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L’AUDIOPHILE
HAUT-PARLEUR NOUVELLE TECHNOLOGIE
HP électro-dynamique :
vers une ère nouvelle...
S’il est un domaine où
la véritable innovation est
rare, c’est bien celui du
haut-parleur électrodynamique. Depuis
Rice-Kellogg, la forme
a évidemment beaucoup
évoluée, mais le fond
reste peu ou prou le
même. Gilles Milot,
bien connu des passionnés depuis les années 80,
nous a présenté
un prototype qui pourrait
bien enfin faire évoluer
les choses...
Par Philippe Viboud
a reproduction sonore vit depuis
près d’un siècle sous l’hégémonie du principe Rice-Kellogg
commercialisé dans les années 20... Ce
haut-parleur électro-dynamique est en
effet le plus répandu dans tous les
domaines d’applications du son, de la
hi-fi au pro... Bien sûr que, depuis les
premiers modèles à excitation de série,
ce maillon – sans lequel nos enceintes
acoustiques n’existeraient pas – a
beaucoup évolué mais essentiellement du fait de nouveaux matériaux
et de modes de fabrication plus
L
80
Le protoype écoutable en large bande utilise une charge arrière tubulaire close décomprimée de très faible volume.
modernes. Même si en 2008 ses développements passent par de puissants
logiciels intégrant tous ses paramètres
connus et dessinant en 3D les résultats de leurs calculs, il n’en reste pas
moins que le principe originel reste
le même : un équipage mobile constitué d’une membrane, de suspensions
et d’une bobine baignant dans l’entrefer d’un moteur magnétique, permanent ou à excitation. Hors, malgré les
recherches sur de nouveaux aimants
en terre rare plus puissants, mille et
une astuces pour augmenter le ren-
dement et diminuer les distorsions,
mille et un essais sur des matériaux et
des formes de suspension et de membranes composites de plus en plus
sophistiqués, ses limites restent incontournables du fait du principe même...
Les limites des haut-parleurs
Que demande-t-on théoriquement à
un haut-parleur en hi-fi? Simplement
de reproduire la totalité de la bande
passante audible sans directivité
propre, sans distorsion d’aucune sorte
et avec une puissance acoustique réa-
liste ! La mise en application de cet
énoncé, si simple en apparence, met
vite en évidence ses antinomies lors
de la construction du transducteur.
Pour “remuer de l’air” et donc obtenir un niveau acoustique respectueux
de la dynamique, ce dernier peut
compter sur sa surface émissive et/ou
son amplitude de déplacement. Pour
une fréquence et une puissance acoustique donnée, si l’on diminue le diamètre du haut-parleur, il faut augmenter l’amplitude de déplacement
de son équipage mobile. Hors granN° 332, septembre 08
Suspendu à un ressort qui le découple de l’environnment, ce principe sera maintenu
sur la version “commerciale” mais sous une forme beaucoup plus domestiquée...
On voit ici, à la limite entre le support de bobine et l’entrefer, des traces du ferrofluide utilisé pour centrer et contrôler l’équipage mobile.
de surface émissive est synonyme
d’augmentation de la masse mobile
(peu souhaitable), de directivité marquée en haute fréquence, de fractionnement, de traînage et de modes
de torsion complexes de membrane,
donc d’apparitions de non-linéarités
qui s’additionnent à celles dues au
déplacement important de cet équipage dans un entrefer limité en taille
et en flux et retenu par des suspensions elles-mêmes sujettes à des comportements viscoélastiques nonlinéaires. Et ce n’est pas tout, car il ne
faut pas perdre de vue que le haut-parleur ne tire son énergie acoustique que
d’une transformation de l’énergie
électrique envoyée par votre amplificateur, application de la fameuse loi
de Laplace! Hors cette transformation
est loin d’être transparente et d’un
tation du principe dans le grave, problèmes de fiabilité et d’émissions
secondaires... Nous avons vu que cet
équipage mobile a pour principales
limites sa masse, l’amplitude de son
déplacement et les non-linéarités de
ses suspensions, périphérique et spider. L’idée fut donc de supprimer
purement et simplement ces dernières ! Plus de suspension, donc suppression d’un grand nombre de nonlinéarités, et surtout beaucoup moins
de limitations concernant l’élongation, d’où, rappelez-vous, la possibilité d’utiliser une membrane de petit
diamètre pour une même énergie
acoustique. Facile à dire murmurent
déjà les sceptiques, mais il faut bien
un guidage pour qu’il travaille en
piston et surtout un point de repos
stable à cet équipage mobile devenu
libre comme l’air ? Tout à fait et
après de nombreux essais, la solution
est venue des ferrofluides. Inventés au
milieu des années 60, ce sont des solutions coloïdales stables constituées
d’un liquide porteur dans lequel est
maintenu en suspension des nanoparticules ferromagnétiques (env. 3
à 20 nm). Dits paramagnétiques, ils
réagissent à un champ magnétique
externe comme celui d’un entrefer de
haut-parleur, mais ne conservent pas
la magnétisation en son absence.
Utilisés d’abord sur les tweeters dont
ils homogénéisent le flux et garantissent l’étanchéité et une meilleure
tenue en puissance du fait d’une dissipation thermique accrue de la bobine à leur contact, ils sont ici employés
sous forme de joints aux extrémités
du moteur, restant prisonniers des
gradients de champs magnétiques à
ce niveau. Ils forment donc une pellicule autocentrant, statiquement
mais aussi dynamiquement, la bobine, au même titre qu’une suspension,
mais sans ses défauts mécaniques, en
particulier la raideur axiale du système est nulle. Il est évidemment très
important de bien choisir le ferrofluide en termes de propriétés magné-
rendement optimal, se “dispersant”
en chaleur dans la bobine, en courant
de Foulcault ou en phénomènes
d’hystérésis et de self-inductance mal
maîtrisés. Face à cette vision un peu
apocalyptique du fonctionnement
du haut-parleur électro-dynamique,
des chercheurs de l’université du
Maine dans la Sarthe, d’abord en la
personne de Bernard Richoux, puis
de Guy et Valérie Lemarquand (les
époux “Joliot-Curie” de l’électroacoustique !) et enfin Gilles Milot
sous l’égide de la société Acoustical
Beauty, ont expérimenté des solutions
innovantes permettant de conserver
son principe en minimisant tous ses
défauts.
Sans suspension et sans fer
Pour ça, il a fallu remettre tout à plat
et chercher une nouvelle direction
pour chaque élément constitutif en
analysant son rôle, son mode de fonctionnement et ses limitations. L’élément incontournable du principe
reste l’équipage mobile. Les essais
sur les haut-parleurs à gaz ou ioniques,
bien qu’intéressants, n’ont à ce jour
pas été vraiment concluants : bruit de
fond résiduel, rendement faible, limi-
Essais design d’enceintes pouvant intégrer le haut-parleur d’Acoustic Beauty en
temps que module médium-grave évolutif de quatre à huit. Le tweeter reste pour
l’instant traditionnel... Mais peut-être pas pour longtemps !
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tiques des grains et mécaniques du
liquide porteur (huile de silicone,
diesters carboxyliques, polyphényléthers...), en particulier sa viscosité, sa
stabilité et sa capacité thermique,
pour optimiser cette fonction. Cet
aspect est désormais assez bien maîtrisé dans l’industrie et la fiabilité des
ferrofluides est établie de longue date
pour permettre de valider ce choix
délicat. Deuxième point, le moteur
magnétique. Au sein d’un haut-parleur traditionnel, le poids du fer doux
représente entre 50 et 75 % de son
poids total ! Cette structure, par facilité d’usinage, est le plus souvent réalisée en alliage dont la teneur en carbone et le matriçage (en l’absence de
Sur ce premier modèle, le dôme inversé
reste en magnésium, il sera en carbone
sur la version définitive.
La structure arrière en polymère nervuré
sert de base mécanique au haut-parleur
lui-même et protège les aimants.
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Les cahiers de
L’AUDIOPHILE
recuit) influencent les propriétés
magnétiques, en particulier la perméabilité. Les pièces polaires et les
plaques de champ sont donc le siège,
entre autres, de fuites magnétiques,
de courants de Foulcault dues à leur
propriété conductrice et d’irrégularités du flux dans l’entrefer, donc du
facteur Bl. De plus par souci d’économie mais aussi pour éviter de saturer les pièces précitées, on utilise
majoritairement des tores de ferrites
dont l’énergie est près de vingt fois
inférieure à ce que l’on sait faire de
mieux actuellement puisque l’on arrive à près de 550 kJ/m3 ! Il était donc
tentant de supprimer le fer, comme
on a supprimé les suspensions, pour
ne plus utiliser que des super-aimants
permanents formant directement
l’entrefer... C’est ce qui a été réalisé,
comme on peut le constater sur la
coupe schématique ci-contre.
Maintenus par une structure mécanique polymère, les aimants
Neodyme, au nombre de six, quatre
axiaux et deux radiaux, qui n’ont
pas forcément la même aimantation
rémanente. Leur orientation peut
varier selon le critère que l’on veut
privilégier. Si c’est le facteur Bl et la
hauteur de l’entrefer assurant une
plus grande amplitude de déplacement de la bobine, ils seront tous
orientés radiaux, centripètes ou cen-
trifuges. La structure mixte axialradial permet plutôt de minimiser
les fuites et de concentrer le flux sur
la partie centrale en rebouclant la
structure magnétique. À performances
équivalentes, l’abandon du fer assure aussi un gain pondéral assez conséquent ! Quant à l’équipage mobile
lui-même, le choix s’est porté en un
premier temps sur un dôme inversé
de 54 mm en magnésium directement
fixé sur le support de bobine en titane. La bobine est assez courte et il faut
noter que sa structure alu-cuivre noyée
dans une résine époxy joue aussi le rôle
de bague de renfort du support.
L’ensemble reste très léger (Mms =
5,36 g) et peut vraiment être comparé
à un piston au sein d’un cylindre.
Conséquences attendues
Conséquences de la technologie et en
particulier de l’absence de suspension,
les paramètres de Thiel et Small
offrent des valeurs pour le moins
inhabituelles : la fréquence de résonance, sans charge à l’air libre, est
nulle au même titre que les Qms, Qes
et bien sûr Qts. Conséquence des
conséquences, les Vas et Cms tendent
vers l’infini ! Voilà qui ouvrent de
nouveaux horizons à notre reproduction sonore un peu endormie... La
charge choisie est une tubulaire close
d’environ 2,7 litres amortie et décom-
MESURES
Réponse amplitude/
fréquence d’un haut-parleur classique à 20 Hz :
Ici un 17 cm avec une excursion de ± 4 mm. La sinusoïde
n’en est plus vraiment une et
la comparaison avec la courbe ci-dessous se passe de
commentaire... (Doc.
Acoustical beauty)
Réponse amplitude/
fréquence de l’Acoustical
Beauty à 20 Hz :
Confirme la réduction drastique de la distorsion pour
une fréquence aussi basse.
L’excursion permise est de
± 7 mm. (Doc. Acoustical
Beauty)
Courbe de réponse
typique sans bafflage :
C’est celle du prototype. Un
filtre bouchon permet de lisser la pointe vers 7 kHz.
Intégrer le fait que l’abscisse
va de 20 à 20 000 Hz et que
l’on a à faire à un HP de seulement 54 mm de diamètre !
(Doc. Acoustical Beauty)
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Coupe du haut-parleur d’Acoustical Beauty : Ce schéma permet de bien comprendre
la structure magnétique, constituée par six aimants néodyme, et le rôle du ferrofluide en tant que guide de l’équipage mobile.
pressée (fuite calibrée de Fr =
0,1 Hz). Ce volume constitue en fait
la seule “raideur” du haut-parleur,
d’où son volume faible par rapport
à un transducteur classique, tout en
conservant une résonance aux alentours de 42 Hz ! Sa structure en
fonte lamellaire de 5 mm d’épaisseur
est très massive (5 kg) et très amortissante. Ce module acoustique est de
plus découplé par ressort de son support. La bande passante n’en fait
pas encore tout à fait un large bande,
mais couvre néanmoins une plage de
20 à 8 000 Hz, ce qui n’est pas mal
pour une membrane de 54 mm de
diamètre, surtout dans le grave ! Le
rendement du module est d’environ
83 dB/W/1 m à 1 kHz. Cela peut
paraître moyen, mais il faut le rapporter à un HP d’un si petit diamètre
et savoir que le principe modulaire
permet de les multiplier en ligne
acoustique (voir schéma des enceintes
à la page précédente), ce qui rajoute 3 dB à chaque module supplémentaire (entre quatre et huit sont
prévus en un premier temps par
voie). Sa tenue en puissance est par
ailleurs de 100 W.
Perspective d’avenir
Protégé par plusieurs brevets internationaux, ce transducteur médiumgrave a devant lui un bel avenir...
D’ailleurs le projet vient d’être lauréat au concours national 2008 d’aide
à la création d’entreprises de technologie innovante (ministère de
l’enseignement supérieur - ANROSEO). Bien sûr que Gille Milot
envisage de recréer des enceintes
Leedh sur cette base Acoustical
Beauty (À sa place, ça nous démangerait aussi !). Mais le but est de le
proposer mondialement à tous les
fabricants d’enceintes intéressés, voire
aux amateurs de réalisations personnelles, avec des coûts contenus. Par
sa technologie vraiment innovante et
par le fait qu’il constitue une entité
à lui tout seul qui permet un redesign tout aussi innovant des enceintes
acoustiques, son champ d’application
risque de s’élargir rapidement, y compris dans des sphères autres que la HiFi... D’autres modèles sont déjà à
l’étude, en particulier un “boomer”
de 80 mm... Les quelques écoutes
effectuées au sein de notre auditorium
nous ont vite convaincus du bien
fondé de l’entreprise. Très naturel et
vif, le rendu montre beaucoup de
qualités, en particulier un très bon
équilibre spectral d’autant plus étonnant quand on considère la surface
émissive et le faible volume de charge des prototypes utilisés en large
bande. Le modèle commercialisé
bénéficiera évidemment d’une
meilleure finition mais aussi d’amélioration de son équipage mobile
dont le dôme et le support bobine
seront remplacés par du carbone
époxy “haut module” (on en fabrique
des cannes à pêche de compétition...),
très rigide, très amorti, supérieur en
vitesse de propagation au titane, mais
aussi non conducteur (absence de
courant de Foulcaut) et noir, donc
meilleur conducteur de la chaleur
vis-à-vis de la bobine et rendant le
ferro-fluide invisible... Bref, que du
bonheur ! La fabrication en petite
série devrait débuter à l’aube de 2009,
via une collaboration entre Acoustical
beauty et la société AAC à
Chartre/Loir qui a repris la fabrication des haut-parleurs Audax à
Harman...
L’auteur remercie Gilles Milot pour
son aide à la réalisation de cet article.
Philippe Viboud
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