La sirène fait silence. La lumière bleue cesse sa

Transcription

La sirène fait silence. La lumière bleue cesse sa
La sirène fait silence. La lumière bleue cesse sa course au dessus du camion. Les
trois pompiers se relâchent enfin. Mario s’effondre sur le volant. Écureuil s’affale. Pierre, le
sergent, descend. Il enjambe les racines du tamarin pour gagner le comptoir décrépit d’un
camion bar où une radio monologue :
« Deux heures ! Ils ont mis deux heures à venir ! Les morts attendaient… » En voyant
l’uniforme bleu à liseré rouge, le patron coupe le son.
- Trois cafés ! demande Pierre.
- Désolé, s’excuse le cafetier. C’est la radio. Ils arrêtent pas de se plaindre.
- Ce n’est rien, ça n’arrête pas, répond Pierre. J’ai l’impression d’avoir enchaîné deux
jours de l’an.
- J’offre les cafés. Vos gars veulent pas s’asseoir ?
- C’est gentil. On repart.
- Du boulot ?
- On a fini. Enfin !
- Pourquoi y a tous ces accidents ?
- Je n’arrête pas de me le demander.
La grosse pogne de Mario attrape le café. Il engloutit le gobelet sans attendre les
autres ni lâcher son volant. Écureuil souffle sur le sien comme si c’était un chocolat. Pierre
se perd dans le mouvement brownien à l’intérieur de la tasse.
- Je prends le volant, lance-t-il.
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- On est presque à la caserne, chef, bois ton café ! impose Mario.
Le pompier démarre le véhicule pour un calme retour quand le central appelle.
- Que se passe-t-il ? décroche Pierre.
- Vélo fauché sur le boulevard Sud, rond point de la Bretagne, explique l’opératrice. Vous
êtes à côté, non ?
- Et l’équipe C ? interroge le sergent.
- Déjà sur Sainte-Marie. Désolée.
- On fait un saut, précise Pierre, le temps de changer de chauffeur.
- Laisse, chef, j’y suis, c’est plus simple ! réplique Mario. Y a le Smur ?
- Oui, répond la régulation.
- Alors, je conduis, annonce Mario. J’ai un record à battre !
Pierre est fatigué. Il n’a que le temps de s’attacher et le camion s’élance sur le boulevard. Mario est un bon conducteur. Il est six heures. Le soleil est encore raisonnable.
L’ambulance jaune du Smur arrive loin derrière. Le regard du sergent se perd dans ses
pensées. Le camion s’engage sur le carrefour.
Quelque chose ne va pas.
Pierre aperçoit le 4×4 qui vient par la droite. « Écureuil, ta ceint… » Il ne peut terminer.
Son jeune collègue percute de plein fouet le pare-brise. Le camion part sur deux roues,
fait un demi-cercle et se couche sur le côté dans un crachat de moteur et de métal froissé.
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Pierre est bloqué par quelque chose. Il aperçoit une lumière bleue. Du sang. Il a du
sang dans la bouche et une odeur de plastique dans le nez. Une voix d’homme : « Docteur Pausé, il faut du renfort ! » L’homme passe la tête dans l’habitacle, touche la gorge
du sergent. « Pierre, tu m’entends ? » C’est Pradesh l’ambulancier du Smur avec qui Mario
fait la course. Le sergent ne peut répondre. Quelque chose le gène. Il sent qu’il part à la
renverse. Il veut parler. Ces accidents…"
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Épisode pilote : « Le Plan »
Texte : Nicolas Bonin
Illustrations : Sonia Serra*
« La Fortune gouverne pour moitié nos vies, mais nous laisse maîtres de l’autre moitié ».
Nicolas Machiavel, Le Prince
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* remerciements à la fin
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Après le chaos, le silence. Raphaëlle Pausé se tient devant la voiture radio, couleur
Smur. « Que se passe-t-il ? » bourdonne la voix lointaine de la régulation. L’urgentiste ne
répond pas. Elle observe.
Le camion des pompiers est couché sur le côté. Pradesh s’accroche à la portière
pour voir. Le 4x4 a perdu son nez. Son conducteur est penché sur le volant. Il se redresse.
Sonia s’approche pour lui parler. Stan, lui, reste planté sans savoir quoi faire. « Vous avez
dit que je serai au mieux un aide soignant, insiste-t-il avec sa voix traînante. Je suis interne, je dois pouvoir agir comme un médecin. »
Raphaëlle ne le regarde pas. Elle s’imprègne des formes, sent les odeurs de l’accident, prend le temps de respirer. Elle sait parfaitement ce que va dire Pradesh lorsqu’il
vient effectuer son rapport : « Il y a ton frère dedans. » Son intonation trahit l’angoisse
des deux dernières interventions.
« Raphaëlle, que se passe-t-il ? relance la régulation. L’équipe D des pompiers ne
répond pas. » Autour de la scène de l’accident, les badauds se tiennent sans parler. Alors,
Raphaëlle prend la parole :
« VSAV de l’équipe D percuté par un 4x4. Cinq patients. Il faut une équipe sur le
cycliste et du renfort pour sécuriser la zone et évacuer les blessés. » Puis, elle se tourne
vers son équipe, regarde Pradesh, Sonia et Stan et avec son ton sec habituel, elle distribue les ordres.
- Pradesh, topo complet.
- Ton frère est inconscient. Il est retenu par sa ceinture. Écureuil est couché sur Mario,
qui est au fond. On peut ouvrir la porte du dessus.
- OK. Balise les lieux. Sonia, le 4x4 ?
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- Le chauffeur est conscient mais choqué, explique l’infirmière. La femme, à l’arrière est
enceinte. Ils se rendaient à Bellepierre.
- On commence par les pompiers. Sonia prépare des voies centrales. Stan, puisque tu es
médecin, aide donc Pradesh à sortir les hommes du camion. Tu veux qu’on appelle Layla pour savoir si tu as le droit de le faire ?
L’interne ne répond pas. Il suit l’ambulancier qui sort un triangle, va pour l’aider,
voit qu’il n’y a rien à faire, se rend vers le camion couché. Un portable retentit, il n’arrive
pas à le trouver. C’est dans le véhicule.
« Quelque chose le retient », note Stan en essayant de dégager Pierre. Pradesh
passe la main dedans et déclipe la ceinture. « C’est pas obligatoire pour eux, mais recommandé », maugrée-t-il. L’ambulancier est noueux, il tire le poids du sergent dehors. Stan
tente de l’aider, mais son pied glisse.
- Y a quelqu’un ? interroge une voix au fond.
- Mario, c’est toi ? répond Pradesh en revenant vers le VSAV.
- Il semble que je sois arrivé en premier sur l’accident, souffle le pompier.
- Comment vous appelez-vous ? demande Stan.
- Je suis Mario. Tout le monde me connaît !
- Nom et prénom, insiste l’interne.
- Mario Fontaine, répond l’homme. Il est pas drôle ton copain !
- Il fait son boulot, explique Pradesh. Comment va Écureuil ?
- Il bouge pas, explique Mario. Je pensais pas qu’il était si lourd.
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- Tu peux nous aider à le sortir ? demande Pradesh.
En un rien de temps, Écureuil vient rejoindre Pierre sur le sol à côté du camion. Mario, est le seul debout. Raphaëlle se penche sur son frère, puis sur Écureuil. « Pas de
pouls, annonce-t-elle devant le petit. Pradesh, tu mets Pierre en P.L.S. Sonia, prépare
l’adré ! » En levant la tête alors qu’elle prend le bras d’Ecureuil, Raphaëlle remarque Stan.
Il observe l’infirmière anesthésiste préparer la voie centrale avec des gestes rapides et
précis. « Tu sais faire un massage ? lui lance-t-elle. Oh ! Je te parle ! » L’interne prend position :
- Bien sûr que je sais faire. C’est bizarre, la fréquence de ces accidents. Non ?
- Allez ! explique l’urgentiste à son interne. Ici, on n’a pas le temps d’intellectualiser !
De nouveau, le portable retentit. Dans la poche de Pierre. On le laisse sonner. Raphaëlle se dirige vers le 4x4. Le conducteur est debout.
- Enfin, lui dit-il.
- Comment vous appelez-vous, Monsieur ?
- Vous allez « enfin » vous occuper de nous.
- Je suis en train de le faire, réplique Raphaëlle. Quel est votre nom ?
- Alexandre Loryon. Nous sommes partis. L’attente devenait interminable.
- Quelle attente ?
- Ma femme. Elle a perdu les eaux et personne n’a voulu venir.
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- D’accord. Je vais examiner votre femme. Comment vous sentez-vous ?
- J’ai mal à l’épaule.
- Ne bougez pas alors. On revient vers vous.
Raphaëlle n’a pas le temps d’aller jeter un œil à la femme que Pradesh vient la
trouver. « Il y a un bruit dans le camion. Mario me dit qu’ils ont de l’oxygène. » Raph
hoche la tête et se tourne vers Sonia :
- On posera la voie là-bas, sur le trottoir. Il faut les éloigner.
- Je peux aider, lance Mario. Je n’ai rien… des bleus.
- Tu es un patient.
- C’est mon équipe.
- Et Pierre est mon frère ! Le seul moyen de les sauver, c’est de rester pro. Compris ?
- Je peux aider à porter.
- Oui, mais après, tu te pousses sur le côté. OK ?
À peine Écureuil est-il sur le sol que Sonia pose la voie centrale. « Au tour de
Pierre, indique Raphaëlle. Pradesh, tu prépares la femme pour un départ rapide. Stan,
tu me sors le défibrillateur. Tu sais à quoi ça ressemble ? » L’infirmière dégaine une voie
centrale. « Je sais à quoi ressemble un défibrillateur », répond Stan sur le ton de la
conversation. Raphaëlle n’a pas le temps de lui répondre un « tant mieux ». Alexandre
Loryon s’avance vers eux et le portable de Pierre se signale de nouveau.
- J’ai bien compris. Vous aidez votre famille en premier, souffle Alexandre.
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- Je suis médecin, monsieur, lui lance Raphaëlle. Et expérimentée.
- Et moi, je suis avocat. S’il arrive quelque chose à ma femme…
- Mon collègue la prépare pour une évacuation ! réplique Raph.
- Je porterai plainte contre ce camion ! explique l’avocat. Il m’a refusé la priorité. Il
n’avait pas d’avertisseur…
- On n’est pas au tribunal, le coupe Raphaëlle, pouvez-vous vous écarter pour me laisser
travailler ?
- Pour votre famille, c’est ça ? pique Alexandre.
- Mon frère, c’est l’autre ! montre Raphaëlle. Vous voyez bien que c’est grave ?
Comme l’homme s’éloigne, Raphaëlle se tourne vers Stan. « Je gère ces deux-là,
occupe-toi de la femme ! Bilan, complet. Fais une écho du bébé avec le petit appareil… Tu
ne verras pas grand-chose, mais tente toujours. » L’interne hoche la tête et y va. « Stanislas, l’arrête Raphaëlle. Oublie les manuels. Rassure-la et le mari aussi. » L’interne fait un
signe et file vers le 4x4.
« Vous êtes un vrai médecin, vous ? » l’alpague Alexandre alors que Stan prend en charge
son épouse. Raphaëlle n’a pas le temps de s’en préoccuper. L’adrénaline est passée. Elle
place les électrodes sur le torse d’ Écureuil, branche le défibrillateur. « Je peux aider, tu
sais, supplie Mario. Je me sens inutile, là. » Raphaëlle ne répond pas, elle fait signe de reculer. Le corps du jeune pompier se soulève. Le portable lui répond depuis la poche de
Pierre.
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- Ça va ? interroge Mario. Écureuil serait fier de savoir que tu lui as fait un bouche-àbouche.
- On augmente ! répond Raphaëlle en sentant ses yeux devenir secs.
- Ça ne va pas ? insiste Mario. C’est pas bon hein ?
- Pétard, ce portable ! peste Raphaëlle.
Le portable s’arrête. Le front du jeune pompier porte la trace du pare-brise. Mario,
lui, sort le téléphone qui sonne et constate : « Christine. » L’urgentiste fait signe de couper l’appareil. Plus tard, la belle-sœur. Raphaëlle arme le défibrillateur. Le corps se soulève
de nouveau. Quand elle se retourne pour parler à Mario, il n’est plus là. Sonia regarde Raphaëlle. Elles n’ont pas besoin de se parler. « Va voir la femme, mets-là sous Salbutamol,
puis fais un scop. Je m’occupe d’Ecureuil. »
Sans espoir, Raphaëlle arme une dernière fois le défibrillateur. Le corps se soulève
et retombe.
« Ne touchez pas ma femme ! C’est à cause de vous tout ça ! » tonne Alexandre.
Raphaëlle lâche le drap blanc qu’elle voulait poser sur Ecureuil et se précipite aux abords
du 4x4. Pradesh et Mario portent la femme sur le brancard rescapé du VSAV. Le mari est
rouge de colère, il menace Mario du poing ! Raphaëlle s’interpose et pour faire diversion
elle hurle sur son interne.
- Stan ! Mario ne doit pas intervenir, c’est un patient.
- Il a insisté, explique le jeune homme.
- Mario, tu poses cette femme ! Stan, tu prends le relais. On se calme.
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- Je ne me calme pas ! tempête Alexandre. Ça donne des ordres et des leçons, mais ça
commence par s’occuper de sa famille ! Ce type-là a essayé de nous tuer !
- Monsieur, ceci est une intervention d’urgence. C’est la cinquième de la nuit, je vous
passe les fausses alertes…
- Ce n’est pas mon problème ! Vous avez toujours des excuses !
- Il n’y a pas d’excuses…
- Tout à fait, il n’y a pas d’excuses ! On vous a attendus à la maison ! C’est pas possible,
on paye des impôts…
- Pradesh, il y a un Ked dans le VSAV ? réclame Raphaëlle.
- Écoutez-moi quand je parle ! hurle Alexandre.
- Monsieur, vous êtes choqué. Votre énervement me fait craindre un trauma crânien, explique calmement Raphaëlle. On va vous placer dans un ked.
- C’est ça ! Un trauma ! Envoyez-moi au goulag tant que vous y êtes !
L’homme s’agite à grands gestes et Pradesh veut le retenir. Stan s’approche, prend
un coup à la poitrine et recule de quelques pas.
La double sirène d’une voiture de police et d’un camion de pompiers ajoutent leur
complainte à la cacophonie. Alexandre continue de crier. Raphaëlle reconnaît le sergent
des pompiers qui sort du véhicule, suivi par deux policiers. « Polo. Cet homme est hors de
lui. Il faut lui bloquer les cervicales. » Le sergent hoche la tête et les renforts entourent
l’avocat. « Ne me touchez pas ! Mon épaule ! » se défend l’homme. Il est alors pris dans
la mêlée.
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Quand la civière est posée sur le sol, Alexandre se tait enfin. Les pompiers chargent
la femme enceinte dans le camion et Stan suit. Madame Loryon regarde tristement autour
d’elle, puis saisit la main de Stan. « Une fois le transfert effectué, tu attends le mari au
scan, explique Raphaëlle. S’il n’y a rien, il est pour nous, tu soigneras l’épaule, sinon réa,
s’il y a de la place. S’il n’y a pas de place, tu en trouves ! » L’ambulance s’engage sur le
boulevard Sud dans un concert à deux notes.
Polo s’avance vers Raphaëlle, il jette un œil à ses collègues qui sont couchés.
Voyant, Écureuil, les bras écartés avec les électrodes encore sur la poitrine, le pompier
demande :
- Mort ?
- Non, répond Raphaëlle. Il mourra aux urgences… après avoir effectué un dernier tour
d’honneur dans ton VSAV.
- Merci, souffle le pompier. On n’a pas le droit de convoyer des morts. Et Pierre ?
- Inconscient, mais le cœur est là.
- C’est un champion ton frère.
- C’est vous qui êtes allés sur le cycliste ?
- Rien pu faire, pour lui et le conducteur. Je ne comprends pas ce qui se passe.
- Personne… C’est la loi des séries… La faute à pas de chance. Je me demande quand ils
vont déclencher le plan Orsec.
Le VSAV démarre. Raphaëlle se retourne vers Pradesh et Mario. Elle est plus petite
que le pompier, mais l’homme baisse la tête comme un enfant quand elle le reprend.
« Toi, quand je dis que tu es un patient, c’est que tu en es un ! Refais-moi un coup
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comme ça et je te jure… Quant à vos courses, maintenant, c’est ter-mi-né ! J’ai suffisamment d’un gosse à gérer aux urgences ! »
***
« Pierre, c’est encore moi. J’ai besoin de te joindre. On ne peut pas continuer
comme ça. Les enfants sont chez mes parents. Je ne peux pas aller les récupérer. »
Christine a pris cinq minutes pour s’isoler face à la Montagne avec le portable vissé
sur l’oreille. L’air frais du matin l’enlace. Elle ne peut pas laisser l’accueil seul. Elle franchit
les portes et le bruit lui fait comme la buée sur les lunettes. Il rend tous les bruits indistincts.
« Dites madame, on attend toujours un médecin pour mon mari », demande une
dondon sur le ton le plus mal aimable du monde. Christine ne lui prête pas attention. Sur
un des sièges de l’accueil quelqu’un a posé un poste de radio qui dialogue.
- Lé pas normal, explique un auditeur au fort accent créole, personne répond. Personne !
- Nous n’avons pas de nouvelles de l’hôpital, explique l’animatrice. Si vous avez des nouvelles ? Appelez. On attend toujours des explications de la direction.
La direction, ou plutôt la directrice est installée dans l’accueil de Christine. Layla
lève les yeux quand sa collègue entre. « Alors ? » Christine hausse les épaules et s’installe. « Pas pu l’avoir… Il y en a une qui met sa radio à fond. Ça devient intenable. » Layla
hoche la tête à la remarque de sa subalterne. Elle repose le journal encore sous plastique.
Sur la Une, on distingue le gros titre :"
Drames de la route :Trop d’alcool ?"
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Layla sort dans le couloir, lisse son tailleur, inspire et file droit sur la radio allumée.
- Madame, s’il vous plaît ? Vous ne pouvez pas laisser cette radio, indique la directrice et
un groupe s’agglutine autour d’elle.
- Je paye, j’écoute ! réplique la femme en se cramponnant à son poste.
- Écoutez, c’est un hôpital ici… explique Layla.
- Un hôpital ? interrompt la dondon qui a alpagué Christine quelques instants plus tôt. Il y
a des médecins dans un hôpital, non ? Parce que mon mari aimerait en voir un !
- Il y a des urgences.
- Et vous n’êtes pas pressés !
- Madame, il y a eu plusieurs accidents de la route. Nos équipes sont sous pression.
- Tout à l’heure, c’était une tronçonneuse. Vous avez d’autres excuses ?
- Je n’ai pas d’excuses. Il faut juste éteindre la radio, s’il vous plaît. Ne m’obligez pas à
faire appel aux vigiles.
Avant que Layla n’ait le temps de faire quoi que ce soit, elle se retrouve avec un
portable dans le visage. Une femme au regard agressif vient de le lui coller sous le nez
- Qu’est-ce que c’est ? demande la directrice en reculant.
- C’est la radio ! Vous êtes en direct. Ils veulent vous parler, explique la femme.
- Je n’ai rien à dire !
- Expliquez pourquoi vous interdisez de les écouter ici !
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- C’est un hôpital, il y a besoin de calme. Et éteignez ce portable !
- Voilà, vous entendez ? Poursuit la femme dans son combiné. Le mépris !
Avant que la radio n’ait la présence d’esprit de redemander la directrice, Layla se
replie dans l’accueil de Christine. Elle aperçoit le visage d’un pompier qui entre par la porte
de service. Il est taillé comme un pilier droit. Il embrasse l’infirmière d’accueil et montre
son badge coloré en riant.
- Je vais attendre, dit-il. Je suis pas un cas urgent.
- Effectivement Mario, constate Christine. Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
- Trois fois rien. Tu as des nouvelles de Pierre ?
- Non, j’essaye de l’appeler. Il n’était pas avec toi ?
- On ne me laisse pas l’approcher, vu que je suis pas de la famille.
- Qu’est-ce que tu me racontes ?
- On a eu un accident, Christine. Pierre est en réa.
- En réa ? Et tu dis « trois fois rien » !
Une gifle percute la joue de Mario. Layla se lève et prend Christine dans ses bras
pour la calmer, puis fait signe au pompier de filer. Sa collègue est en larmes. « Allez, allez, ça va aller, murmure Layla en lui caressant la tête. Je vais… » Elle s’arrête.
Un téléphone. « Oups, I did it again ». C’est le sien. Layla s’excuse en se dégageant
de Christine. « Oui, répond la directrice en décrochant, d’accord… Pas de communication
officielle… Bon… C’est très engorgé ici… Vous avez entendu la radio ? Oui… Je gère… Non.
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Je n’ai plus de responsable de la communication. D’accord. Enfin ! C’est une bonne nouvelle. Oui, merci… Je vous laisse. » Christine sèche ses larmes avec un kleenex. Elle regarde Layla raccrocher.
« On augmente en Orsec, explique la directrice. Je dois prévenir les services.
Écoute, je sais que tu as envie d’aller voir Pierre, mais je n’ai personne pour te remplacer.
Appelle la réa si tu veux. J’ai besoin que tu tiennes la baraque ici le temps que les autres
arrivent. » Christine hoche la tête. Elle reprend sa place derrière le comptoir avec un sourire figé. Une famille vient s’agglutiner devant l’hygiaphone en parlant tous en même
temps.
***
Alexandre Loryon, le conducteur du 4x4, semble plus calme. Son teint est pâle. Il
se tient droit. Dans ce couloir au sol jaune d’oeuf et sans fenêtres, il ne peut savoir quelle
heure de la matinée il est. Stan le regarde, avec des yeux sans expression : « Le scan
n’indique rien d’inquiétant. On vous garde pour observation. Je vous emmène pour votre
luxation. » L’avocat hoche la tête. Il s’installe dans le fauteuil roulant que lui présente
l’interne. Alors que le junior va pour quitter la pièce, une aide-soignante interpose son
chariot.
- Bonjour Kadiata, s’étonne Stan, je dois emmener ce monsieur aux urgences.
- Je peux te parler ? réclame la femme d’âge mûr.
- Euh oui, bien sûr. Ça ne peut pas attendre ?
- Non.
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Stan s’excuse auprès de son patient et suit l’aide soignante dans le petit bureau des
infirmières.
- Stan, n’as-tu rien oublié ?
- J’ai effectué tous les tests. Je me demande s’il y a un lien avec les accidents.
- Fais un effort !
- On écarte le trauma crânien. On place sous surveillance. Une ponction peut-être ?
- Son enfant.
- Quoi ?
- Cet homme est inquiet pour sa femme et il ne sait pas que son enfant est né. C’est à toi
de lui dire.
- Mais, ça ne fait pas partie du traitement.
- Il y a les maux qui se soignent avec les mots.
- Et je lui dis quoi ?
- La nouvelle.
Stanislas sort du bureau, un peu gauche, et sous l’œil de Kadiata Sankara s’avance
vers le fauteuil roulant en bredouillant : « Monsieur, euh, il y a quelque chose que j’ai
oublié de vous dire. » L’avocat se raidit, mais Stan poursuit sans y prêter attention. « Je
voulais vous dire. Votre enfant est né. C’est un garçon. Je crois. Voilà. À présent, nous
pouvons y aller. Ah oui, et votre femme va mieux. Ils la gardent pour surveillance, une
journée. Elle ira ensuite à la maternité. Voilà. » Et l’interne pousse l’avocat vers les ur-
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gences sans prêter attention aux mouvements sur le visage de son patient. « Vous êtes
un des premiers à survivre aux accidents », remarque Stanislas.
***
La silhouette de Layla se détache sur la lumière blanche de la fenêtre au fond du
sombre couloir. Raphaëlle ne peut y couper. Elle hâte le pas, décidée à affronter sa cheffe
pour passer. La directrice est parvenue à se changer et porte un magnifique tailleur bleu
marine. Raphaëlle porte toujours son parka bleu d’intervention.
- Comment va ton frère ? demande Layla.
- Mieux que son collègue, réplique Raphaëlle.
- Je suis désolée. Tu le connaissais ?
- Je l’ai croisé. Mais bon, tu sais, il y a des personnes avec qui on a été en intervention et
un jour, on découvre qu’on ne les connaissait pas.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Viens-en au fait. Que me veux-tu ?
- L’Orsec est déclenché. Nous sommes en plan blanc. Je sais que tu as largement dépassé ton nombre d’heures…
- Je n’ai pas l’intention de partir alors que tout le monde arrive ! Je serais revenue demain matin de toute façon pour la réunion hebdomadaire.
- Justement. À propos…
- Il n’en est pas question ! Hors cyclone, nous n’avons jamais annulé cette réunion !
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- J’ai besoin de vous.
- Et nous avons besoin de faire un point sur la situation, tous ensemble.
- Certes, mais il y a un problème que nous devons gérer seuls, c’est le grand public. J’ai
invité des journalistes à venir constater par eux-mêmes que nous sommes sur le pont. Il
me faut tous les médecins auprès des patients. Repoussez la réunion…
- Tu as invité des journalistes ? Tu te moques de moi. Tes petits copains de l’A.R.S. ne
peuvent pas t’aider ?
- Nous sommes seuls. Les urgences sont saturées. Les gens appellent la radio pour se
plaindre.
- Tu n’as qu’à appeler à ton tour pour expliquer que nous ne sommes pas un supermarché
du médicament gratuit !
- Les règles sont très claires. Nous ne pouvons refuser personne.
- Les règles, il faut savoir y déroger.
- C’est le chaos.
- Exactement et j’adore ça ! D’ailleurs j’y retourne. Je vais plonger dans le 15 jusqu’au
cou !
- Ce sont juste quelques images. C’est l’histoire d’un moment.
Raphaëlle n’a rien écouté, elle poursuit son chemin et reçoit une buée de sons en
entrant dans le centre d’appels.
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C’est une belle jeune femme à présent. Elle attend sur le côté du parking du Smur.
Pradesh l’a reconnue, même s’il ne l’a pas vue depuis longtemps. Il gare la voiture radio.
Le soleil au zénith efface les ombres.
- Ton père est aux urgences, Maureen.
- Je sais, dit-elle. Il m’a appelée. J’ai cru à un de ses bobards.
- Tu es dure. Pourquoi es-tu venue ici ?
- J’ai entendu à la radio que c’était le bazar. Je me suis dit que tu pourrais peut-être
m’emmener vers lui plus facilement.
- Je dois vérifier le véhicule.
- Je peux attendre.
- Je crois que tu n’auras pas à le faire. Ton père vient !
La jeune femme se retourne et voit l’épaisse carrure de Mario. Le pompier veut
l’embrasser. Elle a un mouvement de recul. Ne sachant que faire de ses mains, il les agite
pour parler.
- Je ne voulais pas t’inquiéter, bredouille Mario. Je vais bien, tu vois. C’est juste…
- Tu as toujours une excuse, papa.
- La nuit a été éprouvante.
- Tu vois ? C’est quoi cette fois ? Un moment d’inattention ?
- Ce n’est pas ce que tu crois.
- L’argent alors ? Tu as des réparations à faire ?
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- C’est avec le V.S.A.V. que j’ai eu l’accident.
- Bravo !
- Écoute, ce n’est pas facile.
- Non, et ça ne le sera jamais ! J’aurai dû écouter maman et partir moi aussi. Alors, c’est
quoi le problème ?
- J’avais juste envie de te voir. J’ai passé une nuit difficile. Un avocat menace de porter
plainte contre moi.
- Nous y voilà ! Et les pompiers, ils en disent quoi ? Laisse-moi deviner… Tu es mis à
pied ?
- Probablement.
- Alors, écoute-moi bien. Je suis venue parce que j’ai entendu parler d’accidents mortels
causés par des ivrognes. Je suis rassurée de voir que tu vas bien et j’espère que tu n’as
tué personne. La suite ne m’intéresse pas.
- Maureen, il ne faut pas que tu juges ton père si durement, s’interpose Pradesh. Il a fait
beaucoup…
- Laisse Pradesh ! J’accepte ses critiques. Elle en a le droit. Elle a longtemps subi mon
alcoolisme.
- Oui, je l’ai longtemps subi et à présent, c’est fini !
La fille s’en va laissant derrière elle le géant bien plus sonné que par la gifle de Christine.
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Stan a un visage étrange. Un visage sans expression. Il se tient debout à l’entrée
du centre commun 15-18 scrutant les postes d’appels. La lumière de midi imprègne la
salle d’un brouillard de chaleur que les aérations écologiques ne chassent pas. Stan traverse les postes « pompiers » pour rejoindre les « médicaux » où se trouve Raphaëlle.
Sans rien qui ne trahisse ses émotions, il lance à sa tutrice :
- J’aimerais réaliser une ponction lombaire sur Alexandre Loryon.
- C’est un examen lourd pour un patient, est-il vraiment opportun ? interroge Raphaëlle.
- Le scan n’a rien révélé.
- Il n’y a peut-être rien à révéler. Je ne vois toujours pas le rapport avec la ponction.
- L’IRM n’a rien donné non plus.
- Alors, il n’y a rien.
- J’ai une intuition.
- A-t-il mal à la tête ? Nuque raide ? La lumière le dérange-t-elle ?
- Non, mais la semaine dernière, un cas s’est présenté aux urgences, très énervé.
- L’énervement peut avoir de nombreuses causes. Je te rappelle que la loi « pour une
médecine citoyenne, éthique et responsable » nous impose de limiter nos prescriptions
à des actes réellement utiles, ironise Raphaëlle.
- C’est utile de savoir si cet homme ne présente pas les mêmes symptômes que…
- Dans ce cas, fais une ponction lombaire à tout l’hôpital. Il y a du monde aux urgences.
Ils sont sans doute candidats aux ponctions si je suis ton raisonnement. Il y a une
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heure, j’ai soigné un homme qui s’est coupé avec son sabre à canne. Va le voir, il est
peut-être intéressé ?
- C’est oui ou c’est non ?
- C’est non. C’est clair ?
L’interne s’en va, sans que la moindre expression ne se soit dessinée sur son visage. Sur le grand tableau blanc, quelqu’un a noté les accidents au marqueur. Stan
s’arrête pour le regarder et n’entend pas sa responsable marmonner. « Pourquoi avec
son classement, n’est-il pas allé en ophtalmo ou en dermato, celui-là ? »
***
L’odeur des croissants dorés vient réveiller les papilles de Christine. « Voilà la relève ! » lance sa collègue Edmée en posant le plateau. Christine se lève et s’étire. La salle
d’accueil est redevenue silencieuse, comme si l’après-midi et la nuit n’avaient jamais existé. Seul un client habituel dort sur une des chaises. Le dernier arrivé, juste avant que
Christine ne pique du nez, vers 4 heures du matin. Elle s’empare d’un café et attrape un
croissant.
- Des nouvelles ? Demande Edmée.
- Je profite de ton arrivée pour aller enfin le voir.
- Profite et repose-toi ! On dirait que l’annonce du plan Orsec a fait reculer les accidents.
Tu vas croiser des équipes mobilisées… Et désœuvrées.
- C’est le pouvoir magique de la préfecture. La cavalerie médicale !
23
Effectivement, l’hôpital est plutôt calme, même si la salle de suivi des urgences est
occupée à plein. La Sauv, salle d’accueil des urgences vitales, est tranquille.
Dans le couloir qui conduit à la chambre de Pierre, les infirmières prennent le temps de
cajoler Christine. « Rien de grave, lui explique-t-on. Comme je te l’ai dit, il a passé un
moment pour contrôle au déchocage. Il était dans le cirage. Il n’a rien mangé. Il a dormi.
Il est épuisé. »
La chambre est blanche de mur et de bruits. Il n’y a pas même un bip lointain pour
réveiller Pierre. Christine s’installe sur une chaise inconfortable.
« Je suis désolée de ce qui se passe », dit-elle en lui prenant la main. Il ne répond
pas. « Je sais que ça va être dur pour toi. Tu étais le chef d’agrès. Tu es responsable. »
Après un silence, elle reprend :
« Je ne veux plus être la variable d’ajustement. Pas question que j’abandonne mon
métier. Les filles ont besoin de te voir et moi, j’ai besoin que tu sois plus présent. »
La main calleuse de Pierre serre la main douce de Christine. Elle perçoit un mouvement des paupières. Le sergent ouvre les yeux. Il voit sa femme et sourit. Elle sourit.
« Mario, dit-il. Il faut que je voie Mario. » Christine repose la main, se lève et quitte la
chambre.
***
Dans le réfectoire improvisé, les externes ont débuté une partie de belote. Raphaëlle a l’impression de précéder son corps. « Je vais aller dormir un peu », lance-t-elle
aux joueurs de cartes. Malgré le grand nombre de patients dans les chambres, tout est
calme. Raph reconnaît la silhouette de Kadiata qui lui indique « Ton pompier joue les infirmiers avec une vieille dame. » Raph hoche la tête et souffle ? Le sommeil attendra. Elle
24
bondit dans les escaliers où son corps fait mine de la rattraper. Mario est exactement là où
l’a vu Kadiata, à aider la dame à s’asseoir.
- Tu dois rentrer chez toi, lance Raph.
- Je n’ai pas de chez moi, rétorque Mario. Ils ne veulent pas me voir à la caserne.
- Tu as eu un accident. Tu dois t’en remettre.
- Je vais probablement être sanctionné, rappelle le pompier.
- Tu pourras plaider les circonstances.
- L’avocat a appris pour la course avec Pradesh. Il va s’en servir.
- Il faut que tu te reposes. Demain est un autre jour.
- Mon appartement est vide depuis qu’elle est partie.
- Pradesh doit parler à ta fille.
- C’est gentil, reconnaît Mario. Dis Raphaëlle, je peux rester aux urgences ?
- OK, mais en tant que patient. C’est compris?
Le portable de Mario sonne. Le nom de Pierre s’affiche. « J’ai honte de lui parler,
dit-il. Il va payer avec moi. » Raphaëlle pose la main sur l’épaule du pompier. « Tu n’es pas
obligé de lui parler maintenant. » Le pompier hoche la tête et coupe son portable. « J’ai
soif, marmonne-t-il pour lui-même. Très soif. »
***
25
C’est une pharmacie neuve. Pradesh a griffonné l’adresse et l’heure d’ouverture
pour y être en premier. Maureen repose les boîtes, qu’elle rangeait, en voyant entrer
l’ambulancier.
- C’est calme ici, lance Pradesh.
- Hier, à 7 heures, c’était déjà la cohue, sourit Maureen. Tu es venu me faire la morale
pour mon père ?
- Non, je ne me le permettrais pas.
- Je t’écoute.
- Il n’a pas touché une goutte d’alcool depuis plus d’un an et demi. Je suis son parrain.
- C’est quoi cette histoire de courses ?
- Son boulot est quelque chose de positif. La course, c’est un peu d’adrénaline en plus.
- Et là, il va faire quoi ? Replonger ?
- Il est fragile. Il regrette.
- Moi aussi, je regrette.
- Va le voir.
- Non.
- Il a besoin de sentir qu’il est aimé.
- Je n’ai pas envie de revoir le gros nounours de mon enfance casser des bouteilles et
brailler. Je ne veux plus les sourires idiots et les paroles mielleuses qui sentent l’égout.
26
***
Dans le lit de l’hôpital, entre deux couvertures mal posées, Raphaëlle rêve. Elle se
promène dans un paysage aux couleurs sépia, une jungle urbaine, abandonnée. Au loin,
une silhouette cherche quelque chose. Stan. Il ramasse méticuleusement des déchets.
« Raph, il y a un problème. » L’urgentiste se retourne et elle ouvre les yeux. C’est Kadiata.
L’aide soignante est penchée sur son lit.
- Quelle heure il est ? demande l’urgentiste. J’ai raté la réunion ?
- Il est tôt. Tu dois venir, glisse Kadiata.
Sans attendre, l’urgentiste se lève et suit l’aide soignante vers les urgences. D’un
coup d’oeil, elle embrasse les chaises renversées et le liquide qui macule le sol jaunâtre. À
gauche, Mario retenu par deux infirmiers. À droite, Alexandre Loryon qui se tient le nez.
Au milieu, le frêle Stan s’interpose les deux mains horizontales. L’irruption de Raphaëlle
dans la pièce vient de mettre fin au concours d’injures.
- Il m’a insulté ! braille Mario.
- C’est ça défendez-le ! pique Alexandre.
- Que s’est-il passé ? tente Raphaëlle.
- Le pompier a frappé l’avocat, explique Stan. Pour une histoire d’ivrogne.
- Je ne suis pas un ivrogne ! crache Mario, agité.
- Vous ne pouvez pas vous battre ici ! riposte Raph. J’appelle la police de ce pas.
- C’est ça, appelez la police ! Je vais porter plainte ! poursuit Alexandre.
27
- Vous savez quoi ? s’énerve Raph. Je ne vais pas appeler la police. Comme nous, ils ont
été sur les routes en permanence ces derniers jours. Je vais vous renvoyer chez vous !
Je ne veux plus vous voir ici.
- J’ai mal à la tête, dit Mario.
- Moi aussi, ajoute Alexandre. Et j’ai soif !
- Vous vous moquez de moi ? demande Raphaëlle, et puis n’obtenant pour réponse que
deux mentons baissés, elle ajoute : Stan, tu t’occupes de ces deux-là. Traite la douleur
et envoie les passer une IRM. S’il n’y a rien : dehors ! Quant à vous, le premier qui
agresse l’autre, je…
- Vous quoi ? intercède l’avocat.
- J’interdis les visites à votre femme et à votre fils avant sa sortie. Compris ?
- Pardon Raph, s’excuse Mario.
- Moi aussi, je vais commencer à avoir mal au crâne, fulmine Raphaëlle.
En retrait, Pradesh contemple la scène, la tête basse. Il refuse de répondre au regard que
lui lance Mario.
***
- C’est calme, constate le cameraman.
- Le plan Orsec a arrêté la loi des séries ! plaisante Layla. J’ai autorisé les médecins à organiser leur traditionnelle réunion du jeudi matin. Je vous demanderais juste de ne rien
filmer sans leur accord.
28
- Aucun problème, lance le rédacteur. Il y a toute l’équipe ?
- C’est une tradition ! Seuls les morts et ceux qui sont hors département sont dispensés !
- Ils vont parler de la crise ? Interroge le cameraman
- Probablement.
- Pour la caméra, est-ce que vous pouvez nous redire comment l’hôpital gère la
situation ?
Les deux journalistes s’adressent un regard entendu puis suivent la directrice vers
la salle de réunion. Malgré le manque de sommeil, Layla est élégante et maquillée. Après
avoir répondu, elle toque et passe la tête dans pièce encombrée de tables, de cafés et de
médecins.
- Bonjour, je suis avec les journalistes d’Antenne Première. Ils réalisent un « vécu » sur
les urgences. Ils aimeraient effectuer quelques prises de vue de votre réunion.
- Les propos qui sont tenus ici sont confidentiels, explique Raphaëlle, les traits tirés.
- Nous n’enregistrons pas le son, explique le rédacteur. Nous allons filmer deux ou trois
minutes votre réunion pour varier les angles. Au final, nous garderons 10 à 15 secondes
d’images pour conclure le reportage et expliquer que vous débriefez.
- OK, concède Raphaëlle.
- Parfait, souffle Layla, faites comme si nous n’étions pas là.
Cette fois, c’est le professeur Alibaye qui prend la parole. C’est un petit monsieur à
la voix douce, il est le chef de l’ensemble des services rattachés aux urgences. Il lance
avec un sourire bienveillant : « Nous écoutions l’idée intéressante de notre interne Sta29
nislas Cara. Il a une opinion… Étonnante sur la crise. » Tous les regards se tournent
vers l’interne. « J’insiste pour que ces propos ne soient pas filmés, claque Raphaëlle.
Pas question de ridiculiser notre profession avec des théories de comptoir. » Le rédacteur lève le pouce pour indiquer qu’il a compris.
Stanislas se lève, il a devant lui de petites fiches, ornées d’une écriture cursive, très
soignée. Le visage neutre, il entame son explication :
- On ne peut pas raisonnablement considérer qu’une série d’accidents aussi importante
soit le fruit du hasard. En cinq jours, La Réunion a connu autant d’accidents de voitures
qu’en un an. Vendredi a eu lieu le premier accident : un mort. Samedi, trois accidents sur
Saint-Denis, dont deux mortels et un coma. Tout le monde a suspecté l’alcool, mais aucun
taux d’alcoolémie supérieur à la norme n’a été relevé pour deux des conducteurs. Dimanche retour au calme, sur la route du moins, car les accidents n’ont pas cessé de
conduire aux urgences de nombreux patients souffrants de coupures, blessures et commotions. Sans oublier les épileptiques ! Lundi…
- Lundi était un jour férié ! le coupe Raphaëlle, les familles se retrouvent, boivent… Ça
existe les jours où les accidents s’enchaînent. Les pompiers appellent ça des « journées à
thème ».
- On n’a pas relevé de taux d’alcoolémie plus important chez les patients, explique Stan.
Mardi, il y a eu, de nouveau, trois accidents sur la route, tous mortels. Hier, trois accidents
ont eu lieu dans la journée, plus un autre le soir. Les accidents ne sont pas causés par
l’alcool ou le hasard. Il y a un agent pathogène derrière tout ça !
- Quelles preuves apportes-tu pour étayer ta théorie ? Interroge Raphaëlle. J’aimerais que
le « major de promotion » nous éclaire autrement qu’avec des suppositions.
30
- Les accidents sont souvent mortels, avance Stan. Les conducteurs terminent leurs
courses dans le vide ou contre un arbre.
- Hier, l’accident a impliqué deux véhicules qui se sont rentrés dedans, relève Raph.
- Oui et c’est peut-être une chance !
- Tu as effectué un scan sur les deux conducteurs, pour écarter un trauma crânien. Qu’a-til donné ?
- Rien.
- Tu as effectué une IRM, quel résultat ?
- Rien, c’est pour ça que je veux réaliser une ponction lombaire…
- Ce ne sont pas des cobayes. Il faut d’autres éléments.
- La ponction peut en apporter…
- Tu additionnes des poires et des pommes ! le coupe Raphaëlle. Nous avons vécu un
week-end prolongé et les accidents se sont prolongés au-delà. N’oublie pas le pouvoir
auto réalisateur des prophéties énoncées par la radio ou la télé. À force de voir des accidents partout, les gens ont créé une psychose et les urgences se sont trouvées engorgées par tous ceux qui se sont découvert un problème. Regarde ! On annonce le Orsec
et plus rien ! Disparu ! Du vent ! Comme ta théorie. Je suis désolée Messieurs les journalistes, nos réunions sont habituellement plus intéressantes.
- C’est intéressant, lance le rédacteur. Ce jeune homme pose de bonnes questions.
- Sauf qu’il tient la réponse dès le début et cherche à la prouver !
***
31
« On peut vous parler un instant ? » Le rédacteur a les cheveux longs et un crâne
dégarni. Il offre à Stan, son plus large sourire, mais l’interne n’y répond pas. « Vous pouvez y aller Stanislas. Je vous autorise à parler, lance Layla ». Stan n’a toujours aucune expression sur le visage.
- Vous êtes fatigué ? Demande le rédacteur.
- Je n’ai pas dormi de la nuit, comme beaucoup ici.
- Qu’avez-vous fait ?
- Mon boulot.
- Mais encore ?
- J’ai participé aux soins des personnes qui sont venues.
- Vous avez pris du temps pour réfléchir à ce qui se passe également ?
- C’est notre métier.
- Stanislas est sorti major au concours national classant de l’internat, précise Layla. Il aurait pu choisir une spécialité plus rémunératrice et un hôpital plus côté, mais il a choisi
le CHU de La Réunion ! Il souhaite devenir médecin réanimateur. Il est issu d’une
longue lignée d’urgentistes.
Le rédacteur hoche la tête, impressionné. Il regarde son ami cameraman.
- Parlez-nous de votre théorie.
- Ce n’était qu’une hypothèse. Je ne souhaite pas qu’elle sorte de la salle de réunion.
- Vous avez été attaqué par l’autre médecin. Vous lui faites de l’ombre ?
32
- Elle me forme. C’est un très bon médecin.
- Elle est dure avec vous ?
- C’est dur de bosser aux urgences.
- Vous êtes sûr de ne pas vouloir parler ?
- Certain.
- D’accord, nous avons fini. Merci de votre accueil.
- Parfait, je vous raccompagne, explique Layla. Vous me laissez un instant ?
- Nous vous attendons là-bas.
Quand les deux hommes s’éloignent, Layla lance à Stanislas.
- J’ai travaillé avec Raphaëlle.
- Vous étiez médecin ?
- Infirmière, comme beaucoup de cadres. Nous étions dans la même équipe du Smur.
Pour qu’elle vous respecte, vous ne devez pas vous laisser impressionner. Vous avez le
droit de formuler des hypothèses farfelues. C’est ainsi que les choses avancent. Ne vous
laissez pas démonter par une femme hautaine.
- D’accord.
- Allez vous reposer.
- Je voulais voir une dernière fois certains patients.
- Il faut dormir.
33
- Vous me dites de suivre mes choix, c’est que je fais!
- Bien joué ! sourit Layla. Bien joué!
***
Le service est calme, malgré les appareils qui rythment la pièce de leur monoton
obsédant. Les médecins, en surnombre, attendent la levée du plan Orsec et l’heure du déjeuner. Par acquit de conscience, Raphaëlle jette une dernière fois un oeil aux dossiers
électroniques des patients du service. Son regard s’arrête. « Oh le con ! » Elle se lève,
franchit le couloir, écarte les portes, regarde à droite à gauche. Elle aperçoit Stan qui serre
la main de Layla et intercepte le jeune interne qui revient vers les urgences.
- J’avais dit pas de ponction lombaire ! Souffle-t-elle.
- Je l’ai faite avant la réunion, explique Stan.
- J’avais dit pas de ponction lombaire, bien avant la réunion.
- J’ai voulu vérifier mon hypothèse.
- Je me fous de ton hypothèse. Tu te moques de moi !
- Non.
- Depuis que tu es dans ce service, c’est le grand n’importe quoi ! Tu devrais être déjà
autonome ! Je dois repasser sans cesse derrière toi ! Le classement ne veut rien dire !
Ici, c’est de la médecine de terrain, de terrain tu comprends ? Et dans le respect des
malades !
- Je respecte les malades.
- En leur pratiquant un soin inutile. Où est-il cet Alexandre Loryon ?
34
- Sous surveillance. Son mal de crâne a baissé d’intensité.
- A-t-il la nuque rigide ? Non. Photophobie ? Non plus ! Le paracétamol est-il inopérant ?
Non ! Où sont-ils les symptômes de la méningite ?
- J’ai pensé au cas de chasse de mercredi dernier.
- Tu n’es pas le docteur House et ce n’est pas une série-télé américaine ! C’est un véritable
hôpital. Ces hommes ont eu un accident violent. Il faut surveiller les conséquences de cet
accident, pas partir sur d’hypothétiques maladies exotiques !
- Je suis désolé.
- C’est la dernière fois ! Maintenant, tu demandes la permission pour tout, même pour aller aux toilettes. Compris ?
***
Mario se tient la tête. Alexandre est recroquevillé sur lui-même. La pièce est petite,
les lits exigus. Au loin, une télévision marmonne.
- Je n’en peux plus, souffle l’avocat, en larmes. Ça recommence !
- Je suis désolé, répond Mario. Sans l’accident vous seriez avec votre enfant en ce moment.
- J’accepte vos excuses.
- Je suis désolé pour tout à l’heure. Je ne suis pas quelqu’un de violent.
- Je n’aurai jamais dû vous parler ainsi, souffle Alexandre. Nous sommes sous pression.
35
- L’interne ne devrait plus tarder, constate Mario. J’ai soif. C’est comme si l’eau ne m’hydratait pas.
- Vous voulez de l’alcool ?
- Non. Je n’ai pas tenu tout ce temps pour craquer comme ça.
- C’est bien. Je n’ai jamais aimé les hôpitaux. On s’y sent impuissant.
- C’est le lieu où on meurt, explique Mario.
- Oui et c’est aussi celui où on vient à la vie, répond Alexandre.
- Comment va votre femme ?
- Apparemment ça va. J’ai pu voir le bébé de loin tout à l’heure.
- J’en suis ravi. Hier, nous étions pressés, car un cycliste avait été percuté. Nous avons vu
tant de gens mourir.
- C’est inquiétant tous ces accidents.
***
Christine est debout appuyée contre le mur. Elle a replié ses bras et posé sa tête
contre le carreau froid. De sa place, elle voit la Montagne, où se trouvent ses enfants. Les
sabots de Raphaëlle apparaissent dans le reflet de la fenêtre.
- Tu ne vas pas voir Pierre ? Lui demande l’urgentiste.
- Il dort, explique Christine. Et quand il ne dort pas, il réclame Mario.
- Tu sais, les pompiers, c’est comme les rugbymen. Ils ne peuvent pas aller pisser tout
seul.
36
- Oui, je sais et je le savais. Il y a des moments où ça pèse.
- Il est maladroit, mais il t’aime.
- Je ne sais pas.
- C’est impossible de vivre toujours de la même manière. Il y a des hauts, il y a des bas,
c’est comme ça. C’est comme… ce type là!
- Quel type, je ne comprends pas?
- Là ! Ce type dehors! Il est venu hier pour une blessure au sabre à canne.
- Quel rapport avec Pierre? demande Christine en vain.
En quelques secondes, Raphaëlle gagne l’étage des urgences. L’homme est avec
son épouse devant le guichet du tri.
- Vous êtes de retour ? questionne Raphaëlle. Vous avez toujours mal au bras ?
- Mon mari se plaint de la tête, déclare la femme.
- La tête, suivez-moi ! Étiquette rouge ! lance Raphaëlle.
"
Pendant ce temps, à l’étage. Christine avance tranquillement vers la chambre de
Pierre. Au moment où elle rentre, elle aperçoit son mari couché sur le sol, face contre
terre.
***
Alexandre s’est levé pour faire les cent pas. Il ferme les rideaux en fer de la fenêtre
pour créer un peu d’ombre.
37
- Ça fait du bien, souffle Mario.
- Je n’en peux plus. Je suis fatigué, explique l’avocat. Cette lumière !
- On manque de sommeil, explique le pompier. Monsieur …. Monsieur ?…. Quelqu’un ! À
l’aide !
Alors que Mario était en train de terminer sa phrase, l’avocat s’est effondré, pris de
tremblements. Le pompier se précipite sur lui, écarte le lit et commence à dégager le col
de l’homme. Il essaye de le maintenir. L’avocat est pris de spasmes. « À l’aide
quelqu’un ! » Hurle Mario. La douleur lui perfore le crâne, mais le pompier parvient à
mettre l’avocat en position latérale de sécurité. Il aperçoit un visage qui arrive en courant
vers lui. Raphaëlle, suivie par Pradesh. Tout devient trouble.
L’étage est un vacarme de sonneries et d’appels.
- Quelqu’un !
- Mon mari est tombé !
- Épilepsie !
Et puis une voix balaye tout et s’impose, c’est celle de Raphaëlle :
« Méningite ! Masques et gants pour tout le monde ! Antibios quand vous aurez
terminé ! »
Stan aperçoit Raphaëlle agenouillée sur Mario. Le pompier est au sol. Il ne bouge plus.
- Tu peux refaire une ponction lombaire ? Interroge Raphaëlle.
- Je peux, répond Stan. Si tu m’en donnes l’autor…
38
- Ton intuition était bonne ! Tu ponctionnes tous ceux qui présentent les mêmes symptômes. Non ! Tu ponctionnes tous ceux qui ont eu ces derniers jours un accident inhabituel. Tu peux faire ça ?
- Oui ! Mais la loi sur les actes…
- Au diable les directives européennes ! Fonce ! Infirmière ! Il me faut une infirmière !
- Elles sont toutes occupées, explique Layla en entrant dans la pièce.
- Je peux t’aider.
- Tu te souviens des gestes de base.
- C’est comme le vélo, Raphaëlle. On ne change pas !
- On a deux cas en parallèle et bien plus ailleurs.
- J’apporte masques et gants !
***
À l’étage, Christine a retourné Pierre pour vérifier son pouls. Elle sent le cœur
battre et voit le pompier ouvrir les yeux.
- J’ai besoin de sucre, dit-il. J’ai un voile noir devant les yeux.
- Ne bouge pas. Je vais en attraper.
- Christine, il faut prévenir Raphaëlle. Mario a eu un malaise pendant l’accident.
- Quoi ?
39
- Je n’arrête pas de revivre la scène. Il ne tenait pas le volant au moment où nous avons
été percutés par le 4x4. J’ai essayé de l’appeler.
- Mais toi ?
- Moi, ça va, souffle Pierre. Préviens Raphaëlle. C’est quoi ce bruit dehors ?
Christine hoche la tête, passe le sucre à Pierre puis sort, direction l’escalier. Dans le
hall des urgences, elle croise Pradesh qui se précipite à l’extérieur. Trois hommes sont au
sol avec des secouristes qui les massent ou les soutiennent. Dans le couloir, les brancards
sont en tous sens. Une femme est à terre, prise de convulsions et Kadiata, masque et
gants, tente de lui porter secours.
Dans la Sauv, Stan enfonce une aiguille dans le dos d’un patient, maintenu par Sonia et un brancardier. Le couloir n’est pas en meilleur état, les chambres provisoires sont
occupées de sauveteurs qui font sortir les malades bénins. De dos, Christine reconnaît
Polo et ses hommes qui donnent un coup de main sur un patient.
Christine trouve enfin Raphaëlle. Épaulée par Layla, elles s’affairent sur l’avocat
Alexandre Loryon. Il est perfusé, son cœur bat, mais l’activité cérébrale est réduite. En entrant dans la pièce, Christine attrape un masque et des gants. « Fais-nous un bilan de la
situation, lance Layla. Il me faut un décompte précis des morts et des comas. »
***
En voyant Pradesh, Maureen sourit. L’ambulancier l’arrête avant qu’elle ne passe la
porte.
- Il ne faut pas que tu restes là.
- Mon père ?
40
- Je suis désolé. Nous n’avons rien pu faire.
- Quoi ?
- Ton père est mort.
- Mais comment ?
- Méningite foudroyante. C’est à cause d’elle qu’il a eu cet accident.
- Mais, je voulais le voir…
- Je suis désolé, je ne peux pas rester avec toi. Il y a un risque de contagion.
- Je croyais qu’il avait replongé.
- Je l’ai cru aussi. Maureen, ton père est mort en portant secours à quelqu’un.
- Je…
- Je suis désolé…
***
Un bip lancinant ponctue le monologue d’une télévision oubliée dans une chambre.
Christine attend que Raphaëlle ôte les gants de latex et se retourne vers elle. Layla
s’est relevée également. En entendant, Christine débuter le décompte, médecins, infirmières, pompiers et aides soignants présents se rapprochent. Pradesh est revenu, suivi
par Stan.
« Il y a eu trente personnes touchées par cette méningite, explique Christine. Toutes sont
venues hier aux urgences pour des accidents domestiques et pour des accidents de voiture. Tous ont commencé à se plaindre de maux de tête, sans présenter les signes habi41
tuels. Une vingtaine sont décédés ce matin. Dix sont comme Alexandre Loryon, stables
mais dans le coma. »
Layla a, à peine, le temps de remercier Christine, que Sonia l’interpelle depuis la
porte de la chambre où la télévision continuait de faire du bruit. « Stan est à la télé »
lance l’infirmière. Layla et Raphaëlle se frayent un passage vers la chambre pour entendre
les mots prononcés par Stanislas durant la réunion du jeudi. « Je leur ai dit que je ne voulais pas que ça sorte », bredouille Stan en voyant le regard noir de Raphaëlle.
- Que se passe-t-il ? demande Pradesh.
- C’est une catastrophe, lâche Layla. Et je ne parle pas de ces journalistes.
Alors, la directrice se tourne vers ses collègues. « Je sais que vous êtes tous épuisés et probablement inquiets de ce qui vient de se passer. Je vais appeler immédiatement
l’Agence régionale de santé. Nous faisons face à une épidémie. Le plan Orsan* va être
proclamé dans l’heure. Il est possible que nous soyons maintenus en quarantaine au nom
du principe de précaution. Si vous le pouvez, appelez vos proches pour prendre vos dispositions. Ne les effrayez pas inutilement. Ensuite, il reste dix patients à suivre et tous ceux
qui étaient présents sur les lieux. Il nous faut aussi assurer notre propre sécurité. Pas
question de perdre des soignants. C’est notre devoir de tenir. Qui en est ? »
Raphaëlle lève la main, imitée par Stan et Pradesh, puis Sonia. Christine et Kadiata,
les imitent puis tous les autres. L’équipe de Polo suit le mouvement. La pièce est silencieuse comme une scène d’accident après le choc. En voyant toutes les mains levées, Layla secoue la tête comme un remerciement.
Debout, avec cette chemise aérée qu’on donne aux patients, le sergent Pierre
Leboeuf se tient en arrière. Il lève la main, comme tous les autres et serre les dents.
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Une sirène se fait entendre au loin.
"
* Orsan = Organisation de la réponse sanitaire
"
Un grand merci à tous les participants du vote de février!
Une immense reconnaissance au docteur Jean-Marc Pécontal pour ses conseils et sa relecture avisée
d'Orsan.
Une éternelle sympathie pour David Labrosse et Romain Pagès pour leurs conseils éclairés sur Orsan.
Merci à Dimitri Boibessot, Céline Chevalier, Laetitia Pavlowski, Mehdi Yalaoui, Sarah Payet, Sébastien Sery,
Fanny Donadieu et Ophélie Payet pour les témoignages sur leurs métiers et expériences respectives. Vive les
médecins, les infirmiers, les secouristes, les aide soignants et les pompiers!
Un grand merci à Joëlle Ecormier et Emmanuelle Payet pour leurs relectures attentives.
Un grand merci à Ines Guerroudj pour son coup de main sur les illustrations!
Un grand merci pour être venus le 23 avril afin de relire les textes, réagir, s'enregistrer et conseiller: Joëlle
Cuq, Joëlle Brethes, Michel Ethève, Eléonore Ah-Kang, Evelyne Derriennic, Yves -lord Byron- Ferry, Noro Rakotobe, Ansuya Camatchee et Stéphane Sanz! En plus vous êtes venus dans la joie et la bonne humeur, vous
nous avez dynamisés.
Merci à l'équipe "Jules Verne" qui continue de creuser pour apporter une nouvelle série au moulin (clin d'oeil
à Juliette Pichon et Vincent Tavan).
Et merci à ceux qui nous encouragent quotidiennement.
"
L'équipage, Sonia, Audrey, Christophe, Mickaël et Nicolas
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