Vérène Chevalier - Céreq - Centre d`études et de recherches sur les
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Vérène Chevalier - Céreq - Centre d`études et de recherches sur les
retour sommaire 10es Journées d’études Céreq – Lasmas-IdL, Caen, 21, 22 et 23 mai 2003 « Les données longitudinales dans l’analyse du marché du travail » La conversion professionnelle des jeunes amateurs Vérène Chevalier De nombreux jeunes sont inscrits dans des activités de loisirs plus ou moins organisées par des institutions, comme le sport (fédérations sportives et leurs clubs) ou la musique (conservatoires) (Donnat, 1998). La plupart de ces jeunes mènent en parallèle un cursus scolaire ou universitaire et une carrière d’amateur plus ou moins virtuose ou performant. La plupart de ces activités dites « de loisirs » et structurées par des institutions sont en fait des activités de formation impliquant des apprentissages et des niveaux reconnus de compétence (Chevalier, 1998). Certains jeunes, parmi les passionnés, choisissent de convertir leur passion en vocation professionnelle, alors que d’autres sont durablement marqués par leur engagement amateur et orientent leur formation, ou leur choix de profession, au regard de cette expérience acquise. Il apparaît ainsi que les activités d’amateur, dès lors qu’elles sont pratiquées avec engagement, imprègnent les trajectoires des jeunes et jouent probablement un rôle singulier sur les modalités d’insertion professionnelle (Chevalier, Dussart, 2002). Dans un contexte où les identités personnelles sont moins héritées et davantage construites par les personnes que par le passé (Dubar, 2000), nous pensons que les engagements amateurs peuvent prendre une place inégalée dans la définition du statut social des personnes. Aux confins de la sociologie de la jeunesse et de la socialisation adulte d’une part (Galland, 2001), et de la sociologie des professions d’autre part, notre questionnement porte sur les effets des engagements amateurs des jeunes sur les biographies. Les travaux sur la jeunesse (Chamboredon, 1985 ; Galland, 1990 et 2001) montrent celle-ci comme une période moratoire du cycle de vie où les démarches de l’insertion professionnelle s’inscrivent dans une quête identitaire faite d’expérimentations diverses. D’un autre côté les travaux sur la construction des identités sociales et professionnelles et la sociologie des professions mettent en évidence les étapes progressives de l’entrée des jeunes dans le monde du travail et les logiques identitaires qui sont en jeu dans ces processus fortement individualisés (Dubar, 1998). Cette problématique est appliquée ici à des engagements amateurs organisés par et dans des institutions qui structurent, orientent et définissent les étapes clefs des carrières d’amateurs. Un des premiers domaines d’investigation est celui de l’engagement sportif, d’une part car il est fortement structuré par des institutions, d’autre part car il est massivement investi par de jeunes amateurs, et largement pourvoyeur de signes identitaires pour ceux qui s’y engagent. La notion de conversion des amateurs n’implique pas nécessairement que les jeunes optent résolument pour une professionnalisation ferme à un moment clairement identifié de leur parcours d’amateur. Cette notion implique plutôt qu’à la faveur de la capitalisation d’expériences valorisantes dans une pratique faisant sens, un glissement s’opère et conduit certains jeunes à donner progressivement une sorte de priorité à cet engagement initialement conçu comme secondaire. En effet, il s’agit pour eux de tenter de concilier l’engagement amateur avec les exigences de l’entrée dans la vie adulte, et donc avec l’accès au monde du travail (Nicole-Drancourt, Roulleau-Berger, 2001). À ce titre, ils convertissent leur passion en profession car leur engagement d’amateur leur permet une affirmation identitaire qu’ils ont du mal à trouver dans leur formation principale (qui a pour objet leur formation professionnelle, à l’école ou à l’université). Cette conversion paraît d’ailleurs largement réversible, même si l’on ne peut aujourd’hui le mesurer précisément. Cette conversion peut n’être que provisoire pour de nombreux jeunes (comme le suggère l’effectif annuel de diplômes du ministère des sports ne semblant pas déboucher sur un effectif d’emplois comparable). Elle constitue alors une sorte de sas entre la vie scolaire et la vie active, le loisir et le travail, l’amateur et le professionnel, permettant d’expérimenter différents statuts ou rôles. Les données permettant de traiter ces questions relatives aux socialisations professionnelles des jeunes dans un contexte d’engagements pluriels (loisirs organisés, trajectoire scolaire, etc.) ne sont à notre connaissance pas disponibles. En effet, les enquêtes produites par les grandes institutions (Insee emploi, Formation-Qualification-Profession ; Céreq Génération par exemple) ne permettent pas de faire le lien entre les biographies d’amateurs et les modalités d’insertion professionnelle. Cela alors qu’un nombre non négligeable de jeunes ont une double carrière (au moins) et utilisent leurs acquis respectifs (en termes de compétences, de réseaux, etc.) dans les différentes étapes de leur socialisation professionnelle. Nous utiliserons donc différents corpus afin de tenter de cerner quelques éléments sur la place de la nature plurielle des engagements de jeunes et ses effets sur leur socialisation professionnelle. Ainsi certains éléments seront tirés d’enquêtes nationales (Insee emploi), d’autres d’enquêtes partielles et locales – l’enquête du Commissariat Général du Plan sur les emplois jeunes dans le champ jeunesse et sports (Conseil National de l’Évaluation, 2001) et l’enquête de l’ORFS Basse-Normandie sur les titulaires d’un Bac+2 quatre ans après leur bac –. Ces éléments seront destinés à mettre en perspective les informations relatives à des engagements amateurs avec les socialisations professionnelles des jeunes. Puis quelques aspects qualitatifs de la conversion professionnelle des pratiquants d’équitation amateurs en France seront abordés à partir de l’analyse de récits biographiques. À partir des travaux de C. Dubar sur les processus de socialisation professionnelle, nous examinerons quelques enjeux de la transformation de la carrière de l’amateur en activité professionnelle. 1. Les populations de professionnels sportifs L’analyse secondaire des éditions 1983 à 2000 des enquêtes « Emploi » de l’Insee permet de décrire sommairement les évolutions de la structure socio-démographique de la population des moniteurs et éducateurs sportifs et des sportifs professionnels (P 4233) pour la période concernée, et de décrire une relative « normalisation » de cette profession (Chevalier, Dussart, 2002). En une vingtaine d’années, les effectifs augmentent, comme leur proportion au sein de la catégorie des instituteurs et assimilés (PCS 42) qui passe de 3,2 % à 8,9 %. Il y aurait aujourd’hui près de 69 000 moniteurs, éducateurs sportifs et sportifs professionnels en activité. Parmi eux, la part des jeunes de 15-24 ans ne cesse de baisser (de 23,5 % à 12,6 %), comme dans l’ensemble des actifs (de 15,6 % à 8,4 %). On observe aussi un net déclin de la prédominance masculine puisque la part des femmes est passée de 18,8 % en 1983 à 35,1 % en 2000. Dans le même temps la part des femmes dans la population active n’a augmenté que de 3 % (de 43,4 % à 46, 5 %). Les données des enquêtes « Emploi » permettent également de mesurer le degré de stabilité des actifs dans l’emploi qu’ils occupent en distinguant ceux qui ont moins de 5 ans d’ancienneté dans l’entreprise. De 1983 à 2000, leur proportion augmente dans l’ensemble de la population active, passant de 35 % à 41,8 %. L’instabilité des moniteurs, éducateurs sportifs et sportifs professionnels reste beaucoup plus forte que celle de l’ensemble des actifs, mais la tendance est inverse puisque la part de ceux qui ont moins de 5 ans d’ancienneté baisse en passant de 65,8 % à 60,6 %. Cette diminution relative de l’instabilité chez les professionnels du sport s’accompagne toutefois d’une baisse de la part des actifs à temps complet, de 78,7 % à 60,6 %, bien supérieure à celle que l’on observe pour l’ensemble des actifs (de 87,7 % à 82,7 %), pour les professions intermédiaires (de 90,2 % à 85,4 %) et pour les instituteurs et assimilés (de 85,6 % à 80,8 %). Ces quelques résultats conduisent à constater que la part des actifs engagés dans les métiers du sport augmente, que la stabilité des emplois y semble moins solide que dans l’ensemble de la population active (60,6 % contre 41,8 % d’emplois de moins de cinq ans d’ancienneté) et plus souvent à temps partiel (39,4 % contre 16,3 % d’emplois à temps partiel). Le quasi doublement de la proportion des femmes au sein de la catégorie est un phénomène remarquable. L’ensemble de ces 262 évolutions permet d’avancer l’hypothèse d’une certaine « normalisation » de ces professions qui ne sont plus aujourd’hui aussi spécifiquement jeunes et masculines qu’elles l’étaient auparavant. 2. L’engagement amateur et ses effets sur la socialisation professionnelle des jeunes Nous avons également fait une analyse secondaire d’une enquête de l’Observatoire Régional des Formations Supérieures1. réalisée en 2000 sur l’insertion de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur (DUT et BTS). Les réponses à une question ouverte (« Avez-vous des pratiques sportives ou culturelles qui ont ou qui pourraient influencer votre activité professionnelle ? ») ont été recodées par nos soins. Ce sont seulement 36 % de ces jeunes qui se sentent concernés par la question, qui est la dernière d’un questionnaire portant sur leurs trajectoires scolaire et d’insertion professionnelle. En effet, plus d’un tiers d’entre eux (36 %) n’ont pas répondu à la question posée et 28 % (25 % des garçons et 32 % des filles) ont déclaré ne pas pratiquer d’activité sportive ou culturelle. 13 % déclarent pratiquer une activité qu’ils estiment sans aucun lien avec leur formation ou leur activité professionnelle, 3 % affirment que leur activité de loisir représente une compensation à leur activité professionnelle, 2 % considèrent cette activité comme un atout supplémentaire dans leur CV, 12 % estiment que les savoirs et les relations qu’ils ont acquis dans le cadre de leur activité de loisir leur sont utiles dans le cadre de leur vie professionnelle. Enfin 6 % déclarent avoir opté pour une formation en continuité avec leur activité de loisir ou avoir choisi leur lieu de résidence en fonction de cette activité qu’ils ont finalement placée au centre de leur vie. Profession libérale, cadre supérieur et enseignant Profession intermédiaire Employé Ouvrier Non réponse 35,8 % 37,3% 36,2 % 30,9 % 33,3 % 35,9 % 36,3 % 42,9 % Non, pas d’activité 28,4 % 29,1 % 27,6 % 24,8 % 29,7 % 29,5 % 29,3 % 26,5 % 12,7 % 16,5 % 11,0 % 12,2 % 10,3 % 13,2 % 13,4 % 11,2 % Pratique permettant de compenser l’activité professionnelle 2,8 % 3,2 % 4,3 % 2,2 % 3,1 % 3,0 % 2,2 % 1,0 % Activité qui constitue un plus dans le CV 2,4 % 0,6 % 1,9 % 2,2 % 3,6 % 3,8 % 1,9 % 2,0 % 12,0 % 12,7 % 13,3 % 16,5 % 13,8 % 9,0 % 11,6 % 12,2 % Engagement ayant un lien direct avec l’activité professionnelle (choix résidentiels, ou de formation) puisqu’il est au centre de leur vie 5,9 % 0,6 % 5,7 % 11,3 % 6,2 % 5,6 % 5,4 % 4,1 % Effectifs totaux 1 487 210 230 195 234 372 Activité sans aucun lien avec l’activité professionnelle Engagement ayant un lien indirect avec l’activité professionnelle (acquisition de relations ou de savoirs) Agriculteur exploitant Non réponse Avez-vous des pratiques sportives, culturelles qui ont ou qui pourraient influencer votre activité professionnelle ? Total Artisan, commerçant chef d’entreprise Tableau 1 – L’effet de l’origine sociale (CSP père) sur le rôle des pratiques non contraintes dans les choix professionnels des jeunes titulaires d’un DUT ou d’un BTS 158 98 Source : Observatoire Régional des Formations Supérieures (ORFS de Basse-Normandie), 2000. 1. Branche de l’Observatoire Régional de l’Emploi et des Formations (ORFS) de Basse-Normandie. 1 487 jeunes ont répondu sur les 3 300 à qui le questionnaire avait été adressé. 263 Si l’on s’intéresse à ceux qui déclarent pratiquer une activité sportive ou culturelle, il semble que 16,4 % des pratiquants amateurs choisissent leur formation, leur profession ou leur lieu de résidence en fonction de leur pratique de loisir et, toujours en se rapportant à l’ensemble des pratiquants déclarés, c’est un tiers d’entre eux qui déclare utiliser les relations et les savoirs acquis au cours de cette pratique dans le cadre de leur activité professionnelle. Sur l’ensemble des jeunes interrogés, 12 % des enfants d’enseignants et de professions libérales déclarent avoir organisé leur vie professionnelle à partir de leur activité de loisir (contre 6 % pour l’ensemble) et 16,5 % d’entre eux reconnaissent pouvoir mettre au service de leur activité professionnelle les habiletés et les relations acquises dans leur activité de loisir (contre 12 %) (Chevalier, Dussart, 2002). Ainsi l’aisance sociale fait monter le taux de ces deux déclarations, ce qui était prévisible car les enfants de ces milieux sont plus massivement inscrits dans des activités de loisirs de toutes sortes que ceux des milieux plus modestes2. Par ailleurs, leur socialisation dans un milieu plus protégé leur offre sans doute davantage de liberté pour choisir entre la « dimension instrumentale et matérielle, la dimension sociale et la dimension symbolique » (Nicole-Drancourt C., Roulleau-Berger L., 2001, p. 154) du rapport au travail ou du moins pour mieux les concilier. 3. Les emplois jeunes du champ de la jeunesse et des sports Nous avons également repris des données d’une enquête spécifique sur les emplois jeunes, car elles semblent complémentaires de l’enquête présentée ci-dessus. En effet, on peut supposer que les jeunes qui sont entrés dans le dispositif Emploi jeune dans le champ jeunesse et sport sont beaucoup plus nombreux à avoir (ou avoir eu) des activités d’amateur et à en faire (en avoir fait) le centre de leur socialisation professionnelle et adulte. Selon le rapport du Commissariat Général du Plan (2001) et les données du CNASEA, « les jeunes embauchés dans le champ de la jeunesse et des sports sont au nombre de 69302 au 1er janvier 2001 et représentent 38 % de l’ensemble des jeunes concernés par le dispositif ‘nouveaux services – emplois jeunes’. » Les jeunes embauchés dans le dispositif dans des activités à vocation sportive sont un peu plus jeunes et beaucoup plus souvent des hommes (71 % contre 49,7 % pour l’ensemble), ont un niveau de formation bac et plus pour près de 80 % d’entre eux, et ont un diplôme relevant du sport et de l’animation pour près des trois quarts d’entre eux (la fréquence de ces diplômes JS diminuant avec le niveau de formation générale). 38,6 % des jeunes du dispositif employés dans des activités à vocation sportive ont un diplôme d’État, 25 % un diplôme fédéral ou un BAFA-BAFD, et seulement 28 % n’ont aucun diplôme relevant de la jeunesse et des sports. Toujours selon le rapport de l’instance, « 92 % des jeunes [du dispositif emploi jeune dans le secteur JS] ont une connaissance préalable du champ » : 36 % d’entre eux par une expérience antérieure de salarié, 38 % par une expérience antérieure de bénévole et 18% par une expérience de pratiquant. Pour ce qui concerne les jeunes employés dans le domaine strictement sportif du dispositif, notre analyse secondaire montre que seuls 7 % n’ont aucune expérience antérieure relative au secteur sportif, tandis que 20 % ont une triple expérience (pratiquant, bénévole et salarié), 47 % pratiquant et bénévole, 8 % pratiquant et salarié, 15 % une simple expérience de pratiquant, et 5 % des expériences diverses sans avoir été pratiquant : – 72 % (155) de ceux qui relatent une expérience bénévole dans le domaine sportif (220) déclarent avoir bénéficié d’une relation qui les a orientés vers leur emploi jeune, 48 % ayant d’ailleurs obtenu leur emploi jeune dans la structure qu’ils avaient expérimentée en bénévoles (105). – 61 % (169) de ceux qui indiquent une expérience de pratiquant dans le domaine sportif déclarent avoir bénéficié d’une relation qui les a orientés vers leur emploi jeune, 50,5 % ayant d’ailleurs obtenu leur emploi jeune dans la structure expérimentée en tant que pratiquant (140). 2. Cf. les enquêtes de l’Insee de 1967 et de 1987 sur les pratiques de loisirs (P. Le Roux, 1970 ; Insee, 1989) et les enquêtes du Ministère de la Culture sur les « pratiques culturelles des Français » de 1973, 1981, 1989 et 1997 (Ministère de la Culture, 1982 ; Ministère de la Culture et de la Communication, 1990 ; O. Donnat, 1998). 264 Tableau 2 – Effectifs répartis selon les expériences antérieures à l’emploi jeune dans le secteur sportif Statuts antérieurs Salarié et bénévole Salarié sans bénévole Bénévole sans salarié Aucune expérience supplémentaire Total Pratiquant 62 24 146 45 277 Non-pratiquant 3 3 9 21 36 Total 65 27 155 66 313 Source : Enquête CGP – Programme nouveaux services – emplois jeunes dans le champ JS, 2000. Tableau 3 – Parts des différents types d’expériences antérieures à l’emploi jeune dans le secteur sportif Statuts antérieurs Salarié et bénévole Salarié sans bénévole Bénévole sans salarié Aucune expérience supplémentaire Total Pratiquant 19,8 % 7,7 % 46,6 % 14,4 % 88,5 % Non-pratiquant 1,0 % 1,0 % 2,9 % 6,7 % 11,5 % Total 20,8 % 8,6 % 49,5 % 21,1 % 100,0 % Source : Enquête CGP – Programme nouveaux services – emplois jeunes dans le champ JS, 2000. Ainsi, comme on pouvait s’en douter étant donnée la nature des emplois jeunes de ce secteur, une expérience préalable (bénévole ou pratiquant) dans le domaine constitue un véritable sésame pour l’accès à ce type d’emploi. Par ailleurs, 76 % des jeunes du secteur sportif du dispositif déclarent avoir eu l’intention préalable de travailler dans les domaines de l’animation ou du sport avant d’accéder à l’emploi jeune (84,5 % de ceux ayant eu une expérience bénévole dans le secteur, 79,4 % de ceux ayant une expérience de pratiquant). Les trois quarts de ces jeunes employés dans le dispositif et ayant eu l’intention préalable de travailler dans le domaine JS n’avaient pas pour autant l’intention de monter leur propre structure. En effet, si la plupart des disciplines sportives exigent un équipement (terrain, court, dojo, vestiaire, piste, agrès, bassin, etc.) spécifique, cela ne signifie pas que le club organisateur en soit le propriétaire (ou locataire) ni même qu’il en soit le seul bénéficiaire. Il n’est pas rare que plusieurs clubs se partagent les mêmes locaux, et que chacun ne soit que locataire d’un créneau horaire. Dans un contexte où dans leur majorité les équipements sportifs appartiennent aux collectivités locales et sont gérés ou occupés partiellement (créneaux horaires) par des associations, les jeunes ne sont pas dans des conditions leur permettant d’imaginer « de monter [leur] propre structure pour développer un projet propre ». Tout se passe comme si les jeunes à la faveur d’expériences gratifiantes envisageaient de travailler dans ce domaine sans pour autant concevoir un projet structuré sur le long terme. Ceci par réalisme (Paradeise, 1998), et par une connaissance préalable du milieu sportif local, mais aussi parce qu’étant dans une période moratoire, ils n’envisagent pas vraiment de s’installer longuement dans ces emplois. Ainsi ces emplois constitueraient aux yeux des jeunes eux-mêmes des dispositifs transitoires, des sas en quelque sorte, leur permettant un accès en douceur dans le monde du travail. Douceur dans le sens où les métiers du sport et de l’animation permettent de disjoindre les trois dimensions du rapport au travail. Ainsi les dimensions sociale et symbolique priment sur la dimension instrumentale3, et c’est en cela que ces métiers (et les modalités d’accès) peuvent être conçus comme des sas, des étapes dans le processus de socialisation adulte et professionnelle. 3. Pour reprendre les travaux de C. Nicole-Drancourt et L. Roulleau-Berger (2001) : « la dimension sociale recouvre les sociabilités, les relations humaines de travail, les possibilités de coopération, d’innovation et surtout les formes de reconnaissance sociale, et la dimension symbolique renvoie à l’univers de significations positives ou négatives attribuées au travail par les individus dans la construction des identités sociales » tandis que « la dimension instrumentale et matérielle se réfère au travail comme source de revenu et de richesses extérieures et quantifiables. » 265 4. Un cas singulier et précurseur : les enseignants d’équitation La situation des activités équestres est singulière dans le domaine de la distribution des pratiques de loisirs. En effet, alors que celle-ci est globalement et majoritairement organisée par des associations loi 1901 soutenues par les collectivités locales (fournissant équipement, budgets de fonctionnement, voire dans certains cas personnels d’entretien), la distribution des activités équestres s’est très tôt (dès les années 50-60) organisée en dehors du soutien des collectivités locales. La pratique de l’équitation a nécessité dès les années 60 le recours à du personnel permanent salarié4, non seulement pour initier et encadrer les pratiquants mais aussi pour entretenir les chevaux et gérer les centres équestres5. Les processus de professionnalisation des amateurs y sont donc plus anciens et plus facilement observables que dans les activités plus récemment organisées et institutionnalisées6. On doit indiquer rapidement que les établissements distributeurs d’activités équestres ouverts au public (les centres équestres) sont de plus en plus majoritairement constitués d’établissements commerciaux (SARL ou établissements en entreprise individuelle) et de moins en moins sous statut associatif (environ 30 %). Ce phénomène de développement de l’offre d’activités équestres par la création de TPE (très petites entreprises) à vocation commerciale est bien évidemment lié au processus de professionnalisation du secteur. Une majorité de jeunes débutent leur carrière comme salariés d’une association et la poursuivent en créant leur propre entreprise. Les tendances à l’œuvre dans le secteur des activités équestres semblent à bien des égards précurseurs de transformations en cours dans l’ensemble du domaine de la distribution d’activités physiques et sportives au public. L’analyse portera sur les enseignants diplômés, et non sur l’ensemble de la population des salariés des centres équestres. Il y a environ 4 000 établissements équestres ouverts au public dans lesquels exerceraient environ 6 000 enseignants titulaires d’un BEES7. Les effectifs sont globalement équilibrés entre hommes et femmes (52,7 % contre 47,3 %), mais il existe une disparité selon l’âge : les enseignants de moins de 30 ans sont des femmes à 62 % et les plus de 50 ans seulement à 20 %. Il semble que l’on ait affaire ici à un effet d’âge (les contraintes qui pèsent sur la vie familiale des femmes les conduisent probablement plus fréquemment à abandonner des métiers impliquant des astreintes professionnelles le mercredi et le week-end) et à un effet de génération (les plus jeunes enseignants sont aussi issus de populations d’amateurs de plus en plus massivement féminisées, 74 % des licences en 2001 contre 53 % en 1975). Tableau 4 – Composition par âge et sexe de la population des enseignants d’équitation en 2000 Âges Hommes Femmes Total 35,6 % 38,7 % 45,5 % 61,8 % 78,5 % 82,0 % 52,7 % 64,4 % 61,3 % 54,5 % 38,2 % 21,5 % 18,0 % 47,3 % 205 1 185 2 380 1 346 562 361 6 039 20-24 ans 25-29 ans 30-39 ans 40-49 ans 50-59 ans 60 et plus Total Source : Fichier FFE, 2000. 4. En 1999, la Mutualité Sociale Agricole (régime agricole de sécurité sociale auquel cotisent une majorité de centres équestres) a répertorié près de 18 000 personnes déclarées au titre de salariés des centres équestres, d’entraînement, de dressage ou de haras (sans distinction). Cf. UNIC, Paris, 2000, p. 67. 5. Comme en témoigne l’existence de la Convention collective nationale de travail du 11 juillet 1975 concernant les personnels des centres équestres, qui est la première dans le domaine sportif. 6. Les partenaires sociaux du domaine des activités physiques, sportives et de loisirs travaillent actuellement à la mise en place d’une convention collective du secteur sport au sein de la Commission Paritaire Nationale Emploi Formation. 7. Le fichier des enseignants élaboré par la FFE est le seul outil permettant actuellement le décompte des enseignants. Si sa composition semble assez fiable dans ses grandes lignes, il ne constitue pas un véritable recensement, car il ne semble pas être exhaustif ni régulièrement tenu à jour. 266 Les premières analyses d’entretiens biographiques réalisés auprès d’une quinzaine d’enseignants d’équitation permettent de repérer quelques aspects caractéristiques des processus de conversion professionnelle des amateurs. Les jeunes engagés dans les pratiques équestres sont inscrits dans des carrières doubles : d’un côté leur trajectoire scolaire ou universitaire ayant vocation à les former (directement ou non) à leur futur métier, de l’autre leur carrière de cavalier amateur qui est également constituée d’une succession ordonnée d’étapes. Les deux carrières présentent d’ailleurs des similitudes dans leur organisation, avec des passages par des niveaux reconnus, des diplômes, etc. (Chevalier, 1998). En ce sens la première étape de cette conversion8 se donne paradoxalement à voir comme le prolongement de leur parcours d’amateur. « Si j’ai voulu entrer dans le métier, c’est pour monter à cheval, pour continuer la compétition, sans encore avoir les connaissances de la réalité du terrain. » Les expériences et acquis identitaires accumulés au fil de la carrière de l’amateur (Chevalier, 2002a, b) conduisent certains jeunes à infléchir leur parcours et à donner la priorité à cette activité dans laquelle ils se sont engagés passionnément. (« Dès l’âge de 13-14 ans, j’ai été attirée par le côté enseignement ; j’aimais bien aider la monitrice à s’occuper des petits, faire la voltige, je participais aux activités du club pour aider. C’est vrai que dès l’âge de 15-16 ans, j’ai commencé à dire à mes parents que j’avais envie de faire deux métiers dans ma vie, c’était vétérinaire ou monitrice d’équitation. ») La priorité donnée, provisoirement ou non, à la professionnalisation du parcours de l’amateur s’inscrit également dans le contexte contemporain de prolongement de la jeunesse. En effet, elle permet aussi de tester et d’expérimenter des rôles professionnels et adultes, tout en reportant à plus tard les « vrais » engagements dans la vie active. (« La formation monitorat, pour moi c’était faire une année sabbatique puis retourner à la fac parce que je ne sentais pas ça comme un vrai métier. J’ai découvert que c’était pas mal, on m’a proposé un poste et je suis restée, toujours en pensant que c’était provisoire. Finalement je suis restée. ») Le processus de conversion professionnelle des parcours d’amateur désarticule, disjoint les trois dimensions du rapport au travail. Pour ce qui concerne la dimension symbolique, il semble que le travail du loisir constitue un espace de travail spécifique qui ne s’inscrit pas dans les classements opérés pour les métiers ordinaires. Il est systématiquement associé à la « passion » (a priori celle de l’amateur – celui qui aime), ce qui opère manifestement un décalage dans les significations qui lui sont attribuées qui sont systématiquement du côté du plaisir et non de l’astreinte. (« Je montais des chevaux tous les matins, tous les jours, et puis… ben… c’était pas un eff… c’était un effort, mais c’était pas un effort difficile à supporter, c’était la passion. Ça, je le rattache à la passion, la passion qui est un moteur qui fait faire un tas de choses sans que ce soit pénible, au sens du travail laborieux. ») Les activités de l’enseignant d’équitation incarnent également une certaine quête d’authenticité puisqu’elles se distinguent de nombreuses autres professions où l’engagement relève d’un calcul coût bénéfice, et donnent le sentiment de vivre intensément ce qui relève d’un choix personnel passionné et non contingent. Elles évitent également de se confronter à l’identification paternelle et permettent donc de se situer, pour un temps au moins, en dehors des nomenclatures traditionnelles. « J’étais une fille à papa et j’avais mon petit avenir tout tracé. Il fallait que je fasse des études et récupère sa grosse boîte. Cet avenir-là ne m’enchantait pas. J’ai tout envoyé valdinguer en disant : je vais passer le monitorat. » Du point de vue de la dimension sociale du rapport au travail, la professionnalisation des engagements amateurs peut être l’occasion d’une reconnaissance sociale perçue comme défaillante dans le parcours principal. Les opportunités offertes constituent ainsi une alternative valorisante à un parcours scolaire considéré comme hasardeux (« Il y a des jeunes qui vont faire un cursus universitaire, pour prendre des diplômes, pour accéder à un statut social par les diplômes. Moi, j’étais pas bon en classe, donc j’avais quand même l’ambition d’accéder à un statut social et professionnel, donc l’équitation ça a été cette voie. » / « Quand, après le bac j’ai été refusée à toutes les écoles qui m’intéressaient, et que je me suis retrouvée à devoir m’inscrire dans une fac qui ne me plaisait pas du tout, j’ai vite vu au bout d’un mois que mon choix était fait : c’était enseigner l’équitation que je voulais. »), ou comme l’aménagement heureux d’un projet initial (« Je passais tous 8. La conversion professionnelle de l’amateur peut être décrite comme une succession ordonnée de trois étapes conduisant à construire une identité au travail tout en ménageant certaines catégories de perception et d’identification de l’amateur (Chevalier, 2002a). 267 les après-midi et tout mon temps au centre équestre. Et puis, entre-temps, en fait, les études, en licence, bon, moi j’avais pour but d’être instit, et j’ai passé deux fois la licence et deux fois le concours d’instit et j’ai raté. J’en avais un peu ras le bol, et puis je me suis décidée de me lancer un peu dans ça, parce que je me suis dit finalement ça me conviendra mieux, puisqu’il y aura l’enseignement et les chevaux en même temps, et c’est ce que j’aimais. ») Enfin, la dimension instrumentale du rapport au travail est principalement évoquée pour signifier l’opportunité d’accéder à l’autonomie vis-à-vis des parents. (« Dès que j’ai eu l’examen, pour moi c’était très, très clair : je voulais travailler ; il n’était pas question pour moi de prendre des vacances, d’attendre… c’était maintenant que j’ai un diplôme en poche, je ne suis plus à la charge de ma mère, je bosse et je suis indépendante. ») Les autres aspects (rémunérations, astreintes, etc) ne sont que rarement et surtout tardivement (après quelques années d’expérience) mentionnés (« Il y avait le code du travail, il y avait les 39 heures, et moi j’en faisais 60 et j’étais heureux d’en faire 60. Parce que je ne voyais pas le travail comme un effort. ») Ils sont mentionnés au moment des ajustements nécessaires avec le cycle de vie, l’entrée dans le couple, l’arrivée des enfants – surtout pour les femmes. (« Le problème s’est posé avec la vie familiale. D’abord la vie de couple avec quelqu’un qui n’est pas du milieu. Alors c’est là que la passion commence à diminuer et qu’il y a le conflit des trois vies, la vie familiale, la vie avec les copains et la vie professionnelle. La difficulté est de faire un choix parce qu’on n’imagine pas autre chose qui plaise autant. ») La dimension instrumentale est également évoquée comme raison essentielle pour créer sa propre entreprise, comme possibilité de travailler pour soi, de se libérer des rapports de subordination vis-à-vis d’amateurs dirigeants bénévoles, et d’en retirer des profits financiers. À la lumière de ces corpus de données différents et hétérogènes, on s’aperçoit que la connaissance des carrières plurielles des jeunes permet de saisir les modalités de leur socialisation adulte et professionnelle. Ces carrières permettent aux plus engagés de convertir les différents capitaux accumulés, qu’ils soient symboliques ou relationnels, en opportunité(s) d’accès dans le monde du travail. Leur engagement d’amateur leur permet de ne pas tout demander à leur premier emploi, c’està-dire permet de disjoindre les différentes dimensions du rapport au travail, quitte à considérer leur emploi dans le domaine du loisir comme un sas, une étape dans leur socialisation adulte. Il semble donc utile de pouvoir collecter dans les enquêtes d’insertion des éléments permettant de saisir l’entremêlement des différentes biographies (scolaire, amateur, apprentissage) et leur contribution réciproque à la socialisation adulte. Ces quelques éléments autorisent à penser que l’analyse des biographies peut s’avérer féconde pour examiner des processus aux interactions diverses, comme les processus d’insertion. Un premier travail exploratoire d’analyse démographique des carrières plurielles l’a d’ailleurs montré à propos de l’engagement dans la compétition de jeunes nageurs (De Bruyn, 2001). Vérène Chevalier « métiers du sport », Université Paris 12 Lasmas-IdL (UMR 8097) IRESCO, 59-61 rue Pouchet 75 849 Paris cedex 17 E-mail : [email protected] IUP 268 Bibliographie Bidart C., Degenne A. et alii (2000), Travailler le temps libre : la construction de l’insertion sociale des jeunes, Rapport final d’une recherche financée dans le cadre de l’appel d’offre, « Culture, ville et dynamiques sociales », Caen, Maison de la Recherche en Sciences Humaines. Bruyn F. de (2001), Itinéraires biographiques dans la pratique du sport en compétition : exemple de méthodologie chez les nageurs. Mémoire de DEA, Mutations des Sociétés Contemporaines, option démographie, Paris, Université Paris X, 65 p. Chamboredon J.-C. (1985), Adolescence et post-adolescence : la « juvénisation ». Remarques sur les transformations récentes des limites et la définition sociale de la jeunesse, In : A.-M. Alléon, O. Morvan, S. Lebovici (Eds), Adolescence terminée, adolescence interminable, Paris, PUF. Chevalier V. 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