GÉNÉALOGIE INSOLITE
Transcription
GÉNÉALOGIE INSOLITE
GÉNÉALOGIE INSOLITE Louis Richer (4140) UNE CATÉGORIE DE CITOYENS À PART : LES ESCLAVES LES ESCLAVES EN NOUVELLE-FRANCE Le 31 mars 1753, Jean-François Récher, curé à NotreDame-de-Québec, baptise Jacques Nicolas, sauvage et Marie -Catherine, sauvagesse, tous deux âgés d’environ dix ans, originaires des Pays-d’en-Haut (voir carte) et appartenant à Jean-Nicolas Bréard, contrôleur de la Marine à Québec. Quelques années plus tard, le 5 février 1763, le curé Joseph Gamelin de la paroisse de Saint-Antoine-de-Padoue, à Longueuil, préside au mariage de Marie, négresse et Jacques César, nègre. Marie avait reçu la permission de se marier, de sa maîtresse la baronne de Longueuil, et Jacques César de son maître, Ignace Gamelin. Selon l’acte de mariage, celui-ci était au service de Gamelin depuis plus de 30 ans et avait obtenu l’autorisation de se marier deux ans plus tôt. Quant à Marie, elle était à l’emploi de la famille seigneuriale des Longueuil depuis qu’elle était en âge de rendre service. Un billet accompagnant l’acte de mariage précise qu’elle a dû attendre trois ans l’autorisation de prendre époux. Il est entendu que Marie et Jacques César seront au service de la famille de Longueuil pendant une période de trois ans, qu’ils recevront des gages de 200 livres par année et, dans un geste paternaliste, on ajoute que les gages pourraient être augmentés s’ils le méritent. caine qu’amérindienne. Les premiers sont arrivés des Antilles comme butin de guerre, les autres, principalement de la nation des Panis (en anglais, Pawnees) qui vivaient dans le bassin du Missouri, étaient capturés par d’autres autochtones et vendus à des citoyens de la Nouvelle-France. Cette nation représentait un réservoir important d’esclaves offerts également aux colons anglais du Sud du continent. Aussi, le terme panis (pawnee) était devenu synonyme d’esclave. L’esclavage était principalement un phénomène urbain. Montréal étant l’endroit où il y en avait le plus, les marchands étaient les plus grands propriétaires. Mais, des gouverneurs généraux comme Frontenac et Rigaud de Vaudreuil, des intendants tels Hocquart et Bigot, des membres des conseils exécutif et législatif sous le Régime anglais, des évêques, dont Saint-Vallier et Pontbriand, les communautés religieuses et les hôpitaux généraux à qui on léguait des esclaves, devenus parfois trop encombrants, car malades, ont tous possédé de cette main-d’œuvre servile, et à bon marché. Dans une société fortement hiérarchisée, comme celle de l’Ancien Régime où la naissance comptait plus que les compétences, les esclaves arrivaient au bas de l’échelle sociale, soit après les domestiques. Sur le plan juridique, Trudel parle Grâce aux travaux de recherche de l’historien Marcel Trudel, nous savons que l’esclavage a existé en Nouvelle-France et a perduré jusqu’à la fin du XVIIIe siècle1. Auparavant, les historiens avaient eu tendance à oublier, ou à ignorer sciemment cet aspect gênant de notre passé. Trudel a recensé plus de 4 000 esclaves, entre la fin du XVIIe siècle et celle du XVIIIe, un tiers d’origine africaine et deux tiers de naissance amérindienne. C’est en 1689 que Louis XIV autorisait l’importation d’esclaves noirs en Nouvelle-France. Une ordonnance de l’intendant Jacques Raudot de 1709 vient confirmer l’existence de l’esclavage, tant d’origine afri1 Pour en savoir plus : TRUDEL, Marcel, avec la collaboration de Micheline D’ALLAIRE. Deux siècles d’esclavage au Québec, Montréal, Hurtubise HMH, 2004, 405 p. (Les Cahiers La Nouvelle-France à son apogée territoriale, vers 1715. du Québec – collection Histoire). Suivi du : Dictionnaire des esclaves et de leurs pro- Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/65/Nouvelle-France_mapfr.svg/590px-Nouvelle-France_map-fr.svg.png priétaires au Canada français, sur cédérom. L’Ancêtre, numéro 291, volume 36, été 2010 275 d’un esclave comme un bien meuble appartenant à son propriétaire qui le garde, l’échange, le vend ou le cède à volonté. Le statut juridique de l’esclave rappelle celui d’une personne mineure. Aussi, doit-il obtenir l’autorisation de se marier, car un mariage avec un esclave non déclaré est réputé nul. Il ne peut pas posséder de biens qui appartiennent plutôt à son maître; son témoignage en cour est accueilli avec circonspection quoique la procédure judiciaire soit la même que pour tout autre individu. En retour, le propriétaire doit le faire baptiser, l’élever dans la religion catholique, et il peut être inhumé en terre bénite. En revanche, un esclave ne peut pas accéder à la prêtrise. Son propriétaire peut le punir mais il n’a pas droit de mort sur lui (comme dans les colonies américaines). Aussi, les mauvais traitements peuvent se terminer en cour. Le statut de la mère détermine celui de l’enfant, même si le géniteur a le statut d’homme libre (telle mère, tel enfant). On recense 173 mariages d’esclaves (un ou deux conjoints en esclavage) : 113 entre Noirs, 34 entre Français ou Canadiens et Amérindiennes, 11 entre Français ou Canadiens et Noires, 11 entre Amérindiens, 4 entre Amérindiens et Noirs. Il serait intéressant de connaître la descendance de ces couples qui sont en grande partie à l’origine du métissage de la société québécoise. L’ancien premier ministre du Québec, Maurice Le Noblet Duplessis, avait comme ancêtre paternel un esclave, Jean-Baptiste, qui prit le patronyme de son propriétaire, le marchand Louis Gastineau dit Duplessis. Plusieurs familles seigneuriales, les Aubert de Gaspé et les Casgrain notamment, n’ont pas attendu l’abolition officielle pour affranchir leurs esclaves et les garder par la suite à leur service comme domestiques. L’esclavage sera aboli officiellement dans tout l’Empire britannique en 1833. Au Bas-Canada (le Québec d’aujourd’hui), la pratique était tombée en désuétude dès la fin du siècle précédent, même si l’Assemblée législative avait refusé de l’abolir en 1793. La France mettra fin à l’esclavage dans ses colonies une première fois en 1794. Malgré la devise héritée de la Révolution, Liberté, égalité, fraternité, Napoléon rétablira l’état servile à la demande des propriétaires des établissements de canne à sucre des Antilles. L’esclavage sera aboli définitivement en 1848. Enfin, aux ÉtatsUnis, il faudra attendre 1865 et une guerre civile pour voir l’abolition de l’esclavage qui avait fait la fortune des planteurs des États du Sud. Il s’agit du mariage de Jean-Baptiste Lalonde de la paroisse de Saint-Pascal-Baylon, située dans l’Est de l’Ontario, fils de Jean-Baptiste Lalonde et Marcelline Richer, et d’Alphonsine Richer, fille de Michel Richer et Zoé Ethier, sœur de Marcelline. Le mariage a eu lieu à Angers, dans l’Outaouais québécois, le 24 août 1926. Pour les deux époux, il s’agit d’un premier mariage; lui était âgé d’environ 50 ans et elle de 67 ans, ayant été baptisée le 14 juillet 1859 à Saint-Placide de Deux-Montagnes. Dans l’acte de mariage, on précise que les dispenses de publication de trois bans ainsi que de parenté de second degré en ligne collatérale pour le marié, vu que l’époux est le neveu de l’épouse, ont été accordées par l’archevêque d’Ottawa, Mgr Médard Émard. En clair, il s’agit d’une dispense de consanguinité du premier au deuxième degré en droit canonique, ou encore du troisième degré en ligne collatérale en droit civil. Il ne peut pas exister de dispense de consanguinité plus rapprochée, le mariage entre frère et sœur étant absolument défendu. UN CURÉ À CHEVAL SUR LE FRANÇAIS Le curé Payet de Saint-Antoine-sur-Richelieu tenait à la stricte application des règles du pluriel lorsqu’il inscrivit au registre paroissial la sépulture de l’un de ses paroissiens, en 1796. Voici donc, sans autre commentaire, une transcription du texte original : L’an mil sept cent quatre vingt seize, le huit de novembre par nous prêtre soussigné a été inhumé dans le cimetière avec les cérémonies ordinaires et muni des sacrements Jacques Cheval âgé d’environ soixante et neuf ans, décédé d’avant-hier, veuf de Charlote Rousson. Furent présents à cette inhumation Pierre Cheval frère du défunt et Pierre et Louis Chevaux ses neveux qui ont signé avec nous et plusieurs autres parents et amis qui n’ont pas signé. Pierre Cheval, Pierre Cheval, Louis Cheval, Payet ptre curé. Jacques Cheval et Charlotte Rousson (Leroux) s’étaient mariés le 7 mai 1759 à Sault-au-Récollet, devenu un secteur de Montréal. LE DEGRÉ DE PARENTÉ AU MARIAGE Les dispenses de parenté au mariage ont été abordées dans une chronique antérieure. Rappelons les trois façons d’être apparentés : consanguinité, affinité et adoption. Voici donc un exemple très rare d’une dispense de consanguinité accordée pour le mariage d’un neveu avec sa tante maternelle. Il va sans dire que l’âge de cette dernière, qui n’était plus en état de procréer, a certainement été un facteur important dans la décision des autorités religieuses d’accorder une telle dispense. 276 REMERCIEMENTS Je remercie les collègues Roland Grenier et Michel Lamoureux qui ont collaboré à cette chronique. L’Ancêtre, numéro 291, volume 36, été 2010