutions de ce phénomène sur le psychisme[12].
L’habitude de la contraception efficace qui a séparé sexualité et maternité, pour
les générations qui arrivent maintenant à l’âge de la ménopause, a permis de préparer
psychiquement les femmes ménopausées à s’accepter comme femme sans pour cela être
mère et a dégagé le discours ambiant sur la mise en valeur de la sexualité et sa
contribution à l’épanouissement de l’individu quel que soit son âge (on ne s’indigne de
moins en moins des histoires d’amour, donc sexuelles, en maison de retraite) « La
croissance, depuis 20 ans, de la proportion des aînés ayant une vie sexuelle prouve que
la réprobation sociale et par voie de conséquence une autocensure étaient alors, et peutêtre encore, partiellement à l’origine de l’arrêt de la vie sexuelle active »[13] Leurs
statistiques indiquent que en 1970 , les femmes entre 50 et 69 ans après un rapport
sexuel étaient 40% à connaître un bien être alors qu’elles étaient 77% en 1992.Elles
soulignent aussi que l’avancée en âge permet une meilleure connaissance des désirs,
plaisirs et besoins de l’autre et de soi, que cette sexualité plus centrée sur le plaisir
favorise l’intimité des couples. et que « Les femmes au soir de leur sexualité détiennent
alors le record de la satisfaction ». On voit que les représentations se sont complètement
inversées. Cependant chez certaines ce passage ne sera pas aussi positif et donnera lieu
à des addictions, des dépressions, des somatisations ou la course à un « jeunisme »
effréné. Chez la majorité il y aura un temps de « mélancolie » un passage à vide au sens
propre du terme. Peut-être le temps de pouvoir construire dans ce vide d’autres
représentations qui intègreront le phénomène de la perte de la fécondité et la perspective
du vieillissement inéluctable.
Car à chaque étape de la féminité il faut compter avec les résistances du Moi au
changement .et à l’intégration aussi bien des déplaisirs que des nouveaux plaisirs et
avantages offerts par la nouvelle étape, particulièrement quand la jouissance est en jeu.
Il s’est passé beaucoup d’années depuis 1948 ou T.Benedek affirmait intuitivement : «
le climatère est une étape de la féminité » et on ne peut même pas dire que cela soit
actuellement un concept accepté par tous.
Ce sera pourtant mon hypothèse la ménopause est une autre étape de la féminité,
comme la puberté, la première relation sexuelle, la grossesse, l’accouchement , étape
qui parfait la façon d’être au féminin, car elle peut permettre (hélas ce n’est pas
systématique !) dans la distance qu’elle oblige à prendre avec la maternité, un
épanouissement dans l’érotisme et dans l’affirmation d’un désir envers l’homme,
différent du temps de l’énamoration narcissique. Ce temps où une femme voulait que
l’autre corresponde à l’image dont elle rêvait, c’est à dire une image chargée des
anciens idéaux parentaux, et où elle acceptait bien imparfaitement ce qu’il était lui
même (où elle essayait de le changer plus ou moins donc pour qu’il corresponde à son
rêve)
Il s’agit là bien sûr d’un paradoxe que d’affirmer qu’il y a une évolution
psychique dans ce temps d’involution biologique, car objectivement la séduction de la
femme décline au niveau de la beauté du corps, c’est le temps de l’involution qui
s’accentue dans tous les domaines et le narcissisme s’en trouve forcément blessé. Mais
c’est le temps où une femme n’a jamais eu autant de possibilités de se réaliser. Les
enfants sont en général élevés et souvent partis de la maison et là aussi c’est une
épreuve pour une femme de voir la maison se vider, c’est le syndrome du nid-vide qui
peut entraîner une dépression momentanée ou qui se transforme en mélancolie si le
deuil ne peut se faire. Les parents âgés ne pèsent plus autant que par le passé et même
s’il est devenu nécessaire de s’occuper d’eux matériellement et moralement, il y a
beaucoup plus d’aides qu’avant, et on a pu enfin se dégager de leur emprise psychique.
.
Une femme se retrouve alors face à face avec son partenaire et il n’y a plus le
filtre des enfants et des parents, mais seulement un couple qui doit en somme
réapprendre à vivre à deux. Souvent cette période correspond aussi à la baisse d’activité
professionnelle de la femme et du partenaire quand ce n’est pas à sa retraite, le couple a
donc beaucoup plus de temps à passer ensemble qu’il n’en a jamais eu et cela change les
rapports entre eux. Donc une femme n’a jamais eu autant de temps pour s’occuper
d’elle et réaliser ses propres désirs qu’elle avait souvent traditionnellement mis en
veilleuse pour réaliser ceux des enfants ou du partenaire. Elle a le temps de considérer
son partenaire différemment, il n’est plus essentiellement le père des enfants mais
l’homme avec qui elle vit. On voit tout de suite que cela peut être considéré comme un
bénéfice ou au contraire comme une gêne, en tout cas qu’il s’impose de se resituer par
rapport au désir d’être ensemble et en particulier sexuellement. C’est ainsi que
beaucoup plus de couples qu’avant se brisent à ce moment là.
Et là il nous faut analyser certaines réactions masculines face à la ménopause de
leurs compagnes. Ce qu’on a appelé « le démon de midi » ne semble être qu’une
réaction de panique de l’homme face au vieillissement que lui renvoie une femme
ménopausée, au moment même où chez lui aussi s’opère un ralentissement de la libido
sexuelle. Se tourner vers une femme plus jeune peut donner l’illusion de l’éternité car
s’il ne devient pas un jeune père, il peut devenir le père d’un jeune enfant, ce qui lui
permet d’éviter le remaniement psychique nécessaire à cette étape de la vie. Mais il y a
aussi le fait qu’au moment où une femme connaît un fort accroissement de sa libido
sexuelle et accepte une approche plus libre de la sexualité ( deuil de la mère interne) l’
homme qui sent sa puissance sexuelle diminuer peut manifester du rejet, par angoisse (il
est plus facile parfois d’avoir à faire à des « renonçantes » qu’à des « jouissantes »)
Cette étape de la féminité n’existe que parce que d’autres étapes ont eu lieu et
c’est la façon dont on aura traversé les étapes précédentes, en particulier par rapport à la
perte ( complexe de castration, résolution de l’oedipe), qui va déterminer la façon dont
on traversera cette étape de la ménopause, mais il peut y avoir aussi l’occasion d’un
changement lors de ce dernier remaniement. Une dernière fois, comme à chaque étape
de bouleversement, s’offre la possibilité de résoudre ce qui ne l’a pas été auparavant et
mon hypothèse est que le complexe d’oedipe pour une femme ne se résout vraiment
qu’à cette étape. En effet la féminité est toujours en train de s’accomplir, elle n’est
jamais définitivement acquise, et ici ce qui va se relancer c’est le problème de la
filiation en amont et en aval, l’attachement à la mère et de la mère, on va donc pouvoir,
enfin, remanier cette étape du pré-oedipe dont Freud a souligné qu’elle était capitale
pour la féminité[14]. Lorsque ce travail psychique peut s’effectuer, le deuil du phallique
maternel permet une libération dans la rencontre avec le masculin, la femme peut se
laisse aller à se faire objet de l’autre sans masochisme excessif, osons dire joyeusement,
et sans mettre son Moi en danger, la fierté qu’on nomme aussi parfois pudeur du « roc
du féminin » dont se plaignent Freud et Lacan semble disparaître.[15] .Ce qui permet à
certaines femmes de dépasser leur frigidité seulement à la ménopause, elle permet
l’acceptation de l’amant qui sépare alors de la mère internalisée et du même coup rend
l’accès à la jouissance possible.[16]
On voit donc qu’à la ménopause se repose pour une femme et pour la énième
fois les questions de : qu’est-ce qu’être femme (puisqu’il n’y a plus de règles et que
c’est la menstruation qui dans toutes les mythologies et les cultures différencie un
homme d’une femme) ?[17] Comment devient-on une femme, comment le reste-t-on ?
Qu’en est-il de la libido phallique (désir de création) lorsque la femme ne peut plus être
mère, autrement dit peut-on passer de la procréation à la création et comment ? Cela
modifie-t-il la relation au masculin, le désir envers l’homme, la jouissance féminine ?
En résumé quelles sont donc les issues pour une femme à la ménopause ?[18]
La récurrence de toutes ces questions dans une vie de femme et particulièrement
à la ménopause, peut faire penser que les femmes sont très compliquées, narcissiques,
hystériques et que sais-je encore, mais cela à un avantage certain, cela permet à la
plupart d’entre elles de continuer à cogiter, à s’adapter, à être plus souples
psychiquement et donc peut-être à mieux vieillir tout compte fait que les hommes pour
qui l’andropause, si elle existe, vient plus tard, peut-être trop tard pour permettre une
adaptation psychique efficace.
Mais rassurons nous, il n’y a pas de généralités dans ce domaine intime et
singulier pour chaque couple. Ce qu’il y a de sûr c’est que des représentations de la
ménopause qui témoignent que la féminité persiste malgré la disparition de la fécondité
et que la sexualité féminine peut s’en trouver intensifiée, oblige soit à une accentuation
de son refoulement soit à une libération accrue. Une fois de plus cela oriente soit vers
les pulsions de vie soit vers les pulsions mortifères comme chaque fois que le bios nous
rappelle que nous sommes des êtres de finitude.
[1]
Belot-Fourcade et Winever D.,2OO4
[2]
Corbin A., « La petite bible des époux » dans L’amour et la sexualité, Paris, Les collections de
l’histoire, n°5, 1999
[3]
Delbès C , Gaymu J.,“ L’automne de l’amour : la vie sexuelle après 50 ans » in Population, n°6, nov-
déc. 1997, Paris, édition de l’INED, p. 1439-1484.
[4]
Freud S., 1895, Du bien fondé à séparer de la neurasthénie un complexe de symptômes déterminés, en
tant que névrose d’angoisse, O.C., Vol III, Paris PUF, 1989
[5]
Nouvelle traduction
[6]
Deutsch H., 1944, La psychologie des femmes, Paris, PUF, 1967, Vol.II, P.391-418.
[7]
Deutsch H., op.cit.,p.398.
[8]
Benedek T., 1948, « Climatérium :A Developemtal Phase » in Psychoanalytic Investigations, New-
York, Quadrangel, 1973, p.322-345.
[9]
Mais déjà dès 1949 dans son chapitre sur « De la maturité à la vieillesse » dans le Deuxième sexe , elle
parlait du drame moral autour de la ménopause qu’elle situait entre 40 et 50 ans.
[10]
Laznik M.C., L’impensable désir, Paris, Denoël, 2003.p.153
[11]
Geoges SAND, la Comtesse de Ségur, la Camille Maupin de Balzac entre autres ,furent de celles là.
[12]
Gueydan M., Femmes en ménopause, Toulouse,
Erés, 1992 -Résumé d’une thèse de
paychopathologie Université de Montpellier III.
[13]
Delbès C., Gaymu J.,“ L’automne de l’amour : la vie sexuelle après 50 ans » in Population n°6,
1997Paris, edit.l’INED P.1464.
[14]
On peut en trouver une preuve dans le fait que pour certaines femmes qui ne désiraient plus d’enfant, à
l’approche de la ménopause, avant que les portes ne se referment dirait Balzac, surgit tout à coup un désir
de maternité, la grossesse qui était crainte devient un rempart contre le remaniement obligé par rapport à
la mère.
[15]
Schaeffer J., Le refus du féminin, Paris, PUF, 1997.
[16]
Héléne Deutsch remarquait déjà : « Beaucoup de femmes qui furent frigides durant la période de
reproduction deviennent maintenant sexuellement sensibles… les fantasmes sexuels importuns sont liés à
de violents orgasmes vaginaux réactionnels, même chez des femmes qui n’étaient pas excitables
vaginalement auparavant. »
[17]
Les saignements de privation dus à un traitement hormonal peuvent servir à dénier chez certaine
femmes l’état de ménopausée et être mentionnés comme des règles
[18]
De nombreux ouvrages ont parus ces dernières années autour de ces thèmes citons en particulier :
Laznik M.C., L’impensable désir, Paris, Denoël, 2003.
Bélot-Fourcade P.et Winaver D., La mènopause regards croisés entre gynécologues et psychanalystes,
Paris, éres, 2004.

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