Les actes du Forum Santé Publique 2012
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Les actes du Forum Santé Publique 2012
Sanofi-aventis France – S.A. au capital de 62 537 664 euros 1-13, boulevard Romain Rolland 75014 Paris L e Forum de Santé publique a été créé par Sanofi, il y a 6 ans, dans le but de valoriser des initiatives régionales en matière de prévention afin de sensibiliser les acteurs de santé à son importance. Au fil du temps, le Comité scientifique a souhaité élargir le champ des sujets traités à l’ensemble des problématiques de santé publique. Après avoir abordé « les défis du vieillissement », en 2010, et « les maladies chroniques et les territoires », en 2011, le Comité scientifique a engagé une réflexion sur « le diabète et les évolutions nécessaires de sa prise en charge ». Plus de 250 représentants de patients, professionnels de santé, décideurs publics et élus étaient présents au dernier Forum de Santé publique, qui a eu lieu le 30 novembre dernier. Je tiens à remercier vivement les orateurs et les participants qui ont nourri des échanges riches et passionnants. Vous retrouverez l’essentiel des débats des trois tables rondes dans les Actes du Forum. Nous souhaitons vivement qu’ils contribuent à la réflexion autour de nouvelles solutions de prise en charge du patient diabétique. Nicolas Cartier, directeur général Sanofi France Février 2013 3 LE COMITÉ SCIENTIFIQUE 2012 Pr Isabelle Durand-Zaleski, professeur de Santé publique. Pr André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Gérard Raymond, président national de l’Association française des diabétiques (AFD). Dr Thomas Borel, directeur Accès au marché et Politique de santé, Sanofi France. Dr Anne Gagnepain-Lacheteau, directeur des Affaires publiques Île-de-France, Sanofi France. Claire Viguier-Petit, directeur des Opérations diabète, Sanofi France. 4 5 SOMMAIRE ÉDITORIAL : page 3 TABLE RONDE 1 : page 8 Quelles innovations pour investir mieux demain ? TABLE RONDE 2 : page 22 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? TABLE RONDE 3 : page 34 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? GLOSSAIRE : page 50 6 7 LES INTERVENANTS Laurent Castra, directeur de la Santé publique de l’ARS Île-de-France. Alain Coulomb, consultant, ancien directeur de la HAS. TABLE RONDE 1 Bruno Delforge, directeur des assurés à la CNAMTS. Quelles innovations pour investir mieux demain ? Bruno Detournay, Les innovations en santé et en services aux patients présentent bien des promesses d’amélioration et de meilleure efficience du système. Plusieurs questions restent cependant en suspens, sur l’efficacité des solutions actuellement proposées, sur leur évaluation, sur la capacité de celles-ci à atteindre les populations ciblées, sur l’accès pour tous à un standard de soins, ou encore sur leurs implications dans l’organisation de l’offre de soins. économiste de la santé, directeur de Cemka-Eval. Isabelle Durand-Zaleski, professeur de Santé publique. Julien Mousquès, économiste, maître de recherche à l’IRDES. 8 TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? 9 TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? « Il reste des marges de progrès en termes de prévention. » Bruno Delforge, directeur des assurés à la CNAMTS. Le diabète un triple défi. État des lieux du diabète en France et en Europe ► En France ▪ 3 millions de personnes traitées pour diabète. ▪ Une prévalence de 4,6 %. ▪ Depuis 10 ans, cette prévalence augmente de 5 % par an. Céline Druet, coordinatrice du programme Diabète à l’Institut de veille sanitaire. ► En Europe ▪ Moyenne de prévalence : 6,4 %. ▪ Pays à la prévalence supérieure à 9 % : Portugal, Chypre et Pologne. Résultats de l’étude Entred 2007 ► En métropole, la population diabétique… ▪ est âgée en moyenne de 65 ans ; ▪ est légèrement plus masculine que féminine ; ▪ a un niveau socio-économique légèrement plus faible que celui de la population générale ; ▪ est née à l’étranger pour 23 %. ► Dans les DOM, la population diabétique… ▪ est plus jeune ; ▪ est plus souvent féminine. Les études Entred de 2001 et 2007 nous apprennent que… ▪ le risque cardio-vasculaire des personnes diabétiques a diminué ; ▪ la pression artérielle et le taux de LDL cholestérol tendent à baisser, possiblement grâce à une intensification des traitements tels que les statines, les IEC/ARA ou les diurétiques thiazidiques… ; ▪ le taux d’HbA1c diminue, certainement grâce à une intensification des traitements antidiabétiques ; ▪ l’obésité reste un problème pour 41 % des personnes diabétiques ; ▪ les complications augmentent légèrement : 3 points pour les complications coronariennes et ophtalmiques, 4 points pour les complications podologiques. On attribue ces constats à une survie plus importante, mais aussi à une intensification du dépistage et du traitement de ces complications ; ▪ les diabétiques de type 2 sont suivis principalement par leur médecin généraliste. La qualité du suivi s’est améliorée pendant cette période ; elle était toutefois insuffisante en 2007 et loin d’atteindre les objectifs fixés par la loi de santé publique. pose aujourd’hui ▪ Un défi épidémiologique, d’abord : la France compte désormais 3 millions de diabétiques, contre 1,6 million « seulement » en 2000, et elle en comptera plus de 4 millions dans 5 ans, soit 1 Français sur 15. ▪ Un défi en termes d’évolution des dépenses de santé : en 2010, les diabétiques ont reçu près de 18 milliards d’euros de remboursements de soins, dont 7 milliards de consommation (1/3 pour le traitement du diabète et 2/3 pour le traitement des complications). On observe aujourd’hui une augmentation de près de 8 % par an des dépenses dues simplement au diabète et à ses complications. ▪ Un défi relatif à l’efficacité de notre système de soins, à sa capacité à prévenir les maladies, à éviter les complications et à réduire les souffrances des patients. Même si les traitements sont plus efficaces, nous recensons aujourd’hui encore 9 000 amputations, 12 000 infarctus du myocarde et 3 000 diabétiques qui entrent en insuffisance rénale terminale chaque année. Il est essentiel, pour relever ces défis, de nous concentrer sur les trois grandes étapes du processus du soin . ▪ La prévention primaire : si nous souhaitons éviter que la France compte 20 millions de diabétiques demain, il faut agir aujourd’hui auprès de toute la population en surpoids ou à risque élevé avec des actions sur le poids, l’IMC, l’activité physique... Quelles pistes d’amélioration ? ▪ Le dépistage : en France, le diabète est bien dépisté. Seuls 20 % des Français qui ont une hyperglycémie sérieuse ne sont pas dépistés. En 2006, seuls les Anglais avaient un taux inférieur (16 %). Ce point est solide et rassurant. Toutes ces pistes permettraient, à terme, de réduire les complications et les coûts de cette maladie. ▪ La prévention des complications : cela passe par le meilleur contrôle de la glycémie, la correction des facteurs de risques cardio-vasculaires et le dépistage à temps des complications. Il existe des initiatives intéressantes. À Strasbourg, par exemple, l’activité physique est prescrite sur ordonnance aux personnes diabétiques. La télémédecine ou le coaching téléphonique sont également des initiatives qui méritent qu'on s'y intéresse. 10 nous Il reste des marges de progression sur ces axes, notamment au niveau des moyens disponibles. En 2008, huit pays développés avaient étudié les quatre examens prévus pour les diabétiques : les patients français étaient les derniers, avec seulement 31 % bénéficiant de ces quatre examens, contre 67 % en Angleterre. En France, pour le suivi et la prévention des insuffisances rénales, seuls 8 diabétiques sur 10 bénéficient d’une créatinémie dans l’année. 20 à 30 % bénéficient d’une microalbuminurie, qui est pourtant l’examen de référence... Il reste donc encore beaucoup à faire. Au niveau des paramètres biologiques, les 3/4 des patients ont un cholestérol total en dessous de 5,5 %, ce qui représente une réelle avancée. En revanche, seuls 54 % des patients ont une Hb1Ac de moins de 7 % : la moitié des patients vivent avec une hyperglycémie régulière, très néfaste. Il reste donc des pistes d’amélioration pour les patients au stade non compliqué (suivi biologique, traitement médicamenteux...). À cette phase, l’interlocuteur du patient est surtout son médecin de vie et son généraliste : ne vous méprenez pas, je ne tire pas sur le généraliste. Nous savons tous très bien que dans une maladie chronique comme le diabète, la dynamique propre du malade est l’un des gages indispensables du succès. L’Assurance maladie est absolument convaincue qu’un malade bien informé sur sa maladie et sur son traitement sera capable d’agir sur son mode de vie et de mieux partager avec ses soignants, ce qui permettra une meilleure prise en charge. Le rôle des professionnels de santé est bien sûr essentiel, tant dans l’amélioration de la prise en charge que dans les actions de prévention. Hélas, aujourd’hui encore, un nombre important de patients entrent dans la troisième phase, avec les complications : il s’agit d’éviter que celles-ci ne mettent en jeu le pronostic vital et ne soient invalidantes. C’est sur ce sujet que la pluridisciplinarité est essentielle face à des patients fragilisés et à des risques de rupture. TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? 11 « L’enjeu majeur : l’éducation thérapeutique. » Laurent Castra, directeur de la Santé publique de l’ARS Île-de-France. En Île-de-France, le diabète concerne 600 000 personnes, soit 1 diabétique chronique français sur 5. L’enjeu des restructurations et de l’innovation est un fondement. Nous n’innoverons pas seuls. Nous n’élaborerons pas des cahiers des charges au sein de l’ARS : nous les partagerons, dans leur conception même, avec les professionnels de santé et les usagers, et nous développerons de nouvelles formes de prévention, en particulier au sein des entreprises. Un autre enjeu important et qui fait partie des missions des ARS concerne la coordination des politiques publiques. Des échanges ont eu lieu avec l’Assurance maladie, notamment sur Sophia1 : nous souhaitons nous rapprocher de ce type de programme. Mais les moyens sont rares. L’ARS mobilise au total 31 milliards d’euros en Île-de-France. Dans cette somme, la prévention, si l’on y intègre des actions de vigilance et de sécurité sanitaire, pèse 92 millions d’euros. Pour innover et développer la prévention et l’éducation thérapeutique, il faut donc s’unir avec d’autres, coordonner les actions et mettre en commun des moyens. L’enjeu principal, pour nous, demeure l’éducation thérapeutique. En Île-de-France, 200 000 diabétiques bénéficient d’un tel programme. Il n’est guère possible d’aller plus loin. En effet, les financements mobilisés sont déjà très orientés sur le diabète : sur 660 programmes, 193 sont liés à cette pathologie. Comment aller plus loin et différemment en termes d’éducation thérapeutique ? Les deux tiers de ces programmes sont dispensés sur Paris et la petite couronne. Or, le diabète est lié à l’obésité, elle-même souvent liée à la condition sociale. L’un des axes de notre projet régional de santé est de s’attacher à une meilleure approche territoriale et à une réduction des inégalités, en particulier en petite couronne, pour le département de Seine-Saint-Denis, mais aussi pour des départements de grande couronne qui méritent une attention particulière. 12 Pouvons-nous aller plus loin en termes de financements dans un contexte de réduction des budgets ? L’ARS développe actuellement un appel à projets à hauteur de 2,5 millions d’euros. Cela reste modeste, et il faudra innover en matière d’organisation. Nous visons néanmoins quatre objectifs majeurs : réduire les inégalités territoriales, favoriser la pluridisciplinarité, aller vers une plus grande proximité et travailler davantage avec les usages pour développer une politique à destination des aidants. Par ailleurs, nous avons lancé des expérimentations en matière de plates-formes d’ingénierie de projet d’éducation thérapeutique, en particulier en Seine-et-Marne et dans le Val-d’Oise. Cela impose de se doter d’une doctrine en la matière. Des hospitaliers, des représentants du secteur ambulatoire, des pharmaciens et des usagers ont été associés à nos réflexions et planchent sur cette question. Enfin, la notion de parcours est évidemment centrale. On ne peut plus considérer une prévention primaire en amont et une déclinaison en termes de coordination des soins, par le réseau ou non. Il faut concevoir la prévention comme un élément intégré. Nous nous fondons sur des travaux déjà anciens du Haut conseil de la santé publique. Il est essentiel d’intégrer la prévention et l’éducation thérapeutique et de les cibler sur certaines pathologies. Le diabète reste, quoi qu’il en soit, une priorité en Île-de-France. « Sortons de l’immobilisme et innovons ! » Alain Coulomb, consultant, ancien directeur de la HAS. Comme il vient d’être dit, l’enjeu qui est devant nous est avant tout organisationnel. Je pars de l’idée suivante : on ne soignera pas le diabète sans soigner le système, caractérisé par un écart croissant entre un certain nombre d’évolutions et un « immobilisme actif ». allait les guérir qu’ils sont fâchés quand ils ne le sont pas. ▪ La première de ces évolutions est celle des connaissances médicales. J’en veux pour exemple la bibliographie de la HAS, qui double tous les trois ans, ce qui n’est hélas pas le cas du volume de notre cerveau. Ce qui est frappant, c’est que le système reste relativement figé. Or, comment imaginer qu’un système conçu il y a 40 ans sur des bases totalement différentes de celles que je viens de présenter fonctionne aujourd’hui sans innovation ? Une innovation qui ne peut selon moi aller que dans trois axes : ▪ La deuxième est une évolution des pathologies. Les pathologies chroniques sont une rupture épidémiologique. La conception même de la maladie évolue. Il y a 30 ou 40 ans, la maladie était un moment fâcheux entre deux moments de bonheur, qui précédaient et suivaient la rencontre avec le médecin. Aujourd’hui, grâce aux progrès, les patients vivent 10, 15 ou 20 ans avec leur maladie. ▪ La troisième grande évolution est celle relative aux attentes des professionnels de santé, de leur rapport au travail, aux autres professionnels, à la technique, différents de leurs pairs. ▪ La quatrième concerne les attentes de nos concitoyens. On leur a tellement affirmé qu’on ▪ Enfin, dernière évolution, celle des payeurs de l’État : on veut plus pour moins d’argent. ▪ Le premier axe, le plus évident, est la fin du tout curatif : tout ce qui favorisera l’émergence d’un système sinon alternatif du moins autre que le système de soins aigus (prévention, éducation thérapeutique, modes de vie, prise en considération de l’environnement, médecine prédictive...). ▪ Deuxième axe déterminant : l’utilisation des nouvelles technologies et le transfert des tâches. ▪ Troisième axe : une nouvelle organisation des soins primaires et un investissement massif dans les pathologies chroniques, dont le diabète fait partie. En résumé, le défi de demain concerne donc l’innovation organisationnelle, avec certes peu de moyens, mais des objectifs ambitieux. (1) Sophia, le service d’accompagnement de l’Assurance maladie pour mieux vivre avec un diabète. TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? 13 « Disease management : ce que l’Europe peut nous apprendre. » Isabelle Durand-Zaleski, professeur de Santé publique. L’innovation dans la prise en charge des patients, comme vient de le signaler Alain Coulomb, est un enjeu essentiel. C’est ce qui est notamment ressorti d’un travail mené pour l’Union européenne, qui a consisté à évaluer les programmes de disease management ; en fran çais, l'expression « coordination des soins » est trompeuse dans sa simplicité et laisse entendre qu’il suffirait, pour avoir une voiture, d’avoir quatre roues, un volant et un réservoir d’essence pour savoir les coordonner. L’innovation, c’est donc en quelque sorte apprendre à construire une voiture comme le montre l’analyse des expériences de disease management effectuée au niveau européen. Il apparaît que tous les pays sont confrontés aux mêmes problèmes relatifs à la bonne prise en charge des patients diabétiques. Tous ont cherché à construire leur prototype de voiture et à le tester avec des méthodes plus ou moins sophistiquées. Ils ont évalué les résultats de ces programmes de disease management et les ont trouvés relative ment décevants au regard des sommes investies. Ce constat pourrait paraître négatif, mais il ne faut pas s’arrêter là : nous sommes en train d’inventer 14 un nouveau mode de production de soins, et cela sera forcément coûteux et long. Chaque pays a apporté sa pierre à l’édifice et essayé de démontrer que tel mode d’organisation ou tel autre pouvait être favorable. Seul souci : les systèmes de soins sont différents et la capacité à transférer des tâches entre professionnels varie d’un pays à un autre. Ce point est frustrant dans notre réflexion sur la façon de modifier le système de soins et d’innover pour mieux soigner. Si nous constatons, ainsi, que certaines dé marches intéressantes ne peuvent pas être trans posées aisément dans le système français, nous disposons désormais d’une liste d’innovations qui se révèlent très encourageantes. Nous avons pris connaissance de beaucoup d’idées et d’initiatives sur l’implication des patients, la télémédecine, l’utilisation des SMS... Nous avons ainsi à notre disposition une très grande diversité de moyens. La difficulté sera de combiner tout cela dans un système de soins donné, qui a son histoire et ses rigidités. Nous sommes aujourd’hui dans la construction et l’invention d’un système à venir. « Quelques pistes d’optimisation envisageables. » Julien Mousquès, économiste, maître de recherche à l’IRDES. Malgré toutes les difficultés que nous avons pour évaluer les expérimentations et les innovations organisationnelles, le point central reste le constat relatif à la performance de la France en matière d’efficacité, d’efficience ou d’équité autour de la prise en charge et de l’accompagnement des personnes souffrant de diabète. Nous évoquions les améliorations, qui restent malgré tout modestes. Cela doit nous interroger sur ce qui est en jeu : les pratiques des professionnels ? Le comportement des assurés, des patients, des demandeurs ? La clé n’est-elle pas dans les aspects organisationnels et de régulation des soins et des services de santé, comme l’a dit Alain Coulomb ? De ce point de vue, parmi les grands leviers mobilisés par d’autres pays, on trouve les programmes de disease management, mais aussi des modèles de prise en charge qui tournent tous autour d’un renforcement des soins primaires, qui n’ont pas de réelle existence législative et réglementaire dans notre pays. Parmi les autres leviers mobilisés figure la question centrale du regroupement des praticiens et de la coopération entre les professionnels en première ligne, qui doit être questionnée au regard de nos pratiques organisationnelles françaises. En France, les professionnels sont assez isolés dans leur pratique en ambulatoire et le mode de rémunération a tendance à favoriser la concurrence et la fragmentation, plus que la coordination et l’intégration. Enfin, les difficultés liées à l’évaluation de ces innovations organisationnelles tournent autour de la capacité à bien identifier l’innovation, à mesurer une causalité liée à cette dernière, et elles tiennent également à l’horizon temporel que l’on se donne pour juger des performances. En effet, les gains ou les pertes liés à ces innovations nécessitent des perspectives temporelles assez longues, alors que l’attente des décideurs publics et des acteurs est souvent à plus courte vue. TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? 15 « L'une des priorités : améliorer l’organisation des soins. » Bruno Detournay, économiste de la santé, directeur de Cemka-Eval. Cette table ronde part du constat que nous sommes confrontés à un problème épidémiologique et sanitaire qui s’aggrave constamment et a des conséquences économiques notables en termes de dépenses de santé. Ce problème a été pris à bras-le-corps, depuis un certain nombre d’années, par tous les acteurs concernés, et pourtant, la situation continue de s’aggraver. Pourquoi ? Commençons par l’aspect sanitaire. La prévention est essentielle, notamment la prévention primaire, que nous ne savons pas assurer, ainsi que la prévention secondaire, pour prévenir les comorbidités. Nous avons besoin d’une prévention globale, qui soit adaptée au profil de risque des uns et des autres. En outre, le diabète est avant tout un problème social, extrêmement lié au niveau socio-économique des individus. Il est donc important de proposer des solutions nouvelles pour s’atteler enfin au problème que posent ces populations défavorisées. L’amélioration de la situation passe également par l’action des médecins. Ceux dits de « première ligne » sont les généralistes, qui ont besoin de recommandations claires et précises, simples à appliquer. S’agissant des aspects purement économiques, 50 % des dépenses sont liés à l’hôpital. Il est temps d’agir par rapport à cela. Bien sûr, en évitant des complications, on constaterait moins d’hospitalisations. Mais nous relevons également aujourd’hui que beaucoup d’entre elles s’expliquent uniquement par la mauvaise organisation du système de santé. Nous sommes passés du modèle hospitalier du lit et de l’entrée au modèle du séjour. Il faudrait passer aujourd’hui du modèle du séjour au modèle du service rendu. De nombreuses hospitalisations sont justifiées uniquement par le fait d’établir un bilan, voire de dispenser une éducation thérapeutique, ce qui est extrêmement coûteux. Il faudrait, évidemment, améliorer l’organisation des soins, c’est-à-dire adapter les niveaux de compétence des professionnels aux besoins. 16 Pourquoi avoir recours à un spécialiste quand le généraliste peut traiter le problème ? Pourquoi avoir recours à un généraliste quand une infirmière suffirait ? De très nombreux pays ont réglé cette question depuis longtemps. Nous sommes très en retard sur ce sujet. En France, la proportion de patients qui recourent à une infirmière pour une injection d’insuline est bien plus importante que dans d’autres pays. Pourquoi la France a-t-elle inventé ce système des prestataires horriblement coûteux et dont l’efficacité mériterait d’être étudiée ? Nous pourrions également nous appuyer sur les patients et développer leur capacité d’autogestion de la maladie, mettre en place des programmes de disease management et d’éducation thérapeutique. Enfin, en tant qu’économiste de la santé, j’estime essentiel de développer l’évaluation économique, dans tous les domaines, pour éclairer les choix, avoir une meilleure appréciation de la plus-value de chacune des actions mises en œuvre et obtenir une meilleure adéquation des investissements à cette plus-value. Une révolution pourrait changer une partie de la donne si elle est bien gérée et bien accompagnée : le développement de techniques de chirurgie bariatrique, qui prend une ampleur considérable dans certains pays et représente une solution thérapeutique pour un certain nombre de patients. Il est essentiel d’accompagner le développement de cette pratique, sans quoi elle restera anarchique et relativement dangereuse pour les patients. TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? 17 DÉBATS Halte aux idées reçues ! André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Contrairement à ce qui a pu être dit, les complications n’augmentent pas, mais elles diminuent. Simplement, les diabétiques font un infarctus à 70 ans au lieu de 60 ans. 40 % des nouveaux dialysés sont diabétiques. On en déduit que les complications augmentent. Néanmoins, la durée de vie augmente : c’est un succès fantastique pour nous, diabétologues. Sur l’éducation thérapeutique, ne croyez pas qu’il suffise de comprendre pour agir, sans quoi tous les médecins, lorsqu’ils sont malades, seraient de parfaits malades. Il s’agit plutôt de changer les comportements : la difficulté et les compétences requises sont tout autres ! Il ne suffit pas d’adresser des SMS aux patients pour changer leur comportement. La fin du paiement à l’acte ? Serge Halimi, chef de service endocrinologie, CHU de Grenoble. Sur la place de l’hôpital, je ne suis pas d’accord avec André Grimaldi. À mon sens, l’hôpital fait de nombreuses choses qu’il ne devrait pas faire, tout simplement parce que personne ne le fait à sa place. L’hôpital est dans la ville. C’est souvent aux responsables des hôpitaux d’organiser les soins de la ville. Ce sont eux qui ont souvent lancé les réseaux ou été des incitateurs à organiser les soins dans les villes, avant les ARS. Je pense, néanmoins, que notre rôle est certainement de réfléchir à faire sortir de l’hôpital un certain nombre de nos missions. Ainsi, plutôt que de faire venir les patients à l’hôpital pour l’éducation thérapeutique, il faudrait mettre en place d’autres structures dédiées à cela. Alain Coulomb, consultant, ancien directeur de la HAS. La diversification des modes de rémunération est une évolution probable, voire certaine. Le paiement à l’acte en ville devrait disparaître. Ce qui me frappe, c'est l’écart entre l’utilisation de ces modalités de paiement par les acteurs eux-mêmes, plus de la moitié des spécialistes ayant une double activité, salariée ou libérale, et la réticence des organisations à accepter cette évolution. Julien Mousquès, économiste, maître de recherche à l’IRDES. Le mode de rémunération doit être envisagé sous l’angle de sa mixité : il n’en existe pas un unique. Tous ont leurs contraintes et leurs effets pervers. La mixité combine des rémunérations individuelles et collectives. Dès lors que l’on parle de regroupement et de travail de coopération entre les professionnels, cette question est essentielle. Concernant le discours convenu sur l’opposition entre ville et hôpital, rappelons que l’hôpital est en ville. Robert Debré disait, il y a quarante ans, qu’il fallait que l’hôpital devienne ambulatoire. L’hôpital ambulatoire existe : les malades viennent et sortent pour des consultations, des hospitalisations de jour ou de demi-journée... L’hôpital n’est pas ambulatoire lorsqu’un lit est réservé. Le défaut de la réforme de 1958 est d’avoir opposé la ville et l’hôpital. Les professionnels n’ont pas le même vécu ni la même éducation. Pour la génération qui a précédé la mienne, tous les professionnels de l’hôpital avaient été en ville, et retournaient en ville. Ce n’est plus le cas. On pourrait imaginer que le professionnel de ville vienne dispenser une éducation thérapeutique à l’hôpital, dans l’unité de jour. Si vous le préférez, néanmoins, on peut faire sortir les professionnels de l’hôpital en leur faisant traverser le boulevard pour considérer qu’il s’agit de médecine de ville ! Enfin, selon moi, il n’y a pas d’immobilisme. À la fin du siècle précédent, la pensée dominante voulait que la médecine devienne industrielle, l’hôpital une entreprise et le médecin un ingénieur. Tout cela est faux. Nous avons deux modèles à notre disposition, la médecine libérale, avec le colloque singulier entre patient et médecin, et l’hôpitalentreprise, tous deux totalement inadaptés au principal problème de notre système de santé. 18 TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? 19 DÉBATS La prévention, un effort continu Laurent Castra, directeur de la Santé publique de l’ARS Île-de-France. Il y a un enjeu à développer la prévention dans toutes ses dimensions par le biais d’autres professionnels de santé que le médecin, comme le pharmacien, par exemple. La prévention, tout comme l’éducation thérapeutique, ne fonctionnent pas par SMS de rappel : elles doivent reposer sur un effort continu. Or, force est de constater qu’un patient, même chronique, passe plus souvent par la ville que par l’hôpital. Le lieu de prédilection, pour la prévention et l’éducation thérapeutique, est donc la ville plus que l’hôpital, ce qui n’empêche pas l’hôpital de sortir de ses murs. Cet objectif reste d’actualité. Isabelle Durand-Zaleski, professeur de Santé publique. Nous observons aujourd’hui que l’industrie agroalimentaire reprend point par point les tactiques élaborées il y a vingt ans par l’industrie du tabac. La première consiste à nier l’évidence, c’est-à-dire le lien entre le fait de manger salé, sucré ou gras et les maladies métaboliques. Pour l’industrie agroalimentaire, le problème serait que les consommateurs ne feraient pas assez d’exercice. 20 L’innovation passe par l’expérimentation et l’évaluation Une autre tactique, beaucoup plus ennuyeuse, pour nous qui défendons la santé publique, consiste à se battre sur le terrain des libertés individuelles : on ne pourrait pas empêcher les consommateurs de manger ce qu’ils veulent, de boire des boissons sucrées... Dans la plupart des pays anglo-saxons, ces arguments sont très forts. En France, avec la tradition régalienne du rôle de l’État, nous sommes mieux armés pour mettre en avant le rôle de celui-ci dans la prévention, et le fait d’empêcher les consommateurs d’avoir des comportements dangereux pour eux. La seule solution est d’augmenter les taxes sur les produits les plus nocifs. Gérard Dubois, professeur de Santé publique. Je partage l'opinion de Mme Durand-Zaleski. Ce sont des produits industriels promus, vendus, diffusés qui conduisent à des pandémies mondiales qui sont devenues les premières causes de mortalité. Nous sommes très loin des maladies infectieuses naturelles, qui ne représentent plus, en France, que 2 % de la mortalité, grâce à une politique de prévention et de traitement victorieuse. Il faut accentuer la prévention et non pas se concentrer sur le comportement individuel : il faut orienter l’action vers les produits et la façon dont ils sont diffusés et promus. Frédéric Le Cren, conseiller technique national Sport santé à la Fédération française du sport pour tous. Il existe déjà des innovations qui fonctionnent bien, en France, parfois adaptées avec succès de l’étranger, notamment du Canada, et passées par le crible de l’évaluation des effets sur la santé et sur la qualité de vie. L’une de ces innovations s’intitule « Diabète Action » : il s’agit d’une passerelle de trois mois d’accompagnement de la personne vers une pratique pérenne de l’activité physique et d’une éducation à la santé, qui vient après l’éduction thérapeutique. Nous sommes en convention avec les patients. Nous avons même mis en place un binôme d’intervention entre l’animateur sportif et le patient-expert. Sur le terrain, nous essayons de mettre en place les propositions des experts, qui, en plus, ne coûtent pas excessivement cher. La véritable innovation ne serait-elle pas de financer ce type de dispositif ? Julien Mousquès, économiste, maître de recherche à l’IRDES. En termes d’innovation, dans le contexte français, je dirais que la clé est le triptyque « accompagnement d’une innovation via son expérimentation », « qualité de l’évaluation » et « généralisation ». Il existe un problème relatif à la variété des expérimentations et à la quantité des évaluations. Le passage de l’évaluation et du jugement porté par la société sur cette évaluation à son utilisation représente un point de blocage. Alain Coulomb, consultant, ancien directeur de la HAS. Je suis tout à fait d’accord avec M. Mousquès. Il faut, dans un premier temps, faire connaître ces expériences. Il faut également analyser les freins. Il faut, enfin, que ces innovations soient coordonnées et aient un sens aux yeux de ceux à qui elles s’adressent. TABLE RONDE 1 Quelles innovations pour investir mieux demain ? 21 LES INTERVENANTS Patrick Bastien, médecin généraliste, coordonnateur régional du programme Asalée en Lorraine, secrétaire de la Fédération des maisons et pôles de santé pluridisciplinaires de Lorraine (FEMALOR). Patrick Bouillot, président du Syndicat des médecins spécialistes en endocrinologie, diabète, maladies métaboliques et nutrition (SEDMEN). TABLE RONDE 2 Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? Les maladies chroniques, et particulièrement le diabète, nécessitent une approche thérapeutique et une réflexion transversales aux professions de santé. Cette transversalité impose un changement de système. Posant le problème de la place dédiée aux différents professionnels de santé engagés dans le suivi des patients diabétiques, cette table ronde offre aux praticiens et aux régulateurs un espace d’échange sur l’organisation du parcours de soins du patient diabétique. Catherine Gilet, infirmière, présidente de l’Association nationale de la coordination des réseaux diabète (ANCRED). Daniel Lenoir, directeur général de l’ARS Nord‒Pas-de-Calais. 22 TABLE RONDE 2 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? 23 TABLE RONDE 2 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? Vaincre le diabète en Auvergne Dans le cadre du contrat local de santé, cette initiative offre une réponse de proximité à la prise en charge coordonnée du patient diabétique, dans une région qui souffre de désertification médicale. Les acteurs Le porteur du projet : Fabrice Bretel (coordinateur territorial de santé Thiers-Ambert) Les partenaires : l’Agence régionale de santé Auvergne, le Pays Vallée de la Dore, l’association Diabèt 63, le centre hospitalier de Thiers et d’Ambert, le CHU de Clermont-Ferrand, les collectivités, les professionnels de santé et Sanofi. Les objectifs ► Réaliser un dépistage de proximité des diabétiques qui s’ignorent, sur un lieu public. ► Sensibiliser la population rencontrée à la prévention des risques liés au diabète. ► Orienter les personnes dépistées vers leur médecin généraliste. ► Faciliter la communication et la coordination des soins des professionnels de santé avec des forums pluridisciplinaires. ► Créer une prise en charge spécialisée de proximité. Les actions ► Organisation de dépistages sur les 7 marchés principaux du territoire pendant les mois de septembre, octobre et novembre 2012 avec la présence d’une infirmière, d’une diététicienne et d’une podologue. ► Organisation de deux forums pluridisciplinaires « Santé et territoire : le diabète » à Thiers et à Ambert à destination des professionnels de santé. ► Création d’un Point diabète au CH Thiers et d’un poste de praticien hospitalier temps partagé CHU-CH Thiers. Les résultats ► 2 100 personnes venues se faire dépister. ► Entre 10 et 12 % sont déclarées positives. ► À la suite du dépistage, 50 % des personnes ont consulté leur médecin traitant. ► Des consultations au Point diabète en constante augmentation depuis son ouverture, le 5 novembre 2012. 24 TABLE RONDE 2 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? 25 « De l’intérêt des maisons pluriprofessionnelles. » Patrick Bastien, médecin généraliste, coordonnateur régional du programme Asalée1 en Lorraine, secrétaire de la FEMALOR. Je suis généraliste depuis 32 ans et je travaille depuis 17 ans dans un cabinet de groupe, devenu aujourd’hui une maison pluriprofessionnelle. Nous sommes 5 médecins et soignons 262 diabétiques, majoritairement de type 2. J’ai la chance, en Lorraine, de participer au projet Asalée et au projet de nouveaux modes de rémunération, qui vise à passer d’un 100 % colloque singulier et paiement à l’acte à une partie du paiement au groupe et non pas aux individus. Le diabète est intéressant en tant que modèle de maladie chronique, qui évolue et nécessite un diagnostic, une surveillance, des examens complémentaires, des traitements, mais aussi des modifications de comportement. L’éducation thérapeutique est bien sûr l’une des modalités de modification de comportement, notre rôle en tant que médecins étant de vérifier que le comportement que nous proposons à nos patients est validé. L’histoire récente démontre, en effet, qu’il y a 10 ou 20 ans, nous avons proposé à nos patients des comportements qui n’étaient pas validés. Il s’agit de modifier des comportements pour les rendre vertueux, avec l’aide de l’éducation thérapeutique. en sa présence au début et à la fin de l’atelier : cela est très sécurisant, alors que l’hôpital est plus loin et que le patient n’en connaît pas les soignants. Nous pouvons également proposer à cette infirmière une délégation de tâches. Elle réalise ainsi, sous notre contrôle, un certain nombre de gestes (électro de contrôle...). Pour les diabétiques cumulant de multiples facteurs de risque, nous proposons également l’auto-mesure : l’infirmière met à leur disposition des appareils que nous avons acquis, validés par la HAS, et leur en explique le fonctionnement. Mon rôle est en effet plus de prendre des décisions que de mesurer des tensions. Une maison pluriprofessionnelle peut accueillir non seulement une infirmière Asalée, mais aussi un podologue, des kinésithérapeutes... Nous pouvons travailler avec d’autres spécialistes, notamment dans les hôpitaux. Je pense en particulier aux diététiciennes, qui peuvent aider les patients à faire leurs courses en lisant bien les étiquettes. Tout cela, pour bien fonctionner, nécessite une proximité avec le médecin généraliste, interlocuteur premier du patient. Dans Asalée, un médecin du Poitou-Charentes, le Dr Gauthier, a eu l’idée de mettre en place un processus mettant à la disposition de maisons pluriprofessionelles ou de pôles une infirmière dite « de santé publique » ayant un rôle complémentaire de l’action directe habituelle du pôle. Sa mission première : fédérer les médecins, infirmières et autres acteurs concernés autour de cette problématique, afin de faire naître une dynamique de groupe. Cette infirmière invite les médecins à étudier les dossiers en commun, avec l’accord des patients. Elle supervise et étudie ces dossiers par rapport à des standards acceptés. L’infirmière vérifie également si le fond d’œil a été effectué lorsque nécessaire et si l’Hb1Ac est normal et régulièrement mesuré. Elle peut aussi rencontrer nos patients diabétiques, soit en colloque singulier, soit en éducation thérapeutique de groupe. Le médecin généraliste est le mieux placé pour tester le comportement du patient, mais je ne suis pas convaincu qu’il le soit pour dispenser une éducation thérapeutique. 85 % des patients que nous proposons à l’éducation thérapeutique y participent, car elle leur est proposée par leur médecin, entre ses murs, 26 « Les réseaux : des structures de coordination essentielles. » Catherine Gilet, infirmière, présidente de l’Association nationale de la coordination des réseaux diabète (ANCRED). Mon intervention porte sur le rôle des réseaux dans le parcours de soins. Les réseaux sont des structures qui viennent en appui des professionnels de santé de premier recours (pharmaciens, médecins généralistes, infirmières libérales). Nous ne sommes pas là pour agir à leur place : nous ne pouvons pas suivre les 3 millions de diabétiques français ! Notre rôle est de prendre en charge des patients dits « complexes » du point de vue médical, qui cumulent plusieurs pathologies et plusieurs ALD, et qui sont aussi, souvent, vulnérables et isolés socialement. Nous constatons que les professionnels de santé les connaissent, mais qu’ils ne savent souvent pas comment les contacter. Nous mettrons ce recensement à leur disposition, sous forme d’annuaire, sur le site de l’ARS. Ces patients sont rencontrés en entretien, la plupart du temps par une personne salariée du réseau (infirmière, diététicienne...). Elle définit alors avec eux leurs problèmes prioritaires, qui ne sont pas forcément ceux auxquels on pense a priori : il peut s’agir d’obtenir un logement ou une carte d’ALD plutôt qu’un bon taux de Hb1Ac. Une fois ces problèmes définis, nous mettons en place des objectifs et des actions, dans un plan personnalisé de santé (PPS). Ce PPS, dans le parcours de soins, est présenté au médecin généraliste et validé ou non. Il est réévalué au minimum de façon annuelle. À chaque intervention, les professionnels de santé (généralistes, pharmaciens, infirmières, pédicures, podologues) sont avertis. Notre rôle consiste essentiellement à coordonner le tout. Ces réseaux ont une réelle expérience dans la prise en charge des patients. L’ANCRED a mené une étude intitulée « Suivi des diabétiques en difficulté », à la demande de la CNAM. Nous avons totalisé 443 inclusions de diabétiques de type 2, suivis à domicile par une infirmière libérale, avec quatre visites (première visite, entretien avec le médecin généraliste...). Nous avons rencontré un certain nombre de difficultés, mais le point encourageant a été le fait que nous ayons constaté une très forte diminution des hospitalisations. Le taux d’hospitalisation de ces patients était de plus de 44 % au début de l’étude et de 28 % à la fin. Leur moyenne d’Hb1Ac était de plus de 9 %, mais nous avons constaté des diminutions importantes, de 1 à 2 %. Nous avons également vu baisser le recours aux urgences. Cette étude s’est terminée avec une évaluation. Nous attendons de savoir si ce système pourra être pérennisé. En ce moment, dans le Loiret, nous recensons toutes les structures de coordination. (1) Action de santé libérale en équipe Les réseaux ont également pour rôle de faire le lien entre la ville et l’hôpital, même si ce dernier est parfois dans la ville. Il s’agit souvent de deux mondes différents. Notre rôle est d’aider les patients à la sortie de l’hôpital, pour faire le lien entre le médecin, l’infirmière... TABLE RONDE 2 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? 27 « La réflexion sur l’optimisation doit se faire au niveau des territoires. » Patrick Bouillot, président du Syndicat des médecins spécialistes en endocrinologie, diabète, maladies métaboliques et nutrition (SEDMEN). Nous recensons, en France, 3 millions de diabétiques, avec un coût du diabète qui ne cesse de croître dans les dépenses de l’Assurance maladie. Aujourd’hui, en effet, 70 % de ces dépenses sont en rapport avec les maladies chroniques, parmi lesquelles le diabète occupe une place importante. On évoque régulièrement le problème de la démographie médicale, mais la France n’a jamais compté autant de médecins et de professionnels de santé. Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à maîtriser les coûts, à mieux organiser les soins et la prise en charge des patients diabétiques ? C’est devant ces constats que les endocrinodiabétologues, que je représente ici, ont collaboré à l’édition d’un livre blanc sur l’exercice de la spécialité, qui nous a permis de prendre conscience de l’environnement dans lequel nous sommes et de chercher à bien positionner notre rôle dans le système de prise en charge des patients diabétiques. Nous avons certainement un rôle à jouer : le diabète et l’obésité sont le cœur de notre métier. Nous souhaitons participer à cet effort, en collaboration avec tous les professionnels de santé. liorée. Comment améliorer cette offre autour d’un parcours de soins qui soit cohérent, réfléchi, différent selon les régions ? Il me semble pertinent de réfléchir à l’échelon des territoires de santé, voire des bassins de vie. Il n’existe pas de solution idéale commune à tous. Nous devons, certes, travailler sur des bases de réflexion communes. Il faut ensuite aller dans les territoires pour discuter ensemble autour d’une table, avec les différents acteurs de santé concernés, pour réfléchir à une meilleure organisation des soins, sans que cela coûte plus cher. Nous pouvons faire mieux à moindre coût. La diabétologie, aujourd’hui, évolue vers une prise en charge plutôt ambulatoire, qui n’oppose pas ville et hôpital, mais vise à hospitaliser moins de patients. Il est clair que le patient souhaite avant tout être bien soigné sans être sans arrêt hospitalisé. Il convient de définir les actes dispensés en hospitalisation ou en ambulatoire. L’ambulatoire peut concerner aussi bien l’hôpital que la médecine libérale. Le problème est le suivant : quelle est aujourd’hui la place du spécialiste du diabète dans la prise en charge des patients diabétiques ? À quel moment doit-il intervenir ? Qui doit-il rencontrer ? Tous les patients diabétiques ? À mon sens, non : il doit intervenir à des moments clés. Le médecin traitant a une place fondamentale : il est le mieux à même d’identifier les problématiques du patient et de déceler celui qui a besoin d’une éducation thérapeutique. Les autres professionnels de santé (infirmières, pharmaciens, etc.) ont également un rôle important à jouer. Nous devons mener une réflexion en profondeur sur la façon d’optimiser le parcours de soins du patient diabétique, en défininssant bien le rôle de chacun. La véritable réflexion doit avoir lieu au niveau des territoires. L’opposition entre ville et hôpital, diabétologue et généraliste, n’a pas d’intérêt : il faut appréhender un territoire de santé, avec une offre de soins qui a certainement besoin d’être amé- 28 TABLE RONDE 2 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? 29 « Dépistage, accompagnement, éducation : les pharmaciens ont leur rôle à jouer. » « Comment la région, particulièrement touchée, lutte contre le diabète. » Nous devons, aujourd’hui, partir du réel besoin du patient. Souvent, nous avons tendance, comme professionnels de santé, à partir de la façon dont nous pourrions intervenir et de la place que nous pourrions occuper par rapport aux interventions des autres professionnels de santé. Il importe de parvenir à travailler davantage ensemble autour du patient. journée Diabète. Des évolutions réglementaires sont nécessaires, car les pharmaciens, aujourd’hui, n’ont pas le droit de réaliser d'auto-mesure. Une expérience intéressante avec l’Assurance maladie démontre l’intérêt de l’officine en matière de dépistage : en Loire-Atlantique, il existe un partenariat entre CPAM et pharmaciens d’officine. En 2011, sur les 446 pharmacies du département, 401 se sont inscrites dans le dispositif. Les résultats recoupent les constats dressés en Auvergne : 11 % des tests méritaient un approfondissement et 80 présentaient des dosages nécessitant une consultation rapide du médecin. Les pharmacies ont donc une réelle capacité à entrer dans le dispositif de dépistage et à toucher une large population. Elles peuvent être un élément clé pour une prise en charge plus précoce des patients. Le Nord‒Pas-de-Calais a le triste privilège d’avoir les plus mauvais indicateurs de santé de la métropole. Cela se vérifie également pour le diabète, pour lequel nous avons une mortalité supérieure de 30 % à la moyenne nationale. Ce constat, toutefois, ne s’explique pas par une dépense de soins insuffisante, au contraire. Concernant l’accompagnement, il ne faut pas confondre accompagnement pharmaceutique et éducation thérapeutique. Il est ici question d’accompagner la prescription médicale pour obtenir une meilleure observance. Il existe aujourd’hui des marges de manœuvre et des éléments facilitateurs clairs. Lors du passage à une forme injectable, par exemple, la pharmacie doit être plus présente qu’elle ne l’est à ce jour pour accompagner les patients et favoriser l’acceptabilité. Il conviendrait également d’améliorer le repérage de patients ayant besoin d’un soutien, car il n’est pas possible d’accompagner les 3 millions de diabétiques français. À partir de cela, nous avons tenté d’identifier quatre leviers pour investir, en essayant de déterminer les raisons de cette situation. Daniel Lenoir, directeur général de l’ARS Nord‒Pas-de-Calais. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Pour cela, il faut, en premier lieu, des cadres législatifs et réglementaires. Pour la pharmacie d’officine, autour de la loi HPST1, nous avons constaté une évolution du territoire possible des pharmaciens qui étaient jusqu’à présent définis à partir du médicament et le sont désormais à partir des missions qu’ils sont susceptibles de remplir. Ce premier élément permet d’envisager de nouvelles actions dans cet environnement global du patient. La loi de financement de 2012 a étendu le champ conventionnel : dans le cadre des liaisons avec l’Assurance maladie, qui représente indirectement l’intérêt des patients dans les échanges conventionnels, nous avons observé une évolution sur les modalités de rémunération de la pharmacie vers une rémunération mixte, qui intègre une partie d’honoraires comme pour tous les autres professionnels de santé, et la reconnaissance de la capacité de prise en charge par l’Assurance maladie d’un accompagnement spécifique destiné à certains patients. Le diabète n’est pas encore concerné, mais le sera certainement prochainement. Quels avantages peut représenter la pharmacie d’officine ? Le premier est une répartition territoriale homogène du fait du système d’attribution des licences. Le deuxième est son accessibilité : un patient peut s’y rendre à tout moment, sans rendez-vous. Parmi les soins de premier recours, nous pourrions peut-être trouver des dispositifs dans des zones dites de « désert médical ». La permanence des soins assurée par la pharmacie présente à mon sens un réel intérêt. Les trois domaines dans lesquels nous pouvons envisager une action de la pharmacie d’officine relative au diabète sont le dépistage, l’accompagnement et l’éducation thérapeutique. Sur le dépistage, la pharmacie offre une réelle possibilité. Nous nous associons régulièrement à des actions de dépistage avec l’AFD lors de la 30 Enfin, pour ce qui est de l’éducation thérapeutique, il est clair que tous les pharmaciens n’en dispenseront pas. Elle repose en effet sur des équipes pluridisciplinaires, comme le stipulent les textes, alors qu’on a souvent tendance à confondre éducation thérapeutique et accompagnement. Les nouveaux financements permettront un certain nombre d’évolutions, comme c’est le cas dans le cadre des maisons pluridisciplinaires et des pôles de santé. Le cadre législatif et le cadre économique évoluent. Nous pourrons, ainsi, mieux envisager les besoins des patients et les interventions des différents professionnels. Un dernier mot sur le manque de confidentialité dans les pharmacies. Il s’agit d’un réel problème. Je conseille à mes confrères qui ne peuvent pas organiser ces entretiens dans l’espace officine de recevoir les patients dans leur bureau. Il s’agira d’une véritable évolution de notre profession. (1) Hôpital, patients, santé, territoires. Nous sommes partis d’une hypothèse, depuis confirmée par l’Insee. Nous avons essayé d’expliquer l’origine de cette « surconsommation » de soins, qui nous est parfois reprochée par les autorités nationales. La quasi-totalité du surcroît de la dépense de soins s’explique par deux facteurs. Le premier est la morbidité : la région dépense plus, car elle compte plus de malades. Le deuxième est la précarité. Le premier levier est l’éducation à la santé. L’une des causes du diabète est la mauvaise connaissance des risques et des facteurs de risque. L’éducation à la santé n’est pas l’éducation thérapeutique : il s’agit avant tout d’apprendre aux enfants entre autres choses ce que j’appelle « la grammaire de la santé », qui leur permettra de développer et d’améliorer leur capital santé. Le deuxième levier consiste à lutter contre les mauvais déterminants de santé (précarité, comportements alimentaires, manque d’activité physique). La croissance de l’obésité, dans la région, tend à ralentir, mais moins qu’au niveau national. Le troisième levier est le recours plus précoce aux soins. Le recours trop tardif est un problème majeur, dans la région. Dernier levier : organiser des parcours de soins. Il faut faire face à une véritable révolution épidémiologique. Nous avons commencé cette révolution, avec des programmes sur le cancer, la BPCO et la santé mentale. J’ai, par ailleurs, lancé un programme sur le diabète. Le projet régional de santé se décline en programmes par pathologie, car le parcours de soins en général ne veut rien dire : il s’entend par rapport à une pathologie donnée. Nous appliquons aujourd’hui la même méthode que sur la BPCO sur le diabète, avec une analyse des ruptures par rap- port à un parcours de soins théorique. Nous avons tout d’abord identifié la question du dépistage, notamment des populations à risques. Je pense qu’en la matière, les pharmaciens ont un rôle très important à jouer, ne serait-ce que dans le calcul de l’IMC. La seconde rupture identifiée se situe au niveau de l’éducation thérapeutique. Je suis d’accord sur le fait qu’il ne faut pas opposer l’hôpital à la ville. Nous avons commencé à développer l’éducation thérapeutique du patient en ville, en particulier sur le diabète. Aujourd’hui, les deux tiers des programmes sont dispensés à l’hôpital et un tiers en ville, par exemple dans les maisons de santé pluridisciplinaires. Nous avons utilisé les nouveaux modes de rémunération pour financer des programmes d’éducation thérapeutique dans des maisons de santé pluridisciplinaires car la coopération nous semble essentielle, dans ce domaine. Je souhaite insister sur la question du « bon usage ». Malgré les efforts de l’Assurance maladie, je suis frappé par la très grande hétérogénéité en termes de reconnaissance d’ALD dans la région. Cela reflète probablement une très grande hétérogénéité des modes de prises en charge, et la nécessité d'unifier l’offre. Nous avons besoin, en tant qu’ARS, de parcours de soins qui soient définis. L’ARS ne peut pas les définir elle-même. Sur la BPCO, la HAS l'avait fait. À mon sens, ces travaux sont au moins autant destinés aux organisateurs que nous sommes qu’aux soignants. Le parcours de soins de type HAS est probablement difficilement assimilable par l’ensemble des professionnels de santé. Nous manquons, sur le diabète, du fait de l’annulation des recommandations, d’une véritable définition du parcours de soins. Nous sommes la première ARS à avoir décrété une charte de déontologie avec l’industrie pharmaceutique : avec l’annulation des recommandations, les problèmes de conflit d’intérêts sont devenus très sensibles. Sur de tels sujets, il importe d’avoir des relations totalement claires. Pour conclure, je souhaite insister sur quatre points. ▪ La télémédecine, essentielle pour organiser les parcours de soins. ▪ Le DMP (dossier médical personnel). ▪ Les protocoles d’ETP. ▪ Les coopérations et le fait que la prise en charge en ville dépende de la prise en charge par l’Assurance maladie. TABLE RONDE 2 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? 31 DÉBATS Pour une prise en charge globale de l’éducation thérapeutique Incitez vos patients à pratiquer une activité physique Marie-Martine Bonello-Faraill, Karim Belaid, médecin diabétologue à Nice. Je reviens sur une phrase de M. Detournay relative au « partage » du patient entre plusieurs disciplines. Il ne voyait pas l’intérêt de demander à un médecin de faire ce qu’une infirmière pouvait faire. Je suis médecin libéral et hospitalier depuis plus de 30 ans. J’ai fait l’expérience de l’éducation thérapeutique à l’hôpital et dans un centre de podo-diabétologie. En comparant les deux pratiques, j’ai pu constater que, finalement, les patients ne trouvent leur compte ni à l’hôpital en éducation thérapeutique, ni en médecine libérale, chez le diabétologue, chez l’infirmière, la diététicienne ou leur médecin traitant. Je me suis demandée ce qui n’allait pas dans cette organisation. J’ai proposé un système de prise en charge globale en éducation thérapeutique, en utilisant du personnel formé aux aides médicales et paramédicales, à l’éducation thérapeutique et à la diabétologie, travaillant de façon bénévole au sein de la Maison du diabète. Ce personnel professionnel de santé, dont je fais partie, intervient au sein des cabinets libéraux. Les médecins constituent leur groupe de patients et les professionnels de santé médicaux et paramédicaux se déplacent dans les cabinets des médecins pour assurer l’éducation thérapeutique. médecin généraliste. J’appartiens au réseau Adiammo Picardie et je suis également membre du réseau Sport santé Picardie en forme et de l’Union sport et diabète. Je souhaite illustrer le propos de Mme Gilet sur l’intérêt d’un réseau, en médecine générale, en particulier. Le réseau a ouvert à mes patients un accès aux thérapeutiques non médicamenteuses (diététique, soins de podologie, éducation thérapeutique, activité physique adaptée). Tout cela n’existait pas, il y a 10 ans. La situation s’améliore à notre niveau. En tant que médecin généraliste, le réseau m’apporte également un gain de temps, notamment avec le travail en équipe. Il évite également l’hospitalocentrisme. J’insiste sur l’activité physique : incitez vos patients à bouger. Vous serez peut-être étonné du bien-être qu’ils exprimeront. Vous constaterez à quel point l’exercice physique peut les conduire à modifier leur comportement sur la gestion de leur maladie. Les limites de la prise en charge coordonnée Serge Coimbra, président de la Fédération nationale des podologues. L’intérêt de la prise en charge coordonnée du malade, quelle que soit sa pathologie, n’est plus à démontrer, mais elle a ses limites. Il y a 5 ans, nous avons signé une convention avec l’URCAM pour la prise en charge du pied diabétique. Nous dressons aujourd’hui un bilan : les objectifs n’ont pas été atteints. Sur 250 000 diabétiques de grade 2 ou 3 que nous devions prendre en charge, seulement la moitié l’ont été, 32 tout simplement parce que les médecins n’ont pas joué le jeu. Le médecin étant prescripteur, il intervient en amont dans la chaîne. S’il n’y a pas prescription du médecin, de l’hôpital ou de ville, le patient diabétique ne vient pas dans nos cabinets. Les objectifs n’ont pas été atteints alors qu’aujourd’hui, avec le directeur de l’UNCAM, nous avons pu apporter la preuve que, sur ces 5 années de prise en charge de 125 000 patients diabétiques de grade 2 ou 3, nous sommes parvenus à faire baisser d’environ 5 % les amputations du pied. TABLE RONDE 2 Quel parcours de soins pour mieux coopérer ? 33 LES INTERVENANTS Philippe Barrier, professeur de philosophie et d’éthique médicale, lauréat de l’Académie de médecine, patient. Jean-Luc Grillon, médecin conseiller de la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) de Champagne-Ardenne. TABLE RONDE 3 André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? Le diabète touche, dans les pays occidentaux, 3 à 6 % d’une population. Chronique, fortement dépendant de l’hygiène de vie et de l’alimentation des patients, le diabète nécessite plus que toute autre maladie un engagement du patient pour sa propre santé. Les nouvelles technologies et les innovations faites dans l’éducation thérapeutique permettent d’envisager, aujourd’hui, les attentes du patient dans 10 ans, les nouveaux métiers liés à l’enjeu d’autonomisation, et la place de la prévention dans le système de santé. 34 Gérard Raymond, président national de l’Association française des diabétiques (AFD). Claire Viguier-Petit, directeur des Opérations diabète, Sanofi France. TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? 35 TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? En 2012, Sanofi a réalisé une étude auprès de patients DT1 et surtout DT2 issus de milieux défavorisés, dont on cherchait à cerner le comportement pour en améliorer la prise en charge en fixant un certain nombre de conditions pour une autonomisation réussie. Sylvie Pouilly, l’une des deux psycho-sociologues qui ont mené l’enquête, revient sur les trois conditions clés d’une autonomisation réussie. Empathie La première condition est que le patient accepte sa maladie. Cela paraît très simple à dire, mais psychologiquement et émotionnellement, c’est tout un travail. Si le médecin n’a qu’un discours et qu’une posture rationnelle et strictement médicale, il n’arrivera pas à créer une accroche avec son patient. Protection Le deuxième besoin clé du patient est de se sentir protégé. Il s’agit d’un réflexe humain. Le patient sait qu’il est potentiellement en danger et a donc besoin d’être sûr qu’autour de lui existe une sorte de filet de protection et que, quoi il arrive, il aura une réponse à un problème qui pourra survenir. Lorsque l’on peut avoir un service de proximité, avec une infirmière présente 24 heures sur 24, par exemple, cela est rassurant. C’est d’ailleurs le problème de la ville : en ville, les patients sont « lâchés dans la nature ». « La maladie chronique, c’est la peine à perpétuité. » Gérard Raymond, président national de l’Association française des diabétiques (AFD). L’Association française des diabétiques est d’abord une association de patients. C’est une fédération d’associations dont le maître mot est de porter du sens : pour le patient, le sens de la vie avec un diabète. Depuis 2005, nous sommes de véritables acteurs de santé aux côtés des acteurs de santé. Nous nous sommes engagés dans la prévention. L’Association française des diabétiques a lancé, en 2011, une grande campagne de prévention et de sensibilisation auprès de 65 millions de Français. Cette semaine thématique visait à sensibiliser à l’équilibre nutritionnel, à l’activité physique et à ce qu’est le diabète. Notre action est inscrite dans la durée pour que le diabète devienne une grande cause nationale en 2014 ou 2015, avec une mobilisation de tous les acteurs de santé (pharmaciens, médecins généralistes, diabétologues, etc.). Il s’agit d’être en mesure de présenter à tous les décideurs nos propres revendications et propositions pour aller au plus près des personnes qui en ont le plus besoin. L’Association française des diabétiques forme des patients à écouter, accueillir et animer des groupes de patients. Il faut cibler les populations et les aider au plus près. Lorsqu’on lance un grand programme d’éducation thérapeutique, on constate qu’on ne rencontre pas les cibles. Les associations de patients sont les mieux placées pour cela. Qu’est-ce que l’autonomisation ? L’autonomie, c’est posséder les moyens d’agir soi-même. Un malade chronique rencontre en moyenne neuf fois par an son médecin : sa vie ne se limite pas à ces rendez-vous. Cette relation ponctuelle avec le soignant doit être riche et demander essentiellement une démarche du soignant vers le patient. Le soignant doit rechercher les représentations, les dénis, les difficultés rencontrées par le patient pour véritablement vivre avec sa maladie, car être patient, c’est un métier. La maladie chronique, c’est la peine à perpétuité. Il faut bien vivre et se reconstruire avec elle, avoir à nouveau des projets. J’aime beaucoup cette notion « d’instruction normative ». Le patient condamné à vivre toute sa vie avec la maladie chronique doit apprendre son métier de patient. La coordination des acteurs, avec lui, dans son lieu de vie, pour l’aider à se reconstruire, est essentielle. Qui peut mieux l’aider que des patients formés à l’écouter, l’accueillir et l’accompagner ? Telle est la mission de l’Association française des diabétiques. Accompagnement Le traitement est extrêmement contraignant : il faut être motivé et cela n’est pas évident au jour le jour. Même quelqu’un de battant et de positif a fatalement un moment de faiblesse où il se sent prêt à tout laisser tomber. La simplification des traitements est primordiale. Les nouvelles technologies simplifient beaucoup la vie des patients. Cela n’est pas un gadget : le patient peut se traiter plus facilement si cela est intégrable dans sa vie de tous les jours. Je pense, notamment, à nos patients défavorisés. Il est vrai qu’une simplification des traitements est tout à fait fondamentale : certains patients ne savent pas lire ou pas mesurer. Nous avons l’obligation de proposer des choses très simplifiées. Il faudrait mettre en place une sorte de « SOS Amitié » que les diabétiques pourraient appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit lorsqu’ils angoissent. Les infirmières sont demandeuses d’ateliers de diététique à domicile : il importe d’être avec les patients, cela peut même aller jusqu’à faire les courses avec eux. J’ai été confrontée à une maman qui ne parlait pas le français, et dont la fille m’expliquait que sa mère avait mangé de la semoule toute sa vie et ne pourrait jamais arrêter. Il faut s’adapter, l’inviter à cuisiner sa semoule autrement, lui suggérer une activité physique... L’accompagnement doit être au plus près des patients, chez eux. Il s’agit de leur montrer, dans leur vie de tous les jours, comment ils peuvent changer les choses, en particulier au niveau des règles hygiéno-diététiques. 36 TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? 37 « La médecine considère la norme comme sa propriété. » Philippe Barrier, professeur de philosophie et d’éthique médicale, lauréat de l’Académie de médecine, patient. Je suis patient de longue date, affecté d’une double pathologie : je suis diabétique depuis 43 ans, et philosophe. J’ai tenté de faire coïncider les deux pour transformer cette « peine à perpétuité » en instrument de liberté. Je partirai de deux constats pour parler de l’autonomie sous un angle qui m’est propre. Le premier est un constat personnel d’échec avec des années d’automaltraitance et d’incapacité à bien me soigner. Je m’en suis sorti par la réflexion et les rencontres, et par un processus intérieur que j’ai observé chez d’autres en tant que chercheur. Le deuxième constat est celui de l’échec patent d’un type de relation de soins. L’inobservance du patient chronique est un phénomène majeur : on constate jusqu’à 80 % d’inobservance. Je pense que cela part d’une conception de la norme erronée : la médecine considère la norme comme sa propriété. Or celle-ci est une propriété du vivant, que la médecine traduit scientifiquement. Elle est inhérente au vivant et, chez l’humain, elle a une prolongation réflexive dans 38 la conscience : c’est ce que j’appelle personnellement « l’autonormativité », c’est-à-dire une intuition du préférable qui est contrariée, empêchée par les représentations négatives de la maladie et par les conflits normatifs multiples auxquels le patient est confronté. Les valeurs de vie du patient se trouvent d’un seul coup bousculées par la maladie. Avant que la valeur de la norme de santé devienne hiérarchiquement la première, il se passe tout un processus, qui n’est pas un processus d’acceptation, qui mène à une certaine passivité, mais plutôt d’appropriation, qui fait de la maladie un élément de la vie parmi d’autres, pour faire de cette contrainte un instrument de liberté. La norme a deux facettes : l'une d'elle, dynamique, est interne au patient. Le travail du médecin n’est pas de tenter de lui imposer quelque chose d’extérieur à lui-même, mais de solliciter cette puissance intérieure et de construire avec lui une normativité qui serait une véritable alliance thérapeutique entre une connaissance extérieure et objective de la maladie et une connaissance intérieure, par le patient. « Un projet sportif personnalisé. » Jean-Luc Grillon, médecin conseiller de la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) de Champagne-Ardenne. Chaque région dispose d’un médecin conseiller à la DRJSCS. C’est un acteur très important de ce schéma, qui tourne autour de ce que nous appelons le « sport santé », c’est-à-dire la possibilité, pour chacun, quel que soit son lieu d’habitation, son âge, son état de santé, d’avoir un projet sportif personnalisé. Cela s’organise dans le cadre d’un parcours de soins, de santé ou de vie. Le médecin conseiller travaille de manière de plus en plus étroite avec l’ARS, qui rassemble des acteurs financiers et politiques au sein de la Commission de coordination prévention. Nous utilisons la méthode champenoise, qui s’appuie sur celles des autres régions. Le champagne est fait d’assemblages : nous procédons de la même façon et sommes allés chercher ce qui se faisait de mieux dans notre région, mais aussi partout ailleurs. Nous essayons, en lien étroit avec l’ARS, de faire travailler ensemble les acteurs, à la fois les services déconcentrés des ministères, les organismes de Sécurité sociale (Assurance maladie des régimes général, agricole et des indépendants, assurance vieillesse, assurance chômage), mais aussi les organismes de la couverture médicale complémentaire, et en particulier la Mutualité Française, les collectivités territoriales et, enfin, les établissements, les professionnels et les associations des champs de la santé et des sports. Nous sommes intervenus sur Reims, Chalons-en-Champagne, Charleville- Mézières, Épernay, Chaumont, Bourbonne-lesBains, Troyes, etc. Il y a dans chaque région une dynamique différente, mais des points communs permettent d’avancer tous ensemble dans une démarche « PDAC ». ▪ Planifier au niveau régional. ▪ Déployer sur le territoire en s’appuyant sur des réseaux de coordination existant au niveau local. ▪ Analyser ce qui se passe et s’adapter en permanence. ▪ Corriger le tir. Nous sommes donc en permanence dans un cycle d’amélioration des pratiques professionnelles, d’intégration de la maladie dans le vécu des patients avec l’expérience des « personnes de confiance », avec les professionnels de santé, les assureurs, etc. Nous avons élaboré un document d’information générale à destination des patients, des professionnels de santé et des communes. Nous disposons également d’un outil de liaison, le « Pass bien-être », entre le professionnel de santé, un éducateur médico-sportif formé en éducation thérapeutique du patient et un éducateur sportif, également formé aux différentes pathologies. 300 patients sont pris en charge, dont 100 ont été évalués après un an : le système fonctionne très bien, mais nécessite un suivi très attentif. TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? 39 « L’apport des nouvelles technologies dans la simplification des outils. » Claire Viguier-Petit, directeur des Opérations diabète, Sanofi France. « Prendre conscience de ses propres mécanismes de défense pour les dépasser. » André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Pour s’autonomiser, il faut que le patient s'en sente capable ; cela est évident. Il faut aussi qu’il accomplisse chaque jour, voire plusieurs fois par jour, un certain nombre de gestes compliqués. Nous avons la chance de vivre une épidémie dans une ère qui apporte un certain nombre de possibilités, avec la multiplication des outils qui transfèrent de l’information et peuvent donc contribuer à simplifier ces gestes. Le patient diabétique manie beaucoup de chiffres (glycémie, doses d’insuline, glucides ingérés, etc.). Une réflexion doit être menée sur la façon dont ces technologies peuvent contribuer à faciliter la vie du patient et son lien avec son soignant. Loin de moi l’idée de vouloir « techniciser » à l’extrême. Il s’agit plutôt de chercher à donner aux patients un outil facilitant la mise en relation et contribuant à l’aspect humain de l’approche du patient. Le Français, de manière générale, et le diabétique plus particulièrement, dispose d'un certain nombre de moyens. Plus de 80 % des patients diabétiques français ont aujourd’hui un téléphone portable. 40 % 40 ont un smartphone. L’accès à Internet est désormais très large dans la population diabétique. Même pour les populations de plus de 60 ans, beaucoup de diabétiques ont accès à différents dispositifs, avec une représentation moindre du smartphone, mais significative du téléphone portable. Cela ouvre un champ de réflexion pour définir des solutions permettant d’automatiser et de faire en sorte que les chiffres de glycémie arrivent tout naturellement dans un cahier glycémique plutôt que d’être recopiés. Il existe déjà des exemples concrets. Nous travaillons, chez Sanofi, avec les partenaires professionnels et technologiques, sur le projet DIABEO, qui s’adresse plus particulièrement aux diabétiques de type 1, mais qui pose les bases de l’intérêt d’une telle démarche. Avec une bonne approche des différentes populations de patients, ce dispositif pourrait par la suite être adapté, avec toujours le souci d’utiliser les moyens technologiques qui existent déjà au niveau des patients. La solution proposée est de simplifier. Qu’y a-t-il de plus simple que prendre un unique comprimé de statine par jour, dont l’efficacité est incroyable ? Après cinq ans, 50 % des patients ne prennent pas leur statine. Le diabète représente 13 milliards d’euros de dépenses, mais 10 % des patients consomment 50 % des coûts. La réponse serait la simplification ? Le directeur de l’ARS du Nord‒Pas-de-Calais a évoqué les deux composantes majeures que sont les problèmes sociaux et les problèmes psychologiques. Cela se traduit par la non-prise des médicaments, de mauvais résultats et de mauvais indicateurs, avant l’arrivée des complications : c’est là que doivent porter nos efforts. Il faut cesser de dire que le fait de ne pas faire de fond d’œil expliquerait tout ! Gérard Raymond et Philippe Barrier ont parlé de « maladie à perpétuité ». À cette annonce, pour la première fois de sa vie, le patient voit la mort en face. Cela déclenche évidemment chez lui un risque d’angoisse et de dépression. Comment s’en protéger ? Il peut, certes, exister un instinct vital qui conduirait à une attitude rationnelle pour poursuivre la vie, mais la régulation fondamentale est l’homéo stasie biologique : ne pas fréquenter la mort psychiquement, s’assurer un bien-être. Un mécanisme de défense se met aussitôt en place lorsqu’on vous annonce la maladie chronique : le déni, d’autant plus facile qu’il n’y a pas, pour le diabète de type 2, de symptômes. Un jour, à l’annonce de ce diagnostic, une patiente m’a répondu : « Mais c’est vous qui le dites ! ». L’autre réaction, à l’annonce de la maladie chronique, consiste à se dire « Quitte à ce que la vie soit courte, autant qu’elle soit belle ! » : le malade refuse de se priver. Un de mes collègues, chirurgien vasculaire, présentait toutes les complications possibles et avait subi un triple pontage ; alors qu’il connaissait très bien le diabète, il ne prenait aucun traitement et avait une rétinopathie diabétique débutante. En entrant dans mon bureau, il a levé les mains en l’air et m’a dit « Je me rends ». Ce dont sont fondamentalement convaincus les diabétiques qui ont suivi une éducation thérapeutique, qui se soignent bien et ont des résultats corrects, est que l’avenir est sombre. Cela est ancré profondément chez tous les patients diabétiques. Nous avons une part de responsabilité dans ce constat. Cela favorise, en outre, la dénégation. Comme le dit Boris Cyrulnik, ce « tyran silencieux » qui fait souffrir en secret clive de nombreux patients. L’idée de l’autonomie est perverse car notre société souffre aujourd’hui d’une pathologie de l’autonomie qui s’appelle « l’individualisme ». Or, la vie, c’est la co-construction. Tous ces mécanismes de défense sont des mécanismes de solitude, d’échec relationnel. Cependant le patient doit se sentir « embarqué » avec le soignant. Dans ce processus d’appropriation, cela suppose que le malade prenne conscience, avec le soignant, de ses propres mécanismes de défense pour pouvoir les dépasser. TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? 41 DÉBATS Philippe Barrier, Patient expert : un nouveau métier ? André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Le problème, concernant le patient-expert, est l’ambiguïté des mots, qui renvoie à celle de notre société. Disons les choses clairement. Je comprends la notion de patient-ressource, vers lequel nous pouvons par exemple orienter un patient qui a des difficultés relationnelles. Je ne suis cependant pas sûr que ce patientressource aurait pu aider ma patiente qui se sousinsulinisait pour rester mince. Une telle patiente a deux maladies : elle est malade et malade d’être malade. Mon service est plein de patientsressources, dont les compétences sont très utiles dans l’éducation thérapeutique. Je peux également comprendre la notion de patient-aidant. Un patient-expert, à mon sens, est un patient qui oublie en partie sa maladie, acquiert des compétences, passe un examen, est évalué : on crée ici un nouveau métier. Pourquoi pas, mais assumons-le : pourquoi faut-il être patient pour exercer ce métier ? Femme de patient, ça ne marche pas ? Pré-patient dans le pré-diabète ? Assumons cette démarche, mais non avec des patients-experts, formés en maladies, en psychologie, en communication, etc. Il se pose en effet un problème de confidentialité et de responsabilité. Si un patient-ressource intervient dans une équipe médicale, c’est elle qui est responsable. Pour des patients-aidants dans une association, l’association est responsable. La responsabilité du patientexpert n’est pas claire. Gérard Raymond, président national de l’Association française des diabétiques (AFD). Nous avons, avec André Grimaldi, le même débat depuis des années. Il est toujours enrichissant. Dans notre jargon, nous avions préféré la notion « d’expert profane » à celle de patientexpert. Le mot « expert », néanmoins, nous plaît beaucoup. Nous n’avons pas le droit de nous interdire de réfléchir aux nouveaux métiers. Je ne sais pas ce que sera dans cinq ans l’Association française des diabétiques. Si nous devons devenir des prestataires en santé, quelles prestations offrirons-nous ? Exerceronsnous un nouveau métier d’accompagnants, d’aidants, d’experts, de bénévoles ? Nous sommes avant tout des aidants, en direction de personnes qui viennent nous voir en situation individuelle ou en groupe. Nous sommes effectivement plus près de cette notion. Néanmoins, cet expert doit être formé et bien formé. Il doit avoir acquis des compétences d’accueil, d’écoute, d’empathie, de connaissances de la maladie, validées par des examens. C’est pour nous extrêmement important. Nous assumons ces exigences. professeur de philosophie et d’éthique médicale, lauréat de l’Académie de médecine, patient. Dans mes recherches, j’ai rencontré une patiente dite « dangereuse », agressive, qui s’autodétruisait en refusant totalement des doses d’insuline normales. Je m’étais présenté comme diabétique et chercheur, et non comme médecin, ce qui est très important pour la confiance réciproque et l’expression libre du patient, en posant pour seule question : « Quel est votre rapport avec la maladie aujourd’hui et autrefois ? ». Cette patiente mince m’a dit, après une heure d’entretien, qu’elle se considérait depuis toujours comme grosse, car son père l’avait qualifiée de « grosse vache » dans son enfance. Je ne suis pas psychanalyste. Il y a néanmoins eu un transfert par l’empathie, c’est-àdire la capacité d’écoute de l’altérité, sans a priori. À partir du moment où ce sujet a pu apparaître à la conscience de cette patiente, elle n’aura plus le même rapport à l’insuline. J’ai un point d’accord avec André Grimaldi. Je suis contre l’expression de « patient-expert ». L’expression « expert-profane » est magnifique, c’est un oxymore total ! À mon sens, en outre, on ne peut être expert que de soi-même. Il n’est pas possible de prétendre à l’universalité de l’expertise dans un domaine comme celui de la vie. On peut être expert simplement à titre d’exemple, c’est-à-dire « patient-ressource ». Marie-Martine Bonello-Faraill, médecin diabétologue à Nice. À propos du patient-expert, n’est-ce pas la même chose que le partage d’expérience dans un groupe de patients ? Le soignant se heurte au fait qu’il n’a pas forcément de vécu, ce qui peut lui être reproché par le patient, quelle que soit sa maladie, alors que le groupe permet le partage d’expériences et de solutions. Le patient-expert ne pourrait-il pas être constitué tout simplement par des réunions de groupe, en l’absence d’un soignant ? Gérard Raymond, président national de l’Association française des diabétiques (AFD). Nous étions partis de ce concept. Dans le cadre de l’éducation thérapeutique, le meilleur souvenir que nous ayons est quand les soignants sont partis et que les 15 patients peuvent discuter ensemble de leur propre expérience. Néanmoins, il faut bien, à un moment donné, un animateur des discussions, qui ait la responsabilité de ce qui s’est dit. Dans le développement de notre programme Dynamisation diabète et groupes de rencontre, le patient-expert anime des microgroupes. Nous n’abordons pas que le discours du soin, de l’observance ou de la non-observance, mais aussi les problèmes avec les employeurs, les assurances, la préfecture pour un permis de conduire, etc. Sur ces sujets, le médecin n’est pas toujours la meilleure personne pour le renseigner. Nous abordons également des problèmes du quotidien et de la vie. L’équilibre de la personne atteinte de diabète ne passe pas seulement par l’observance et le dialogue constructif avec son soignant, mais aussi par son vécu au quotidien et ses difficultés. André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Tous les soignants ne savent pas être animateurs de groupe. Il a été question de « l’ingénierie de l’éducation thérapeutique », mission des ARS : l'expression est chic, mais que recouvre-t-elle ? Il a été question de « matériel pédagogique » : le véritable matériel pédagogique, ce sont les patients, leurs témoignages. Je ne suis pas opposé à ce que des patients souhaitent apprendre ce métier. On peut néanmoins être très bon animateur sans être diabétique. Une assistante sociale pourrait tout à fait répondre à certaines questions. On emploie l'expression « d’éducation thérapeutique » de façon trop large. Tout cela devient inaudible. Clarifions les choses et cessons de jouer sur les mots. Si nous estimons cette fonction intermédiaire nécessaire, assumons-le et débattons. 42 TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? 43 DÉBATS La télémédecine, une piste d’amélioration pour le suivi des patients ? Question SMS : « Une enquête de l’ARS a montré que plus d’un tiers des médecins y étaient hostile. La télémédecine peut-elle être l’un des canaux du suivi des patients sur une maladie chronique comme le diabète ? ». André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Nous assumons de nombreuses tâches inutiles. Grâce à certains outils, nous pourrions li bérer du temps. Cela suppose de changer tout le système de soins car, si vous êtes payé à l’acte, la télémédecine n’étant pas rémunérée, vous ne serez pas payé sauf à faire revenir le patient tous les mois pour prendre sa tension, renouveler son ordonnance, etc. médical, qui pourrait être consacré à ceux qui ne vont pas bien. La télémédecine permet de recevoir des examens, les vérifier, d’envoyer une infirmière auprès du patient, etc. Sophia ne fonctionne pas quand les malades vont mal, car il faut être auprès d'eux : c’est un partage d’empathie, une co-construction. Être un médecin de malade chronique, c’est vivre une vie commune avec le patient. Il faut accepter cela. J’ai même un collègue qui revoit ses patients quand ils vont bien. 50 % des patients pourraient être reçus seulement une fois par an, ce qui libérerait du temps 44 TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? 45 DÉBATS Le sport, c’est la santé ! Bernard Bos, vice-président du réseau EFFORMIP en Midi-Pyrénées. Le réseau EFORMIP fait la promotion de l’activité physique dans les pathologies chroniques, dont le diabète. L’autonomisation des patients diabétiques est possible. L’expérience de notre réseau le prouve. Nous formons les médecins à la prescription et les éducateurs sportifs aux pratiques individualisées, cette activité sportive étant non seulement sécurisée par un suivi médical, mais aussi adaptée à chaque pathologie et individualisée. Le patient est rassuré par cette activité régulière (prise en charge du médecin et de l’éducateur sportif) pendant un an avant d’être « lâché » dans la nature. Mais le plus intéressant est l’évaluation qui suit : 78 % des patients poursuivent cette activité physique, soutenus par un coach du réseau et des tests de conditions physiques. Jean-Luc Grillon, médecin conseiller DRJSCS de Champagne-Ardenne. J’ai rencontré Adiammo récemment. Une patiente diabétique m’a demandé de faire part aux professionnels de santé de tout ce qu’elle avait pu ressentir en se remettant à l’activité physique, de tout l’espoir que cela lui avait apporté. Il importe de faire passer ce message. Sanofi est partenaire du réseau Sport santé et y croit beaucoup. Nous rencontrons les professionnels et leur expliquons qu’il existe des offres à proximité de chez eux. André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière. Lorsqu’il existe des facteurs de risque, nous avons constaté que si l’un de ces facteurs évolue, les autres évoluent à leur tour. Ainsi, si l’essentiel reste certes l’apport nutritionnel, le fait de se mettre à l’activité physique, car cela semble plus facile (activité encadrée, effets psychologiques plus favorables), modifie également le reste des facteurs et ouvre des portes vers une discussion sur l’alimentation, le tabac, etc. Il existe de multiples portes d’entrée, différentes pour tous les patients, mais il faut savoir que faire évoluer l’un des facteurs fait également évoluer tous les autres. Jean-Luc Grillon, médecin conseiller DRJSCS de Champagne-Ardenne. L’activité physique peut être perçue positivement par un comité d’entreprise, qui décide d’investir pour que l’ensemble des salariés y aient accès. Des mutuelles commencent également à s’y intéresser au travers de l’Institut de la mutualité. Enfin, des opérateurs comme l’ANCV proposent des coupons sport dans la même dynamique. Le projet de l’Association marnaise des diabétiques est d’utiliser les sommes dont elle dispose pour faire en sorte qu’à travers un coupon sport, les diabétiques aient accès à l’activité sportive. L’autonomisation est certes positive, mais certains souhaitent rester dans un groupe, pour discuter et partager, conserver un lien social avec d’autres. Cela ne concerne pas seulement des personnes âgées. Certaines associations de patients sont prêtes à embaucher un éducateur sportif pour cela. 46 TABLE RONDE 3 Autonomisation du patient : quelles avancées et quelles limites ? 47 NOTES 48 49 GLOSSAIRE ADIAMMO ► Association diabète et maladies métaboliques de l’Omois AFD ► Association française des diabétiques ETP ► Éducation thérapeutique du patient ALD ► Affection de longue durée FEMALOR ► Fédération des maisons et pôles de santé pluridisciplinaires de Lorraine ANCRED ► Association nationale de la coordination des réseaux diabète FSPF ► Fédération des syndicats pharmaceutiques de France ANCV ► Agence nationale pour les chèques-vacances HAS ► Haute autorité de santé ARS ► Agence régionale de santé BPCO ► Broncho-pneumopathie chronique obstructive CNAM ► Caisse nationale d’Assurance maladie CNAMTS ► Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés CPAM ► Caisse primaire d’Assurance maladie DMP ► Dossier médical personnel DRJSCS ► Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale DT1 ► Diabète de type 1 DT2 ► Diabète de type 2 50 EFFORMIP ► Opérateur régional sport santé HPST ► Hôpital, patients, santé et territoire IMC ► Indice de masse corporelle INSEE ► Institut national de la statistique et des études économiques INVS ► Institut de veille sanitaire IRDES ► Institut de recherche et documentation en économie de la santé PPS ► Plan personnalisé de santé SEDMEN ► Syndicat des médecins spécialistes en endocrinologie, diabète, maladies métaboliques et nutrition UNCAM ► Union nationale des caisses d’Assurance maladie URCAM ► Union régionale des caisses d’Assurance maladie Conception et réalisation : Crédits photographiques : cndprod/cheik 2012 51 Sanofi - Direction des Affaires Publiques - 7000004153-02/13