Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper

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Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper,
entrepreneur valaisan du XVIIe siècle
1. La facundia linguarum de Stockalper
Le 2 mai 1691, on enterra à Glis le notable de Brigue Gaspard Jodoc Stockalper
surnommé, à la cour de Louis XIV, «le roi du Simplon». Il mourut à 82 ans après
avoir occupé toutes les positions importantes au Valais et amassé une immense
fortune que lui enviait même le Roi Soleil. Mais il avait aussi connu la disgrâce,
échappé de justesse à une condamnation à mort et avait dû s’exiler pendant plusieurs années à Domodossola avant d’être autorisé à passer les dernières années
de sa vie dans son pays natal. Toutefois, pour le linguiste, c’est une mention discrète
dans le registre de paroisse de Glis qui est particulièrement intéressante. En effet,
après avoir énuméré tous les titres honorifiques du défunt, le scribe remarque:
obdormivit vir ob natura talenta, ingenii capacitate doctrinae omnis generis amplitudinem,
linguarum facundiam, in rebus agendis prudentiam, in fidem denique chatolicam Romanam
zelum insignem in omnem posteritatem laudandus. (Furrer 2002: 551)
On ne s’étonnera pas de voir le curé du village mentionner la foi et les capacités
intellectuelles du défunt, mais on s’attendrait moins à trouver une référence à son
plurilinguisme. Il est vrai que ce dernier était notoire de son vivant dans la littérature sur Stockalper et qu’il est aussi mentionné par le biographe contemporain
Anton Pfaffen, selon lequel il aurait été «wollberedt und begaabet mit vilen underscheittlichen Sprachen» (Furrer 2002: 552).
Pour une analyse détaillée du plurilinguisme de Stockalper, on se référera à
Furrer 2002: 551-606, qui a notamment rassemblé tout ce que l’on sait sur sa biographie linguistique. Il descendait d’une famille résidant à Brigue depuis le XVIe
siècle, au coeur d’une région caractérisée par un multilinguisme multiple. Le grandpère avait servi la France avec le grade de capitaine et avait été châtelain du dizain
de Brigue et plus tard grand bailli du Valais; le père était notaire, possédait un titre
de magister artium de l’Université de Bâle, et donc une formation classique, mais il
mourut lorsque Gaspard était âgé de deux ans; la mère était briguoise.
Son répertoire s’est sans doute développé à partir de l’alémanique briguois. L’allemand était en effet langue principale et du pouvoir du Haut-Valais, qui dominait
politiquement la région; la frontière linguistique s’était lentement déplacée vers
l’ouest depuis le début du IXe siècle (cf. Kristol 2002: 223) jusqu’à devenir, au début du XVIe siècle, la langue dominante de l’église et de l’administration à Sion.
La langue écrite, une forme régionale du haut-allemand moderne naissant (Werlen 1991), était apprise à l’école, qui enseignait aussi et surtout le latin. Stockalper
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apprit sans doute d’abord ses deux langues écrites principales à la «Pfarr- ou Stadtschule» de Brigue; à partir de 1621, il entra au collège des Jésuites de Venthône
(qui déménagea à Brigue en 1625 avant d’être fermé en 1627 à la suite de l’expulsion des jésuites du Valais). On ne sait pas s’il suivit, pendant ces années, des cours
de français ou même d’italien (Furrer 2002: 554), mais c’est plutôt probable, du
moins pour le français, au vu de l’importance de cette langue pour le pouvoir valaisan; manifestement, il intégrera tôt ou tard ces langues dans son répertoire.
Après des études à l’Université de Freiburg im Breisgau (1627/29), Stockalper
rentre à Brigue pour y exercer les fonctions de notaire et commence à gravir les
échelons de la carrière politique (Carlen 1991: 3): Châtelain de Brigue (1638),
Colonel de la Morge (1645), Gouverneur de Saint-Maurice (1646-47), Châtelain à
vie de Martigny (dès 1646), Chancelier d’État (1652-70) et finalement Grand bailli
(de 1670 à sa destitution en 1678).
Il manifesta bientôt son intérêt pour le trafic de transit par le col du Simplon.
Un long voyage qui le mena en France, en Belgique et aux Pays-Bas en 1633 lui
permit d’établir des contacts importants avec des comptoirs internationaux – et de
développer son plurilinguisme en interaction directe avec des interlocuteurs parlant un grand nombre de langues différentes; le succès du voyage par le Simplon
de Marie de Bourbon-Condé, comtesse de Soissons et épouse de Thomas de Savoie, prince de Carignan, avec sa suite et plus de 150 chevaux, lui conféra la publicité indispensable (Carlen 1991: 6).
Les voyages ainsi que les contacts politiques et commerciaux avaient contribué
à approfondir et stabiliser son répertoire linguistique. Ainsi, nous trouvons, dès le
premier volume de ses Livres de commerce et de comptes – ils commencent «ab
idibus marty anni salutatis nostrae 1634» – des passages en français et en italien à
côté de l’allemand et du latin. Avec des exemples soigneusement choisis, Furrer a
démontré que des brouillons de lettres et des documents de la main de Stockalper
existent en allemand, latin, français et italien (Furrer 2002: 603s.). Le fait qu’il
adapte la forme de son nom à la langue du document respectif représente un autre
indice non seulement du plurilinguisme, mais aussi de l’identité plurielle de Stockalper.
2. Remarques préliminaires
Stockalper n’était naturellement pas le seul Valaisan plurilingue de son époque.
La fonction de gouverneur de Saint-Maurice, qu’il occupa dans les années 1646/47,
exigeait, selon toute une série de décisions du Grand-Conseil, une compétence
plurilingue. Selon Furrer 2002: 563s., le profil linguistique du poste fut en effet
plusieurs fois défini de façon similaire entre 1613 et 1651: le candidat devait faire
preuve de «in mehr sprachen erfarnus», devait être «der sprache[n] und kriegs
sachen erfaren», «in den sprachen . . . erfharnen», «auch in sprachen wol erfahren»,
voire «experimente au faict de guerre et en lengage».
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Or, serait-ce une pure coïncidence que le plurilinguisme est toujours mentionné,
mais chaque fois sans qu’une liste des langues soit fournie? Se référait-on à un
savoir commun incontesté? En serait-il de même pour un bref passage dans les
Livres de commerce et de comptes de 1658, qui mentionne l’embauche du Reverendus dominus Christophorus Sudanus comme précepteur du fils de Stockalper,
Kaspar Moritz, de 12 ans (qui mourra la même année), pour qu’il l’enseigne «in
cultu divino, virtutibus, scientys, civilitate ac linguis diligentissime instruat eiusque
curam» (VIII, 49)? En partie seulement. Car cette observation cache trois problèmes, le premier d’ordre méthodologique, le deuxième d’ordre catégoriel et le
troisième d’ordre épistémologique.
Le problème méthodologique relève de la polyglossie médiale (cf. Lüdi 1988,
1989 et 1990 pour l’application à des contextes historiques de la notion de «polyglossie», comprise comme cohabitation fonctionelle et pas nécessairement hiérarchisée de plusieurs variétés dans une société). Quiconque se limiterait à énumérer
les langues écrites apparaissant dans les documents n’aurait accès qu’à moins de la
moitié du répertoire des contemporains au détriment des dialectes locaux. Avec
beaucoup d’acribie, Norbert Furrer a tenté de reconstituer, à partir du répertoire
social1 du territoire du Valais de la première moitié du XVIIe siècle, la liste des
langues parlées par Stockalper. Voyageur, entrepreneur, politicien et diplomate, il
n’écrivait pas seulement le haut-allemand, le latin et le français, mais il parlait aussi
ces langues. En plus, il aurait été en contact, chez les Jésuites déjà, avec d’autres
variétés haut-valaisannes que son dialecte briguois primaire, avec d’autres parlers
haut-alémaniques, les parlers francoprovençaux du Bas-Valais, les dialectes lombards occidentaux ainsi que le piémontais (cf. Furrer 2002: 555). Ses nombreux
contacts avec le Bas-Valais suggèrent en effet qu’il pratiquait une variété du
francoprovençal valaisan (p. 556) et les réseaux denses et consolidés pendant des
années le long de la route du Simplon (et les années de son exil à Domodossola)
renforcent l’hypothèse qu’il était capable de s’entretenir dans la variété locale en
Lombardie et au Piémont. Cela ne signifie nullement une compétence active et
uniforme dans toutes ces variétés. Pour donner une idée précise du plurilinguisme
de Stockalper, il suffit d’avoir rendu plausible des compétences passives dans le
sens de linguae receptivae2 qui s’ajoutent aux langues maîtrisées activement pour
former son répertoire individuel3.
1 Nous entendons par ce terme avec Gal 1986 l’ensemble des ressources langagières dont dispose une société pour les interactions socialement pertinentes à un moment donné, indépendamment de la question de savoir quelle partie de cet ensemble est maîtrisée par les personnes
individuelles.
2 Nous entendons par multilinguisme réceptif un modèle employé fréquemment en Suisse à
toutes les époques, où chacun parle sa langue et comprend celle de l’interlocuteur. La notion a
été (re-)définie récemment comme: «a mode of intercultural communication in which interactants employ different languages and/or language varieties and still understand each other . . .
Their mutual understanding is established while both recipients use ‹passive› knowledge of the
language and/or variety that their interlocutor(s) is (are) speaking» (ten Thije/Zeevaert 2007,
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Le problème catégoriel concerne la conscience linguistique de l’époque, à savoir
les représentations sociales des variétés qui composent le répertoire social dans le
territoire du Valais et de leur distinguibilité4. Commençons par les Livres de commerce et de comptes eux-mêmes. Dans une espèce de nécrologue pour son frère
Michael daté du mois de septembre 1640, Stockalper le caractérise de «quatuor
linguarum utrumque capax pronuntiatione et scriptione» (I, 421). Il est vrai que les
langues parlées et écrites par son frère ne sont pas explicitement mentionnées,
mais la représentation sous-jacente est celle d’entités autonomes et dénombrables.
Elles sont nommées à d’autres endroits, p.ex. le latin quand il est question d’Anna
Maria Ganioz, qui ne maîtrise pas cette langue, mais qui signe quand-même de sa
main une convention matrimoniale en latin:
(1)
In vernemung gnugsames berichts obiger convention, ob wollen in latin verfasset, so mir
doch verständlich und klärlich ausgelegt worden, hab ich darin gantz frey willig consentiert. (XI, 186)
Dans une autre notice il est question de journaux allemands que Stockalper se procure à Zurich:
(2)
1649, die 10 july, solvi per dominum Defago 10 skr pro totidem gazettis Alemanis, mihi
missis a 1 die aprilis 1648 usque ad 1 aprilis 1649 per dominum Pasche, Morgensem.
(3)
#[2] NB: 1649, die 11 novembris, dominus Pasche incepit, mihi mittere gazettas Tigurinas. Teste litera sua, eodem die domino Defago transmissa. De praeteritis est solutus,
excepto labore suo, pro potes volatilia aliqua mittere#.
Un des rares passages métalinguistique des Livres de commerce et de comptes fait
en plus allusion à la langue anglaise:
(4)
Angli «bed» lectum vocitant, Cambrique sepulchrum; lectus enim tumuli, mortis imago
sopor. (VIII, 246)
ten Thije et al. 2010). D’autres auteurs parlent de la compréhension mutuelle entre locuteurs de
langues voisines (Wolff 1964, McCann et al. 2003), de «semicommunication» (Haugen 1966) ou
d’«intercompréhension» (Zeevaert 2004).
3 Depuis fort longtemps, le plurilinguisme est défini très fonctionnellement (Oksaar 1980,
Grosjean 1982, Lüdi/Py 1984, CECR 2001, etc.) comme capacité de communiquer, quoique imparfaitement, dans des contextes autres que ceux de la L1, et ceci indépendamment des modalités d’acquisition, du niveau de compétence acquis, de la spécialisation de l’une ou de l’autre variété au sein d’un réseau communicatif et de la distance entre les langues.
4 On rappellera que, épistémologiquement, de nombreux théoriciens ne conçoivent plus les
«langues», comme «savoirs» décontextualisés et atemporels, déposés dans les cerveaux de sujets
autonomes, comme le voulaient et veulent encore des représentations très répandues (voir les
définitions de langue, voire de compétence par Saussure et Chomsky et leurs écoles), mais
comme formes de mobilisation conjointe, contingente et en contexte, de ressources partagées (cf.
p.ex. Makoni/Pennycook 2007 et Lüdi sous presse).
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D’autres documents parlent amplement des langues parlées en Valais. Ainsi, Furrer 2002: 558 cite-t-il le rapport de l’ambassadeur vénitien Giovanni Battista Padavino, qui décrit les Valaisans en 1608:
molti professano belle lettere e sopratutto, più di qualsivoglia nazione, si dilettano oltre la
lingua materna tedesca o savojarda, posseder la francese, l’italiana, la latina e qualch’altra
Ce passage témoigne non seulement du plurilinguisme répandu des Valaisans, mais
énumère les variétés parlées. Il est intéressant de voir que – outre les langues véhiculaires allemand (vraisemblablement le diasystème comprenant le haut-allemand écrit et le dialecte), français, italien et latin – Padavino nomme explicitement
le savoyard. Cela semble bien prouver que le français et ce que les linguistes appellent aujourd’hui le francoprovençal sont perçus comme «langues» différentes5.
Bien sûr, mis à part le latin, aucune des langues en question n’était «codifiée»
à l’époque dans le sens moderne du terme6. Mais aussi bien l’allemand que le
français et l’italien étaient reconnus comme langues véhiculaires écrites et de
prestige et étaient enseignés dans les écoles et par des précepteurs. Manifestement, un pas important en direction de la construction des «langues nationales»
aux XVIIIe/XIXe siècles avait été accompli: l’ancrage, dans la conscience collective, des langues comme des systèmes ou unités énumérables et nettement séparées les unes des autres. Néanmoins, dans des sociétés marquées majoritairement
par l’oralité, il ne peut pas encore être question d’une «implémentation» dans le
sens de Haugen, à savoir d’une imposition de la langue standard par une autorité
étatique, c’est-à-dire par le haut. Nous sommes encore dans la phase de processus d’équilibrage, voire de koinéïsation (Siegel 1985, Trudgill 1986) pour l’allemand et le français: «la koinéïsation reflète l’émergence par le bas d’une variété
supra-régionale incorporant des formes tirées des différents dialectes en contact
5 Ceci n’est pourtant pas l’avis de Wüest 2003 pour qui les locuteurs du francoprovençal
n’auraient pas eu, au Moyen Âge (mais qui dure jusqu’à quand?), le sentiment de parler une
autre langue que le français. De nombreux voyageurs parlent en effet du «mauvais français» ainsi
que de l’«allemand corrompu» des Valaisans (Furrer 2002: 558s.). Kristol 2005 insiste au
contraire sur des dénominations propres (roman, romand) pour les parlers francoprovençaus à
l’époque qui nous intéresse.
6 Nous faisons ici référence au schéma de Haugen, légèrement modifié (Haugen 1983: 275,
Kaplan/Baldauf 1997: 29, Berthoud/Lüdi 2010):
Form (policy planning)
Function (language cultivation)
Society
(status planning)
1. Selection
(decision procedures)
3. Implementation
(educational spread)
Language
(corpus planning)
2. Codification
(standardisation procedures)
4. Elaboration
(functional development)
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et des autres variétés en jeu, et nivelant les variables les plus encombrantes»
(Lodge 2010: 5s.)7.
La société de l’époque, en Valais et au-delà, était non seulement caractérisée
par son plurilinguisme, mais plus encore par différentes formes de polylectalité
(Berrendonner et al. 1983). Le fait que les langues (y compris les variétés orales)
ne soient souvent pas nommées (ou le soient de façon inconsistante) reflète donc,
malgré l’émergence de la représentation de «langues nationales», un état des lieux,
marqué par des frontières linguistiques perméables, floues et peu stabilisées8. En
particulier sur l’axe du Simplon, où les quatre grands territoires linguistiques, le
latin9, le germanophone, le gallo-roman et l’italo-roman se rencontrent et se
chevauchent mutuellement, l’intercompréhension était plus développée qu’aujourd’hui. Il est à ce propos significatif que Stockalper emploie la même écriture
pour toutes ses langues au contraire de ce que l’on peut parfois observer.
Cela nous mène troisièmement à la question de la modélisation de la compétence plurilingue et polylectale de Stockalper, voire à des considérations théoriques sur sa «pluricompétence». En d’autres termes, les «théories quotidiennes»
de Stockalper, qui était fier de maîtriser, comme son frère, à l’oral et à l’écrit, les
quatre langues dominantes du Valais de son époque, ne nous dispensent pas de
l’obligation d’expliquer ses comportements langagiers sur la base de modèles
scientifiques. Nous prendrons comme témoin, dans cette entreprise, le grand Haugen qui affirmait, en 1972 déjà, que «the concept of language as a rigid, monolithic
structure is false, even if it has proved to be a useful fiction in the development of
linguistics; it is the kind of simplification that is necessary at a certain stage of a
science, but which can now be replaced by more sophisticated models» (Haugen
1972: 325). Ces remarques eurent des conséquences profondes pour les définitions
du plurilinguisme (conçu, ici, comme terme général incluant le bi-linguisme).
Il y a plusieurs années que nous contribuons à la construction d’une théorie du
plurilinguisme qui n’embrasse évidemment pas que le monde contemporain – pas
plus que toute théorie linguistique –, mais prétend de même à une valeur explicative
pour des époques anciennes, quitte à devoir revoir certaines positions en fonction de
données historiques (Adams 2003 en a donné l’exemple pour la période romaine).
Ne pouvant pas résumer tous les arguments invoqués dans d’autres contributions
(notamment Lüdi 2004, 2006 et sous presse), nous nous limiterons, ici, à quelques
mots-clés sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir dans la partie analytique.
7 Notons que selon Andres Kristol (communication personnelle), le francoprovençal n’aurait
jamais participé à un tel mouvement.
8 Ce n’est pas par hasard que Lodge 2010: 14 appelle «fictions méthodologiques» les isoglosses dans un continuum dialectal.
9 Nous ne parlons pas seulement, ici, du latin classique des couches cultivées, au sommet de la
pyramide polyglossique. Furrer 2002: 560 rapporte le témoignage de voyageurs qui parlent du
latin comme d’une sorte de «langue populaire». Il est par ailleurs évident que la latin de Stockalper dans ses Livres de commerce et de comptes ne correspond pas au modèle classique, sauf dans
les passages où il cite des sentences traditionnelles.
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– La recherche ne considère plus les langues pratiquées par une personne plurilingue comme une simple addition de «systèmes linguistiques» (plus ou moins
approximatifs) appréhendés chacun pour soi, mais comme une espèce de «compétence intégrée» (Grosjean 1985, Lüdi/Py 1984); et on a, par conséquent, remplacé la notion classique de compétence par celle de répertoire langagier (Gumperz 1982, Gal 1986, Moore/Castellotti 2008).
– Ces répertoires langagiers plurilingues représentent, dans la pratique, un ensemble de ressources – verbales et non verbales – mobilisées par les locuteurs
pour trouver des réponses locales à des problèmes pratiques, partiellement
stabilisés et disponibles aussi bien pour le locuteur que pour son interlocuteur,
qui peuvent provenir de différentes variétés (lectes), mais aussi et surtout de
plusieurs «langues» pour autant que ce terme fasse encore du sens (cf. Lüdi/Py
2009 pour plus de détails). Pour employer une image de Lévi-Strauss 1962: 27,
on pourrait parler d’une «boîte à outils» pour bricoleurs: la règle de son enjeu
est de toujours s’arranger avec les «moyens du bord», à savoir un ensemble hétéroclite d’outils et de matériaux, contingent de toutes les occasions à l’issue desquelles le stock a été renouvelé, et permettant de créer et de jouer, de conduire
une activité verbale dans des contextes particuliers.
– Du fait de l’asymmétrie des répertoires, leur mise en œuvre a souvent lieu dans
des contextes dans lesquels plusieurs langues sont employées à la fois (situations
plurilingues) et maîtrisées à des niveaux forts différents (situations exolingues).
En vue de situer ces formes de mobilisation les unes par rapport aux autres, il
est utile de rappeler, ici, la distinction, développée dans les années 1980, entre
situations endolingues/exolingues et unilingues/plurilingues. Dès que les compétences des interlocuteurs sont asymétriques, on dira que l’interaction est exolingue (cf. déjà Porquier 1984, Noyau/Porquier 1984). Le cas prototypique est
celui d’une interaction entre natifs et non-natifs. Nombreux sont ceux qui songent, dans ce cas, à des modèles unilingues de la communication. Or, ceci n’est
souvent pas le cas. Différentes formes de parler plurilingue (nous entendons
évidemment par là le discours écrit aussi bien que le discours oral) font leur
apparition. Elles sont caractérisées par un choix de langue instable et de nombreuses marques transcodiques (Lüdi/Py 2003, Lüdi/Py 2009, etc.). Nous avions
proposé ce terme (Lüdi 1987, Auer 1990, Lüdi/Py 2003) pour désigner toute
sorte de «mélanges de langues» (alternances codiques, interférences, emprunts,
etc.), c’est-à-dire de traces d’une autre langue à la surface d’un discours en une
langue donnée, tout en sachant que cette notion regroupe des phénomènes
hétérogènes, et que ces derniers font en plus l’objet d’interprétations parfois
contradictoires, signalant soit une incompétence (p.ex. Faerch/Kasper 1983,
Perdue et al. 1993), soit une excellente maîtrise des langues impliquées (Grosjean 1982, Lüdi/Py 1986, 2003, Myers-Scotton 1993a, 1997, etc.). Ces marques
transcodiques sont parfaitement «normales» et remplissent toute une série de
fonctions discursives (fonction identitaire, marqueur de discours rapporté, fonction de distanciation, marqueur d’insistance, trace de la non appartenance à une
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communauté, etc.); et elles sont particulièrement nombreuses dans les Livres de
commerce et de comptes, comme nous allons le voir dans les chapitres suivants.
Pour saisir ces différents cas de figure de mobilisation de répertoires plurilingues plus ou moins équilibrés, nous avions proposé de croiser l’axe exolingueendolingue par un deuxième axe, unilingue-plurilingue:
Exolingue
Mo
onolingue
Monolingue
Plurilingue
Endolingue
E
Du côté droit, la communication suit les principes dits «OLAT» [one language
at a time] ou même «OLON» [one language only], du côté gauche on pourrait
parler de «ALAST» [all languages at the same time].
Nous allons donc considérer, par la suite, le répertoire de Gaspard Jodoc Stockalper comme une compétence intégrée de plusieurs «langues», maîtrisées à des
degrés divers, mises en œuvre dans des situations oscillant entre les quadrants
endolingue-unilingue et exolingue-plurilingue, en nous focalisant en particulier sur
les parties du corpus constituées par différentes formes de «parler plurilingue»,
voire d’«écriture plurilingue» dans le corpus formé par les Livres de commerce et
de comptes.
Voici quelques-unes des questions de recherche sous-jacentes à cette réflexion:
– Quelles sont les régularités observables dans la mise en œuvre de son répertoire
plurilingue?
– Une méthodologie développée pour rendre compte de parlers plurilingues
contemporains, surtout oraux (mais cf. les exemples littéraires analysés p.ex.
dans Grutman 1997, Brugnolo/Orioles 2002, Richard 2002, Lüdi 2005) estelle applicable à des textes écrits du XVIIe siècle?
– Comment rendre compte de l’écriture plurilingue» de Stockalper? Y trouve-ton des traces d’une «grammaire plurilingue émergente»?
Nous allons tenter de donner quelques premières réponses à ces questions.
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3. Le corpus des Livres de commerce et de comptes
Avant de continuer, il convient de présenter rapidement le corpus qui sert de base
à nos analyses. Gaspard Jodoc Stockalper réussit non seulement dans sa carrière
politique (voir plus haut), mais érigea un véritable empire commercial au milieu du
XVIIe siècle, ce qui lui valut le surnom de «Fugger des Alpes» (Carlen, in Stockalper 1987s. I: vii). En termes modernes, on dirait qu’il dirigea avec énormément de
succès un groupe d’entreprises international et extrêmement diversifié: il posséda
des troupes mercenaires; comme réaction à l’insécurité des voies de communication pendant la guerre de Trente Ans et à la dégradation de la situation au Gothard,
il réactiva la route du Simplon pour offrir une voie de transit rapide et sûre, pour
laquelle il obtint le monopole; la diète lui attribua, en 1648, le titre de «maître du
sel» en Valais, ce qui signifiait le monopole – extrêmement lucratif – sur cette denrée et sur son transport; il exploita les ressources minières du Valais (or, plomb, cuivre et fer) et travailla comme banquier en dominant en particulier le marché des
hypothèques de son Valais natal, etc. Tout un réseau de collaborateurs le soutint
dans ces activités, avec lesquels il faisait les comptes séparément. Mais pour garder
la vue d’ensemble sur son empire, il transcrivit l’essentiel dans une espèce de comptabilité centrale. Cette dernière a survécu dans sa majorité et comprend 14 volumes
in-folio de 20 sur 32 centimètres, reliés en cuir, dont 12 de la main de Stockalper luimême. Ces Livres de commerce et de comptes («Handels- und Rechnungsbücher»)
ont été intégralement transcrits et édités par Gabriel Imboden (Stockalper
1987s.). Ils manifestent le rôle important de Stockalper pour l’histoire économique
et commerciale, notamment du système bancaire, de son époque. Ils sont à plusieurs
respects hétérogènes comme l’annonce Imboden dans son introduction au premier
volume: «Es ist nicht die Ausnahme, sondern die Regel, dass die Konti im ganzen
Band verzettelt [sind], aus Gründen der Geheimhaltung oder, weil sein offenbar
phänomenales Gedächtnis den Überblick über die disparate Masse der Geschäftsgänge mühelos bewältigte.» (Stockalper 1987s., I, ix). Mais l’éditeur relève aussi
dès le départ ce qui est particulièrement pertinent dans notre contexte: «Stockalper
schreibt in sechs Sprachen» (ibid.). Ainsi, les Livres de commerce et de comptes
représentent une occurrence importante d’«écriture plurilingue» au début de l’ère
moderne. C’est ce qui mérite toute notre attention10.
10 En règle générale, les plurilingues font une exploitation fonctionnelle de leurs répertoires,
c’est-à-dire qu’ils choisissent chaque fois la variété qui leur offre le bénéfice, symbolique ou économique, maximal. Or, ce choix de langue est souvent extrêmement peu stable, très dynamique,
continuellement renégocié. Le «parler multilingue» qui en résulte ne peut le plus souvent pas être
associé à une forme de parler déficitaire (comme elle le serait dans un «mode unilingue»; cf. Grosjean 1985: 2001), mais comme format approprié et légitime dans un «mode plurilingue» entre plurilingues, manifestant fréquemment des identités hybrides. Ceci a mené, dans un autre cadre théorique, à introduire une autre opposition: «While a multilingual person may be understood as using
constellations of separate languages, a multilanguage user simultaneously uses linguistic features
drawn from multiple interconnected linguistic resources» (Makoni/Makoni 2010).
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Georges Lüdi
Nous avançons en effet l’hypothèse que le répertoire plurilingue de Stockalper
représentait une ressource centrale pour configurer ses activités commerciales, une
espèce d’image de marque (corporate identity dirait-on peut-être aujourd’hui) et
que la flexibilité dans le choix des langues constituait un des facteurs expliquant son
succès. Il faudrait ainsi, bien sûr, tenter d’élucider selon quelles conventions sociales
et régularités il choisissait ses langues (on peut p.ex. observer que le type de texte
«contrat» est habituellement associé au latin tandis que Stockalper s’accommode
au profil linguistique des ses correspondants pour les décomptes). Pour y parvenir,
il conviendrait d’exploiter à fonds les Archives de Stockalper à Brigue11.
Notre propos, ici, est plus modeste. En fonction des questions de recherche formulées plus haut, nous allons nous focaliser sur un seul type de document tout en
admettant que nos douze volumes contiennent une foule de genres textuels différents (p.ex. décomptes, copies de contrats, sentences, notes personnelles, etc.) qui
se situent à plusieurs endroits dans le fameux continuum de Koch/Oesterreicher
1990 entre «langue de distance» et «langue de proximité». Néanmoins, la situation
d’énonciation semble unique dans la mesure où le texte est non seulement de la
main de Stockalper, mais en principe aussi exclusivement pour ses yeux. Curieusement, la proximité semble moins se manifester par des traces des langues orales
locales (alémanique et francoprovençal) que précisément par la collocation d’éléments des ressources plurilingues de Stockalper associés, normalement, à des
«langues» différentes (cf. déjà Guntern 1992, Furrer 2002, 2009), à savoir par des
marques transcodiques. Nous allons donc concentrer notre attention sur les habitudes de Stockalper comme «multilanguage user», pour utiliser le terme de Makoni/Makoni 2010, dans une forme d’écriture très particulière et privée. Nous le
ferons en deux temps. D’abord, il sera question du «mélange» entre les deux
langues principales de l’auteur, l’allemand et le latin, et des proportions de leur
emploi. Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur un phénomène très
particulier, à savoir les formes que revêt le «parler multilingue» dans des textes
caractérisés par un degré élevé de polyphonie.
11 On est évidemment tenté de comparer cette observation avec des réflexions sur les manières dont des entreprises modernes, voire leurs collaborateurs, exploitent leurs ressources
communicatives dans la communication externe («on vend dans la langue du client») et interne
(création d’une philosophie de l’entreprise «inclusive»; cf. Lüdi 2010).
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
201
4. L’allemand et le latin, lingua franca de l’Europe du XVIIe siècle,
dans les Livres de commerce et de comptes
Stockalper avait acquis des connaissances solides de latin pendant la période de sa
formation; et une partie importante des livres qui formaient sa bibliothèque était
en latin (Furrer 2002: 576 et 594s.). Il n’est donc pas surprenant que la langue de la
culture classique, de la rhétorique, de l’église et de la jurisprudence soit très présente dans ses Livres de commerce et de comptes. En partie, il s’agit de la reproduction de passages de documents écrits dans un mode unilingue – de la main du
propre Stockalper ou d’autres scribes –, où toutes les traces d’autres langues de son
répertoire sont inhibées. On citera comme exemples les actes notariaux comme les
dons et les contrats (nous avons mentionné plus haut le cas d’un contrat de mariage
où du moins une des parties contractantes ne comprenait pas le latin), mais aussi
les sentences, fruits de ses nombreuses lectures, qu’il recopie dans son journal (diarium) qui contient par ailleurs une foule de notes qui concernent ses affaires quotidiennes. Voici deux exemples tirés des faceta au début du diarium de 1650:
(5)
Nec honorem curat avarus, nec opes luxuriosus, neque gulam gloriosus.
(6)
Quidquid est in mundo, aut est concupiscentia carnis aut concupiscentia oculorum aut
superbia vitae: superbia, avaritia, luxuria.
Mais au-delà de cette activité de copiste, Stockalper se servait activement du latin
qui représentait, après le haut allemand régional (Werlen 1991), sa langue écrite
principale. Dans le cadre d’une des premières analyses approfondies du langage
de Stockalper, Barbara Guntern 1992 a exploité le premier volume des Livres.
Son mémoire de licence de l’Université de Fribourg portait le titre Sprachliche Interferenzerscheinungen im ersten Handels- und Rechnungsbuch des Kaspar Jodok
von Stockalper (1609-1691), dargestellt am Beispiel einzeln eingeschalteter Wörter
und eingeschalteter Wortgruppen. Si le terme «interférences» dans le titre principal
pourrait faire penser que l’auteure considère les marques transcodiques comme
une espèce de déviation par rapport à la norme unilingue, le sous-titre situe cette
recherche dans le cadre des théories du code-switching. Comme dans la littérature
classique (p.ex. Myers Scotton 21997, Milroy/Muysken 1995), Guntern présuppose que chaque énoncé a une «langue de base» (matrix language) qui sert d’échaffaudage sur lequel sont drapés des éléments de la (ou des) «langue(s) enchassée(s)». Or, le gros des énoncés de Stockalper étant «mixtes», l’auteure a renoncé
à compter les passages «purs» et a tenté de chiffrer les énoncés en fonction de leurs
langues de base. Elle obtient ainsi la proportion:
allemand: latin: français: italien = 300: 100: 5: 3.
Stockalper a donc choisi le latin comme langue de base pour presque 1⁄4 des énoncés dans le premier volume des Livres. Par ailleurs, le latin est le principal «donneur» pour des code-switchings lexicaux:
202
Georges Lüdi
lat.
substantifs
m.
f.
n.
total
adjectifs
adverbes
prépositions
conjonctions
autres
total
allem.
fr.
ital.
total
23
23
18
64
4
36
7
12
2
2
–
10
12
1
3
–
1
2
17
x
19
–
–
3
–
–
2
x
2
–
–
3
–
27
42
28
97
5
39
11
13
2
125
17
22
5
167
et pour des «ilots enchâssés» (embedded islands):
langue receveuse
langue donneuse
lat.
allem.
fr.
ital.
total
allemand
latin
français
italien
181
x
1
–
x
34
–
–
10
10
x
–
18
4
5
x
209
48
6
–
total
182
34
20
27
263
Les insertions lexicales s’expliquent souvent par le recours à des vocabulaires
spécialisés: à l’italien pour des produits d’origine milanaise qui transitent par le
Simplon, à l’allemand pour le domaine des mines, etc. Le lexique latin est d’abord
exploité dans le domaine des organisateurs textuels (adverbes, conjonctions, prépositions), mais aussi pour des formules juridiques et les domaines du calendrier
et de la comptabilité. De nombreuses formules commerciales sont empruntées au
français. Selon Guntern 1992: 137, le degré de mélange varierait selon les domaines d’activités entre très haut pour le commerce de transit, moyen pour les
décomptes avec des individus et bas dans des passages concernant l‘exploitation
des mines, les compagnies de mercenaires ou des affaires de famille.
On ajoutera les nombreuses occurrences de mots hybrides. «Es ist keine Seltenheit, dass er [sc. Stockalper] deutsche, italienische oder französische Wörter lateinisch flektiert und umgekehrt. Mit der Formenlehre hält es der schnellschreibende
Rechnungsführer nicht so genau: dasselbe Substantiv wird vielfach in mehreren
Deklinationen und in allen Genera flektiert. Nur der Kontext erschliesst die passende Form.» (Stockalper 1987s., I, ix).
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
203
On peut tenter d’illustrer et de compléter ces chiffres par quelques exemples:
(7)
Bis auf den 1 january anno 1642 bleibt mir des Carlj in toto schuldig, a rayson de 5 per
pastum, 235 kr. (52)
La langue de base est l’allemand, la date est en latin, de même l’expression in toto
et le syntagme prépositionnel per pastum; l’expression toute faite a raison de est
empruntée au français. C’est comme si Stockalper prenait de chaque langue ce
pour quoi elle lui paraît particulièrement bien équipée.
(8)
Anno 1642, den 20 octobris, in entlicher abrechnung mit den herrn P[eter] P[aul] Ley
und Gulielmo Piana bringen sie mir in 137 siden ballen, so sie ab ultimo computu ferferget haben, 12 struze, 32 ballen ryss und 15 Französische. (31)
Une autre séquence typique: les éléments de la date sont en latin, mais avec un
article allemand suggérant une intégration forte en allemand, et que ce dernier est
langue de base; l’expression juridique ab ultimo computu forme un ilot enchâssé,
le terme technique strozzi provient de l’italien. Des combinaison d’un article en
allemand et d’un nom décliné en latin ne sont pas rares:
(9)
Den 28 und 29 may, als der Peter Paol aber wegen der licens des weins und des comissary
ankomen, hat er 1 skr ferzert und 9 skr empfangen, dem comissario zu geben wegen der
offnung des pass. (305)
Pour plus de détails, on se référera aux analyses détaillées de Guntern 1992 et de
Furrer 2002, 2009.
On compare souvent l’usage du latin comme lingua franca au Moyen Âge et au
début de l’Ère moderne avec celui de l’anglais dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Ni dans l’un ni dans l’autre cas, il ne s’agit d’une langue parfaitement maîtrisée par tous les interlocuteurs. Pour presque tous les utilisateurs du latin, il s’agissait d’une langue seconde, apprise à l’école et employée avec des fonctions véhiculaires. Il est permis de penser que, comme l’anglais aujourd’hui (cf. Böhringer/
Hülmbauer/Seidlhofer 2009), cette lingua franca était de caractère foncièrement
hybride et que certains de ses utilisateurs faisaient amplement emploi de leurs ressources plurilingues quand ils parlaient ou écrivaient en latin. Dans des situations
unilingues-(quasi)endolingues, entre savants avec des compétences excellentes, on
se rapprochait de la norme scolaire; dans des situations plurilingues-exolingues au
contraire, où certains utilisateurs maîtrisaient mal le latin12, la variété choisie était
bien plus hybride, mais sans arriver, sans doute, à ressembler à la lingua franca historique en usage en Méditerranée au Bas Moyen Âge et au début de l’Ère moderne.
En conclusion, l’application de la notion lingua franca au latin du début du XVIIe
siècle renvoie à une modalité très ouverte et dynamique de mobilisation des ré12
Pour l’emploi du latin comme «langue populaire», cf. N8.
204
Georges Lüdi
pertoires des locuteurs, comprise comme l’exploitation, dans une situation où ceuxci n’ont pas la même L1, de toutes les ressources dont ils disposent.
Qu’en est-il dans ce contexte de l’emploi que Stockalper fait du latin et des
autres langues de son répertoire? D’abord, et même si l’on ne niera pas une certaine hybridité, on constate que son latin est aussi bon qu’on pouvait l’attendre
d’un lettré de son temps. Deuxièmement, même si le statut du latin le situe au sommet de la pyramide polyglossique, ceci ne mène nullement à une dévalorisation des
autres langues et en particulier de l’allemand; ceci est manifestement dû à un certain équilibre entre latin et langues «vulgaires» dans les systèmes de valeurs des
langues au début du XVIIe siècle. N’oublions surtout pas, troisièmement, que si on
observe en effet beaucoup de variation dans son emploi du latin, il n’est pas question d’accommodation à autrui en situation d’interaction puisque l’auteur écrit
pour son usage personnel. L’oscillation entre des modes plus unilingues ou plurilingues représente par conséquent la pratique idiosyncratique génuine d’un scribe
plurilingue.
A propos de notre corpus, on constate alors:
(a) L’allemand et le latin sont les langues principales de Stockalper, qui maîtrise
bien les deux sans que l’une ou l’autre ne domine réellement (pour simplifier,
nous laisserons de côté, dans les paragraphes suivants, les autres langues de
son répertoire). Mais il ne semble point partager des représentations telles
qu’elles prévaudront plus tard au XVIIe siècle selon lesquelles une seule
langue serait légitime ou qu’il faut en tout cas n’employer qu’une seule langue
à la fois. Schématiquement, on peut représenter le choix/mélange des deux
langues comme suit:
1
2
emploi unilingue,
unilingue, ««pur»
pur»
emploi
la t in
du latin
3
4
formes de
de mélange
mélange
formes
5
6
emploi unilingue,
unilingue, «pur»
«pur»
emploi
de ll’allemand
’allemand
Dans l’usage de Stockalper, le mode unilingue, en allemand aussi bien qu’en
latin, correspond aux deux position extrêmes (soit à gauche de 1, soit à droite
de 6) sur ce continuum. Or, sur l’ensemble des Livres de commerce et de
comptes, les formes de mélange sont de loin plus fréquentes que les textes unilingues, le mode unilingue étant surtout réservé à la copie de citations de
textes littéraires latins ou de documents formels originaux.
(b) Dans notre schéma, les positions 1 et 6 représentent un emploi minimal d’éléments de l’autre langue, p.ex. sous forme d’insertions lexicales isolées. Il en
existe des exemples dans les deux directions d’insertion (article et substantif
allemands dans un texte en latin dans l’exemple 10, adverbe latin dans un
texte allemand dans l’exemple 11):
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
205
(10) Anno 1642, den 10 augusti, recepit 14 lib ysen
(11) Also blüb ich finalissime 700 lib dem spital schuldig
(c) Aux positions 2 et 5, des syntagmes entiers sont insérés (ilots enchâssés), mais,
ici aussi, l’identification de la langue de base et de la direction des insertions
ne constitue pas vraiment un problème (voir exemple 15 plus bas).
(d) C’est aux environs des positions 3 et 4 que la langue de base n’est pas toujours
identifiable avec certitude (dans l’exemple 12 ci-dessous, y a-t-il p.ex. changement de la langue de base entre die condutten et ex rogatu?), même si les
éléments particuliers sont plus ou moins indexables «latin» ou «allemand»
(plus ou moins, parce que des expressions latines comme item, anno pourraient très bien être perçues comme emprunts acceptés en allemand):
(12) Vide folio 17 libri 2 salis finalem computum.
Nach obgestelter rechnung hab ich auf ein nüwes zalt dem Signor Ambros 6 pistolen auf
die condutten, ex rogatu domini Pianae et sociorum. Teste manu utriusque eodem die,
19 augusti 1662.
Den 13 septembris 1662 hab ich dem Casanova zalt 25 pistolen auf die conduten. Teste
manu 3.
E contra solvit ipse 70 duplas Genevae domino Burlamachi.
Item dedit dominus Piana equum Johanni Battistae Ley pro 9 duplis.
NB: Anno 1669, die 30 january, Battista Ley retraxit actum huius originalem.
En résumé, on dira que ni le choix du latin ni le choix de l’allemand ne sont absolus; dans tous ces usages, l’autre langue reste activée, mais à des proportions
variables, plus vers le centre du graphique, moins vers les deux pôles. Bien qu’avec
des fréquences beaucoup moins importantes, des exemples de mélange existent
évidemment aussi avec d’autres combinaisons de langues, ce que peuvent illustrer
les deux exemples suivants qui ont recours, entre autres, à l’italien et au français13:
(13) 1662, den 19 augusti, in Briga, fatto il conto generale con il signor canonico Piana, si
trouva, che io habbi avanzato a loro condutta dopo l’ultimo conto, fatto ali 10 luglio 1661,
cioe doppie di Spagna doi cento e due, 202 x, a conto delle quali hanno pagato al Signor
Burlamachi in Genevra ducatoni settanta, dico 70 skr, e a Milano a la chassa di sale lire
imperiali 1800, dico mille otto cento, che fanno in tutto cento e undeci doppie, dico
111 doppie un sesto. Restono in questo debitori de doppie 91 mane un sesto. (VIII, 348)
(14) Louis Aly, mein lhenman zu Vovry
[1711 hat anno 1667, den 15 octobris, volgendes mein gut zu lhen empfangen, alles in
halben:
1° la possession dessoubs Vaney;
2° la vigne riere la maison de Volet;
13 Ces exemples anticipent le phénomène de la polyphonie qui sera abordé dans le paragraphe
suivant dans la mesure où une relation d’intertextualité relie des passages des Livres de commerce et de comptes avec des documents originaux dans les langues respectives.
206
Georges Lüdi
3° la grosse vigne devant la tour;
4° la vigne de Ripallie, 1 1/2 fossorier;
5° la vigne en la Coutta, 2 fossorier; . . . (V, 273)
Manifestement, le mode d’écriture spontané de Stockalper était bilingue ou même
parfois plurilingue comme l’illustre l’extrait suivant:
(15)
1
Den 15 augusti recepit 2 italienische pistolen a credit.
Bis auf den 1 january anno 1642 bleibt mir der Carly in toto schuldig, a rayson de 5
3
per pastum, 235 kr.
4
Memoriae ex tabletta Londini in Anglia, per me empta 1644
5
[84v] 4 fardin fano I pening, 12 pening fano un schling, 20 schling fano 1 lib sterling,
6
un Jacobus fa 22 schling, une lib sterlin fa 1 1⁄2 pistole • bz.
7
Hamtem Court, domus regia, distans Londino 3 horis, habet 1600 camin: le
8
tapizeries valent 2 million et les tables davantage.
9
Chevalier Roocwood, m[iste]r Wyllypolt, mes camarades sur Loyre.
10
NB: Dacon Vetulamius, cancellarius Angliae, prognosticationem antiquam
11
recenset, nempe: quod nulla spes supererit Angliae, quando HEMPEI, id est, der
12
hanf würt abgespunnen sein, wan Henricus, Edouardus, Maria, Philippus, Elisabet,
13
Jacobus werden regiert haben. (VIII, 155)
2
On remarquera, dans ce texte, la présence de termes techniques commerciaux français (lignes 1 et 2: a credit, a raison) et d’ilots enchâssés dans cette même langue
(lignes 7-9: les tapizeries valent 2 millon et les tables davantage, mes camarades sur
Loyre); par ailleurs, on retrouve des séquences mélangées d’allemand et de latin
(lignes 1, 2, 11s.). Mais c’est surtout la présence de désignations anglaises pour des
pièces de monnaie (fardin, pening, schling, lib sterling), en combinaison avec l’expression italienne (fanno, fa) et un article indéterminé italien et/ou français (un,
une) qui est saillante et mérite notre attention. La manière dont Stockalper mobilise, ici, son répertoire plurilingue est extraordinaire. D’abord, l’allemand et le latin
apparaissent comme égaux, bien ancrés dans le contexte valaisan, l’un comme
langue régionale, l’autre comme langue internationale véhiculaire et de l’éducation;
ils ne semblent pas fonctionner comme concurrents, mais plutôt comme partenaires,
dans des usages entremêlés de façons multiples, et ceci même s’ils continuent à
former des ensembles séparables de ressources, indexés «latin» et «allemand» respectivement. Mais ensuite, d’autres variétés apparaissent qui illustrent comment
l’auteur tire profit de l’ensemble de sa compétence plurilingue intégrée.
Nous avons récemment publié des exemples de cas contemporains de «mélange», où les interlocuteurs négocient la mobilisation de leur ressources linguistiques jusqu’aux limites de ces dernières (Lüdi/Barth/Höchle/Yanaprasart 2009,
Lüdi/Höchle/Yanaprasart 2010). Nous avons, à ce propos, parlé de créativité linguistique. Cette caractérisation vaut d’autant plus pour les textes de Stockalper,
écrits pour répondre à des nécessités de formulation quotidiennes sans soucis normatifs, et qui exploitent par conséquent pour ainsi dire «sans risques» l’ensemble
du répertoire de l’auteur.
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
207
Cela est vrai aussi pour un autre phénomène caractéristique de l’écriture de
Stockalper, auquel nous allons consacrer le paragraphe suivant, à savoir la polyphonie. Nous allons tenter de l’analyser sur la base des Livres du sel (libri salis),
une sous-catégorie des Livres de commerce et des comptes consacrée à cette denrée particulièrement importante pour l’empire commercial de l’auteur.
5. Parler plurilingue et polyphonique dans les Livres du sel de Stockalper
Pour toute société alpestre, le sel est indispensable, pour l’alimentation des êtres
humains, pour la bonne santé des animaux, pour la production du fromage et pour
la conservation de la viande. Le Valais se procurait du sel marin français de la
région des bouches du Rhône, de Sicile et de Milan, parfois aussi d’Autriche (Raz
1999: 67). Depuis qu’il en avait obtenu le monopole, l’importation, le transport et
la vente du sel représentaient une des sources de revenus majeures de Stockalper.
Sans compter que le stock de sel jouait en quelque sorte le rôle d’un banque locale,
le sel étant un mode de paiement fréquent dans beaucoup d’affaires (Imboden, in
Stockalper 1987s., X, xii). Si Stockalper mena une comptabilité spéciale pour cette
denrée, cela correspondait donc bien à l’importance de celle-ci. Le Liber primus
salis (1647-60) ne nous est pas parvenu; le Liber secundus salis et le Liber tertius
salis ont été édités par Imboden dans le volume X des Livres de commerce et de
comptes; ils comprennent les années 1660-78.
Une remarque de l’éditeur dans son introduction nous a intrigué:
Stockalper . . . schreibt in seiner Satzbuchhaltung über Dutzende von Seiten schlicht nur Originalabrechnungen ab, bis ins Formular hinein mehr oder minder exakt die Vorlagen wiedergebend . . .; meist übernimmt er selbst die wechselnden Sprachen der Vorlagen. Stockalper
hätte ebensogut die Originalrechnungen, die er zudem zum grossen Teil eigenhändig quittiert,
in der richtigen Reihenfolge . . . einbinden können (Imboden, in Stockalper 1987s., X, ix)
Il est sans doute vrai que les Livres de sel se réfèrent très souvent aux décomptes
des fournisseurs et que la langue des entrées respectives semble correspondre aux
langues de ceux-ci. Mais s’agit-il de simples copies, voire de citations littérales? Un
regard attentif prouve que cela n’est pas le cas. D’une part, même s’il s’agissait de
citations dans le sens de «discours direct», la fidélité absolue ne serait nullement
présupposée, à condition que les marqueurs déictiques soient corrects (origo des
systèmes déictiques identique à celle de l’original; cf. déjà Hilty 1973: 41). On a pu
montrer d’autre part que le code-switching représente une des techniques pour
contraster discours auctorial et discours rapporté – indépendamment de la langue
effectivement utilisée pour l’original (Lüdi/Py 2003). Or, le choix des langues n’est
pas toujours cohérent dans les Libri salis; et l’emploi des déictiques est à son tour
souvent inconsistant. Deux raisons pour nous pencher sur ce type de texte afin
de comprendre les techniques récurrentes, c’est-à-dire la grammaire plurilingue
émergente, sous-jacente à ces usages.
208
Georges Lüdi
Dans le premier exemple, nous faisons la connaissance de Giovanni Battista
Ley, le représentant de Stockalper à Domodossola; il se procure le sel à Milan, gère
le stock à Domodossola, transporte des centaines de sacs de sel à Varzo et se
charge du rapatriement des sacs vides comme c’est indiqué dans la copie du
contrat, rédigé en français, de 1651 (Stockalper 1987s., X, 22). Dans un des premiers décomptes, nous lisons:
(16) [12] Ex libro 1º.
Vide computum salis et currentem anni 1659 et diei 9 septembris folio 117 libri 1 salis,
ubi manet debens o.
Il devoit par son dernier compte fait au Sempron le 9 septembre 1659 2429 sacs, dico
2429; depuis jusques au 1 janvier 1660 il a receu du seigneur Wertmann 1215 sacs.
Sommaire
3644 sacs.
Se decharge: par remise faite au seigneur Pellia a Doveder
des sacs 1464
et au seigneur Pazio
des sacs 1534
Restent en fonds
sacs 646.
En foy etc., Stokalper Dela Tour, Giovanni Battista Ley (Stockalper 1987s., X, 25)
Les deux premières lignes en latin relèvent du discours auctorial (renvoi au premier Livre de sel). Le code-switching au français (peut-être la langue originale du
décompte) signale le début de la citation. Mais il ne peut pas s’agir d’une simple
copie: (a) dans le doublon 2429 sacs, dico 2429, la première personne se réfère
manifestement au seul auteur bien qu’ils aient signé les deux; et (b) le texte se réfère toujours à la troisième personne à Giovanni Battista Ley (il devoit, il a receu,
se decharge) qui est pourtant l’auteur présumé du décompte. Si discours rapporté
il y a, il ne peut donc s’agir de discours direct (oratio recta), mais de «style indirect
libre» (oratio reflexa) (Hilty 1973: 50)14.
Un emploi similaire des pronoms personnels caractérise deux autres décomptes
du 20 juillet 1661 (Conto corrente fatto dal Giovanni Battista Ley) et du 7 août 1662
(Conto di sale reso dal signor Giovanni Battista Ley) que nous ne reproduisons que
partiellement. Cette fois, c’est l’italien qui fournit la langue de base:
(17) Sommario lib 3488
Questo conto e stato da noi saldato, e resta il Ley creditore du tt 1146 imperiali, laquali
luy sono pagate dy fitti dela giurisdizione e anco il ferro per il passato; e si domino Ley
14 La linguistique française s’est depuis longtemps penchée sur le phénomène du «discours
rapporté» (p.ex. Tobler 1894, Bally 1912, Hilty 1973). Elle a notamment identifié une troisième
forme de discours rapporté à côté du discours direct (oratio recta) et du discours indirect (oratio
obliqua) qu’elle a appelée «style indirect libre», «erlebte Rede» ou «style réflecteur» (oratio reflexa): «Le style réflecteur (oratio reflexa) reproduit les paroles et les pensées en transformant
les systèmes personnel et temporel de la production par leur incorporation dans des systèmes
dont le moi-ici-maintenant du rapporteur est l’origine . . . Mais à part ce changement, le style
réflecteur est moins oblique, moins en biais que le style indirect (oratio obliqua). Comme nous
l’avons vu, il peut reproduire sans changement les schémas de construction syntaxiques employés
dans la production. Cette réflexion pure, ce reflet direct et inchangé de la structure syntaxique
distingue le style réflecteur du style indirect» (Hilty 1973: 50s.).
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
209
adjusta il sale in Domo, havera 400 lib di salario, non compresi li conti dela condotta suo
padre e fratelli del sale e sacharia. De caetero restiamo mutuo quittantes.
Io, Giovanni Battista Ley, affermo.
...
Sommario 4553.
Se discaricha detto signor Ley di detta quantita di 4553 sacchi:
per aver consignato al signor Schmidhalter
sacchi 3724
si che restono nel fondico
sacchi 829
Sommario
4553
Questo conto e statt da noi fatto e saldato, nel quale io, Giovanni Battista Ley, resto debitore di 829 sacchi da stara 4 ö che ho nel mio fondico.
Il fede ho sottoscritto io, Giovanni Battista Ley.
Salvo errore
Le décompte inséré (et «copié») provient manifestement de Giovanni Battista
Ley, qui signe à la première personne (Io . . . affermo, io . . . resto debitore di . . . que
no nel mio fondico, ho sottoscritto io). On en conclura à une occurrence de oratio
recta. Pourtant, certains passages ne cadrent pas avec cette catégorisation parce
qu’ils renvoient au scribe Stockalper (p.ex. e stato da noi saldato, restiamo mutua
quitantes). Même si l’une ou l’autre référence à Ley à la 3e personne pourrait s’expliquer comme oratio reflexa, cela semble peu plausible pour la phrase si domino
Ley adjusta il sale in Domo, havera 400 lib di salario, qui concerne le salaire payé
par Stockalper à son employé et relève entièrement de la responsabilité du premier. En effet, Ley pourrait à la rigueur l’avoir exigé, mais pas garanti. Si l’on pouvait d’abord supposer que la «voix» de Ley est doublement marquée, dans l’exemple 17, par les marqueurs déictiques du discours rapporté ainsi que par le choix
de langue, ces deux types d’indices sont manifestement, ici, dissociés: Stockalper
continue à parler la langue de Ley, mais avec sa propre voix.
Quelques années plus tard, en 1676 (exemple 18) et 1677 (non cité), les Livres
de sel présentent le décompte avec Ley an allemand:
(18) Salzrechnung hern Ley pro anno 1676
Ist schuldig bliben in ferdriger rechnung 531 sek 2/3. Doruf empfangen von hern Benz
3333 1/3. Totum 3865 sek.
Davon uberschikt dem castlan Schmithalter 2019 sek. Rest im fundo 1846 sek. (X, 347)
En mars 1679, par contre, nous trouvons le passage suivant en italien:
(19) Conto del sale reso a di 29 marzo 1679 dal signor Ley
Resto nel ultimo conto 180 sacchi; doppo ha receputo dal signor Giovanni De Georgy
sacchi 120; item del signor Francesco Favy 2529 per tutto l’anno 1678; di piu dal detto
Favy 278 nel anno 1679. Soma 3107 sacchi.
Se discariga di detti sacchi per haver consegnati in Diveder sacchi 1308; al medemo per
dritura a Dom 491.
[20] 1679, deb 29 marty, hat mir der signor Ley eingeben sein Salzrechnung wie auch
lauffende und meiner zinsen rechnung, die ich alle 3 in das buch Ossulae geschriben.
Allein die salzrechnung ist folio 202 zu sechen libri Ossulae. (X, 352)
210
Georges Lüdi
L’hypothèse que Stockalper copie les décomptes dans la langue de son correspondant est manifestement incorrecte. Stockalper reformule, et il le fait de manière
diverse. En 1676 et 1677, il semble transposer de l’italien en allemand les énoncés
supposés de Ley tout en les reprenant à son propre compte en oratio reflexa (ist
schuldig gebliben, doruf empfangen); en 1679, les références aux acteurs se font de
la même manière dans le système de coordonnées de l’auteur (ha receputo), mais
la langue italienne renvoie à l’énonciateur Ley. Par contre, Stockalper passe à
l’allemand pour un commentaire sur sa propre activité de rapporteur en discours
auctorial.
Sur le plan conceptuel, nous proposons d’interpréter ces exemples sur un double fonds théorique, d’une part en employant la conceptualité du discours rapporté
(cf. N17), d’autre part en nous référant à la théorie de la polyphonie. Cette notion
remonte au «dialogisme» de Bakhtine, qui mettait en cause la priorité du sujet parlant par rapport à l’ancrage d’un discours dans la situation d’interaction et à la pluralité des voix qui se manifestent dans un texte, ainsi qu’à des réflexions de Ducrot
et d’autres sur l’éclatement du sujet parlant dans le cadre d’une théorie de l’énonciation (Ducrot 1984). Pour Bakhtine, un énoncé résulte moins d’un acte individuel que d’une activité sociale et est profondément marqué par un réseau de
relations dialogiques, intertextuelles: «Toute énonciation, quelque signifiante et
complète qu’elle soit par elle même, ne constitue qu’une fraction d’un courant de
communication verbale interrompu» (1978: 136)15. Ducrot, de son côté, insiste sur
le fait que, «pour qu’il y ait assertion, il faut qu’un sujet se porte garant que ce qu‘il
dit est conforme à une réalité censée indépendante de ce qu‘on dit d’elle» (1984:
187). Et de distinguer entre un sujet parlant ou être empirique dans le monde,
qui prononce l’énoncé, un locuteur, être de discours, présupposé par le sens de
l’énoncé, et un énonciateur, être censé s’exprimer à travers l’énonciation sans que
pour autant on lui attribue des mots précis (Ducrot 1984: 192)16. Il est évident que
de nombreuses voix se font entendre à travers les Livres de sel de Stockalper et
qu’il n’est pas toujours possible de les démêler avec certitude17. La technique de la
15 Cf. Todorov 1981: 98: le discours n’est pas une entité homogène, mais une «entité traversée
par la présence de l’autre. . . . Seul l’Adam mythique, abordant avec le premier discours un monde
vierge et encore non dit, le solitaire Adam, pouvait vraiment éviter absolument cette réorientation mutuelle par rapport au discours d’autrui».
16 Ducrot lui-même voit des parallèles avec la terminologie de Gérard Genette: «Le correspondant du locuteur, c’est le narrateur, que Genette oppose à l’auteur de la même façon que
j’oppose le locuteur au sujet parlant empirique» (Ducrot 1984: 207).
17 Comme le disait Bakhtine (à propos des romans de Dickens): «souvent, comme nous
l’avons vu, un seul et même mot pénètre à la fois dans le discours d’autrui et dans celui de l’auteur.
Les paroles d’autrui, narrées, caricaturées, présentées sous un certain éclairage, tantôt disposées
en masses compactes, tantôt disséminées çà et là, bien souvent impersonnelles (‹opinion publique›, langages d’une profession, d’un genre), ne se distinguent pas de façon tranchée des
paroles de l’auteur: les frontières sont intentionnellement mouvantes et ambivalentes, passant
fréquemment à l’intérieur d’un ensemble syntaxique ou d’une simple proposition, parfois même
partageant les principaux membres d’une même proposition» (Bakhtine 1978: 128s.).
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
211
oratio reflexa contribue bien sûr, avec ses frontières perméables entre discours
rapporté et discours auctorial, à cette mouvance. Ajoutons que l’identification de
voix différentes non seulement sur la base de «lectes», mais sur la base de «langues» différentes est le fruit d’études sur la littérature plurilingue (Grutman 1997,
Richard 2002, Lüdi 2005 avec de plus amples références bibliographiques).
Sur cet arrière-fonds, nous constatons:
– Quand Stockalper inscrit les décomptes dans les Livres de sel, il peut, mais ne
doit pas s’en tenir à la langue originale comme nous l’avons vu pour Giovanni
Battista Ley. La même observation est vraie pour le décompte établi avec le
Chancelier d’État Barberin du 21 mai 1665:
(20) Ist schuldig: in letster rechnung 252 wägen salz 2 sek; item empfangen von hern fender
Lambien 686 wägen salz . . . Summa 982 wägen.
Hingegen sagt er, geben haben: 5 sek salz dem hern Decabulo . . . Rest im fundo 736
wägen 1 sak. (X, 206)
Les deux paragraphes renvoient au décompte de Barberin, mais se distinguent
par la forme du discours rapporté, ist schuldig suivant les règles de l’oratio reflexa, hingegen sagt er, geben haben celles de l’oratio obliqua. Le statut énonciatif
de discours rapporté reste le même. Or, tous les autres décomptes de M. Barberin suggèrent que l’original était rédigé en français et qu’il y a eu traduction,
voire transposition.
– Mais la reprise de la langue originale ne signifie pas non plus une simple activité de copie. De nombreuses traces semblent au contraire indiquer que, même
là où Ley, Barberin et d’autres figurent comme énonciateurs, c’est toujours
Stockalper qui est le locuteur, responsable, entre autres, des choix de langue. Il
peut ainsi choisir de traduire même en choisissant le discours direct.
– Si on ne peut pas conclure d’un texte allemand dans les Livres de sel à la langue
de l’original, l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Ainsi, le code-switching de
l’allemand en français dans l’exemple 21 semble connoter que la langue de l’ilot
enchâssé reflète bien la langue employée par Barberin lui-même, et ceci bien que
le texte réfère à ce dernier à la troisième et à Stockalper à la première personne
(oratio reflexa). Le fait que les notes, qui relèvent du discours auctorial, sont rédigées dans le mélange typique de latin et d’allemand renforce cette hypothèse.
(21) Lauffende rechnung hern Barbarin, 21 may 1665
Doit:
pour la vente des 245 cherets de sel marin a Sion
Dont se decharge:
pour avoir paye a Manuel
Hans Eker im Wykart
a monsieur viceballif pour pention
...
skr 6615
skr 1 1⁄2
18
266 1/3
212
Georges Lüdi
a moy a Martigny par monsieur Lambien
...
restauration dela maison a Sion
livré a moy aujourdhuit
Sommaire
450
64 1/6
1086
skr 6615
[106] Item doit ledict seigneur Barberin pour le seigneur meyer Eyster ou soit le reverendissime evesque 152 kr qu’il ma mis en compte cy devant et dont l’un et l’autre nyent
avoir receu la mesme somme, en sorte qu’il me la promise de payer a ma requeste fait a
Sion l’an et jour predits.
Enfoy etc., sauf erreur, signé Stokalper Dela Tour, Barberin.
NB: Revide computum currentem anni 1657, 19 juny, ubi est error calculi manifestus um
100 skr, die er mir sol gut machen cum censu abinde.
Anno 1665, den letsten decembris, hab ich hern Manhaft zalt 326 sek salz, so er hern Barberin per totum annum 1665 geben hat.
Teste manu utriusque.
Anno 1666 per totum annum istum dedit dominus Manhaft, uti asserit, 206 saccos domino Barberino. Teste huius manu.
Anno 1667, den 11 aprilis, hab ich hern Barberin ein zedel um 150 pistol minz, mir zu
schiken, ubergeben, an den ich allein 100 pistol empfangen.
Anno 1667, den 31 decembris, bleibt ime im fundo 1120 sek märsalz. (X, 207-209)
En résumé, Stockalper met en œuvre son répertoire plurilingue de façon à la fois
idiosyncrasique et différenciée dans les Livres de sel. Certes, il choisit parfois la
langue «sous l’influence» de l’original, mais il garde toute sa liberté de ne pas procéder ainsi. Ce faisant, il varie les formes de discours rapporté et garde pour ainsi
dire toujours la responsabilité auctoriale. Mais on observe aussi de nettes différences entre les sous-genres textuels, entre le gros des Livres de commerce et de
comptes et les Livres de sel, qui en font pourtant partie. Le mélange caractéristique
latin-allemand est ainsi moins fréquent et s’emploie surtout dans des commentaires. Ces régularités semblent renvoyer à une «grammaire textuelle plurilingue
émergente» que permet de – et qui sert à – configurer les ressources plurilingues
de notre auteur.
6. Perspectives
Gaspard Jodoc Stockalper vivait au XVIIe siècle dans un territoire et dans une
société caractérisés par un plurilinguisme complexe. Les différentes «langues»
étaient employées de façon différenciée dans des constellations sociales et commerciales différentes, pour la communication interne au Valais ainsi que pour la
communication externe avec le monde environnant. Dans plusieurs publications,
Norbert Furrer a donné une impression de la manière dont cette situation se reflète dans les Livres de commerce et de comptes. On pourrait aller plus loin. Grâce
au statut social élevé des commis de sel (qui portent des titres tels que châtelain,
capitaine, chancelier, docteur, Fender, Junker . . . [Imboden, in Stockalper 1987s.,
X, xvi]), les Livres de sel se prêteraient ainsi à une analyse des structures sociales
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
213
de la grande région située entre Milan, Lyon, la Savoie, la région lémanique et le
Valais, et à une tentative exemplaire de reconstruction des usages des différentes
langues et du système de valeurs sous-jacent. Les archives de la famille Stockalper
à Brigue, qui conservent des milliers de lettres, décomptes et documents de toute
sorte, faciliteraient une telle entreprise. On peut en effet supposer que la situation
locale de langues en contact mena à un système de valeurs à la fois authentiquement régional et partiellement intégré dans un contexte géographique beaucoup
plus vaste. Toutefois, les Livres de commerce et de comptes ne suffisent pas comme
base pour une telle recherche.
C’est pourquoi nous avons choisi, pour cette étude, une voie différente. Nous
avons pris comme point de départ le seul usage des ressources linguistiques de
l’entrepreneur plurilingue Stockalper, au centre d’un réseau de communication
personnel local, national et international étendu. Contrairement à d’autres études
sur le «parler plurilingue», l’accent a été placé non pas sur l’interaction, orale ou
écrite, avec autrui, mais sur la forme très intime, peu interactive (mais évidemment
pas moins dialogique) de l’usage langagier écrit que sont les notes de travail d’un
entrepreneur pour ses propres besoins. Dans une certaine mesure, on peut comparer ce genre aux journaux intimes destinés non pas au public, mais au seul scribe
à des fins de documentation et mémorisation.
Nous sommes parti de la prémisse que l’emploi et la valorisation des éléments
d’un répertoire plurilingue ne sont pas déterminés à l’avance. Ils sont extrêmement
sensibles au contexte. Dans des situations et des contextes régionaux différents et
en forte dépendance de la personnalité et de la biographie linguistique des acteurs,
les répertoires pluriels de ces derniers sont mis en œuvre et exploités dans des formats multiples. Parfois, il s’agit d’un tirer un profit monétaire et symbolique maximal, dans l’interaction exolingue et/ou plurilingue avec des personnes ne partageant pas (entièrement) les mêmes ressources; mais parfois il s’agit aussi d’usages
très personnels, réflexifs. Il semble que Stockalper mette en œuvre ses ressources
de façon originale et créative sans contrainte externe, par pur plaisir et fierté. Cette
manière de faire est tout à fait comparable à de la littérature plurilingue18.
D’un point de vue théorique, cette pratique confirme l’existence d’un parler plurilingue, ici sous forme d’une écriture plurilingue. Cela ne signifie nullement que
Stockalper et ses contemporains n’aient pas été conscients de parler plusieurs
«langues», même si la standardisation de ces dernières n’était pas encore très avancée. Pourtant, les frontières entre les langues paraissent mouvantes (sans doute encore plus mouvantes que pour beaucoup de nos contemporains). Nous allèguerons
comme preuve des cas où le même code-switching lexical du latin vers l’allemand
est une fois décliné selon la grammaire latine, une autre fois selon les règles de la
langue cible. L’objectif superordonné étant de remplir de façon optimale une tâche
donnée (cf. Moore/Castellotti 2007), les ressources des participants sont toujours
18 Les facsimilés des Livres de commerce et de comptes démontrent que cette créativité opère
aussi sur le plan graphique.
214
Georges Lüdi
à nouveau configurées et modifiées par les activités pratiques. En même temps, des
récurrences peuvent être observées, p.ex. dans les formes de mélanges, notamment
entre latin et allemand, dans le corpus des Livres de commerce et de comptes, ainsi
que dans les types de discours rapporté et de traitement de la langue originale dans
le discours rapporté dans le sous-ensemble que représentent les Livres de sel.
On pourrait bien sûr se demander dans quelle mesure un type de texte monologique, destiné aux seuls yeux du scribe (des vérificateurs de comptes n’existaient
pas à l’époque), peut illustrer ces phénomènes. Nous pensons que c’est possible et
utile en vue du principe de la dialoguicité de Bakhtine. Il n’est même pas nécessaire de distinguer entre un scribe Stockalper au moment x et un lecteur Stockalper au moment x + y. Il suffit d’admettre que tout texte présuppose un lecteur, plus
particulièrement un lecteur idéal, qui dispose exactement des mêmes ressources
que le scribe. Dans le système de coordonnées exolingue/endolingue et plurilingue/unilingue, nous serions par conséquent dans le quadrant plurilingue-endolingue.
Ainsi, au-delà de leur intérêt pour la sociolinguistique historique et pour l’histoire du plurilinguisme, les pratiques plurilingues observées dans Livres de commerce et de comptes de Gaspard Jodoc Stockalper nous semblent hautement pertinentes dans la perspective d’une théorie générale du plurilinguisme. Leur intérêt
dépasse donc nettement l’analyse d’une forme particulière de parler plurilingue
d’un personnage historique. Nous pensons en particulier à deux développements
théoriques qu’il serait passionnant de «tester» dans un contexte historique.
D’abord, il a été soutenu récemment qu’à partir d’une conception contextuelle
et interactive des activités et de la cognition humaines, il faudrait postuler que
les interlocuteurs – unilingues aussi bien que plurilingues – ne sont pas de simples
«actualisateurs» ou «mobilisateurs» de variétés préexistantes, mais participent activement à la configuration des ressources (Mondada 2001). Dans ce modèle, la
langue est conçue comme émergente du «doing being a speaker of a language»
(Mondada 2004).
Mais on peut aller plus loin et proposer d’étendre cette conception aux ressources variées de personnes plurilingues. On pourrait par conséquent vouloir parler de grammaires plurilingues émergentes dans le sens de Hopper 1987, 199819 à
partir de l’usage de «multilanguage users» que l’on a aussi baptisé «multilanguaging» (cf. p.ex. García 2008).
19 Larsen-Freeman et d’autres (Larsen-Freeman 2006, Larsen-Freeman/Cameron 2008)
ont appliqué la notion d’émergence, en relation avec la théorie du chaos et de la complexité, à
l’acquisition de langues secondes et étrangères. Parallèlement, une réflexion sur les grammaires
émergentes eut lieu à partir d’études sur les langues créoles et sur le pluricentrisme des langues
romanes, p.ex. par Stefan Pfänder et son équipe à Freiburg i. Br. Sans nier l’existence de systèmes
linguistiques, le focus est mis sur la dynamique de leur développement et sur l’émergence de nouveaux microsystèmes due au contact entre langues (Pfänder 2000, 2009), mais aussi en français
contemporain (Dermarkar/Pfänder 2010).
Le répertoire plurilingue de Gaspard Jodoc Stockalper
215
En effet, une conception exclusivement «bricolée» de la compétence plurilingue
serait insatisfaisante dans la mesure où elle pourrait renforcer une vision du «parler plurilingue» comme étant une forme de «mauvais usage», caractérisée par l’absence de normes, comme le pensaient beaucoup de grammairiens. Selon Jessner
2008a et b, la situation plurilingue ne se distingue pas de la situation unilingue par
l’absence de forces régulatrices ou «normes», mais par l’existence de «normes plurilingues» à la place de «normes traditionnelles». En termes de «grammaires émergentes», les «normes multilingues» ne sont pas amorphes. Simplement, leur régularité a son origine dans le discours; il s’agit, pour ainsi dire, de moules ou schémas
«sédimentés», bien qu’ils soient toujours en mouvement, sujets à une renégociation et à un renouvellement constants, qui peuvent aussi mener à leur abandon (cf.
déjà Lüdi 1991, 1994).
Appliquer ce principe de «grammaire multilingue émergente», à partir de corpus importants de «parler/écriture multilingue» à travers les siècles, pourait ainsi
contribuer à modéliser le développement des langues dans des situations de
contact dans la mesure où l’on peut soutenir, avec Evans 2006, que le développement de répertoires plurilingues, leur emploi situé dans des opérations de parlers
unilingues et plurilingues et l’émergence de variétés de contact pouvant mener à
des changements historiques sont des aspects différents des mêmes processus de
base, «differing only in their timescales».
Bâle
Georges Lüdi
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