Victime-Agresseur - Tome 2
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Victime-Agresseur - Tome 2
Collection Victimologie & trauma Éric Baccino & Philippe Bessoles sous la dir. Victime-Agresseur. Tome 2 L'agresseur sexuel : problématiques et prises en charge et de la verrerie CHAMP SOCIAL É D I T I O N S Problématiques Force est de constater que l’agresseur sexuel occupe une place singulière dans la clinique de l’horreur. Père incestueux, ecclésiastique ou enseignant pédophile, violeur et tueur en série de l’est parisien, « touriste » sexuel en vacances en Asie du sud ou anonyme banlieusard adepte des « tournantes » dans les sous-sols de sa cité, il rassemble toutes les figures primitives de la violence fondamentale. Il ose la barbarie et ses ambivalences. Tantôt qualifié de pervers, de psychopathe, de déséquilibré psychique ou d’immature psychoaffectif, tantôt de psychotique avéré ou non décompensé, l’agresseur sexuel brouille les repères psychopathologiques qui tentent de saisir les désordres de son histoire et les effondrements symboliques prévalant à ses passages à l’acte. Figure par trop médiatisée ou délinquant récidiviste, il entretient le débat clinique, juridique et éthique de l’exemplarité de sa peine, de son risque de récidive, de l’injonction thérapeutique et de sa castration fût-elle chimique. Tenter de comprendre les mécanismes psychiques à l’œuvre ne peut éluder le questionnement sociétal de sa prise en charge comme la réflexion clinico-judiciaire de son incarcération et son obligation de soin. Tel fut l’objet du colloque national de juin 2001 organisé par le service de médecine légale du CHU Lapeyronie de Montpellier et l’Institut méditerranéen de victimologie clinique (en collaboration avec l’université Aix-Marseille I et l’Institut de sciences criminelles de la faculté de droit, Montpellier I) sur le thème : « L’agresseur sexuel ; problématiques et prises en charge », dont rendent compte les actes du présent ouvrage. Ce deuxième colloque témoigne d’une volonté de pérenniser une démarche scientifique en sciences forensiques et de contribuer à une dynamique de praxis, de recherche fondamentale et appliquée en victimologie clinique. La prise en charge de l’agresseur sexuel apparaît complémentaire à celle de la victime. Cette complémentarité révèle la complexité du phénomène agressologique en matière sexuelle à plusieurs titres : L’agression sexuelle sur mineur (> 15 ans selon le code de procédure pénale), dans les 2/3 des cas, est commise par un familier de la victime (père, beau-père, enseignant etc.). Les études de M. Lynch (1987) évaluent à 74 % le pourcentage d’enfants connaissant leur agresseur ; celles de M. Gabel (1992) à 63 %. Le rapport d’E. Baccino (1994) estime à 84 % ce pourcentage et l’étude de P. Bessoles (2000) à 68 %. Ces données épidémiologiques ne rendent pas seulement compte de l’ampleur et de la spécificité du problème (inceste, pédophilie, attouche- . 13 ments…). Elles témoignent de la complexité des enjeux psychiques intra et péri familiaux (climat incestuel, harcèlement moral, maltraitance…) et des facteurs de risque d’abus sexuel. Elles questionnent aussi le juriste dans son attribution de droit de garde, le médecin dans son diagnostic différentiel des signes d’appel somatiques, le psychologue dans l’analyse des désordres psychiques de la parentalité, etc.. La qualification des méthodologies, la quantification des techniques, les évaluations diagnostiques (comme le QICPASS de C. Balier, A. Ciavaldini et M. Girard-Khayat), pronostiques etc., se heurtent à la paradoxalité de l’injonction thérapeutique et de l’obligation de soins (loi du 17 juin 1998). Au carrefour du juridique, du médical et du psychologique, le soin accentue l’aporie de la nécessité sociétale de l’incarcération face au traitement de la « maladie » sexuelle. Les questions éthiques et déontologiques complexifient le débat et la praxis notamment pour le médecin coordonnateur à l’interface du pénal et du soin. Les référentiels épistémiques des professionnels, parfois divergents, entraînent des risques confusionnels entre l’exigence – sinon la « garantie » – d’une récidive éliminée et les remaniements psychiques propres aux processus thérapeutiques. Les données épidémiologiques pour les adultes masquent et révèlent à la fois la cruauté des tableaux cliniques. L’effet de masque tient à ce que seulement 18 à 20 % des victimes portent plainte (rapport Baccino, 1994). La révélation est que la population des détenus en exécution de peine pour viol et autres agressions sexuelles est passée de 5 % en 1975 à 24 % en 2001 (association française de criminologie, mai 2001). En chiffre brut, toutes agressions sexuelles confondues, il y avait 633 détenus en France en 1975. Au 1er janvier 2001, il y en avait 7101 soit environ 11 fois plus. Ces données ne signifient pas nécessairement une recrudescence de la « délinquance sexuelle ». Elles témoignent aussi d’une meilleure « efficacité » policière et, sans doute, dans les effets d’une politique de préventologie, d’une dénonciation des faits plus importante. Les SMPR (services médico-psychologiques régionaux), les UPS (unités de préparation à la sortie), le CNO (centre national d’observation)… tentent de répondre institutionnellement à la dynamique de la prise en charge pénitentiaire. Les difficultés rencontrées restent cependant majeures : formation des personnels, modalités du contrôle judiciaire, de liberté conditionnelle, recherches sur l’hormonothérapie, sur les méthodologies thérapeutiques etc.. Les travaux menés par l’ARTASS (association pour la recherche et le traitement des auteurs d’agressions sexuelles créée en 1996), le site pilote de psychiatrie et psychologie légale de la Garenne Colombes (R. Coutenceau), la démarche innovante des consultations pré et post pénales du dispositif médico psychologique de la maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelone (E. Baccino, R. Cros, P. Bessoles) etc. sont des initiatives précieuses sur le plan institutionnel et de la praxis. Il n’en demeure pas moins, comme le souligne E. Archer (1997) que l’agresseur sexuel présente des profils et des structures de personnalité aussi variées que d’actes délictueux. Le débat sur les peines de substitution ou le regroupement des auteurs d’agression sexuelles dans le même centre de détention en est l’illustration. . . 14 La nosographique psychiatrique et la psychopathologie clinique qui tendent à l’investigation diagnostique et aux indications thérapeutiques ne peuvent, au risque de graves dérives, correspondre aux incriminations pénales. Les plus grandes précautions s’imposent quand il s’agit d’inventer des dispositifs de soin qui pourraient reposer sur l’ambiguïté d’une catégorie pénale d’infraction face à une entité psychodynamique pathogène. L’enjeu est d’importance pour la politique pénitentiaire de demain. Cette politique ne peut faire l’économie d’un cadre médico-psychologique à la fois rigoureux et souple donnant au clinicien, comme au juriste des capacités d’inventer les médiations individuelles du rapport à la peine et au soin. Au carrefour des influences anglo-saxonnes et européennes, la prise en charge des agresseurs sexuels fait aussi symptôme de l’ensemble du suivi des détenus. La présence importante des toxicomanes en prison accentue ce « malaise dans la civilisation ». Les travaux menés hors hexagone (C. Mormont en Belgique par exemple) montrent les diversités d’appréhension du problème et les nécessaires partenariats entre juges, travailleurs sociaux, médecins, psychologues etc. Cet ouvrage a donc la simple ambition de problématiser ce faisceau de questions et d’expériences sur ce rapport si énigmatique de la violence et du sexuel. Il constitue le deuxième volet du diptyque « victime/agresseur » que le service de médecine légale du CHU Lapeyronie de Montpellier a souhaité mettre en travail au travers de ses deux derniers colloques et de leurs actes. Ces deux ouvrages font signe d’une dynamique institutionnelle et d’une pensée heuristique de la médecine et de la psychologie légale. Éric Baccino, Philippe Bessoles