92H/711-170H/785 - Mélanges de la Casa de Velázquez
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Mélanges de la Casa de Velázquez Nouvelle série 41-2 | 2011 Le droit hispanique latin du VIe au XIIe siècle Les premières mosquées et la transformation des sanctuaires wisigothiques (92H/711-170H/785) Las primeras mezquitas y la transformación de los santuarios visigodos (92H/711-170H/785) The first mosques and the conversion of Visigothic sanctuaries (92H/711-170H/785) Susana Calvo Capilla Éditeur Casa de Velázquez Édition électronique URL : http://mcv.revues.org/4074 ISSN : 2173-1306 Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2011 Pagination : 131-163 ISBN : 978-84-96820-73-9 ISSN : 0076-230X Référence électronique Susana Calvo Capilla, « Les premières mosquées et la transformation des sanctuaires wisigothiques (92H/711-170H/785) », Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], 41-2 | 2011, mis en ligne le 01 novembre 2013, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://mcv.revues.org/4074 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Casa de Velázquez miscellanées Les premières mosquées et la transformation des sanctuaires wisigothiques (92H/711-170H/785) Susana Calvo Capilla Universidad Complutense de Madrid La conquête islamique de la péninsule Ibérique est connue fondamentalement grâce aux sources écrites, arabes et latines. Ces dernières décennies, l’archéologie est venue à l’appui des historiens de la période, surtout en ce qui concerne les transformations matérielles qui se sont produites sur ce territoire pendant les viiie et ixe siècles. Cependant, pour utiliser de manière complémentaire ces deux ressources, les historiens doivent tenir compte des difficultés et des risques que comporte l’interprétation des textes, d’une part, et des vestiges archéologiques d’autre part. Les récits de la conquête islamique, aussi bien en Orient qu’en Occident, ont été écrits après les événements, plus de cent ans après les faits en al-Andalus (entre la fin du ixe et le xiie siècle). Dans la plupart des cas, les traditionnistes et les historiens arabes étaient influencés par les circonstances personnelles et politiques de leur propre temps. En conséquence, on peut suspecter une réécriture du passé ou, du moins, une interprétation des faits qui adopte les perspectives propres à chaque auteur1. De plus, les traditions historiques en question sont enrichies par des éléments fantastiques, légendaires et anecdotiques, en définitive des topoi édifiants, exégétiques ou partiaux2. En ce qui concerne les premiers lieux de culte musulmans et la transformation des églises en al-Andalus, les auteurs donnent aux faits une portée symbolique ou idéologique qui dépasse leur seule signification religieuse. Les spécialistes de l’archéologie ont encore, pour leur part, de grandes difficultés à identifier de façon fiable les changements provoqués, dans les premiers temps de l’occupation islamique, par le processus d’islamisation, c’est-à-dire à comprendre le passage d’une société chrétienne à une société islamique. 1 Martinez-Gros, 1997, pp. 16-18, 87-114; Manzano Moreno, 1999, pp. 431-432. Je tiens à remercier Zaïneb Ben Lagha pour la relecture attentive de cet article. 2 ���������������������������������������������������������������������������������������������������� Pour des analyses plus générales sur la chronologie des sources arabes et les limites de leur véracité historique voir Noth, 1994; Donner, 1998; Elad, 2002. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 131 miscellanées 132 Notre objectif, dans cet article, est d’analyser les différentes sources (textuelles et archéologiques) traitant des mosquées érigées par les musulmans lors du premier siècle d’al-Andalus, mais aussi d’aborder le sort réservé aux sanctuaires chrétiens3. Le point de départ de cette étude est une phase d’une grande complexité, et exige que l’on distingue plusieurs modèles d’islamisation, correspondant aux différents processus de conquête et d’occupation des territoires. Dans les villes islamiques, les mosquées du vendredi (masÄÑid al-ÑÄmi‘) constituent un espace dont la fonction dépasse la seule piété. Elles étaient avant tout un lieu de prière en commun, ce qui renforçait les liens de la communauté des fidèles, un aspect fondamental dans la période de formation d’al-Andalus. De plus, la mosquée était aussi un important espace « politique » car elle servait de cadre à la cérémonie d’investiture (bay‘a) des émirs, des califes et de leurs successeurs. Les émirs andalous, depuis ‘Abd al-RaÜmÄn I, recevaient ainsi le serment d’obéissance des troupes, des clans et des représentants du peuple au pied du minbar ou chaire de la grande mosquée de Cordoue4. Le nom du souverain était par la suite prononcé lors du prêche (áuéba) du vendredi dans toutes les mosquées du territoire. Dans ce sens, les masÄÑid al-Ñami‘ sont des espaces qui remplissent des fonctions aussi bien religieuses que sociales et politiques. Pendant le demi-siècle qui commence avec l’arrivée des musulmans en 92/711 et s’achève avec le débarquement de ‘Abd al-RaÜmÄn I en 138/756, se déroule — selon les sources — le processus d’installation des populations musulmanes arabes et berbères sur le territoire. Les troupes sont en mouvement continu, les frontières ne sont pas définitivement établies et la population locale chrétienne est majoritaire. Ces différents groupes de population se disputent le contrôle des terres et du pouvoir. Les conditions ne sont donc pas idéales pour la construction d’édifices de culte de grande envergure, tandis que le degré d’islamisation de la population n’est pas encore suffisant. Si l’on examine ce qui s’est déroulé en Orient, on peut penser plutôt à l’existence de structures simples pour faire la prière du vendredi, telles que les muãallÄ, des oratoires en plein air, ou à l’aménagement de structures anciennes où l’on pouvait facilement disposer un mur de qibla ou une nichemiÜrÄb orientés vers La Mecque5. 3 Voir notre première approche de ce sujet dans Calvo Capilla, 2007. La première bay‘a d’al-Andalus a été célébrée dans le muãallÄ d’Archidona et dans la mosquée de Cordoue en 138/756. C’était la proclamation de ‘Abd al-RaÜmÄn I : Ibn al-Qutiyya, Ta’ràá iftitÄÜ al-Andalus, 1926, p. 19 (trad. p. 69). 5 D’après l’évêque Arculfe, à Damas (ville conquise en 14/635) et à Jérusalem (conquise en 17/638) les premiers lieux de prière furent installés par les conquérants musulmans dans les portiques de deux bâtiments anciens, d’une part le temenos du temple de Jupiter (converti en église de saint Jean Baptiste) où fut élevé plus tard la mosquée omeyyade (ca. 714), et de l’autre, la stoa d’Hérode, sur l’esplanade du Temple, où fut érigée plus tard la mosquée al-AqãÄ. Dans les deux cas, il faudra attendre la fin du viie siècle, sous le règne du calife marwÄnide ‘Abd al-MÄlik et de son fils al-Walàd (65-96/685-715), pour voir se réaliser la construction des grandes mosquées que l’on connaît aujourd’hui (Wright, 1848, 10-11). 4 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées Jusqu’à l’arrivée du premier prince omeyyade, ‘Abd al-RaÜmÄn b. Mu‘Äwiya al-DÄáil, et avec lui l’établissement d’un pouvoir central assez fort et d’un émirat indépendant, le pouvoir islamique n’était pas encore consolidé dans la Péninsule6. À partir de son arrivée, les troupes se sédentarisèrent et un nouvel état se mit en place. Le rythme des conversions à l’islam, la fondation de nouvelles villes et la construction de grandes mosquées s’accélérèrent. En 168H/785, ‘Abd al-RaÜmÄn I ordonna alors la construction de la grande mosquée de Cordoue. Les mosquées des conquérants D’après les textes arabes, les premières fondations religieuses des musulmans dans la péninsule Ibérique se trouvaient dans des endroits stratégiques, importants du point de vue symbolique, et liés à un événement de la conquête. Les mosquées servaient à rendre visible la présence de l’islam dans le nouveau territoire. Les auteurs arabes attribuent la fondation de ces oratoires à des personnages connus pour leur grande piété et leur prestige moral, les tÄbi‘ën, et placent les actions des conquérants sous l’autorité morale de ces derniers, ce qui conférait une plus grande respectabilité à l’islam et aux premières mosquées d’al-Andalus7. La « Mosquée des étendards » d’Algésiras ou Mosquée de MësÄ. L’histoire de la mosquée des « étendards » ou des « drapeaux » est rapportée dans deux sources qui traitent de l’histoire de la conquête d’al-Andalus : le FatÜ al-Andalus, œuvre anonyme écrite probablement au xiie siècle, et la RisÄla d’al-óassÄnà, un ambassadeur marocain du xviie siècle qui affirme s’appuyer sur des textes arabes plus anciens. Toutes les deux semblent utiliser une même source, probablement MuÜammad b. Muzayn (m. après 1078), auteur cité par l’ambassadeur8: MuÜammad b. Muzayn dit : « MësÄ fit rassembler autour de lui les drapeaux des Arabes […] pour les consulter à propos de la 6 Un processus similaire s’est produit en Égypte sous le califat de Mu‘Äwiya ibn Abà SufyÄn (4160/661-680), qui a réussi à imposer une administration efficace et centralisée dans la province et à exercer une fiscalité plus effective en faisant un recensement de la population arabe installée dans les grandes villes comme FuséÄé. La province d’Égypte était contrôlée par l’État omeyyade et contribuait à son soutien. Il faut aussi attendre cette époque pour percevoir une transformation matérielle et urbaine de grande ampleur à FuséÄé : les tentes furent remplacées par des maisons à cour centrale. Voir Foss, 2009. 7 Calvo Capilla, 2007, pp. 157-159. 8 À propos de la date de rédaction de ces deux œuvres, voir FatÜ al-Andalus, 1994 pp. XXIII-XXIX ; FatÜ al-Andalus, 2002, p. 21. La RiÜla ou RisÄla al-šaràfiya d’al-óassÄnà fut éditée et traduite par J. Ribera en 1926 dans un appendice du Ta’ràá iftitÄÜ al-Andalus d’Ibn al-Qëéiyya, avec le titre « Unas cuantas noticias acerca de la conquista de España » (trad. pp. 163-184 et éd. pp. 189-214). Ibn Muzayn s’était servi pour composer son œuvre du Livre des drapeaux (KitÄb al-rÄyÄt) de MuÜammad b. MësÄ al-RÄzà (m. 277/890), mais aussi d’Ibn öabàb (m. 238/852) et d’Ibn öayyÄn (m. 469/1076). Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 133 miscellanées façon dont ils devaient mener l’expédition. […] Il dit que la noble assemblée (al-mašhada) eut lieu dans le même endroit occupé aujourd’hui par la Mosquée des drapeaux (MasÑid al-rÄyÄt) d’Algesiras, et qu’on la nomma ainsi parce que ce jour étaient réunis tous les étendards, lesquels ont [aussi] donné leur nom au livre d’al-RÄzà ». Il ajoute que MësÄ b. Nuãayr ne quitta pas ce lieu et ne dispersa pas l’assemblée avant d’ordonner de faire de ce lieu (ittaáÄÇa-hu) l’emplacement d’une mosquée et d’en délimiter les contours (taáéàé mawÅi‘)9. 134 MësÄ s’est occupé, selon cette source, de tracer ou délimiter le terrain (taáéàé) où la mosquée allait être érigée, en veillant sans doute à orienter correctement sa qibla. En donnant à MësÄ le rôle principal dans cette action, c’est-à-dire désigner la qibla de la première mosquée d’al-Andalus, l’auteur du texte le met au même niveau de prestige que les deux autres grands conquérants musulmans : ‘Amr b. al-‘îã, le fondateur d’al-FuséÄé (Égypte), et ‘Uqba b. NÄfi‘, le fondateur de QayrawÄn (Ifràqiya). Ces deux derniers étaient considérés comme des ãaÜÄba ou Compagnons du Prophète, parce qu’ils étaient nés avant la mort de MuÜammad en 11/632. MësÄ, selon certaines sources, était lui-même un tÄbi‘ ou « Successeur des Compagnons »10. Dans le cas d’al-Andalus, les auteurs arabes répètent les topoi employés par les récits des conquêtes (futëÜÄt) islamiques d’Orient et d’Afrique du Nord. MësÄ marche sur les pas de ses prédécesseurs d’Égypte et d’Ifràqiya. En effet, il était habituel, après la conquête d’un territoire, de fonder une ville qui devenait par la suite sa capitale, et de faire une pause dans l’avancée militaire au profit des missions d’islamisation religieuse et d’arabisation de la population. Plusieurs ãaÜÄba, ou Compagnons du Prophète, intervinrent dans l’orientation de la qibla de la première mosquée du vendredi sur le campement des troupes arabes à FuséÄé, en Égypte, conquise par ‘Amr b. al-‘îã (20/64122/643)11. De même, ‘Uqba b. NÄfi‘ en 50/670 fonda la grande mosquée QayrawÄn et fixa lui-même l’orientation (taqwàm) du bâtiment, qui est devenu le modèle de toutes les mosquées d’Occident selon les sources arabes12. Le cas d’Algésiras montre donc certains parallélismes avec celui de QayrawÄn, une ville-campement où le conquérant, ‘Uqba ibn NÄfà‘, s’était occupé de choisir lui-même l’emplacement de la grande mosquée (action qu’on désigne en arabe par le verbe iátaééa), et d’établir l’orientation de la qibla (indiquée par le verbe qÄma). Les oratoires de QayrawÄn et d’Algésiras appa9 Al-óassÄnà, RisÄla, trad. cit. pp. 170-171, éd. p 198 ; et FatÜ al-Andalus, 1994, p. XXV. Wensinck, « ‘Amr b. al-‘îã », 1960, p. 451; Christides, 2000, « ‘Uqba b. NÄfi’ », pp. 789-90. 11 Fu’ad Sayyid, 1998, p. 16-21. 12 Entre autres, Ibn ‘IÇÄrà, BayÄn al-Mugrib II, p. 13; trad. E. Fagnan, Histoire de l’Afrique et de l’Espagne, p. 99 ; Ibn al-A∑ir, al-KÄmil fà l-ta’ràj, Annales du Maghreb et de l’Espagne, pp. 386387. Voir aussi Rius, 1998-1999, pp. 54-57, 136-150 et 172-191 et 1996, pp. 785-827. al-Nuwayrà (m. 732/1332), NihÄyat al-‘arab, Historia de los musulmanes de España y África, p. 15. Voir aussi Ibn Haldën, Histoire des Berbères, I, p. 329. 10 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées raissent comme les premiers édifices religieux du territoire conquis, servant par conséquent de modèle aux autres mosquées13. Al-öimyarà, le géographe du xive siècle, reprend dans sa description d’al-Andalus la tradition de la première mosquée d’Algésiras. Il rapporte plusieurs versions, différentes et contradictoires, sur l’origine de la mosquée des Étendards, ce qui prouve qu’à partir des xie et xiie siècles (le moment où écrivent al-Bakrà, al-‘UÇrà et al-Idràsà, les sources exploitées par al-öimyarà) la mémoire des faits historiques liés à l’oratoire était déjà floue14. La grande mosquée de Saragosse et les fondations religieuses des tÄbi‘ën Les textes attribuent aux tÄbi‘ën qui auraient accompagné MësÄ lors de la conquête d’al-Andalus la fondation de la première mosquée de Saragosse. Les tÄbi‘ën ou « Successeurs des Compagnons du Prophète » étaient des personnages dotés d’un prestige moral extraordinaire et d’une réputation de grande piété. Ils se sont chargés, comme les ãaÜÄba ou « Compagnons du Prophète » avant eux, de répandre l’islam dans les régions conquises par l’enseignement du Coran et de la Sunna. Autrement dit, ils sont présentés par les auteurs arabes comme les responsables de la dimension religieuse de la conquête, surveillant la répartition scrupuleuse du butin et des terres, aussi bien que la correcte orientation des premières mosquées et le respect de l’orthodoxie. Parmi les noms de tÄbi‘ën associés à la péninsule Ibérique, les seuls qui ont pu venir avec les troupes arabo-musulmanes, d’après les études de M. Marín, sont ‘Alà b. RabÄÜ (mort à QayrawÄn vers 113/732) et öanaš b. ‘Abd AllÄh al-üan‘Änà. Si l’on peut admettre qu’ils accompagnaient MësÄ en 94/712-13, il semble très douteux qu’ils soient décédés en al-Andalus, comme l’affirment pourtant certains auteurs qui font le récit de la conquête15. Leur activité d’instruction religieuse a forcément dû être assez brève dans le cas d’al-Andalus, puisque ces tÄbi‘ën sont repartis pour Damas avec MësÄ en 95H/713-14. Leur présence parmi les conquérants arabes de la péninsule Ibérique, douteuse d’un point de vue historique, servait aux traditionnistes musulmans à rehausser le prestige religieux et moral de la conquête effectuée par MësÄ, prestige dont avait été privée l’incursion de ¢Äriq 16. Les auteurs arabes attribuent à ‘Alà b. RabÄÜ et öanaš b. ‘Abd AllÄh al-üan‘Änà, qui avaient aussi la réputation d’être de bons astronomes, la fondation (voire l’orientation) des mosquées de QayrawÄn, Saragosse et Madàna Ilbàra (près de Grenade)17. 13 Marçais, 1991, pp. 39-40. Calvo Capilla, 2007, pp. 151-153. 15 Marín, 1981. Sur le rôle primordial joué par la religion et les compagnons du Prophète dans les récits des FutëÜÄt, voir Noth, 1994, p. 22 et 101. 16 Ibn al-FaraÇi, Ta’ràá ‘ulamÄ’ al-Andalus, p. 256 (nº 913), cité par Chalmeta, 1994, pp. 184198 et 221. Voir aussi Marín, 1981, p. 30. 17 Selon Ibn al-Haéàb (xive siècle), IáÄéa, apud Dozy, 1881, I, pp. 330-331, texte arabe dans l’appendice nº XXVII ; Samsó, 1985-1986, p. 91 ; Ríus, 2001. 14 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 135 miscellanées 136 L’importance stratégique de Saragosse, dans les premiers temps de la présence islamique en al-Andalus, était comparable à celle de Séville et Cordoue. La ville, de fondation romaine, devint pour les conquérants musulmans un centre pour les opérations vers le nord de la vallée de l’Èbre et vers les Pyrénées, à la frontière avec le royaume franc. Comme la vallée du Guadalquivir, celle de l’Èbre a été un des principaux lieux d’installation de la population arabe et berbère au viiie siècle18. Plusieurs textes, surtout à partir du xie siècle, rapportent une tradition liée aux deux tÄbi‘ën cités plus haut, selon laquelle leurs tombes étaient à Saragosse19. Les textes d’al-öimyarà20 et d’Ibn al-Aèàr (m. 630/1233) 21 insistent sur le fait que la grande mosquée de Saragosse a été fondée par ces deux personnages, pieux et très compétents du point de vue astronomique, ce qui a fait de cette qibla un modèle prestigieux. « Haééa » est le terme plus usuel pour désigner l’action de délimiter un espace, en l’occurrence celui du culte ; le verbe « qÄma » sert à spécifier l’érection du mur de qibla orienté vers La Mecque. Un indice de la valeur symbolique de ces premières fondations serait la conservation de la première niche du miÜrÄb dans les élargissements successifs, en raison de son caractère sacré. C’est précisément ce qui s’est passé dans les mosquées de Saragosse et QayrawÄn, un autre exemple du parallélisme entre ces deux lieux de culte. L’auteur anonyme du ñikr bilÄd al-Andalus (xive siècle) ajoute que les tÄbi‘ën étaient enterrés à l’extérieur du miÜrÄb, une niche en forme de bloc monolithique couronné par une coquille22. Les fouilles menées dans le sous-sol de la cathédrale de La Seo de Saragosse, et autour d’elle, ont mis au jour l’existence d’un forum romain à cet emplacement. Il s’agit de l’un des deux forums impériaux de Caesaraugusta, construit à l’époque de l’empereur Auguste et réaménagés plus tard par les Julio-Claudiens. Sous la mosquée, les archéologues ont trouvé uniquement l’angle du podium d’un temple romain, mais l’édifice islamique a été bâti pour l’essentiel sur un espace vide ou abandonné de la place publique romaine23. On ne sait rien, pour le moment, de l’emplacement de la basilique chrétienne, même si elle a dû être érigée non loin de là24 (fig. 1). Un cas très similaire, quoiqu’un peu plus tardif, est celui de la première grande mosquée de Séville, fondée par ‘Abd al-RaÜmÄn II, en 214/829 selon 18 Calvo Capilla, 2007, pp. 153-156. Al-‘UÇrà (m. 1085), trad. F. de la Granja, p. 11 ; et d’Al-Bakrà (m. 1094), KitÄb al-masÄlik wal-mamÄlik, Geografía de España, pp. 40-41 et KitÄb al-masÄlik wa-l-mamÄlik, pp. 131-132. Ibn ‘IÇÄrà signale que « öanaš fonda (« assasa ») la mosquée et construisit son miÜrÄb », BayÄn II, pp. 40-41. 20 Al-Himyarà, al-RawÅ al-mi’éÄr fà áabar al-aqéÄr, trad. p. 119 et éd. p. 97. 21 Ibn al-A∑àr, Al-KÄmil fà l-ta’ràá, Annales du Maghreb et de l’Espagne, p. 56 et al-KÄmil fà l-ta’ràá, p. 41. 22 Le Dikr bilÄd al-Andalus, trad. p. 76 et éd. p. 70 ; Souto, 1989. 23 Hernández Vera, 2004. 24 Hernández Vera, Bienes Calvo, 1998, pp. 32-38. 19 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées Fig. 1. — Saragosse. Plan des fouilles sous la cathédrale de La Seo avec les vestiges du forum romain (à gauche) et les vestiges de la mosquée (nous avons souligné les restes correspondants à la phase initiale du viii-ixe siècles (à droite). [Hernández Vera et Bienes Calvo, 1998] 137 l’inscription de fondation25. Elle aussi a été bâtie sur les restes d’un édifice romain tardif, contigu au forum de l’ancienne Hispalis romaine. Dans les deux villes, le paysage monumental et l’urbanisme classique devaient être encore visibles à l’arrivée des musulmans malgré la ruine, le dépeuplement et les transformations réalisées durant la période wisigothique (où elles sont devenues des sièges épiscopaux). Les géographes arabes signalent la présence de vestiges de monuments anciens dans ces deux villes. À Saragosse, on peut d’ailleurs encore aujourd’hui deviner la trame orthogonale des voies romaines26. Parmi les structures trouvées sous la cathédrale de Saragosse, les murs appartenant à la mosquée du viiie siècle, construits avec de la pierre d’albâtre, ont permis aux archéologues de dessiner un plan presque carré, semblable à celui de la première mosquée de Cordoue. À Saragosse, l’espace était aussi divisé en deux moitiés, l’une pour la salle des prières, comportant probablement cinq nefs, et l’autre pour la cour. Cette mosquée fut élargie sur ordre de l’émir MuÜammad I en 242/856-57. Du deuxième édifice restaient les soubassements de ses cinq nefs et de son miÜrÄb, qui avait la forme d’une niche semi-circulaire signalée à l’extérieur du mur de la qibla par un contrefort27. Le choix d’un terrain à l’abandon au sein de l’ancien forum romain a permis aux musulmans non seulement de placer la mosquée du vendredi en 25 Ocaña Jiménez, 1947. Le réseau urbain de Saragosse, organisé autour du Cardo et Decumano maximus, était visible à l’époque musulmane comme l’indique la description d’al-Idràsà, qui dit que la ville avait « des rues larges et de beaux édifices », KitÄb Nuzhat al-muštÄq fà iátirÄq al-ÄfÄq, Geografía de España, p. 180 ; KitÄb Nuzhat al-muštÄq fà iátirÄq al-ÄfÄq, p. 190; Beltrán Martínez, 1991, p. 17. Al-Bakrà dit qu’à Séville il y avait de nombreux vestiges de l’Antiquité, comme des colonnes monumentales. Il parle aussi des ruines romaines d’Italica. KitÄb al-masÄlik wa-l-mamÄlik, Geografía de España, pp. 32-34 et KitÄb al-masÄlik wa-l-mamÄlik, pp. 90. 27 Hernández Vera, 2004, pp. 65-91. 26 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. miscellanées 138 plein centre-ville, mais aussi d’orienter sa qibla correctement vers La Mecque, sans être conditionnés par des structures préexistantes. Le nouveau bâtiment, qui rompait avec l’alignement général du forum, était orienté en direction du soleil levant en hiver, avec toutefois une petite déviation28, comme à la mosquée de QayrawÄn. Saragosse et Séville nous montrent donc qu’au contraire de ce qui semblerait logique et de ce qu’affirment parfois les textes, toutes les mosquées d’al-Andalus n’ont pas été construites sur les vestiges d’une ancienne église. Cela serait lié au fait que beaucoup de sanctuaires restèrent ouverts au culte chrétien quelque temps après l’installation des musulmans, mais aussi au fait que les nouveaux maîtres de la ville voulaient mettre en valeur l’islam en choisissant pour la mosquée un endroit emblématique et adapté à leurs besoins. Ce type de solution a des précédents en Orient et en Afrique du Nord. Robert Schick, dans son étude sur la Palestine, signale que les églises byzantines se sont très rarement converties en mosquées puisqu’elles restaient d’habitude ouvertes au culte. Par contre, les musulmans construisaient des oratoires ex novo, de préférence dans des endroits distincts29. Deux autres exemples découverts récemment par l’archéologie sont ceux de Palmyre (Syrie) et de Jerash (Jordanie). À Palmyre, Denis Genequand a identifié un mur orienté vers la Mecque, signalé par un miÜrÄb, dans un édifice romain à cour centrale placé à côté du Tetrapylon, le carrefour du cardo et decumano maximus (fig. 2, pl. 1). La qibla appartenait probablement à une mosquée érigé avec des matériaux anciens, vraisemblablement d’époque marwÄnide (64-132/684-750)30. Le cas de Jerash est presque identique à celui de Palmyre : la mosquée fut installée sur les vestiges d’un édifice civil romain attenant au Tetrapylon, d’époque marwÄnide également31. Le quartier chrétien et ses églises ont été respectés dans les deux villes. Les musulmans ont choisi un espace vide ou en ruines au centre de la ville pour ériger ex novo la mosquée, symbole du triomphe de l’islam et du pouvoir consolidé des Omeyyades dans la région (fig. 2). Le processus d’islamisation urbanistique des capitales andalouses, de même que l’arabisation et la conversion de la population à l’islam, se sont achevés vers la fin du xe siècle. Il restait encore à cette date des vestiges des édifices anciens à l’intérieur des villes comme Cordoue et Tolède. La mosquée connue aujourd’hui sous le nom du couvent de Santa Clara de Cordoue fut construite à la fin du xe siècle sur un terrain où se trouvaient les ruines d’un 28 Rius, 1998-99, pp. 148 et 188. Schick, 1995, p. 130 sqq. Dans le BilÄd al-ŠÄm, les églises sont restées en usage. En effet, l’archéologie n’atteste pas pour le moment de destructions généralisées : Burns, 2005, pp. 105-106. En Ifràqiya le phénomène s’est produit de la même façon selon Pentz, 2002, pp. 56-57. 30 Genequand, 2008, pp. 3-15. La construction de la qibla est assez grossière et semble indiquer une structure très simple. 31 Barnes et alii, 2006. 29 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées Fig. 2. — Palmire (Syrie), localisation et plan des restes de la mosquée ou « muãallà » près du Tetrapylon. (Genequand, 2008) Pl. 1. — Palmire, Syrie. Détail de la « qibla » avec le mihrab de la « muãallà » Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 139 miscellanées édifice romain tardif. Une relecture des structures découvertes au cours des fouilles de l’église a récemment mis en question leur identification comme église paléochrétienne ou byzantine32. La mosquée tolédane du Cristo de la Luz ou de BÄb al-Mardëm, située à proximité d’une porte de la ville qui portait le même nom, fut construite en 390/999-1000 par AÜmad ibn al-öadàdà, membre d’une famille de notables de Tolède. L’édifice a été érigé en empiétant sur une chaussée romaine (dotée d’une canalisation, en très bon état de conservation) et sur un petit bâtiment antique (pl. 2 et 3). La chaussée donnait accès à la partie nord de la ville en traversant la porte ou BÄb al-Mardëm. Aussi, la mosquée était-elle le premier édifice que l’on voyait en pénétrant dans la ville33. Destruction et coexistence : l’affirmation de l’islam et les églises des mozarabes. 140 La destruction des temples polythéistes Généralement les auteurs arabes insistent sur le fait que les temples « des polythéistes » furent saccagés et détruits par les conquérants lors de leur avancée dans la Péninsule, soulignant ainsi, de façon symbolique, le triomphe de l’islam. Al-RÄzà (historien du xe siècle) dit par exemple, dans son histoire d’al-Andalus conservée dans sa version postérieure en langue romane : E este [‘Abd al-RaÜmÄn I] nunca llegó en España buena yglesia que non la estruyese ; e avia en España muchas e buenas de tiempo de los godos e de los romanos. E este tomava todos los cuerpos de los christianos creyan e adoravan e llamavan santos, e quemavalos todos34. Ainsi, les conquérants (dirigées par ¢Äriq) mirent le feu à une église de Cordoue, située à l’extérieur de la porte de Séville, où s’étaient refugiés quelques Cordouans35. Pour la même raison, les auteurs arabes parlent des masÄÑid al-ÑÄmi‘ édifiées sur des terrains occupés auparavant par une église : kÄna fà / bi-mawÅà‘i-hi kanàsa36. Mérida, capitale de la Lusitania, une des trois provinces de l’Hispania impériale, et siège épiscopal de premier ordre à l’époque wisigothique, est un 32 Cette mosquée urbaine était située non loin de la grande mosquée, à l’intérieur de l’enceinte. Marfil Ruiz, 1996. 33 Ruiz Taboada, Arribas Domínguez, 2007. 34 « Et celui-là [‘Abd al-RaÜmÄn I] n’est jamais arrivé dans une belle église en Espagne sans la détruire, et il y en avait beaucoup et de très riches de l’époque des Wisigoths et des Romains. Et il prenait les corps [des saints ou martyrs] auxquels les chrétiens croyaient, qu’ils vénéraient et qu’ils appelaient saints et les brûlait », Crónica de 1344, p. 183. 35 FatÜ al-Andalus, trad. p. 14, notes 30-32. AábÄr MaÑmë‘a, trad. p. 25 et éd. p. 12. 36 Par exemple les mosquées al-ÑÄmi‘ de Cordoue et Algésiras, dans le FatÜ al-Andalus, trad. p. 90 et éd. p. 77 ; et celle de ¢urruš : Ibn öayyÄn (m. 469/1076), Muqtabis V, p. 111-112 et Crónica del Califa ‘AbderraÜmÄn III an-NÄãir entre los años 912 y 942, p. 135. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées 141 Pl. 2. — Tolède, Mosquée-église du Cristo de la Luz, façade sudouest sur la chaussé Pl. 3. — Tolède, canalisation romaine de la chaussée trouvée au nord de la mosquée-église du Cristo de la Luz Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. miscellanées bon exemple de ce processus. Selon l’auteur anonyme des AábÄr MaÑmë‘a, une collection de traditions concernant la conquête et l’émirat mise par écrit vers 328/940, les musulmans et les chrétiens négocièrent la paix après le long siège de la ville : […] à condition que les biens de ceux qui étaient morts le jour de l’embuscade et de ceux qui s’étaient enfuis vers la Galice reviendraient aux musulmans, et que les biens (« amwÄl ») et ornements (« Üilya ») des églises [iraient] à MësÄ37. 142 Dans une grande ville comme Mérida, les églises étaient nombreuses et riches au moment de la conquête, ainsi que l’affirme l’auteur des AábÄr MaÑmë‘a, mais on n’a guère d’informations sur ces dernières, si ce n’est leur nom à l’époque wisigothique38. D’après les sources, elles furent dépouillées puis abandonnées. La grande mosquée fut probablement érigée à côté de la cathédrale, consacrée à sainte Jérusalem, ou sur le terrain où elle se trouvait. De manière générale, comme dans le cas de Mérida, les informations sur les mosquées urbaines sont encore très rares39. Par contraste, on dispose d’abondantes informations textuelles et archéologiques sur le sanctuaire de Sainte-Eulalie de Mérida. L’église, construite dans la deuxième moitié du ve siècle sur un martyrium plus ancien, a conservé son statut de temple mozarabe au moins jusqu’à la moitié du ixe siècle, quand le nombre de chrétiens s’est dramatiquement réduit40. Un indice de la dévotion à cette sainte martyre et de l’importance du pèlerinage au sanctuaire à l’époque wisigothique est la construction, à la fin du vie siècle, d’un xenodoquium ou hospice, par l’évêque Masona, pour accueillir les pèlerins et les malades qui visitaient sa tombe. Les riches pilastres visibles aujourd’hui sur les portes d’accès à la citerne de l’alcazaba islamique pourraient provenir de la spoliation de cet hospice ; son emplacement serait un exemple de la grande valeur symbolique que les musulmans accordaient aux matériaux romains et wisigothiques41 (pl. 4). 37 AábÄr MaÑmë‘a, trad. p. 30 et éd. p. 18. On peut trouver la même information pour Séville dans Ibn ‘IÇÄrà, BayÄn II, éd. p. 17 et trad. p. 23. 38 AábÄr MaÑmë‘a, trad. p. 29 et éd. p. 16. Ibn ‘IÇÄrà, BayÄn II, trad. p. 21-22 : « Mérida, capitale ancienne, possédait des monuments anciens admirables : un pont, des palais et des églises magnifiques ». 39 L’archéologie, très active à Merida, a trouvé récemment des restes d’édifices civils des viiiee ix siècles. Ils ont été construits tout au long de la muraille sud, sur les terrains vides situés entre le mur et les demeures de la ville. Les structures sont assez complexes et leur plan rappelle celui des palais wisigothiques de Pla del Nadal (Valence) et Recopolis (Tolède), mais on ne connaît pas encore leur fonction : Mateos Cruz, Alba Calzado, 2000 ; Rosselló Mesquida, 2005. 40 Par la suite, l’église de Sainte-Eulalie est tombée en ruine : Mateos Cruz, Alba Calzado, 2000, pp. 143-168 ; Valdés, 1995, p. 267 et 1998, pp. 159-161. 41 Sastre de Diego, 2005, p. 465-473. Sur les spolia de Mérida, al-RÄzà raconte qu’un homme qui aimait les « beaux marbres » les recherchait dans les monuments anciens de la ville pour construire ses propres œuvres : Crónica del Moro Rasis (AábÄr mulëk al-Andalus), p. 71-74. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées 143 Pl. 4. — Mérida, Badajoz. Pilastres wisigothiques de la porte de la citerne de l’Alcazaba islamique Les églises ouvertes au culte chrétien Malgré les affirmations contenues dans les récits de la conquête sur la destruction des sanctuaires chrétiens — qui semblent relever du topos plutôt que de la réalité —, de nombreuses églises (comme Sainte-Eulalie de Mérida) sont restées en usage pour des raisons diverses. Le respect des pactes de reddition, évoqué par les textes, reflète surtout l’existence d’une communauté chrétienne très nombreuse et par les enjeux politiques et économiques qui en découlent42. Une source rédigée vers 349/961, le Calendrier de Cordoue, contient non seulement un catalogue des travaux saisonniers dans la campagne autour de la capitale, mais aussi une espèce de sanctoral chrétien avec le nom des églises et monastères de Cordoue et de sa périphérie43. Mais tous 42 ������������������������������������������������������������������������������������������ Au cours de leurs conquêtes, les musulmans étaient souvent de connivence avec les hiérarchies ecclésiastiques locales. Plusieurs évêques ont, dans ce cadre, servi de médiateurs auprès des conquérants arabes : l’évêque de Damas a négocié le pacte de capitulation avec HÄlid b. al-Halàd. À Jérusalem, le patriarche Sophrone a signé le pacte de capitulation avec ‘Umar en 17/638. En Égypte, les monastères ont joué un rôle économique important au viie siècle après la conquête musulmane, d’après Foss, 2009 M. Acién a suggéré qu’en Espagne les pactes signés par les évêques avec les conquérants leur permettaient de conserver leurs privilèges économiques. En échange les évêques collaboraient avec le nouvel État pour le prélèvement des impôts, en utilisant le recensement ecclésiastique. Au fur et à mesure que l’islamisation avançait, l’Église a perdu son pouvoir ; le processus d’acculturation s’accompagnanit de son affaiblissement (Acién, 2000, pp. 430-32). 43 Les églises étaient situées dans les faubourgs (al-rabÄÅ) comme celui d’al-¢arrÄzàn. Parmi ces églises on peut citer celle de Saint-Zoïle, la Kanàsa al-AsrÄ ou « église des prisonniers », celles de Saint-Paul, de Saint-Cyprien, des Trois-Saints, ainsi que la basilique de Saint-Aciscle. Il y avait aussi des monastères (dayr) dans les environs. Voir Le Calendrier de Cordoue. Sur l’important site de Cercadilla, Fuertes, Hidalgo, 2005. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. miscellanées 144 ces sanctuaires chrétiens ne dataient pas de l’époque préislamique. Certains, localisés hors de l’enceinte, avaient été construits après 92/711. Selon Ibn ‘IÇÄrà, lors de la cession par les chrétiens de « leur partie de la basilique de Saint Vincent » aux musulmans, pour construire le masÑid al-ÑÄmi‘ de Cordoue (ca. 169/785), ‘Abd al-RaÜmÄn I leur proposa en échange de bâtir des édifices à l’extérieur de la ville, pour remplacer les « églises qui avaient été détruites au moment de la conquête »44. Euloge confirme la coexistence de sanctuaires anciens et récents dans un texte où il rapporte les persécutions subies par les mozarabes de Cordoue à l’époque de MuÜammad I (238273/852-886). Il y évoque la destruction d’églises « récemment construites et [de] temples bâtis avec beaucoup d’effort et d’art par nos aïeux, dans les temps de paix et qui existaient depuis plus de trois cents ans » dans la ville45. Les collections de fatwÄ-s d’al-Andalus indiquent aussi clairement l’existence d’églises ouvertes au culte, au moins pendant la période omeyyade et celle des Taifas, même à l’intérieur des murailles des villes46. Un cas très connu est celui de Tolède où, selon Ibn öayyÄn, en 257/871 les Tolédans demandèrent à l’émir MuÜammad I la permission de réparer le minaret de la grande mosquée qui était tombé. Ils voulaient « le reconstruire avec les fonds du ÜarÄÑ et ajouter à la salle de prière l’église qui était contigüe au minaret »47. À Écija (Séville), d’après al-öimyarà, il y avait une église pour les chrétiens (« li-l-naãÄrÄ »), près de la grande mosquée48. À Grenade, au xvie siècle, lors des travaux de construction de l’église de Sainte-Marie sur le terrain occupé auparavant par la grande mosquée de l’Alhambra, les ouvriers ont retrouvé certains vestiges d’édifices préislamiques, parmi lesquels une inscription latine de grande valeur. Cette inscription, conservée au Musée de l’Alhambra, commémore la fondation de trois églises à Grenade par un noble wisigoth appelé Gundiliuva entre les années 594 et 607. Les historiens ne sont pas d’accord sur la signification exacte de cette triple fondation offerte à la Trinité, ni sur l’emplacement de ces trois églises dédiées à saint Vincent, saint Jean Baptiste et saint Étienne49. L’une d’elles au moins, peut-être Saint-Vincent, devait se trouver sous la mosquée de l’Alhambra. Quant aux deux autres, elles posent davantage de problèmes d’identification. On trouve dans les sources arabes certains toponymes qui pourraient être en 44 Ibn ‘IÇÄrà, BayÄn II, éd. p. 229, traduit par Rubiera, 1981, p. 111. Euloge, Memoriale Santorum, livre II, chap. III, apud Arjona Castro, 1982, p. 47; Arce Sainz, 2003, pp. 293-303. Nous avons mentionné plus haut une église détruite par TÄriq lors de sa conquête de Cordoue en 92/711. 46 Voir par exemple Ibn Sahl (m. 486H/1093), WatÄ’iq fà aÜkÄm qaÅÄ’ ahl al-dimma fà l-Andalus ; Calvo Capilla, 2002, pp. 240-244 ; Mazzoli-Guintard, 2003, pp. 85-94. 47 Ibn öayyÄn, Muqtabis II-2, p. 327. Le áarÄÑ était un impôt sur les biens immeubles qui pesait sur les « tributaires » chrétiens et juifs ; il s’additionnait à la Ñizya, impôt de capitation (Lévi-Provençal, 1990, p. 111). 48 Al-Himyarà, RawÅ, trad. p. 21 et éd. p. 15. 49 Résumé de la polémique dans Gimeno Pascual, 2009, pp. 35-37. 45 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées relation avec elles50, mais c’est Ibn al-Haéàb (m. 776H/1374-75) qui fournit le plus d’informations. Dans son IÜÄéa, il décrit les ruines d’une église fondée par un « grand seigneur des chrétiens », que le roi wisigoth avait chargé de diriger une armée. Elle était située à l’extérieur de la porte d’Elvira et « était sans pareille quant à sa construction et sa décoration ». Il ajoute que cette église fut démantelée par les Grenadins un jour de mai de l’année 492/1099, suite à l’exhortation de l’émir almoravide Yësuf b. TÄšufàn. Ibn al-Haéàb a pu encore contempler ces ruines imposantes51. Ailleurs, dans la même œuvre, il décrit les restes d’un autre bâtiment ancien dont la forme insolite attire son attention. C’était une structure pentagonale (áamsun), construite en pierre de taille et contigüe à un autre édifice (binÄ’) ancien de construction « solide et unique ». Ibn al-Haéàb semble ne pas connaître la fonction de ce binÄ’, situé sur la rive gauche du fleuve Genil, près des ruines d’un cirque ou d’un théâtre (mal‘ab). Il est possible, comme le propose Velázquez Basanta, que la description corresponde à un baptistère et à une basilique paléochrétienne ou wisigothique. Donc, à l’époque d’Ibn al-Haéàb, dans la deuxième moitié du xive siècle, les ruines encore visibles de deux anciennes églises de Grenade étaient admirées pour la perfection de leur construction et la qualité de leurs matériaux. En outre, on constate qu’une des églises de la ville, sûrement déjà fermée au culte, ne fut saccagée et démolie qu’à l’époque almoravide, à la fin du xie siècle. La sécularisation des lieux de culte chrétien La Kanisa et le masÑid Rubàna de Séville L’histoire de l’assassinat du deuxième gouverneur d’al-Andalus, qui figure dans les traditions de la conquête, constitue un cas très intéressant de sécularisation d’un temple chrétien. ‘Abd al-‘Azàz, fils de MësÄ b. Nuãayr, succéda à son père au pouvoir. Installé à Séville, première capitale d’al-Andalus, ‘Abd al-‘Azàz avait épousé la veuve du roi Rodrigue, s’attirant ainsi l’opposition de certaines factions de l’armée arabo-musulmanes qui l’accusèrent d’avoir apostasié et de favoriser les chrétiens et les opposants l’ont assassiné en 98/716 quand il assistait à la prière. Le FatÜ al-Andalus et Ibn al-Qëéiyya indiquent que cet événement a eu lieu dans le « MasÑid Rubàna », qui avait été construite (ibtanÄ) devant la porte de sa maison, c’est-à-dire devant l’église consacrée à sainte Rufine52. Deux éléments peuvent être soulignés dans cette histoire. D’abord, la mosquée a été édifiée près de la résidence du gouverneur, cette association du 50 Canto, 1995, pp. 343-346 ; Valdés, 1995, pp. 64-65. Ibn al-õatàb, IÜÄéa fà aábÄr óarnata, pp. 107-108, apud Velázquez Basanta, 2007. 52 FatÜ al-Andalus, trad. pp. 32-33 et éd. p. 22. Ibn al-Qëéiyya, Ta‘ràá iftitÄÜ, trad. p. 53 et éd. p. 11. Ibn ‘IÇÄrà, BayÄn II, éd. p. 23 et trad. p. 32. 51 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 145 miscellanées 146 siège du pouvoir avec le principal lieu de prière étant habituelle dans les premières villes islamiques d’Orient et l’Afrique du Nord (Këfa, 17/638, WÄsié, 84/703, Qayrawan, 50/670)53. En al-Andalus, le « MasÑid Rubàna » de Séville constitue l’exemple le plus ancien de cette union physique des pouvoirs politique et religieux, dont le représentant était le gouverneur54. Deuxièmement, Ibn al-Qëéiyya semble préciser que la mosquée avait été construite ex novo à côté de l’église de Sainte-Rufine, alors que celle-ci avait perdu son caractère religieux et était devenue la résidence du gouverneur. Ibn al-Qëéiyya précise que la kanàsa Rubàna dominait la campagne de Séville, ce qui semble indiquer qu’elle ne se trouvait pas dans le centre de la ville, mais en dehors de ses murailles.55 En outre, le terme « kanàsa » est assez large et peut signifier monastère ou sanctuaire. La Kanàsa Rubàna était-elle un sanctuaire constitué d’un ensemble de bâtiments réutilisés par les musulmans ? Les sources wisigothiques signalent que les saintes Juste et Rufine furent enterrées dans le cimetière de Séville, situé aux abords de la ville56. On peut se demander si, sur les tombes des deux martyres sévillanes, très vénérées, ne furent pas érigés un sanctuaire de pèlerinage, un monastère ou une nécropole ad sanctos comme sur les tombes d’autres martyrs d’époque romaine : saint Aciscle de Cordoue57, saint Fructueux de Tarragone, saint Félix de Gérone et sainte Eulalie de Mérida (à Cáceres)58. Cette hypothèse expliquerait, dans le cas de Rufine, la survivance du lieu et la dénomination arabe postérieure de RÄbiéat ‘Anbar. D’après les textes arabes, les monastères situés dans les environs des villes, en dehors des murailles, ont parfois servi aux conquérants arabes de point d’appui pour l’attaque de la localité. On trouve des exemples d’une telle tactique à Damas, selon le récit d’al-BalÄÇurà, ou à Babylone-FuséÄé, en Égypte59. 53 Voir Creswell, 1989, pp. 9-10 et 40-41. À Séville, à l’époque émirale, le dÄr al-imÄra se situait auprès de la grande mosquée d’Ibn ‘Adabbas (Valencia, 1988, p. 163). À Cordoue, l’alcazar et la mosquée étaient reliés par un pont (sÄbÄé). 55 Selon Ibn ‘IÇÄrà, au xie siècle, la mosquée était connue comme celle où « fut assassiné ‘Abd al‘Azàz b. MësÄ b. Nuãayr », Ibn ‘IÇÄrà, BayÄn III, La caída del Califato de Córdoba y los Reyes de Taifas, pp. 168-69. Ibn öayr (m. 575/1179), Fahrasa, x, p. 183, 244 et 437 (Valencia, 1988, pp. 592 et 551). Des références plus tardives situent la kanàsa Rubàna ou RÄbiéat ‘Anbar à l’extérieur de la ville, près de la porte BÄb ‘Anbar, un nom qui s’est maintenu jusqu’à la fin de la période islamique Les documents chrétiens mentionnent un endroit appelé Robayna, situé dans l’Aljarafe, où s’élevait une église qui pourrait lui correspondre (Ayala Martínez, 1995, doc. nº 420). 56 Puertas Tricas, 1975, pp.41-43 et 56. 57 Il n’y a pas d’accord sur l’emplacement de cette église. L’hypothèse la plus crédible la situe dans l’ancien palais de Cercadilla, construit dans la banlieue nord de Cordoue, à l’époque de la Tétrarchie (fin iiie siècle). Une des salles de réception triconque a été transformée en église au ive siècle, et autour d’elle a été aménagée une nécropole. Le palais est devenu le premier siège épiscopal de Cordoue (Hidalgo Prieto, 2005). 58 Une excellente étude des sanctuaires wisigothiques se trouve dans Moreno Martín, 2009. 59 Un des généraux arabes qui a conquis Damas, HÄlid b. al-Halàd, s’était installé dans un dayr des alentours pendant le siège : al-BalÄÇuri, KitÄb FutëÜ al-buldÄn, The origins of the Islamic state, pp. 186-188; Elisséeff, 1965, pp. 277-290 ; Fu‘ad Sayyid, 1998, pp. 6-15. 54 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées Il est possible que le choix de ‘Abd al-‘Azàz ait été lié à cette circonstance, même s’il y avait d’autres raisons stratégiques. Par ailleurs, la sécularisation des institutions monastiques avait aussi des précédents en Orient. Par exemple, dans le monastère byzantin d’al-Fudayn, à Mafraq en Jordanie, les archéologues ont trouvé des signes de l’occupation islamique à l’époque omeyyade sous la forme de luxueux objets d’usage domestique. Les musulmans construisirent à côté de cette enceinte, une autre qui abritait une petite mosquée et un bain60. Abandon, ruine et transformation des églises Au cours des dernières décennies, l’archéologie a mis au jour des sites qui documentent non seulement le processus d’islamisation et l’installation des populations musulmanes dans les villes et les villages wisigothiques, mais aussi la désacralisation des églises. La durée de ce processus était en partie conditionnée par les circonstances de l’installation et, quand il y avait traité de reddition, par les clauses de ce dernier (ãulÜ). Selon les conditions, religieuses, politiques ou économiques, des traités que rapportent les textes, les musulmans devaient respecter les biens de la population indigène et leurs églises, qui restaient ouvertes au culte jusqu’au moment où, en raison des conversions à l’islam, elles étaient abandonnées et tombaient en ruine. Le site aujourd’hui connu comme El Tolmo de Minateda, à Albacete, fournit des informations précieuses sur le processus d’islamisation d’une petite ville, sur le plan religieux, social et urbain. Elo à l’époque wisigothique, Madànat Iyyih dans les textes arabes, était un siège épiscopal assez important au viie siècle et au moment de l’arrivée des musulmans. Les dimensions et la qualité de réalisation de la basilique et du palais épiscopal contigu témoignent de son importance. La conquête islamique de la région de Tudmàr, toujours selon les sources écrites, s’est accompagnée d’un pacte de capitulation (connu sous le nom de « Pacte de Théodemir »), qui a permis aux chrétiens de garder leurs biens et leurs églises. Les archéologues ont de grandes difficultés à distinguer les espaces musulmans (minoritaires à l’époque) au viiie siècle : les demeures et la céramique découvertes suivent les modèles locaux, les morts sont enterrés dans les mêmes nécropoles, et l’église reste ouverte aux chrétiens. Ni l’outillage, ni les monnaies, ni la trame urbaine ne révèlent de modifications attribuables à une évolution des mœurs ou du comportement social. Ce n’est qu’après la conversion à l’islam de la plupart de la population indigène (et son arabisation), au ixe siècle, que l’archéologie commence à repérer les indices de changements. D’abord dans les édifices religieux : la basilique et le palais sont abandonnés et tombent en ruine, leurs matériaux sont pillés. Toutefois, le terrain de l’église a été respecté : c’est uniquement autour et en périphérie de ce dernier, au niveau des portiques et du baptis60 Bisheh, 2000, pp. 133-135. Le même auteur offre plus de détails dans « ����������������������� Al-Fudayn, ������������ Mafraq,����� Jordanie », MWNF – Museum With No Frontiers, http://www.discoverislamicart.org/database_item. php?id=monument;ISL;jo;Mon01;6;es. [Consulté le 28-VII-2009]. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 147 miscellanées 148 Pl. 5. — Tolmo de Minateda, Albacete. Vue générale des vestiges de la basilique tère, situés à son extrémité occidentale, que les musulmans ont installé de nouvelles structures destinées à l’artisanat et aux habitations61. À cette date, un siècle après la conquête, les musulmans devaient avoir construit des mosquées ailleurs (non encore localisées) [pl. 5]. Les fouilles récentes effectuées à l’église wisigothique de Santa María de Melque (Tolède) ont également apporté des informations sur les changements provoqués par l’arrivée des musulmans à l’échelle de ce monastère rural. Plusieurs indices et matériaux, parmi lesquels les stuques décoratifs et des fragments de céramique, permettent de dater l’église au viie siècle (pl. 6). Selon les dernières hypothèses formulées par les archéologues, de nouveaux occupants auraient converti les dépendances monastiques en lieux d’habitation aux ixe et xe siècles, alors que l’église était peut-être encore un lieu de culte chrétien62. Quant à l’église wisigothique d’El Gatillo de Arriba (Cáceres), il s’agit probablement une modeste église martyriale. Quelque temps après l’installation des musulmans dans le village, l’église et la nécropole autour d’elle furent abandonnées. L’église fut ensuite vidée de ses pierres tombales et l’espace intérieur fut remanié afin d’être utilisé comme demeure63. L’église et le baptistère wisigothiques d’Algézares (Murcie) constituent un édifice assez original par son plan, mais modeste du point de vue de sa construction. Les archéologues y ont retrouvé des indices de présence musul61 Gutiérrez Lloret, 2002 et ������������������������������������������������������������ 2007�������������������������������������������������������� . Le même problème se pose dans d’autres sites archéologiques, comme par exemple à Istabl ‘Antar (Le Caire, Égypte) : Foss, 2009 b, pp. 270-272. 62 Ce qui expliquerait qu’à la fin du xie siècle, lorsque la Taifa de Tolède fut conquise par Alphonse VI, les chrétiens purent la restaurer (Caballero Zoréda, 2004). 63 Caballero Zoréda, Sáez Lara, 2009. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées Pl. 6. — Sainte Marie de Melque, Tolède. Façade ouest de l’église mane datant de l’époque émirale. La présence de lampes à huile islamiques en céramique, apparues en grande quantité dans les oratoires de la RÄbiéa de Guardamar, indiquerait selon Sonia Gutiérrez Lloret que l’église a été transformée en mosquée. Pourtant, cette hypothèse s’appuie sur des indices insuffisants : les lampes à huile se trouvent aussi en abondance dans les strates d’époque islamique des édifices domestiques. De plus, elles ont été découvertes à l’extérieur de l’église, et non à l’intérieur64. Des problèmes d’interprétation similaires se posent pour la basilique wisigothique de Casa Herrera (Badajoz). La présence d’une niche avait laissé penser à la conversion de l’église en mosquée. Cependant, la lecture et l’analyse des graffiti arabes, gravés sur les fûts des colonnes qui séparent ses nefs, ont révélé un usage de la basilique comme prison à l’époque émirale, aux ixe et xe siècles65. En dernier lieu, on citera la ville-palais wisigothique de Recópolis (Zorita de los Canes, Guadalajara). Le palais a été construit à la fin du vie siècle et est devenu un centre urbain et commercial assez important pendant les deux siècles qui ont suivi. Une grande partie des dépendances du palais ont été occupées tout au long du viiie siècle et remaniées pour servir de demeures, d’ateliers artisanaux et de magasins, mais, vers le milieu du ixe siècle, la ville a été abandonnée66. Tous les exemples précédents semblent indiquer que le processus d’islamisation et de transformation sociale et urbanistique des petites villes et des agglomérations rurales anciennes a été long. Au début, alors quils étaient encore peu nombreux, les musulmans nouvellement arrivés sinstallaient dans des struc64 Gutiérrez Lloret, 1996, pp. 297-301. Barceló, 2000 et 2002; Calvo Capilla, 2007, pp. 164-165. 66 Olmo Enciso et alii, 2008; Agustí García, Olmo Enciso et alii, 2004. 65 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 149 miscellanées tures préexistantes en respectant les églises, où continuait de se dérouler le culte chrétien. Quand les musulmans tendaient à devenir plus nombreux, les églises et les cimetières chrétiens étaient laissés à l’abandon et n’étaient que rarement réemployés. La basilique de Casa Herrera (Badajoz), le monastère de Santa María de Melque (Toledo), le palais de Recópolis (Guadalajara), les églises d’Algezares (Murcie) et d’El Gatillo (Cáceres) montrent que, malgré une occupation initiale des lieux à l’époque émirale, les musulmans n’ont en général pas converti les sanctuaires en mosquées, et ne les ont pas non plus détruits totalement. Ils les ont souvent pillés et parfois sécularisés. Les sites mentionnés laissent penser qu’une réorganisation de la population se produisit tout au long des viiie et ixe siècles : les villages, palais ou monastères en milieu rural furent abandonnés au profit de villes de fondation récente, le tout répondant à une nouvelle stratégie de peuplement67. Ce processus d’abandon explique que la dégradation de nombre de ces églises rurales ait été très lente, au point que, deux ou trois siècles plus tard, les chrétiens qui repeuplèrent les terres reprises aux musulmans purent encore les restaurer68. 150 La conversion des églises en mosquées Il semblerait logique que les musulmans, pour faire la prière, aient d’abord réutilisé les églises locales avant de construire leurs premières mosquées du vendredi, de la même façon que les chrétiens, après la conquête d’al-Andalus, ont transformé de façon systématique les mosquées en églises. Pourtant, d’après les exemples que nous venons d’exposer et d’après les sources arabes, ce phénomène de conversion a été plutôt exceptionnel. C’est pour cette raison que nous avons laissé cette question pour la fin. Nous disions plus haut que les traditionnistes, en évoquant dans leurs récits de la conquête d’al-Andalus la spoliation puis la destruction des temples chrétiens pour y construire, sur le même terrain, des mosquées, traduisaient plus leur point de vue idéologique qu’ils n’énonçaient des faits avérés, comme on le voit à travers les cas de Séville et Saragosse. Les fouilles archéologiques pratiquées en Espagne n’ont pas permis de trouver pour le moment d’indices clairs du phénomène de conversion ou de partage des églises entre les deux communautés, chrétienne et musulmane. Il convient d’ailleurs de se demander si ces conversions ont toujours laissé des traces architectoniques perceptibles aujourd’hui. Avant de continuer, il faut souligner les réticences que les musulmans éprouvaient à prier à l’intérieur d’une église. Il est significatif qu’en Orient, les seuls personnages qui ont fait la prière dans un sanctuaire chrétien, selon les récits des FutëÜÄt, sont les premiers califes ou les compagnons du Prophète, et ce toujours de façon exceptionnelle, au moment de la conquête de certaines villes emblématiques, et avec l’autorisation des autorités ecclésias67 Manzano, 2006, pp. 267-268 et 292. Bango Torviso, 1979. 68 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées tiques locales. En tout cas, l’utilisation des églises pour la prière musulmane, qu’il ait été ou pas un phénomène généralisé lors de la conquête, a été condamné par les juristes et théologiens musulmans postérieurs, comme l’a indiqué Suliman Bashear. Tout un corpus légal et religieux a été constitué pour prévenir cette pratique en se fondant, entre autres, sur les arguments suivants : d’abord, la présence d’idoles ; ensuite, l’orientation vers l’est ; enfin, l’impureté (« naÑÄsa ») du lieu, due au fait que les chrétiens mangent du porc et boivent du vin69. C’est seulement en cas de besoin, après une purification systématique et une réorientation de l’édifice, que les temples chrétiens pouvaient servir de cadre à la prière des musulmans70. Les cas de conversion signalés par les auteurs arabes se produisaient d’habitude dans des endroits symboliques. Al-WÄqidà (ixe siècle) par exemple, indique dans son récit de la conquête de l’Égypte que le général ‘Amr transforma en mosquée une église de BÄbalyën (Babylonie ou Qaãr al-Šam‘), là où les troupes byzantines avaient fait face aux attaques de l’armée musulmane, installée à al-FuséÄé71. On parlera plus bas des cas de Damas et de Cordoue, où les musulmans, selon les auteurs arabes, se sont emparés d’une partie des églises-cathédrales, lors de la conquête, pour en faire des lieux de prière. Keppel Archibald Cameron Creswell a repéré dans les sources orientales plusieurs cas de conversion et de partage au Proche Orient, à öÄma, à l’église SaintJean de öoms (en Syrie tous deux) et à DiyÄrbakir (Turquie)72. Fig. 3. — Las Vegas de Pueblanueva, Tolède. Plan du mausolée avec les éléments ajoutés à l’époque médiévale pour la transformation de ce bâtiment en lieu de prière, d’abord chrétien et puis musulman. À droite, la niche considérée comme mihrab. (T. Hauschild, 1978) 69 Bashear, 1991. Prier vers l’est était considéré dans certains milieux religieux comme un signe de culte rendu au diable, malgré le fait que MuÜammad avait dirigé les prières vers Jérusalem jusqu’à la révélation des versets II, 142-145. 70 De manière significative, la racine du terme employé dans les textes arabes d’al-Andalus pour évoquer la purification d’un édifice religieux, « éahhara », est la même que celle du vocable qui désigne la pureté rituelle des personnes, « éahÄra ». Ibn ‘IÇÄrà, Al-BayÄn al-MuÉrib, IV, p. 42 (cas de Valence). 71 Fu‘ad Sayyid, 1998, p. 17. 72 Creswell, 1989, pp. 6, 60-65 et 84-100. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 151 miscellanées Parmi les cas possibles de conversion de lieux de culte en al-Andalus, on peut citer seulement le mausolée romain tardif de Las Vegas de Pueblanueva (Tolède) qui présente des indices solides73. Ce mausolée, construit à la fin du ive siècle, fut transformé en église et plus tard en mosquée. Toutefois, les archéologues n’ont pas réussi à dater les transformations et l’abandon du bâtiment. La forme assez développée de la niche, si c’est vraiment un miÜrÄb, indique selon nous que la conversion en mosquée a dû se produire à une date assez postérieure à la conquête islamique74 (fig. 3, p. 151). Cordoue et Valence : l‘islamisation des enceintes épiscopales 152 L’absence d’informations sur les premières fondations religieuses concerne aussi la capitale d’al-Andalus, Cordoue. Les sources concernant les origines de son masÑid al-ÑÄmi‘ sont succinctes et ambiguës, ce qui a donné lieu à différentes interprétations, comme l’indique Manuel Ocaña dans son étude de 194275. Grâce aux travaux de Félix Hernández au début du xxe siècle, l’archéologie a dissipé une partie de ces doutes, sans pour autant parvenir à des certitudes. Deux œuvres anonymes tardives, les AábÄr MaÑmë‘a (xe siècle) et le FatÜ alAndalus (xiie siècle), nous offrent des informations indirectes sur l’existence d’un premier oratoire cordouan76. Ces deux sources suggèrent la coexistence d’une kanàsa kabàra et d’un masÑid al-ÑÄmi‘, vraisemblablement en usage à la même époque et situés très près du qaãr, à l’endroit même où ‘Abd alRaÜmÄn I construisit la grande-mosquée. Cependant, on ne sait presque rien de l’aspect de ce premier oratoire, qui a dû subsister jusqu’en 168/785 : s’agissait-il d’un édifice ex novo ou bien cet oratoire avait-il été installé dans une structure préexistante comme à Damas et Jérusalem ? L’historien ‘úsÄ b. AÜmad al-RÄzà apporte un renseignement intéressant sur la fondation de l’oratoire cordouan, recueilli par Ibn öayyÄn dans le Muqtabis. Selon lui, la « mosquée bénie » avait été érigée par ‘Abd al-RaÜmÄn ibn Mu’Äwiya, l’Immigré, « sur les fondations des conquérants arabes (alfÄtiÜàn) de la Péninsule»77. Al-RÄzà ne parle pas ici de partage et attribue la trace des fondations de la première mosquée de Cordoue aux conquérants, 73 Calvo Capilla, 2007, p. 165-166. Hauschild, 1978. La découverte au xixe siècle dans la crypte du mausolée, d’un sarcophage du ive siècle orné des figures, mutilées, du Christ et des Apôtres appuierait l’hypothèse d’une date tardive de la conversion, probablement postérieure au xe siècle. Des niches similaires se trouvent dans les petites mosquées rurales de Sa Nitja (Menorca) ou Vascos (Tolède), d’une époque plus tardive (Calvo Capilla, 2007, pp. 174-177). 75 Nous avons déjà traité ce sujet dans Calvo Capilla, 2010, pp. 283-292 ; Ocaña Jiménez, 1942, pp. 347-366 et 1979, pp. 275-282. 76 AábÄr MaÑmë‘a, trad. p. 65/ 88-89, et éd. p. 61/93 ; FatÜ al-Andalus, trad. p. 57/78 et éd. nº 59/22 ; Torres Balbás, 1957, pp. 340-341. 77 Ibn öayyÄn, Muqtabis II- 1, fº. 141vº. et Muqtabis II- 1, Crónica de los emires Alhakam I y ‘Abdarrahman II entre los años 796 y 847, p. 173. Ce texte n’a pas été pris en compte par M. Ocaña. 74 Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées probablement en référence aux Arabo-musulmans arrivés dans la péninsule Ibérique avec MësÄ b. Nuãayr en 92/711. Dans son NafÜ al-éàb, al-Maqqarà (xviie siècle) transmet une anecdote racontée par Ibn BaškuwÄl (xiie siècle) et qui rappelle également le lien des conquérants avec les premières qibla-s d’al-Andalus (aussi celle de Cordoue), attribuées aux tÄbi‘ën MësÄ b. Nusayr (sic) et öanaš al-üan‘Änà 78. La plupart des chroniques de la conquête conservées ne font aucune allusion, directe ou indirecte, à la question du partage de l’église de Saint-Vincent de Cordoue entre les chrétiens et les musulmans. Dans le BayÄn al-MuÉrib d’Ibn ‘IÇÄrà, historien maghrébin du xive siècle, nous trouvons l’allusion la plus ancienne et la plus connue à cet événement. Le récit d’Ibn ‘IÇÄrà commence par établir une comparaison explicite entre Cordoue et Damas en ce qui semble une addition de sa propre main, au xive siècle79: « Quand les musulmans conquirent al-Andalus, ils suivirent ce qu’avaient fait Abë ‘Ubayda et HÄlid [à Damas]…» 80, ce qui indique que l’auteur connaissait les récits légendaires évoqués dans les sources orientales sur la conquête de Damas et sur le partage de l’église de Saint-Jean Baptiste81. Il souligne de cette façon le lien familial entre les Omeyyades d’al-Andalus et les Omeyyades d’Orient et, dans le même temps, il parvient à expliquer un chapitre de l’histoire que les sources anciennes laissent dans le vague : la fondation du premier oratoire musulman de Cordoue. Cependant, les fouilles archéologiques faites dans le sous-sol de la mosquée de ‘Abd al-RaÜmÄn I, dirigées par Félix Hernández entre 1932 et 1936, n’ont pas confirmé le partage ni la réutilisation des bâtiments anciens retrouvés82 (pl. 7 et 8, p. 154). Une découverte assez récente fournit de nouvelles données pour l’interprétation du cas cordouan. Le « quartier épiscopal » wisigothique de Valence, mis au jour sous la place de l’Almoina, à côté de la cathédrale, s’était installé sur les vestiges des édifices du forum romain. À l’époque wisigothique le siège épiscopal atteignit toute sa splendeur grâce à la présence de la tombe du martyr saint Vincent, très visitée, et au développement de la nécropole ad sanctos. Enfin, à l’époque islamique, sur une partie de l’enceinte a été construit le 78 Al-Maqqarà, Nafh al-éib, dans Analectes sur l’histoire, p. 369 et The History of the Mohammédan Dynasties, pp. 225-26. 79 Le mythe damascène du partage entre musulmans et chrétiens, élaboré entre les ixe et xiie siècles, connut un très grand succès et fut largement transmis tout au long des siècles suivants. Ce mythe est probablement arrivé en al-Andalus assez tôt, si l’on en croit ce que dit Ibn ‘IÇÄrà, qui attribue l’information à al-RÄzà (xe siècle). Cependant, il est fort possible que ce soit une addition de sa plume, comme l’indique la méthode de travail des compilateurs : Molina, 2006 ; Ibn ‘AsÄkir, La description de Damas, pp. 27-38 ; Bahnassi, 1990; Burns, 2005 ; Flood, 2001. 80 Ibn ‘IÇÄrà, BayÄn II, éd. fol. 244-45 et trad. p. 378 ; Rubiera, 1981, p. 111. 81 Calvo Capilla, 2010, pp. 283-292. 82 Seul un pavement d’opus signinum retrouvé sous le portique occidental de la cour peut être daté entre l’année 711 et la construction de la grande-mosquée par ‘Abd al-RaÜmÄn I (Marfil, 2000, pp. 127-130, note 42 ; Fernández-Puertas, 2009, pp. 9-132). Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. 153 miscellanées Pl. 7. — Cordoue, Grande Mosquée. Mosaïques paléochrétienes 154 Pl. 8. — Cordoue, Grande Mosquée. Éléments décoratifs des édifices religieux wisigothiques trouvés dans le sou-sol de la mosquée palais musulman, dont on a retrouvé les jardins avec leurs bassins, et le cimetière. La basilique fut dépouillée de ses matériaux nobles et, après sa ruine, son terrain fut probablement occupé par la grande mosquée, qui se trouvait peut-être sous l’actuelle cathédrale83. Comme à Cordoue, le centre politique, militaire et religieux de la ville musulmane fut donc progressivement établi à l’emplacement de l’ancien complexe épiscopal (fig. 4). 83 Ribera i Lacomba, 2005; Ribera i Lacomba, Rosselló Mesquida, 2000. Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées 155 Fig. 4. — Valence, place de l’Almoina. Plan des structures du viie siècle appartenant au quartier épiscopal érigé sur les ruines du forum romain. (A. V. Ribera i Lacomba, 2005) Conclusion La question du processus d’islamisation de la péninsule Ibérique s’enrichit continuellement des nouvelles découvertes archéologiques et du réexamen des sources textuelles. Il n’est donc pas question pour nous de prétendre avoir épuisé le sujet. Nous avons essayé de souligner ici la variété des modèles d’islamisation à l’œuvre dans la péninsule Ibérique — tout particulièrement à propos des lieux de culte (construction de mosquées et transformation d’églises) — et l’originalité ou la dépendance de ces modèles par rapport au reste du monde islamique. C’est la nature même de la conquête de ces territoires (par les armes ou par la négociation, aboutissant à la signature de pactes) qui semble avoir dicté les modèles locaux d’islamisation. Les auteurs arabes expliquent que la conquête d’une ville par les armes aboutissait à la désacralisation de ses églises, cependant que la conquête obtenue par la négociation réservait une Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. miscellanées 156 partie des sanctuaires locaux au culte chrétien. L’importance des villes a joué elle aussi, semble-t-il, un rôle important : en milieu rural, de nombreux endroits (villages, monastères ou palais) furent occupés de façon temporaire — l’archéologie datant les transformations des deux premiers siècles de présence islamique (viii - ixe siècle) —, mais ils furent ensuite abandonnés au profit des villes de fondation nouvelle (ce qui a facilité l’étude des vestiges). Le processus d’islamisation fut long et progressif, de sorte que les archéologues rencontrent de sérieuses difficultés pour identifier le changement des formes de vie et déterminer le passage d’une société chrétienne à une société musulmane. Dans les grandes villes, le processus d’islamisation religieuse, sociale et urbaine fut également lent. Plusieurs exemples montrent que le centre urbain, parfois occupé par les ruines du forum romain, converti habituellement en siège épiscopal, connut une évolution graduelle qui se finit par la construction de la mosquée al-ÑÄmi‘. On trouve également des cas de « partage » temporaire de l’espace épiscopal entre les communautés musulmane et chrétienne, comme les fouilles de l’Almoina, à Valence, semblent le suggérer, et comme les textes l’indiquent aussi — en dépit de leur dimension légendaire, semble-t-il — à propos de l’église Saint-Vincent de Cordoue. Beaucoup d’églises et de sanctuaires chrétiens, la plupart situés à l’extérieur de la ville, restèrent en usage au moins jusqu’au xe siècle, de la même façon que dans les villes anciennes la transformation urbaine semble ne s’être achevée qu’à la fin de l’époque omeyyade. Quant aux lieux de culte, il est curieux de constater que nous connaissons mieux aujourd’hui le sort qui fut réservé aux sanctuaires wisigothiques que les caractéristiques matérielles des premières mosquées construites, qui semblent n’avoir laissé presque aucune trace ou, au moins, une trace identifiable. Les premiers, comme en témoignent plusieurs cas, ne furent désaffectés qu’après une période au cours de laquelle ils étaient restés accessibles aux chrétiens. Puis, à la suite des conversions massives à l’islam, ils furent sécularisés ou simplement abandonnés et tombèrent en ruine. Les oratoires islamiques, par contre, sont assez mal connus du point de vue matériel. Seules les sources écrites nous informent sur les fondations des musulmans dans les premiers temps de leur installation dans la péninsule Ibérique : mosquées d’Algésiras, de Rubàna à Séville, de Saragosse ou de Cordoue. Mais les informations données par les auteurs arabes sont tardives et peu précises du point de vue descriptif, ce qui complique le travail des historiens de l’art. L’absence de fondations religieuses semble plutôt témoigner d’un degré d’islamisation assez faible parmi les conquérants au viiie siècle. Malgré ces inconvénients, les lieux communs et les légendes que les auteurs arabes ont incorporés à leurs récits de la conquête contiennent une information indirecte précieuse sur les liens d’al-Andalus avec l’Islam oriental et nord-africain. D’abord sur le terrain de l’historiographie, parce que les Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 41 (2), 2011, pp. 131-163. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez. susana calvo capilla les premières mosquées auteurs d’al-Andalus semblent avoir été influencés par l’école des historiens égyptiens, entre autres, tout en connaissant très bien par ailleurs les sources littéraires et rhétoriques employés dans les récits des FutëÜÄt. On retrouve en effet dans leurs textes les mêmes topoi sur la conquête, le recours aux conquérants et aux « tÄbi‘ën » pour justifier toute une série d’actions qui ponctuent la conquête, des versions contradictoires expliquant un même toponyme (comme dans le cas de la mosquée des étendards d’Algésiras), et une même tendance à insister, pour des raisons symboliques, sur la destruction des temples des « polythéistes » dans les nouveaux territoires. Ensuite, ces récits indiquent que les modèles d’islamisation et d’occupation à l’œuvre dans la Péninsule étaient très semblables aux modèles développés dans d’autres régions, spécialement en Afrique du Nord. On peut donc aussi supposer l’existence de liens artistiques entre ces régions à l’époque de la conquête et de l’émirat indépendant d’al-Andalus, comme ce fut le cas plus tard. Certaines questions demeurent sans réponse : quel fut le prototype architectonique adopté pour l’érection des premières mosquées et quelle fut son influence dans les constructions postérieures comme la mosquée de Cordoue, la plus ancienne qui soit conservée ? Quel était le bagage culturel et artistique des conquérants ? Ou encore, quel rôle a joué la tradition architecturale antérieure de la péninsule Ibérique dans la construction de ces premières mosquées ? Bibliographie Acién Almansa, Manuel (1999), « Poblamiento indígena en al-Andalus e indicios del primer poblamiento andalusí », Al-Qantara, 20-1, pp. 47-64. Acién Almansa, Manuel (2000), « La herencia del protofeudalismo visigodo frente a la imposición del Estado islámico », dans Visigodos y Omeyas, Anejos de Archivo Español de Arqueología, 23, pp. 429-442. 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