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NUMERO 89 Mensuel janvier 2004 Bureau de dépôt 1040 Bruxelles 4 P 302107 BC 5856 ne paraît pas en juillet è EMPLOI ET COMPÉTITIVITÉ - La suite du rapport du secrétariat è LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ - L’analyse de Stephen Bouquin è POLITIQUE INDUSTRIELLE - Spécificités du secteur de la construction NUMERO 89 è janvier 2004 EMPLOI ET COMPÉTITIVITÉ innovation et recherche 3 réformes économiques 14 PAUVRETÉ ET EXCLUSION SOCIALE “l’Europe vue d’en bas” 26 l’interview de Stephen Bouquin 33 CONSTRUCTION avis sur la politique industrielle 43 ACTUALITÉS conseil central de l’économie 48 autres organes de concertation 49 > Comité d’accompagnement : Robert Antonissen, Michel Davreux, Luc Denayer, Ton Harding, Paul Henriet, Ada Jacobs,Viviane Van Uytven > Rédaction : Robert Antonissen, Michel Davreux, Emmanuel de Béthune, Paul Henriet, Michèle Pans > Secrétariat de rédaction : Alain Cabaux > Traduction : Jan Lambert > Mise en page : Simonne Loison > Impression : José Marquez y Sanchez, André Servotte > Site Web : www.ccecrb.fgov.be > Éditeur responsable : Ton Harding, Avenue de la Joyeuse Entrée 17-21, 1040 Bruxelles è EMPLOI ET COMPÉTITIVITÉ Conseil Central de l’Economie Innovation et recherche Nous poursuivons dans ce numéro la publication de l’édition 2003 du traditionnel “Rapport technique du secrétariat sur les marges maximales disponibles pour l’évolution du coût salarial”1. L’innovation et la recherche jouent un rôle crucial dans la fixation des objectifs de la stratégie de Lisbonne dont l’ambition est de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus dynamique et compétitive en mettant l’accent sur l’aspect de la connaissance. Nous nous servons des indicateurs structurels européens de l’innovation et la recherche pour mesurer les progrès accomplis par la Belgique dans la réalisation des objectifs de Lisbonne et comparer les performances de la Belgique avec celles d’autres pays européens. Ces indicateurs de la recherche et innovation peuvent être subdivisés en trois : les indicateurs de l’éducation, les indicateurs clés de la recherche et innovation et les indicateurs de la société de l’information. INDICATEURS DE L’ÉDUCATION Le tableau ci-dessous présente les principaux objectifs de la stratégie de Lisbonne en matière d’éducation. On remarque que, parmi les 42 indicateurs structurels, quatre ont trait à l’éducation. Deux d’entre eux figurent parmi les indicateurs relatifs à l’innovation et la recherche. Il s’agit respectivement des dépenses publiques d’éducation en % du PIB et du nombre de diplômés d’études supérieures en sciences et technologies. Les deux autres indicateurs ont trait à l’éducation et la formation tout au long de la vie (participation d’adultes à l’éducation et la formation, pourcentage de la population entre 25 et 64 ans) et à ceux qui quittent précocement l’école ou les études (les jeunes âgés de 18 à 24 ans qui ont quitté l’enseignement et disposent au maximum d’un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur). Ces indicateurs sont répertoriés parmi les indicateurs relatifs à l’emploi et la cohésion sociale. OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE POUR L’ÉDUCATION - Accroître substantiellement l’investissement par habitant dans les ressources humaines - Promouvoir l’éducation et la formation tout au long de la vie - Mieux adapter le socle de compétences à la société fondée sur la connaissance - Améliorer la reconnaissance des qualifications - Promouvoir l’apprentissage des langues européennes et introduire une dimension européenne dans l’éducation - 100 % des établissements scolaires connectés à Internet en 2002 (objectif fixé à Lisbonne) - Promouvoir le jumelage d’établissements scolaires via Internet Source : Commission européenne (2003)a, p. 17) 1 Ce document est disponible dans sa version en format PDF sur le site internet du CCE : http/www.ccecrb.fgov.be 3 3 Innovation et recherche DÉPENSES PUBLIQUES D’ÉDUCATION (% PIB) Cet indicateur structurel est étroitement lié à l’objectif de Lisbonne qui consiste à accroître substantiellement l’investissement en capital humain par habitant. Nonobstant cet objectif, les dépenses publiques d’éducation dans l’UE ont légèrement diminué en 1999 et 2000, passant respectivement de 4,96 à 4,94 % du PIB. Ce niveau est similaire à celui des USA. Cependant, on constate la persistance de larges écarts entre les Etats membres pour cet indicateur. DE IT NL EU15 BE PT AT FR FI SE DK 0 1 Source : Eurostat é Dépenses publiques d’éducation en 2000 (% PIB) 2 La Belgique a consacré en 2000 5,2 % de son PIB à l’éducation. Ces dépenses ont valu à la Belgique la septième place sur quinze dans l’UE. Le pourcentage de la Belgique était juste supérieur à la moyenne de l’UE. On observe aussi que, des trois pays voisins, (la France, l’Allemagne et les PaysBas), seule la France a affiché des performances meilleures que celles de la Belgique. 3 4 5 6 7 8 9 On remarque une compression des dépenses d’éducation en % du PIB dans les trois pays voisins entre 1995 et 2000. Dans le cas de la Belgique, nous ne disposons que des chiffres à partir de 1998 et nous en supposons aussi une tendance baissière. Le Comité de politique économique (CPE) estime que l’indicateur des dépenses publiques d’éducation présente des inconvénients (CPE 2002, p. 7). D’une part, cet indicateur constitue un bon baromètre Dépenses publiques d’éducation du niveau des dépenses publiques d’éducation, mais il ne renseigne guère sur les performances et (% PIB) la qualité du système d’enseignement. D’autre part, cet indicateur se focalise exclusivement sur les dépenses publiques et ne donne donc aucun aperçu des dépenses privées d’éducation et de formation con5,9% tinue. Dès lors, le CPE propose de remplacer cet 5,7% indicateur par le taux de participation à l’éducation 5,5% des jeunes de 15 à 24 ans. On constate toutefois que l’un des indicateurs figurant sous la rubrique « 5,3% cohésion sociale » concerne les jeunes qui quittent 5,1% précocement l’école (les jeunes qui ont quitté 4,9% l’enseignement en étant porteurs au maximum d’un 4,7% diplôme de l’enseignement secondaire inférieur). Il 4,5% s’agit d’un indicateur qui satisfait pratiquement aux 1995 1996 1997 1998 1999 2000 conditions pour constituer le complément du taux de Allemagne Pays-Bas France Moy. 3 EU15 Belgique participation des jeunes à l’éducation de Source : Eurostat l’enseignement secondaire supérieur. é Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 4 4 5 C’est surtout la population féminine dans la tranche d’âge de 18 à 24 ans qui peut se targuer de sa troisième place. Quant aux hommes, ils se classent au septième rang. 60 50 40 30 20 10 0 AT Ces chiffres démontrent la forte participation des jeunes belges à l’enseignement supérieur. FI SE BE DE FR IE Total NL DK Femmes GR LU IT ES PT é Source : Eurostat DIPLÔMÉS D’ÉTUDES SUPÉRIEURES EN SCIENCES ET TECHNOLOGIES (ST) L’objectif de Lisbonne qui consiste à mieux adapter le socle de compétences à l’économie fondée sur la connaissance peut entre autres être mesuré à l’aide du nombre de diplômés d’études supérieures en sciences et technologies. En Belgique, en 2000, on a dénombré 9,7 diplômés ST pour 1000 jeunes de la tranche d’âge de 20 à 29 ans. Ce nombre est supérieur à celui relevé en Allemagne et aux Pays-Bas. Dans le cas de la France, toutefois, il est difficile de se prononcer car un grand nombre de diplômés porteurs de deux diplômes ont été comptés deux fois (Eurostat). En Belgique, les femmes ont représenté 25 % des diplômés en sciences et technologies, soit à nouveau davantage qu’aux Pays-Bas et en Allemagne. Outre le fait que pour certains pays européens cet indicateur est inexistant et inexact (France), cet indicateur comporte uniquement les disciplines scientifiques regroupées par Eurostat sous le dénominateur « science et technologie », à savoir les sciences biologiques, les sciences naturelles, les mathématiques et la statistique, l’informatique, les études d’ingénieur et les études techniques, la production et la transformation, l’architecture et la construction. Les sciences médicales, l’agriculture, etc. ne sont donc pas reprises dans cette liste (Cincera et Clarysse, 2001, 1ère partie, p. 56). EU15 Hommes Parts de jeunes ayant quitté prématurément l’école (% pop. 18-24) Part des diplômés d’études supérieures en S&T en 2000 (pour 1000 pop. 2029) é Pour ce qui est de l’indicateur des jeunes quittant précocement l’école la Belgique se classe au quatrième rang du taux le plus bas. Belgique Pays-Bas Allemagne 0 2 4 femmes 6 8 hommes Source : Eurostat Or, d’autres indicateurs permettent aussi de mesurer si le socle des compétences est adapté à la société fondée sur la connaissance. Le troisième rapport de la Commission sur la science et la technologie distingue à ce propos un pipeline d’éducation en S&T. Dans ce domaine, les auteurs observent différents stades. Ils distinguent entre autres les stades suivants : diplômés de l’enseignement secondaire, diplômés d’études supérieures, diplômés de S&T, doctorants en S&T et chercheurs. Semblable pipeline permet de suivre le parcours effectif d’un diplômé de l’enseignement 10 12 Innovation et recherche secondaire pour accéder au statut de chercheur. En cours de route, le pipeline peut laisser apparaître de sérieuses fuites. Il peut s’ensuivre une pénurie de travailleurs dans l’innovation et la recherche sur le marché du travail. Ainsi, certains stades du pipeline d’éducation peuvent s’avérer inadaptés ou des diplômés en S&T peuvent choisir de s’engager dans une carrière non scientifique. Un groupe substantiel de chercheurs plus âgés peuvent prendre leur retraite et ne pas être remplacés par un afflux similaire de chercheurs plus jeunes. L’enquête internationale PISA 2000 donne une bonne idée de l’afflux potentiel dans le pipeline d’éducation de la S&T. Cette enquête a évalué les compétences d’étudiants de 15 ans dans les domaines de la lecture, de la science et des mathématiques en l’an 2000 dans les pays de l’OCDE. Ces résultats se sont révélés modérément bons pour la Belgique mais ont laissé apparaître de larges écarts entre les communautés flamande et française. En 2000, la communauté flamande a affiché, dans les trois domaines de compétences, des résultats toujours meilleurs que la moyenne de l’OCDE, alors que la communauté française s’est toujours retrouvée au-dessous de la moyenne (Denil et Caruso, 2003, p. 7). Evaluation de la connaissance (2000) é Communauté flamande Belgique France OCDE moyenne Allemagne Communauté française Compréhension écrite 532 507 505 500 484 476 Connaissance mathématique 543 520 517 500 490 491 Connaissance sciences 519 496 500 500 487 467 Source : OCDE, Pisa 2000 Parts des qualifications par classe d’âge en Belgique é Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 6 6 70% 60% L’examen des écarts de qualifications entre catégories d’âge constitue un bon baromètre de l’évolution du pipeline d’éducation au cours des années. Le pourcentage de personnes peu scolarisées en Belgique est le plus élevé dans la catégorie d’âge des aînés, de 55 à 64 ans et il atteint presque 60 %. Le nombre de moins qualifiés diminue systématiquement dans les catégories d’âge plus jeunes pour finalement ne plus 55-64 constituer que 24% des 25-34 ans. 50% 45-54 40% 35-44 30% 25-34 20% 25-34 35-44 25-34 45-54 35-44 55-64 45-54 55-64 10% bas Source : Eurostat moyen haut On observe une tendance inverse pour les personnes moyennement et hautement qualifiée. Dans la tranche d’âge de 55 à 64 ans, on ne relève que 22 % de moyennement qualifiés et 18 % de hautement qualifiés. Dans la tranche de 25 à 34 ans, on compte près de 40 % de moyennement qualifiés et 36 % de hautement qualifiés. 7 En 1996-1997, la proportion de jeunes de 18 à 24 ans ayant choisi une formation supérieure dépassait en Belgique celle des pays voisins. En effet, plus de 40 % de cette tranche d’âge suivaient des études supérieures. (Cincera et Clarysse, 1ère partie, p. 59). Ces dernières années ont donc été caractérisées par des pourcentages d’inscription élevés et un nombre élevé de diplômés d’études supérieures en Belgique. En 1996/97, les sciences sociales et humaines ont, en Belgique, clairement été les orientations les plus choisies par les étudiants de l’enseignement supérieur, puisqu’elles ont récolté près de 60 % des inscriptions. Fait frappant, le nombre d’étudiants inscrits en sciences médicales était supérieur à la moyenne des pays voisins (+/- 20 % au lieu de 10 % pour l’UE) alors que le nombre d’étudiants inscrits en sciences et sciences appliquées était inférieur à la moyenne dans les pays voisins (+/20 % contre 30 % pour l’UE). (Cincera, Clarysse, 2001, 1ère partie, p. 59). Pour ce qui est des doctorants en études scientifiques et ingéniorat, la Belgique ne se plaçait, en 2000, qu’en neuvième position européenne puisqu’on y dénombrait 0,43 docteur sur 1000 personnes dans la tranche des 25-34 ans. Ce chiffre est inférieur à la moyenne européenne de 0,56 docteur sur 1000 individus. Parmi les pays voisins, les Pays Bas sont les seuls à enregistrer un score inférieur, puisqu’on y a recensé 0,34 docteur sur 1000. L’Allemagne et la France enregistrent un meilleur score puisqu’elles affichent respectivement 0,81 et 0,65 docteur sur 1000 (Commission européenne, 2003b, p. 188). Le nombre relativement peu élevé de diplômés et docteurs en S&T pourrait indiquer une future pénurie de travailleurs dans les domaines de la recherche et de l’innovation. En dépit de la pénurie possible de diplômés et docteurs en S&T, la Belgique recensait 6,92 chercheurs sur 1000 personnes dans la population active en 1999. Cette proportion lui a valu la troisième place en Europe. Seules la Finlande et la Suède ont enregistré de meilleures performances. Les chiffres ont été bien plus élevés que la moyenne de l’UE de 5,36. Sur ce plan, l’UE a enregistré des performances bien moins bonnes que celles des USA et du Japon qui ont recensé 9,72 chercheurs sur 1000 personnes de la population active (Commission européenne 2003b, p. 182). INDICATEURS-CLÉS DE LA RECHERCHE ET L’INNOVATION Le tableau ci-dessous présente les principaux objectifs de la stratégie de Lisbonne en matière de recherche et innovation. Trois indicateurs sont directement liés aux objectifs de Lisbonne en matière de recherche et innovation, à savoir les dépenses brutes de R&D, le nombre de brevets par million d’habitants et les investissements en capital à risque. Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 8 8 Innovation et recherche OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE POUR LA RECHERCHE ET L’INNOVATION - Augmentation des dépenses de R&D en vue d’approcher 3% du PIB d’ici 2010. La part financée par les entreprises devrait atteindre les deux tiers de ce total (objectif fixé à Barcelone ; - Mettre en réseau les programmes nationaux et communs de recherche à titre volontaire et en fonction d’objectifs librement choisis ; - Rendre l’environnement plus propice à l’investissement privé dans la recherche, aux partenariats de R&D et aux jeunes entreprises spécialisées dans la haute technologie ; - Élaborer une méthode ouverte de coordination pour les politiques nationales de recherche; - Déployer une infrastructure de communication de niveau mondial pour la recherche ; - Éliminer les obstacles à la mobilité des chercheurs, attirer et retenir en Europe les chercheurs de haut niveau ; - Introduire un brevet communautaire au meilleur coût ; - Exploiter les technologies nouvelles et d’avant-garde, notamment la biotechnologie et les technologies de l’environnement (Stockholm). Source : Commission européenne (2003a), p. 17. DÉPENSES INTÉRIEURES BRUTES DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT (DIRD) Cet indicateur est directement lié à l’objectif qui consiste à accroître les dépenses de R&D jusqu’à 3 % du PIB d’ici 2010. Les dépenses intérieures brutes de R&D (DIRD) comprennent toutes les dépenses intérieures brutes consenties, pour les activités de R&D réalisées sur le territoire national durant une période de douze mois. Ce poste inclut les dépenses de R&D réalisées sur le territoire national qui sont financées par l’étranger mais pas les paiements consentis pour des activités de R&D à l’étranger. Ces statistiques de R&D sont basées sur une enquête rétrospective menée auprès des organisations qui ont déployé des activités de R&D sur le territoire national (Cincera et Clarysse, 2001, p. 33). En 2001, les dépenses moyennes de R&D dans l’Union représentaient moins de 2% du PIB, dont 55% seulement étaient financés par l’industrie. Ces chiffres illustrent le contraste entre la situation actuelle et l’objectif de Barcelone, à savoir 3% du PIB d’ici 2010, financés aux deux tiers par l’industrie. Entre 1998 et 2001, la part de la R&D financée par l’industrie a légèrement augmenté, mais cette augmentation n’a pas suffi à empêcher la moyenne communautaire de baisser encore par rapport aux États-Unis. Il sera manifestement nécessaire de stopper la tendance actuelle pour 9 atteindre l’objectif de Barcelone. Des mesures ont été prises pour améliorer les conditions-cadres en faveur de la R&D et de l’innovation, mais il n’est pas certain qu’elles seront suffisantes. Les écarts entre les États membres au niveau des dépenses de R&D sont importants et s’amplifient. Des pays comme la Suède et la Finlande ont déjà atteint les niveaux fixés à Barcelone et enregistré les plus fortes améliorations. On observe cependant des signes positifs en Grèce et au Portugal, qui étaient loin derrière les États les plus performants, mais se sont légèrement rapprochés de la moyenne communautaire (Commission européenne, 2003a, p. 19). SE FI DE FR DK NL BE EU15 0 0,5 1 Industrie 1,5 2 Etat 2,5 3 Etranger Source : Eurostat é Le pourcentage du PIB dépensé par les autorités belges au titre de la R&D se plaçait en 1999 en neuvième position dans l’UE. Toutefois, la part de l’industrie, exprimée en pourcentage du PIB, a valu à la Belgique la quatrième place derrière la Suède, la Finlande et l’Allemagne. Au total, la Belgique s’est classée en septième position, juste au-dessous de la moyenne des 15 Etats membres de l’UE. DIRD (% PIB) Les dépenses de R&D de la Belgique se sont accrues de 1,7 à 2,2 % du PIB entre 1993 et 1999. Depuis 1997 suite à cette augmentation, les performances de notre pays ont dépassé la moyenne de l’UE. En 1999, les dépenses de R&D exprimées en % du PIB ont été équivalentes à celles des Pays-Bas. En dépit de cette nette tendance à se rapprocher du niveau des pays voisins, la Belgique a, en comparaison avec la France et surtout l’Allemagne, continué à enregistrer de moins bonnes performances. Graphique 3-13 : DIRD (% PIB) La tendance à la convergence des dépenses de 2,9% R&D en % du PIB peut s’expliquer par un effet de 2,7% l’industrie et un effet des pouvoirs publics. De 2,5% 1993 à 1999, on observe clairement un net accroissement des dépenses intérieures brutes 2,3% de R&D consenties par l’industrie, qui passent 2,1% de 1,1 à 1,3 % du PIB, ce qui représente un 1,9% accroissement de 0,2 %. L’expansion a été plus 1,7% forte que dans les pays voisins, où l’augmentation 1,5% dans cette période a avoisiné 0,1 %. Durant la 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 même période, les dépenses publiques belges de Allemagne Pays-Bas France Moy. 3 EU15 R&D exprimées en % du PIB se sont accrues de Source : Eurostat 0,4 % à 0,45 %, laissant apparaître une augmentation de 0,05 %, alors que, dans les pays voisins, ces mêmes chiffres ont diminué d’au moins 0,1 %. Il s’ensuit par la même occasion un net effet des pouvoirs publics. DIRD (% PIB) é Une large part des dépenses publiques de R&D consenties par la France et une moindre part consentie par l’Allemagne ont toutefois été consacrées à la recherche militaire, tandis que ce poste budgétaire a été négligeable en Belgique. En 1997, la France y a consacré près de 30 % du budget de R&D et l’Allemagne plus de 5 % (Cincera et Clarysse, 2001, p. 30). Belgique 10 10 Innovation et recherche Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 BREVETS Le nombre de brevets enregistrés constitue un indicateur fiable de l’innovation technologique. Différentes études montrent que les entreprises déposent des brevets pour un grand nombre de leurs inventions et qu’une large part des brevets engendre des innovations. De même, les données relatives aux brevets sont comparables sur le plan international. Dans certains secteurs, les données relatives aux brevets ne sont pas représentatives des inventions. En effet certains secteurs préfèrent opter pour d’autres méthodes pour protéger leurs inventions. Ainsi l’industrie électronique préfère garder le secret. (Cincera et Clarysse, 2001, p. 89). Brevets demandés à l’OEB (par million d’habitants) é 340 320 300 280 260 240 220 200 « En 2000, le nombre de demandes de brevets américaines auprès de l’Office européen des brevets a augmenté plus rapidement que celui de l’Union. Par contre, le nombre de brevets accordés par l’Office des brevets et des marques des Etats-Unis (USPTO) à des organisations et entreprises européennes est en augmentation, même si l’UE reste loin derrière les Etats-Unis. Cette situation reflète en partie la plus grande efficacité du système américain d’innovation, mais aussi la faiblesse du système européen de brevet, étant donné l’absence persistante d’accord sur le brevet unique européen. Depuis Lisbonne, on constate également un écart important et croissant entre les Etats membres étant donné que les taux de dépôt de brevets dans les trois pays ayant les taux les plus élevés (Suède, Finlande et Danemark) ont augmenté plus rapidement que dans les trois pays ayant les taux les plus faibles (Portugal, Grèce et Espagne) » (Commission européenne (2003)a, p. 20). Parmi les pays européens, c’était l’Allemagne qui, en 2000, affichait le plus grand nombre de brevets déposés auprès de l’Office européen des brevets par million d’habitants, puisque l’on dénombrait pour ce pays 310 enregistrements. L’Allemagne était suivie par les Pays-Bas, avec 243 brevets, tandis que la Belgique et la France ont dû se contenter respectivement de 145 et 152 enregistrements. La France et la Belgique sont donc restées en deça de la moyenne de l’UE de 161 brevets enregistrés. 180 160 140 120 100 80 1996 Allemagne Source : Eurostat Entre 1996 et 2001, les demandes de brevets de la Belgique et des pays limitrophes ont augmenté. Durant cette période, la Belgique a enregistré une hausse de 57 demandes alors 1997 1998 1999 2000 2001 que l’Allemagne affichait une progression de Pays-Bas France Moy. 3 EU15 Belgique 132 demandes par million d’habitants. Nous remarquons donc une nette tendance à la divergence, qui se manifeste d’ailleurs aussi mais dans une moindre mesure entre la Belgique et les Pays-Bas. Cette tendance se remarque entre la plupart des Etats membres de l’UE. C’est ainsi que nous pouvons distinguer trois groupes au sein de l’UE : un groupe de tête comprenant les pays scandinaves, l’Allemagne et les Pays-Bas, un deuxième groupe où figurent notamment la Belgique et la France et un dernier groupe comptant les pays du sud de l’Europe. Nous remarquons cependant que la recherche scientifique qui donne lieu au dépôt d’un brevet peut se faire dans un pays autre que le pays où le brevet est demandé. Cette tendance est parfois perçue, surtout dans les petits pays comme la Belgique où de nombreuses multinationales sont actives. 11 Des résultats analogues sont apparus au niveau des demandes introduites auprès du Bureau des Brevets et Marques des Etats-Unis. En 2001, l’Allemagne s’est classée première avec près de 147 enregistrements. Les Pays-Bas et la Belgique ont affiché 98 et 93 brevets, tandis que la France est arrivée à près de 80 enregistrements. Il est à remarquer que la Belgique a surpassé la moyenne de l’UE de 80 demandes de brevets. Sans doute le grand nombre de multinationales américaines ayant des implantations en Belgique n’y était pas étranger. INVESTISSEMENTS EN CAPITAL-RISQUE La contraction du marché du capital-risque a été plus forte en Belgique que dans les pays voisins. En l’an 2000, les investissements belges et irlandais en capital-risque « au stade initial » chiffrés à plus de 0,1 % du PIB, étaient les plus élevés de l’UE. Suite à l’éclatement de la bulle d’investissement en 2001, la Belgique s’est retrouvée à la septième place européenne derrière l’Allemagne et les Pays-Bas, avec un investissement de 0,04 % du PIB en capital-risque au stade initial. Investissement en capital-risque - phase préliminaire (% PIB) é « La disponibilité du capital-risque facilite l’investissement dans la R&D et l’innovation, en particulier pour les entreprises nouvelles et récentes. En 2001, le marché du capital-risque dans l’Union s’est contracté, principalement à cause de l’éclatement de la bulle d’investissement dans les TIC. Cette contraction a été particulièrement forte pour le financement initial, sauf dans les pays nordiques où on observe une augmentation significative au Danemark et des niveaux stables en Finlande et en Suède (où les investissements de départ sont assez élevés), pays qui ont aussi été les plus performants en matière de R&D financée par les entreprises. » (Commission européenne, 2003a, p. 19). 0,12% 0,10% 0,08% 0,06% 0,04% 0,02% 0,00% France Belgique Pays-Bas 2000 EU15 2001 Source : Eurostat En 2001, la Belgique a consacré 0,082 % de son PIB à des investissements d’extension et de remplacement en capital à risque ; ce pourcentage lui a assuré la 6ème place, devant l’Allemagne et la France mais était inférieur à celui des Pays-Bas qui ont consacré 0,2 % de leur PIB aux investissements en capitaux d’extension et de remplacement. INDICATEURS DE LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION Les principaux objectifs de la stratégie de Lisbonne relatifs à la société de l’information sont présentés au cadre. Deux indicateurs structurels mesurent les progrès concernant ces objectifs, à savoir l’accès des ménages et entreprises à Internet et les dépenses de TIC en % du PIB. Moy. 3 Allemagne 12 12 Innovation et recherche Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE POUR LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION - Formation de tous les enseignants aux compétences numériques d’ici 2003 ; - Mettre en place une infrastructure de communication de niveau mondial largementaccessible et assurer une réduction substantielle des coûts de l’utilisation d’Internet (dégroupage des boucles locales) ; - Créer les conditions permettant au commerce électronique de prospérer ; - Empêcher l’exclusion de l’information ; - Encourager l’administration en ligne ; - Favoriser l’adoption des communications mobiles de troisième génération et l’introduction du protocole Internet version 6. Source : Commission européenne (2003)a, p17. Les TIC présentent les quatre mêmes caractéristiques propres à certaines innovations radicales qui ont jalonné l’histoire de l’humanité, allant de l’âge de bronze jusqu’à, plus proches de nous, l’électricité et le moteur à explosion (Lipsey e.a., 1998). Ces innovations permettent (1) l’amélioration de (2) nombreux produits ou service dans la plupart des (3) secteurs. Elles sont aussi étroitement liées aux (4) technologies tant existantes que nouvelles. Pour qu’elle ait un impact sur d’autres innovations et sur la croissance économique, il importe que l’utilisation des TIC se répande dans l’économie (Kegels e.a., 2003, p. 15). Les dépenses de TIC et le nombre de raccordements Internet peuvent aider utilement à cerner la diffusion des TIC dans un pays. ACCÈS À INTERNET On a constaté une forte utilisation des TIC dans les Etats membres, avec un taux de pénétration d’Internet dans les ménages passant à plus de 40 % en moyenne en 2002. Le pourcentage des ménages disposant d’un accès à Internet à domicile a grimpé à plus de 60 % aux Pays-Bas, au Danemark et en Suède, mais il est resté inférieur à 30 % en Grèce et en Espagne (Commission européenne, 2003a, p. 20). Parmi les pays voisins, les Pays-Bas ont, en 2002, compté le plus grand nombre de ménages disposant d’un accès à Internet. En 2002, 65 % des ménages néerlandais y étaient raccordés, contre 43 % en Allemagne, 40 % en Belgique et 35 % en France. Le nombre d’entreprises disposant d’un accès Internet en 2001 a été le plus élevé en Allemagne avec 83 %. Ce pays était suivi de près par les Pays-Bas et la Belgique, qui affichaient 79 %. La France a enregistré 58 %, soit un score bien moindre, surtout si on le compare aux 70 % que représente la moyenne de l’UE. 13 DÉPENSES CONSACRÉES AUX TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS Les dépenses de technologie de l’information en Belgique s’élevaient en 2001 à 2,8 % du PIB et ont valu à notre pays la septième place dans l’UE. Parmi les pays voisins, les Pays-Bas et la France ont enregistré de meilleures performances, chiffrées respectivement à 5 et 4,8 % du PIB. 6,0% 3,5% Information Télécommunications 3,0% 5,0% 2,5% 4,0% 2,0% 3,0% 1,5% 2,0% 1,0% 1,0% 0,5% 0,0% 0,0% EU15 Allemagne Belgique 2000 Source : Eurostat Moy. 3 France Pays-Bas France 2001 Allemagne Moy. 3 EU15 2000 Belgique Pays-Bas 2001 Source : Eurostat é Pour ce qui est des dépenses de technologie des télécommunications, la Belgique a aussi emporté la septième place dans l’UE, avec 2,8 % du PIB. Dans ce cas également, les Pays-Bas ont affiché de meilleures performances en totalisant plus de 3 %. On notera aussi qu’en Europe, la Grèce aligne les plus hautes dépenses de télécommunications en pourcentage du PIB, alors qu’elle avait les plus basses dépenses de technologie de l’information. Ce fait pourrait démontrer la possibilité d’économiser au niveau des dépenses de télécommunication par le biais de la technologie de l’information. Dépenses consacrées aux TIC (% PIB) è EMPLOI ET COMPÉTITIVITÉ Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 14 Réformes économiques Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, les réformes économiques structurelles sont essentiellement un instrument d’amélioration de la dynamique et de la compétitivité de l’économie européenne. Les réformes économiques doivent avoir pour effet l’amélioration du fonctionnement des marchés européens et le parachèvement du marché unique européen. D’une part, les progrès en termes de fonctionnement et d’intégration des marchés européens doivent déboucher sur un plus grand bienêtre en Europe. L’intégration des marchés et le commerce transfrontalier offrent aux pays participants la possibilité de s’approprier des avantages comparatifs relatifs. Ces avantages comparatifs apparaissent lorsque chaque pays se spécialise dans la production des biens et services pour lesquels il fait preuve de la plus grande efficacité. Ces avantages doivent en principe conduire à une situation où tout le monde est gagnant, où chaque pays trouve son avantage (Ricardo). Un accroissement de la capacité de production doit générer une offre plus large, meilleure et plus grande de produits et services à des prix relativement plus bas. Un surplus du consommateur plus étendu et un PIB réel plus élevé par tête doivent en être la résultante. Par ailleurs, la réforme et l’intégration plus poussée des marchés européens sont nécessaires à la sauvegarde de la compétitivité de l’économie européenne dans une économie mondiale en cours de globalisation. Les réformes économiques en Europe ne peuvent être en retard par rapport aux réformes des autres unions économiques (ALENA, …). L’intégration plus poussée des marchés européens conduit en effet au renforcement de l’intégration et de la coopération entre les entreprises par delà les frontières nationales dans la perspective de la réalisation des économies d’échelle optimales. Rester en deçà des économies d’échelle optimales peut, dans certains secteurs, avoir des conséquences sérieuses pour la compétitivité de l’économie européenne. Il existe sept indicateurs de réformes économiques. Nous avons réparti ces indicateurs en deux groupes. Le premier groupe d’indicateurs concerne les réformes dans le secteur privé. Le second groupe fait apparaître les réformes dans le secteur public. Nous discuterons ci-dessous les objectifs de réforme de la stratégie de Lisbonne en deux temps, en nous intéressant d’abord au secteur privé puis au secteur public. SECTEUR PRIVÉ Le tableau ci-dessous présente les principaux objectifs de Lisbonne en ce qui concerne les réformes du marché dans le secteur privé. Ces objectifs sont surtout axés sur les secteurs où les avantages potentiels du marché intérieur se manifestent de façon insuffisante. Les marchés des services, les marchés de l’énergie, les transports et les marchés financiers sont des marchés qui se sont caractérisés jusqu’à présent par des réformes moins poussées et une concurrence moins sensible (Commission européenne, 2003c, p. 19). 15 15 OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE POUR LE PRIVÉ - Achever le marché intérieur des services ; - Assurer l’ouverture des marchés de l’énergie aux clients industriels en 2004 et ensuite aux particuliers (objectif fixé à Barcelone) ; - Assurer une capacité de transmission transfrontalière d’énergie équivalente à au moins 10% de la capacité de production installée d’ici à 2005 (objectif fixé à Barcelone) ; - Mettre en place un ciel unique européen en 2004 (objectif fixé à Barcelone) ; - Ouvrir davantage le marché des services postaux, ferroviaires et portuaires. Source : Commission européenne (2003a), p. 22 Parmi les sept indicateurs des réformes économiques, cinq ont un contenu plus étroitement lié au secteur privé qu’au secteur public. Le premier indicateur examine l’intégration du marché intérieur européen au départ du niveau relatif des prix et de la convergence des prix dans l’UE. Le deuxième indicateur mesure l’intégration des marchés des biens, des services et des capitaux. Les troisième et quatrième indicateurs analysent l’intégration européenne des secteurs de réseaux. Le troisième indicateur s’appuie pour ce faire sur les prix des télécommunications, de l’électricité et du gaz. Le quatrième indicateur se construit sur l’étude de la part de marché du producteur le plus important. Ce dernier indicateur mesure l’importance de la formation brute de capital dans le secteur privé. Il est en outre le seul indicateur qui ne s’intéresse pas directement à l’intégration des marchés mais bien à l’influence des réformes économiques sur les investissements des entreprises. Etant donné que les deux premiers indicateurs concernent l’intégration du marché intérieur européen ainsi que l’intégration des marchés des biens, des services et des capitaux, il serait logique de faire figurer l’achèvement de ces marchés parmi les objectifs de la stratégie de Lisbonne dans le cadre ci-dessus. INTÉGRATION DU MARCHÉ EUROPÉEN - Le niveau relatif des prix Le niveau relatif des prix indique dans quelle mesure les consommateurs paient un prix différent pour le même panier de biens et/ ou de services. Le niveau relatif des prix est calculé en convertissant le prix du panier de biens en une unité monétaire commune pour les différents pays de l’UE et en le divisant par la moyenne de tous ces paniers de biens. Réformes économiques En 2001, la Belgique, dont le niveau relatif des prix (y compris les taxes indirectes) était de 98,4, affichait des prix inférieurs d’un bon % à la moyenne de l’UE. Les pays avoisinants, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France, présentaient en 2001 un niveau relatif des prix à peine plus élevé. Le graphique ci-dessous montre qu’il s’agissait là du résultat d’une convergence plus ou moins continuelle du niveau relatif des prix de ces quatre pays entre 1991 et 2001. Ces chiffres indiquent une intégration très forte des marchés des biens et services dans ces quatre pays, et ce d’autant plus que le niveau relatif des prix de l’Europe du Sud avoisine 80 tandis que celui de la Scandinavie est d’environ 120. Un même panier de biens est donc environ 20 % plus cher en Belgique que dans le Sud de l’Europe tandis que ce même panier est environ 20 % moins cher en Belgique qu’en Scandinavie. Niveaux des prix relatifs y compris les taxes indirectes (UE-15=100) é Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 16 16 120 115 110 105 100 95 90 1991 1992 1993 1994 DE 1995 NL 1996 FR 1997 1998 EU15 Source : Eurostat - 1999 BE 2000 2001 L’évolution des prix ne dépend bien entendu pas seulement de l’intégration ; d’autres facteurs, tels que les prix des facteurs par exemple du carburant ou du travail, les impôts indirects, la technologie, les produits intermédiaires et la productivité, influencent eux aussi dans une large mesure les prix des biens et services (DG Marché intérieur, 2002a, p. 10, 11). La convergence des prix « Au cours des années 1990, la création du marché intérieur a accentué l’intégration économique entre les États membres, ce qu’a démontré une convergence des niveaux de prix dans les États membres, passant d’un coefficient de variation de 18,9% en 1992 à 14,5% en 1998. Depuis 1998, la convergence des prix s’est arrêtée, même si des différences considérables de prix subsistent pour beaucoup de produits. En 2001, le degré de dispersion des prix entre les États membres était de 14,6%. Cette dispersion n’était toutefois que de 12% dans la zone euro. » (Commission, 2003a, p. 22). Il existe cependant encore de nombreux domaines où l’intégration et la concurrence peuvent déboucher sur une convergence des prix plus prononcée au bénéfice du consommateur. Entre 1992 et 2001, les prix de nombre de services se sont caractérisés par une divergence croissante s’accompagnant d’une hausse moyenne des prix (DG Marché intérieur, 2002b, p. 13). L’une des principales raisons de l’arrêt de la convergence des prix est le retard qui s’accumule de plus en plus dans le domaine de la transposition des directives sur le marché intérieur dans la législation nationale, retard qui est passé de 1,8 % à 2,4 % de mai 2002 à mai 2003. Seuls cinq Etats membres (Danemark, Finlande, Suède, Espagne, Royaume-Uni) respectent l’objectif du Conseil européen qui est de limiter le retard à 1,5 % ou moins. L’Italie y réussi le moins bien, suivie par le Portugal et l’Irlande (DG Marché intérieur, 2003, p. 6). 17 INTÉGRATION DES MARCHÉS DES BIENS, DES SERVICES ET DES CAPITAUX Les indicateurs de mesure de l’intégration des marchés des biens, des services et des capitaux peuvent révéler si l’un de ces marchés a une part de responsabilité plus grande dans le ralentissement général de l’intégration du marché européen. Le ralentissement de l’intégration est confirmé par une baisse du commerce intra-communautaire rapporté au PIB dans l’ensemble de l’Union en 2001, ce qui constitue la première baisse observée depuis l’achèvement du marché intérieur en 1992 (Commission, 2003a, p. 22). - Biens Ce ralentissement se manifeste dans la plupart des pays européens mais pas en Belgique ni dans l’UEBL. Cela ressort du fait que la valeur moyenne des importations et exportations de biens en % du PIB a continué à augmenter en 2001 dans l’UEBL, en Autriche et en Allemagne. Ce chiffre était en baisse dans les onze autres pays de l’UE. D’une part, le niveau de cet indicateur n’est certes pas un bon étalon de comparaison des pays entre eux. C’est ainsi qu’il y a de grands écarts géographiques et démographiques entre l’Allemagne et la Belgique. La comparaison gagnerait en représentativité si elle s’opérait entre le chiffre de la Belgique et un chiffre d’un land de l’Allemagne. Le commerce entre les länder allemands ne figure en effet pas dans le chiffre allemand. D’autre part, l’évolution de cet indicateur vers le haut est un bon repère quant à savoir si un pays s’intègre davantage dans l’économie mondiale et dans une moindre mesure pour l’économie européenne. Pour l’UE, un chiffre ne reprenant que les importations et les exportations entre les Etats membres de l’UE serait plus représentatif. - Services Malgré la baisse du commerce de biens entre les Etats membres de l’UE, les importations et exportations de services ont augmenté en 2001 dans sept Etats membres de l’UE et dans l’UEBL. La France n’a pas été au-delà du statu quo tandis que les Pays-Bas étaient l’un des cinq pays à noter une baisse. Cet indicateur nous donne l’impression que le commerce des services connaît une meilleure intégration que le commerce des biens. Pourtant, selon la Commission, le bât blesse surtout au niveau des marchés des services (voir ci-dessus). - Investissements directs En 2001, l’investissement direct étranger européen transfrontalier a enregistré sa première année de baisse depuis le milieu des années 1990 (Commission, 2003a, p. 22). Douze pays parmi les Etats membres de l’UE et l’UEBL ont connu en 2001 une baisse des impôts directs moyens entrants et sortants en % du PIB. Seule l’Italie a noté une augmentation. L’UEBL a assisté à une baisse importante des investissements directs entrants et sortants qui sont passés de 88,7 % en 2000 à 31,2 % en 2001, soit une baisse de 65 %. Dans les pays avoisinants, seule l’Allemagne a connu une baisse proportionnellement plus marquée de 68 %. La France et les Pays-Bas ont noté des baisses proportionnelles de 38 et 36 %. Réformes économiques Convergence des taux d’intérêt dans l’UE - Convergence des taux d’intérêt La mise en œuvre de la monnaie unique a permis l’intégration du marché interbancaire qui s’est reflétée dans une convergence sensible des taux d’intérêt sur les prêts bancaires depuis la fin des années 1990. La convergence des taux d’intérêt semble s’être arrêtée en 2001 et donne à penser qu’il subsiste des obstacles importants à l’intégration des marchés financiers. En revanche, la mise en œuvre du plan d’action sur les services financiers a bien progressé (30 mesures sur 42 étaient mises en œuvre en novembre 2002) (Commission 2003a, p. 23). 2000 2001 2002 é Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 18 18 60 50 40 30 20 10 0 1999 emprunts hypothécaires prêts à cout terme aux entreprises prêts à moyen et à long terme aux entreprises La convergence des taux d’intérêt s’est en effet interrompue en 2001 en ce qui concerne les prêts hypothécaires, les prêts à court terme aux entreprises et les comptes à moyen et long terme. Source : Eurostat INTÉGRATION DES SECTEURS DE RÉSEAUX L’évolution des prix des secteurs de réseaux a fait traditionnellement l’objet d’un contrôle sévère par les autorités publiques. De cette façon, elle pouvait poursuivre, par le biais de la fixation des prix, certains objectifs d’intérêt commun. La dérégulation actuelle n’a apporté que peu de changements à ce jour. Le contrôle par l’autorité publique est encore et toujours la principale explication des évolutions de prix. La seule exception est le secteur des télécommunications qui a connu de fortes baisses de prix depuis l’ouverture du marché en 1998. Cette baisse s’est essentiellement réalisée par l’arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché. S’agissant du marché de l’électricité et du gaz, l’influence baissière des réformes européennes sur les prix du transport a été contrecarrée par une augmentation des prix à l’importation du gaz et du pétrole (Van der Linden e.a., 2003, p. 31). Les prix moyens des services de réseaux ont évolué ces dernières années dans le même sens dans l’UE. En dépit de la tendance à la convergence dont font preuve la plupart des prix des services de réseaux, il subsiste d’importants écarts de prix pour des services identiques dans les divers pays de l’UE. - Secteur des télécommunications En Europe le prix des appels téléphoniques longue distance et internationaux (vers les EtatsUnis) a chuté de plus de 45 % sur la période 1998-2002. Toutefois, le prix des appels locaux n’a été que marginalement réduit sur la même période. Cette évolution différente des prix traduit en partie la nécessité pour les opérateurs historiques de rééquilibrer l’abonnement et les tarifs d’appels locaux (Commission européenne, 2003a, p. 23). 19 D’un autre côté, le prix des communications locales figure encore et toujours parmi les plus élevés de l’UE. La Belgique obtient un score moins bon que les Pays-Bas, l’Allemagne et la France. Dans les pays voisins, le tarif des appels locaux a connu une légère baisse entre 1997 et 2002, alors que le tarif en Belgique a été relevé de façon substantielle. Prix des télécommunications appels locaux é Dans le secteur belge des télécommunications, les prix des appels téléphoniques internationaux et nationaux sur le réseau fixe ont également fortement baissé. En 2002, la Belgique se situait, s’agissant de ces appels, parmi les cinq pays de l’UE les meilleur marché. Les Pays-Bas étaient le seul pays voisin où le prix était encore inférieur. 0,60 0,55 0,50 0,45 0,40 0,35 0,30 0,25 0,20 Part de marché de l'opérateur historique 1997 1998 1999 2000 2001 2002 Selon la Commission européenne, les prix élevés des communications locales seraient dus à la DE NL FR EU15 BE part de marché encore assez élevée de la plupart Source : Eurostat des opérateurs historiques européens en 2001. En effet, douze opérateurs historiques détenaient encore en 2001 une part de marché supérieure à 0,70 0,65 80 % du marché des communications locales. UK 0,60 On retrouve parmi le groupe de ces douze pays R2 = 0,107 AT 0,55 BE tant les Pays-Bas, la France et la Belgique que 0,50 l’Allemagne. Nous remarquons toutefois que, sur 0,45 DE la base des indicateurs structurels du secteur FR 0,40 DK télécom, il n’existe pas de corrélation significative 0,35 NL entre les tarifs des télécommunications et la 0,30 SE LUPT ES GR 0,25 IT part de marché de l’opérateur historique et ce FI 0,20 tant pour les communications locales que 60 65 70 75 80 85 90 95 100 nationales et internationales. On ne peut donc Prix des télécomunications (en Euro par appel de 10 min) démontrer statistiquement à partir de ces Source : Eurostat é chiffres qu’une part de marché élevée détenue Appels locaux par un opérateur historique induit un tarif de télécommunications élevé. On ne peut bien entendu pas non plus prétendre l’inverse. Nous sommes donc amenés à présumer que la part de marché est un étalon insuffisant pour mesurer la concurrence effective dans ce secteur. - Secteur du gaz et de l’électricité Selon la Commission européenne, l’ouverture progressive des marchés du gaz et de l’électricité à la concurrence s’est poursuivie en 2002. La concurrence dans le secteur de l’énergie est toutefois restée limitée. Selon les dernières données disponibles (2000), la part de marché du principal producteur d’électricité dépassait 90% en Belgique, en Grèce, en France et en Irlande. En ce qui concerne les prix de l’électricité, ils ont diminué de 9% pour les utilisateurs industriels ces cinq dernières années (1997-2002). Sur le marché moins concurrentiel des utilisateurs privés, les prix ont encore baissé de 5% en termes absolus sur la même période. Les prix du gaz, 105 Réformes économiques 20 20 Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 pour l’industrie et les particuliers, ont augmenté ces dernières années en raison de la hausse des prix du pétrole, avant d’amorcer une légère baisse en 2001 (Commission européenne, 2003a, p. 23). Les prix de l’électricité et du gaz naturel pour le secteur industriel sont tirés des données harmonisées d’Eurostat. L’interprétation de ces données en matière d’évolutions et des niveaux de prix pour l’éléctricité et le gaz naturel pour le secteur industriel exige toutefois une grande prudence. Les prix affichés ne sont pas nécessairement représentatifs des prix payés notamment par l’industrie à forte consommation énergétique. De plus, ces données ne reflètent pas totalement la grande complexité des structures des prix et des tarifs ni l’étendue de leurs variations régionales à l’intérieur d’un même pays1. D’une manière générale, les indicateurs de prix publiés masquent des pratiques de prix facturés aux entreprises qui varient selon la taille du consommateur-industriel et donc, de sa faculté à exercer une pression concurrentielle sur les fournisseurs de certains produits énergétiques. Ce phénomène est amplifié dès lors que le niveau d’ouverture des marchés entre pays européens et le degré de concurrence sur ces marchés diffèrent de pays à pays dans la phase actuelle de transition initiée par les instances européennes et la mise en place progressive des organes de régulation auxquels vient se greffer la problématique de l’interconnection des réseaux et le transport de ces sources d’énergie. Il est utile également de rappeler l’importance de la composante fiscale (éco-fiscalité, accises, impôts des sociétés,…),ou encore du financement d’éléments du service universel dans la détermination de certains prix de produits énergétiques. Il est de même difficile d’appréhender et de quantifier certaines spécificités, notamment de prix, des « grands contrats » en matière d’approvisionnement de produits énergétiques qu’elles résultent de la libéralisation accrue des marchés ou de la stratégie des sociétés mères par rapport à leurs filiales. Dans ce contexte, la donnée prix est souvent considérée par les entreprises comme un facteur stratégique du prix de revient qui ne fait pas l’objet d’une large publicité. La conjoncture économique, l’évolution des prix du pétrole et le processus de libéralisation en cours ces dernières années doivent être pris en compte dans l’analyse des fluctuations de prix pour le gaz et l’électricité. L’Allemagne, en particulier, a libéralisé totalement ses marchés énergétiques du gaz et de l’électricité à la fin des années 90. Dans un premier temps, les prix de l’électricité fournie à l’industrie, par exemple, ont très fortement baissé dans ce pays faisant apparaître un écart de prix substantiel avec la Belgique. Mais en 2001, la croissance des prix en Allemagne est repartie à la hausse avec une intensité plus forte qu’en Belgique. La France, quant à elle, connaît une baisse ininterrompue à partir de 1996 des prix de l’électricité fournie à l’industrie. Les données pour les Pays-bas ne sont plus disponibles à partir de 2000 pour les différentes catégories d’utilisateurs industriels de référence. En termes de niveau, comparés à la France, à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne, les prix de l’électricité appliqués en Belgique seraient relativement plus élevés pour la majorité des entreprises. Par contre pour les très gros utilisateurs industriels (70.000 MWh), les prix de l’électricité seraient assez favorables comparés à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne (pays pour lesquels les données sont disponibles). Une étude internationale récente confirme ce constat pour la Belgique et précise que pour les pays de référence, la France a le niveau de prix de l’électricité le plus 1 Une approche approfondie sous l’angle de la compétitivité nécessiterait la prise en compte du poids de chaque type d’énergie dans la consommation d’énergie totale et du poids de la consommation d’énergie dans les inputs des entreprises. Actuellement, les difficultés méthodologiques comme la disponibilité de données issues de matrices économétriques comparables au niveau international ne permettent pas la formalisation de ces éléments de pondération. 21 favorable pour les principales catégories d’utilisateurs industriels (European Electricity Prices Observatory, juillet 2002). L’handicap tarifaire belge par rapport aux pays voisins semble principalement se situer dans l’activité de distribution. Elle reflète dans une certaine mesure la prise en compte par les pouvoirs publics de maintenir, pendant la période de transition vers le marché libéralisé, certaines spécificités, dites extra-tarifaires, de la formation des prix de l’électricité en Belgique, notamment le fait que les dividendes versés par les intercommunales de distribution constituent une source importante de financement des pouvoirs communaux. Prix de l’électricité (euro par kWh, hors TVA) é 0,15 0,11 Consommateur industriel 160 MWH Consommateur industriel 2000 MWH 0,14 0,1 0,13 0,09 0,12 B A F NL UK 0,11 0,1 B A F NL UK 0,08 0,07 0,09 0,06 0,08 0,07 jul/03 jul/02 jul/01 jul/00 jul/99 jul/98 jul/97 jul/96 jul/95 jul/94 jul/93 jul/92 jul/90 Source : Eurostat jul/91 0,05 jul/03 jul/02 jul/01 jul/00 jul/99 jul/98 jul/97 jul/96 jul/95 jul/94 jul/93 jul/92 jul/91 jul/90 0,07 Source : Eurostat 0,14 Consommateur industriel 70.000 MWh Consomation domestique (3500 kWh/an) 0,13 0,065 0,12 jul/02 jan/02 jul/01 jan/01 jul/00 jan/00 jan/98 jul/03 jul/02 jul/01 jul/00 jul/99 jul/98 jul/97 jul/96 jul/95 0,07 jul/94 0,035 jul/93 0,08 jul/92 0,04 jul/91 0,09 jul/90 0,045 Source : Eurostat EU15 BE DE FR NL 0,1 jul/99 0,05 0,11 jan/99 0,055 jul/98 B A F NL UK Euro/kWh 0,06 Source : Eurostat : par l’intermédiaire du Bureau fédéral du Plan : Prix actuels hors TVA et impôts Les prix de l’électricité pour les ménages sont en Belgique parmi les plus élevés d’Europe. En 2001, ils étaient supérieurs d’environ 15 % à la moyenne européenne. L’écart s’amenuise toutefois et a été ramené à 10 % en janvier 2002 et à 9 % en juillet 2002 (van der Linden e.a. 2003, p. 60). Jusqu’au début de 2001, le prix du gaz aux consommateurs industriels et particuliers captifs (qui ne peuvent acheter leur gaz qu’auprès d’un seul fournisseur) était plus élevé en Belgique que dans Réformes économiques les pays voisins, l’Allemagne étant cependant une exception. L’écart était plus important pour les particuliers que pour l’industrie. En 2001, le prix du gaz pour ces deux groupes de consommateurs a diminué plus rapidement en Belgique que dans les autres pays et s’est finalement établi sous la moyenne de l’UE (Van der Linden e.a., 2003, p. 69). Prix du gaz é 11 9 Consommation domestique (83,7 GJ/an) Consommation industrielle (41860 GJ/an) 8 10 7 Euro/GJ 8 7 6 5 BE DE FR NL Source : Eurostat : par l’intermédiaire du Bureau fédéral du Plan : Prix actuels hors TVA et impôts EU15 BE DE FR 20,5 20,0 19,5 19,0 18,5 18,0 17,5 Les progrès réalisés à ce jour en matière de réformes économiques peuvent avoir un effet sur l’investissement des entreprises. Ce dernier est passé de 17,1% du PIB en 1996 à 18,3% du PIB en 2000. Toutefois, en 2001, il est descendu à 17,8% du PIB, ce qui peut indiquer que l’augmentation de l’investissement des entreprises était due au moins partiellement à la période de haute conjoncture dans les économies européennes à la fin des années 1990 (Commission européenne, 2003a, p. 25). 17,0 16,5 16,0 15,5 15,0 BE Source : Eurostat jul/02 jan/02 NL Source : Eurostat : par l’intermédiaire du Bureau fédéral du Plan : Prix actuels hors TVA et impôts INFLUENCE DES RÉFORMES ÉCONOMIQUES SUR LES INVESTISSEMENTS DES ENTREPRISES Formation brute de capital fixe par le secteur privé (% PIB) jul/01 jan/01 jul/00 jan/00 jul/99 jan/99 jan/98 jul/02 jan/02 jul/01 jan/01 jan/00 jan/99 EU15 jul/00 2 jul/99 5 jul/98 3 jul/98 4 6 jan/98 Euro/GJ 9 é Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 22 22 Les investissements des entreprises ont également diminué en Belgique et dans les pays voisins en NL DE EU15 FR 2000 2001 2001. Grâce à une formation brute de capital de 19,3 % du PIB, la Belgique occupait la quatrième place européenne. Les Pays-Bas et l’Allemagne suivaient de près avec respectivement 18,5% et 18,4 % ; ces pays occupaient donc les septième et huitième places. Avec 16,9 %, la France se classait en treizième position européenne et notait en outre un pourcentage inférieur à la moyenne européenne de 17,8 %. 23 SECTEUR PUBLIC Les objectifs des réformes économiques de la stratégie de Lisbonne pour le secteur public figurent dans le tableau ci-dessous. Ces objectifs sont essentiellement axés sur l’amélioration des processus administratifs, la réduction des aides d’Etat spécifiques et la garantie de services publics de qualité. Les deux indicateurs de réformes économiques concernant le secteur public sont la valeur des marchés publics selon la procédure ouverte et les subsides publics sectoriels, exprimés tous deux en % du PIB. Ces deux indicateurs sont liés à l’objectif de réduction des aides publiques spécifiques. Les chiffres concernant l’amélioration des processus administratifs et la qualité des services publics ne figurent pas parmi les indicateurs structurels. OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE POUR LE GOUVERNEMENT - Porter le pourcentage de transposition des directives sur le marché intérieur à 98,5% (objectif fixé à Stockholm) - Porter le pourcentage de transposition des directives sur le marché intérieur en retard de plus de deux ans à 100% (objectif fixé à Barcelone) - Accroître l’ouverture des marchés publics. Réduire les coûts inhérents aux activités commerciales et à la bureaucratie - Introduire un système amélioré d’évaluation d’impact des propositions communautaires - Poursuivre la réduction du niveau des aides d’État en pourcentage du PIB et réorienter les aides vers des objectifs horizontaux. - Favoriser un environnement concurrentiel pour les entreprises en éliminant la concurrence fiscale préjudiciable aux entreprises - Promouvoir des services publics de qualité Source : Commission européenne (2003)a, p. 23. Réformes économiques MARCHÉS PUBLICS La valeur des appels d’offres publics publiés au Journal officiel par rapport à la valeur totale des marchés publics est restée inchangée à 15% entre 2000 et 2001 (Commission européenne 2003a, p. 23). 3,0 2,5 2,0 1,5 1,0 0,5 0,0 BE Source : Eurostat é Valeur des marchés publics passés selon la procédure ouverte (% PIB) Aides d’État sectorielles et ad hoc (en % du PIB) é Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 24 24 Ces dernières années, les marchés publics selon la procédure ouverte ont augmenté chaque année en Belgique pour atteindre une valeur de 2,78 % du FR NL EU15 DE PIB. La Belgique occupe ainsi la sixième place 2000 2001 européenne en 2001. La France et les Pays-Bas suivent de près avec 2,77 et 2,58 % et occupent les septième et huitième places. L’Allemagne se classait dernière avec 0,96 %. AIDES D’ÉTAT SECTORIELLES Pour l’ensemble de l’Union, les aides d’État (y compris les aides horizontales, sectorielles et ponctuelles) sont passées de 1,3% du PIB en 1996-1998 à 1,1% du PIB en 1998-2000. Cette baisse du total des aides d’État peut être attribuée intégralement à la diminution de 0,2 point des aides sectorielles et ponctuelles en pourcentage du PIB. Les niveaux d’aide ont baissé dans tous les États membres sauf au Danemark, en Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas. Dans cette optique, il est utile de rappeler les engagements pris par les États membres à Stockholm et Barcelone de faire apparaître une réduction des niveaux d’aides d’ici 2003. Pour sa part, la Commission poursuit ses efforts en vue de simplifier les règles communautaires relatives aux aides d’État, de les moderniser et d’en clarifier l’application pour les rendre plus efficaces (Commission 2003a, p. 24). 1,3 1,2 1,1 1,0 0,9 0,8 0,7 0,6 1997 Source : Eurostat En Belgique, les aides d’Etat sectorielles exprimées en % du PIB ont diminué plus lentement entre 1997 et 2000 qu’en Allemagne et en France. Les aides d’Etat en % du PIB étaient dans ces deux pays supérieures aux aides octroyées en Belgique. Trois ans plus tard, en 2000, l’aide publique était plus restreinte en Allemagne et en France. Les Pays-Bas ont enregistré dans l’intervalle une tendance haussière pour atteindre 1998 1999 2000 finalement le même chiffre que la France et DE NL FR EU15 BE l’Allemagne. Les aides d’Etat sectorielles de la Belgique exprimées en % du PIB se sont entre-temps amplifiées pour s’octroyer la troisième place en Europe. Cette situation s’explique par la situation atypique du transport ferroviaire en Belgique en comparaison du système de référence européen. Près de 65 % des aides d’Etat totales ont été réservées au rail entre 1998 et 2000. Il s’agit d’un pourcentage bien plus élevé que la moyenne européenne de 40 %. Si nous ne tenons pas compte du rail, nous pouvons franchement qualifier la Belgique de bon élève européen (Ministère des Affaires économiques 2003, p. 5). 25 BIBLIOGRAPHIE COMMISSION EUROPEENNE (2003a), Document de travail des services de la Commission à l’appui du rapport de la Commission au Conseil européen de printemps du 21 mars 2003 sur la stratégie de Lisbonne pour le renouveau économique, social et environnemental, SEC (2003) 25, 155 p. COMMISSION EUROPEENNE (2003b), Third European Report on Science & Technology indicators, 451 p. COMMISSION EUROPEENNE (2003c), Opter pour la croissance : connaissance, innovation et emploi dans une société fondée sur la cohésion, Rapport de la Commission au Conseil européen de printemps du 21 mars 2003 sur la stratégie de Lisbonne pour le renouveau économique, social et environnemental, 49 p. COMMISSION EUROPEENNE (2002d), Commission Communication of 16 October 2002 on Structural Indicators, 25 p. COMMISSION EUROPEENNE (2002c), Towards a European Research Area, Science, Technology and Innovation, Key Figures 2002, 25 p. COMMISSION EUROPEENNE – DG Marché intérieur (2002), Réforme économique – Rapport sur le fonctionnement des marchés communautaires des produits et des capitaux dans l’UE, 22 p. COMMISSION EUROPEENNE – DG Marché intérieur (2002a), Annex 1 to the report on the functioning of product aan capital markets, 38 p. 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GUSBIN, C. KEGELS , P. VANDENHOVE et M. van OVERBEKE (2003), “Network industries in Belgium, economic significance and reform”, Bureau fédéral du Plan, Working paper, n° 1, janvier 2003, 93 p. è PAUVRETÉ ET EXCLUSION SOCIALE 26 Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 Conseil Central de l’Economie “L’Europe vue d’en bas” Dans le cadre des travaux que le Conseil central de l’économie consacre actuellement au chapitre « Pauvreté et exclusion sociale » du deuxième Plan Fédéral de Développement Durable 2004-2008, la sous-commission mixte “Lutte contre la pauvreté” a reçu le 19 décembre dernier Stephen Bouquin, maître de conférences à l’Université Picardie-Jules Verne d’Amiens et auparavant chercheur à l’Interuniversitair Instituut voor de Studie van de Arbeid (VUB). Stephen Bouquin a mené en collaboration avec Estelle Krzeslo (ULB) la partie belge d’une recherche sur l’Europe de la précarité, “Minima sociaux et condition salariale - L’Europe vue d’en bas”. Cette enquête, dont le rapport final est disponible depuis janvier 2002, a été financée par la Direction générale Recherche de la Commission européenne dans le cadre du quatrième programme-cadre. Cette enquête qui a démarré début 1998 pour s’achever en 2001 consiste en une comparaison des minima sociaux (entendez par là les revenus de remplacement, à savoir les pensions et les indemnités de maladie et d’invalidité) dans quatre pays : Belgique, France, Allemagne et Royaume-Uni. UNE “NOUVELLE” PAUVRETÉ L’enquête porte sur les problématiques du chômage, de la réinsertion professionnelle, de la paupérisation et des « nouveaux » pauvres. La « nouvelle » pauvreté est liée au déficit d’emploi propre à la période allant de la seconde moitié des années ’70 à nos jours et qui se différencie de la pauvreté résiduelle qui a marqué les années ’50, ’60 jusqu’au début des années ’70. L’enquête repose à la fois sur des projets de recherche existants et des données de nature quantitative et analytique que sur des interviews en profondeur (quelque 400) de témoins privilégiés, tant des personnes directement concernées (les allocataires) que des personnes qui sont en première ligne (des animateurs de comités et d’associations actives dans le quart monde et des fonctionnaires des CPAS) Les enquêteurs ont adopté une méthode longitudinale qui leur à permis de rencontrer les témoins à plusieurs reprises via des interviews collectives ou en concentrant leurs activités en certains lieux. Pour la Belgique, il s’est agi d’Anvers, de Charleroi et dans une moindre mesure de Bruxelles. Pour la France, ce fut la région lilloise dans le Nord, la banlieue parisienne et la Lorraine. Les enquêteurs ont tout d’abord comparé la situation sociale des allocataires et la situation sociale des personnes qui touchent une faible rémunération au titre de leurs prestations. Ils ont ensuite procédé à une comparaison entre les chômeurs et les personnes inscrites dans un programme de réinsertion ou d’intégration. Enfin, partant du cas de victimes de licenciements collectifs ou de restructurations dans l’industrie, ils ont étudié l’évolution de l’emploi (le statut). Dans les quatre pays de référence (Belgique, France, Allemagne et Royaume-Uni) les allocations diminuent entre 1980 et 1998 en termes de volume, de durée, d’accessibilité et de taux de couverture (c’est-à-dire le rapport entre le nombre de bénéficiaires d’une allocation et les chômeurs). La lutte contre la pauvreté s’inscrit en priorité de la politique sociale et gagne du terrain dans la politique de l’emploi. 27 Etant donné que les mécanismes de protection sociale des régimes de sécurité sociale associent des principes de solidarité ou de lutte contre la pauvreté, il en résulte une augmentation des minima sociaux, au détriment des mécanismes de protection des régimes de sécurité sociale qui perdent du terrain. Le lien entre la formation salariale et les minima sociaux est mis sous pression. En d’autres termes, les minima sociaux ne sont plus indexés ou déterminés en fonction de(s) (la durée des) allocations et du dernier salaire, mais deviennent forfaitaires. Il ne s’agit pas toujours de la conséquence immédiate de certaines mesures visant à enrayer la pauvreté, mais plutôt le résultat de l’introduction de mesures en faveur des ménages ou de mesures de soutien à l’égard des revenus de certaines catégories de la population. En France, au Royaume-Uni, en Allemagne et, dans une moindre mesure, en Belgique, de nouvelles allocations voient le jour. Récemment, on a vu apparaître de nouvelles formes de contractualisation d’allocations octroyées antérieurement, soit de manière inconditionnelle, soit selon le (les garanties collectives et la protection liées au) statut du travailleur. Il est dès lors possible de cumuler les revenus du travail et les minima sociaux. L’Allemagne et l’Espagne ont lancé le débat sur la norme d’un emploi « acceptable ». La pauvreté augmente parmi les personnes bénéficiaires de revenus de remplacement. Le taux de pauvreté de la population au chômage augmente, dans des proportions différentes selon les pays. Entre 1985 et 1995, la part de « chômeurs pauvres » (c’est-à-dire des chômeurs vivant sous le seuil de pauvreté – soit un revenu inférieur à la moitié du revenu moyen)a augmenté : elle est passée de 28% à 47% en Belgique ; de 23 à 24% en France ; de 35 à 41% en Allemagne et de 32 à 50% au Royaume-Uni. Le fait que le nombre de « chômeurs pauvres » progresse davantage en Belgique qu’en France résulte du degré de couverture plus élevé en Belgique qu’en France, c’est-à-dire qu’en Belgique (à l’inverse de la France), tous les allocataires sociaux sont comptabilisés dans la catégorie chômeurs. Au Danemark et en Suède, où la population au chômage bénéficie, tout comme en Belgique, d’un taux de couverture élevé, la part des « chômeurs pauvres » y est restée stable, soit respectivement 8 et 27%. CHÔMAGE À DEUX VITESSES On observe au sein du chômage une polarisation interne entre les chômeurs de longue durée qui aboutissent dans des programmes dont l’objectif principal est la lutte contre la pauvreté et une couche supérieure où les flux entrants et sortants sont en augmentation, tant en termes de volume que de fréquence. Cette polarisation interne du chômage s’accompagne d’une segmentation qui est le résultat d’une configuration institutionnelle (les conditions d’accès aux droits sociaux et la nature de ceux-ci) qui peut largement varier selon les pays/régions, le degré de scolarité, le sexe et les caractéristiques locales/régionales du marché de l’emploi. L’offre d’emplois demeure un facteur prépondérant. La région de Lille dans le Nord de la France, par exemple, combine chômage élevé et activité économique continue ou nouvelle, créatrice d’emplois peu qualifiés dans les secteurs du transport et de la logistique. Cette région présente, à la fois, un flux sortant considérable, et une pauvreté importante. Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 28 28 “L’Europe vue d’en bas” Les paramètres locaux au sein d’une même configuration institutionnelle déterminent la situation sociale des personnes concernées. Dans la région de Lille, le marché du travail continue de fonctionner. A Charleroi, par contre, le marché de l’emploi des personnes peu qualifiées est au point mort ; il se pose par ailleurs un problème de mobilité pour les personnes inscrites dans des programmes de formation (recyclage). A l’inverse, le Luxembourg est le pôle d’attraction des personnes très qualifiées. Les mesures politiques déterminent les modes de (dys)fonctionnement du marché de l’emploi. La mobilité interrégionale est plus forte en Allemagne, en France et au Royaume-Uni qu’en Belgique. Par ailleurs les programmes de soutien y sont mieux harmonisés que chez nous. La réinsertion professionnelle est le fil conducteur de tous programmes d’emploi ou de lutte contre la pauvreté. Pour ce qui est des chômeurs de longue durée inscrits dans des programmes de mise au travail, tel celui du Revenu minimum d’Insertion (RMI) en France, il est très difficile d’intégrer le marché de l’emploi durable. Une étude longitudinale parmi les RMI-istes, en France, montre que la réinsertion est très minime. Seul un cinquième d’entre eux trouve un emploi et dans ces 20%, seule la moitié a encore un emploi au bout de deux ans. La réinsertion ne permet pas aux chômeurs de longue durée de réacquérir les droits sociaux attachés au chômage de longue durée. Il existe une spirale pauvreté/chômage qui n’est pas due aux particularités du chômeur, mais bien au type même de l’offre d’emploi. Il a été demandé à des chômeurs de courte durée (entendez par là les chômeurs de moins d’un an) ce qu’ils accepteraient ou refuseraient comme type de conditions de travail. 84% d’entre eux acceptent la flexibilité des horaires ; 62% acceptent un autre emploi ; 33% un emploi moins bien rémunéré ; 31% un emploi moins qualifié ; 26% un emploi avec une charge de travail plus lourde ; 23% acceptent de déménager ; 20% acceptent un travail temporaire. Les chômeurs de courte durée se disent davantage prêts à accepter des horaires plus flexibles et/ ou un autre emploi plutôt qu’un emploi moins rémunéré. Le fait que les chômeurs de courte durée se disent prêts à s’adapter ne veut pas dire qu’ils le font volontiers. Ils s’adaptent faute d’autres possibilités. La volonté de s’adapter s’émousse avec le temps. Au Royaume-Uni, les demandeurs d’emploi perçoivent négativement la sélectivité sur le marché de l’emploi. Il a été demandé à 500 demandeurs d’emploi pourquoi ils avaient refusé ou n’avaient pas obtenu un emploi déterminé. 17% ont déclaré être trop âgés. 15% évoquent un handicap physique ou des problèmes de santé, 11% déclarent avoir refusé un emploi parce que insuffisamment rémunéré. Dans 10% des cas, l’employeur leur reproche un manque d’expérience ou de qualification. Un peu moins de 10% accusent la trop forte concurrence et la pénurie d’emplois disponibles : ils déclarent ne pas avoir trouvé de travail par manque d’emplois et parce qu’ils ont été devancés par d’autres. 7% incriminent le fait d’être au chômage depuis trop longtemps. Moins de 7% mentionnent des problèmes de garde d’enfants, de manque de formation, de problèmes de mobilité, de discrimination ethnique et l’existence d’un casier judiciaire. Les facteurs susmentionnés font que les chômeurs de courte durée, et parmi eux principalement les plus qualifiés (entendons par là les jeunes qui sont les plus réceptifs à la mobilité), ont, lors du recrutement, priorité sur les chômeurs de longue durée. 29 Il n’est pas aisé d’interroger un chômeur de longue durée sur sa façon de vivre avec un minimum de revenus (c’est-à-dire sous le seuil de pauvreté). Les chômeurs de longue durée qui n’ont que le revenu minimum ont du mal à s’exprimer, cachent leurs émotions et culpabilisent. Ils craignent d’être observés en raison des stratégies de survie qu’ils utilisent. D’autre part, ils ne savent pas à quoi serviront les résultats de l’enquête. Pour se faire une idée de la façon de vivre avec un revenu minimum, il est primordial d’établir un climat de confiance entre les enquêteurs et ces personnes. Il est essentiel que les enquêteurs interrogent ces personnes en présence de responsables des comités de chômeurs, d’associations actives sur le terrain du quart-monde. En effet, cela leur évite d’être perçus comme étant les « scientifiques » ou les « alliés des institutions » que ces personnes pauvres vivent comme une menace et qui, à leur yeux, n’ont guère, voire pas du tout, de légitimité. Vivre avec un revenu minimum équivaut à vivre dans une (quasi) pauvreté, dans un monde subjectif dans lequel les personnes démunies se considèrent comme inutiles, inutilisables, non rentables, invendables. Le mode de vie des personnes qui vivent avec un minimum de moyens d’existence varie d’un jour à l’autre. Elles n’ont aucune perspective d’avenir, n’ont aucun projet de vie et préfèrent ne pas se retourner sur leur passé. Leur rythme de vie se ralentit, au sens où elles remettent à plus tard ce qu’elles pourraient encore faire le jour même, puisque de toute façon cela ne change (pratiquement) rien à leur condition. Ce ralentissement n’est en rien de l’oisiveté. En effet, la pise en charge réelle de leur cas personnel est un boulot à temps plein. Il leur faut une journée entière pour régler un problème mineur. CRÉER UN GUICHET UNIQUE Il est indispensable de créer un guichet unique où les personnes vivant avec un minimum de moyens d’existence puissent s’adresser. Ces personnes aux revenus minimums négligent de régler leurs problèmes de papiers. Après un certain temps, ces personnes s’adressent à un guichet quelconque et se voient ensuite ballottées de l’un à l’autre. Souvent, elles doivent se représenter parce qu’il leur manque l’un ou l’autre papier. Elles sont alors de nouveau envoyées d’un guichet à l’autre. Quand le problème devient inextricable, il est important pour ces personnes de rencontrer un assistant social. Exemple : Une personne au revenu minimum se retrouve sans le sou et constate à la mi-novembre qu’elle n’a plus une goutte de mazout de chauffage alors qu’elle doit remplir son poêle à mazout si elle veut qu’il continue de fonctionner. Cette personne se rend au CPAS dans l’espoir de recevoir de l’argent encore le jour même. Mais le personnel du CPAS l’informe qu’elle ne peut recevoir d’argent que sur présentation d’une facture. Le fournisseur de mazout ne délivrant de facture acquittée qu’après paiement, l’allocataire se retrouve pour le reste du mois de novembre sans mazout de chauffage. Il acquittera sa facture lorsqu’il touchera ses allocations de décembre et se chauffera, en attendant, à l’électricité, augmentant ainsi sa facture d’électricité – même si sa consommation d’électricité reste limitée – se privant à cette occasion d’autre chose. Les minimexés perdent courage à régler, des journées entières, des problèmes qui font partie de la vie quotidienne et sont psychologiquement très fragilisés. Ils font appel à une stratégie de survie qui repose sur la réciprocité (par ex. si je peux utiliser votre lave-linge, je vous rendrai un autre Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 30 30 “L’Europe vue d’en bas” service en contrepartie). Il s’agit d’une économie morale où l’argent n’a guère sa place, une économie qui obéit à ses propres codes et qui implique un fort contrôle social, c’est-à-dire une économie qui sanctionne et/ou rejette certains comportements. Certes, les personnes aux revenus minimums désireuses de sortir de leur condition sociale (leur pauvreté) sont soutenues dans leur démarche par leur famille, cela étant nécessaire, mais non par leur entourage (quartier, dans les cafés) qui les qualifient de naïfs. Les relations entre les générations (entre parents pauvres et leurs enfants) sont mises à mal. Ce que des parents pauvres estiment impossible pour eux, ils l’exigent de leurs enfants. Mais des enfants qui voient chaque jour leurs parents faire appel à toutes sortes de stratégies pour survivre perdent courage, doivent livrer une bataille psychologique pour réussir du mieux qu’ils peuvent à l’école, décrochent parfois un emploi du type Rosetta ou similaire qui, au bout du compte, ne sera vraisemblablement que temporaire. Certains employeurs exploitent ces jeunes (de parents pauvres) dans le cadre de stages dans leur entreprise. Ces stages permettent d’embaucher ces jeunes pour une brève période et de les remplacer ensuite par d’autres qui répondent aux mêmes caractéristiques. S’il est vrai que ces jeunes ont fait quelque chose pendant ces stages, voire y ont appris quelque chose, cela ne leur est de toute façon d’aucune utilité par après. Il est question d’une consolidation de la population qui se retrouve d’abord au chômage, ensuite prise dans l’engrenage de la pauvreté, qui en sort par la suite pour y replonger ensuite. Lorsque des personnes vivant d’un revenu minimum ne font plus d’efforts pour sortir de la pauvreté, cela ne tient pas de l’oisiveté, mais bien plus du fait qu’ils sont conscients de la très forte probabilité de ne pas s’en sortir. Il en coûte souvent moins de rester dans cette pauvreté que d’en sortir Retrouver du travail pour sortir de la pauvreté s’accompagne de problèmes de mobilité, de dépenses, de garde d’enfants, de flexibilité et d’horaires irréguliers. Ces problèmes sont encore plus difficiles à résoudre pour les femmes que pour les hommes. Par contre les hommes peu qualifiés sont davantage confrontés que les femmes (tout au moins dans le secteur des services) au déficit d’emplois. INCOMPRÉHENSION ET SENTIMENT D’INJUSTICE Relativement peu des personnes interrogées culpabilisent face à leur situation sociale (leur pauvreté). Les personnes interviewées ne comprennent pas grand-chose aux mesures, règles et réglementations existantes. Elles qualifient les institutions de menaçantes, d’inefficaces et d’inéquitables. Injustes parce qu’elles constatent (de par leur approche individualisée) que certaines personnes parviennent à sortir de la pauvreté, tandis que d’autres pas. La seule catégorie de population qui culpabilise à l’égard de la société est celle qui a une certaine éthique de travail et qui, comme indépendant, se retrouve socialement vulnérable à la suite d’un accident (ex. un chauffeur indépendant, un commerçant indépendant, un salarié sous statut d’indépendant). Il s’agit d’une catégorie de la population qui n’a jamais ressenti le régime de la sécurité sociale comme étant le produit de l’Etat-providence, qui ne s’est jamais considérée comme 31 en faisant partie. Cette catégorie a toujours dû tracer sa propre voie et la sécurité sociale dont elle peut bénéficier est moins accessible, alors qu’elle va de soi pour les autres catégories de la population. Cette catégorie de la population qualifie les chômeurs de longue durée de parasites. Au Royaume-Uni, le travail au noir y étant contrôlé tellement efficacement qu’il n’y existe pratiquement pas. En Belgique (et plus spécialement à Charleroi), le travail au noir n’est guère présent car, d’après les chômeurs qui ont vécu la crise industrielle de la fin des années ’70 – début des années ‘8O, le travail au noir va de paire avec l’intégration sociale (avoir des connections sociales). Vous avez plus facilement une économie informelle et des possibilités de compenser des pertes de revenus quand vous êtes intégré dans le circuit du travail. Exemple : Ce qui tombe du camion du fournisseur peut toujours être redistribué et/ou revendu. Si vous avez intégré le circuit du travail, il est possible de faire des heures supplémentaires au noir et/ou de faire du travail au noir chez des particuliers. Les chômeurs de longue durée, contrairement aux personnes qui ont intégré le circuit du travail, n’ont (pratiquement) aucune occasion de travailler au noir. On ne fait pas ou guère de marché noir avec ce que l’on obtient des paniers alimentaires ou de la banque alimentaire et/ou la wasserette sociale ne leur permet pas (ou peu) de gagner de l’argent. La présence d’illégaux ou de sans-papiers (dans le secteur du textile et de la confection, le secteur du bâtiment, du transport…) commence à peser sur notre marché du travail. Vivre avec un minimum de moyens d’existence s’accompagne d’une augmentation des dettes. En Belgique, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, 40 à 50% des personnes interrogées accusent un retard structurel dans le paiement de leurs factures. En Belgique, 38% des personnes interrogées ont un prêt en cours, ce qui signifie qu’elles sont débitrices auprès des banques. 19% (près de 1 sur 5) des personnes interrogées ont des retards de loyers. De plus en plus de personnes interviewées reconnaissent avoir des dettes auprès des institutions liées à leur carte de crédit qui les délivrent. Il est très dangereux de contracter un prêt auprès d’une institution de crédit B pour rembourser le crédit contracté auprès d’une institution A. Ces formes de crédit cash sont de plus en plus utilisées pour payer des factures. EFFETS PERVERS Le cumul d’allocations et de salaire (par ex le combilohn en Allemagne, the working family’s tax credit au Royaume-Uni, le RMI en France et les titres-services en Belgique) est un phénomène récent à la limite de la lutte contre la pauvreté et de la réinsertion professionnelle. Ces systèmes de cumuls permettent aux individus d’augmenter(ponctuellement) le revenu du ménage, mais ils entraînent, sur le plan collectif, une stagnation, voire une spirale à la baisse, du revenu du ménage. Les systèmes qui associent cumul et situation du ménage comme le working famaily’s tax credit au Royaume-Uni donnent lieu, à (plus) long terme, à une stagnation des revenus des ménages. Lorsqu’une place est proposée à un des conjoints et que celui-ci l’accepte, le ménage perd la possibilité de cumuler, le revenu du ménage restant inchangé. Le fait que les personnes n’ont aucun intérêt à sortir d’un tel système de cumuls et à accepter un travail durable renforce la segmentation, et ce d’autant plus dans un contexte (caractéristique pour le Royaume-Uni) où le nombre de « working poor »progresse. Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 32 “L’Europe vue d’en bas” Dans 40% des emplois à temps partiels du Royaume-Uni, le salaire mensuel est inférieur à 400 euro, soit un salaire comparable à celui des temps partiels en Belgique. Nombre de mesures politiques ont pour effet d’augmenter le nombre des personnes en transit et de les contraindre (par des sanctions) à sortir du régime de la sécurité sociale. Ils aboutissent ainsi par la suite dans le système parallèle de la lutte contre la pauvreté et de l’aide sociale. On ne peut pas parler d’une cohésion sociale accrue, mais bien d’une flexibilisation croissante de nature négative, c’est-à-dire un émiettement des statuts sociaux et des situations qui concerne à la fois les normes en matière de revenu et d’emploi. Il importe de renverser la tendance de la recommercialisation de l’emploi. L’Etat-providence e engendré une tendance à la recommercialisation du travail, le travail redevenant un bien susceptible d’être (re)loué et échangé. Cette tendance, positive pour les plus qualifiés car elle tend à augmenter leurs revenus, s’avère néfaste pour les moins qualifiés puisqu’elle diminue leurs revenus. Aux yeux des catégories les plus vulnérables de la population, l’approche « capital humain » qui est au cœur de la politique et des directives européennes en matière d’« employabilité » et d’ « adaptabilité », se traduit par une paupérisation en termes de normes absolues et relatives, par une pauvreté croissante parmi les « non actifs », par une désolidarisation accrue et un estompement des valeurs. On relève au jour d’aujourd’hui une réelle nécessité d’avoir un débat sur les équilibres sociaux généraux et le partage de la richesse collective. Divers modèles sociaux jalonnent l’Europe. Les rigidités du modèle scandinave, par exemple, sont de nature différente de celles des autres modèles. Les acteurs s’y adaptent d’une manière ou l’autre à l’environnement de sorte à maintenir une certaine durabilité, non seulement sur le plan social, mais aussi économique. Le modèle scandinave présente un degré de cohésion sociale relativement plus élevé que dans les autres modèles et ne se traduit pas nécessairement par une moins grande flexibilité. è PAUVRETÉ ET EXCLUSION SOCIALE L’interview de Stephen Bouquin Stephen Bouquin, vous avez participé à l’enquête « Minima sociaux et condition salariale – L’Europe vue d’en bas », une recherche réalisée dans le cadre du programme TSER de la DG Recherche de la Commission européenne. Comment en résumer les constats ? Stephen Bouquin : A partir de 1975, avec l’apparition du chômage de masse, s’est engagé un processus d’érosion de la protection et de la sécurité de l’emploi. Les formes d’emploi atypiques, intérimaires, à durée déterminée, à temps partiels, ont commencé à faire nombre. Discours et pratiques sur la modernisation de la protection sociale se sont relayés pour imposer un modèle nouveau qui a pris forme dans les années ’90. Ce modèle s’ajoute, certes, à des modèles nationaux qui conservent leur spécificité. Mais tous, néanmoins, déclinent des tendances convergentes qui modifient semblablement les conditions de vie de la population dans toute l’Europe, plus particulièrement dans la catégorie sur laquelle notre enquête s’est concentrée, à savoir celle des bénéficiaires d’allocations de remplacement. Ceux-ci, tout particulièrement, ont perdu un degré significatif de sécurité d’existence. Leur intégrité physique n’est plus assurée comme par le passé. La quiétude qu’offraient les prestations sociales qui permettent de se soigner, de se loger, de se nourrir, de se vêtir, de s’éduquer… n’existe plus vraiment pour une partie de la population des pays d’Europe. Ce modèle, de nature libérale faut-il le rappeler, se fonde sur une logique qui tend à mobiliser l’ensemble des allocations et des minima sociaux pour faciliter la création de certains types d’emplois. Ainsi, les revenus de remplacement deviennent-ils des complémentes de salaire pour des « petits boulots » non qualifiés et n’assurant aucun avenir, ni professionnel, ni personnel. Mais, dans le même temps, les gouvernements ont parfois également instauré de nouveaux minima sociaux, tel le RMI en France, afin de lutter contre la pauvreté. Comme ces minima sont en général dissociés du travail ou du parcours professionnel, nous voyons qu’il sont d’autant plus facilement activés ou rendus conditionnels. Quelles conséquences cette forme nouvelle de protection sociale a-t-elle sur la société et la vie quotidienne des gens ? S.B. : Les inégalités que l’on décèle dans tous les domaines de l’exercice des droits sociaux concourent globalement à fragiliser la société dans son ensemble. Simultanément, les personnes sont soumises à une multiplicité de dispositifs et de statuts qui morcellent les soldarités collectives et créent autant de « situations ». Pour ce qui est des individus, la conséquence la plus importante de ces politiques de remise au travail est le contrôle minutieux que l’administration exerce sur les chômeurs. Une autre conséquence est que ni les revenus procurés par un travail précaire, ni les allocations sociales ne permettent de couvrir les besoins essentiels. Ceux qui sont touchés par la pauvreté et la précarité doivent, pour survivre, accomplir des démarches en tous genres, la plupart du temps administratifs il faut le dire. Comme nous le disaient certaines des personnes rencontrées, « être chômeur, c’est un boulot à plein temps » … Plus étonnant est le fait que le recours aux moyens « parallèles » (travail au noir) indispensable pour disposer de revenus supplémentaires est plutôt rare parmi les chômeurs de longue durée. On ne fait pas non plus du marché noir ou du troc avec ce que l’on reçoit de la banque alimentaire … Cela étant, un marché du travail parallèle se développe où se recrutent des personnes aux capacités très variées pour des travaux pénibles et contre des salaires extrêmement faibles. Mais ces personnes sont la plupart du temps des « sans papiers » ou des personnes en transit plus ou moins permanent, tels les européens de l’Est en Belgique. La disponibilité d’une telle main-d’œuvre permet de parler d’une forme de « délocalisation sur place » et leur non régularisation fait partie des politiques d’emploi. 33 33 Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 34 34 L’interview de Stephen Bouquin Pourquoi les conclusions de l’enquête soulignent-elles que la poursuite du plein-emploi à tout prix dissout la relation salariale? S.B. : Précisons d’abord que les politiques actuelles poursuivent plutôt l’objectif d’une « pleine activité » qu’un plein emploi. Les minima sociaux ne se limitent pas à apporter un revenu aux personnes sans travail. Depuis quelques années, pour continuer à les percevoir, les bénéficiaires sont souvent obligés de prouver leur volonté de retrouver une activité, quelle que soit par ailleurs celle-ci. On est ainsi entré dans une nouvelle période, celle du travail obligatoire généralisé consacré par le Sommet européen de Lisbonne sous l’appellation d’ « augmentation du taux d’emploi ». Or cette entreprise de remise au travail systématique influence le marché du travail : les emplois précaires proposés à ceux qui bénéficient des « minima sociaux » sont généralement assortis de primes qui incitent à les multiplier. Dans bien des cas, ces emplois dérogent aux conventions collectives, du point de vue du salaire minimum ou de la législation du travail. On peut ainsi déceler, dans cet usage des minima sociaux, les fondements d’un nouveau système de protection sociale qui altère la condition salariale laquelle s’inscrit traditionnellement dans les conventions collectives et les droits sociaux. En quoi la notion d’employabilité a-t-elle contribué à modifier notre représentation du monde du travail ? S.B. : Parler d’ « augmenter le taux d’emploi » comme le fait l’Union européenne depuis Lisbonne, c’est donner à penser que le chômage résulte du refus que les individus sans emploi opposent aux offres de travail qui leur sont faites. La faiblesse du taux d’emploi semble ainsi due au comportement volontaire des chômeurs et à la trop grande générosité des politiques sociales. Ce postulat qui considère que tout chômeur préfère des allocations minimes tend à présenter les chômeurs comme des « obligés » de la société tout entière. IL Y A EMPLOI ET “EMPLOI” L’emploi est-il « le » facteur d’intégration sociale par excellence ? Ou n’est-il qu’un facteur parmi d’autres, tels que la vie associative, la citoyenneté, etc. ? S.B. : L’emploi pourrait et devrait effectivement rester le facteur d’intégration sociale. Il ne l’est plus parce que la norme d’emploi n’est plus aussi homogène qu’auparavant. C’est-à-dire qu’il y a aujourd’hui plusieurs types d’emplois et, que parmi ceux-ci, il existe une série d’activités que l’on nomme « emploi » mais qui ne correspondent plus à cette norme initiale où l’emploi correspond à un statut qui contient des garanties collectives et des droits sociaux. C’est la raison pour laquelle, sans doute, l’émergence d’une nouvelle norme d’emploi devrait être définie pour assurer à nouveau la cohésion sociale. Parce que s’il l’on dit que l’emploi n’est plus qu’un facteur d’intégration sociale parmi d’autres - telles la vie associative, la citoyenneté, etc. - cela signifie que l’on considère que la vie associative ou la citoyenneté, notamment, sont dissociés de l’emploi. Or elles ne le sont pas forcément. On peut parfaitement imaginer une norme d’emploi qui autorise et rend possible une cessation temporaire d’activité pour une occupation associative, pour un temps consacré à la vie sociale au sens large. Par ailleurs, si on entend par emploi le fait de travailler, le labeur, le travail rémunéré, le travail salarié, pour une large majorité de travailleurs, ce travail a longtemps été incompatible avec la vie sociale. Au 19ème siècle le travail coïncidait avec la pauvreté, la surexploitation des enfants. Ce travail était souvent accompagné d’accidents mortels, l’espérance de vie était bien plus courte, etc. De nos jours encore, le travail de nuit, les horaires non comptabilisés, tout ce qui constitue un usage non réfréné de la force de travail sont 35 un facteur de relégation sociale sinon de dégradation de la qualité de vie. Le travail, le travail salarié n’est au fond devenu un facteur d’intégration sociale que parce qu’il y a eu la mise en place d’une série de droits et de garanties collectives, que ce soit sur le plan de l’entreprise, des secteurs ou de la nation avec la mise en place de la Sécurité sociale. L’Etat libéral était axé sur les libertés civiles ; la propriété était censée y garantir chacun contre les aléas de l’existence. Devant le fait qu’il demeurait toujours des individus, des citoyens impuissants à devenir propriétaire, on est alors passé historiquement à l’Etat social dans lequel l’individu travailleur non propriétaire, de par l’emploi qu’il occupe, accède à une forme socialisée de protection contre les revers de l’existence. Cette « propriété sociale » comme l’appelle certains fait partie intégrante du pacte social qui est au fondement de nos sociétés. Cette protection sociale, dites-vous, n’est plus aujourd’hui ce qu’elle a été au cours des décennies d’après-guerre. Comment doit-on interpréter ce fait ? S.B. : Je la regarde comme un recul. Mais il faut bien voir que cette évolution a été impulsée au nom de la lutte contre le chômage : l’on a au fond combattu le sous-emploi de masse par la pauvreté, d’abord, et, ensuite, par la précarisation de l’emploi. C’est parce que l’on a emprunté cette voie-là que l’on a vu apparaître toute une série de mesures, de dispositifs, de quasi-statut, de statuts intermédiaires… qui ont participé à l’érosion de la norme d’emploi dont je parlais plus haut. L’objectif, en l’espèce, n’est plus de créer de l’emploi, mais de faire participer les personnes sans emploi à l’activité économique, de les rendre « actifs » sur le marché du travail. Les mots ont ici beaucoup d’importance. Ils renvoient à l’idée que pour participer à la vie sociale, il faut travailler. On peut comprendre l’idée. Mais, concrètement, il faut bien voir qu’il y a là un paradoxe dans la mesure où le travail auxquels certains accèdent aujourd’hui ne leur permet pas de vivre décemment, de vivre dignement, d’avoir un projet de vie correct à l’aune des standards actuels de notre société. Ceci signifie que le travail précaire et mal rémunéré ne contribue pas, comme il ambitionne de le faire, à la cohésion sociale recherchée, mais bien au contraire à la dualisation de la société. On ne voit pas non plus comment l’augmentation du taux d’activité par le travail précaire peut permettre de garder les comptes de la sécurité sociale en équilibre, d’autant que l’on finance cette précarité par des abattements de cotisations sociales. C’est le serpent qui se mord la queue… De quand date ce retournement ? S.B. : Du début des années ’80. Dans un premier temps, un grand nombre de pays se sont réjouis du fait que la Sécurité sociale leur permettait d’amortir le choc de la désindustrialisation et de la crise de la fin des années ’70. Cette prise en charge se traduisant toutefois par une massification du chômage et une augmentation conséquente des dépenses, les pays européens se sont peu à peu mis à subdiviser les catégories de chômeurs afin d’agir sur les dépenses en octroyant à certains des allocations forfaitaires, des prestations conditionnelles, plus restrictives quant à l’accès, limitées dans le temps, etc. Cet assainissement financier, qui a été présenté essentiellement comme une baisse des dépenses passives, signe le passage à « l’Etat social actif » dont le Sommet de Lisbonne est une balise symbolique. Une des finalités de cette transformation est de faire de la Sécurité sociale un instrument macroéconomique sous la forme d’un levier pour la compétitivité (réduction du coût salarial) et la flexibilité (normes d’entrée et de sortie du marché du travail plus souples). Elle vient compléter à cet égard les diverses adaptations de la réglementation du travail qui favorisent, elles aussi, l’utilisation de l’emploi comme variable d’ajustement pour les entreprises. Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 36 36 L’interview de Stephen Bouquin Ces mesures visant à la compétitivité et à la flexibilité créent-elles des emplois additionnels ? S.B. : Ces mesures gonflent en tous cas la part d’emplois précaires, le va-et-vient entre les conditions de chômage et les conditions d’emploi, le turn-over au sein du marché du travail. Mais au-delà de ce constat, une étude comparative montre aussi que certains pays tel l’Espagne sont des champions de la flexibilité mais ne voient pas pour autant le chômage se réduire. D’autres, comme les pays scandinaves, ont un contexte normatif et réglementaire plutôt strict mais peu de pauvreté et de chômage de longue durée. LE RÔLE DES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES A la lecture de divers rapports récents sur la pauvreté et la précarité, il apparaît que l’accès à l’emploi est loin d’être aisé pour les personnes les plus vulnérables. Les allocataires sociaux font notamment face à d’importantes lourdeurs administratives. Quel rôle les organisations professionnelles jouent-elles à ce niveau ? S.B. : La contribution des syndicats est évidemment précieuse à cet égard - tout comme d’ailleurs celle du monde associatif – à condition, du moins, que soit pris en compte le vécu et l’expérience des chômeurs. Sur une telle base, il est relativement aisé d’apporter des corrections au fonctionnement parfois extrêmement complexes des instances qui sont en charge de la protection et de l’aide sociales. Il y a là fréquemment une simple juxtaposition, un empilement de règles non harmonisées et non articulées qui rendent l’intervention d’instances d’accompagnement comme les syndicats extrêmement utiles. C’est la raison pour laquelle la question de la représentation des chômeurs au sein des organisations de travailleurs est d’une grande importance. Certains songent à cet égard à une centrale ad hoc regroupant tous les bénéficiaires de la Sécurité sociale ; d’autres estiment que chacune des centrales existantes doivent accorder une place adéquate en leur sein, etc. Les ALE auraient pu être l’occasion d’organiser une représentation des « travailleurs sans emploi». D’autres encore, dont je suis, estiment qu’il faudrait aussi démocratiser la Sécurité sociale elle-même via des élections internes comme cela se fait dans certains pays. Le pluralisme syndical pourraient être un moteur de progrès et un catalyseur poussant à l’implication des personnes concernées. D’après vous, les politiques d’insertion professionnelles - formation tout au long de la vie, réductions ciblées de cotisations patronales, accompagnement des demandeurs d’emploi… remplissent-elles leur rôle d’intégration sur le marché du travail ? Certaines sont-elles plus efficaces que d’autres ? S.B. : Ayant déjà répondu largement sur ce point, j’insisterai dès lors sur un aspect. La logique à l’œuvre est, je l’ai dit, d’augmenter le taux d’activité pour renforcer le financement de la Sécurité sociale et mieux garantir ainsi la cohésion sociale. J’ai néanmoins du mal à suivre cette démarche. D’abord, parce que c’est déshabiller la Sécu (baisses de cotisations) sans lui donner les moyens de se rhabiller (l’emploi précaire ne finance pas correctement la sécu). Ensuite, parce que cette augmentation volontariste du taux d’activité ne s’accompagne jamais d’un balisage quant à la qualité des postes de travail et au niveau des revenus auxquels ils donnent droit, alors que ce serait la seule manière de se prémunir contre la dualisation. Enfin parce que l’évolution de la productivité, la tendance aux délocalisations et le phénomène des restructurations étant ce qu’ils sont, il y a une pénurie globale de postes de travail qui fait que toute hausse du taux d’activité ne peut, dans ces conditions, que déboucher sur une exacerbation de la concurrence sur le marché de 37 l’emploi. Sortir de l’impasse actuelle exige de poser à la fois la question du partage des richesses et du financement de la Sécu. La première question rouvre celle de la redistribution du travail au travers de la réduction du temps de travail. La seconde invite à ouvrir de nouvelles pistes de financement. Par exemple, on pourrait penser à un financement sur la valeur ajoutée et pas seulement sur la masse salariale. J’illustre mon propos : pourquoi les entreprises sous-traitantes, bien souvent des PME, concentrent-elles les activités à forte intensité de travail tandis que les grandes entreprises donneuses d’ordre concentrent,elles, les activités à haute valeur ajoutée avec une forte intensité capitalistique ? Parce que la hiérarchie entre grandes firmes et petites entreprises permet de décharger une grande partie du poids du financement de la Sécu sur les petites… tout en transférant les profits de leur activité vers les grandes firmes et derrière elles, les centres de coordination et autres paradis fiscaux. Les économistes ont tendance à considérer qu’il y a deux marchés du travail. Un marché du travail primaire qui regroupe les travailleurs qualifiés qui bénéficient d’un contrat à durée indéterminée, qui ont un statut et de bonnes rémunérations, d’une part, et un marché du travail secondaire où l’on retrouve les travailleurs peu formés, qui prestent dans le cadre de contrats à durée déterminée, qui ont un statut précaire et de faibles revenus professionnels ? S.B. : Sans doute ce découpage a-t-il une vertu méthodologique, mais il ne faut pas pour autant perdre de vue que, au sein de ces deux marchés, à l’exception de quelques segments, la concurrence entre travailleurs s’intensifie vu le caractère pléthorique de l’offre de main d’œuvre. Le rapport 2003 du Haut Conseil de l’Emploi (Hoge Raad voor de Werkgelegenheid) donne une indication : 40.000 postes vacants en 2002 pour 400.000 demandeurs d’emplois. Les retards dans l’ajustement ou les difficultés de recrutement sur certaines fonctions ne sont pas dues à la pénurie de maind’œuvre mais à la dégradation des conditions de travail et aux critères de recrutement de plus en plus sélectifs. A cet égard, je pense que l’intérim n’est pas tant la voie d’accès à l’emploi que la gare de triage offrant aux entreprises l’occasion de ne garder que les « meilleurs » après expérience réelle. La concurrence entre les intérimaires est d’autant plus forte que les places sont chères. La question des conditions de travail est par ailleur bien trop souvent sous-estimée. Une recherche menée fin des années 90 montrait que la durée moyenne des carrières dans le secteur des soins était de 9 ans, c’est-à-dire très peu, tandis qu’il grimpe à 12-15 ans en moyenne chez nos voisins. Les personnes travaillant à temps partiel dépassent la moitié des effectifs et le secteur connaît un taux de turn-over très élevé. A la base de bon nombre de « pénuries », il n’y a ni l’oisiveté des chômeurs, ni un manque de qualifications, ni même dans ce cas, un manque de vocations, mais des conditions de travail et des niveaux de rémunération peu attrayants. La sanction de l’allocation de chômage par l’article 80 comme incitant à la recherche d’emploi, qu’en pensez-vous ? S.B. : Une étude quantitative de l’Université d’Anvers1 montrait que la majorité des suspendus par l’article 80 étaient des femmes (80%), peu qualifiées (56%) et relativement jeunes (57% de 25 à 34 ans). Est-ce que la sanction mène à l’emploi ? La réponse de cette étude prouve le contraire. Ainsi, plus de la moitié des suspendues (55%) étaient toujours inactives quinze mois plus tard. Si un quart (26%) avait trouvé un emploi un mois après la suspension et un tiers après quinze mois, ces pourcentages ne sont pas beaucoup plus élevés que ceux de la population chômeuse mais non suspendue ou sanctionnée (respectivement 11% et 22%). Globalement, l’usage de cet article 80 a davantage permis de renvoyer des personnes du chômage vers le CPAS que de les sortir d’une 1 L. Delathouwer, Etude de la politique de suspension dans l’assurance chômage belge et la rentrée sur le marché du travail, rapport pour l’ONEM, novembre 1999. Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 38 38 L’interview de Stephen Bouquin soi-disant oisiveté. La politique de sanction est également très sélective. Certaines catégories, tels les chefs de ménage, ne sont pas visés tandis que les isolés ou cohabitants pouvaient l’être mais en fonction de l’écart par rapport à la durée moyenne de chômage pris localement. Dans notre étude en Belgique, nous avons observé que des chômeurs changent parfois de domicile pour se soustraire au contrôle en se noyant dans la masse des demandeurs d’emploi d’une autre région. La réglementation sociale en général et l’article 80 en particulier participent à la « gestion des flux » et des « stocks ». Il est évident que plus cette réglementation est tournée vers la « chasse au chômeurs », plus ceux-ci tenteront se préserver leur situation puisque l’emploi régulier et normalement rémunéré fait défaut. Je tiens à souligner qu’à la base, ces personnes ne sont pas « oisives » mais rétifs à l’emploi précaire et c’est tant mieux. Cela démontre que la protection sociale est une digue contre la paupérisation laborieuse. Que se passerait-il si ces personnes acceptaient n’importe quel emploi à temps partiel avec un contrat temporaire et sans lien avec leur qualification ? On aurait, il est vrai, un marché de l’emploi plus flexible. Mais ne serait-il pas davantage source de régression sociale ? Je le pense. De plus, à cette époque où règne l’individualisme, il est malvenu de stigmatiser ces chômeurs pour qui tirer leur épingle du jeu n’est que le moyen de survivre bon gré mal gré et non pas de s’enrichir. DES BOURSES DU TRAVAIL Lors de la conférence pour l’emploi, les interlocuteurs sociaux se sont mis d’accord sur une réforme de la réglementation des titres services dans le but d’élargir le système. Pensez-vous que celui-ci puisse favoriser l’intégration durable des personnes exclues du marché du travail depuis une longue période ? S.B. : Je serais personnellement favorable à un autre système qui s’apparenterait au fond aux bourses du travail du 19ème siècle en France. Il s’agissait d’agences locales de métiers institués par les organisations syndicales qui organisaient le placement des ouvriers professionnels. Aujourd’hui, un tel système sous l’égide du public pourrait former des pools de compétences de personnes offrant à des particuliers comme à des organismes publics ou privés, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, une gamme de services. Cette offre s’accompagnerait pour les personnes d’un statut social réel mais pour un temps de prestation réduit afin de pouvoir combiner leurs tâches professionnelles avec de la formation dans l’optique d’intégrer à terme le marché du travail régulier dans de bonnes conditions. Les tarifs pratiqués devraient tenir compte du revenu disponible. Il faudrait en effet se poser la question de savoir quels besoins sociaux sont prioritaires. Faut-il offrir à des personnes disposant de haut revenus un domestique ou une femme de ménage aux frais de la Sécu ou du contribuable sous prétexte de créer de l’« emploi » alors qu’il ne s’agira jamais que du louage de main-d’œuvre ? Ou faut-il, par exemple dans le cadre de la Sécu, rendre accessible une gamme de services sociaux, de soins, d’éducation, d’expertise juridique et ce, en tenant autant compte des besoins que du revenu ou du statut ? Je penche sans réserve du côté de la seconde option. 39 Un tel système serait onéreux ? S.B. : Certes, mais les études du Bureau fédéral du Plan, du DULBEA et certaines analyses françaises sur les réductions des cotisations patronales ont montré que le financement direct de l’emploi, à volume budgétaire constant, est plus « rentable » en termes d’emplois que tabler sur une embauche à partir d’une baisse du coût du travail. Outre les effets d’aubaine et de substitution, la décision d’embaucher ne découle pas directement du coût salarial mais aussi du volume d’activité attendu. Il existe donc un lien élastique entre coût salarial et création d’emplois, une élasticité qui n’existe pas lorsque l’on finance directement de l’emploi. A l’inverse de l’habillement, les soldes sur le marché de l’emploi ne permettent pas d’écouler les stocks… D’après le rapport « Minima sociaux et condition salariale : l’Europe vue d’en bas », une large minorité de la population est touchée par l’endettement. Celle-ci est-elle composée uniquement d’allocataires sociaux ou également de personnes en emploi ? S.B. : Non. Dans une importante entreprise de construction automobile du nord du pays, le taux d’endettement, plus exactement le taux de saisie sur salaire concerne presque un travailleur sur trois. Autrement dit un tiers des salariés ne touche que la part insaisissable de leurs revenus. Une telle situation s’explique évidemment par l’existence sur le marché d’un crédit aisément accessible mais à des taux prohibitifs qui impliquent généralement le cumul de deux revenus au sein du ménage pour faire face aux échéances. Mais pour la population que nous avons étudiée, si le surendettement existe, il n’est que pour partie liée à la volonté désespérée de continuer à faire partie de la société de consommation. Les personnes ont d’abord besoin d’argent liquide pour payer des factures d’électricité ou de chauffage, etc. Le fonctionnement de bon nombre de CPAS pose aussi problème : mise sous tutelle, infantilisation, visite répétées au bureau de l’assistant(e) sociale. Comme le disaient certains de nos interlocuteurs : « être chômeur, c’est un boulot à plein temps ». SOUS LES CHIFFRES, LA VIE Cette nécessité de cumuler deux revenus pour faire face aux échéances des divers financements contractés n’induit-elle pas de la pauvreté lorsque surgit une crise domestique qui se prolongent, ce qui est aujourd’hui fréquemment le cas, par la séparation des conjoints ou des concubins ? S.B. : Absolument. Une enquête actuellement en cours à l’INSEE (France) montre que les phénomènes de paupérisation induits par la courbe ascendante des divorces sont eux aussi en augmentation, qu’ils touchent les hommes comme les femmes, mais davantage ces dernières, notamment en raison des difficultés financières que les hommes rencontrent pour payer les pensions alimentaires dont ils sont encore majoritairement débiteurs. Faut-il s’en étonner lorsque l’emploi industriel à dominante masculine est frappé par les restructurations tandis que le développement du temps partiel contraint comme première norme de l’emploi féminin non qualifié n’a fait que renforcer les dépendances à l’égard du « male breadwinner ». Ceci m’amène à dire qu’il y a, dans notre société, un durcissement global de tous les rapports sociaux. Ce durcissement n’est pas toujours correctement énoncé et c’est un des mérites, je crois, de l’enquête que nous avons menée d’avoir donné l’occasion aux personnes directement concernées qui ont été interrogées de mettre des mots sur la réalité difficile à laquelle elles sont quotidiennement confrontées. Cela permet d’entrevoir ce que les séries statistiques nous dissimulent, à savoir l’accroissement, ces dix ou quinze dernières années, de la violence sociale. Une violence généralement intériorisée par les individus, L’interview de Stephen Bouquin Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 40 40 mais qui peut à tout moment se retourner contre eux, notamment au travers de consommations abusives de diverses natures, mais aussi par du désespoir et/ou de la violence à l’égard d’autrui comme le conjoint ou les enfants. D’où une multiplication de drames familiaux ou sociaux d’autant plus fréquents que, à l’inverse de la période de l’entre-deux guerres, l’individu contemporain n’est plus guère inscrit, surtout dans les espaces urbains, dans l’une ou l’autre communauté locale d’appartenance faite de rapports de proximité pacificateurs ou d’entraide. Ces individus désaffiliés que Robert Castel appelle des « surnuméraires » se retrouvent ainsi fréquemment au cœur de situations tragiques qui sont autant de faits divers pour les médias mais que l’on oublie d’associer à la réalité socio-économique ambiante. Seule une action collective — au cours de laquelle les individus retrouvent une dignité et une fierté d’existence — permettra une sortie par le haut. Les mouvements sociaux peuvent être positifs et créateurs de lien social bien plus que la rééducation comportementale, infantilisante ou la mise sous tutelle. Tout retard dans la résolution de la profonde crise sociale que traversent nos sociétés se payera « cash ». Nous subirons alors une sorte de guerre civile larvée, apolitique et il est loin d’être certain que la « pénalisation du social » saura lui venir à bout. Dans son livre « L’insécurité sociale »2, Robert Castel, justement, propose des pistes pour recomposer la solidarité dégradée par les processus d‘activation et de segmentations des prestations sociales. (i) Un premier type de réforme serait, pour lui, de palier à la fragmentation des nouvelles mesures par une continuité des droits par-delà la diversité des situations. Il suggère, dans cette optique l’instauration d’un régime homogène de droits couvrant le champ de la protection qui ne relève pas des couvertures assurancielles collectives. Actuellement, certaines aides aux démunis ne sont octroyées que si leurs bénéficiaires prouvent qu’ils sont dans le besoin. Il y a là une différence très nette avec les droits ordinaires qui sont, eux, inconditionnellement attachés à la citoyenneté. Pour donner aux prestations en faveur des exclus de la Sécurité sociale attachée à l’emploi un statut de droit ordinaire, il faut, suggère Robert Castel, approfondir les politiques d’insertion et mettre en synergie les diverses pratiques qui visent la réinsertion. Concrètement cela signifie pour lui de mobiliser effectivement tous les partenaires concernés afin d’offrir un accompagnement réel aux personnes en difficulté. Celles-ci doivent pouvoir prendre appui sur un socle de ressources objectives leur garantissant au présent un minimum de sécurité : ressources matérielles, aide psychologique, reconnaissance sociale, droits ordinaires, etc. Autrement dit, il faut faire en sorte de ne plus traiter ces personnes comme des assistés, mais comme des partenaires provisoirement privés des prérogatives de la citoyenneté sociale en se donnant comme objectif prioritaire de leur procurer tous les moyens qui leur permettent de retrouver d’emblée cette citoyenneté. Dans cette optique, Castel suggère de créer des collectifs d’insertion, une sorte d’agences publiques qui regrouperaient, avec leurs financements propres et leur pouvoir de décision, les différentes instances actuellement chargées de faciliter l’aide à l’emploi et de lutter contre la ségrégation sociale, la pauvreté et l’exclusion. « Se trouveraient ainsi centralisés, mais au niveau local, sous un pouvoir unifié de décision et de financement, écrit-il, les différents types de partenaires maintenant impliqués en ordre dispersé dans la requalification des personnes en difficulté. » Que pensez-vous de ces idées à la lumière de votre recherche ? S.B. : Je pense tout comme lui que l’armature institutionnelle de la sécu doit être revu de fond en comble. Mais cette refonte ne fonctionnera qu’à la double condition que la concurrence entre salariés sur le marché de l’emploi soit radicalement réduite et que les moyens financiers pour cette refonte soient disponibles, faute de quoi les partenaires associés vont défendre « leur bout 2 L’insécurité sociale – Qu’est-ce qu’être protégé ?, Seuil, 2003. 41 de gras » en fonction de critères qui, quand on les prend séparément, sont tout aussi rationnels les uns que les autres, mais ne nous sortirons pas de l’impasse actuelle. Soulignons enfin qu’avec la libéralisation et la concurrence dans le placement ou l’insertion professionnelle, la tendance actuelle ne va pas dans ce sens mais poussera inévitablement à une segmentation. COMMENT SÉCURISER SITUATIONS ET TRAJECTOIRES PROFESSIONNELLES Un second type de réformes esquissées par Robert Castel pour redéployer les protections sociales est la sécurisation des situations de travail et des trajectoires professionnelles. Sous la poussée de la mobilité, on assisterait, en effet, actuellement, à un effritement du couplage entre les droits inconditionnels – les droits dits ordinaires – à la protection sociale, d’une part, et la situation professionnelle du travailleur, d’autre part. Les emplois, tant au niveau des contrats de travail que des tâches de travail, se fragmentent et certaines zones sont désormais moins couvertes par le droit : temps partiel, travail intermittent, travail indépendant soumis à un donneur d’ordre, nouvelles formes de travail à domicile, télétravail, sous-traitance, travail en réseaux, etc. Il s’agirait donc, selon Robert Castel, d’associer désormais de nouvelles protections aux situations de travail ainsi caractérisées par la mobilité en concevant de nouveaux droits capables de sécuriser ces situations aléatoires et ces trajectoires marquées par la discontinuité. Une réponse à cette situation consisterait à transférer les droits du statut de l’emploi à la personne du travailleur. C’est l’idée d’un état professionnel des personnes, lequel ne se définit pas par l’exercice d’une profession ou d’un emploi déterminé, mais qui englobe les diverses formes de travail que toute personne est susceptible d’accomplir durant son existence. Ainsi se trouverait rétablie une continuité des droits à travers la discontinuité des trajectoires professionnelles. Le travailleur disposerait en somme de droits de tirage qu’il utiliserait pour couvrir les différentes périodes de son itinéraire. Plus largement, on pourrait concevoir une batterie de droits ouverts aux travailleurs qui feraient qu’une série d’étapes hors emplois, mais socialement balisées - principalement la formation – deviendraient partie intégrante d’une carrière professionnelle au lieu de venir l’interrompre. Que pensez-vous de toutes ces idées ? S.B. : Ce second type de réponse est largement inspiré par les analyses d’Alain Supiot qui défend la création d’un socle de droits sociaux à caractère universel3. L’universalité serait selon lui la seule façon de ne plus rendre ces droits dépendants de la nature directe du travail, précaire ou non. Il y avait sur ce sujet entre Robert Castel et Alain Supiot une controverse ou le premier semble avoir changé d’avis. Il y a quelques années en effet, Castel s’opposait à l’option universaliste car elle ôterait tout moyen de construire le rapport de force direct avec les employeurs qui a contribué à beaucoup de garanties collectives au travers des relations collectives de travail entre employeurs et syndicats. Cela dit, tous deux convergeaient en revanche pour dire qu’un nouveau socle de droits sociaux est nécessaire si l’on veut arracher les individus à la pauvreté, à la précarité et à l’insécurité sociale. Personnellement, je pense qu’il y a du vrai dans les deux visions. D’une part, il faut qu’il y ait au départ d’intérêts conflictuels — le partage de la valeur ajoutée — une négociation pour la construction des normes et des droits. Mais ce face à face entre travail et capital n’inclut pas tout le monde bien qu’en Belgique, grâce à la nature interprofessionnelle et massivement représentative du syndicalisme, on est autorisé à situer la mise au point de normes et de droits à caractère universel au travers de la négociation bi ou tripartite. Tout dépend alors de l’orientation défendue par les pouvoirs publics et les ministres en charge de l’emploi et des affaires sociales. Sur le fond, ce nouveau statut devrait en effet garantir une continuité de revenu 3 Au-delà de l’emploi, Paris, Flammarion, 1999. Lette Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 42 L’interview de Stephen Bouquin par-delà les employeurs ou la position productive du moment — donc un salaire socialisé qui enlève au licenciement son caractère dramatique — tout en offrant une mobilité professionnelle sur base de véritables formations et une latitude individuelle en la matière. Que pensez-vous des SEL, des réseaux locaux d’échange de services, dans lesquels des personnes mettent leurs compétences au service d’autres membres du réseau, l’échange non monétaire de ces services se faisant sur la base d’une comptabilité plus ou moins élaborée ? Les personnes qui les animent se disent volontiers critiquées par les travailleurs qui y voient une concurrence déloyale et par les organismes de contrôle du chômage qui y voient une activité économique illicite ? S.B. : Les exclus ont parfois recours à des mécanismes élémentaires de solidarité qui se traduisent par des échanges de services pour faire face ponctuellement, sur le mode du don réciproque, aux situations de crise ou de détresse comme des fins de mois difficiles, par exemple. Mais il s’agit là de dispositifs informels à la fois improvisés dans l’urgence et s’appuyant sur les réseaux de sociabilité. Les SEL, c’est autre chose. On y retrouve une centralisation de compétences, de savoirs et de connaissances généralement assez pointues que les démunis, presque par définition, ne possèdent pas. Autrement dit, les SEL concernent pour l’essentiel des catégories socioprofessionnelles et socioculturelles au sein desquelles le phénomène de la pauvreté et de l’exclusion est généralement absent. Prenons le cas d’un échange qui donne du temps libre à certains (aide ménagère, garde d’enfants, …). Même si ceux-ci seraient prêts à donner, en échange de ce temps libéré, du savoir ou des compétences, il n’en demeure pas moins que les autres ont d’abord besoin d’argent avant d’apprendre à jouer au piano. Les SEL ne sont donc nullement un moyen pour réduire les inégalités sociales. Croire qu’ils pourraient porter un tel objectif, c’est finalement cacher un nouveau servage sous le voile autogestionnaire. La « démonétisation » de la vie sociale n’est possible qu’entre égaux et libres ou, à défaut, au sein d’une communauté fort homogène comme c’est d’ailleurs le cas de certaines communautés originaires d’Asie ou d’Afrique. La solidarité ethnico-familiale n’est cependant pas toujours synonyme de liberté personnelle. Je préfère alors une solidarité moins « organique » et plus « mécanique » telle que la sécurité sociale peut l’incarner, même de façon imparfaite. “L’ARMÉE DE RÉSERVE” Si vous deviez résumer dans un bref message l’étude « L’Europe vue d’en bas », que diriez-vous ? S.B. : Je dirais que, dans la situation présente, la pauvreté et la précarité de quinze à vingt-cinq pour cent de la population est nécessaire pour tirer profit du reste de la population active et garantir la compétitivité dans le contexte actuel de concurrence induit par la mondialisation. Les uns pèsent sur les autres. S’il n’y avait pas ce volant de chômeurs, de pauvres et de précaires, la situation serait différente pour chacun d’entre nous. On assisterait à une action collective d’importance sur les conditions de travail, sur l’intensité de travail, sur l’organisation du travail et ce, dans le sens d’une plus grande « égaliberté » pour toutes et tous, d’une démocratisation des rapport sociaux, dans et en dehors du travail. Ceci signifie qu’il y a une reproduction fonctionnelle de l’exclusion : les positions les plus dégradées socialement doivent être sans cesse occupées par de nouveaux venus pour garantir la pérennité du mode de fonctionnement actuel du système. Il y a, si vous voulez, un continuum entre les stables et les « désafiliés » comme dit Castel. Ceci me paraît plaider pour une démarchandisation du salariat sous la forme d’une consolidation de la Sécurité sociale. è CONSTRUCTION Conseil Central de l’Economie Avis sur la politique industrielle En décembre 2002, la Commission européenne a fait paraître une communication intitulée « La politique industrielle dans une Europe élargie »1. La Commission souhaitait par là lancer, à la veille de l’élargissement de l’Union européenne, une vaste consultation sur les accents à donner à une politique axée sur la compétitivité structurelle de l’industrie manufacturière européenne. A l’appui de son projet, la Commission soulignait l’idée que la capacité de l’Union à conserver et à développer la compétitivité de son industrie manufacturière est une pièce maîtresse de la stratégie de développement dynamique et durable définie au Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000. La Commission notait aussi que, si la politique industrielle adaptée aux situations d’aujourd’hui est de nature principalement horizontale, parce qu’elle vise avant tout à créer le meilleur environnement pour l’activité industrielle (marché, concurrence, innovation, etc), elle se décline également sur un mode sectoriel, sachant que les différentes productions concernées appartiennent bel et bien à des filières précises. Au dire même de la Commission européenne, la politique industrielle combine donc inévitablement une base horizontale et des applications proprement sectorielles. Partant de ce constat, qu’elle fait sien, et de la spécificité du secteur de la construction, à cheval entre activité industrielle et prestataire de services, la Commission consultative de la construction du Conseil central de l’économie a estimé utile de s’exprimer dans l’avis qui suit, émis en date du 8 décembre 2003. Cet avis comporte un certain nombre de considérants jugés importants, au départ desquels la Commission consultative de la construction émet plusieurs recommandations. CONSIDÉRANTS - Le secteur de la construction est le premier producteur d’infrastructures industrielles. Ce que l’on a coutume d’appeler le « patrimoine bâti » n’est pas autre chose que l’ensemble des constructions qui constituent tantôt l’enveloppe matérielle des lieux de production des biens et des services commerciaux, tantôt les supports physiques de transport ou de commercialisation nécessaires à l’échange de ces biens. En ce sens, le patrimoine bâti est, à proprement parler, « l’infrastructure » sur laquelle s’appuie la production industrielle et les services qui lui sont liés. La disponibilité et la qualité intrinsèque de cette infrastructure ont un rapport direct avec la compétitivité des branches d’activité qui en sont les utilisatrices. - Le secteur de la construction entretient un double rapport avec les évolutions industrielles Les activités de construction s’organisent comme un grand meccano reposant sur la mise en œuvre de nombreux produits de l’industrie : métal, verre, brique, béton, céramique, équipements, etc. Ainsi, le secteur de la construction exerce un effet d’entraînement notoire et bien connu sur l’activité de diverses filières de l’industrie manufacturière et sur l’économie plus généralement. En termes globaux, cet effet d’entraînement, véritable multiplicateur d’activité économique hors construction, est souvent évalué à 1,5 (production de biens et de services extérieure au secteur de la construction égale à 50% de l’activité de construction proprement dite). Mais, 1 Commission des Communautés européennes, La politique industrielle dans une Europe élargie, communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des Régions, doc COM (2002) 714 final, 11 décembre 2002. 43 43 Avis sur la politique industrielle Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 44 44 l’avancée des technologies industrielles fait que les produits livrés au secteur de la construction le sont sous une forme de plus en plus élaborée. Le secteur de la construction capte donc en retour l’écho du progrès technique incorporé aux produits qui lui sont adressés. Son organisation interne, son niveau de productivité et ses coûts ressentent les effets de ce second rapport, plus qualitatif, avec les évolutions industrielles. - Le secteur de la construction est, comme l’industrie, un acteur pivot du développement durable La construction et la rénovation de bâtiments ou d’infrastructures font partie des activités qui participent à déterminer la qualité du cadre de vie, selon les orientations données à la politique d’aménagement du territoire. Cette caractéristique tient évidemment au fait que la production du secteur de la construction donne forme à une demande qui peut être différemment modulée en fonction de la destination et de la conception des ouvrages. Mais, la mise en œuvre proprement dite et plus précisément la manière de gérer l’exécution des cahiers de charges sont aussi des domaines de responsabilité spécifique au regard des normes environnementales. Or, ces domaines sont le quotidien des entreprises de travaux. En ce sens, le secteur de la construction est lui aussi, par les exigences qu’il s’impose en termes de qualité d’exécution, un des leviers au service de la dynamique de développement durable. Il l’est d’autant plus qu’il représente à lui seul entre cinq et dix pour-cent du produit intérieur des pays européens. RECOMMANDATIONS - Le secteur de la construction doit être impliqué dans la formulation de la politique industrielle. Le secteur de la construction doit être pleinement associé à l’orientation générale de la politique industrielle que l’Union européenne souhaite, parmi d’autres politiques, mener activement pour rencontrer le grand défi de Lisbonne : « Faire de l’Union européenne, d’ici 2010, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Ne pas concrétiser cette association, c’est ignorer les liens que le secteur de la construction entretient avec le secteur industriel, tant en amont qu’en aval de celui-ci. Ces liens se sont renforcés et non déforcés avec les évolutions structurelles récentes. La montée en puissance des nouvelles technologies a, en effet, resserré le tissu économique là où autrefois il était encore segmenté en secteurs très différenciés les uns des autres. Comment aujourd’hui, dans des domaines tels la domotique, l’épuration des eaux, le traitement des déchets ou l’utilisation rationnelle de l’énergie, par exemple, tracer une frontière précise entre l’innovation induite par l’évolution des équipements industriels et l’innovation induite par l’évolution des besoins et des modes de construction ? Comment ne pas voir, par ailleurs, que l’innovation industrielle rate une partie de son objectif si la mise en œuvre des produits de l’industrie n’est pas assurée par des corps de métier adéquatement formés ? 45 Pourtant, à aucun endroit de sa communication de décembre 2002, la Commission européenne ne mentionne le secteur de la construction comme partie prenante de la politique industrielle qu’elle recommande2. Ceci nous paraît être une anomalie non seulement au regard de la réalité économique telle qu’évoquée dans les considérants repris plus haut mais aussi au regard de la vision intégrée que requiert le bon aboutissement de la stratégie de Lisbonne. - Le secteur de la construction doit être traité comme un acteur très typé. Une approche « grand angle » de la politique industrielle – couvrant les activités manufacturières et les activités de construction – n’exclut pas pour autant que le secteur de la construction soit traité comme un acteur particulier, très typé du point de vue de ses caractéristiques structurelles. Le secteur de la construction possède, en effet, deux grands traits spécifiques qui n’échappent à personne. Il regroupe un nombre considérable d’entreprises de toutes tailles, constitutives d’un tissu économique atomisé et très diversifié où c’est essentiellement l’offre qui va à la rencontre d’une demande peu standardisée et non une demande standardisée qui est concentrée dans quelques grands lieux de production. Et il repose par ailleurs sur un potentiel où la part du capital humain est largement prépondérante par rapport à celle du capital matériel, alors même que la mobilité professionnelle des travailleurs – salariés comme indépendants – est une des plus marquées de l’ensemble des branches d’activité économiques. Ces caractéristiques font que, pour avoir des points d’application intéressants dans le secteur de la construction, la politique industrielle doit fournir des réponses satisfaisantes à deux égards notamment. En premier, la politique industrielle doit tendre à une amélioration des conditions-cadres qui régissent le fonctionnement général du marché et le sécurisent. Ces conditions sont de nature aussi bien économique que juridique, fiscale et sociale. Elles déterminent la vigueur de l’entreprenariat, un phénomène important dans la construction. Elles déterminent surtout la loyauté des conditions de concurrence, une donnée fondamentale compte tenu du morcellement des marchés de construction et de la variété des situations rencontrées sur le terrain. Cette variété ne fera que croître encore avec l’élargissement de l’Union européenne. Le moment est donc opportun de rappeler que, sous peine de graves difficultés dans le secteur de la construction, l’intégration européenne ne peut en aucun cas justifier le développement d’une concurrence débridée s’appuyant en particulier sur le dumping salarial ou social3. En second, la politique industrielle doit contribuer à ouvrir des voies réellement attrayantes en matière de formation professionnelle de base, d’insertion en entreprise, de formation continue, d’augmentation du niveau des qualifications et de valorisation des compétences. De ces 2 3 La Commission européenne fait, par contre, explicitement allusion à l’interdépendance de l’industrie et des services (page 2 de la communication, deuxième alinéa). A ce sujet, la Commission consultative de la construction a déjà exprimé plusieurs mises en garde. Elle l’a fait notamment dans l’avis Union économique et monétaire, Europe sociale et construction qu’elle a rendu le 31 octobre 2000 (doc CCE 2000-685, disponible sur www.ccecrb.fgov.be). La Commission y souligne que, selon elle, « il n’existe pas de moyen plus sûr que la promotion d’une véritable Europe sociale pour éviter le développement d’une concurrence qui, pesant sur les différentes modalités de la protection sociale en Europe, pourrait fragiliser les bases de l’activité économique et de la cohésion sociale, menacer la compétitivité structurelle des entreprises et leur propension à innover et, in fine, saper l’appui politique indispensable à l’intégration européenne ». Avis sur la politique industrielle 46 46 Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 différents points de vue, les besoins exprimés par le secteur de la construction ne cessent d’être considérables. Ils évoluent aussi, au moins autant qu’ailleurs dans l’économie. Ils appellent donc des réponses qui ne soient pas circonstancielles. L’image des métiers de la construction est tout spécialement en jeu ici, à travers la capacité que peuvent avoir les entreprises de construction d’offrir, aux jeunes notamment, des parcours professionnels de premier choix. Dans sa communication de décembre 2002, la Commission européenne fait explicitement état de l’amélioration indispensable des conditions-cadres et de l’investissement nécessaire dans les compétences professionnelles. Du point de vue du secteur de la construction cependant, le message mériterait sans doute d’être plus appuyé encore. On peut, en effet, considérer que, dans le cas de la construction, la crédibilité de l’ensemble de ce qui est proposé au titre de la politique industrielle se joue spécifiquement sur ce qui fixe l’environnement concurrentiel dans lequel opèrent les entreprises et sur ce qui leur permet de valoriser économiquement et socialement leur principale ressource, le savoir-faire de leur main-d’œuvre. - Le secteur de la construction doit pouvoir tabler sur un degré élevé de confiance en l’avenir. Il ne fait aucun doute que les mesures politiques destinées à dynamiser le tissu industriel ont d’autant plus de chances d’être acceptées et de réussir qu’elles sont prises dans un contexte macroéconomique de qualité. Ceci signifie un contexte économique porteur par le niveau effectif de l’activité productive, en réponse à la demande de biens et de services qui s’exprime, et un contexte porteur par l’absence d’ambiguïté quant à la volonté bien arrêtée de retrouver un haut potentiel de croissance économique en Europe, en relevant ce potentiel là où cela paraît nécessaire. Ces deux données, à savoir l’intensité de la demande effective et le niveau potentiel de la croissance espérée, concernent de près le secteur de la construction. Elles conditionnent, en effet, pour beaucoup le degré de confiance en l’avenir. Et l’on sait que la confiance en l’avenir est un des premiers déterminants des engagements de longue durée, qu’il s’agisse des investissements en logements, besoin élémentaire des ménages, ou des investissements productifs des entreprises, en biens immobiliers notamment. Les dépenses en infrastructures publiques elles-mêmes ne sont pas insensibles au contexte macroéconomique. Parce que les donneurs d’ordres publics ne se positionnent pas seulement en fonction du volume prévisible des besoins mais aussi en fonction de l’état de leurs ressources budgétaires, étroitement liées à la croissance économique4. Le secteur de la construction a donc d’évidentes raisons de s’interroger sur ce que sera, en réalité, le contexte macroéconomique dans lequel la politique industrielle prônée par la Commission européenne sera mise en œuvre. Il ne s’agit pas tant des dividendes occasionnels qui, sous la forme de commandes de travaux, pourraient être retirés d’une croissance momentanément meilleure. Ce qui est en jeu, c’est plus fondamentalement la possibilité pour le secteur de la construction de mener à bien ses propres mutations structurelles, dans le cadre d’une évolution économique moins aléatoire qu’elle ne l’est aujourd’hui et sans avoir à subir 4 En l’état actuel des choses, le Pacte de stabilité et de croissance ne facilite pas la conduite de politiques volontaristes d’investissement public. 47 d’inutiles à-coups conjoncturels. Un des principaux moyens pour réduire ce caractère incertain ou heurté de l’évolution économique à court terme serait que, dans la zone euro au moins, la conduite de la politique macroéconomique gagne enfin en lisibilité. Force est de constater que, de ce point de vue, quatre ans après l’entrée en vigueur de l’Union économique et monétaire, de très sérieux progrès restent à accomplir. EN GUISE DE CONCLUSION En finale, la Commission consultative de la construction se réjouit du fait que les grandes orientations d’une politique industrielle propre à l’Europe fassent l’objet d’une réflexion commune à tous les Etats membres de l’Union européenne. La Commission appelle cependant à ne pas négliger la jonction entre les axes de la politique industrielle et les axes des autres politiques, notamment la politique macroéconomique. La Commission tient également à souligner combien, vis-à-vis d’un secteur aussi spécifique et aussi décentralisé que le secteur de la construction, la concrétisation d’une politique industrielle performante relève de responsabilités multiples, nationales, régionales et locales. Pour cette raison, la Commission consultative exhorte à un effort particulier de cohérence et de discernement dès lors qu’il s’agit de mettre la politique industrielle au service d’une modernisation des structures économiques en Europe. Les partenaires sociaux qui représentent le secteur belge de la construction sont, pour leur part, disposés à s’associer à un tel effort. è ACTUALITÉS 48 Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 Conseil Central de l’Economie Conseil central de l’économie Le suivi de l’actualité européenne est devenu un sujet d’attention spécial pour les membres du Conseil. Le souhait des partenaires sociaux est en particulier d’être informés rapidement et succinctement des principaux développements dans l’Union européenne. Les grandes orientations de la politique économique, le maintien du pacte de stabilité, le suivi des processus de Cardiff et de Lisbonne et les réformes institutionnelles sont les thèmes essentiels. Dans ce cadre, des auditions auxquelles participent des experts de la Commission européenne et de la représentation permanente de la Belgique auprès de l’Union européenne, des membres d’ECO FIN et des représentants du Ministère des Finances et du Bureau du Plan sont régulièrement organisées. Les rapports de ces auditions sont généralement publiés dans la Lettre mensuelle socio-économique. Le développement durable est aussi un thème qui occupe ces derniers temps l’avant de la scène. C’est ainsi qu’il a été demandé au CCE et au CNT d’émettre un avis conjoint sur le deuxième Plan fédéral de développement durable 2004-2008. Des groupes de travail thématiques ont été créés au sein du Conseil en vue du traitement d’un certain nombre de sujets importants figurant dans ce Plan. Il s’agit de la mobilité durable, de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et du vieillissement. Il est également fait appel, pour ces activités, à des experts externes. A ce jour, des auditions ont été organisées avec le Prof. Blauwens (mobilité durable) et le Prof. Bouquin (lutte contre la pauvreté). La collaboration du Prof. Elchardus sera demandée en ce qui concerne la problématique du vieillissement. Par ailleurs, il convient aussi de signaler que le Conseil a émis, à la fin du mois de décembre 2003, un avis sur l’intervention des employeurs dans les cartes-train des travailleurs. Cet avis peut être consulté sur le site www.ccecrb.fgov.be. è ACTUALITÉS Autres organes de concertation CES DES ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE La rencontre annuelle des Présidents et Secrétaires généraux des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires des États membres et du Comité économique et social européen s’est tenue les 27 et 28 novembre 2003 à Madrid. Pour la première fois, ont également participé à cette rencontre les Présidents et Secrétaires généraux des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires des pays du 5ème élargissement de l’Union européenne (UE). À l’occasion de cette rencontre, les Présidents et Secrétaires généraux désirent formuler les considérations suivantes: - À propos de l’élargissement de l’Union européenne : Ils se félicitent de ce nouvel élargissement de l’Union qui met fin à une période d’un demi-siècle d’efforts et de travail, fait historique de grande importance qui comporte nombre de défis mais qui représente également une grande opportunité. C’est pourquoi ils souhaitent la bienvenue aux dix nouveaux membres d’Europe centrale et orientale et de la Méditerranée. Comme les processus d’élargissement précédents, cet élargissement devrait donner un nouvel élan à l’organisation politique du continent européen et aux grandes lignes du développement économique et de la cohésion sociale qui composent les stratégies européennes. Toutefois, ce nouvel élargissement comporte également de nouveaux défis qui nécessitent l’intervention des gouvernements, institutions, partenaires sociaux et économiques et des citoyens eux-mêmes pour orienter les politiques garantissant la stabilité institutionnelle et le bien-être des citoyens. Ils rappellent que les Conseils économiques et sociaux des États membres de l’UE et le Comité économique et social européen ont adopté de nombreuses initiatives afin de participer au débat et à la réflexion sur les effets de l’élargissement, aussi bien du point de vue national que communautaire. Ils soulignent la nécessité pour les gouvernements et institutions nationales et communautaires de continuer à mettre en oeuvre tous les efforts visant à garantir la réussite de l’élargissement aussi bien pour les nouveaux États membres que pour les États membres actuels. Il convient, pour ce faire, de concevoir et d’appliquer des politiques et programmes d’action adaptés, notamment au travers de l’achèvement des réformes en cours dans les institutions et les politiques communes européennes. Le but ultime consistant à obtenir une Union élargie caractérisée par une prospérité économique partagée et un degré élevé de cohésion sociale et territoriale ne pourra être correctement atteint sans promouvoir une participation large et constante des citoyens et des organisations représentatives de la société civile. 49 49 50 50 Autres organes de concertation Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 Les Présidents et Secrétaires généraux soulignent l’importance de poursuivre et de renforcer leur contribution au développement de la démocratie participative dans les nouveaux pays membres et, ce faisant, à la mise en place de processus et structures qui permettent aux organisations les plus représentatives de la société civile d’être effectivement impliquées dans les processus de formation des politiques et de préparation des décisions tant au niveau national qu’européen. Les Présidents et Secrétaires généraux estiment utile de promouvoir et de participer à des programmes et des projets qui contribuent à renforcer l’autonomie et les structures des interlocuteurs économiques et sociaux dans ces pays et de concourir au renforcement des pratiques de dialogue social et de concertation. La participation des agents économiques et sociaux des nouveaux pays membres à toutes les étapes du dialogue social à l’échelle européenne devrait contribuer dans ces pays au développement de systèmes de relations professionnelles et de protection sociale correspondant au modèle social européen et à ses principes fondamentaux. Les Présidents et Secrétaires généraux soulignent combien il est important que les nouveaux États membres participent déjà, depuis le Conseil de Barcelone, à la méthode ouverte de coordination mise en place par le sommet de Lisbonne. - À propos d’un nouveau traité constitutionnel pour l’Europe : Les Présidents et Secrétaires généraux estiment qu’il est vital que soit achevé avec succès le processus de réforme institutionnelle de l’Union mené par la Conférence intergouvernementale (CIG) depuis le mois d’octobre, sur la base des travaux de la Convention européenne et du projet de traité constitutionnel de l’Union présenté à la Présidence italienne de l’Union européenne le 18 juillet 2003. Ils estiment que le projet de traité doit constituer en effet un pas essentiel vers la création d’une Union européenne élargie plus démocratique et plus participative, plus solidaire, plus ouverte, plus transparente, plus simple et plus lisible, plus respectueuse des valeurs qui fondent le modèle européen de société et plus apte à s’affirmer dans le monde. Ils se félicitent de voir la légitimité démocratique de l’Union européenne renforcée grâce notamment à l’incorporation de la Charte des droits fondamentaux, à l’introduction d’un titre sur la vie démocratique de l’Union, à la reconnaissance de la réalité de la démocratie participative et au renforcement de l’efficacité des institutions communautaires. Ils se réjouissent de constater que la promotion du modèle social européen est clairement affirmée dans la mesure où le plein emploi, l’économie sociale de marché hautement compétitive, la solidarité, le développement durable, la cohésion économique et sociale, figurent désormais parmi les valeurs et les objectifs de l’Union et que l’importance du rôle des services d’intérêt général est reconnue. 51 Il est nécessaire pour accroître la légitimité démocratique de l’Union de renforcer la participation de la société civile, au travers de ses organisations les plus représentatives, aux institutions et au processus de décision de l’Union, comme cela a été souligné lors des rencontres des Présidents et Secrétaires généraux des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires des États membres et du Comité économique et social européen de Dublin (2002) et Helsinki (2001). L’élargissement coïncide avec le processus de renforcement du rôle institutionnel des partenaires sociaux issu des décisions de Conseils européens tels que ceux de Nice, Stockholm et Laeken. Le renforcement de l’indépendance, de la représentativité et de la participation des agents économiques et sociaux est une condition nécessaire pour garantir le fonctionnement institutionnel des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires, non seulement dans les nouveaux pays membres mais également dans ceux qui appartiennent déjà à l’UE. Les Présidents et Secrétaires généraux des CES nationaux soutiennent unanimement les propositions du Comité économique et social européen en faveur de sa reconnaissance institutionnelle dans le futur traité constitutionnel pour l’Europe. - À propos du dialogue social et de sa contribution au renforcement du modèle social européen Le dialogue social, dans toutes ses modalités et à tous ses échelons territoriaux, est un puissant instrument d’amélioration de la configuration et de l’efficacité des politiques européennes de caractère économique et social. Le rôle des partenaires sociaux est central pour gérer, au moyen d’accords, les changements nécessaires en vue d’atteindre les objectifs stratégiques définis lors du sommet de Lisbonne de mars 2000, notamment la réalisation du plein-emploi et le renforcement de la cohésion sociale et de la compétitivité en Europe. Les Présidents et Secrétaires généraux considèrent que le dialogue social dans un cadre de relations industrielles modernes peut et doit contribuer à consolider la croissance économique et à renforcer la cohésion sociale tout comme la compétitivité de l’économie. Le dialogue social se développe selon différentes modalités et dans différents cadres; il constitue une caractéristique qui définit le modèle social européen et dont l’importance est encore accrue face aux objectifs de l’élargissement et à la perspective d’un nouveau traité constitutionnel pour l’Union européenne. - Le rôle institutionnel des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires De même, les Présidents et Secrétaires généraux souhaitent souligner le rôle des Conseils économiques et sociaux et institutions nationales similaires, ainsi que du Comité économique et social européen, en tant que forums de participation et de consultation caractérisés par leur nature institutionnalisée, transparente et formelle. Lettre Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 52 52 Autres organes de concertation Les Conseils économiques et sociaux et institutions nationales similaires et le Comité économique et social européen jouent le rôle de plates-formes institutionnelles qualifiées de dialogue et de délibération dans la mesure où ce sont les seuls organes au sein desquels sont représentés un vaste ensemble d’organisations socioprofessionnelles et d’autres organisations de la société civile organisée. Eu égard à l’importance extrême de la stratégie de Lisbonne pour l’avenir des États membres et de l’UE, les Présidents et Secrétaires généraux envisagent la possibilité de procéder à une évaluation réalisée conjointement par les différents CES, indépendamment des activités de chacun, afin de préparer le Conseil de printemps de 2005 qui se tiendra dans le cadre de la présidence luxembourgeoise. Les Présidents et Secrétaires généraux considèrent, par conséquent, qu’il est nécessaire de contribuer au renforcement et au soutien des initiatives d’institutionnalisation actuelles ou à venir dans différents pays pour renforcer la participation. Ils sont désireux d’apporter leur contribution et leur collaboration à ce dernier objectif dans le cadre de leurs compétences institutionnelles. CESE : STRATÉGIE DE LISBONNE ET GRANDES ORIENTATIONS DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE Lors de sa séance plénière des 10 et 11 décembre 2003 le Comité économique et social européen a adopté une résolution sur la stratégie de Lisbonne. Dans cette résolution, qui répond à une demande de la Commission visant à recueillir ses observations sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne, le CESE souligne que cette stratégie n’atteindra ses objectifs en matière de compétitivité internationale, de progrès économique, social et environnemental et de développement durable que si elle rénove en profondeur la méthode, le système politique institutionnel ainsi que les instruments de coopération adoptés en vue de leur réalisation. Le Comité fonde son appréciation sur ses propres constatations et sur les débats d’une conférence de vaste envergure organisée par le Comité au mois d’octobre. Pour remédier à cette situation, le CESE plaide en faveur d’une approche plus dynamique se traduisant, sur le plan institutionnel, dans une coordination renforcée qui consiste à assurer une relance de la croissance économique européenne en conférant un degré d’importance adéquate aux réalités économiques, sociales et environnementales, dans le cadre d’une interaction permanente entre ces réalités, c’est-à-dire en se basant sur un développement durable et sur la compétitivité du système européen. La résolution souligne aussi l’importance centrale du dialogue avec et entre les partenaires sociaux, sur les plans européen et national, pour mener à bien les réformes intéressant notamment le renforcement de l’éducation et de la formation, le meilleur fonctionnement du marché du travail ainsi que les régimes de protection sociale, en veillant à garantir leur durabilité et leur amélioration. Pour sa part, le CESE entend agir comme un observatoire permanent de l’état de mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne, et notamment entretenir une concertation étroite sur cette mise en œuvre 53 avec les Conseils économiques et sociaux nationaux et organisations similaires et promouvoir la diffusion des initiatives européennes et nationales des milieux socioprofessionnels et des partenaires sociaux qui contribuent à la réussite de la Stratégie de Lisbonne. Le CESE poursuivra la présentation, chaque année, d’un rapport d’évaluation de l’état de mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne en vue du Conseil européen de Printemps. Au cours de la même séance, le CESE a également adopté un avis sur les Grandes orientations de politique économique. Dans celui-ci, le CESE fait observer que l’économie européenne s’est caractérisée ces trois dernières années par une croissance particulièrement faible, et les perspectives d’une reprise rapide, vigoureuse et durable sont peu encourageantes du fait de la faiblesse de la demande intérieure. Le niveau des investissements, notamment, est préoccupant. Il est dès lors peu probable que les objectifs fixés à Lisbonne pour l’année 2010 puissent être atteints. En dépit de son manque d’efficacité, la fixation d’orientations des GOPE – à savoir la combinaison d’une macropolitique orientée vers la stabilité et de mesures d’assouplissement visant à une diminution des coûts du côté de l’offre – demeure inchangée depuis des années. La thèse selon laquelle une politique de stabilité suffit à elle seule pour générer automatiquement la croissance ne s’est pas vérifiée. Ni l’augmentation de la flexibilité, ni la baisse des coûts n’ont réussi à stimuler la demande. La politique de stabilité orientée de manière unilatérale sur une amélioration des conditions de l’offre a des effets restrictifs. L’on ne voit aucun signe indiquant que la politique macroéconomique de l’UE s’efforce de mettre en œuvre de manière autonome une dynamique de croissance. L’UE doit, selon le CESE, compter sur ses propres forces afin de remettre l’économie européenne sur la route de la croissance et du plein emploi. Il convient dès lors de mettre en œuvre une politique économique active axée sur l’expansion et prenant en compte le contexte macroéconomique. Une politique macroéconomique équilibrée ayant pour objectif déclaré le plein emploi suppose, outre la réduction des coûts de l’offre, un renforcement de la demande effective. La coordination de la politique économique dans l’Union européenne a montré ses limites lors de la crise économique actuelle. Nombre de règles se révèlent trop rigides et trop peu axées sur les défis pratiques; de plus, le jeu des interactions entre les institutions laisse à désirer. Des réformes importantes sont à l’ordre du jour. Ces réformes devraient déboucher sur la création de marges de manœuvre permettant des réactions souples, adaptées aux défis économiques actuels. Ce n’est qu’ainsi que l’Europe pourra sortir de la crise de croissance et de l’emploi. Compte tenu de la force de l’Europe dans les domaines de la stabilité sociale et de l’innovation par le passé, le Comité a bon espoir que les réformes nécessaires pourront être mises en œuvre avec succès. Un autre élément positif dont il convient de se réjouir est, selon le CESE, que les “Grandes orientations” mettent plus particulièrement l’accent sur le rôle qui revient aux partenaires sociaux dans ce processus de coordination. De l’avis du CESE, le sommet social tripartite organisé pour préparer les réunions du Conseil devrait devenir un véritable forum de concertation pour la croissance et l’emploi. Lette Mensuelle Socio-économique - janvier 2004 54 Autres organes de concertation Le Comité insiste sur le fait qu’une meilleure coordination des politiques économiques est un impératif non seulement pour la zone euro, mais en principe également pour l’Union européenne dans son ensemble. AU CESRW : EMPLOI, PROTOCOLE DE KYOTO, MOBILITÉ DURABLE... Le CESRW, le conseil économique et social wallon, a, dans la perspective de la Conférence pour l’emploi d’octobre 2003, émis un avis sur un certain nombre de thèmes relevant de la compétence du Ministre wallon de l’Emploi. Il s’agit en particulier des services de proximité et de l’usage des chèques-services, des programmes de résorption du chômage, de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, de l’introduction de nouvelles formules de réinsertion en cas de restructurations d’entreprises et de la formation. Il est également intéressant de savoir que le CESRW a publié deux dossiers sur des sujets très actuels. Le premier traite du Protocole de Kyoto et des changements climatiques. Le second concerne la mobilité durable et le traitement fiscal des déplacements domicile - lieu de travail. On signalera également la publication dans la série « Les Cahiers du CESRW » d’une monographie intitulée « Le clustering, outil de politique régionale ». Il s’agit d’une présentation des « clusters », « grappes » et autres expériences similaires (pôles technologiques, grappes à l’exportation, …), lancés ces dernières années en région wallonne, avec le soutien financier et logistique (direct ou indirect) des autorités régionales. Cette monographie a été élaborée à partir d’un document réalisé dans le cadre de la Charte de partenariat CESRW – Gouvernement wallon de juin 2002 et, plus spécifiquement, de la Convention « Développement des entreprises » signée avec le Ministre wallon de l’Economie, de la Recherche et des PME, M. S. KUBLA. Rédigée par Mme D. GRAITSON ET M. Ph. BOVEROUX, la monographie propose, dans sa première partie, une clarification du concept de « cluster » ainsi qu’une présentation des objectifs et facteurs de succès de ce type d’approche. La deuxième partie du document publié par le CESRW recense et présente les activités des clusters-pilotes, des grappes technologiques, des pôles technologiques, des grappes à l’exportation, etc., existant en Wallonie. Cette étude n’a pas pour objectif d’évaluer les expériences en cours ; elle a pour seule ambition de rappeler les fondements théoriques de la démarche du « clustering » et de faire le bilan d’un certain nombre de réalisations. è SECRÉTARIAT CCE Conseil Central de l’Economie Une mission d’étude et de documentation Le Conseil central de l’économie, institué en 1948, rassemble les interlocuteurs sociaux. Son objectif est d’associer les représentants de la politique économique. Sa compétence s’étend à tous les problèmes relatifs à l’économie; elle est uniquement consultative. Son apport spécifique est de susciter la confrontation des vues et le dialogue entre ses membres. Le Conseil est donc à la fois, d’une part, un carrefour d’idées où se confrontent les opinions et où s’élaborent des propositions communes où l’intérêt général prévaut sur les intérêts particuliers et, d’autre part, un rouage de la politique économique, le Conseil traduisant ses propositions sous forme de synthèses à l’intention des responsables de la politique économique. Le secrétariat du Conseil a la double mission d’assurer les services de greffe et d’économat et de réunir la documentation relative aux travaux du Conseil. Au fil des ans, il a développé cette seconde fonction. Ses études détaillées ont trait aux problèmes soumis à l’examen du Conseil, mais également à des sujets sur lesquels il estime qu’il faut attirer l’attention des interlocuteurs sociaux et des responsables politiques. De plus, le secrétariat publie régulièrement des notes d’information générale et des dossiers statistiques divers. Dans ce cadre, le secrétariat tire profit des relations privilégiées qu’il entretient avec les services d’études des institutions économiques nationales et internationales. La Lettre mensuelle socio-économique s’inscrit dans la mission d’étude et de documentation du secrétariat. Celui-ci est seul responsable de son contenu. Robert Tollet Président Luc Denayer Secrétaire Ton Harding Secrétaire adjoint 55 55 Avenue de la Joyeuse Entrée 17-21 Tél : 02 233 88 11 Fax : 02 233 89 12 1040 Bruxelles E-mail : [email protected]